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Document E2699
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins ou modèles.


E2699 déposé le 1er octobre 2004 distribué le 14 octobre 2004 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2004) 0582 final du 14 septembre 2004, transmis au Conseil de l'Union européenne le 16 septembre 2004)

Base juridique :

Article 95 du traité CE.

Procédure :

Codécision.

Avis du Conseil d'Etat :

Dès lors que la proposition de directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins et modèles avait été considérée comme devant être soumise à l'Assemblée nationale et au Sénat, la présente proposition, qui tend à modifier la directive 98/71/CE doit elle-même, en tout état de cause, être soumise au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Commentaire :

I. La proposition de directive vise à libéraliser totalement le marché des pièces détachées automobiles externes

La proposition de directive qui nous est aujourd'hui soumise concerne les pièces de rechange visibles des produits complexes. Elle vise à supprimer pour ces pièces la protection du dessin ou modèle, telle que définie par la directive 98/71. Celle-ci octroie un droit exclusif à l'auteur d'un dessin nouveau et original de l'apparence d'un produit ou d'une pièce. La durée de protection maximale est de 25 ans.

Bien que la proposition concerne l'ensemble des pièces de rechange des produits complexes (par exemple les appareils électroménagers, l'horlogerie), le marché sur lequel elle aurait le plus de conséquences est celui des pièces de rechange automobiles extérieures et visibles, telles que les éléments de carrosserie, les phares et les vitrages.

L'article 14 de la directive 98/71 sur la protection juridique des dessins ou modèles dispose dans sa rédaction actuelle que les Etats membres maintiennent les dispositions existantes concernant la protection des pièces de rechange. Les Etats ayant déjà libéralisé ce secteur ne sont pas autorisés à rétablir une protection juridique. Au total, 15 Etats membres ont souhaité maintenir la protection des pièces détachées : la France et l'Allemagne, mais aussi l'Autriche, le Danemark, la Finlande, le Portugal et la Suède, ainsi que les nouveaux Etats membres, sauf la Lettonie et la Hongrie.

Les enjeux économiques liés à une réforme sont importants : le marché des pièces de rechange automobiles concernées par la proposition représente de 9 à 11 milliards d'euros par an, sur un marché global des pièces détachées automobiles dans l'Union européenne de 42 à 45 milliards d'euros. Selon les données fournies par le Comité des constructeurs français d'automobiles, 50 000 emplois industriels sont liés à la production des pièces détachées en France.

La Commission propose la suppression de la protection juridique des pièces de rechange dans un délai de deux ans après l'adoption de la directive, ce qui aboutirait à une libéralisation totale de ce marché.

Lors de la négociation de la directive de 1998, la Commission souhaitait déjà obtenir une telle libéralisation (en maintenant toutefois une protection juridique d'une durée de trois ans) mais plusieurs Etats membres, dont la France, s'y étaient opposés. Un compromis avait été trouvé dans la rédaction de l'article 14, déjà évoqué, et de l'article 18, qui prévoit une révision des dispositions relatives aux pièces de produits complexes au plus tard en octobre 2005.

La Commission justifie sa proposition par la volonté d'approfondir le marché intérieur et de renforcer la concurrence. Elle évalue à 85% la part de marché des constructeurs et estime que la libéralisation aurait des effets positifs pour les PME et les consommateurs.

II. Plusieurs arguments plaident contre cette réforme

1) Cette libéralisation freinerait l'innovation et la recherche

Les constructeurs automobiles européens investissent fortement dans la recherche et l'innovation - par exemple, cet investissement est estimé à 7% du chiffre d'affaires des constructeurs français. Cet effort concerne notamment la conception des pièces détachées extérieures, qui répond à des exigences esthétiques, aérodynamiques techniques et de sécurité.

Il est parfaitement légitime que ceux qui réalisent initialement ces investissements voient ensuite leurs créations protégées. En cas de libéralisation, seules les pièces les plus rentables, c'est-à-dire les plus courantes et celles des véhicules récents, seraient copiées. Les concurrents éventuels attendraient quelques années après la création d'un modèle afin de constater ou non sa réussite et de déterminer ainsi la rentabilité de la production de pièces détachées. Les constructeurs prendraient les risques au départ, sans pouvoir les amortir par la suite. Ils seraient donc amenés à amortir leurs investissements de recherche et d'innovation par une hausse du prix de vente des modèles ou à réduire ces mêmes investissements.

Alors que l'Union européenne s'est fixé lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000 des objectifs ambitieux en termes d'innovation et de recherche, une telle réforme compromettrait une partie de l'effort de l'industrie automobile en ce domaine.

La protection de la propriété intellectuelle est un enjeu décisif pour l'innovation. La démarche de la Commission paraît à cet égard peu cohérente car au plan international, dans le cadre de l'OMC, l'Union européenne défend la propriété intellectuelle, par exemple en affichant la volonté de lutter contre la contrefaçon.

2) La réforme proposée menace la compétitivité et l'emploi

Le marché de l'automobile en Europe se caractérise par une profitabilité plus faible qu'aux Etats-Unis et au Japon, en raison du type de voitures le plus demandé (petites voitures, diesel), ainsi que du niveau d'exigence des normes de consommation et d'environnement.

La libéralisation du marché des pièces détachées affaiblirait la compétitivité de l'industrie automobile européenne par rapport à ses concurrents. A cet égard, il faut noter qu'au Japon, une protection de 15 ans des pièces détachées existe, tandis qu'aux Etats-Unis, les dispositions varient selon les Etats mais des normes strictes existent même dans les Etats ayant libéralisé ce secteur.

La Commission estime que l'ouverture du marché des pièces détachées permettrait le développement d'activités pour les PME européennes et pourrait avoir un impact positif sur l'emploi.

Bien au contraire, il faut remarquer que le développement du marché des pièces détachées ne peut être que limité. Il ne dépend que de la croissance de la circulation et de la fréquence des accidents, qui, fort heureusement, diminue du fait des efforts en matière de sécurité routière.

La libéralisation n'entraînerait pas de hausse de la production d'automobiles ni de pièces détachées. Le nombre d'emplois resterait, au mieux, stable. Le seul effet possible de la réforme proposée est donc une modification de la répartition des emplois.

Cette modification ne profitera pas aux PME européennes. Il faut en effet s'attendre, dans l'hypothèse d'une libéralisation, à des délocalisations hors de l'Union européenne, phénomène qui existe déjà pour le marché concerné mais de façon encore limitée. Ainsi, en France, les pièces de carrosserie pour le marché européen sont embouties dans les usines des constructeurs. En revanche, pour d'autres pièces, les constructeurs font appel à des entreprises sous- traitantes dont les activités peuvent être implantées hors d'Europe. En tout état de cause, les coûts salariaux inférieurs pratiqués en Asie et l'existence, principalement à Taiwan, de grandes entreprises de production de pièces détachées, déjà implantées dans les marchés libéralisés en Europe et aux Etats-Unis, amènent à penser que l'effet de la libéralisation sur l'emploi dans l'Union européenne sera négatif.

3) La proposition n'apporte pas de solution aux problèmes de sécurité qui résulteraient de la libéralisation

La question de la conformité des pièces copiées aux normes de sécurité n'est pas résolue par la proposition de directive. Celle-ci prévoit seulement que les Etats membres devront veiller à l'information des consommateurs sur l'origine des pièces de rechange.

La réaction des pièces extérieures en cas de choc est déterminante pour la sécurité des piétons. La directive " Choc piéton " du 17 novembre 2003 vise à renforcer la qualité de ces pièces (capots, pare-chocs, ailes) en cas de collision avec un piéton. Des pièces copiées peuvent être de moindre qualité, notamment du fait des matériaux utilisés. Bien que cela ne soit pas son objet, la protection des dessins et modèles joue actuellement un rôle en matière de sécurité.

Les constructeurs procèdent à des tests des pièces concernées sur les véhicules complets, ce qui ne sera pas possible pour les fabricants de pièces détachées autres que celles d'origine.

Enfin, la proposition de directive ne traite pas de la question de la traçabilité et du contrôle, pourtant déterminants pour la sécurité. Il n'existe pas actuellement de certification des pièces concernées.

4) Les bénéfices pour les consommateurs seraient inexistants

Selon la Commission, la libéralisation devrait se traduire par une baisse des prix des pièces détachées, au bénéfice des consommateurs. Plusieurs éléments peuvent cependant amener à douter fortement des effets d'une libéralisation sur les prix.

Tout d'abord, les consommateurs sont séparés des producteurs de pièces par de nombreux intermédiaires (distributeurs, réparateurs et assureurs) et la répercussion d'une baisse des prix des pièces sur le coût de la réparation et les primes d'assurances est très incertaine.

Ensuite, les pièces autres que les pièces d'origine nécessitent des ajustements et donc un temps de montage plus élevé, ce qui accroît le coût des réparations.

Enfin, des études montrent qu'au Royaume-Uni, où le secteur est libéralisé depuis une vingtaine d'années, le prix des pièces n'est pas inférieur à ceux pratiqués en France et en Allemagne.

La proposition de directive a fait l'objet de discussions au niveau du groupe d'experts compétent du Conseil. La France, l'Allemagne, la Pologne, la République tchèque et l'Autriche, y sont opposés, ce qui constitue une minorité de blocage. Le Royaume-Uni, l'Espagne, la Hongrie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Irlande, l'Italie et la Lituanie y sont favorables.

Le Parlement européen n'a pas encore commencé ses travaux.

Il est important, pour toutes les raisons évoquées, de s'opposer à la proposition, ce qui soutiendra le Gouvernement français dans la négociation.

Conclusion :

Ce document a été présenté par M. Pierre Forgues, rapporteur, au cours de la réunion de la Délégation du 8 février 2005.

Le Président Pierre Lequiller a remarqué que la proposition de directive avait été élaborée par la précédente Commission et par l'ancien commissaire au marché intérieur, M. Frits Bolkestein. Le nouveau commissaire à l'industrie et aux entreprises, M. Günter Verheugen, est aujourd'hui sensible aux réticences de l'Allemagne et de la France.

M. Christian Philip a estimé que la proposition soulevait des difficultés mais que la notion de marché intérieur ne pouvait conduire à exclure certains secteurs. Tout en s'opposant à la proposition, il faut éviter de condamner le principe même de libéralisation.

Après les observations du Président Pierre Lequiller, le rapporteur, a accepté, dans le point 2, de substituer aux mots " la libéralisation " les mots " les modalités de la libéralisation ".

Compte tenu de ces observations, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

" La Délégation,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins ou modèles (COM (2004) 582 final),

- Considérant que la suppression de la protection juridique des dessins et modèles pour les pièces détachées de rechange des produits complexes limiterait les possibilités pour les constructeurs automobiles d'amortir leurs investissements dans la conception de ces pièces et constituerait de ce fait un frein à la recherche et à l'innovation de l'industrie dans ce domaine,

- Considérant que les modalités de la libéralisation proposée du marché des pièces détachées auraient des conséquences négatives pour l'emploi dans l'Union européenne,

- Considérant que cette réforme ne manquerait pas d'engendrer des problèmes au plan de la sécurité, que, curieusement, la proposition de directive ne prend pas en compte, et n'apporterait très vraisemblablement aucun bénéfice aux consommateurs,

S'oppose à la proposition de directive. "

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

- Mme Martine HIANCE, directrice générale adjointe de l'INPI

- M. Bertrand GEOFFRAY, INPI

- M. Hubert PERREAU, Directeur du Comité des Constructeurs Français d'Automobiles

- Mme Nelly MIGNOTTE, Comité des Constructeurs Français d'Automobiles

- M. Luc BASTARD, Renault

- M. Marc BEAULIEU, PSA

- Mme Louise d'HARCOURT, Renault

- M. Hervé PICHON, PSA

- M. Pierre CLIN, CGPME

- M. Dominique BROGGIO, CGPME

- M. Guillaume ROSENWALD, Fédération française des sociétés d'assurances

- M. Jean-Paul LABORDE, Fédération française des sociétés d'assurances

Le rapporteur a recueilli l'avis du Bureau européen des Unions de consommateurs (B.E.U.C.).