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Document E2839
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre la criminalité organisée.


E2839 déposé le 7 mars 2005 distribué le 14 mars 2005 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2005) 0006 final du 19 janvier 2005, transmis au Conseil de l'Union européenne le 24 janvier 2005)

La criminalité organisée est un phénomène en expansion dans l’Union européenne : selon Europol, 4 000 organisations criminelles impliquant 40 000 personnes ont été signalées par les services des Etats membres en 2003 (contre 3 000 organisations regroupant 30 000 personnes l’année précédente). La liberté de circulation des capitaux, des biens, des personnes et des services, la suppression des frontières intérieures et l’élargissement ont facilité l’implantation des groupes criminels organisés. Ces derniers ont diversifié leurs activités (trafic de drogues, trafic d’êtres humains, commerce illégal d’armes et de munitions, contrefaçon, etc .) et étendu leur emprise (par la corruption, le blanchiment d’argent sale, etc.).

Face à ce fléau, l’Union européenne a adopté une action commune sur la participation à une organisation criminelle( 1) le 21 décembre 1998, ainsi que plusieurs plans d’action. La Communauté européenne a également adhéré, le 29 avril 2004, à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000, dite « convention de Palerme », entrée en vigueur le 29 septembre 2003.

Ce projet de décision-cadre, déposé par la Commission le 19 janvier 2005, vise à renforcer ce dispositif et l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée (I). Les modifications apportées au texte initial afin de parvenir à un accord ont cependant sensiblement diminué sa plus value (II).

I. Cette proposition vise à renforcer la lutte contre la criminalité organisée grâce à une définition commune de l’organisation criminelle.

L’action commune du 21 décembre 1998 comporte une définition commune de l’organisation criminelle, entendue comme « l’association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps, et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins quatre ans ou d’une peine plus grave, que ces infractions constituent une fin en soi ou un moyen pour obtenir des avantages patrimoniaux, et le cas échéant, influencer indûment le fonctionnement d’autorités publiques ». Elle prévoit notamment que chaque Etat membre doit incriminer la participation aux activités d’une telle organisation, même lorsque la personne concernée ne participe pas à l’exécution proprement dite des infractions en cause. Cette définition a inspiré celle adoptée dans la décision-cadre 2002/475/JAI du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, qui incrimine la direction et la participation aux activités d’un groupe terroriste.

Le projet de décision-cadre déposé par la Commission reprend la définition de l’action commune de 1998, en y ajoutant la notion d’« association structurée », qui désigne une association « qui ne s’est pas constituée au hasard pour commettre immédiatement une infraction et qui n’a pas nécessairement de rôles formellement définis pour ses membres, de continuité dans sa composition ou de structure élaborée » (art. 1er). La plus value apportée par cette reprise est que la décision-cadre est un instrument contraignant, contrairement à l’action commune.

Le texte, dans sa version initiale, impose aux Etats membres d’incriminer la participation à une organisation criminelle, ainsi que le fait de diriger une telle organisation, ce qui constitue une innovation par rapport à l’action commune (art. 2). Il harmonise les sanctions applicables : la participation à une organisation criminelle devrait être punie d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins cinq ans, et sa direction d’une peine maximale d’au moins dix ans (art. 3 § 1).

La commission d’une infraction dans le cadre d’une association criminelle devrait en outre être considérée comme une circonstance aggravante (art. 3 § 2). Des réductions de peines encourues sont, l’inverse, autorisées pour les « repentis », ayant participé à une organisation criminelle et coopérant avec la justice (art. 4).

Le texte comporte également des dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales (articles 5 et 6), aux règles de compétence (art. 7) ainsi qu’à la protection des victimes (art. 8).

II. Les modifications apportées au texte initial pour parvenir à un accord en ont sensiblement diminué la plus value.

Ce projet a suscité des difficultés importantes lors de son examen par le Conseil. De fortes divergences sont apparues entre plusieurs groupes d’Etats membres, conduisant à modifier sensiblement le texte initial pour parvenir à un accord, intervenu lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » des 27 et 28 avril 2006. Ces compromis successifs ont considérablement réduit le degré d’ambition de la décision-cadre.

- Les pays de tradition romano-germanique (comme la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie), qui connaissent l’infraction d’« association de malfaiteurs », ont soutenu cette initiative. La définition de l’association de malfaiteurs figurant à l’article 450-1 du code pénal français, par exemple, ne diffère guère de celle proposée dans la décision-cadre.

Toutefois, l’obligation d’incriminer la direction d’une organisation criminelle, déjà prévue en droit français en matière de terrorisme (art. 421-5 c. pén.) et de stupéfiants (art. 222-34 c. pén.), mais pas en dehors de ces cas, n’a pas été bien accueillie par le Gouvernement français, au motif qu’il serait très difficile, en pratique, d’identifier la « tête » d’un réseau mafieux. La France a cependant accepté de s’y rallier et d’envisager la création de cette nouvelle infraction.

La référence à la recherche d’un « avantage financier ou un autre avantage matériel », qui ne figure pas non plus dans notre droit, a également été critiquée par la délégation française au motif qu’elle ne permettrait pas de couvrir les organisations criminelles poursuivant des fins idéologiques ou d’inspiration religieuse. Un considérant a été ajouté à cette fin, autorisant les Etats membres à considérer d’autres groupes de personnes, ne visant pas à obtenir des avantages financiers ou matériels, comme des organisations criminelles (cons. 4). Il est cependant regrettable qu’un aspect aussi important d’une définition commune ne soit traité qu’au détour d’un simple considérant.

- Les pays anglo-saxons (Royaume-Uni et Irlande) ont soulevé plusieurs objections, liées au fait que la common law ne connaît pas l’association de malfaiteurs, mais a recours à la notion, distincte, de « conspiracy » (que l’on peut traduire par « entente délictueuse »).

Leur opposition a pu être surmontée grâce à l’introduction, comme dans l’action commune de 1998 et dans la convention de Palerme, d’une option entre l’incrimination de l’« association de malfaiteurs » et celle de la « conspiracy ». Celle-ci a été définie comme « le fait pour toute personne de conclure avec une ou plusieurs autres personnes un accord visant à exercer une activité qui, si elle aboutit, reviendrait à commettre [d]es infractions [punissables d’une peine privative de liberté d’au moins quatre ans], même lorsque cette personne ne participe pas à l’exécution proprement dite de l’activité » (art. 2 b).

L’introduction de la notion de « conspiration » a entraîné la disparition de l’incrimination de la direction d’une organisation criminelle, au motif que celle-ci ne pourrait être punie plus sévèrement que l’appartenance à une « conspiration ». La « conspiration » est en effet déjà punie, dans ces Etats, par la même sanction que celle applicable aux auteurs de l’infraction visée par l’entente délictueuse. Or il ne saurait être concevable de sanctionner plus sévèrement la personne qui dirige une entente délictueuse que les auteurs de l’infraction si elle était commise. Ce raisonnement, parfaitement justifié dans le cas de la conspiration telle qu’elle est pratiquée au Royaume-Uni, ne l’est cependant pas pour l’association de malfaiteurs, et n’a aucune pertinence pour les Etats pratiquant la conspiracy avec un niveau de sanctions moins élevé ( cf. infra ). Il est donc regrettable que cette innovation importante ait disparu du texte.

Les pays anglo-saxons se sont également opposés à ce que le fait de commettre une infraction dans le cadre d’une organisation criminelle ou d’une « conspiration » soit obligatoirement considéré comme une circonstance aggravante. Dans ces Etats, une circonstance aggravante impose en effet au juge de prononcer une peine supérieure. Ils ont vu dans cette disposition une atteinte au pouvoir d’appréciation des juridictions. Ces délégations ont obtenu que le caractère de circonstance aggravante soit rendu facultatif et que chaque Etat membre ait la possibilité de définir la notion de circonstance aggravante et les infractions auxquelles elle s’applique (art. 3 § 2).

- Les pays nordiques (tels que la Suède) ont exprimé de fortes réserves à l’égard du texte. Ils ne connaissent pas l’association de malfaiteurs et ont estimé que la décision-cadre porterait atteinte à la liberté d’association et la liberté d’expression protégées par leurs Constitutions. Ils souhaitaient qu’un membre de phrase soit ajouté à la définition de l’infraction de participation à une organisation criminelle, exigeant la réalisation d’actes matériels.

Un tel ajout aurait vidé cette infraction de sa substance et l’aurait privé de toute utilité. Les pays de tradition romano-germaniques s’y sont donc fortement opposés. Un considérant, suggéré à titre de compromis par la délégation française, a été ajouté, précisant que tout Etat membre peut interpréter la notion d’activités criminelles comme signifiant la réalisation d’actes matériels (cons. n° 5). Cette faculté, bien qu’introduite par le biais d’un simple considérant, introduit la possibilité d’interprétations divergentes de l’infraction liée à la participation à une organisation criminelle. La plus value de la définition commune – qui n’en est donc plus vraiment une – est dès lors limitée.

Ces pays ont également obtenu qu’un considérant précise que « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme visant à réduire ou à entraver les règles nationales relatives aux droits et libertés fondamentales tels que le droit à un procès équitable, le droit de grève, la liberté de réunion pacifique, d’association, la liberté de la presse ou d’expression, y compris le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts, et le droit de manifester qui s’y rattache » (cons. n° 8).

Enfin, le niveau de sanctions a été réduit à leur demande à une peine d’emprisonnement maximale comprise entre deux et cinq ans au moins pour l’association de malfaiteurs. En ce qui concerne la conspiration, une option a été introduite : la peine peut être soit la même que celle prévue pour l’infraction en vue de laquelle l’accord a été conclu, soit comprise entre deux et cinq ans au moins. La France, l’Allemagne et la Commission estiment que ce niveau de sanctions n’est pas assez sévère pour la criminalité organisée (même s’il ne s’agit que de niveaux minimaux et que les Etats membres peuvent fixer des niveaux supérieurs dans le cadre de leur législation nationale).

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Le niveau d’ambition de ce texte, au départ élevé, a ainsi été considérablement réduit au cours des discussions. La plus value apportée par le texte apparaît minimale par rapport aux instruments existants, tels que l’action commune de 1998 et la convention de Palerme, pourtant adoptée dans un cadre plus large que l’Union européenne, celui des Nations unies.

La Commission a émis une déclaration en ce sens, soulignant que la décision-cadre n’atteint pas les objectifs qu’elle souhaitait, car elle ne réalise pas un rapprochement minimal des actes de direction et de participation à une organisation criminelle, basé sur un concept unique de l’organisation, tel que déjà adopté dans la décision-cadre sur la lutte contre le terrorisme. La France et l’Italie se sont associées à cette déclaration.

Ce faible degré d’harmonisation démontre à nouveau, s’il en était besoin, les inconvénients attachés à l’unanimité, et l’utilité d’activer la « clause passerelle » prévue à l’article 42 du traité sur l’Union européenne, comme l’ont proposé l’Assemblée nationale dans sa résolution n° 560 du 29 mars 2006 et le Gouvernement français dans sa contribution du 26 avril dernier. L’article 42 TUE permettrait de transférer la coopération pénale du troisième pilier vers le pilier communautaire, et de passer ainsi à la majorité qualifiée et à la codécision( 2). La Commission a annoncé, dans une communication du 28 juin 2006, qu’elle était prête à déposer une initiative en ce sens, à l’issue du travail de réflexion qui sera mené sous la présidence finlandaise lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » informel qui se tiendra à Tampere du 20 au 22 septembre prochains.

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La présentation de ce document par M. Thierry Mariani, rapporteur, au cours de la réunion de la Délégation du 5 juillet 2006, a été suivie d’un court débat.

M. Jérôme Lambert a souhaité savoir si ce texte conduirait à modifier la législation française relative à l’association de malfaiteurs.

M. Thierry Mariani, rapporteur, a indiqué que la décision-cadre n’entraînerait vraisemblablement aucune modification du droit français, compte tenu de la suppression de l’incrimination relative à la direction d’une organisation criminelle (qui n’existe, en droit français, qu’en matière de terrorisme et de stupéfiants).

Le Président Pierre Lequiller a déclaré que le traité établissant une Constitution pour l’Europe aurait permis de progresser plus vite sur ces sujets, grâce au passage à la majorité qualifiée, alors que l’activation de la « clause passerelle » de l’article 42 TUE sera difficile, compte tenu de l’opposition de certains Etats membres, comme l’Allemagne.

A l’issue de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes sur cette proposition de décision-cadre :

« La Délégation pour l’Union européenne,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre la criminalité organisée (COM [2005] 6 final / E 2839),

1. Souhaite l’adoption d’une définition commune de l’organisation criminelle et des infractions relatives à la participation et à la direction d’une telle organisation ;

2. Déplore le faible degré d’harmonisation apporté par la proposition de décision-cadre relative à la lutte contre la criminalité organisée, à la suite des modifications apportées par le Conseil ;

3. Regrette, en particulier, la disparition de l’infraction liée à la direction d’une organisation criminelle, que tout Etat membre puisse exiger la réalisation des actes matériels pour que l’infraction soit commise, ainsi que la réduction du niveau des sanctions applicables ;

4. Appelle le Conseil à faire usage de la « clause passerelle » prévue à l’article 42 du traité sur l’Union européenne, afin de donner à un nouvel élan à l’Europe de la justice. »

(1) Action commune 1998/733/JAI relative à l’incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats membres de l’Union européenne.
(2) Les instruments du troisième pilier (décisions-cadres et décisions), dépourvus d’effet direct, seraient en outre remplacés par les instruments communautaires (directives et règlements), qui en sont dotés. Les compétences de la Cour de justice et de la Commission (action en manquement) seraient également accrues.