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N° 2268

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2014

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

en application de l’article 145 du Règlement

AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION SUR
la
simplification législative (1)

Présidente,

Mme Laure de LA RAUDIÈRE,

Rapporteur,

M. Régis JUANICO,

Députés.

____

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur la simplification législative est composée de : Mme Laure de La Raudière, présidente ; M. Régis Juanico, rapporteur ; M. Étienne Blanc, Mme  Estelle Grelier et M. Philippe Gosselin, vice-présidents ; Mme Marietta Karamanli, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier et M. Michel Zumkeller, secrétaires ; MM. Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Hugues Fourage, Pierre-Yves Le Borgn’, Pierre Morel-A-L’Huissier et Alain Tourret.

SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DE LA PRÉSIDENTE 9

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : MIEUX PRÉPARER LA NORME EN AMONT DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE 15

I. RENDRE L’ÉVALUATION EX ANTE DE LA NORME PLUS INDÉPENDANTE 17

A. L’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT EN FRANCE : UN PROCESSUS PUREMENT INTERNE AUX ADMINISTRATIONS PRODUCTRICES DE TEXTES. 18

1. L’obligation constitutionnelle d’assortir de nombreux projets de loi d’une étude d’impact est récente. 18

a. Avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’élaboration d’une étude d’impact n’était qu’une faculté au regard des exigences de la Constitution. 18

i. Le rapport de la mission conduite par M. Jean Picq sur les responsabilités et l’organisation de l’État 18

ii. Les circulaires du Premier ministre des 21 novembre 1995 et 26 janvier 1998 19

b. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’élaboration d’une étude d’impact est une obligation constitutionnelle dont le non-respect n’a cependant pas encore été sanctionné par le Conseil constitutionnel. 21

i. La Constitution et la loi organique du 15 avril 2009 contraignent le Gouvernement à assortir la plupart des projets de loi d’une étude d’impact. 22

ii. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale n’a jamais usé de la possibilité qui lui est reconnue de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale d’un projet de loi dont l’étude d’impact présente de graves insuffisances. 25

2. La culture de l’évaluation de l’impact commence à se développer au sein des administrations. 30

a. La méthodologie d’élaboration des études d’impact est détaillée dans le guide de légistique établi par le secrétariat général du Gouvernement 30

b. Un manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation a été établi par le secrétariat général du Gouvernement 32

i. Description du modèle des coûts standards (« standard cost model ») 33

ii. Description du modèle « OSCAR » 36

c. Les consultations facultatives et obligatoires sont largement pratiquées. 38

3. L’évaluation ex ante de l’impact des normes est encore inégale et structurellement orientée. 40

a. De nombreuses critiques pointent la partialité et les insuffisances des études d’impact. 40

b. Des études dont le Parlement se saisit encore trop peu 44

c. Des études dont le contenu pourrait être enrichi 45

i. Rendre obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation de « tests entreprises, collectivités locales et usagers de l’administration » 46

ii. Améliorer l’évaluation des coûts et bénéfices économiques ainsi que des conséquences sociétales des mesures envisagées 47

iii. Fournir une analyse et une justification approfondies des mesures transitoires et des dates d’entrée en vigueur retenues 48

iv. Intégrer l’exigence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées (« one-in, one-out ») aujourd’hui circonscrite aux textes réglementaires 49

v. Mieux identifier les critères sur lesquels se fondera l’évaluation ex post des mesures 51

B. L’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT CHEZ CERTAINS DE NOS VOISINS : UN PROCESSUS PLACÉ SOUS LE CONTRÔLE D’UN ORGANISME CONSULTATIF EXTERNE ET INDÉPENDANT 52

1. Aller plus loin que le modèle européen de l’« Impact Assessment Board » qui distingue l’organe chargé de l’élaboration de l’étude d’impact de celui chargé de l’évaluation de sa qualité, sans recueillir un point de vue extérieur à celui de l’administration. 53

a. La Commission européenne et le Parlement européen s’efforcent d’objectiver le processus de production des études d’impact… 53

i. Le comité d’analyse d’impact de la Commission européenne 53

ii. L’unité d’évaluation ex ante de l’impact du Parlement européen 54

b. … mais celui-ci reste interne aux services des institutions européennes. 56

2. S’inspirer des modèles britannique et allemand qui confient à des personnalités extérieures à l’administration le soin de se prononcer sur la qualité de l’étude d’impact. 57

a. Le comité britannique de la politique de la réglementation (« RPC ») 57

i. Création et composition 57

ii. Rôle du « RPC » dans le processus britannique d’élaboration des études d’impact 58

b. Le conseil allemand de contrôle des normes 63

i. Création et composition 63

ii. Rôle du « NKR » dans le processus allemand d’élaboration des études d’impact 64

C. PISTES POUR UN NOUVEAU CADRE INSTITUTIONNEL D’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT MIEUX À MÊME DE GARANTIR LEUR QUALITÉ. 69

1. Conférer à une autorité de contrexpertise un ancrage organique et législatif, sur les modèles belge et allemand 71

2. Clarifier en conséquence la répartition des tâches entre l'autorité de contrexpertise, d’une part, et, d’autre part, le conseil de la simplification pour les entreprises et le conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales 72

II. RENDRE L’ÉVALUATION EX ANTE DE LA NORME PLUS SYSTÉMATIQUE 76

A. LE CARACTÈRE FACULTATIF DES ÉTUDES D’IMPACT POUR LES PROPOSITIONS DE LOI ET POUR LES ORDONNANCES. 76

1. La réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi n’est pas une obligation… 76

a. Les propositions de loi n’ont pas à être assorties d’études d’impact mais peuvent être soumises, pour avis, au Conseil d’État. 76

b. Un exemple de proposition de loi adoptée à la suite d’une évaluation. 78

2. La réalisation d’une étude d’impact est également une faculté pour la majorité des ordonnances. 79

a. Si les projets de loi d’habilitation à prendre des mesures législatives par ordonnance doivent être assortis d’une étude d’impact au contenu allégé... 79

b. … les ordonnances elles-mêmes ne sont soumises à aucune obligation d’évaluation de leur impact lorsqu’elles ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales. 80

B. ÉTENDRE AUX PROPOSITIONS DE LOI ET AUX ORDONNANCES L’OBLIGATION D’ÉVALUATION DE L’IMPACT AUJOURD’HUI CANTONNÉE AUX PROJETS DE LOI ET À CERTAINS PROJETS D’ACTES RÉGLEMENTAIRES. 81

1. Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi 81

2. Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les ordonnances 83

C. AMÉLIORER L’ÉVALUATION EX ANTE DE L’IMPACT EN DÉVELOPPANT LE RECOURS À L’EXPÉRIMENTATION. 84

DEUXIÈME PARTIE : MIEUX ÉLABORER LA NORME AU COURS DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE 87

I. DÉVELOPPER L’ÉVALUATION DE L’IMPACT AU COURS DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE 87

A. EN AMONT DES DÉBATS PARLEMENTAIRES, RENDRE PUBLIQUE LA PARTIE DE L’AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT SUR LES ÉTUDES D’IMPACT ASSORTISSANT LES TEXTES DE LOI. 87

1. Une confidentialité presqu’unanimement critiquée 88

2. Une nécessaire publicité 89

B. LORS DES DÉBATS PARLEMENTAIRES, RENFORCER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA QUALITÉ DES ÉTUDES D’IMPACT 90

C. ÉTENDRE L’OBLIGATION D’ÉVALUATION DE L’IMPACT AUX AMENDEMENTS « SUBSTANTIELS » 94

1. La réalisation d’une étude d’impact pour les amendements est une faculté qui n’a jamais été exercée. 94

a. Le Règlement de l’Assemblée nationale permet au comité d’évaluation et de contrôle de réaliser l’évaluation préalable de certains amendements. 94

b. Aucune saisine du CEC dans le cadre des articles 98-1 et 146-6 du Règlement de l’Assemblée nationale 95

2. De bonnes pratiques ont pourtant été adoptées au niveau européen en matière d’évaluation de l’impact des amendements. 98

a. Les pratiques du Parlement européen 98

b. Les pratiques des Parlements allemand et néerlandais 100

3. Adapter les exemples étrangers à la procédure législative française 102

II. AMÉNAGER LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE POUR CONSOLIDER LA QUALITÉ DE LA NORME 104

A. MIEUX ENCADRER LA DISCUSSION DES TEXTES ET DES AMENDEMENTS. 104

1. Appliquer un délai de dépôt aux amendements du Gouvernement 104

2. Modifier la procédure accélérée pour préserver un temps minimal d’examen parlementaire 107

3. Repenser l’organisation des débats budgétaires en les recentrant sur la loi de règlement. 109

B. ADOPTER UNE MÉTHODE DE TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES SUSCEPTIBLE DE LIMITER LES RISQUES DE « SURTRANSPOSITIONS » INUTILES. 111

1. La propension française à transposer au-delà de ce qui est utile et nécessaire. 112

2. La méthode de la transposition en deux temps (ou « double corbeille »). 115

3. Pistes pour améliorer le processus de transposition des directives. 117

a. Placer l’étude d’impact au cœur des négociations des textes européens et en analyser les implications au niveau national 117

b. Mieux identifier les éventuelles surtranspositions 121

TROISIÈME PARTIE : MIEUX ÉVALUER LA NORME EN AVAL DE SON ADOPTION 124

I. CLARIFIER LE PAYSAGE DE L’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES 124

A. UNE ÉVALUATION A POSTERIORI ABONDANTE MAIS PAS TOUJOURS ORGANISÉE. 124

1. Ce que fait le Parlement 125

a. Les rapports d’application des lois adoptées 125

b. Les commissions d’enquête, missions d’information des commissions permanentes et missions d’information de la Conférence des Présidents 126

c. L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques  (OPECST) et les diverses délégations parlementaires 126

d. La mission d’évaluation et de contrôle (MEC) 127

e. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) 128

f. Le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) 128

g. La commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois 129

2. Ce que font les juridictions 131

a. Les rapports de la Cour de cassation 131

b. Les rapports du Conseil d’État 132

3. Ce que fait la Cour des comptes 132

4. Ce que fait le Conseil économique, social et environnemental 133

5. Ce que font les services et les corps d’inspection de l’exécutif 134

a. Les corps d’inspection 134

b. Le commissariat général à la stratégie et à la prospective 136

c. Le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique 137

B. UNE ÉVALUATION QUI GAGNERAIT À ÊTRE MIEUX COORDONNÉE. 137

II. RENDRE L’ÉVALUATION EX POST DE LA NORME PLUS MÉTHODIQUE 139

A. DÉVELOPPER L’INSERTION DE CLAUSES DE RÉVISION DANS CERTAINS TYPES DE LOI. 139

1. La pratique française des clauses de révision 140

2. Les pratiques britannique et allemande des clauses de révision 140

a. Les clauses de révision et de caducité au Royaume-Uni 140

b. Les clauses de révision en Allemagne 141

B. ADOPTER UNE PRATIQUE TENDANT À SYSTÉMATISER LA JUSTIFICATION DES RETARDS EN MATIÈRE DE PUBLICATION DES DÉCRETS D’APPLICATION. 142

1. De nets efforts… 142

2. … qui méritent d’être poursuivis. 144

C. MIEUX ORDONNER LES MISSIONS D’ÉVALUATION DU PARLEMENT 148

CONCLUSION 151

EXAMEN DU RAPPORT PAR LA MISSION 153

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 165

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA MISSION 169

ANNEXES 177

AVANT-PROPOS DE LA PRÉSIDENTE

Depuis plus de vingt ans, les rapports se succèdent qui tiennent un discours vertueux sur l’élaboration de la norme et dénoncent l’inflation normative, la dégradation de la qualité de la loi et l’insécurité juridique. Ces maux continueront pourtant de progresser tant que l’allègement du « stock » des normes ne s’accompagnera pas d’une rationalisation de leur « flux ».

C’est la raison pour laquelle la Conférence des présidents a décidé, le 26 novembre 2013, à l’initiative du Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, de créer une mission sur la simplification législative, que j’ai eu l’honneur de présider.

Cette mission a mené pendant neuf mois des travaux qui ont été nourris par une vingtaine d’auditions et quatre déplacements – en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Nous avons en effet souhaité explorer, à l’aune des bonnes pratiques adoptées par nos voisins, les pistes concrètes qui sont en mesure de provoquer un changement de culture normative dans notre pays. L’audition d’universitaires spécialisés en droit privé, droit public et droit européen, a également permis d’ouvrir des perspectives que nous n'aurions pas spontanément envisagées. Nous avons ensuite eu l’occasion de soumettre les idées inspirées de ces bonnes pratiques étrangères et des travaux universitaires aux nombreux acteurs que nous avons entendus, qu’il s’agisse des élus ayant abondamment réfléchi aux enjeux de la rationalisation et de la simplification des normes ou des représentants des institutions et administrations concernées par notre sujet (Conseil d’État, Cour des comptes, secrétariat général du Gouvernement, secrétariat général des Affaires européennes, Institut national de la statistique et des études économiques, etc.).

J’ai mené tous ces travaux en bonne intelligence avec les deux rapporteurs successifs de la mission, M. Régis Juanico ayant succédé en juin dernier à M. Thierry Mandon, nommé secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Le caractère transpartisan de la mission, dont la composition reflétait la configuration politique de l’Assemblée nationale, a favorisé une approche constructive et consensuelle.

À titre personnel et non pas au nom du groupe UMP, qui n’a pas été consulté en tant que tel, je souscris d’ailleurs aux quinze propositions qui ont été adoptées à l’unanimité le mardi 7 octobre 2014.

La mission n’ignore pas que la réforme constitutionnelle adoptée en 2008, sous la précédente législature, a profondément modifié le fonctionnement de notre Parlement. Ses potentialités méritent d’être encore davantage exploitées.

Certaines des quinze propositions formulées par le présent rapport sont ambitieuses, dans la mesure où elles appellent une révision constitutionnelle. Elles ne me semblent cependant pas de nature à remettre en cause l’esprit de la Constitution du 4 octobre 1958. C’est donc dans le respect des institutions de la Ve République qu’il a été proposé de mettre en œuvre des moyens propres à améliorer la fabrique de la loi.

Mesdames, Messieurs,

Sous la XIIIe législature, 266 textes de loi (507 si l’on compte ceux qui autorisent la ratification d’un traité ou l’approbation d’un accord international) ont été définitivement adoptés. Sous la présente législature, le Parlement a définitivement adopté 122 textes de loi (198 avec ceux autorisant la ratification d’un traité ou l’approbation d’un accord international) entre le 26 juin 2012 et le 31 août 2014.

On ne compte plus les rapports qui, depuis plus de vingt ans, dénoncent cette inflation normative (1). Pourtant, malgré l’élaboration d’un « droit de la norme, c’est-à-dire un droit portant sur l’art de légiférer, […] dans le but de réguler le flux normatif […] on déplore toujours l’importance de l’insécurité juridique » (2).

Nos concitoyens ne supportent plus une inflation normative qui, en plus de dévaloriser l’acte de légiférer en faisant perdre à la loi son caractère sacré, les étouffe au quotidien. Notre économie ne peut davantage se satisfaire d’un droit complexe, illisible et instable qui entrave son déploiement (3).

L’actuelle majorité l’a bien compris, elle qui, depuis deux ans, a engagé, au niveau de l’exécutif, une vaste entreprise de réduction du stock normatif. Dans le cadre du « choc de simplification » annoncé par le Président de la République le 14 mai 2013, le Gouvernement a été à l’initiative de cinq textes de simplification (4).

200 mesures de simplification, susceptibles d’avoir un impact sur la vie quotidienne des Français, ont été décidées lors du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 17 juillet 2013. Trois autres « CIMAP » réunis les 18 décembre 2012, 2 avril 2013 et 18 décembre 2013 ont conduit à l’adoption des principes :

– de suppression d’une norme réglementaire pour toute création d’une nouvelle norme de la même nature (principe inspiré de la pratique britannique du « one-in, one-out », désormais « one-in, two-out ») ;

– de transposition a minima des directives européennes ;

– de réduction des nombreuses données comptables ou sociales aujourd’hui demandées aux entreprises (programme « Dites-le nous une fois », inspiré du dispositif britannique « Say once », qui permettra à l’horizon 2017 qu’une entreprise n’ait qu’un identifiant à fournir plutôt que de multiples données d’identification).

Afin d’impulser et d’animer le chantier de la simplification, un conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par notre collègue Laurent Grandguillaume et par M. Guillaume Poitrinal, chef d’entreprise, a été créé en janvier 2014 (5). Placé auprès du Premier ministre pour une durée de trois ans, ce conseil est chargé de proposer au Gouvernement les orientations stratégiques de la politique de simplification à l’égard des entreprises. À ce titre, il a annoncé, le 14 avril dernier, la mise en œuvre de 50 premières mesures de simplification, parmi lesquelles la consécration d’un principe de non-rétroactivité de la loi fiscale pour les entreprises, le déploiement de la déclaration sociale nominative (DSN) ou encore le développement du rescrit. Parmi ces 50 mesures, la plupart de celles qui ont une nature législative ont été inscrites dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, examiné en première lecture en juillet dernier par notre Assemblée.

Signe fort de l’investissement du Gouvernement sur les questions de simplification, M. Thierry Mandon, ancien rapporteur de la mission, a été nommé le 3 juin dernier, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la simplification. Ce dernier a annoncé, lors de l’examen du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, que le Conseil de la simplification pour les entreprises avait l’intention de proposer tous les six mois environ une cinquantaine de mesures de simplification. La cadence imprimée par la « fabrique à simplifier » devrait ainsi amener le Gouvernement à soumettre régulièrement au Parlement plusieurs « trains de mesures » de simplification (6).

L’actuelle majorité a en outre parfaitement conscience que les efforts de réduction du stock des normes existantes seront vains s’ils ne sont pas accompagnés par des mesures de rationalisation du flux normatif propres à juguler, pour l’avenir, la production de normes en France.

C’est la raison pour laquelle la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a décidé le 26 novembre 2013, à l’initiative du Président Claude Bartolone, la création d’une mission d’information sur la simplification législative, chargée de réfléchir aux moyens de mieux légiférer.

Composée de députés appartenant aux différents groupes de l’Assemblée et présidée par Mme Laure de La Raudière, députée UMP, cette mission a consacré une part importante de ses travaux à l’étude des bonnes pratiques mises en œuvre chez nos voisins européens où le nombre de lois adoptées se rapproche du nôtre – sous réserve de l’exception britannique qui tient à la conception des domaines de la loi et du règlement au Royaume-Uni (7). Outre des déplacements en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas, elle a effectué 20 auditions à l’Assemblée nationale, en recueillant le point de vue non seulement des acteurs institutionnels directement concernés (Conseil d’État, Cour des comptes, secrétariat d’État aux Relations avec le Parlement, secrétariats généraux du Gouvernement, des Affaires européennes et de la modernisation de l’action publique, etc.), mais aussi de nombreux universitaires et élus ayant abondamment réfléchi aux enjeux de rationalisation du flux normatif (8).

Le présent rapport et les 15 propositions qu’il comporte sont le fruit de ces neuf mois de travail. Plutôt que de se perdre dans d’innombrables recommandations qui sonneraient comme autant de vœux pieux, la mission a préféré retenir un nombre restreint de propositions dont elle estime qu’elles sont susceptibles de faire l’objet d’un large consensus politique, et donc d’être concrétisées à court terme. La mise en œuvre de ces propositions lui apparaît indispensable si l’on ne veut pas que le divorce entre les Français, d’une part, et les normes et les acteurs qui les élaborent (au premier rang desquels les politiques) soit irrémédiablement consommé.

PREMIÈRE PARTIE : MIEUX PRÉPARER LA NORME
EN AMONT DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

L’inflation et la dégradation de la qualité des normes sont en grande partie liées aux mauvaises conditions de sa préparation, et notamment à l’évaluation insuffisante – voire inexistante – de son impact social, économique, environnemental, etc.

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées en est un bon exemple.

Quand l’insuffisante préparation de la loi nourrit l’inflation législative : l’exemple de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Si, à la demande du Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, une étude d’impact avait bien été jointe au projet de loi initial, déposé en janvier 2004 sur le bureau du Sénat, celle-ci ne comptait qu’une vingtaine de pages et consistait pour l’essentiel en une série de fiches d’impact (parfois très succinctes) concernant certaines dispositions du projet de loi (articles 2 à 4, 6 à 12-IV, 18 à 20, 33 à 35 et 41), à l’exclusion des articles 21 et 24, devenus les articles 41 et 45 du texte définitif.

La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a ainsi été définitivement adoptée en février 2005 sans que le Parlement ait été mis en mesure d’évaluer l’impact de ces deux articles.

L’article 41 de la loi du 11 février 2005 a introduit dans le code de la construction et de l’habitation un article L. 111-7 imposant l’accessibilité aux personnes handicapées (quel que soit le type de leur handicap) des locaux d’habitation (appartenant aux personnes publiques ou privées), des établissements recevant du public (ERP), des installations ouvertes au public (IOP) et des lieux de travail sous peine, pour les utilisateurs du sol, les bénéficiaires des travaux, les architectes, les entrepreneurs et les autres personnes responsables de l’exécution des travaux, de sanctions pénales prévues par l’article L. 152-4 du même code (amende de 45 000 euros pour une personne physique, amende de 225 000 euros pour une personne morale et, en cas de récidive, peine de six mois d’emprisonnement).

L’article L. 111-7-3 du même code a ajouté que « les établissements existants recevant du public doivent être tels que toute personne handicapée puisse y accéder, y circuler et y recevoir les informations qui y sont diffusées, dans les parties ouvertes au public » et qu’ils « devront répondre à ces exigences dans un délai, fixé par décret en Conseil d’État, qui pourra varier par type et catégorie d’établissement, sans excéder dix ans à compter de la publication de la loi ». Le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 a fixé l’échéance au 1er janvier 2015.

L’article 45 de la loi du 11 février 2005 a fixé un délai de dix ans à compter de la date de la publication de la loi, à l’issue duquel « les services de transport collectif devront être accessibles aux personnes handicapées et à mobilité réduite » - soit au 13 février 2015.

Or, dès 2008, une étude menée par Accèsmétrie, la Fédération française du bâtiment, la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) et la banque Dexia a estimé à environ 15 milliards d’euros le coût de l’investissement pour la mise en accessibilité des ERP gérés par les collectivités locales.

En 2010, la Fédération des APAJH a revu à la hausse le montant de l’investissement à la charge de l’État et des collectivités territoriales (environ 20 milliards d’euros dont 3,6 à la charge de l’État et 16,8 à la charge des collectivités territoriales). Une étude a alors révélé qu’« à mi-chemin de l’échéance fixée par la loi du 11 février 2005, [il existait] des interrogations quant au respect des délais impartis en matière d’accessibilité globale des ERP » (9).

En 2011, une mission conjointe du conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) et du contrôle général économique et financier (CEGEFI) sur les modalités d’application des règles d’accessibilité du cadre bâti aux personnes handicapées a constaté que l’échéance du 1er janvier 2015 pour la mise en conformité des ERP aux normes d’accessibilité ne pourrait en aucun cas être tenue car le délai était trop court face aux masses d’investissement nécessaires, sans oublier les durées des opérations inhérentes à toutes les phases (diagnostic, études techniques, procédures administratives relatives à la sécurité, à l’accessibilité et à l’urbanisme), d’autant que les travaux devaient être réalisés dans des établissements qui, en général, devaient continuer à fonctionner.

Le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a alors confié à notre collègue sénatrice Mme Claire-Lise Campion la mission de faire le point sur l’état d’avancement de l’accessibilité en France et de rechercher des solutions permettant à notre pays de répondre le mieux possible aux attentes légitimes suscitées par la loi du 11 février 2005.

En mars 2013, Mme Claire-Lise Campion a remis au Premier ministre un rapport intitulé « Réussir 2015 ». Partant du constat que la loi du 11 février 2005 avait été adoptée alors que le coût des travaux n’avait pas été évalué et que les délais nécessaires à leur réalisation avaient été mal appréciés – une durée de dix ans étant insuffisante pour les établissements scolaires ou les transports, qui connaissent des périodes de renouvellement de matériel s’échelonnant parfois sur plus de vingt ans – Mme Claire-Lise Campion a proposé aux acteurs publics et privés de reporter de quelques années l’échéance du 1er janvier 2015 en contrepartie de leur engagement sur un calendrier précis et chiffré de travaux d’accessibilité, arrêté dans le cadre d’agendas d’accessibilité programmée (« Ad’AP »). Lors du comité interministériel du handicap du 25 septembre 2013, le Premier ministre a décidé d’ouvrir deux chantiers de concertation : l’un sur la mise en œuvre des « Ad’AP » et l’autre sur l’adaptation des normes d’accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports publics à l’évolution des techniques, aux besoins des personnes handicapées et aux contraintes des opérateurs. En février 2014, Mme Claire-Lise Campion a remis au Premier ministre un rapport regroupant les propositions issues de la concertation, dont certaines appelaient des mesures de nature législative.

Sur la base de ce rapport, un projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des ERP, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées a été élaboré, assorti d’une étude d’impact approfondie d’environ cinquante pages, et déposé sur le Bureau du Sénat en avril 2014.

Après que la procédure accélérée a été engagée, le Parlement a adopté la loi n° 2014-789 du 10 juillet 2014 dont l’article 1er autorise le Gouvernement à « prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin de […] définir les conditions dans lesquelles peut être prorogé [de trois à neuf ans] le délai fixé pour que les établissements recevant du public et les installations ouvertes au public soient […] rendus accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, lorsque le propriétaire ou l’exploitant de l’établissement ou de l’installation dépose ou s’engage à déposer un agenda d’accessibilité programmée soumis à l’approbation de l’autorité administrative et qu’il respecte cet agenda, ces formalités s’imposant pour tout établissement recevant du public ou installation ouverte au public n’ayant pas accompli les diligences de mise en accessibilité prévues par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

La loi du 11 février 2005 ayant été adoptée sans que son impact ait été correctement évalué en amont, le Parlement a ainsi dû légiférer à nouveau (et dans l’urgence) pour habiliter le Gouvernement à aménager par voie d’ordonnances le dispositif initial, compte tenu des difficultés concrètes auxquelles son application s’est heurtée. C’est là un bon exemple d’une méthode (ou plus exactement d’une absence de méthode) de production normative avec laquelle il faut rompre, car mal légiférer conduit à légiférer davantage.

Mal légiférer conduit non seulement à faire peser sur les destinataires de la loi des charges excessives et des contraintes irréalistes, mais aussi à légiférer encore davantage, puisqu’il faut une nouvelle loi pour réparer les malfaçons (et, dans le cas de la loi du 11 février 2005, reporter les effets) d’une loi antérieure mal préparée.

Si des progrès ont incontestablement été réalisés depuis que l’élaboration d’une étude d’impact est devenue une obligation constitutionnelle pour les projets de loi que le Gouvernement dépose sur le bureau des assemblées parlementaires (10), il n’en demeure pas moins que la qualité de l’étude d’impact sera sujette à caution tant que le travail d’évaluation restera purement interne aux administrations à l’origine des projets de loi et qu’il ne sera pas soumis au regard externe et indépendant de représentants de la société civile.

I. RENDRE L’ÉVALUATION EX ANTE DE LA NORME PLUS INDÉPENDANTE

Devant la mission, le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen, notait que les études d’impact « apparaissent aujourd’hui comme un exercice imposé et prennent parfois la forme d’un “exposé des motifs bis”, alors qu’elles devraient permettre au Gouvernement de s’assurer que la réforme qu’il veut mettre en œuvre est opportune et au Parlement d’être correctement informé sur la portée sociale, économique, budgétaire ou environnementale des textes qu’on lui demande d’adopter. L’une des causes de cette défaillance est que le ministère porteur d’un texte est aussi celui qui rédige l’étude d’impact. D’un point de vue scientifique, il est problématique de demander à quelqu’un de juger de l’opportunité de l’action qu’il veut mener ».

Si l’évaluation ex ante de l’impact des normes tend à s’améliorer depuis qu’elle est devenue, pour les projets de loi, une obligation constitutionnelle, elle fait encore l’objet de nombreuses critiques tenant notamment à ce qu’elle reste un processus purement interne aux administrations qui produisent les textes, contrairement aux pratiques adoptées par certains de nos voisins européens en matière d’étude d’impact.

A. L’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT EN FRANCE : UN PROCESSUS PUREMENT INTERNE AUX ADMINISTRATIONS PRODUCTRICES DE TEXTES

Sans négliger les importants progrès accomplis par les administrations en matière d’élaboration des études d’impact dont il faut souligner que le caractère obligatoire est récent, la mission a pu constater que l’évaluation ex ante de l’impact de normes souffre de lacunes qu’elle propose de combler.

1. L’obligation constitutionnelle d’assortir de nombreux projets de loi d’une étude d’impact est récente.

a. Avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’élaboration d’une étude d’impact n’était qu’une faculté au regard des exigences de la Constitution.

Dans le sillage du célèbre rapport public du Conseil d’État de 1991 sur la sécurité juridique, dans lequel la haute juridiction avait émis un jugement sévère sur la prolifération des normes et la détérioration de leur qualité, la mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État conduite par M. Jean Picq avait appelé en 1994 à « légiférer avec mesure » et à « maîtriser la production des normes, leur nombre et plus encore leur qualité » en améliorant l’évaluation ex ante de leur impact (11). Ces recommandations inspirèrent les circulaires du Premier ministre des 21 novembre 1995 et 26 janvier 1998 relatives aux études d’impact accompagnant les projets de loi et de décret en Conseil d’État.

i. Le rapport de la mission conduite par M. Jean Picq sur les responsabilités et l’organisation de l’État

Constatant qu’« en trente ans, le nombre des lois nouvelles votées en une année s’[était] accru de 35 % et celui des décrets de 20 % » et que « cette situation n’[était] pas uniquement imputable à la complexité croissante de l’environnement socio-économique », mais aussi à « un travers dans la conduite de l’État qui tend trop souvent à juxtaposer des textes nouveaux plutôt qu’à tirer parti et, le cas échéant, à enrichir une construction raisonnée et méthodique du système de normes », la mission conduite par M. Jean Picq a suggéré d’« imposer que tout projet de loi fasse l’objet d’une “étude d’impact” préalable [qui] porterait sur l’environnement juridique (textes existants ou en projet au plan national et international), sur les conséquences budgétaires et sur les coûts induits pour la société et pour l’économie » (12).

Cette préconisation n’a été que partiellement suivie par les gouvernements successifs qui n’ont pas érigé l’élaboration d’une étude d’impact préalable en obligation de nature constitutionnelle, mais seulement en « ardente obligation » résultant de circulaires et dépourvues de véritable sanction.

ii. Les circulaires du Premier ministre des 21 novembre 1995 et 26 janvier 1998

L’élaboration d’une étude d’impact préalable pour les projets de loi et de décret en Conseil d’État a d’abord fait l’objet d’une expérimentation, en application de la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 1995. Soucieux d’« endiguer la prolifération des textes législatifs et réglementaires qui rend aujourd’hui le droit obscur, instable et, finalement, injuste », M. Alain Juppé, alors Premier ministre, a demandé aux membres de son gouvernement d’expérimenter, à compter du 1er janvier 1996 pour les projets de loi et du 1er juillet 1996 pour les principaux projets de décret, une étude d’impact comportant au moins une analyse précise :

– des avantages attendus des textes, apportant la démonstration qu’au regard de l’état du droit et de la situation de fait existants et de leurs insuffisances, les objectifs visés ne peuvent être atteints par d’autres voies que l’édiction de nouvelles normes juridiques ;

– des incidences, directes ou indirectes, à court et moyen terme, sur l’emploi, notamment à partir du bilan de l’application de mesures semblables à l’étranger, de travaux de modélisation économique, d’enquêtes qualitatives, ou encore d’études de rentabilité socio-économique ;

– des incidences financières sur le budget de l’État de l’année en cours, et, le cas échéant, sur ceux des quatre années suivantes, ainsi que sur les budgets des collectivités territoriales ;

– des incidences sur la protection de l’environnement et sur d’autres intérêts généraux ;

 des incidences en termes de formalités administratives ;

– des raisons pour lesquelles le texte est, ou non, rendu applicable outre-mer et, s’il est applicable, les conditions de cette application (adaptation, respect des procédures consultatives, etc.) ;

– des conséquences en termes de complexité de l’ordonnancement juridique – le Premier ministre souhaitant alors que « tout projet de texte [soit] dorénavant accompagné de propositions d’abrogation de dispositions au moins équivalentes en termes de niveau de norme et de volume » et que, lorsque des modifications multiples d’un texte initial aboutissent à une présentation fragmentée des dispositions en vigueur rendant celles-ci illisibles, un texte consolidé soit, dans toute la mesure du possible, joint à l’étude d’impact.

Le manquement aux directives fixées par le chef du Gouvernement n’avait d’autre sanction que la possibilité :

– pour le cabinet du Premier ministre, de reporter une réunion interministérielle consacrée à l’examen d’un projet de texte (sauf urgence dûment justifiée) ;

– pour le secrétaire général du Gouvernement, de surseoir à la transmission au Conseil d’État d’un projet de loi ou de décret et à la signature ou à la publication d’un décret ;

– pour le Conseil d’État, d’ajourner l’examen d’un projet de loi ou de décret.

Un bilan de l’expérimentation décidée par M. Alain Juppé ayant montré l’opportunité de la pérenniser, M. Lionel Jospin, devenu Premier ministre, a adressé aux membres de son gouvernement, le 26 janvier 1998, une circulaire relative à l’étude d’impact des projets de loi et de décret en Conseil d’État.

Conformément à cette circulaire, tous les projets de loi, d’ordonnance et de décret en Conseil d’État devaient, à compter du 1er février 1998, être assortis d’une évaluation a priori de leurs effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires.

Toutefois, les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale étaient soumis à une évaluation allégée, tandis que les projets de loi d’habilitation à prendre des mesures législatives par voie d’ordonnances étaient dispensés de toute étude d’impact préalable, tout comme les projets de loi portant ratification d’ordonnances (sauf s’ils comportaient des dispositions venant modifier celles des ordonnances).

Précisant que « le degré de détail et la finesse de l’analyse de l’étude d’impact [devaient] être proportionnels à l’importance des mesures proposées et à leurs conséquences sur la société, l’économie et l’administration », la circulaire du 26 janvier 1998 a repris pour l’essentiel la méthodologie des études d’impact proposée par la circulaire du 21 novembre 1995, en y ajoutant de nouvelles exigences :

– l’analyse des effets microéconomiques et macroéconomiques des mesures proposées avec « un chiffrage permettant de prendre en compte le coût induit par les projets de textes et les formalités nouvelles, spécialement pour les entreprises » ;

– une mise en perspective pluriannuelle des charges ou des économies envisagées ;

– la présentation d’un bilan coûts-avantages ;

– l’indication de la liste des modifications intervenues depuis dix ans sur un texte lorsque ce dernier fait l’objet de dispositions modificatives multiples.

Rappelant que « l’étude d’impact [devait] être un document vivant » et que son contenu devait être « progressivement enrichi et adapté au fur et à mesure de l’évolution du texte, lors des diverses phases de sa préparation », le Premier ministre a recommandé aux membres du Gouvernement d’associer à son élaboration non seulement les services d’inspection, de contrôle, de prospective et d’évaluation de leur propre ministère, mais aussi les services territoriaux opérationnels, qui sont le plus souvent chargés de la mise en œuvre des textes, ainsi que les capacités d’expertise d’autres ministères que le leur. Ainsi élaborée, l’étude d’impact avait vocation à être transmise aux organismes dont la consultation était obligatoire ainsi qu’au Parlement.

Cependant, le non-respect des recommandations du Premier ministre ne faisait l’objet d’aucune autre sanction que la possibilité, pour le cabinet de ce dernier et pour le secrétariat général du Gouvernement, de refuser l’examen interministériel d’un projet de texte – et encore, sous réserve de ce qu’il ne s’agissait pas d’un « cas exceptionnel dûment justifié par une extrême urgence ».

Il a fallu quatorze ans pour que soit mise en œuvre la recommandation du rapport Picq tendant à faire de l’élaboration d’une étude d’impact une véritable obligation, passible de sanctions prévues par la Constitution, et non une simple faculté laissée à la discrétion du Gouvernement.

b. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’élaboration d’une étude d’impact est une obligation constitutionnelle dont le non-respect n’a cependant pas encore été sanctionné par le Conseil constitutionnel.

Suivant la proposition n° 25 du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République (plus connu sous le nom de « comité Balladur »), le Parlement a adopté, le 23 juillet 2008, la loi constitutionnelle n° 2008-724 dont l’article 15 a introduit à l’article 39 de la Constitution un alinéa 3 prévoyant que « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique », laquelle dispose que « les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact » (13).

i. La Constitution et la loi organique du 15 avril 2009 contraignent le Gouvernement à assortir la plupart des projets de loi d’une étude d’impact.

La Constitution ne fait pas explicitement référence à la notion d’étude d’impact. C’est à la loi organique du 15 avril 2009 qu’il est revenu de préciser que les projets de loi devaient être assortis de documents rendant compte de l’étude d’impact lors de leur transmission au Conseil d’État et de leur dépôt sur le bureau de la première assemblée saisie. L’article 8 de cette loi organique prévoit que l’étude d’impact doit comprendre une étude d’options définissant les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensant les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposant les motifs du recours à une nouvelle législation. Ce même article 8 dispose que ladite étude d’impact doit comporter neuf rubriques exposant avec précision :

« – l’articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, et son impact sur l’ordre juridique interne ;

– l’état d’application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;

– les modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;

– les conditions d’application des dispositions envisagées dans les collectivités [d’outre-mer], en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l’absence d’application des dispositions à certaines de ces collectivités ;

– l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;

– l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ;

– les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ;

– s’il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l’avis du Conseil économique, social et environnemental ;

– la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires. »

Rappelons que, dans la version qu’en avaient adoptée les deux assemblées, l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 faisait également obligation au Gouvernement d’indiquer dans l’étude d’impact jointe au projet de loi les « orientations principales » et le délai prévisionnel de publication des textes d’application nécessaires. Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré ce membre de phrase, estimant qu’en tant qu’il comportait injonction au Gouvernement d’informer le Parlement sur les orientations principales et le délai prévisionnel de publication des dispositions réglementaires qu’il devait prendre dans l’exercice de la compétence exclusive qu’il tient des articles 13 et 21 de la Constitution, il méconnaissait le principe de séparation des compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire, et que, dès lors, il était contraire à la Constitution (14). Cet état de la jurisprudence constitutionnelle paraît condamner toute initiative tendant à permettre au Parlement d’exiger la communication des projets de décrets d’application lors de l’examen des projets de loi.

La mission souligne en outre que l’obligation d’élaboration d’une étude d’impact répondant aux prescriptions de l’article 8 de la loi du 15 avril 2009 ne concerne que certains projets de loi (au demeurant, les plus nombreux) :

– projets de loi ordinaire ;

– projets de loi organique ;

– projets de loi de programmation autres que ceux relatifs aux finances publiques.

Seules certaines dispositions des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale doivent faire l’objet d’une étude d’impact.

S’agissant des projets de loi de finances initiale et rectificative, les articles 51 et 53 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (« LOLF ») soumettent à l’obligation d’évaluation préalable tous les articles fiscaux figurant en première ou seconde partie de la loi de finances, les dispositions de la première partie de la loi de finances relatives aux autres ressources de l’État, dès lors qu’elles affectent l’équilibre budgétaire ainsi que les dispositions de la seconde partie de la loi de finances qui relèvent du domaine facultatif et partagé de ce type de lois (15). Aucune obligation d’évaluation préalable n’est prévue pour les dispositions relevant du domaine obligatoire et exclusif des lois de finances (notamment les conditions générales de l’équilibre budgétaire ou les autorisations de plafonds), ni pour celles relevant du domaine facultatif et exclusif de ces lois.

Quant aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, l’article LO 111-4 du code de la sécurité sociale n’impose d’étude d’impact préalable que pour ce qui concerne les dispositions relevant du domaine facultatif et partagé de ces lois (16).

Les projets de loi d’habilitation à prendre des ordonnances et les projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation d’un traité ou accord international sont soumis à une étude d’impact allégée (17).

Enfin, un certain nombre de projets de loi sont dispensés de toute étude d’impact :

– projets de révision constitutionnelle ;

– projets de loi prorogeant des états de crise ;

– projets de loi de programmation des finances publiques ;

– projets de loi de règlement (18) ;

– projets de loi de ratification d’une ordonnance, à moins qu’ils ne comportent des dispositions nouvelles allant au-delà de la rectification d’erreurs matérielles dans le texte de l’ordonnance ou d’ajustements de cohérence juridique.

A fortiori, sont également dispensés de toute étude d’impact :

– les projets d’ordonnances prises sur le fondement des articles 38 et 74-1 de la Constitution ;

– les propositions de loi ;

– les amendements d’origine gouvernementale ou parlementaire.

S’il est vrai que l’obligation d’élaborer une étude d’impact a été écartée ou allégée pour un certain nombre de textes, il n’en reste pas moins que son inscription dans la Constitution a contribué à diffuser au sein des administrations une culture et une discipline de l’évaluation préalable, d’autant plus que, contrairement à ce qui ressortait des circulaires des 21 novembre 1995 et 26 janvier 1998, une sanction particulièrement lourde est prévue en cas de manquement grave. En effet, le Parlement a introduit en 2008, à l’article 39 de la Constitution, un alinéa 4 prévoyant que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues » et qu’« en cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours » (19).

ii. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale n’a jamais usé de la possibilité qui lui est reconnue de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale d’un projet de loi dont l’étude d’impact présente de graves insuffisances.

Jusque très récemment, aucune des deux assemblées n’avait fait usage de la possibilité reconnue à sa Conférence des présidents de s’opposer à l’inscription d’un projet de loi à son ordre du jour.

Le 26 juin dernier, la Conférence des présidents du Sénat a, pour la première fois, décidé de retirer de son ordre du jour un projet de loi au motif que son étude d’impact présentait, à ses yeux, de graves lacunes au regard des exigences de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

Si le Sénat a ainsi sanctionné ce qui lui paraissait être un manquement grave à l’obligation constitutionnelle d’élaboration d’une étude d’impact, le Conseil constitutionnel, saisi à la suite du désaccord du Premier ministre avec ce constat, s’y est, lui, refusé. Il a estimé qu’en l’espèce, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, était assorti d’une étude d’impact qui, « conformément au deuxième alinéa de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, [comprenait] des développements relatifs à différentes options possibles sur les délimitations des régions, les élections régionales et départementales et la durée des mandats des membres des conseils régionaux et des conseils départementaux », qui « expos[ait] les raisons des choix opérés par le Gouvernement et en présent[ait] les conséquences prévisibles », qui « répond[ait] à celles des autres prescriptions de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 qui trouv[ai]ent effectivement à s’appliquer compte tenu de l’objet des dispositions du projet de loi en cause ». Et le Conseil d’ajouter « qu’il ne saurait en particulier être fait grief à cette étude d’impact de ne pas comporter de développements sur l’évolution du nombre des emplois publics dès lors que le Gouvernement ne mentionn[ait] pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi » et qu’il n’était « en outre pas établi qu’il a[vait] été soumis à des consultations dans des conditions qui auraient dû être exposées dans l’étude d’impact » (20).

À ce jour, le Conseil constitutionnel n’a donc jamais constaté d’insuffisances graves d’une étude d’impact au regard des exigences de la loi organique du 15 avril 2009.

Pour sa part, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale n’a jamais recouru à la possibilité qui lui est pourtant ouverte de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi dont l’étude d’impact présente d’importantes lacunes.

Votre rapporteur note cependant que notre assemblée a commencé de s’emparer pleinement des enjeux liés à la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi puisque celle-ci a fait l’objet de débats en Conférence des présidents à plusieurs reprises depuis la XIIIe législature. Tel fut notamment le cas à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration en avril 2010, ou encore, récemment, sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites dont l’étude d’impact a été jugée conforme aux exigences organiques.

Pour permettre à la Conférence des présidents d’exercer, en amont des débats en commission, un contrôle de la qualité des études d’impact qui sont transmises par le Gouvernement, l’Assemblée nationale s’est dotée d’outils. C’est ainsi que, depuis 2009, l’article 146-5 du Règlement confie au comité d’évaluation et de contrôle (CEC) la mission d’apporter son expertise sur les études d’impact qui accompagnent les projets de loi déposés par le Gouvernement, lorsqu’il est saisi d’une demande en ce sens du président de la commission à laquelle un projet de loi a été renvoyé, notamment afin de déterminer si ces études satisfont aux exigences prévues à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

L’organisation concrète de l’examen des études d’impact varie selon les commissions permanentes. Toutefois, dès novembre 2009, à la demande de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, des députés membres du comité d’évaluation et de contrôle (CEC), MM. Claude Goasguen et Jean Mallot, ont, dans un rapport, formulé des recommandations afin d’harmoniser les procédures d’examen des études d’impact entre les différentes commissions permanentes (21).

À titre d’exemple, lors de son audition, notre collègue Jean-Luc Warsmann, a ainsi indiqué que lorsqu’il était président de la commission des Lois, il avait interpellé à plusieurs reprises des ministres pour leur faire remarquer telle ou telle lacune dans une étude d’impact et leur demander en conséquence des informations complémentaires, sans toutefois recourir à l’« arme atomique » de l’article 39, alinéa 4, de la Constitution.

Si l’évaluation préalable de l’impact des projets de loi n’a encore été sanctionnée ni par le Conseil constitutionnel ni par la Conférence des présidents de notre assemblée, il est néanmoins satisfaisant qu’elle relève désormais d’une obligation constitutionnelle.

On ne peut en dire autant de l’évaluation de l’impact des projets d’actes réglementaires. En effet, aucun texte général ne vient rendre obligatoire la production d’une étude d’impact pour ces textes. Celle-ci n’est une obligation que pour les ordonnances, décrets et arrêtés relatifs aux entreprises et aux collectivités territoriales (22).

L’article R. 1213-27 du code général des collectivités territoriales précise en effet que les projets de textes réglementaires qui créent ou modifient des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics et qui sont donc soumis à l’avis du Conseil national d’évaluation des normes (23), « sont accompagnés d’un rapport de présentation et d’une fiche d’impact faisant apparaître les incidences techniques et les incidences financières, quelles qu’elles soient, des mesures proposées pour les collectivités territoriales ».

Le conseil national d’évaluation des normes
applicables aux collectivités territoriales

Depuis la précédente législature, les gouvernements successifs s’appuient, en matière de normes applicables aux collectivités territoriales, sur une commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), créée, au sein du comité des finances locales (CFL) par la loi de finances rectificative n° 2007-1824 du 25 décembre 2007.

La CCEN, présidée par M. Alain Lambert, ancien ministre, président du conseil général de l’Orne, était chargée d’émettre un avis sur l’impact financier des mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales et leurs établissements, ainsi que sur l’impact technique et financier des propositions de textes européens sur les collectivités territoriales et leurs établissements. Le Gouvernement pouvait également la consulter sur les projets de loi ou d’amendement concernant les collectivités locales.

Le Gouvernement a entendu ériger la CCEN en « médiateur de la norme » entre l’État et les collectivités territoriales, grâce à un élargissement de ses compétences, qui a d’ailleurs été préconisé par MM. Alain Lambert et Jean Claude Boulard dans le rapport sur « La lutte contre l’inflation normative » qu’ils ont remis au Premier ministre le 26 mars 2013.

La CCEN a été amenée à déployer encore davantage ses activités en se transformant en conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (CNEN).

En effet, à l’issue des États généraux de la démocratie territoriale organisés les 4 et 5 octobre 2012, le président du Sénat, M. Jean-Pierre Bel, a confié au président de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, et à la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Mme Jacqueline Gourault, la mission de proposer des mesures en matière de régulation des normes. Ces sénateurs ont déposé le 12 novembre 2012 au Sénat une proposition de loi visant à créer une Haute autorité chargée du contrôle et de l’évaluation des normes applicables aux collectivités locales.

Cette proposition de loi est devenue la loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d’un conseil national d’évaluation des normes (CNEN) qui pourra être saisi de textes plus nombreux que ceux qui étaient soumis à la CCEN et qui pourra proposer la modification ou l’abrogation de textes.

À la suite de l’élection des représentants des régions, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), ce dernier a été installé le 10 juillet dernier.

La circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales fournit un modèle de fiche d’impact sur les collectivités territoriales qui impose de préciser notamment :

– l’insertion de la norme envisagée dans l’environnement juridique ;

– les consultations déjà intervenues ou programmées ;

– les collectivités territoriales et/ou groupements de collectivités concernés ;

– l’estimation totale de l’impact financier de la mesure, sa répartition entre les collectivités territoriales et/ou leurs groupements ;

– l’estimation des coûts directs et induits, rapportés au calendrier de mise en œuvre de la mesure, ainsi que des économies éventuelles générées ;

– l’explication méthodologique de l’estimation de ces coûts et/ou économies (24).

C’est cette même circulaire du 17 février 2011 qui oblige les administrations à assortir les projets d’actes réglementaires concernant les entreprises d’une fiche d’impact présentant :

– un bilan coûts/avantages de la mesure pour les entreprises ;

– les modalités d’entrée en vigueur du dispositif envisagé ;

– l’analyse détaillée des impacts prévisibles de la mesure pour chaque catégorie d’entreprises concernées (TPE, PME, ETI et grandes entreprises), avec une estimation aussi précise possible de leur nombre ;

– l’estimation des coûts de la phase de déploiement (investissements de mise en conformité, modification du système d’information de l’entreprise, formation initiale des salariés, etc.) et des coûts récurrents (implications organisationnelles, charges administratives annuelles, etc.), rapportés au calendrier de mise en œuvre de la mesure ;

– des précisions sur la méthode d’élaboration des estimations des coûts et des économies (avec les hypothèses et/ou conventions de calcul retenues) ;

– les incidences en termes de concurrence, de compétitivité et de risques de délocalisation d’entreprises françaises, ainsi que les coûts potentiels pour les administrations et les usagers (25).

Sous la précédente législature, conformément aux circulaires du Premier ministre des 17 février et 7 juillet 2011, ces fiches d’impact sur les collectivités territoriales et sur les entreprises devaient être soumises au commissaire à la simplification, M. Rémi Bouchez. Placé auprès du secrétaire général du Gouvernement, ce dernier était chargé d’apprécier si l’analyse d’impact avait été conduite de manière satisfaisante afin, le cas échéant, d’inviter le ministère à l’origine du projet à la compléter ou à poursuivre la consultation (des entreprises susceptibles d’être affectées notamment) voire, si nécessaire, de soumettre au cabinet du Premier ministre la question du bien-fondé de l’adoption du projet de texte réglementaire.

Dans son rapport d’activité, remis au Premier ministre en mars 2012 (26), M. Rémi Bouchez a indiqué que, sur les quelque 700 projets de textes réglementaires qu’il a été amené à examiner entre février 2011 et février 2012, dans un délai moyen de 37 jours calendaires, il avait émis un avis favorable dans 97,6 % des cas. Seuls 2,4 % des projets de texte – soit une quinzaine de projets de texte – ont reçu un avis défavorable pour des raisons de forme, de fond ou de difficultés quant aux modalités d’entrée en vigueur.

Lors de son audition, M. Rémi Bouchez a précisé que « le plus souvent, les projets [ayant reçu un avis défavorable] ont été retravaillés et finalement publiés » et qu’il ne se souvenait « que d’un cas où le texte a été totalement abandonné. Il s’agissait d’un projet visant à rebaptiser le livret de développement durable (LDD) “livret de développement durable industriel” (LDDI), de manière à signaler que les fonds réglementés centralisés étaient orientés vers le secteur industriel ».

S’il a regretté dans son rapport d’activité que certaines administrations l’aient parfois sollicité trop tardivement dans le processus d’élaboration des textes réglementaires, que certaines fiches d’impact aient été trop légères, et que le modèle de calcul des charges administratives (« OSCAR ») soit sous-exploité par les ministères, l’ancien commissaire à la simplification – dont la fonction auprès du secrétaire général du Gouvernement a été pérennisée avec la création, en janvier 2013, d’un poste de directeur – a souligné que « la teneur des travaux [accomplis] permet[tait] d’affirmer sans hésitation que l’intervention du commissaire à la simplification rehausse nettement le degré de précautions prises dans son ensemble par l’administration dans l’élaboration des normes concernant les collectivités territoriales ou les entreprises » (27), que l’examen contradictoire qui s’était noué entre le ministère porteur d’un projet de texte réglementaire et le commissaire à la simplification avait conduit à un approfondissement de la réflexion initiale qui a souvent permis de fiabiliser l’estimation des charges ou des économies afférentes à un projet et que le contrôle que le commissaire à la simplification a opéré sur le respect des règles relatives aux dates communes d’entrée en vigueur (28) avait concouru à garantir, essentiellement au bénéfice des entreprises, une meilleure lisibilité du droit.

Ce constat reflète les progrès considérables – mais perfectibles – qui, en l’espace de cinq ans, ont été accomplis par les administrations en matière d’évaluation ex ante de l’impact des normes.

2. La culture de l’évaluation de l’impact commence à se développer au sein des administrations.

Afin de satisfaire aux exigences de la loi organique du 15 avril 2009, les administrations ont développé des outils méthodologiques tels que le guide de légistique – qui comporte un volet très fourni sur les études d’impact – et le manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation – qui décrit l’outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR »). Ces outils contribuent à fiabiliser l’évaluation préalable de l’impact des normes, à laquelle les nombreuses consultations obligatoires et facultatives apportent un éclairage utile.

a. La méthodologie d’élaboration des études d’impact est détaillée dans le guide de légistique établi par le secrétariat général du Gouvernement.

Le secrétariat général du Gouvernement (SGG) a établi un guide de légistique très complet qui est accessible à tout un chacun sur le site Internet Légifrance (29) et qui consacre d’importants développements à la méthodologie des études d’impact.

D’emblée, ce guide précise que l’étude d’impact « ne saurait se comprendre ni comme un exercice formel de justification a posteriori d’une solution prédéterminée, ni comme une appréciation technocratique de l’opportunité d’une réforme qui viendrait se substituer à la décision politique. Il s’agit au contraire d’une méthode destinée à éclairer les choix possibles, en apportant au Gouvernement et au Parlement les éléments d’appréciation pertinents ».

Le guide de légistique décrit dans un premier temps les différentes phases d’élaboration de l’étude d’impact, la première phase étant consacrée à la confection d’un cahier des charges par le SGG et les services concernés, au plus tard lorsque le texte est inscrit au programme semestriel du travail gouvernemental. Ce cahier des charges présente le schéma retenu pour la préparation de l’étude d’impact (constitution d’un groupe de travail ministériel ou interministériel, mission confiée à un corps d’inspection, recours à une personnalité qualifiée indépendante ou à une équipe de recherche universitaire, etc.). Il recense les informations déjà disponibles dans divers rapports ou documents statistiques, indique les contributions qui seront nécessaires de la part d’organismes extérieurs ainsi que d’autres ministères que celui qui porte le projet de texte, et propose un calendrier prévisionnel de réalisation de l’étude d’impact.

Une première version de l’étude d’impact est rédigée par le ministère porteur du projet de texte, avec l’appui méthodologique du SGG et, pour ce qui concerne les mesures d’adaptation au droit européen, du secrétariat général des Affaires européennes (SGAE). Cette version initiale est adressée au SGG qui l’examine à l’aune des exigences de la loi organique du 15 avril 2009, du cahier des charges, et des guides méthodologiques arrêtés au niveau interministériel. Le cas échéant, le SGG peut inviter le ministère porteur à modifier et/ou compléter le document qui est ensuite communiqué, pour observations, aux autres ministères.

Une seconde version de l’étude d’impact est élaborée au regard des éventuelles réserves des autres ministères et des éventuels écarts dans les chiffrages. Les divergences d’analyses persistantes à l’issue de cette phase « interservices », qui doit en principe intervenir avant la tenue des premières réunions interministérielles sur le projet de loi, sont portées à la connaissance du cabinet du Premier ministre.

Conformément à la circulaire du Premier ministre du 15 avril 2009 relative à la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’étude d’impact ainsi amendée n’est transmise au Conseil d’État (avec le projet de loi concerné) qu’avec l’aval du cabinet du Premier ministre et du SGG – ces derniers pouvant surseoir à cette transmission s’ils jugent le document insuffisant.

Le guide de légistique invite enfin les ministères à préciser ou compléter l’étude d’impact en fonction des observations du Conseil d’État « autant que possible avant la tenue de son assemblée générale et, en toute hypothèse, avant la présentation du texte en conseil des ministres » - conseil lors duquel la version définitive de l’étude d’impact est remise au Président de la République et aux membres du Gouvernement pour être ensuite jointe au projet de loi adopté par le conseil et déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.

Dans un second temps, le guide de légistique fournit des précisions sur le contenu des études d’impact, que complètent des lignes directrices mises à la disposition des administrations centrales sur l’extranet de la qualité et de la simplification du droit (30) ainsi que des instructions diffusées par voie de circulaires (31).

Le guide insiste notamment sur le soin à apporter à l’étude d’options car « trop souvent, la circonstance qu’une réforme a été annoncée ou simplement que la matière se trouve déjà abondamment couverte par des textes conduit à ne plus envisager d’autre voie que l’introduction de prescriptions normatives plus détaillées encore pour régir la question. Or, dans de nombreux cas, la solution la mieux adaptée reposerait sur une combinaison de quelques dispositions, mais aussi sur d’autres modes d’intervention : instruments contractuels, documents d’orientation, chartes de bonnes pratiques, référentiels, instructions de service comportant des possibilités d’adaptation aux situations particulières, […] renforcement des moyens de suivi et de contrôle, modulation des sanctions, développement de techniques de médiation ».

Pour ce qui est de la quantification des coûts et bénéfices financiers attendus d’une réforme pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées (parmi lesquelles figurent notamment les entreprises), le guide de légistique renvoie à l’outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR »). Mis au point par l’ancienne direction générale de la modernisation de l’État (DGME), cet outil est décrit en détail dans le manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation que le SGG a mis à disposition des administrations.

b. Un manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation a été établi par le secrétariat général du Gouvernement .

Si la plupart des pays européens ont choisi d’adopter une méthode commune de quantification des charges administratives connue sous le nom de « standard cost model » ou « SCM », la France a développé sous propre outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR ») qui a l’avantage d’être plus complet que le modèle « SCM », d’après les interlocuteurs allemands que la mission a pu rencontrer, mais qui a l’inconvénient de rendre difficiles les comparaisons des évaluations des administrations françaises avec celles des autres administrations européennes.

i. Description du modèle des coûts standards (« standard cost model »)

Développée par les Néerlandais dans les années 1990, la méthode des « coûts standards » repose sur l’identification des tâches que doit accomplir une entreprise pour respecter les obligations découlant de l’application d’une réglementation, la détermination de leur périodicité et du nombre de personnes qui s’y consacrent, ce qui permet de définir un coût pour chaque acte (P) qui est ensuite multiplié par le nombre d’actes et d’entreprises (Q). Cela permet de calculer le coût annuel escompté des nouvelles réglementations et de faire des projections sur cinq à dix ans.


Législation ou réglementation


Obligation légale découlant de la législation ou de la réglementation





Actions de mise en conformité

Temps consacré coût (pour les entreprises) nombre d’entreprises concernées périodicité

P = coût / temps consacré Q= Total d’actions dans l’année

Charges réglementaires = P X Q

Cette méthode de quantification des charges administratives est désormais utilisée par les services de la Commission européenne (32), ainsi que par le Royaume-Uni (33), l’Allemagne (34) et de nombreux autres pays européens.

La mission a pu constater que le modèle des « coûts standards » était critiqué en Allemagne pour son caractère lacunaire. S’il a l’avantage de rendre compte précisément des coûts purement techniques d’une réforme (indépendamment de ses coûts de fonctionnement), il n’intègre qu’une partie des charges administratives résultant réellement d’une réforme, celle liées aux formalités et autres obligations d’information à accomplir.

C’est la raison pour laquelle les Néerlandais ont choisi de compléter le modèle des « coûts standards », qui permet d’évaluer les coûts propres d’une réglementation, par un second modèle de quantification : « CAR » (« Cost-driven Approach to Regulatory burden »), qui permet d’appréhender les coûts de toutes les réglementations confondues pour une entreprise d’un secteur donné. Cette méthode consiste, pour un secteur donné, à examiner la comptabilité de ses entreprises pour évaluer les origines de ses dépenses et déterminer ainsi, parmi ses coûts, ceux qui relèvent de la réglementation. Cette méthode permet de saisir l’évolution du poids des charges réglementaires dans les coûts généraux de l’entreprise.

De leur côté, nos voisins belges, qui définissent les « charges administratives » comme les « coûts liés aux tâches administratives que doivent réaliser les entreprises, les citoyens ou les associations afin de respecter leurs obligations (d’information) légales envers les autorités, même s’ils exécutent déjà ces tâches sans obligation légale » (35), ont adopté une méthode de quantification des charges administratives qui, tout en étant basée sur le modèle des « coûts standards », s’en distingue quelque peu, car elle prend en compte les « menues dépenses » consenties par les entreprises et les citoyens afin de respecter leurs obligations administratives.

Cette méthode, baptisée « test Kafka », se présente ainsi :

MÉTHODE BELGE DE QUANTIFICATION DES CHARGES ADMINISTRATIVES
(« TEST KAFKA »)

Afin d’évaluer les charges administratives, nous utilisons le modèle de mesure Kafka et les paramètres suivants :

– Le temps = TTEMPS

– Le tarif horaire = PTARIF HORAIRE

– Les menues dépenses = PMENUES DÉPENSES

– La taille du groupe cible = QNOMBRE

– Le temps = FFRÉQUENCE

Charges administratives (CA) =

[(TTEMPS X PTARIF HORAIRE) + PMENUES DÉPENSES] X (QNOMBRE X FFRÉQUENCE)









Source : Rapport 2012 du bureau de mesure de l’Agence pour la simplification administrative, p. 12.

Cette méthode est mise en œuvre de façon systématique depuis 2008, date à compter de laquelle toute la réglementation fédérale belge a vu son impact financier mesuré dès lors qu’elle a, pour ses destinataires et pour l’administration, une incidence financière supérieure ou égale à cinq euros. En deçà, le coût de l’analyse serait supérieur aux bénéfices qui pourraient en être retirés.

Refusant de mesurer l’évolution des charges administratives au nombre de pages du Moniteur belge (équivalent de notre Journal Officiel), comme le fait depuis longtemps la presse belge, dans la mesure où ce journal officiel comporte non seulement des textes normatifs mais aussi de nombreux arrêtés de nomination, et dans la mesure où une législation concise peut parfois engendrer davantage de charges administratives qu’une législation détaillée, l’Agence belge pour la simplification administrative (ASA) s’est dotée d’un bureau de mesure des charges administratives (« bureau Kafka ») qui utilise le « test Kafka », comme tous les autres organismes belges (ministères et administrations centrales, collectivités locales, entreprises, etc.).

Le recours au « test Kafka » permet de mesurer l’évolution annuelle et pluriannuelle des charges administratives, ministère par ministère (36).

En Allemagne, le bureau fédéral des statistiques (« Destatis ») a développé un « indice des coûts de la bureaucratie » (« BürokratieKostenIndex » - BKI), qui permet de mesurer le coût des charges administratives et qui est mis à jour chaque mois et publié sur le site Internet du bureau fédéral des statistiques (37). Il offre un aperçu de l’évolution globale des charges pesant sur les entreprises et les particuliers en référence à une base initiale (100) calculée au 1er janvier 2012 et correspondant à 41 milliards d’euros. L’indice est calculé en fonction de plusieurs éléments : les tâches requises, le temps moyen et la fréquence.

Lors du déplacement de la mission à Berlin, le 12 février dernier, Mme Ulrike Beland, responsable de la coordination des positions économiques et de la « débureaucratisation » à la Chambre allemande de commerce et d’industrie (DIHK) a salué le choix fait par la France d’adopter, avec le modèle « OSCAR », une méthode de calcul des charges administratives fondée sur le vécu des entreprises et pas seulement sur les formalités et procédures administratives, comme l’est le modèle des « coûts standards ».

ii. Description du modèle « OSCAR »

Afin de fournir une évaluation aussi fiable et précise que possible des charges administratives susceptibles de résulter pour les entreprises et les particuliers des projets de loi et d’actes réglementaires, le SGG a établi un manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation qui, long d’une trentaine de pages, a pour finalité d’« uniformiser les méthodes de calcul de manière à rendre plus efficace et plus intelligible l’estimation des impacts d’une norme nouvelle ».

Ce manuel présente l’outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR ») qui prend la forme d’un tableur Excel permettant d’estimer, pour cinq catégories d’acteurs potentiellement concernés (entreprises, particuliers, collectivités territoriales, services de l’État et autres organismes chargés d’une mission de service public) :

– les charges nouvelles correspondant aux dépenses supplémentaires découlant de la mise en place de la nouvelle norme, et, parmi ces charges, non seulement les dépenses d’investissement et de mise en conformité (prises en compte dans le modèle des « coûts standards »), mais aussi les dépenses d’intervention (c’est-à-dire les subventions et sommes versées à des tiers) et les dépenses de fonctionnement ;

– les gains et économies découlant de la suppression d’une norme ou de l’adoption d’une règle nouvelle plus favorable.

Le tableau d’estimation des charges évalue les coûts annuels d’une réglementation sur une période de trois ans, prolongeable si cela apparaît pertinent. Deux types de charges sont pris en compte :

– les charges d’adaptation ponctuelles qui accompagnent l’entrée en vigueur de la réglementation ou la période de transition et qui n’ont pas vocation à se répéter (exemple : achat unique d’un éthylotest par un particulier) ;

– les charges récurrentes qui sont répétées chaque année, et éventuellement plusieurs fois par an, pour être en conformité avec la réglementation (exemple : visites médicales semestrielles) (38).

Le calcul des coûts de la réglementation pour la première année d’application prend ainsi en considération à la fois les charges d’adaptation et les charges récurrentes à acquitter. Le calcul des coûts de la réglementation pour les années suivantes ne prend généralement en compte que des charges récurrentes (39).

Pour ce qui est de l’évaluation des revenus ou produits, sont pris en compte à la fois les prestations financières ou en nature, les aides financières et l’accroissement du chiffre d’affaires. En ce qui concerne les économies, les administrations sont en principe tenues de chiffrer les économies à la fois d’investissement, d’intervention (suppression ou réduction d’une prestation versée par une administration ou un organisme public) et de fonctionnement.

Tant pour l’évaluation des dépenses d’investissement que pour celle des dépenses de fonctionnement, les administrations sont invitées à se référer à des bases de calcul fixées :

– soit par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) (40), Eurostat, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Banque mondiale, la Banque de France, ou encore le Fonds monétaires international (FMI) ;

– soit par la méthode des « coûts standards » (41) ;

– soit par d’autres conventions de calcul adoptées par nos voisins, qu’ils soient belges (42) ou allemands (43).

Si elle ne leur est pas parfaitement identique, la méthode française de quantification des charges administratives n’en est pas moins fortement inspirée des conventions de calcul desdites charges qui sont adoptées au niveau international, et particulièrement chez nos voisins européens.

c. Les consultations facultatives et obligatoires sont largement pratiquées.

Les études et fiches d’impact produites par les administrations trouvent un éclairage utile non seulement dans les estimations quantitatives qu’est susceptible de fournir « OSCAR » mais aussi dans les appréciations qualitatives qu’apportent les nombreux organismes consultés à titre obligatoire ou facultatif.

En application d’une disposition constitutionnelle, organique ou législative, la transmission de certains projets de loi au Conseil d’État est en effet parfois soumise à la consultation obligatoire de certains organismes qui contribuent par leurs avis à optimiser la qualité d’un texte avant son dépôt au Parlement. L’actuelle majorité est d’ailleurs soucieuse de valoriser ces consultations préalables. C’est la raison pour laquelle la commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté, le 26 novembre 2013, une proposition de loi organique tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Dans son rapport sur cette proposition de loi organique, notre collègue Olivier Dussopt a constaté qu’il était aujourd’hui extrêmement difficile d’établir une liste exhaustive et actualisée de toutes les consultations obligatoires prévues par la loi organique ou la loi, tant celles-ci sont nombreuses et imposées par des textes épars. « Chaque département ministériel semblant plutôt se satisfaire de son propre recensement » (44), notre collègue a procédé à un recensement non exhaustif qui a permis d’identifier au moins 65 instances devant être consultées par le Gouvernement sur les projets de loi avant leur transmission au Conseil d’État (45). C’est dire si la décision publique devrait en principe être éclairée lorsqu’un projet de loi est examiné en conseil des ministres.

Pourtant, la réalité du processus d’élaboration des études d’impact est parfois bien différente du modèle idéal qu’en décrit le guide de légistique établi par le SGG. Ce guide indique lui-même qu’en cas d’urgence (ce qui n’est pas rare), l’étude d’impact peut être élaborée concomitamment au projet de loi, d’ordonnance, de décret ou d’arrêté.

Alors que ce guide précise que « le Conseil d’État est amené à porter une appréciation détaillée sur l’étude d’impact », M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, a indiqué, lors de son audition, que le Conseil consacre un temps « réel mais insuffisant » aux études d’impact lorsque l’examen d’un texte est marqué du sceau de l’urgence. Il a expliqué que « lorsque le Conseil d’État ne dispose, comme ce fut notamment le cas en 2012 et en 2013, que d’un délai moyen de vingt-quatre ou vingt-huit jours pour l’examen des projets de loi, il pare au plus pressé : il vérifie la conformité du projet de loi à la Constitution – et le corrige s’il y a lieu –, au droit européen et aux engagements internationaux de la France, et améliore, au besoin, sa cohérence interne et sa clarté, ce qui est déjà beaucoup ».

Par ailleurs, dans son rapport d’activité de mars 2012 comme lors de son audition, l’ancien commissaire à la simplification, M. Rémi Bouchez, a porté un jugement sévère sur le modèle de quantification des charges administratives « OSCAR » qu’il a décrit comme « un outil ancien, qui avait de graves défauts et que les administrations, exception faite du ministère des Finances, ne s’étaient pas complètement approprié » (46).

La distance entre la théorie et la pratique explique qu’il y ait encore en matière d’évaluation ex ante de l’impact des normes une marge de progrès que la mission préconise d’exploiter.

3. L’évaluation ex ante de l’impact des normes est encore inégale et structurellement orientée.

a. De nombreuses critiques pointent la partialité et les insuffisances des études d’impact.

Tout au long des travaux de la mission a été dénoncé le manque structurel d’objectivité des études d’impact, qui tient à ce que l’étude d’impact élaborée par le ministère porteur d’un projet de loi n’est pas soumise au regard critique d’un organisme externe présentant toutes les garanties d’impartialité.

Le secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen, a expliqué devant la mission que l’étude d’impact « est parfois établie, non pas avant l’engagement de la réforme, mais alors que des annonces ont déjà été faites et que des concertations ont déjà été menées », que « quel que soit le domaine, si l’on interroge un ministère sur la pertinence d’une loi alors qu’il a déjà donné suite à la demande du ministre de faire cette loi, il est vraisemblable que l’administration confirmera à son ministre qu’après mûre réflexion, elle juge cette loi très opportune », qu’« en termes de fonctionnement des organisations et de sociologie des administrations, il y a là un véritable conflit d’intérêts [car] il est en effet peu probable qu’un ministère se déjuge en décidant, après un travail intense, qu’il n’y a finalement pas lieu de légiférer ». Et M. Jean-Marie Le Guen de conclure : « les études d’impact sont donc, dans certains cas, détournées de leur but premier : au lieu d’être une aide à la décision, elles sont un outil d’autojustification ».

Le constat de la « qualité variable » des études d’impact qu’a également fait le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la Réforme de l’État et de la simplification, M. Thierry Mandon (47), est corroboré par les critiques que le Conseil d’État émet, chaque année depuis 2010, dans son rapport annuel, au sujet de la teneur de certaines études d’impact.

Alertant tous les ans le Gouvernement sur « la dégradation continue des conditions dans lesquelles il est saisi » (48), le Conseil d’État a indiqué, dans son rapport public pour l’année 2010, qu’au sujet de la réforme de la taxe professionnelle (49), il avait « estimé qu’en l’absence de tout élément présentant les conséquences financières pour les collectivités territoriales de la réforme de la taxe professionnelle, les différentes options possibles ainsi que les mérites de l’option relative à l’affectation des impôts locaux aux différentes catégories de collectivités territoriales retenue par le projet de loi, l’évaluation préalable produite par le Gouvernement ne satisfaisait pas aux exigences de la loi organique en ce qui concerne la rubrique “évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue”, alors que la production de cette évaluation s’imposait compte tenu de l’objet des dispositions en cause. Compte tenu des conditions de sa saisine, le Conseil d’État a [alors] demandé au Gouvernement que, en tout état de cause, le Parlement puisse disposer d’une étude d’impact répondant aux exigences de la loi organique, au plus tard le jour du dépôt du projet sur le bureau de l’Assemblée nationale » (50) .

Dans son rapport public pour l’année 2011, tout en soulignant une « transmission plus systématique des études d’impact à l’occasion du dépôt initial des projets de texte » et une amélioration de la « qualité de ces études, plus complètes, plus étayées et plus conformes à l’objectif d’évaluation préalable exigé par la loi organique », le Conseil d’État a été amené à indiquer au Gouvernement :

– que l’étude d’impact accompagnant le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (51) « pourrait être utilement complétée avant son dépôt devant le Parlement » ;

– que l’étude d’impact accompagnant le projet de loi portant réforme des retraites (52) « devait être complétée » avant son dépôt devant le Parlement ;

– que l’étude d’impact accompagnant le projet de loi relatif à la garde à vue (53) « ne répond[ait] pas, sur des points importants, aux exigences résultant de l’article 8 de la loi organique » (54).

Dans son rapport public pour l’année 2012, le Conseil d’État a relevé que « même si des progrès notables [étaient] à mettre au crédit des administrations, la qualité des études d’impact ou, s’agissant des lois de finances, des évaluations préalables [devait] encore être sensiblement améliorée » (55) , notamment parce que les ministères ne suivaient pas avec toute l’attention requise les instructions résultant de la circulaire du Premier ministre du 7 juillet 2011 relative à la qualité du droit qui commande d’élaborer une fiche sur l’application du texte dans le temps, une autre sur son application outre-mer, un tableau de concordance entre le droit de l’Union européenne, le droit national et enfin le texte consolidé issu des modifications envisagées.

Sur plusieurs pages, le Conseil d’État fournit dans son rapport public pour l’année 2012 des exemples d’insuffisances relevées dans les études d’impact jointes aux projets de loi ordinaire (56), aux projets de loi de finances (57) et aux projets de loi de programmation (58) ou à caractère expérimental (59).

En 2013 aussi, le Conseil d’État a consacré plusieurs pages de son rapport public à l’exposé des lacunes constatées dans diverses études d’impact (60) au sujet desquelles il a rappelé qu’elles n’étaient « pas un simple exercice formel », mais qu’elles concouraient au contraire « à justifier la portée et le bien-fondé juridique de la mesure envisagée » (61).

Comme M. Jean-Marc Sauvé l’a expliqué devant la mission, « il n’est nullement exclu que [le Conseil d’État] puisse rejeter le projet de texte dont il est saisi, en raison du caractère totalement lacunaire ou indigent de l’étude d’impact », précisant toutefois qu’« à ce jour, ce cas de figure ne s’[était] présenté qu’une fois, dès 2009, avec les dispositions d’un projet de loi de ratification de l’ordonnance relative à certaines installations classées pour la protection de l’environnement » (62). Le Conseil d’État avait alors donné un avis favorable au seul article de ratification, rejetant toutes les autres dispositions, qui n’étaient assorties d’aucune étude d’impact.

Lors de la table ronde réunissant des universitaires à laquelle il a participé, M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense), a expliqué à la mission qu’il menait avec ses étudiants, depuis septembre 2009, une analyse des études d’impact destinée à « aboutir à un classement du type “Gault et Millau” des études d’impact, de la plus complète, la plus lisible et la plus pertinente jusqu’à la moins satisfaisante ».

Or l’examen d’un échantillon d’une quarantaine d’études d’impact a conduit M. Bertrand du Marais à dresser « un constat non pas désabusé, mais mitigé sur la qualité et le contenu des études d’impact » jusqu’ici produites par les administrations. Il a cité plusieurs exemples, dont ceux :

– de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi de programmation militaire pour 2014-2019 (63), marquée, selon lui, par l’absence totale d’informations pour quatre des critères fixés par la loi organique du 15 avril 2009, parmi lesquels l’évaluation des conséquences environnementales, la présentation des possibilités autres que l’option législative, l’analyse quantitative et l’exposé de la méthode de calcul ;

– de l’étude d’impact jointe au projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, où l’évaluation des conséquences financières n’était faite pour aucun des titres du texte, à une exception près. « Il n’y avait ni quantification ni indication de la méthode de calcul retenue » ;

– de l’étude d’impact du projet de loi relatif au Grand Paris (64) : « les incidences budgétaires y étaient certes examinées, mais aucune méthode de calcul n’était indiquée ».

La mission partage le point de vue de M. Bertrand du Marais, pour qui « les études d’impact se caractérisent par une grande diversité et une inégalité de contenus. Nombre d’entre elles ne satisfont pas, même formellement, aux obligations de la loi organique. En particulier, la méthode de calcul retenue n’est quasiment jamais indiquée – souvent pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas d’évaluation quantifiée des impacts des dispositions que le Gouvernement propose au Parlement d’adopter ».

La norme gagnerait en qualité si les débats parlementaires consacraient davantage de temps à un examen approfondi des études d’impact dont les assemblées se saisissent encore trop peu.

b. Des études dont le Parlement se saisit encore trop peu

La place que notre assemblée accorde à la qualité des études d’impact lors des débats en commission et en séance publique est encore trop faible.

Elle tend toutefois à s’accroître, comme l’ont montré, pour ne citer que deux exemples, les débats ayant eu lieu en 2010 en commission des Affaires sociales autour de l’évaluation de l’impact financier du projet de loi de réforme des retraites (65) ou, plus récemment, les débats en commission des Lois et en séance publique autour de l’évaluation des conséquences sociales, financières et juridiques du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (66) .

Le degré de l’attention que les parlementaires portent à la qualité des études d’impact est reflété par l’invocation de cet argument en aval des débats, à l’appui des saisines du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori.

Or depuis l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2009, de la loi organique du 15 avril 2009, l’existence et la qualité des études d’impact n’ont été invoquées qu’à l’appui de huit saisines relatives à des projets de loi ordinaire (67), dont six depuis le début de la présente législature, tandis que les conditions procédurales du contrôle de la qualité des études d’impact par la Conférence des présidents n’ont été invoquées qu’à l’appui de deux saisines relatives à des projets de loi ordinaire (68).

Ces données suggèrent que les parlementaires commencent à s’approprier les enjeux liés à l’évaluation ex ante de l’impact des normes qu’ils sont appelés à voter, mais qu’ils pourraient aller encore plus loin dans ce sens.

L’opinion publique ne semble pas davantage s’être emparée des potentialités qu’offre le Règlement de l’Assemblée nationale pour l’associer à la réflexion des députés sur l’évaluation préalable de l’impact des textes de loi. L’article 83 du Règlement de notre assemblée prévoit en effet que « les documents qui rendent compte de l’étude d’impact réalisée sur un projet de loi soumis en premier lieu à l’Assemblée […] sont mis à disposition par voie électronique, afin de recueillir toutes les observations qui peuvent être formulées ». Nos concitoyens peuvent donc déposer, sur le site Internet de l’Assemblée nationale, leurs observations sur l’étude d’impact jointe à un projet de loi. Ces contributions sont ensuite transmises au(x) député(s) nommé(s) rapporteur(s) du projet de loi et leur synthèse peut, en application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement de notre assemblée, être annexée au rapport présenté à la commission chargée de l’examen dudit projet de loi. Au 30 août dernier, on dénombrait 36 projets de loi dont les études d’impact pouvaient donner lieu au dépôt d’observations par le public.

Or cette faculté demeure extrêmement peu utilisée au regard des nombreux projets de loi examinés par l’Assemblée nationale. Depuis 2009, seuls quelques textes ont suscité des contributions de la part de nos concitoyens, parmi lesquels la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (194 contributions) et la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (431 contributions à la date du début de l’examen du texte en commission des Lois, dont seulement 310 portaient sur la qualité de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, et non sur le contenu du texte soumis à l’Assemblée nationale).

c. Des études dont le contenu pourrait être enrichi

L’appropriation encore imparfaite de la démarche de l’évaluation ex ante peut être constatée non seulement chez les parlementaires et au sein de l’opinion publique, mais aussi au sein des administrations. Pour le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, « les études d’impact ressemblent davantage, à l’heure actuelle, à un exposé des motifs enrichi qu’au modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), pour laquelle l’étude d’impact sert à ajuster le dispositif qui sera retenu ».

Il est en effet apparu au gré des travaux de la mission que les études d’impact pouvaient voir leur teneur enrichie à plusieurs égards.

i. Rendre obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation de « tests entreprises, collectivités locales et usagers de l’administration »

Lors du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 18 décembre 2012, il a été décidé de soumettre certains projets d’actes réglementaires concernant les entreprises – qui, depuis 2011, doivent par ailleurs faire l’objet d’une fiche d’impact – à un « test PME » permettant d’évaluer directement avec les entreprises les conséquences d’une réglementation et d’y apporter des modifications afin de faciliter son application (69).

Mise en œuvre par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), cette méthode de consultation innovante vise à déterminer spécifiquement les conséquences concrètes et la complexité de nouvelles mesures à forts enjeux auprès d’un échantillon réduit d’une quinzaine de TPE, PME et ETI. Sur la base des remarques et des alternatives avancées par les entreprises, des amendements peuvent être apportés à la mesure.

Expérimenté début 2013 sur les décrets d’application relatifs à la banque publique d’investissement (BPI), le « test PME » a permis, par la suite, de simplifier plusieurs projets d’actes réglementaires, comme le projet de décret relatif à la signalétique commune de tri.

Lors de son audition par la mission, M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), a souligné que les études d’impact étaient « habituellement centrées sur l’évaluation quantitative » et que « ce qu’il conviendrait d’approfondir, c’est l’évaluation qualitative, à savoir l’impact de la future norme sur l’organisation des entreprises ». C’est la raison d’être du « test PME » qui, réalisé à une dizaine de reprises depuis début 2013, est mis en œuvre selon une méthode « désormais rodée ».

Selon M. Nicolas Conso, chacun des tests qui ont été menés – par exemple sur les obligations en matière de tri, sur la sécurité des transporteurs de fonds ou sur les indications géographiques protégées – « a permis d’observer des éléments qualitatifs que la simple évaluation théorique ne faisait pas ressortir : il a ainsi été possible d’affiner les projets de textes réglementaires et de prévoir la mise en place dès le début de mesures d’accompagnement permettant d’atteindre les objectifs assignés. Ces tests ayant commencé de faire leurs preuves, il serait désormais possible de les rendre plus systématiques et plus obligatoires dans le cadre des études d’impact – c’est prévu –, voire de les étendre aux textes législatifs ».

La mission estime qu’il n’y a pas lieu de réserver cette démarche d’évaluation aujourd’hui facultative aux seuls projets d’actes réglementaires concernant les entreprises, mais que, bien au contraire, la réalisation de tests semblables devait être entreprise, à titre obligatoire, pour l’ensemble des projets de loi, qu’ils affectent les entreprises, les collectivités territoriales ou les particuliers, usagers de l’administration.

C’est la raison pour laquelle la mission préconise de rendre obligatoire, pour les textes législatifs, et selon l’objet de la réforme envisagée, la réalisation d’un « test entreprises » (ce type de test ne devant pas concerner les seules PME) et/ou d’un « test collectivités territoriales » et/ou d’un « test usagers de l’administration ».

Ces tests gagneraient à se nourrir des contributions qu’un certain nombre de parlementaires, comme notre collègue Cécile Untermaier, peuvent recueillir dans le cadre des « ateliers législatifs citoyens » qu’ils organisent dans leur circonscription (70). Votre rapporteur souligne l’intérêt que de telles initiatives peuvent présenter pour réinventer la politique en associant plus activement nos concitoyens aux discussions des projets et propositions de loi. Les remarques formulées dans le cadre de ces ateliers participatifs aussi bien par des particuliers, des associations, que des syndicats, des administrations ou des chefs d’entreprises sont en effet susceptibles d’apporter un éclairage fort utile sur les implications concrètes des dispositifs dont la réforme est envisagée.

ii. Améliorer l’évaluation des coûts et bénéfices économiques ainsi que des conséquences sociétales des mesures envisagées

M. Nicolas Conso n’est pas la seule personne entendue par la mission à avoir pointé les lacunes des études d’impact en matière d’évaluation des conséquences économiques. M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense), citant l’exemple des dispositions législatives sur la sécurité des ascenseurs, a souligné, lors de son audition, que « c’[était] une chose d’évaluer le coût financier de la réfection des ascenseurs pour les syndicats de copropriété et les bailleurs sociaux », mais que « c’en [était] une autre de réaliser une véritable analyse économique, qui aurait permis de remarquer que, étant donné qu’il n’existe que deux ou trois ascensoristes sur le marché, le risque était grand, d’une part que les coûts explosent, d’autre part que l’offre ne puisse pas répondre à la demande ! ».

Le secrétaire général du Gouvernement lui-même, M. Serge Lasvignes, a fait part à la mission de ce que « si des efforts ont été réalisés en matière de quantification, la dimension économique demeure insuffisante et doit être améliorée ».

Votre rapporteur ne citera qu’un exemple : celui de l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, devenu la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014. Cette étude situait l’impact du projet de loi, en termes de créations d’emplois dans le secteur des associations des coopératives à échéance de quatre à cinq ans, dans une fourchette allant de 100 000 à 200 000 – soit une évaluation allant du simple au double (71).

Au-delà des conséquences économiques, ce sont les conséquences sociales et sociétales qui apparaissent parfois mal évaluées dans les études d’impact. Il apparaît par exemple pour le moins surprenant que la partie de l’étude d’impact consacrée à l’article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 (devenu la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013), qui proposait d’harmoniser les règles de prélèvement applicables aux produits de placement et de mettre fin à l’application des « taux historiques » pour des produits d’épargne prisés des classes moyennes et populaires, indiquait, dans la rubrique « impacts sociaux » : « sans objet ». La vive réaction des petits épargnants qui a conduit le Gouvernement à renoncer à aligner par le haut la fiscalité des plans d’épargne en actions (PEA), des plans d’épargne-logement (PEL) et des produits d’assurance-vie et d’épargne salariale, a montré que la réforme envisagée était loin d’être dénuée de telles conséquences, contrairement à ce que suggérait l’étude d’impact.

La mission recommande donc d’améliorer l’évaluation des conséquences économiques, sociales et sociétales des mesures envisagées.

iii. Fournir une analyse et une justification approfondies des mesures transitoires et des dates d’entrée en vigueur retenues

Si le guide de légistique établi par le SGG recommande bien de réfléchir précisément, lors de l’élaboration d’une étude d’impact, à la détermination des conditions d’application dans le temps d’une réforme (« entrée en vigueur différée pour assurer aux entreprises ou aux particuliers une prévisibilité suffisante et adapter leurs choix en temps utile, dispositions transitoires permettant de garantir une sécurité juridique pour les situations constituées ou procédures en cours, analyse de l’impact de la rétroactivité, le cas échéant, de certaines dispositions législatives »), force est de constater que cela reste parfois un vœu pieu.

Votre rapporteur en veut pour preuve l’évaluation défectueuse de la date d’entrée en vigueur du dispositif du compte personnel de prévention de la pénibilité, prévu par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

Faute d’une étude d’impact précise et complète permettant d’évaluer le travail nécessaire pour élaborer un tel compte qui soit simple d’utilisation pour les salariés comme pour les entreprises, le Premier ministre a dû annoncer, le 1er juillet dernier, le report partiel à 2016 de l’entrée en vigueur de ce dispositif qui était fixée par la loi précitée au 1er janvier 2015. Ce report partiel a pu susciter des déceptions à la hauteur des grandes espérances que la loi du 20 janvier 2014 avait suscitées.

Il est donc essentiel que les études d’impact ne se contentent pas d’indiquer les dates d’entrée en vigueur et les éventuelles mesures transitoires sans les justifier par une analyse approfondie.

Or, à ce sujet, le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, a expliqué à la mission que si les membres du Conseil d’État étaient « très attentifs » aux mesures transitoires aussi bien sur les textes réglementaires que sur les projets de loi, ils n’avaient « jamais été saisis, à [s]a connaissance, d’études d’impact à ce point précises qu’elles permettraient – par exemple sur le compte de prévention de la pénibilité – d’éclairer utilement la réflexion du Gouvernement ».

iv. Intégrer l’exigence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées (« one-in, one-out ») aujourd’hui circonscrite aux textes réglementaires

Depuis le 1er septembre 2013, en application de la circulaire du Premier ministre n° 5668/SG du 17 juillet 2013, est mis en œuvre un gel de la réglementation, visant à supprimer une norme existante pour toute création d’une nouvelle norme. En vertu de ce moratoire « un pour un » qui concerne tous les projets d’actes réglementaires, à l’exception notable de ceux pris en application d’une norme supérieure (loi ou directive européenne), tout projet de texte réglementaire nouveau créant des charges pour les entreprises, les collectivités territoriales ou le public n’est adopté que s’il s’accompagne, à titre de « gage », d’une suppression de mesures existantes engendrant des charges équivalentes.

Le Gouvernement a ainsi introduit en droit français la pratique britannique du « one-in, one-out » qui, instaurée au Royaume-Uni en septembre 2010 et appliquée à partir du 1er janvier 2011, commande qu’aucune norme législative ou réglementaire impliquant de nouvelles charges pour les entreprises ne puisse être adoptée sans que ne soit supprimée une norme générant des charges équivalentes (en termes de coût de mise en conformité et non uniquement de charges administratives), à l’exception des projets de textes relatifs à la fiscalité ou pris pour la transposition d’une directive européenne.

Au 31 décembre 2012, la règle du « one-in, one-out », aurait permis, selon le gouvernement britannique, de réduire les charges annuelles pesant sur les entreprises de 836 millions de livres sterling, soit environ 990 millions d’euros.

Face à ce succès, le gouvernement britannique a étendu son initiative et la règle est devenue, depuis le 1er janvier 2013, celle du « one-in, two-out » : les charges administratives résultant pour les entreprises de la création de nouvelles normes doivent être compensées par la suppression de normes existantes engendrant le double de charges. L’impact attendu de cette nouvelle mesure devrait porter l’allègement de charges pesant sur les entreprises à 919 millions de livres sterling, soit environ 1,087 milliard d’euros.

Le bureau du ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences chargé de l’amélioration de la réglementation (« Better Regulation Executive » - « BRE ») joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre du programme « one-in, two-out », car c’est lui qui, tous les six mois, publie un rapport dressant le bilan de l’avancement du programme et établissant un classement des ministères (72).

En France, d’après les informations qu’a pu obtenir votre rapporteur, la mise en œuvre du moratoire « un pour un » en matière réglementaire depuis le 1er septembre 2013 a permis, jusqu’à aujourd’hui, d’alléger de 665 millions d’euros les charges administratives pesant sur les entreprises, les collectivités territoriales ou le public. Le chiffrage des charges supprimées et des charges nouvellement créées a permis de faire ressortir que seuls 14 % des textes réglementaires – ceux qui ont les plus forts impacts (supérieurs à 10 millions d’euros en valeur absolue) – représentaient plus de 80 % de l’ensemble des coûts ou gains constatés pour les entreprises, soit environ 50 textes réglementaires depuis le 1er septembre 2013. Ce chiffrage a également permis de noter que l’essentiel de la production normative émanait de trois pôles ministériels : l’Économie et les Finances, l’Environnement et le Logement, les Affaires sociales et le Travail.

Convaincue des vertus de l’exemple britannique, la mission considère que le principe d’une compensation de nouvelles charges par la suppression de charges existantes d’un niveau équivalent ne doit pas être circonscrit aux seuls projets d’actes réglementaires, mais qu’il doit, comme au Royaume-Uni, être étendu aux projets de loi.

À cet effet, le législateur pourrait introduire à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui indique les différentes rubriques devant être renseignées dans le cadre d’une étude d’impact, une rubrique supplémentaire exigeant une quantification aussi précise que possible des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées.

Selon M. Oliver Letwin, secrétaire d’État auprès du Premier ministre britannique, chargé de la politique réglementaire, que la mission a pu rencontrer lors de son déplacement à Londres, c’est cette discipline qui a permis de provoquer outre-Manche un profond changement de culture normative au sein des administrations, car elles ont été contraintes de s’interroger avec sincérité sur les normes qu’elles allaient devoir supprimer pour compenser la charge administrative engendrée par celles qu’elles créaient. Or l’identification des normes à supprimer suppose la quantification des charges administratives résultant des normes existantes – travail qui, jusqu’alors, était très peu effectué par les administrations.

v. Mieux identifier les critères sur lesquels se fondera l’évaluation ex post des mesures

Notre pays gagnerait à s’inspirer non seulement des pratiques britanniques, mais aussi des pratiques allemandes. Les ministères fédéraux allemands ont en effet pris pour habitude de fixer, dans l’étude d’impact élaborée ex ante, les critères d’évaluation ex post des normes envisagées.

Depuis le 1er janvier 2013, le principe a été retenu outre-Rhin que les normes une fois adoptées seraient soumises à :

– une première évaluation ex post par le bureau fédéral des statistiques (« Destatis ») après les deux premières années de leur mise en application ;

– une seconde évaluation ex post, réalisée cette fois par le ministère porteur du texte de loi, dans un délai maximal de cinq ans.

Cette seconde évaluation, plus complète que la première, devrait être effectuée au regard des critères d’évaluation préalablement définis dans l’étude d’impact ex ante et prendre en compte, au-delà des seules charges administratives, l’efficacité de la réglementation, le rapport coûts-avantages, les conséquences (positives ou négatives) non anticipées, l’acceptation de la réglementation par ceux à qui elle incombe, et les possibilités de réduire les charges administratives sans modifier les principes.

D’après le chef du bureau chargé de la simplification à la Chancellerie fédérale (« Better Regulation Unit » - BRU), M. Stephan Naundorf, cette pratique peut contribuer à un véritable changement de culture normative, dans la mesure où elle contraint les ministères porteurs des projets de textes à identifier en amont, dès la préparation d’une mesure, les critères de sa réussite, et à effectuer une comparaison entre les critères définis ex ante et les résultats chiffrés obtenus ex post.

Le guide de légistique établi par le SGG rappelle aux administrations qu’il est indispensable de concevoir l’étude d’impact « dans une optique d’évaluation ex post du dispositif, quelques années plus tard ». Il leur recommande, en conséquence, de s’attacher « dans la mesure du possible à faire le départ entre un objectif final et plusieurs objectifs intermédiaires, à déterminer un ou plusieurs indicateurs qui permettront de mesurer, même indirectement, si ces objectifs ont été atteints et à présenter la nature du dispositif d’évaluation ex post à envisager ». Toutefois, force est de constater que l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 ne fait pas de l’indication des critères précis d’évaluation ex post une rubrique obligatoire des études d’impact. Ce texte se contente de prévoir que les documents d’évaluation ex ante « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi ».

La mission recommande donc de faire de la détermination des indicateurs sur lesquels se fondera l’évaluation ex post des normes une rubrique à part entière des études d’impact, que les administrations devront impérativement renseigner.

Proposition n° 1 – Enrichir le contenu des études d’impact

Mieux renseigner les études d’impact :

– en rendant obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation d’un « test entreprises » (aujourd’hui facultatif et circonscrit aux textes réglementaires) ainsi que de tests « collectivités locales » et « usagers de l’administration » ;

– en améliorant l’évaluation des coûts et bénéfices économiques ainsi que des conséquences sociétales des mesures envisagées ;

– en fournissant une analyse et une justification approfondies à l’appui des mesures transitoires et des dates d’entrée en vigueur retenues ;

– en y intégrant l’exigence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées (« one-in, one-out ») ;

– et en y introduisant les critères sur lesquels se fondera l’évaluation ex post de ces mesures.

B. L’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT CHEZ CERTAINS DE NOS VOISINS : UN PROCESSUS PLACÉ SOUS LE CONTRÔLE D’UN ORGANISME CONSULTATIF EXTERNE ET INDÉPENDANT

La mission a constaté en se rendant chez certains de nos voisins, et notamment au Royaume-Uni et en Allemagne, que la qualité des études d’impact enregistrait de très nets progrès dès lors que le processus d’élaboration de ces dernières cessait d’être purement interne aux administrations productrices des textes législatifs et réglementaires.

1. Aller plus loin que le modèle européen de l’« Impact Assessment Board » qui distingue l’organe chargé de l’élaboration de l’étude d’impact de celui chargé de l’évaluation de sa qualité, sans recueillir un point de vue extérieur à celui de l’administration.

a. La Commission européenne et le Parlement européen s’efforcent d’objectiver le processus de production des études d’impact…

i. Le comité d’analyse d’impact de la Commission européenne

En 2006, à l’initiative du Président José Manuel Barroso, la Commission européenne a créé au sein de ses services un bureau (« Impact Assessment Board » - « IAB ») chargé de contrôler la qualité des études d’impact produites par les autres services de la Commission européenne sur les projets de texte dont ils sont porteurs.

Les services de la Commission européenne à l’initiative d’un projet de texte sont donc aussi ceux qui sont chargés de l’élaboration de l’étude d’impact relative à ce projet. Si, initialement, il a été fait appel à des consultants extérieurs pour réaliser l’étude d’impact, cette solution a désormais été écartée.

Les services porteurs d’un texte sont tenus de respecter des lignes directrices (73) qui régissent le contenu des études d’impact et imposent qu’elles comportent :

– la description du besoin auquel il est proposé de répondre ;

– une étude d’option avec, le cas échéant, l’indication des motifs pour lesquels le recours à une simple recommandation (« soft law ») a été rejeté ;

– les consultations réalisées et leur teneur ;

– les façons dont les remarques formulées lors des consultations ont été prises en compte par les services à l’origine du projet de texte ;

– le cas échéant, les raisons pour lesquelles les préconisations formulées lors des consultations ont été écartées ;

– les raisons pour lesquelles les très petites entreprises (TPE) ne peuvent pas être exemptées de la nouvelle réglementation envisagée.

L’« IAB » examine l’ensemble des projets d’études d’impact et exige des services de la Commission européenne porteurs des projets de textes des explications détaillées sur tous les points figurant dans le cahier des charges des études d’impact.

Il les interroge notamment sur le coût estimé du projet de texte pour les administrations et les entreprises des États membres, en exigeant les éléments les plus chiffrés et les plus précis possibles, en particulier en termes d’emploi.

L’examen de la qualité de l’étude d’impact par l’« IAB » prend la forme de :

– réunions tous les quinze jours avec les services porteurs du projet de texte (ces réunions ne pouvant se tenir si moins de 4 membres de l’« IAB » – sans compter son Président – sont présents et si les directions compétentes en matière d’entreprises, d’environnement et d’affaires sociales ne sont pas du tout représentées) ;

– questionnaires de 4 à 5 pages auxquels les services porteurs du projet de texte sont tenus de répondre sous quelques semaines.

Ces échanges durent tant que l’« IAB » n’est pas convaincu de donner un avis positif au projet de texte envisagé. En moyenne, la réalisation d’une étude d’impact sur un projet de texte dure entre un an et demi et deux ans.

Toutefois, l’« IAB » n’a pas de droit de veto. Si la Commission européenne tient à un projet de texte, malgré l’avis négatif de l’« IAB », alors le projet de texte lui est transmis afin qu’elle l’accepte formellement. Cependant, l’avis négatif de l’« IAB » est, dans cette hypothèse, publié.

Il faut néanmoins noter que, depuis 2010, sauf volonté contraire du Président de la Commission européenne, aucun projet de texte ayant reçu un avis négatif de l’« IAB » n’est soumis à la Commission.

Une fois que la Commission européenne a accepté le projet de texte, l’étude d’impact est publiée et mise en ligne (74). Souvent volumineuse, celle-ci est désormais résumée, depuis quelques mois, dans une synthèse de deux pages présentée au début du document. Une synthèse de l’avis de l’« IAB » (jadis de dix pages en moyenne, et désormais d’environ deux pages) est également publiée. L’avis de l’« IAB » accompagne le projet de texte européen correspondant tout au long du processus législatif.

Un projet est envisagé, qui consisterait à permettre à l’« IAB » de répondre publiquement aux différentes remarquées formulées par les citoyens de l’Union européenne sur les études d’impact mises en ligne. L’« IAB » pouvant difficilement répondre à chaque personne, ses réponses pourraient être thématiques.

ii. L’unité d’évaluation ex ante de l’impact du Parlement européen

Depuis que le Parlement européen est pleinement devenu « colégislateur », en vertu du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, il témoigne un fort intérêt pour l’évaluation ex ante et ex post. À ce titre, il a demandé à ce que tout projet d’acte législatif soit accompagné d’une étude d’impact.

Le 18 avril 2011, la députée allemande Angelika Niebler a publié un rapport sur la garantie de l’indépendance des études d’impact (75), qui préconisait la création de structures d’analyse d’impact au sein même du Parlement.

À la suite de ce rapport, une direction de l’analyse d’impact a été créée en janvier 2012. Désormais, cette direction a pris le nom de « direction de l’évaluation de l’impact et de la valeur ajoutée européenne » au sein de la direction générale des services de recherche parlementaire.

Depuis septembre 2012, à la demande du secrétaire général du Parlement européen, les services de l’unité d’évaluation ex ante procèdent à un contrôle de toutes les études d’impact transmises par la Commission européenne, ce qui représente environ six études par mois. Ce contrôle prend la forme d’une note d’une dizaine de pages comportant des « analyses préliminaires » et produite en quelques jours (une semaine au maximum) (76). L’analyse d’impact à laquelle procèdent les services de l’unité d’évaluation ex ante complète le contrôle de qualité effectué par l’« IAB », en apportant un regard neuf sur le projet de texte européen.

Si un ou plusieurs parlementaires le demandent, les services de l’unité d’évaluation ex ante peuvent produire une note plus détaillée, voire procéder à une étude d’impact complémentaire.

Il peut arriver que le Parlement européen choisisse de faire ou refaire intégralement une étude d’impact. Récemment, il a ainsi décidé de réaliser intégralement une étude d’impact sur une proposition modifiant la directive relative au miel de façon à rétablir le pollen comme composant du miel. La Commission européenne n’avait, en effet, pas jugé nécessaire de réaliser une étude d’impact sur cette proposition de modification de la directive relative au miel dans la mesure où elle avait produit une telle étude lors de l’élaboration de la directive initiale qu’il s’agissait de modifier. Or la distinction, élaborée entre-temps par la Cour de justice de l’Union européenne (77), entre les notions de « composant » et d’« ingrédient » rendait nécessaire, aux yeux du Parlement, une nouvelle étude d’impact.

Si le sujet s’y prête, l’étude d’impact complémentaire ou substitutive peut être effectuée par les services de l’unité d’évaluation ex ante, qui disposent alors de six mois, en moyenne, pour la réaliser.

Globalement, les services de l’unité d’évaluation ex ante détectent rarement de graves lacunes dans les études d’impact qui leur sont transmises. Ils notent cependant que ces études comportent rarement des données sur les charges administratives au niveau de l’Union, et encore moins État par État.

b. … mais celui-ci reste interne aux services des institutions européennes.

Le bureau de la Commission européenne chargée de contrôler la qualité des études d’impact (« IAB ») est composé de neuf fonctionnaires européens, dont un président (secrétaire général adjoint de la Commission européenne) et huit directeurs issus des services de la Commission européenne et devant représenter au moins les directions compétentes dans le domaine de l’environnement, des entreprises et des affaires sociales. Ces fonctionnaires sont désignés par le Président de la Commission européenne pour un mandat de deux ans et sont directement responsables devant lui. Ils agissent en leur nom propre, et non en tant que représentants de leur service d’affectation. Ils s’abstiennent d’intervenir dans les débats chaque fois qu’apparaît un conflit d’intérêts.

S’il travaille de façon impartiale, aucun texte ne garantit aujourd’hui formellement l’indépendance de l’« IAB ». Cette indépendance résulte seulement de pratiques administratives.

Nos interlocuteurs allemands ont indiqué qu’ils souhaiteraient développer à leur niveau un processus de contrexpertise, si ce dernier n’est pas instauré au niveau européen. Selon eux, la Chancelière, Mme Angela Merkel, verrait d’un bon œil la constitution d’un comité qui soit plus indépendant que l’actuel « IAB ».

Quant à l’unité d’évaluation ex ante du Parlement européen, elle procède moins à une analyse de fond qu’à un contrôle du respect des lignes directrices en matière d’analyse d’impact, en s’assurant par exemple que la Commission n’a pas d’emblée privilégié telle option plutôt que telle autre sans effectuer une véritable étude d’option, ou encore que la Commission n’a pas omis telle ou telle partie prenante incontournable dans le cadre de ses consultations. Par exemple, au sujet d’un récent projet de texte européen sur la traduction certifiée, les services du Parlement européen ont constaté que la Commission n’avait pas consulté les traducteurs.

Par ailleurs, l’unité d’évaluation ex ante du Parlement européen n’a pas toujours toute la capacité technique requise pour contrexpertiser les évaluations fournies par les services de la Commission européenne. Passé un certain degré de technicité, l’étude d’impact complémentaire ou substitutive est confiée à des consultants et experts extérieurs au Parlement.

Cette pratique révèle la nécessité d’externaliser le contrôle de la qualité des études d’impact si l’on souhaite que celui-ci ne se limite pas à un examen purement formel. C’est ce qu’ont compris nos voisins britannique et allemand – qui ont choisi de soumettre l’étude d’impact produite par l’administration à l’analyse critique et impartiale de représentants de la société civile.

2. S’inspirer des modèles britannique et allemand qui confient à des personnalités extérieures à l’administration le soin de se prononcer sur la qualité de l’étude d’impact.

En Europe, cinq pays se sont dotés d’organismes consultatifs indépendants pour contrôler la qualité des études d’impact produites par les administrations. Il s’agit :

– des Pays-Bas, qui ont créé un bureau de la charge administrative (ACTAL) ;

– du Royaume-Uni, qui a institué un comité « de la politique de la réglementation » (« Regulatory Policy Committee » - RPC) ;

– de l’Allemagne, qui a mis en place un « conseil national de contrôle des normes » (« Normenkontrollrat » - NKR) ;

– de la République tchèque, qui a créé bureau d’étude de l’impact de la réglementation (« RIAB ») ;

– de la Suède, qui a institué un conseil d’amélioration de la réglementation (« Regelradet »).

L’Islande et la Norvège sont elles aussi en train de mettre en place des comités indépendants chargés de l’évaluation de la qualité des études d’impact.

a. Le comité britannique de la politique de la réglementation (« RPC »)

i. Création et composition

Le « Regulatory Policy Committee » (ou « RPC ») a été créé en 2009 pour évaluer de façon totalement indépendante la qualité (sincérité des estimations, des données...) des études d’impact proposées par les services des ministères porteurs de projets de textes (législatifs et réglementaires).

Bénéficiant d’un financement de 800 000 £ par an (soit 950 000 €) et installé dans les locaux du ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences (« Department for Business, Innovation & Skills » - BIS), il est composé de huit membres nommés par le Premier ministre, au terme d’un processus de « recrutement » public et transparent (appel à candidatures, sélection par les fonctionnaires composant le secrétariat, proposition de nomination faite au Premier ministre).

Les membres du « RPC » sont issus de la société civile : syndicalistes, économistes, entrepreneurs, employés de la chambre de commerce britannique, spécialistes de l’audit, etc.

Les membres de ce comité conservent des activités professionnelles parallèles et ne consacrent chacun qu’un jour de leur semaine au travail du « RPC ». Jusqu’en 2012, ils n’étaient pas rémunérés pour leur activité au sein du « RPC ».

Ce comité s’appuie sur un secrétariat de quinze fonctionnaires qui sont détachés de différents ministères pour une durée de trois à quatre ans pour travailler à temps plein pour le « RPC » et dont la plupart ont un profil d’économiste.

ii. Rôle du « RPC » dans le processus britannique d’élaboration des études d’impact

Le « RPC » examine, en dehors de toute considération partisane, la qualité des études d’impact élaborées par les services des ministères porteurs de projets de textes.

Les ministères élaborent une étude d’impact, le cas échéant avec l’appui méthodologique et technique du bureau du ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences chargé de l’amélioration de la réglementation (« Better Regulation Executive » - BRE) (78).

Depuis l’été 2012, pour certaines mesures sans impact lourd, les ministères peuvent produire des études d’impact allégées qui sont soumises à une procédure de contrôle accélérée. Cette procédure est notamment utilisée pour les mesures de simplification approuvées dans le cadre du programme de réduction du stock normatif (« Red Tape Challenge ») et pour toute mesure dont l’incidence financière est inférieure à 1 million de livres sterling (soit environ 1,2 million d’euros).

Ils la transmettent ensuite au « RPC », avant de procéder aux éventuelles consultations obligatoires ou facultatives.

Une fois que l’étude d’impact lui est transmise, le « RPC » dispose d’un délai allant de 10 jours (en cas de procédure accélérée) à 30 jours (en cas de procédure classique) pour analyser l’étude d’impact. En moyenne, le « RPC » examine les études d’impact dans un délai de 20 jours ouvrables.

Lors de cet examen, le « RPC » s’attache à vérifier que le Gouvernement a envisagé toutes les options possibles, en particulier celles qui sont non normatives (« soft law » : recommandations, référentiels, guides de bonnes pratiques, etc.) et pour réaliser des estimations chiffrées fiables des coûts et des avantages attendus du projet de texte. Le « RPC » contrôle notamment le respect du principe « one-in, two-out » (79) et de la prohibition des surtranspositions des directives européennes qui n’iraient pas dans un sens favorable aux entreprises britanniques.

L’examen de l’étude d’impact est effectué par deux fonctionnaires (dont au moins un économiste) sans recours à des consultants extérieurs. Ils travaillent uniquement sur la base des documents transmis par le Gouvernement et examinent leur conformité au regard des exigences méthodologiques relatives aux études d’impact telles que définies dans le référentiel établi par le « BRE » et appelé « Better regulation framework manual » (80).

Ces deux fonctionnaires transmettent leur proposition d’avis au membre du comité chargé du dossier, lequel se forge sa propre opinion et transmet sa proposition d’avis à l’ensemble des membres du comité.

Le « RPC » émet un avis classé par couleur :

– vert si l’étude d’impact est en tous points satisfaisante ou si elle ne comporte que des lacunes mineures ;

– orange si elle doit être complétée et/ou modifiée ;

– rouge si elle est très insuffisante et doit être intégralement refaite.

Si le projet de texte ne satisfait pas la règle du « one-in, two-out », l’avis du « RPC » est automatiquement négatif.

Cet avis est transmis aux ministères porteurs des projets de texte et auteurs des études d’impact. En cas d’avis orange, ils peuvent décider de modifier ou compléter l’étude d’impact jusqu’à ce que le « RPC » donne un avis vert (plusieurs navettes peuvent ainsi avoir lieu). En cas d’avis rouge, ils peuvent décider de refaire intégralement l’étude d’impact, ou de renoncer à leur projet de texte ou de passer outre.

Le « RPC » n’a pas de droit de veto : le Gouvernement peut faire le choix politique de passer outre un avis négatif, mais dans cette hypothèse, l’avis négatif du « RPC » est publié (non seulement le sens de l’avis, mais aussi l’ensemble des motifs) et le Gouvernement doit assumer les conséquences politiques et médiatiques de son choix. En pratique, tout ministre renonce à présenter un projet de texte qui n’aurait pas recueilli un « feu vert » du « RPC ».

Récemment, dans le cadre d’un projet de loi visant à mettre en place un nouveau régime de retraites, le Gouvernement britannique a procédé à des consultations sans avoir préalablement recueilli l’avis du « RPC » sur l’étude d’impact. Dès lors que les partenaires sociaux avaient reçu la consultation, il était trop tard pour saisir le « RPC ». Ce dernier a donc émis un avis « rouge » (négatif) qui a été publié en intégralité dans la une du Financial Times (81), ce qui a plongé le Gouvernement dans l’embarras pendant plusieurs semaines. Le ministre porteur du projet de loi a alors demandé à rencontrer le Président du « RPC » devant qui il a reconnu qu’il n’aurait pas dû valider l’étude d’impact assortissant le projet de loi. Le ministre a alors demandé au « RPC » de lui transmettre ses recommandations pour que le projet de loi envisagé satisfasse aux exigences du comité.

En 2012, le « RPC » a examiné 654 études d’impact (contre 579 en 2011). 81 % de ces analyses ont été jugées conformes aux exigences méthodologiques. Le plus souvent, les reproches adressés aux ministères par le « RPC » portent sur le manque de clarté des bases de calcul, l’absence d’explication complète sur la façon dont le coût net annuel de la mesure envisagée pour les entreprises a été estimé, l’absence de prise en compte des coûts de familiarisation avec la nouvelle mesure et de mise en œuvre de dispositifs transitoires, ou encore l’insuffisance de l’évaluation de l’impact pour les petites et très petites entreprises.

En juin 2013, le ministre chargé de l’Économie, de l’innovation et des compétences a annoncé la création, au sein des études d’impact, d’un indicateur spécifique pour les petites et très petites entreprises (« Small and Micro Business Assessment » - SaMBA). Dans ce cadre, le « RPC » est chargé de s’assurer que toutes les solutions ont été envisagées pour atténuer tout impact disproportionné d’un projet de texte sur les petites et très petites entreprises. Le principe est que les petites et très petites entreprises sont exemptées des nouvelles réglementations. L’exception est qu’elles peuvent être concernées par la nouvelle réglementation mais qu’elles bénéficient alors d’adaptations et de délais plus longs pour l’appliquer à moindre coût. Ce dispositif n’a toutefois pas encore été mis en œuvre.

En juillet 2013, le ministre chargé de l’Économie, de l’innovation et des compétences a annoncé que même les producteurs de normes qui n’interviennent pas dans le domaine économique (les « régulateurs non-économiques »), parmi lesquels certaines autorités administratives indépendantes, allaient devoir produire une étude de l’impact que leurs nouvelles réglementations ou les modifications de leurs réglementations existantes peuvent avoir indirectement sur les entreprises. Ces régulateurs « non-économiques » sont tenus de communiquer leur étude d’impact aux entreprises concernées, de se concerter avec elles et, si possible, parvenir à un accord avec elles avant la modification de la réglementation. Si les entreprises susceptibles d’être affectées par la nouvelle réglementation considèrent que l’étude d’impact réalisée par le régulateur « non-économique » est substantiellement erronée, et qu’elles ne peuvent donc parvenir à un accord avec ledit régulateur, alors elles peuvent saisir le « RPC » pour qu’il contrôle l’étude d’impact élaborée par le régulateur et formule un avis en toute indépendance. Ce dispositif n’a toutefois pas encore été mis en œuvre.

Le « RPC » a établi un classement des ministères selon la qualité des études d’impact qu’ils lui transmettent, ce qui permet de faire pression sur les administrations centrales et de les mobiliser (82). Le constat est que ce sont toujours les mêmes ministères qui produisent les meilleures études d’impact et que la qualité d’une étude d’impact est d’autant plus grande que les ministères travaillent en étroite association avec les entreprises.

Une fois retournée aux ministères avec l’avis du « RPC », l’étude d’impact est transmise au comité gouvernemental chargé de la réduction de la réglementation (« Reducing Regulation ministerial Committee » - RRC). Ce comité est composé d’une dizaine de membres du Gouvernement, ministres (de l’Économie notamment) et secrétaires d’État. Il a été créé en 2008 pour piloter le programme de réglementation du gouvernement. Toutes les mesures qui impliquent la création ou la suppression d’une norme lui sont soumises pour autorisation. Ce comité prend, dans un délai moyen de six jours, la décision politique d’adopter ou non le projet de texte, en s’appuyant sur l’avis du « RPC » et sur l’expertise du « BRE ».

Le rôle du « RPC » dans le processus britannique d’adoption des projets de textes


Selon M. Oliver Letwin, secrétaire d’État auprès du Premier ministre britannique, chargé de la politique réglementaire, l’évaluation indépendante des études d’impact par un comité composé de représentants de la société civile a été l’un des facteurs décisifs du profond changement de culture normative qui s’est opéré au Royaume-Uni.

Ce constat est partagé par le ministre d’État allemand chargé de la simplification, M. Helge Braun, que la mission a pu entendre et pour lequel le contrôle de l’évaluation des réformes par une institution indépendante a permis en Allemagne de vaincre les éventuelles résistances des ministères en matière de simplification et d’évaluation ex ante de l’impact des normes.

b. Le conseil allemand de contrôle des normes

i. Création et composition

Le conseil national de contrôle des normes (« Normenkontrollrat » - NKR) a été créé en 2006, à l’initiative du Parlement allemand, pour évaluer de façon totalement indépendante la qualité des études d’impact élaborées par les services des ministères porteurs de projets de textes législatifs et réglementaires.

Bénéficiant d’un financement annuel de 470 000 € et établi à Berlin, il est composé de dix membres bénévoles nommés pour cinq ans par la Chancellerie, sur proposition de la Présidence de la République.

Ses membres sont issus de la société civile et choisis de façon à représenter le monde de l’entreprise, le monde associatif ou encore le monde universitaire. Actuellement, le « NKR » compte entre autres un élu local, un professeur d’économie, une avocate spécialiste du droit de l’environnement et un fonctionnaire ayant des fonctions comparables à celles du préfet de région.

L’indépendance des membres du « NKR » tient :

– à leur profil (ils ne peuvent appartenir ni au Gouvernement, ni au Parlement) ;

– à la durée de leur mandat (5 ans, soit un an de plus que la durée du mandat des parlementaires et des ministres, qui est de 4 ans) ;

– au choix fait de promouvoir le pluralisme en son sein avec la désignation d’un président et d’un vice-président de sensibilité politiques différentes (qui sont respectivement M. Johannes Ludewig, ancien président de la société nationale des chemins de fer allemands, est plutôt proche des « démocrates-chrétiens », tandis que M. Wolf-Michael Catenhausen est un ancien député et un ancien ministre social-démocrate).

Chaque membre du « NKR » suit un ou deux ministères et donne son avis sur les textes élaborés par ceux-ci. Les avis sont pris à la majorité, généralement lors de réunions hebdomadaires.

Ce comité s’appuie sur un secrétariat de quinze fonctionnaires, dont deux secrétaires administratifs et treize experts qui se spécialisent chacun dans un secteur. Ces experts sont des fonctionnaires détachés de différents ministères pour une période de 3 à 4 ans et ayant surtout un profil de juriste ou d’économiste.

ii. Rôle du « NKR » dans le processus allemand d’élaboration des études d’impact

Le « NKR » examine, en dehors de toute considération partisane, la qualité des études d’impact élaborées par les services des ministères fédéraux porteurs de projets de textes. Son travail vise à permettre au décideur (Parlement ou Gouvernement) de connaître les implications des décisions qu’il est amené à prendre de façon à ce qu’ils les prennent en connaissance de cause et qu’il en assume ensuite toutes les conséquences.

Avec l’appui méthodologique de bureau de la Chancellerie fédérale chargé de la simplification ou « Better Regulation Unit » (BRU) (83), les ministères fédéraux élaborent une étude d’impact dont ils soumettent le projet au « NKR » avant sa finalisation. S’il s’agit d’un projet de loi, le « NKR » exige que lui soient transmis non seulement le projet d’étude d’impact, mais aussi les éventuels projets de décrets d’application. S’il s’agit d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances, le « NKR » exige que lui soient fournis non seulement le projet d’étude d’impact, mais aussi les projets d’ordonnances.

Une fois que le projet d’étude d’impact lui est transmis, le « NKR » procède à son examen en étroite collaboration avec les ministères fédéraux. Ce contrôle externe et indépendant se concentre sur :

– le respect des 37 indicateurs qui doivent être obligatoirement renseignés dans une étude d’impact en vertu d’un règlement fédéral ;

– la sincérité de l’évaluation des coûts susceptibles de résulter du projet de texte ;

– l’étude des différentes options envisageables – le « NKR » se réservant le droit d’imposer aux ministères fédéraux de présenter des solutions alternatives au recours à la loi ou au règlement pour atteindre les objectifs poursuivis.

Pour s’assurer de la fiabilité des estimations des coûts des normes envisagées qui lui sont soumises par les ministères, le « NKR » s’est vu reconnaître par la loi le droit de solliciter le bureau fédéral des statistiques (« Destatis »). Ce bureau, équivalent allemand de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), est un organisme public qui est reconnu par tous pour son sérieux et son impartialité et qui est tenu par la loi d’assister en toute neutralité le Gouvernement fédéral, le Parlement et le « NKR » dans leur travail d’évaluation, en leur fournissant les données chiffrées nécessaires (84).

Au sein du bureau fédéral des statistiques, une équipe d’une centaine de personnes se consacre à plein temps à l’évaluation chiffrée de l’impact des projets de textes dont elle fait chaque année un rapport au Parlement. Depuis 2006, le bureau fédéral des statistiques dispose d’une base de données qui réunit l’ensemble des informations sur l’impact des projets de réglementation. Et depuis 2011, cette base de données comprend également de manière plus précise et détaillée les coûts des charges administratives pour les particuliers et les entreprises. Cette base est publique et permet une recherche par type d’usager, par obligation et par secteur. Plus de 10 000 charges administratives sont ainsi mesurées dans les bases de données de ce bureau. Elles ont été identifiées grâce à des enquêtes conduites auprès des usagers et des entreprises.

Initialement, le « NKR » n’examinait que les charges administratives résultant d’obligations d’information créées par des projets de loi. Il s’appuyait à cette fin sur le modèle des « coûts standards » (« standard cost model »). Depuis 2010, le « NKR » évalue tous les coûts de tous les projets de textes législatifs ou réglementaires émanant des ministères fédéraux, et pas seulement les coûts liés à la création d’obligations d’information, en opérant une distinction entre les coûts pour les entreprises, pour les citoyens et pour les administrations, ainsi qu’une distinction entre les coûts de mise en conformité et les coûts de fonctionnement (85).

Concrètement, le « NKR » vérifie si les évaluations chiffrées des ministères fédéraux respectent les règles méthodologiques et techniques définies par le bureau fédéral des statistiques.

Le « NKR » participe à un travail de préparation des textes qui est plus confidentiel et plus interne à l’administration que ne l’est le travail du « Regulatory Policy Committee » (RPC) au Royaume-Uni.

En effet, le « NKR » rend un avis final au terme de sa concertation avec les ministères fédéraux sans procéder à la moindre consultation publique. Le « NKR » ne fait pas de commentaires publics sur le projet d’étude d’impact et de texte : les suggestions d’amélioration qu’il fait aux services des ministères fédéraux avant de rendre un avis définitif sont totalement confidentielles. La consultation publique des parties prenantes (notamment des fédérations d’employeurs et de salariés qui doivent obligatoirement être consultées sur certains textes) n’intervient qu’en aval de la saisine du « NKR ».

Depuis 2007, il est en effet presque toujours demandé aux fédérations d’employeurs et de salariés de prendre position sur les évaluations chiffrées des réformes : si elles n’émettent pas d’avis à ce stade, le Gouvernement estime qu’elles n’ont pas à formuler de griefs ensuite.

La seule hypothèse dans laquelle le travail du « NKR » acquiert une certaine publicité est celle où l’estimation du coût d’un projet de texte faite par les ministères fédéraux diffère significativement de celle faite par les parties prenantes (notamment les fédérations patronales). Dans ce cas, le « NKR » procède à une évaluation. À cet égard, les représentants de fédérations patronales allemandes que la mission a pu rencontrer ont indiqué qu’ils entretenaient de bonnes relations avec le « NKR » qui prend en compte les remarques et propositions des entreprises.

Le « NKR » n’a pas de droit de veto : un ministère peut faire le choix politique de passer outre un avis négatif du « NKR », mais dans la mesure où l’avis négatif du « NKR » est publié, le ministre concerné doit alors assumer les conséquences politiques et médiatiques de son choix et justifier sa position. La Chancellerie fédérale exige d’ailleurs que le ministre dont le projet a reçu un avis négatif fasse une réponse écrite au « NKR ».

Une fois retourné aux ministères avec l’avis final du « NKR », qui est rendu dans un délai moyen de trois semaines (et parfois sous 15 jours), le projet d’étude d’impact est finalisé et transmis au Gouvernement qui, au vu de ce projet, de l’avis du « NKR » et, le cas échéant, de la réponse du ministère concerné au « NKR », fait le choix politique de mettre en œuvre ou non la mesure envisagée.

Il faut toutefois noter que l’actuelle Chancelière, Mme Angela Merkel, a décidé que, sous son Gouvernement, tout projet de loi qui aurait reçu un avis négatif du « NKR » ne serait pas présenté au Parlement.

L’avis du « NKR » n’est publié que lorsque le projet de texte est adopté par le Conseil des ministres et, s’il s’agit d’un projet de loi, il est alors joint au texte et à l’étude d’impact adressés au Parlement. Afin de faciliter la lecture aux parlementaires et au public, l’étude d’impact comme l’avis du « NKR » sont synthétisés de façon à ne pas dépasser une à deux pages.

Depuis 2010, si elles ont des doutes sur une évaluation, les commissions saisies d’un projet de loi peuvent convoquer les membres du « NKR » pour qu’ils s’expriment devant elles et explicitent leur avis qui, sous la précédente législature, a toujours été suivi.

Lors de son entretien avec la mission, le chef du « BRU » M. Stephan Naundorf, a souligné que les parlementaires allemands examinaient de près les études d’impact et les évaluations chiffrées qu’elles contiennent. Il a cité l’exemple récent d’un projet de loi sur la transparence du prix de l’essence au sujet duquel le ministre de l’Économie avait voulu passer outre l’avis négatif du « NKR » (86). Ce dernier avait estimé à environ 95 millions d’euros le coût du projet de loi (80 millions d’euros à la charge des stations-service qui allaient se voir imposer de nouvelles obligations d’information et 15 millions d’euros pour la mise en place du dispositif de transparence lui-même). Ces données chiffrées avaient été publiées sur un site Internet ouvert à tous. Sceptique face au bilan coûts/avantages, le Parlement a émis des réserves qui ont conduit le ministre de l’Économie à renoncer à son projet de loi. D’après M. Stephan Naundorf, depuis la création du « NKR », la « ligne de conflits potentiels » s’est déplacée et oppose moins les partis politiques entre eux (sociaux-démocrates et conservateurs) que le Parlement et le Gouvernement.

Les représentants du « NKR » ont toutefois précisé que leur audition par les commissions parlementaires était rare : d’une part, parce que, selon son président, M. Johannes Ludewig, seule la moitié des projets de lois en moyenne crée des charges administratives, et seule une partie de ceux-ci engendre des coûts conséquents, et, d’autre part, parce que le fait majoritaire dissuade ces commissions de remettre en cause les estimations fournies par le Gouvernement qu’elles soutiennent en majorité.

En moyenne, près de 350 avis sont formulés chaque année et transmis au Parlement. Le « NKR » estime que 95 % des coûts d’impact des projets de texte sont désormais connus avant la prise de décision.

Le rôle du « NKR » dans le processus allemand d’adoption des projets de textes


Les quatre facteurs du changement de culture normative

au Royaume-Uni et en Allemagne

1° L’évaluation indépendante des études d’impact par un comité composé de représentants de la société civile ;

2° Le développement d’une expertise technique poussée au sein d’un pôle de contrexpertise ;

3° La définition d’une méthodologie claire et partagée pour l’évaluation de l’impact ;

4° Un pilotage gouvernemental resserré et fondé sur une importante coordination interministérielle.

Méthodologie de l’évaluation de l’impact et, depuis la nomination auprès du Premier ministre d’un secrétaire d’État chargé de la simplification : notre pays dispose déjà de deux des quatre facteurs du changement de culture normative constaté au Royaume-Uni et en Allemagne. Il ne lui reste plus qu’à se doter d’un mécanisme d’évaluation indépendante des études d’impact par un conseil composé de représentants de la société civile appuyés par un pôle de contrexpertise technique.

C. PISTES POUR UN NOUVEAU CADRE INSTITUTIONNEL D’ÉLABORATION DES ÉTUDES D’IMPACT MIEUX À MÊME DE GARANTIR LEUR QUALITÉ

Suivant les modèles britannique et allemand, ainsi que les recommandations de bon nombre des personnes qu’elle a entendues, la mission n’entend pas remettre en cause le principe selon lequel l’élaboration des études d’impact doit être confiée aux ministères porteurs des projets de textes législatifs ou réglementaires. Comme l’a indiqué devant la mission M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification, l’évaluation ex ante de l’impact des normes relève « d’une démarche, d’un questionnement qui doit accompagner le processus du début – en se demandant si la rédaction du texte est opportune – jusqu’à la fin ; elle est intimement liée au processus de concertation et de consultation préalable », or « seul le ministère porteur du texte peut conduire les processus en parallèle et les faire interagir ».

En revanche, comme l’a fait remarquer M. Rémi Bouchez, « il est vrai qu’il peut manquer, notamment pour les textes à fort enjeu, un mécanisme de validation extérieure. Le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d’État exercent un contrôle, mais ils n’ont pas la capacité de procéder à une contrexpertise : il s’agit surtout pour eux de s’assurer que toutes les rubriques de l’étude d’impact ont été renseignées ».

C’est la raison pour laquelle, dans un souci de transparence de la décision publique, la mission préconise la création d’une autorité administrative indépendante qui serait chargée de contrexpertiser les études d’impact assortissant tout texte législatif ou réglementaire, qu’il concerne ou non les entreprises.

Le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, a estimé, lors de son audition, qu’« en amont de la délibération du Conseil d’État, la présence d’une capacité d’expertise en ce domaine, par exemple auprès du secrétariat général du Gouvernement, serait néanmoins très utile : elle pourrait associer des personnes issues du secteur public, de la société civile et du secteur privé ; la délibération du Conseil d’État s’en trouverait enrichie ». M. Jean-Marc Sauvé a cependant émis des réticences quant à l’idée de créer une nouvelle autorité dédiée à cette mission.

Toutefois, convaincue de l’intérêt qu’il y aurait à associer l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) à ce pôle de contrexpertise, sur le modèle allemand, la mission a convenu avec le directeur général de l’INSEE, M. Jean-Luc Tavernier, que l’indépendance de ce pôle de contre-évaluation était une condition de la participation des experts de l’INSEE à ses travaux et que cette indépendance devait être inscrite dans la loi.

En effet, comme l’a rappelé M. Jean-Luc Tavernier lors de son audition, « l’INSEE est une administration centrale comme une autre : elle n’est pas indépendante en droit – bien qu’elle le soit en pratique », de sorte que, pour associer ses experts à un organisme chargé de l’évaluation de la qualité des études d’impact produites par les ministères, « il faudrait concevoir un système de gouvernance qui lui garantisse une indépendance relative », de la même façon qu’en Allemagne, Destatis « travaille sous le contrôle d’une autorité administrative, le NKR, dont l’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif est garantie par la loi. Suivant cet exemple, l’indépendance de l’administration française chargée de cette mission pourrait procéder de l’indépendance de l’autorité administrative sous l’autorité de laquelle elle agirait ».

C’est la raison pour laquelle la mission préconise de conférer un ancrage législatif, voire organique, à une autorité indépendante qui, composée de représentants de la société civile, serait chargée d’évaluer la qualité des études d’impact en s’appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux.

Sur les modèles britannique et allemand, la contrexpertise menée par l’autorité indépendante sera consignée dans un avis qui sera rendu public lors de la présentation en conseil des ministres des projets de loi et qui accordera une importance toute particulière à l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée (87).

La mission n’entendant pas faire échapper ses propositions à l’exigence d’évaluation dont elle loue les vertus, elle propose de soumettre ce dispositif de contre-évaluation et de validation des études d’impact à une évaluation, au terme d’un délai de deux ans à compter de sa mise en œuvre.

Proposition n° 2 – Contrexpertiser les études d’impact

Confier l’évaluation de la qualité des études d’impact à un organisme indépendant :

– composé de représentants de la société civile ;

– chargé, en s’appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux, de rendre un avis public prenant notamment en compte l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée ;

– l’avis sur les études d’impact assortissant les projets de loi étant rendu public lors de la présentation de ces derniers en conseil des ministres.

Prévoir une évaluation de ce dispositif de validation des études d’impact dans un délai de deux ans à compter de sa mise en œuvre.

Votre rapporteur souligne que, comme l’ont montré les exemples belge et allemand, la condition de l’objectivité du regard qui est attendue de l’organisme de contrexpertise réside dans une indépendance statutaire garantie par la loi.

1. Conférer à l’autorité de contrexpertise un ancrage organique et législatif, sur les modèles belge et allemand

Lors du déplacement de la mission à Bruxelles, le 16 janvier 2014, M. Erwin Depue, directeur général de l’Agence pour la simplification administrative (ASA), a souligné que l’une des principales forces de cette agence consistait dans son ancrage législatif, qui lui reconnaît un droit de proposer des modifications législatives et réglementaires et qui lui assure une certaine stabilité dans le temps.

L’Agence belge pour la simplification administrative a en effet été créée par une loi-programme pour la promotion de l’entreprise indépendante du 10 février 1998 qui l’a rattachée au Premier ministre pour lui permettre d’avoir une compétence interministérielle.

Cette loi-programme qui fixe les missions et les pouvoirs de l’ASA (article 41) a été complétée par un arrêté royal du 23 décembre 1998 qui définit la composition de son comité d’orientation (16 membres), son fonctionnement ainsi que la composition de son secrétariat (14 fonctionnaires). Cet arrêté royal précise explicitement que les fonctionnaires du secrétariat de l’ASA exercent leurs missions en toute indépendance par rapport à leur département ou service d’origine.

De la même façon, en Allemagne, la loi du 14 août 2006 qui a créé le conseil national de contrôle des normes (« NKR ») prévoit dès le premier alinéa de son article 1er que ce conseil travaille en toute indépendance. Cette loi définit par ailleurs les missions du « NKR » (article 1er), sa composition et son organisation (article 3), ses pouvoirs (articles 4 et 5) et ses devoirs (article 6).

S’agissant de la composition du « NKR », la loi du 14 août 2006 dispose expressément que, durant la durée de leur mandat, les membres du « NKR » ne peuvent exercer un mandat législatif ni être employés par une autorité publique fédérale ou fédérée ni même se trouver en relation de subordination ou d’affaires avec les assemblées parlementaires ou les autorités publiques précitées (article 3, alinéa 3). La loi du 14 août 2006 ajoute que les membres du secrétariat du « NKR » ne reçoivent d’instructions que des membres du « NKR » et ne peuvent, durant leur affectation auprès de ce dernier, se voir confier, à temps complet ou même partiel, des missions ayant un lien direct ou indirect avec l’administration de l’État fédéral ou des États fédérés.

Les exigences d’indépendance qui doivent présider à la composition, au fonctionnement et à l’accomplissement des missions de l’autorité indépendante chargée de contrexpertiser les études d’impact, impliquent que cette autorité soit créée par la loi.

Qui plus est, dans la mesure où cette autorité indépendante serait appelée à jouer un rôle décisif dans le processus d’élaboration des études d’impact qui est régi par la loi organique du 15 avril 2009, sa création requerrait aussi (et à tout le moins) une modification de cette loi organique.

2. Clarifier en conséquence la répartition des tâches entre l’autorité de contrexpertise, d’une part, et, d’autre part, le conseil de la simplification pour les entreprises et le conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales

Interpellée par les réserves exprimées par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État (88), et par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour de comptes (89), la mission s’est beaucoup interrogée sur l’opportunité qu’il y aurait à créer une nouvelle autorité chargée de l’évaluation alors qu’existent déjà le conseil de la simplification pour les entreprises ou encore le conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales.

Conseil de la simplification pour les entreprises

Dès le 23 octobre 2013, le Président de la République a confié à M. Guillaume Poitrinal, chef d’entreprise, et à M. Thierry Mandon, alors député, le soin de dresser régulièrement un bilan public de la mise en œuvre des mesures de simplification au profit des entreprises.

Par le décret n° 2014 11 du 8 janvier 2014, le Premier ministre a institué auprès de lui, pour une durée de trois ans, un Conseil de la simplification pour les entreprises dont la présidence a été confiée conjointement à MM. Guillaume Poitrinal et Thierry Mandon, auquel M. Laurent Grandguillaume, député, a désormais succédé.

Composé d’élus, d’experts et de personnalités indépendantes issues des entreprises et des administrations, tous désignés par arrêté du Premier ministre (90), ce conseil est chargé « de proposer au Gouvernement les orientations stratégiques de la politique de simplification à l’égard des entreprises, et notamment :

– d’assurer le dialogue avec le monde économique et de contribuer à la participation des entreprises à la conception et à la mise en œuvre des mesures de simplification ;

– de proposer au Gouvernement des axes prioritaires de simplification et de le conseiller sur toute solution innovante ou mesure nouvelle de nature législative, réglementaire ou administrative qui lui paraîtrait devoir être retenue ;

– de suivre les réalisations du programme de simplification pour les entreprises et l’évaluation de ses résultats ;

– de contribuer à faire connaître les résultats obtenus auprès des entreprises, des organisations professionnelles et du grand public » (91).

S’appuyant sur les services du Premier ministre, ce conseil a mis en place une méthode innovante centrant la conception et la mise en œuvre des mesures de simplification sur les besoins des entreprises identifiés non seulement par les administrations mais aussi et surtout par les acteurs économiques eux-mêmes.

Pour construire les mesures de simplification avec les entrepreneurs, un site participatif a été créé : « faire-simple.gouv.fr » (92). Simple d’utilisation, ce site permet en trois « clics » de déposer des propositions de simplification destinées à enrichir les programmes engagés par le Gouvernement ou d’en soutenir d’autres. Des campagnes de consultation sont régulièrement organisées.

Parallèlement, des groupes de travail ont été constitués avec les parties prenantes (entreprises, élus, organisations professionnelles et consulaires, experts, administrations centrales et déconcentrées…) pour expertiser les propositions formulées sur le site « faire-simple.gouv.fr » ainsi que les recommandations faites par les entreprises.

Au bout de trois mois de travail dans le cadre d’ateliers collaboratifs associant entreprises et administrations et structurés autour des moments clés de la vie d’une entreprise, le Conseil de la simplification pour les entreprises a publié, le 14 avril dernier, une première série de 50 propositions, validées par le Président de la République, applicables soit immédiatement soit, pour la plupart, au 31 décembre 2014 (93) et reprises, pour la quasi-totalité d’entre elles qui ont une nature législative, dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 22 juillet dernier.

Après réflexion, la mission préconise de confier la contrexpertise des études d’impact et de leur méthodologie à une autorité administrative indépendante qui serait chargée de se concentrer sur la rationalisation du « flux » normatif, et dont les travaux d’évaluation, à vocation générale, s’articuleraient avec l’expertise sectorielle du conseil de la simplification pour les entreprises et du conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales.

La création d’une autorité indépendante spécifiquement dédiée à la contre-évaluation des études d’impact et au traitement du « flux » normatif est, du reste, la solution retenue par les cinq pays européens qui se sont dotés d’organismes consultatifs pour contrôler la qualité des études d’impact.

La création de cette autorité indépendante ne complexifierait pas notre dispositif institutionnel dès lors qu’aura été clairement établi un partage des tâches entre elle et les organismes existants.

Quoique devant bien sûr être dotée des ressources nécessaires en termes de personnel et de moyens techniques et financiers de contrexpertise, cette autorité administrative indépendante ne constituera pas pour autant une structure lourde, car, conçue sur le modèle britannique du « RPC » et sur le modèle allemand du « NKR », elle ne comptera qu’une dizaine de représentants de la société civile – qui, comme en Allemagne, pourront être des bénévoles –, épaulés par une quinzaine d’experts. Ceux de ces experts qui appartiennent au secteur public (statisticiens de l’INSEE, universitaires, membres des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux) pourront être affectés auprès de l’autorité administrative indépendante dans le cadre de mobilités qui impliqueront pour l’État un redéploiement de ses capacités d’expertise aujourd’hui éparpillées sans coût supplémentaire.

Conçue pour être une structure légère, cette autorité administrative indépendante pourra être réactive et rendre ses avis rapidement, sous 7 à 21 jours, sur le modèle du « RPC » britannique et du « NKR » allemand.


Le rôle de la future autorité de contrexpertise dans le processus d’adoption des projets de textes


II. RENDRE L’ÉVALUATION EX ANTE DE LA NORME PLUS SYSTÉMATIQUE

Si, comme cela a été rappelé plus haut, de nombreux textes législatifs et réglementaires sont désormais soumis à la réalisation d’une étude d’impact préalable, il n’en demeure pas moins qu’une partie non négligeable des textes que nous votons ou ratifions en est encore dispensée. C’est notamment le cas des propositions de loi ainsi que des ordonnances qui ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales.

A. LE CARACTÈRE FACULTATIF DES ÉTUDES D’IMPACT POUR LES PROPOSITIONS DE LOI ET POUR LES ORDONNANCES

L’article 39, alinéa 3, de la Constitution ne soumet aux conditions fixées par la loi organique du 15 avril 2009 relative aux études d’impact que la présentation des projets de loi. Aussi bien la Constitution que la loi organique du 15 avril 2009 exemptent les propositions de loi de toute étude d’impact préalable.

Par ailleurs, si l’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 impose une étude d’impact allégée pour les projets de loi d’habilitation à prendre des mesures législatives par voie d’ordonnances, les ordonnances elles-mêmes, dans la mesure où elles revêtent jusqu’à leur ratification un caractère réglementaire, sont dispensées de toute étude d’impact préalable, sauf si elles concernent les entreprises ou les collectivités territoriales. Dans cette hypothèse, elles relèvent en effet des projets d’actes réglementaires pour lesquels la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 exige la production d’une fiche d’impact.

1. La réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi n’est pas une obligation…

Si, dans le silence de l’article 39 de la Constitution et de la loi organique du 15 avril 2009, la réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi n’est qu’une faculté, votre rapporteur rappelle que, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les propositions de loi peuvent être soumises pour avis au Conseil d’État. Or cette consultation paraît de nature à enrichir l’évaluation ex ante de l’impact des propositions de loi, sans toutefois se substituer à une étude d’impact en bonne et due forme.

a. Les propositions de loi n’ont pas à être assorties d’études d’impact mais peuvent être soumises, pour avis, au Conseil d’État.

Le dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution dispose que « le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ».

Comme l’a rappelé lors de son audition le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, cette faculté de saisine du Conseil d’État n’est pas totalement nouvelle : « sous la IIIe République, le Parlement pouvait saisir le Conseil d’État de demandes d’avis sur les textes d’origine parlementaire ; mais il ne l’a fait qu’une seule fois en soixante-cinq ans ».

Restaurée en 2008, cette faculté de saisine du Conseil d’État pour avis fait depuis lors l’objet d’une utilisation croissante puisque :

– le président de l’Assemblée nationale y a recouru pour 11 propositions de loi dont 9 ont été examinées par notre Assemblée (7 sous la précédente législature et 2 sous l’actuelle législature) ;

– le Président du Sénat en a fait usage pour 6 propositions de loi dont une seule a été examinée par la Haute assemblée.

De l’avis de M. Jean-Marc Sauvé, « c’est peu au regard de l’initiative parlementaire, mais significatif au regard des sujets concernés ; aussi considérons-nous ce début comme intéressant. On pourrait développer cette consultation, sans doute, mais le constituant a fait preuve de sagesse en la soumettant à un accord entre le président de l’assemblée parlementaire concernée et l’auteur de la proposition de loi ».

En application du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, la transmission d’une proposition de loi au Conseil d’État requiert en effet l’accord de son auteur. Au sein de notre Assemblée, la pratique, depuis la précédente législature, a été de réserver cette transmission aux propositions de loi dont le contenu est stabilisé et qui ont vocation à être inscrites à l’ordre du jour, dans un délai qui ne peut être inférieur à deux mois, de façon à laisser au Conseil d’État un temps d’examen raisonnable.

Seuls l’auteur de la proposition de loi et le président de l’assemblée concernée sont destinataires de l’avis du Conseil d’État, auquel le premier peut accorder la publicité qu’il souhaite. Toutefois, comme l’a expliqué devant la mission notre collègue Jean-Luc Warsmann, ancien président de la commission des Lois et auteur de quatre lois de simplification du droit, dont deux avaient été transmises pour avis au Conseil d’État, l’usage au sein de notre Assemblée veut que l’auteur de la proposition de loi publie les extraits de l’avis du Conseil d’État sur les seules dispositions de son texte qu’il entend maintenir ; libre à lui de ne pas publier les extraits de cet avis sur les dispositions dont il propose lui-même la suppression.

Ce dernier a d’ailleurs souligné l’intérêt de cette procédure de consultation du Conseil d’État sur les propositions de loi, déclarant n’en penser « que du bien ». Selon lui, elle constitue « un grand progrès », dans la mesure où elle « a permis de mettre à égalité le Parlement et le Gouvernement » et a offert aux parlementaires la possibilité de « s’adresser aux conseillers d’État pour plaider leur cause », pour, le cas échéant, faire évoluer leur avis.

De son côté, la Haute juridiction a expliqué que « les modalités pratiques d’examen de ces propositions de loi témoignent, dans un cadre désormais bien établi, de la qualité des relations entre les deux assemblées parlementaires et le Conseil d’État » (94).

b. Un exemple de proposition de loi adoptée à la suite d’une évaluation

Tout en soulignant que la saisine du Conseil d’État pour avis sur des propositions de loi appelées à être adoptées et promulguées contribue indéniablement à l’amélioration de la qualité de ces textes, dans la mesure où elle favorise une large confrontation de points de vue et d’expertises sur des subtilités rédactionnelles qui sont d’une grande technicité et qui peuvent avoir une importance considérable, votre rapporteur remarque que cette saisine n’est nullement exclusive d’autres bonnes pratiques en matière d’évaluation préalable.

À cet égard, votre rapporteur tient à citer l’exemple de la proposition de loi de MM. Christian Eckert, Bruno Le Roux et plusieurs de leurs collègues relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, devenue la loi n° 2014-617 du 13 juin 2014.

Cette loi a été le fruit d’un travail de réflexion, particulièrement approfondi, et long de plus d’un an, auquel ont participé la Cour des comptes, le Conseil d’État et les services administratifs en charge de ces questions et auquel les organismes représentatifs des différentes parties prenantes ont également apporté une contribution essentielle.

Un exemple de bonnes pratiques en matière
d’évaluation ex ante de l’impact des propositions de loi :
la loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence

(extrait du rapport n° 1765 de M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des Finances, sur la proposition de loi n° 1546 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, pp. 17-18)

« En décembre 2012, la commission des Finances a demandé à la Cour des comptes, sur le fondement du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, une enquête sur la question des avoirs en déshérence.

Le 17 juillet 2013, la Cour des comptes a présenté les conclusions de ce travail devant la commission des Finances en présence des représentants de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) et de la Fédération bancaire française (FBF). Son rapport, qui démontre notamment la nécessité de modifier la loi pour assurer la protection des épargnants, a été publié en annexe au rapport d’information n° 1292 présenté par le rapporteur général M. Christian Eckert, le 19 juillet 2013 au nom de la commission des Finances.

Le rapporteur général a ensuite engagé sans délai une consultation des diverses parties prenantes sur la base d’une première version de la proposition de loi, envoyée à l’ensemble des services et organismes mentionnés en annexe du présent rapport, lesquels ont pu présenter leurs observations par écrit au début du mois de septembre 2013.

Sur la base de cette consultation et en lien étroit avec la Direction générale du Trésor, le rapporteur général a déposé la présente proposition de loi, co-signée par M. Bruno Le Roux et par l’ensemble des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2013.

La proposition de loi tend à instaurer un régime juridique entièrement nouveau applicable aux comptes bancaires inactifs et à compléter en profondeur le régime existant applicable aux contrats d’assurance-vie en déshérence. Le dispositif n’est pas sans incidence sur des droits et libertés constitutionnellement protégés, en particulier la liberté contractuelle, la liberté d’entreprendre et le droit de propriété.

C’est pourquoi le besoin d’une expertise juridique complémentaire s’est fait jour, conduisant le rapporteur général auteur de la proposition de loi à demander au Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, de bien vouloir saisir le Conseil d’État sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution.

Le Conseil d’État, réuni en section des finances le 14 janvier 2014, puis en assemblée générale le 23 janvier 2014, n’a relevé aucune disposition contraire à la Constitution et a suggéré des améliorations de nature à assurer le caractère opérationnel du dispositif et à en parfaire la rédaction.

Le travail d’élaboration de la norme préalablement à l’engagement de l’examen parlementaire du texte aura ainsi duré globalement plus d’un an et aura impliqué l’ensemble des institutions, services administratifs et organismes professionnels susceptibles d’apporter leur pierre à la conception de ce nouveau cadre législatif. »

Cet exemple illustre la faisabilité d’une évaluation ex ante de l’impact d’une proposition de loi, pour peu que l’on s’en donne le temps. De telles évaluations devraient aussi s’imposer pour les ordonnances, dont la majorité est exonérée de toute obligation d’étude d’impact.

2. La réalisation d’une étude d’impact est également une faculté pour la majorité des ordonnances.

Alors que le Parlement s’en remet fréquemment au Gouvernement pour l’adoption de mesures législatives par voie d’ordonnances, aucune obligation n’est faite à l’exécutif d’évaluer ex ante l’impact des ordonnances qu’il soumet à la ratification des assemblées, dès lors que celles-ci n’entrent pas dans le champ d’application de la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales.

a. Si les projets de loi d’habilitation à prendre des mesures législatives par ordonnance doivent être assortis d’une étude d’impact au contenu allégé...

L’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 dispense les études d’impact assortissant les projets de loi d’habilitation d’une partie des rubriques devant être renseignées dans le cas où elles accompagnent des projets de loi ordinaire.

En effet, ce texte prévoit que ces études d’impact peuvent avoir un contenu limité aux « documents visés aux deuxième à septième alinéas et à l’avant-dernier alinéa de l’article 8 » de la même loi organique, c’est-à-dire :

– à l’étude d’options ;

– à la description de l’impact de la réforme sur l’ordre juridique interne et de son articulation avec le droit européen ;

– à l’état d’application du droit sur le territoire national dans les domaines concernés ;

– aux conditions d’application des dispositions envisagées dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, avec, le cas échéant, la justification des adaptations proposées et de l’absence d’application des dispositions à certaines de ces collectivités ;

– le cas échéant, aux suites données par le Gouvernement à l’avis du Conseil économique, social et environnemental.

S’il est vrai que les projets de loi d’habilitation donnent bien lieu à l’élaboration d’études d’impact, force est de constater que leur contenu est très allégé, ce qui apparaît d’autant plus délicat que les ordonnances elles-mêmes sont dispensées de toute évaluation préalable lorsqu’elles ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales.

b. … les ordonnances elles-mêmes ne sont soumises à aucune obligation d’évaluation de leur impact lorsqu’elles ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales.

La mission a été particulièrement sensible aux remarques de M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration du Conseil d’État, qui a mis en exergue l’existence d’un « trou noir » dans le dispositif d’évaluation ex ante de l’impact des normes en vigueur depuis 2008 : sauf à concerner les entreprises et les collectivités territoriales et à être alors assorties de fiches d’impact, les ordonnances sont aujourd’hui dispensées de toute étude d’impact. Comme l’a noté M. Bernard Pêcheur, « c’est là un angle mort qui mériterait d’être couvert » (95).

Dans la mesure où l’étude d’impact jointe au projet de loi d’habilitation n’a pas à comporter de bilan coûts/avantages, ni d’évaluation des incidences sur l’emploi public, ni de listes des textes d’application, et dans la mesure où aucune étude d’impact n’est obligatoire pour le projet de loi de ratification, à moins qu’il ne comporte des dispositions nouvelles, allant au-delà de la rectification d’erreurs matérielles dans le texte de l’ordonnance ou d’ajustements de cohérence juridique, c’est tout le processus d’élaboration de nombreuses normes résultant d’ordonnances qui est aujourd’hui exonéré de toute obligation d’évaluation préalable.

Convaincue, comme M. Nicolas Molfessis, qu’« il n’y a pas de raison que la procédure [d’étude d’impact] ne soit pas similaire quelle que soit l’origine de la disposition législative » (96), la mission propose donc d’étendre aux propositions de loi et aux ordonnances l’obligation d’étude d’impact aujourd’hui circonscrite aux projets de loi et à certains projets d’actes réglementaires.

B. ÉTENDRE AUX PROPOSITIONS DE LOI ET AUX ORDONNANCES L’OBLIGATION D’ÉVALUATION DE L’IMPACT AUJOURD’HUI CANTONNÉE AUX PROJETS DE LOI ET À CERTAINS PROJETS D’ACTES RÉGLEMENTAIRES

Il est apparu, au gré des travaux de la mission, que le constat était largement partagé, selon lequel l’absence d’étude d’impact sur les propositions de loi constituait une lacune majeure. Aussi bien le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, que le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, et que le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, en ont convenu.

La mission propose donc de rendre obligatoire pour les propositions de loi la réalisation d’une étude d’impact.

1. Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi

Rappelant que « l’obligation de produire des études d’impact ne s’impose pas, en l’état actuel du droit constitutionnel, aux propositions de loi », et qu’« à l’évidence, l’absence d’étude d’impact sur les propositions de loi est une lacune », M. Jean-Marc Sauvé a fait valoir auprès de la mission que « l’avis du Conseil d’État, lorsqu’il est saisi d’un texte de cette nature en qualité de conseiller du Parlement, serait d’autant plus éclairé qu’il disposerait d’évaluations préalables ».

Il serait donc utile non seulement aux parlementaires, mais aussi au Conseil d’État lui-même, lorsqu’il est sollicité pour émettre un avis, que les propositions de loi soient assorties d’études d’impact dont on comprend des propos de M. Jean-Marc Sauvé qu’elles auraient vocation à être complémentaires de l’avis de la Haute juridiction.

Le vice-président du Conseil d’État a précisé qu’au vu de ses ressources, le Conseil d’État n’était pas en mesure de réaliser lui-même une étude d’impact sur une proposition de loi – étude dont, au demeurant, la réalisation incombe en principe à l’auteur du texte.

De son côté, tout en convenant de la nécessité de soumettre les propositions de loi à des études d’impact préalables obligatoires, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, a convenu de ce qu’au regard de ses moyens, « il serait plus difficile au Parlement de les produire qu’au Gouvernement » (97).

Il est vrai qu’à moyens humains constants, la production d’études d’impact sur les propositions de loi serait impossible pour les assemblées, comme l’a rappelé notre collègue David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois (98).

Afin de pallier l’insuffisance des moyens du Parlement, le secrétaire général du Gouvernement, M.Serge Lasvignes, lui aussi favorable à la création d’une obligation d’évaluation préalable de l’impact des propositions de loi les plus complexes, a suggéré « que dans le cadre d’un conventionnement avec les administrations de l’exécutif, le Parlement dispose d’un droit d’accès à l’expertise de l’exécutif, avec des garanties suffisantes, notamment lorsqu’il s’agit d’une proposition de loi de l’opposition » (99).

C’est aussi la suggestion de M. Jean-Marc Sauvé qui a indiqué qu’« une fois rappelé le principe de séparation des pouvoirs, donc des services du Parlement et du Gouvernement, il n’est pas interdit d’envisager une coopération qui permettrait au Parlement de solliciter les moyens d’expertise de l’exécutif » (100).

La mission estime qu’il faut explorer la piste d’une coopération au sein d’un pôle d’expertise constitué dans le cadre d’un conventionnement entre l’exécutif et les deux assemblées, comme celle d’un important renforcement des moyens du Parlement.

L’évaluation de l’impact d’une proposition de loi ainsi réalisée pourrait être soumise, avec l’accord de son auteur et à la demande du président de l’assemblée concernée, à l’examen de l’autorité indépendante de contrexpertise.

Au-delà des modalités pratiques de la réalisation des études d’impact qui devront être précisées, la mission approuve le principe même de la création d’une obligation de produire des études d’impact sur des propositions de loi, compte tenu de la part croissante de l’initiative parlementaire dans la production législative.

Votre rapporteur rappelle en effet que :

– sous la XIe législature, 144 des 497 textes adoptés par l’Assemblée nationale étaient des propositions de loi (soit près de 29 % des textes adoptés) ;

– sous la XIIe législature, ce pourcentage a baissé à 12,7 % (60 des 471 textes adoptés par l’Assemblée nationale ayant été des propositions de loi) ;

– sous la XIIIe législature, ce pourcentage a connu une hausse, puisque 17,7 % (soit 90) des 507 textes adoptés par l’Assemblée nationale étaient des propositions de loi ;

– sous la XIVe législature (jusqu’au 30 septembre 2014), ce pourcentage a connu une nouvelle hausse, puisque 23,5 % (soit 47) des 200 textes adoptés par l’Assemblée nationale étaient des propositions de loi (101).

Proposition n° 3 – Soumettre les propositions de loi à une étude d’impact

Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact sur les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour – cette étude pouvant, le cas échéant, être complétée par un avis du Conseil d’État saisi à cet effet selon les modalités actuellement prévues par la Constitution.

Si une telle proposition nécessite sans doute une révision constitutionnelle, dans la mesure où elle implique une modification de l’article 39 de la Constitution, ce ne semble pas être le cas de celle qui consiste à rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact sur l’ensemble des projets d’ordonnances.

2. Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les ordonnances

Si la mission convient avec le président de la section de l’administration du Conseil d’État, M. Bernard Pêcheur, qu’« imposer l’élaboration d’une étude d’impact complète au stade du projet de loi d’habilitation aurait un effet bloquant » et constituerait « une contrainte pour le Gouvernement, alors même que le recours à cette procédure suppose qu’il a besoin de marges de manœuvre, et que ses partis ne sont pas encore arrêtés » (102) , elle estime en revanche que le contenu obligatoire de l’étude d’impact assortissant un projet de loi d’habilitation pourrait être moins allégé qu’il ne l’est aujourd’hui.

Surtout, la mission considère qu’une étude d’impact exhaustive devrait être imposée au stade du projet d’ordonnance, qu’il concerne ou non les entreprises et les collectivités territoriales.

À cet effet, s’il n’apparaît pas nécessaire de modifier l’article 38 de la Constitution, la mission préconise en revanche de compléter la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, et notamment son article 11, de façon à subordonner la dispense d’étude d’impact dont bénéficient, dans le silence actuel du texte, les projets de loi de ratification des ordonnances, à la condition que des études d’impact complètes aient été produites lors de l’examen par le Conseil d’État des projets d’ordonnances (103).

Proposition n° 4 – Soumettre les ordonnances à une étude d’impact

– Exiger que les projets de loi d’habilitation soient assortis d’une étude d’impact plus complète (et non allégée comme c’est le cas aujourd’hui) ;

– Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les ordonnances ;

– Subordonner en conséquence la dispense d’étude d’impact pour les projets de loi de ratification des ordonnances à la condition qu’une étude d’impact ait été produite à l’occasion de l’examen par le Conseil d’État du projet d’ordonnance.

En cohérence avec cette proposition qui appelle à conférer un caractère général et obligatoire à l’évaluation ex ante de l’impact des projets d’ordonnances, votre rapporteur salue l’initiative prise par le Gouvernement d’édicter des ordonnances qui, d’une certaine façon, organisent une étude d’impact « grandeur nature », tout en étant limitée dans le temps et dans l’espace, en mettant en place des expérimentations dont elles ont par ailleurs consolidé les effets juridiques.

C. AMÉLIORER L’ÉVALUATION EX ANTE DE L’IMPACT EN DÉVELOPPANT LE RECOURS À L’EXPÉRIMENTATION

L’article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

Le recours à l’expérimentation permet d’évaluer la qualité opérationnelle d’une législation dans un cadre spatial et temporel circonscrit, avant d’en envisager la pérennisation et l’extension à l’ensemble du territoire. Par exemple, la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, qui a institué des citoyens assesseurs au sein du tribunal correctionnel et de la chambre des appels correctionnels, prévoyait que deux citoyens, dont les noms étaient tirés au sort sur les listes électorales, devaient désormais siéger aux côtés de trois magistrats au sein de ces juridictions lorsqu’il s’agissait de juger des personnes accusées dans des affaires de vols avec violence, d’agressions sexuelles, de destruction et de dégradation de biens dangereuses pour les personnes. Cette expérimentation, lancée dans les ressorts des cours d’appel de Toulouse et Dijon, a fait l’objet d’une évaluation, remise à la garde des Sceaux le 28 février 2013, qui a conclu à la faible efficacité du dispositif, jugé lourd et coûteux. Celui-ci a donc été abandonné au printemps 2013.

Lors de son audition, M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, a expliqué que, de son point de vue, « il conviendrait, sur des sujets compliqués, dont il est difficile de mesurer ex ante toutes les conséquences, de développer, dans un cadre dérogatoire, la capacité d’expérimentation d’une nouvelle mesure en boucle courte, avec une évaluation au bout de six mois ou un an ». En effet, selon lui, « les études d’impact ex ante portant sur de grandes réformes atteignent très vite leurs limites si elles n’ont pas subi l’épreuve du terrain ». Or l’exercice d’un « droit à l’erreur » qui autoriserait le « test » d’une réforme avant son adoption définitive et sa généralisation, permettrait, d’après M. Nicolas Conso, « d’expérimenter des mesures plus audacieuses et de légiférer en toute connaissance de cause, le législateur pouvant s’appuyer sur les enseignements du terrain ».

Votre rapporteur est lui aussi convaincu des vertus que l’expérimentation peut avoir pour fiabiliser l’évaluation ex ante de l’impact des normes en en testant les effets concrets.

À cet égard, il approuve le Gouvernement d’avoir conçu des expérimentations qui garantissent aux personnes concernées l’opposabilité de leurs effets aux tiers et à l’administration, à l’instar de ce que prévoit l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet, prise sur le fondement de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.

L’article 13 de cette loi a en effet innové en habilitant le Gouvernement à définir un cadre juridique spécifique pour expérimenter localement, pour les projets d’activité économique, la délivrance aux porteurs de projet d’un document dénommé « certificat de projet » qui comporte :

– un engagement de l’État sur la procédure d’instruction de la demande d’autorisations régies par les dispositions du code de l’environnement, du code forestier et du code de l’urbanisme (avec notamment l’indication des régimes, décisions et procédures auxquels le projet envisagé est soumis, la mention des autres régimes et procédures dont le projet est susceptible de relever, la description des principales étapes de l’instruction ainsi que des conditions de recevabilité et de régularité du dossier) ;

– un engagement de l’État sur le délai d’instruction des autorisations sollicitées ;

– une garantie du maintien en vigueur, pendant une durée déterminée (de dix-huit mois), des dispositions législatives et réglementaires déterminant les conditions de délivrance des autorisations sollicitées (ou « gel des normes ») ;

– une garantie d’opposabilité à l’administration et aux tiers des droits acquis par le pétitionnaire sur le fondement du certificat de projet.

Ce type d’expérimentations doit être encouragé, dans la mesure où il associe l’optimisation de la sécurité juridique pour les personnes qui expérimentent la norme à l’affinement de l’évaluation de l’impact de la norme expérimentée. C’est la raison pour laquelle la mission appelle à son développement.

Proposition n° 5 – Développer le recours à l’expérimentation avant la généralisation de certains dispositifs législatifs – le cas échéant en consolidant les effets juridiques de ces expérimentations.

DEUXIÈME PARTIE : MIEUX ÉLABORER LA NORME AU COURS DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

L’amélioration de la qualité de la loi par l’optimisation de l’évaluation de son impact ne s’arrête pas aux portes du Parlement : l’analyse de l’impact des normes doit accompagner tout leur processus d’adoption, ce qui appelle des aménagements de la procédure législative actuelle.

I. DÉVELOPPER L’ÉVALUATION DE L’IMPACT AU COURS DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

En menant ses travaux, la mission a acquis la conviction que l’étude d’impact devait être au cœur des débats parlementaires. L’organisation systématique en commission d’un échange nourri et étayé sur la qualité de l’étude d’impact gagnerait à ce que les parlementaires disposent, pour ce faire, de la partie de l’avis du Conseil d’État portant sur les études d’impact qui sont aujourd’hui jointes aux projets de loi, ainsi que sur celles qui, conformément aux préconisations de la mission, seraient jointes aux propositions de loi – dans l’hypothèse où les sections administratives de la Haute juridiction seraient saisies de ces dernières.

Les parlementaires ne devant pas se dispenser d’évaluer l’impact de leurs propres initiatives, l’obligation d’une évaluation préalable devra être étendue aux amendements « substantiels » qui affectent l’équilibre d’un projet ou d’une proposition de loi.

A. EN AMONT DES DÉBATS PARLEMENTAIRES, RENDRE PUBLIQUE LA PARTIE DE L’AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT SUR LES ÉTUDES D’IMPACT ASSORTISSANT LES TEXTES DE LOI

Du point de vue la mission, les études d’impact feront l’objet d’un débat d’autant plus riche et fructueux que le Parlement disposera de la partie de l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi qui leur est consacrée.

Or, en application de l’article 6, I, 1° de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, les avis du Conseil d’État « ne sont pas communicables ». Par ailleurs, des dispositions législatives et réglementaires du code de justice administrative suggèrent implicitement que l’avis du Conseil d’État sur les projets (et propositions) de loi est confidentiel (104).

Sensible à la fois aux arguments des nombreuses personnes entendues qui ont suggéré de rendre publique l’intégralité de l’avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de loi et aux réserves qu’ont émises plusieurs autres personnes face aux conséquences qu’une telle mesure pourrait avoir sur la teneur de cet avis ainsi que sur les relations entre le Gouvernement et l’institution chargée de le conseiller, la mission a choisi de privilégier une voie intermédiaire en préconisant de ne rendre publique que la partie de l’avis du Conseil d’État relative à la qualité de l’étude d’impact qui lui est soumise.

1. Une confidentialité presqu’unanimement critiquée

Les critiques relatives à la confidentialité des avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de loi sont anciennes.

Dans le rapport qu’il a remis au Président de la République le 29 octobre 2007, le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République avait préconisé de rendre publics les avis du Conseil d’État sur les projets de loi (proposition n° 27), estimant « qu’il serait utile à la qualité du travail législatif que les avis émis par le Conseil d’État sur les projets de loi dont il est saisi en application de l’article 39 de la Constitution soient rendus publics » et que soit ainsi « mis un terme aux rumeurs qui entourent ces avis, dont la publication n’est autorisée, au cas par cas, par le Gouvernement, qu’à la fin de chaque année » (105).

Bon nombre des personnes entendues par la mission ont fait valoir que la confidentialité qui entoure aujourd’hui les avis du Conseil d’État sur les projets de loi nuisait à la qualité du débat parlementaire. Le président du conseil national d’évaluation des normes, M. Alain Lambert a déclaré « inadmissible que les avis du Conseil d’État ne soient pas transmis au Parlement ». De son point de vue, « une démocratie ne peut se satisfaire d’un déséquilibre de cette nature, d’autant que le conseil de l’exécutif est aussi une juridiction », car « tout se passe comme si le Parlement devait légiférer en fonction d’un avis auquel il n’a pas accès », tandis qu’en matière réglementaire, « c’est la même institution qui conseille l’exécutif et qui, dans sa formation juridictionnelle, se prononce sur la conformité des dispositions à la Constitution ». La confidentialité des avis du Conseil d’État serait, selon M. Alain Lambert, la marque « d’une démocratie approximative ».

Partageant le souci de rendre le processus de la décision publique le plus transparent possible, la mission a cependant été alertée sur les effets indirects et potentiellement nocifs que pourrait engendrer la publicité de l’intégralité des avis du Conseil d’État.

Le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, a fait remarquer qu’une publicité systématique des avis du Conseil d’État sur les projets de loi « pourrait avoir des effets pervers et notamment conduire le Conseil à retenir des arguments ou à s’y prendre différemment », de sorte qu’il ne serait pas certain que la production normative y gagne en efficacité et en transparence .

Notre collègue Jean-Luc Warsmann a souligné pour sa part que, « si l’on veut que le Conseil d’État joue son rôle de conseiller auprès du Gouvernement, il faut que le Gouvernement se sente libre quand il sollicite son avis » et que « ce ne serait pas le cas si on l’obligeait à rendre cet avis public ».

Enfin, le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen a estimé que la publicité de ses avis aurait pour conséquence « de faire évoluer le rôle du Conseil d’État dans un sens qui l’apparenterait à celui du Conseil constitutionnel, alors que sa fonction reste de conseiller le Gouvernement » et que « le rôle de cette institution n’est pas de censurer le Gouvernement et de fournir des armes à certains parlementaires ».

La mission note cependant que, d’après les réponses qui lui ont été fournies par neuf des dix Parlements européens qu’elle a interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), cinq des dix pays concernés sont dotés d’un Conseil d’État ou d’une institution équivalente et que, parmi ces cinq pays, trois ont organisé la publicité des avis de ce Conseil d’État ou de cette institution sur les projets ou propositions de loi. En Belgique et en Suède, l’avis du Conseil d’État ou de l’institution équivalente (Conseil suédois de législation) est rendu intégralement et immédiatement public. Aux Pays-Bas, l’avis du Conseil d’État n’est rendu public qu’après que le Gouvernement ou l’auteur de la proposition de loi ont été mis en mesure de répondre à un projet d’avis. Il n’y a qu’en Espagne et en Norvège que l’avis des institutions équivalentes au Conseil d’État reste confidentiel.

Au regard des pratiques adoptées par nos voisins, la mission estime qu’il n’est pas inconcevable que les avis du Conseil d’État bénéficient d’un certain degré de publicité qui, à défaut d’être totale, pourrait à tout le moins être partielle.

2. Une nécessaire publicité

Un certain consensus s’est dégagé parmi plusieurs des personnes entendues par la mission autour de l’idée d’organiser une publicité partielle des avis du Conseil d’État, qui pourrait être limitée à la seule partie de ces avis portant sur la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi (et, conformément aux vœux de la mission, aux propositions de loi et aux projets d’ordonnance).

Tout en rappelant que « la publication des avis du Conseil sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret est une question éminemment politique » et qu’« elle relève de l’appréciation du Gouvernement et du Parlement », le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, a, comme le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, et le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, souligné l’intérêt d’une publication partielle des avis du Conseil d’État, cantonnée à l’appréciation que ce dernier porte sur les études d’impact jointes aux projets de loi.

Interrogé sur ce point, le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen, a fait part de ses réticences, estimant que « si une assemblée soulevait tous les problèmes liés aux études d’impact, aucune loi ne verrait plus le jour » (106).

Cet argument n’a pas convaincu la mission qui juge au contraire utile, d’une part, d’établir une distinction nette entre la partie de l’avis du Conseil d’État portant sur le dispositif d’un projet de loi, et la partie de cet avis portant sur l’étude d’impact qui lui est jointe, et, d’autre part, d’organiser la publication de cette seconde partie de l’avis.

Une telle publicité impliquera sans doute une modification de la loi du 17 juillet 1978 précitée ainsi que de dispositions législatives et réglementaires du code de justice administrative.

Cette solution intermédiaire entre la confidentialité actuelle, qui ne satisfait que le Gouvernement, et la publicité intégrale, qui pourrait nuire à la qualité de l’avis, paraît être un compromis satisfaisant de nature à éclairer le débat parlementaire sur la complétude et le caractère suffisant des études d’impact soumises aux assemblées.

Proposition n° 6  – Rendre publique la partie de l’avis du Conseil d’État relative aux études d’impact assortissant les projets (et, le cas échéant, les propositions) de loi ainsi que les projets d’ordonnance, et la joindre à ces études.

B. LORS DES DÉBATS PARLEMENTAIRES, RENFORCER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA QUALITÉ DES ÉTUDES D’IMPACT

La publication de la partie de l’avis du Conseil d’État traitant de la qualité des études d’impact jointes aux projets (et, le cas échéant, aux propositions) de loi contribuera à nourrir le débat parlementaire que la mission recommande de recentrer sur ces études, avant l’examen des articles et des amendements.

La mission a exploré plusieurs pistes pour améliorer l’association des parlementaires au processus d’évaluation ex ante des conséquences des textes qu’ils sont appelés à voter.

Tout d’abord, ainsi que l’a suggéré lors de son audition notre collègue David Assouline, en sa qualité de président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, on pourrait imaginer que « des documents d’évaluation ayant servi à l’exécutif pour engager la rédaction du texte soient transmis [aux parlementaires] le plus tôt possible, avant le dépôt du projet de loi ». Cette proposition, qui supposerait que le dépôt d’un projet de loi sur le bureau d’une assemblée parlementaire soit dissocié de celui de son étude d’impact, et qui nécessiterait donc vraisemblablement une modification de la rédaction de l’article 39 de la Constitution, aurait l’avantage de mettre l’évaluation ex ante de la réforme envisagée au cœur des débats, mais aussi l’inconvénient soit d’engager la discussion sur la base d’un document d’évaluation qui ne correspondra pas nécessairement à la version finale du projet de loi, soit d’interdire au Gouvernement de faire évoluer la rédaction de son projet de loi une fois l’étude d’impact déposée, c’est-à-dire potentiellement bien en amont de l’examen du texte en Conseil des ministres.

C’est la raison pour laquelle la mission s’est ensuite intéressée à une autre piste, celle consistant à substituer à la discussion générale un débat d’orientation préalable à l’examen du texte en commission. Ce débat d’orientation qui s’appuierait sur l’étude d’impact aurait lieu en séance publique, avant l’examen du texte en commission, et permettrait aux divergences politiques de s’exprimer sur l’« esprit » et les principaux enjeux de la réforme envisagée, de façon à réserver la suite de la discussion à un examen plus détaillé et plus technique du projet ou de la proposition de loi.

Votre rapporteur note que, d’après les réponses qui lui ont été fournies par neuf des dix Parlements européens que la mission a interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), cette organisation de la discussion des textes législatifs en deux phases, la première « plus politique » et la seconde « plus technique » (pour reprendre la formule utilisée par M. Alain Lambert lors de son audition), est courante chez nos voisins.

Ainsi, en Allemagne, le Bundestag procède à un débat d’orientation en séance publique avant l’examen des textes en commission. Au Danemark, le Folketing commence la discussion du texte en séance publique par un débat d’orientation préalable avant d’examiner, au moins deux jours après, les amendements gouvernementaux et parlementaires.

En Espagne, le Congrès des députés engage l’examen des textes par un débat d’orientation en séance publique, au cours duquel sont discutés, le cas échéant, d’éventuels amendements d’ordre général, qui contestent l’esprit ou l’opportunité du texte et qui ne peuvent être déposés que par des groupes politiques. Ce n’est qu’après ce débat d’orientation préalable qu’a lieu l’examen des textes en commission, au cours duquel une instance collégiale appelée « ponencia » et composée de représentants de tous les groupes politiques, désignés à la proportionnelle, est chargée, dans un délai de 15 jours, de rédiger un rapport et de proposer des amendements. À cet examen en commission succède un second examen en séance publique pour lequel seuls sont recevables les amendements d’ordre technique ou « de compromis », qui ont été préalablement déposés et rejetés en commission, étant précisé que le Gouvernement espagnol n’a pas le droit de déposer des amendements sur le texte issu des travaux de la commission (ou « dictamen »).

Enfin, au Royaume-Uni, après l’écoulement d’un certain délai (au moins deux semaines, à la Chambre des Lords) suivant l’annonce, en séance publique, de la discussion prochaine d’un texte, celle-ci commence par un débat, toujours en séance publique, sur le principe et les grandes orientations de la réforme, qui précède l’examen du projet ou de la proposition de loi en commission, auquel succède un second examen en séance publique, d’abord du rapport et du texte adopté par la commission, puis des seuls articles faisant l’objet d’amendements gouvernementaux ou parlementaires qui n’ont pas déjà été examinés en commission.

Au regard des pratiques adoptées dans d’autres Parlements européens, il n’y aurait donc rien d’extravagant à modifier notre procédure législative pour y introduire un débat d’orientation qui, susceptible de se nourrir de l’étude d’impact et d’aborder ses qualités et ses défauts, serait préalable à l’examen du texte en commission et aurait vocation à se substituer à une discussion générale qui s’apparente aujourd’hui davantage à une succession de monologues qu’à un véritable débat de fond.

Votre rapporteur rappelle qu’à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Sénat avait pris l’initiative de modifier son Règlement pour permettre à sa Conférence des présidents de décider de l’organisation d’un débat d’orientation en séance publique sur un projet ou une proposition de loi (107).

Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé cette initiative contraire à la Constitution, estimant « qu’en vertu de l’article 43 de la Constitution, les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à l’une des commissions permanentes ou, à défaut, à une commission spécialement désignée à cet effet, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 42, “la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l’article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l’assemblée a été saisie” [et] que ces dispositions excluent que soit organisé sur le projet de texte déposé ou transmis un débat d’orientation en séance publique avant son examen par la commission à laquelle ce texte a été renvoyé » (108) .

L’organisation d’un débat d’orientation préalable, qui serait sans doute la solution la plus efficace pour recentrer les débats parlementaires sur l’évaluation ex ante des projets et propositions de loi, nécessiterait donc une modification des articles 42 et 43 de la Constitution.

Sans attendre cette révision constitutionnelle, un autre moyen d’atteindre rapidement cet objectif pourrait consister à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, et notamment son article 86, pour prévoir l’organisation systématique d’un débat en commission sur la qualité des études d’impact accompagnant les textes législatifs.

Ce débat pourrait être impulsé par la création d’une obligation, pour le rapporteur de la commission saisie au fond d’un texte, de présenter, dans son intervention liminaire lors de l’examen en commission, les apports et les éventuelles insuffisances de l’étude d’impact jointe au projet ou à la proposition de loi. Un débat sur l’étude d’impact pourrait ainsi s’engager avant l’examen des articles et des amendements.

Comme l’a souligné notre collègue Jean-Luc Warsmann lors de son audition, « le débat démocratique y gagnerait », car « cela nous permettrait de dépasser l’affrontement un peu caricatural entre la majorité et l’opposition et obligerait à avoir un débat sur le rapport “qualité-prix” de la mesure ». En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’en matière de « mieux légiférer », « l’adversaire n’est pas la droite ou la gauche, mais la machine administrative » et que l’intérêt des études d’impact tient n’est précisément « pas de provoquer une confrontation entre la droite et la gauche, mais d’amener l’exécutif à faire état du “rapport qualité-prix” de la modification législative qu’il propose, et surtout à démontrer en quoi la solution qu’il préconise est la meilleure ».

La formalisation de cette obligation nouvelle faite aux rapporteurs des commissions saisies au fond des projets et propositions de loi nécessiterait sans doute une modification de l’article 86 du Règlement de notre Assemblée, qui régit l’organisation des travaux législatifs en commission.

Proposition n° 7 – Renforcer le contrôle du Parlement sur la qualité des études d’impact

Au stade de l’examen en commission, prévoir, dans l’intervention liminaire du rapporteur de la commission saisie au fond, une présentation systématique de l’étude d’impact sur le projet de texte, avant l’examen des articles et des amendements.

Cette proposition, qui vise à permettre aux parlementaires de mieux s’assurer que le Gouvernement s’est conformé à la discipline de l’évaluation préalable, doit être complétée par la mise en œuvre d’un dispositif destiné à s’assurer que les parlementaires s’auto-disciplinent en soumettant leurs propres initiatives (et tout particulièrement les amendements qu’ils adoptent) à une étude d’impact.

C. ÉTENDRE L’OBLIGATION D’ÉVALUATION DE L’IMPACT AUX AMENDEMENTS « SUBSTANTIELS »

La réalisation d’une étude d’impact sérieuse et exhaustive sur un projet ou une proposition de loi ne sera d’aucune utilité tant qu’un amendement gouvernemental ou parlementaire pourra, au cours de la procédure législative, sans faire l’objet de la moindre évaluation, bouleverser l’équilibre du projet ou de la proposition de loi en question.

Comme l’a expliqué devant la mission le président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean-Paul Delevoye, « si l’étude d’impact vise à être un élément de stabilisation d’un texte de loi, vous ne pourrez pas faire l’économie d’une réflexion sur le droit de déposer des amendements de dernière minute à l’incidence parfois considérable – en matière fiscale, certains peuvent dénaturer totalement un dispositif ».

Les Parlements européen, allemand et néerlandais soumettent régulièrement à une étude d’impact les amendements « substantiels » déposés au cours de la procédure législative, et la possibilité de réaliser une étude d’impact sur des amendements est prévue, depuis 2009, par notre Règlement. Il n’a cependant jamais été fait usage de cette possibilité – alors que, sous l’actuelle législature comme sous les précédentes, les exemples ne manquent pas d’amendements parlementaires et gouvernementaux qui ont affecté profondément l’équilibre d’un projet ou d’une proposition de loi.

1. La réalisation d’une étude d’impact pour les amendements est une faculté qui n’a jamais été exercée.

a. Le Règlement de l’Assemblée nationale permet au comité d’évaluation et de contrôle de réaliser l’évaluation préalable de certains amendements.

La résolution n° 292 du 27 mai 2009, adoptée dans le prolongement de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a conduit à l’introduction, dans le Règlement de l’Assemblée nationale, d’un article 98-1 qui prévoit qu’« un amendement fait l’objet d’une évaluation préalable :

1° À la demande du président ou du rapporteur de la commission saisie au fond, s’agissant d’un amendement de la commission ;

2° À la demande de l’auteur de l’amendement et avec l’accord du président de la commission saisie au fond, s’agissant d’un amendement déposé par un député ».

L’article 146-6 du même Règlement confie cette évaluation préalable au comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC).

Toutefois, par souci de prévenir d’éventuelles manœuvres d’obstruction, le Règlement de notre Assemblée a prévu, outre le filtre du président de la commission saisie au fond, une neutralisation des conséquences procédurales liées à l’absence d’évaluation préalable d’un amendement puisque le dernier alinéa de l’article 98-1 dispose que « le défaut de réalisation, d’impression ou de distribution d’une évaluation préalable sur un amendement ne peut faire obstacle à sa discussion en séance publique ».

b. Aucune saisine du CEC dans le cadre des articles 98-1 et 146-6 du Règlement de l’Assemblée nationale

D’après les informations qu’a pu recueillir la mission, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques n’a jamais été saisi pour procéder à l’évaluation préalable d’un amendement, essentiellement pour des raisons liées aux contraintes temporelles dans lesquelles est enserré l’examen des textes en commission et en séance publique (109).

Votre rapporteur note par ailleurs que, compte tenu de sa composition (110), le CEC n’est pas nécessairement le mieux placé pour procéder, au mieux en quelques jours, et, le plus souvent, en quelques heures, à la désignation de rapporteurs et à la réalisation d’une étude d’impact complète et précise que les commissions saisies au fond sont peut-être mieux à même d’effectuer, au regard de leur connaissance du texte discuté et de l’expertise qu’elles ont acquise, au gré de leurs travaux législatifs et de contrôle, sur les sujets traités par le texte en question.

C’est aussi le point de vue du président du conseil national d’évaluation des normes, M. Alain Lambert, ancien sénateur et ancien ministre délégué au Budget, qui, expliquant devant la mission qu’en tant que rapporteur général du Budget ou président de la commission des Finances du Sénat, il avait parfois été confronté à des amendements « préparés par l’exécutif mais parfois présentés par des parlementaires, qui tendaient à changer dans des proportions inquiétantes l’organisation d’un régime fiscal ». Selon lui, en présence de ces amendements « substantiels », « il n’y a pas d’autre solution que de laisser à la commission saisie au fond le soin de les apprécier », car elle seule « aurait la légitimité pour apprécier le caractère substantiel d’un amendement ».

Votre rapporteur regrette qu’il n’ait jamais été procédé à l’évaluation préalable d’amendements « substantiels », car il aurait souvent été fort utile de disposer d’une évaluation d’amendements dont l’impact s’est révélé particulièrement lourd en termes budgétaires, économiques et/ou sociaux.

Votre rapporteur ne citera que deux exemples, l’un emprunté à la précédente législature, et l’autre à l’actuelle.

Exemples d’une évaluation préalable insuffisante
des amendements aux projets de loi de finances

Le 18 décembre 2009, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, qui est devenu la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 et qui a supprimé la taxe professionnelle pour lui substituer une contribution économique territoriale (CET) fondée sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) et sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), le Gouvernement a déposé 50 amendements sur le texte adopté le même jour par la commission mixte paritaire, dont 32 portaient sur les taxes appelées à remplacer la taxe professionnelle. Sur ces amendements, dont certains opéraient des modifications lourdes du texte adopté par les députés et sénateurs (pour ce qui était notamment des modalités de calcul de la compensation financière bénéficiant aux collectivités territoriales en 2010 ou encore des règles de plafonnement de la valeur ajoutée en fonction du chiffre d’affaires des entreprises), le Gouvernement a en outre eu recours à la procédure du vote bloqué, demandant ainsi aux parlementaires de se prononcer par un vote unique sur une cinquantaine d’amendements qu’ils n’avaient pas eu le temps d’examiner au fond et dont la très grande majorité comportait un exposé sommaire qui n’était long que de quelques lignes seulement.

Les règles de répartition et de péréquation du produit de la CVAE entre les collectivités territoriales fixées par la loi de finances pour 2010 ont par la suite fait l’objet de modifications apportées par de nouveaux amendements dépourvus d’évaluation préalable. Lors de la nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2013, devenu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, l’ancien rapporteur général de la commission des Finances, M. Christian Eckert, désormais secrétaire d’État au Budget, auprès du ministre des Finances et des Comptes publics, a ainsi dû donner un avis de « sagesse » à un amendement n° 341 du Gouvernement qui, déposé dix minutes avant son examen et dépourvu de simulation, proposait de modifier les règles de contribution au fonds de péréquation de la CVAE allouée aux départements (111). La veille, face à de multiples amendements proposant de réviser plusieurs dispositifs de péréquation financière entre collectivités territoriales (en matière de CVAE et de droits de mutation à titre onéreux - DMTO), M. Christian Eckert avait expliqué qu’« il serait plus sage de laisser un peu de temps au travail parlementaire et aux associations spécialisées, avant de modifier de façon régulière et, selon [lui], trop fréquente ces différents fonds de péréquation », s’interrogeant « sur l’opportunité de disposer de simulations financières » (112).

L’examen du projet de loi de finances pour 2013 a fourni une autre illustration des conséquences néfastes de l’absence d’évaluation préalable pour des amendements aux conséquences aussi lourdes que celles des amendements qui sont restés dans les mémoires sous le nom d’amendements « pigeons ». Face aux mouvements de mécontentement sur les réseaux sociaux qu’avait suscité l’article 6 de la version initiale du projet de loi de finances pour 2013, qui proposait d’imposer au barème progressif de l’impôt sur le revenu (et non plus de façon forfaitaire) les gains nets de cession de valeurs mobilières réalisées par des particuliers, afin de rapprocher la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail, le Gouvernement a déposé, le 18 octobre 2012, un amendement qui opérait une refonte complète du dispositif et dont l’impact financier se chiffrait en centaines de millions d’euros (environ 800 millions de manque à gagner, qui devaient être compensés par la reconduction pour deux ans de la majoration exceptionnelle de l’impôt sur les sociétés dû par les grandes entreprises).

Réaménageant les conditions d’application et d’entrée en vigueur de l’imposition des plus-values mobilières au barème de l’impôt sur le revenu, cet amendement tout à la fois créait un régime dérogatoire pour la catégorie des créateurs d’entreprises, maintenait l’imposition au taux forfaitaire pour les plus-values mobilières réalisées en 2012, majorait les taux des abattements applicables, réduisait les durées de détention et assouplissait les conditions d’application du report d’imposition en cas de réinvestissement des plus-values dans des entreprises.

Long de sept pages, cet amendement était dépourvu d’évaluation préalable et s’appuyait sur un exposé sommaire d’une vingtaine de lignes. En conséquence, M. Thierry Mandon, désormais secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la Réforme de l’État et de la simplification, a demandé en séance publique qu’« un travail très précis [soit] mené par un groupe de suivi sur l’impact de cet article sur les PME de croissance, afin, le moment venu, d’en tirer les enseignements » (113).

Preuve que le Gouvernement n’est pas le seul concerné : l’année suivante, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, devenu la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, ce sont deux amendements du rapporteur général de la commission des Finances, M. Christian Eckert, qui, s’appuyant chacun sur un exposé sommaire de quelques lignes seulement, opérait d’importants aménagements au régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières en supprimant le dispositif de report d’imposition en cas de réinvestissement des plus-values et en interdisant le cumul de l’abattement majoré pour durée de détention avec la réduction d’impôt « Madelin » qui bénéficie aux personnes investissant dans une entreprise non cotée.

Quelle que soit la majorité, qu’il s’agisse d’amendements gouvernementaux ou parlementaires, l’adoption d’amendements aux conséquences financières, économiques et sociales aussi lourdes, sans étude d’impact, n’apparaît pas de bonne méthode. À cet égard, notre Assemblée gagnerait à s’inspirer des bonnes pratiques adoptées par nos voisins européens.

2. De bonnes pratiques ont pourtant été adoptées au niveau européen en matière d’évaluation de l’impact des amendements.

a. Les pratiques du Parlement européen

Lorsqu’il le juge approprié et nécessaire au processus législatif, le Parlement européen procède à l’évaluation ex ante de l’impact d’« amendements substantiels », sans que cela n’affecte sa capacité d’adopter ces amendements.

Il incombe à chaque commission du Parlement européen saisie au fond d’une proposition de la Commission européenne de déterminer ce que recouvre la notion d’« amendement substantiel ». En effet, dans ses orientations indicatives pour le traitement des analyses d’impact, le Conseil ne donne pas de définition générique des « amendements substantiels ». La notion répond difficilement à une définition a priori, mais relève d’une décision au cas par cas.

Il appartient donc à la commission parlementaire saisie au fond de déterminer si un ou des amendements déposés en son sein pendant l’examen d’une proposition de la Commission européenne revêtent un caractère « substantiel » et, si c’est le cas, s’il est opportun de les soumettre à une analyse d’impact. Les critères de l’analyse d’impact sur les amendements substantiels sont arrêtés au cas par cas par la commission saisie au fond.

Sur proposition du rapporteur, du président de la commission saisie au fond, ou d’un membre de ladite commission s’exprimant au nom de son groupe, les coordinateurs désignés par les groupes politiques au sein de ladite commission, en lien avec le rapporteur, décident de demander une analyse d’impact sur un ou plusieurs amendements « substantiels ». Cette décision doit bénéficier d’un large soutien politique.

Les commissions saisies pour avis (dites « commissions associées ») peuvent, dans les mêmes conditions, procéder à des analyses d’impact sur les « amendements substantiels » relevant de leur champ de compétence, dans la mesure où cela est compatible avec le calendrier des travaux, tel que convenu avec la commission compétente au fond en application de l’article 50 du Règlement du Parlement européen.

Lorsque la matière revêt une importance majeure, qu’elle relève de manière inséparable de la compétence de plusieurs commissions et qu’en conséquence, la Conférence des présidents a décidé, en application de l’article 51 du Règlement du Parlement européen, que la proposition de la Commission sera examinée dans le cadre de réunions conjointes de commissions, les décisions relatives à la réalisation d’analyses d’impact sur des amendements substantiels sont prises conjointement par les commissions concernées.

Les analyses d’impact sur des « amendements substantiels » peuvent être menées à chaque étape de la procédure législative, en tenant compte des contraintes de temps propres à chaque lecture, et sous réserve de ne pas retarder indûment le processus législatif.

L’analyse de l’impact des « amendements substantiels » est censée ne pas retarder le processus législatif. Cette analyse est rendue possible par les délais relativement longs de la procédure législative européenne (si on les compare à ceux de la procédure législative française) : entre l’examen d’un texte en commission et son examen en séance plénière, il s’écoule au minimum deux à trois mois, et souvent encore davantage de temps.

Parfois, la date d’examen d’un texte en commission est fixée en fonction du délai imposé par le contrat-cadre conclu avec des consultants externes pour l’évaluation de l’impact d’un amendement « substantiel ».

En pratique, la commission saisie au fond s’efforce le plus souvent de déterminer les « amendements substantiels » susceptibles de faire l’objet d’une analyse d’impact avant leur adoption en commission.

Cependant, elle peut considérer plus approprié d’entreprendre l’analyse d’impact postérieurement, soit avant l’examen en séance plénière, si cela est possible, notamment dans le cadre d’une procédure avec commissions associées, soit à la suite du vote en séance plénière.

L’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » conclu le 9 octobre 2003 par le Parlement européen, le Conseil et la Commission prévoit que « lorsque la procédure de codécision est d’application, le Parlement européen et le Conseil pourront également faire procéder à des analyses d’impact préalables à l’adoption d’un amendement substantiel, soit en première lecture, soit au stade de la conciliation ».

À ce jour, les commissions du Parlement européen ont fait procéder à des analyses d’impact sur des amendements substantiels en première lecture, en deuxième lecture et au stade de la conciliation.

Dans un souci de neutralité, l’analyse d’impact des amendements substantiels est toujours confiée à des experts externes à l’institution.

La décision de la commission saisie au fond de requérir une analyse d’impact sur un ou des amendements substantiels est transmise à l’unité d’évaluation de l’impact ex ante du Parlement européen qui se charge de sélectionner les experts externes conformément aux prescriptions de la législation de l’Union européenne sur les marchés publics et de la réglementation interne du Parlement européen en matière de passation de marchés, de façon à assurer une indépendance et une objectivité optimales des experts et une transparence maximale de la procédure suivie pour leur sélection.

D’un point de vue méthodologique, les experts externes se fondent, si cela apparaît approprié, sur les données de l’analyse d’impact élaborée par la Commission européenne, comme « point de départ », et structurent, dans la mesure du possible, leur analyse de manière à faciliter la comparaison avec cette dernière, sans pour autant dupliquer le travail de la Commission européenne.

La Commission met à la disposition du Parlement européen et des experts externes toute méthodologie spécifique utilisée dans le cadre de la préparation d’une analyse d’impact et communique les données utilisées.

Les analyses d’impact sur les « amendements substantiels » sont rédigées dans la langue de travail la plus usitée au sein de la commission à l’origine de la demande. À la demande des coordinateurs des groupes politiques, un résumé peut être traduit dans la langue du rapporteur et/ou dans les trois langues de travail les plus usitées de la commission.

L’unité d’évaluation ex ante du Parlement européen veille à ce que les analyses d’impact réalisées par des experts externes soient conformes aux critères de qualité du Parlement.

La ou les commissions parlementaires ayant demandé une analyse d’impact sur des amendements substantiels veillent à informer les autres commissions susceptibles d’être intéressées du déroulement et des résultats des analysées demandées. Le Parlement européen s’efforce par ailleurs d’informer régulièrement et en temps utile le Conseil et la Commission des travaux d’évaluation en cours sur des « amendements substantiels ».

Sauf décision contraire dûment justifiée de la commission saisie au fond, les analyses d’impact menées sur des « amendements substantiels » sont publiées sur le site Internet du Parlement européen.

La réalisation d’études d’impact sur des « amendements substantiels » est récemment survenue au sujet d’amendements à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au recyclage des navires ainsi qu’à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics. Toutefois, d’après les indications fournies à la mission lors de son déplacement à Bruxelles, le 16 janvier 2014, seule une dizaine d’études d’impact portant sur des amendements substantiels a été réalisée depuis que cette procédure d’évaluation a été créée en 2012.

b. Les pratiques des Parlements allemand et néerlandais

En Allemagne, le bureau fédéral des statistiques (« Destatis ») est tenu par la loi (114) d’apporter son expertise au Gouvernement et au Parlement pour l’analyse de l’impact de leurs amendements.

Ce bureau fournit alors au Gouvernement et aux parlementaires qui le saisissent des données chiffrées susceptibles de mieux appréhender l’impact des modifications législatives envisagées.

Toutefois, la directrice en charge de l’organisation et de la modernisation de l’administration au ministère fédéral de l’Intérieur, Mme Beate Lohmann, a précisé à la mission, lors de son déplacement à Berlin, que cette procédure d’évaluation de l’impact des amendements trouvait sa limite dans les délais de la procédure législative : le bureau fédéral des statistiques peut difficilement chiffrer l’impact d’un amendement du jour au lendemain ni répondre à des sollicitations en pleine nuit.

De leur côté, les Pays-Bas se dont dotés depuis 2000 d’un conseil consultatif indépendant (ACTAL) qui, d’après ce qui a été indiqué à la mission lors de son déplacement à La Haye, rend, une dizaine de fois par an, un avis sur les amendements « substantiels » proposés par des parlementaires, sous l’angle des charges administratives. Il donne alors son avis en quelques jours. De même, si une proposition de loi est déposée et présente d’importants enjeux en matière de charges administratives et réglementaires, ACTAL contacte son auteur et propose de l’accompagner dans sa réflexion.

ACTAL n’est rattaché à aucun ministère, et ses membres, bien que désignés par le Gouvernement, bénéficient d’une totale indépendance tant à l’égard du Gouvernement qu’à l’égard du Parlement. Ce conseil est assisté de 12 personnes et s’appuie également sur les remontées d’informations de la société civile ainsi que sur un réseau d’experts développé au fil des années. Il a vu ses compétences évoluer depuis 2000 : son mandat, initialement réduit (puisqu’il ne portait que sur les charges administratives imposées aux entreprises et aux administrations), s’est élargi pour y inclure les particuliers et les personnes travaillant dans la sphère publique ou semi-publique et pour passer de l’analyse des charges administratives à l’ensemble des coûts réglementaires. De même, d’une analyse exclusivement ex ante, il est passé à la réalisation d’études ex post.

Si la mission n’ignore pas que les spécificités, et notamment les délais, des procédures législatives européenne, allemande et néerlandaise rendent ces pratiques d’évaluation ex ante de l’impact des amendements « substantiels » difficilement transposables « telles quelles » à notre procédure législative, dont les contraintes temporelles sont particulièrement fortes, elle estime en revanche que notre Assemblée gagnerait à s’inspirer de ces exemples étrangers. Ils pourraient être adaptés aux exigences propres de notre procédure législative pour améliorer l’évaluation préalable des amendements parlementaires et gouvernementaux.

3. Adapter les exemples étrangers à la procédure législative française

Votre rapporteur est d’autant plus convaincu de la nécessité d’une étude d’impact sur des amendements « substantiels » en cours de procédure législative qu’un récent exemple en a montré à la fois la faisabilité et l’utilité : l’évaluation, en cours de procédure législative, des conséquences de la dépénalisation du stationnement adoptée par voie d’amendement sénatorial lors de la première lecture de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Un exemple de bonnes pratiques en matière
d’évaluation ex ante de l’impact des amendements :
l’article 63 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles

Le 29 mai 2013, lors de la première lecture du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, le Sénat a adopté, à l’initiative de M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission du développement durable, un amendement prévoyant la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant sur voirie – c’est-à-dire le stationnement en l’absence ou en insuffisance de paiement de la redevance pour stationnement sur la voie publique – afin de lui substituer un service public décentralisé, sur le modèle de ce qui se pratique tant au Royaume-Uni, qu’en Belgique ou en Espagne. Dans ce cadre, les collectivités compétentes en matière de voirie pourront imposer le paiement d’un « forfait de post-stationnement » ayant le caractère d’une redevance d’occupation du domaine public, plutôt que d’une amende.

Compte tenu des conséquences financières et organisationnelles particulièrement lourdes de cet amendement, le Premier ministre a alors demandé à l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ), à l’inspection générale de l’administration (IGA), à l’inspection générale des finances (IGF) et au conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de conduire une mission d’évaluation des conséquences de la dépénalisation du stationnement, dont le rapport a été rendu public le 25 juillet 2013 (115).

Au vu des conclusions de ce rapport, il a été possible d’apporter des précisions et aménagements au dispositif résultant de l’amendement adopté, en cours de procédure législative, d’autant que le Gouvernement n’avait pas engagé la procédure accélérée. C’est ainsi que, conformément aux recommandations de la mission d’évaluation et aux vœux exprimés par notre collègue Olivier Dussopt (116), rapporteur du projet de loi au nom de la commission des Lois, un délai de mise en place de 24 mois a été prévu à l’initiative de M. Jean-Jacques Filleul. Ce délai nécessaire à la réussite du projet permettra d’en analyser plus finement toutes les conséquences financières.

Cet exemple montre que, pour peu que l’on s’en donne le temps, il est possible de faire évoluer et d’actualiser l’étude de l’impact d’un projet ou d’une proposition de loi au cours de la navette parlementaire et au gré des amendements qui viennent l’enrichir.

Votre rapporteur reconnaît toutefois que, de la même façon qu’au Parlement européen, l’analyse de l’impact des « amendements substantiels » est tenue de ne pas retarder le processus législatif, il faut se garder d’en faire une obligation susceptible de ralentir voire de bloquer la procédure législative.

Votre rapporteur note d’ailleurs que, d’après les réponses qui lui ont été fournies par huit des dix Parlements européens que la mission a interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires, la réalisation d’une étude d’impact sur des amendements « substantiels » n’est jamais une obligation chez nos voisins. En Belgique, le Conseil d’État peut être saisi par le Président de la Chambre des représentants pour rendre un avis public sur tout amendement à un projet ou à une proposition de loi, le Président étant tenu de faire droit à une demande d’avis dès lors que celle-ci est appuyée soit par au moins cinquante députés, soit par la majorité des députés d’un groupe linguistique. Au Royaume-Uni, un guide de bonnes pratiques recommande un complément d’étude d’impact en cas de modifications significatives d’un texte entre son dépôt au Parlement et son adoption définitive. Mais l’élaboration d’une étude d’impact sur des amendements « substantiels » reste une faculté dans chacun des huit pays européens ayant répondu (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède).

La mission propose donc non pas de prévoir l’obligation, mais de reconnaître la faculté au président de la commission saisie au fond d’un projet ou d’une proposition de loi d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur les amendements qui seraient qualifiés par ladite commission de « substantiels ».

Afin de ne pas porter une atteinte excessive au droit d’amendement, cette initiative pourrait être soumise à l’accord de l’auteur de l’amendement, comme l’a suggéré notre collègue Jean-Luc Warsmann (117).

Par ailleurs, la réalisation de l’étude d’impact elle-même pourrait être confiée :

– soit, dans l’hypothèse où il s’agirait d’un amendement « substantiel » d’origine gouvernementale, aux services que le Gouvernement jugera les plus appropriés ;

– soit, dès lors que l’amendement « substantiel » émanerait d’un parlementaire, à un pôle d’expertise, dans le cadre d’« une coopération qui permettrait au Parlement de solliciter les moyens d’expertise de l’exécutif », comme l’a suggéré le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé (118), à la condition que les moyens d’expertise propres au Parlement soient significativement renforcés.

Cette proposition, qui impliquerait, si ce n’est une révision constitutionnelle, tout au moins une modification de la loi organique du 15 avril 2009, et notamment de son article 15 (119), ainsi que, le cas échéant, des articles 98-1 et 146-6 du Règlement de l’Assemblée nationale, serait d’autant mieux mise en œuvre si notre Assemblée disposait de davantage de temps entre le dépôt et l’examen des amendements, en particulier gouvernementaux, en commission comme en séance publique.

Proposition n° 8 – Reconnaître au président de la commission saisie au fond le droit d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur les amendements qualifiés par ladite commission de « substantiels ».

II. AMÉNAGER LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE POUR CONSOLIDER LA QUALITÉ DE LA NORME

Pour reprendre la formule du président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean Paul Delevoye, « rétablir la confiance dans le politique et restaurer son crédit passe par une autre gestion du temps » (120). C’est précisément une nouvelle gestion du temps parlementaire que propose la mission en préconisant de modifier les règles régissant le dépôt des amendements gouvernementaux, la procédure accélérée et la discussion des textes budgétaires.

A. MIEUX ENCADRER LA DISCUSSION DES TEXTES ET DES AMENDEMENTS

1. Appliquer un délai de dépôt aux amendements du Gouvernement

En l’état du droit, les amendements que dépose le Gouvernement lors de l’examen des textes en commission et en séance publique ne sont soumis à aucun délai de dépôt. En effet, l’article 44 de la Constitution prévoit que le droit d’amendement des membres du Parlement et du Gouvernement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Or l’article 13 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution dispose que, si « les amendements des membres du Parlement cessent d’être recevables après le début de l’examen du texte en séance publique » et si « les règlements des assemblées peuvent déterminer les conditions dans lesquelles est fixée une date antérieure à compter de laquelle ces amendements ne sont plus recevables », « après l’expiration de ces délais, sont seuls recevables les amendements déposés par le Gouvernement ou par la commission saisie au fond ».

En conséquence, pour ce qui concerne l’examen des textes en commission, l’article 86, alinéa 5, du Règlement de l’Assemblée nationale précise que « les amendements autres que ceux du Gouvernement, du président et du rapporteur de la commission et, le cas échéant, des commissions saisies pour avis doivent être transmis par leurs auteurs au secrétariat de la commission au plus tard le troisième jour ouvrable précédant la date de début de l’examen du texte à 17 heures, sauf décision contraire du président de la commission ».

Et pour ce qui est de l’examen des textes en séance publique, l’article 99, alinéa 2, du même Règlement dispose qu’après l’expiration du délai de dépôt applicable aux amendements des députés (17 heures, le troisième jour ouvrable précédant la date de début de la discussion du texte, sauf décision contraire de la Conférence des présidents), « sont seuls recevables les amendements déposés par le Gouvernement ou la commission saisie au fond ».

Comme notre collègue Jean-Luc Warsmann, qui a estimé que c’était « particulièrement caricatural en matière fiscale », la mission « trouve désastreux que l’on puisse déposer des amendements de dernière minute pour se dispenser d’une étude d’impact – comme le permet notre législation » (121).

La mission a été particulièrement marquée par l’intervention de l’ancien ministre délégué au Budget, M. Alain Lambert, désormais président du conseil national d’évaluation des normes, qui a expliqué lors de son audition avoir « déjà vu des amendements apportés tellement à la dernière minute par un fonctionnaire que cela revenait à refuser au ministre [qu’il était] de le lire avant qu’il soit appelé ». Selon lui, « dans certains ministères, les directions générales ne se parlent pas. Ainsi, lorsqu’un amendement est proposé par la direction du Trésor, ses auteurs peuvent craindre que le ministre du Budget y voie une conséquence budgétaire et soit tenté de ne le défendre que mollement. C’est pourquoi ils ne le transmettent qu’au dernier moment, ne laissant au ministre que la possibilité de le présenter sans l’avoir lu auparavant ». Il a précisé que « le dépôt d’un amendement à la dernière minute peut aussi être, pour le Gouvernement, un moyen d’éviter l’examen par le Conseil d’État », confirmant ainsi les propos du professeur Nicolas Molfessis d’après qui il arrive que « la voie de l’amendement [soit] instrumentalisée pour faire passer “hors de la vue” du Conseil d’État des dispositions dont on craint qu’elles puissent faire l’objet d’un avis défavorable ».

M. Alain Lambert a ajouté qu’il lui était « d’ailleurs arrivé, dans une telle circonstance, de souffler au rapporteur de ne surtout pas adopter l’amendement en question, ou du moins de demander la réserve de l’article concerné » (122).

Convaincue avec M. Alain Lambert qu’il faut « discipliner la relation de séance entre le Gouvernement et le Parlement et montrer que les parlementaires ne sont pas des greffiers chargés de ratifier les décisions des administrations centrales », la mission considère que l’évaluation préalable des conséquences des amendements, qu’elle soit ou non formalisée dans une procédure d’étude d’impact inspirée des pratiques du Parlement européen, ne pourra être opérationnelle et fiable que si les amendements gouvernementaux sont soumis à un délai de dépôt.

C’est la raison pour laquelle la mission préconise de soumettre les amendements gouvernementaux à un délai de dépôt, tant lors de l’examen des textes en commission que lors de leur examen en séance publique.

Proposition n° 9 – Soumettre les amendements du Gouvernement à un délai de dépôt.

Consciente du degré d’exigence que comporte une telle proposition à l’égard du Gouvernement, la mission estime cependant nécessaire à la qualité de la production normative que l’exécutif se plie à cette discipline. En effet, comme l’a rappelé M. Nicolas Molfessis, « la loi de finances pour 2014 a montré de façon symptomatique que les dispositions introduites par amendement s’exposent davantage à une censure du Conseil constitutionnel ».

Par ailleurs, votre rapporteur souligne que cet encadrement du droit d’amendement du Gouvernement est loin de constituer une restriction aussi radicale que celle adoptée par plusieurs de nos voisins européens. D’après les réponses fournies à la mission par neuf des dix Parlements européens interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), en Allemagne, comme en Espagne et aux Pays-Bas, le Gouvernement n’a pas le droit de déposer des amendements sur le texte issu des travaux de la commission.

Qui plus est, le délai de dépôt qui pourrait être appliqué aux amendements gouvernementaux pourrait ne pas être le même que celui qui est aujourd’hui prévu à titre de principe pour les amendements parlementaires (17 heures, le troisième jour ouvrable précédant la date de début de la discussion du texte en commission ou en séance publique).

Hostile à l’idée que le délai de dépôt soit rigoureusement identique pour les amendements gouvernementaux et parlementaires – car, selon lui, le Gouvernement, « soumis à de fortes pressions nationales, européennes et internationales », « doit avoir les moyens de diriger le pays » et doit donc pouvoir prendre une initiative de dernière minute à condition qu’il la justifie – notre collègue Jean-Luc Warsmann a suggéré, lors de son audition, d’« imposer une étude d’impact et, en cas de recours, [d’]accorder un délai de 24 heures à telle ou telle institution pour se prononcer sur cette étude », de sorte que « cela obligerait indirectement le Gouvernement à respecter un certain délai de dépôt ».

En toute hypothèse, l’application d’un délai de dépôt aux amendements gouvernementaux impliquerait à tout le moins la modification de l’article 13 de la loi organique du 15 avril 2009 et des articles 86 et 99 du Règlement de l’Assemblée nationale, ainsi qu’un aménagement de la rédaction de l’article 101 du même Règlement, qui régit la procédure de seconde délibération.

Une meilleure gestion du temps parlementaire : c’est aussi le but de la proposition que formule la mission au sujet de la procédure accélérée.

2. Modifier la procédure accélérée pour préserver un temps minimal d’examen parlementaire

Comme l’a noté le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, lors de son audition, « le problème est que, dans notre pays, la production normative, à tous les niveaux de son élaboration – Gouvernement, Conseil d’État et Parlement – est marquée du sceau de l’urgence ».

Le Parlement ne compte plus les projets et propositions de loi pour lesquels le Gouvernement engage la procédure accélérée. Au 30 août dernier, notre Assemblée avait déjà examiné en urgence 112 textes depuis le début de la XIVe législature (84 projets de loi et 28 propositions de loi). Sous la XIIIe législature, la procédure accélérée fut engagée pour 92 projets de loi et 23 propositions loi (soit 115 textes au total). Sous la XIIe législature, seuls 59 textes avaient été examinés en urgence (tous des projets de loi) (123) – soit près de deux fois moins de textes que notre Assemblée n’en a examiné en urgence depuis deux ans. En l’espace de trois législatures, quelle que soit la majorité, le recours à la procédure accélérée n’a cessé de croître.

Pour être parfois nécessaire, cette urgence est souvent excessive et injustifiée lorsque, pour reprendre les mots employés par le Conseil d’État dans son rapport public pour l’année 2011, « l’importance et la complexité de la réforme envisagée nécessitent un examen approfondi ou lorsque l’urgence déclarée est démentie ultérieurement par le calendrier parlementaire ou par le rythme de la publication d’un texte au Journal officiel » (124).

À cet égard, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a fait état, dans son Rapport annuel sur l’application des lois paru en juin dernier, d’« urgences à géométrie variable » (125) – constatant que « la mise en application des textes adoptés selon la procédure accélérée n’est en moyenne pas plus rapide que celle des autres lois ». Et notre collègue sénateur David Assouline de s’interroger : « à quoi bon imposer au Parlement des cadences rapides si l’urgence invoquée en amont bute, en aval, sur les délais incompressibles ? La réalité montre que l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi selon la procédure accélérée n’est pas le gage de sa mise en application plus rapide après promulgation » (126).

Dans son rapport public pour l’année 2013, le Conseil d’État fournit un très bon exemple illustrant la façon dont cette urgence nourrit l’inflation normative. Le Conseil d’État explique en effet que, saisi en extrême urgence, des deux projets de décret successifs portant relèvement du plafond du Livret A (127) , au point de n’avoir que quatre jours pour les examiner (alors qu’ils avaient été annoncés longtemps auparavant en conseil des ministres), l’« édiction de la norme dans l’urgence n’a pas permis, pour ces deux décrets, de déterminer leur applicabilité ultramarine, de sorte qu’il a fallu édicter deux autres décrets à cette fin. Finalement, ce sont quatre décrets qui ont été pris alors qu’un seul aurait suffi » (128).

Face au constat de la nocivité de l’urgence excessive sur la qualité de la production normative, la mission préconise d’encadrer la procédure accélérée pour préserver un temps minimal d’examen parlementaire. Comme l’a dit devant la mission M.  David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, « le travail législatif, parce qu’il tient compte de certaines exigences démocratiques, ne peut pas s’accélérer au-delà de certaines limites ».

En vertu des articles 45 et 42 de la Constitution, le recours à la procédure accélérée a deux conséquences :

– tout d’abord, il permet de réunir une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion après une seule lecture dans chaque assemblée – alors que, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, la réunion d’une telle commission n’est possible qu’après deux lectures dans chaque assemblée ;

– ensuite, il permet de s’affranchir des délais minimaux entre le dépôt d’un texte et son examen en séance publique qui sont prévus, en première lecture, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (six semaines entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance publique devant la première assemblée saisie ; quatre semaines entre la transmission d’un texte et sa discussion en séance publique devant la seconde assemblée saisie).

Si les Conférences des présidents des deux assemblées ont la faculté de s’opposer conjointement au recours à la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi ordinaire, le recours à cette procédure est en revanche « de droit » pour les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ainsi que pour les projets de loi relatifs aux états de crise.

Sans remettre en cause ce principe, il pourrait être concevable d’aménager les règles relatives à la procédure accélérée pour préserver un temps minimal d’examen parlementaire. Votre rapporteur note que c’est d’ailleurs ce qui a été prévu pour les lois organiques puisqu’en application de l’article 46, alinéa 2, de la Constitution, si la procédure accélérée a été engagée pour un projet ou une proposition de loi organique, le texte « ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt ».

Suivant cet exemple, on pourrait fort bien imaginer une modification des dispositions constitutionnelles régissant la procédure accélérée de façon à ce que soient préservés des délais minimaux (par exemple, de six ou trois semaines entre le dépôt d’un texte et sa discussion devant la première assemblée saisie, et de quatre ou deux semaines entre la transmission d’un texte et sa discussion devant la seconde assemblée saisie), nonobstant l’absence de seconde lecture dans chaque assemblée.

Proposition n° 10  – Modifier la procédure accélérée pour préserver un délai minimal entre le dépôt d’un texte et sa discussion devant chaque assemblée.

3. Repenser l’organisation des débats budgétaires en les recentrant sur la loi de règlement.

C’est toujours le souci d’une meilleure gestion du temps parlementaire qui préside à la proposition que fait la mission en matière d’examen des textes budgétaires.

Comme le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, votre rapporteur est étonné du contraste entre les semaines entières qui sont consacrées à l’examen de la loi de finances initiale – pour la modification de laquelle les parlementaires disposent au final de faibles marges de manœuvre – et les quelques rares heures qui sont prévues pour l’examen de la loi de règlement – alors que, comme l’a dit M. Didier Migaud, « c’est souvent à partir de l’exécution d’une loi de finances ou d’une politique publique que l’on peut se rendre compte de dysfonctionnements, de failles ou d’insuffisances » (129). Selon le Premier président de la Cour des comptes, alors que « dans tous les pays du monde, les parlementaires consacrent beaucoup plus de temps à l’exécution budgétaire qu’aux lois de finances initiales – qui sont d’ailleurs souvent des lois d’affichage », « en France, nous faisons l’inverse ».

Ce « problème culturel » (130) a également été pointé par l’ancien ministre délégué au Budget, M. Alain Lambert, président du conseil national d’évaluation des normes, qui a déclaré ne pas comprendre l’entêtement du Parlement à « consacrer trois semaines au projet de loi de finances, alors que pas une virgule n’y est changée ». Lui aussi est d’avis qu’« il faudrait y consacrer trois jours, contre trois semaines à la loi de règlement » (131).

La répartition du temps parlementaire consacré aux débats budgétaires pourrait en effet être plus équilibrée et plus efficiente.

Votre rapporteur a d’ailleurs fait des propositions en ce sens au Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone. En collaboration avec notre collègue François Cornut-Gentille, votre rapporteur a remis l’an passé à M. Claude Bartolone un rapport décrivant plusieurs scénarios de réforme possibles pour « faire progresser le travail parlementaire d’évaluation de l’action publique à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement » (132).

Comme votre rapporteur l’a souligné dans ce rapport, l’examen des crédits budgétaires est source de frustrations pour les députés : l’analyse des documents budgétaires joints au projet de loi de finances (projets annuels de performances, annexes générales et documents de politique transversale) se fait dans des délais si contraints que, parfois, les informations sont transmises aux députés après la discussion en commission. Par ailleurs, l’examen des crédits de la seconde partie du projet de loi de finances, tant en commissions élargies qu’en séance publique, ressemble plus à une succession de monologues qu’à un véritable débat de fond.

De son côté, l’examen, très rapide, du projet de loi de règlement reste un exercice très formel – dans la mesure où le texte est peu amendable sur le fond – qui ne permet pas d’appréhender de manière efficiente l’ampleur des mouvements de crédits constatés en cours d’année, ni les résultats de l’exécution budgétaire au travers des rapports annuels de performances. Le débat sur le projet de loi de règlement ne mobilise guère les commissions permanentes autres que celle des Finances : seuls le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux produisent un rapport sur ce texte.

Face à ce constat, votre rapporteur et notre collègue François Cornut-Gentille ont proposé quatre pistes de réforme susceptibles d’ériger l’examen du projet de loi de règlement en temps fort de l’évaluation de l’action publique et des travaux entrepris pour la modernisation de celle-ci (133).

Parmi les différentes options soumises au Président de l’Assemblée nationale, il a été suggéré de créer des missions d’information communes à la commission des Finances et aux commissions permanentes compétentes parallèlement à la réalisation, par le rapporteur général, d’un rapport législatif, et, par les rapporteurs spéciaux, de notes d’évaluation. L’examen du projet de loi de règlement serait ainsi complété par un débat, en séance publique, sur les rapports des missions d’information communes lors d’une semaine de contrôle fixée à la fin du mois de juin. Ce débat sur les rapports d’information produits par des binômes associant députés de la majorité et de l’opposition aurait l’avantage de conférer un contenu utile à cette semaine de contrôle.

Proposition n° 11  – Repenser l’organisation des débats budgétaires de façon à faire de la loi de règlement un moment fort d’évaluation, notamment de la modernisation de l’action publique.

B. ADOPTER UNE MÉTHODE DE TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES SUSCEPTIBLE DE LIMITER LES RISQUES DE « SURTRANSPOSITIONS » INUTILES

La réflexion menée par la mission sur la gestion du temps parlementaire s’est étendue au temps que nos assemblées consacrent à l’examen de textes législatifs pris pour la transposition de directives européennes, et donc à la méthode jusqu’ici retenue en la matière.

Longtemps, notre pays a été pointé du doigt pour le retard qu’il avait accumulé en matière de transposition des directives européennes. Si nos performances restent perfectibles, ces critiques n’ont plus lieu d’être aujourd’hui : ainsi que le notait le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, « la France a réalisé de grands progrès en termes quantitatifs. À l’heure actuelle, le déficit de transposition se situe entre 0,4 et 0,6 %, ce qui nous situe à une bonne place dans le palmarès européen » (134). D’après les informations que la mission a pu obtenir du secrétariat général des Affaires européennes (SGAE), le déficit de transposition des directives européennes était en effet de 0,6 % en 2013, contre 1 % en 2011.

Selon M. Serge Lasvignes, les administrations françaises sont désormais confrontées à double défi : celui d’éviter les phénomènes de « surtransposition » (135) et celui de mieux anticiper l’impact de la directive sur le droit national. Ces deux enjeux sont liés car, souvent, le Gouvernement justifie les mesures de surtransposition qu’il propose par un intérêt général qu’il n’a pas fait (ou pas suffisamment fait) valoir et/ou identifié au moment des négociations des textes au niveau européen, de sorte que nos entreprises finissent par être soumises à des règles qui peuvent être tout à fait légitimes et même donner de l’avance à notre économie en anticipant les futures normes européennes, mais qui, en attendant, nuisent à leur compétitivité (136) .

C’est précisément ce double défi que la mission propose de relever en formulant des propositions pour placer l’étude d’impact davantage au cœur des négociations et pour mieux contrôler les surtranspositions.

1. La propension française à transposer au-delà de ce qui est utile et nécessaire

Une riche étude de M. Yves Bertoncini sur les normes européennes publiée en mai dernier  a montré que, contrairement à ce que l’on prétend souvent, seul un quart des directives transposées en France comporte une dimension législative, contre trois quarts une dimension purement réglementaire (137).

En effet, sur la période 2000-2010, la proportion de directives transposées au moyen d’au moins un acte de nature législative s’est établie à 23,8 % du nombre total de directives (soit 236 directives sur 993) (138).

Cela correspond d’ailleurs aux données fournies dans le Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes établi par le secrétariat général des Affaires européennes (SGAE). Ce guide indique en effet que « les textes de transposition de nature législative concernent environ 20 % des mesures de transposition » (139) et qu’« environ 80 % des dispositions des directives sont transposées en France par voie réglementaire uniquement » (140).

Ces pourcentages n’ont pas connu d’évolution majeure sur la période 2010-2013. D’après les indications transmises à la mission par le SGAE, en 2011, la France a notifié à la Commission européenne 273 mesures de transposition, dont 59 étaient de nature législative. À titre de comparaison, d’après les informations fournies à la mission par trois des dix Parlements européens interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), le Danemark, le Royaume-Uni et la Suède ont, en 2011, notifié respectivement 37, 25 et 86 mesures de transposition de nature législative.

Dans la mesure où certaines lois françaises comportaient plusieurs articles transposant plusieurs directives ou habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances pour transposer plusieurs directives, ce sont au final seulement 8 lois et 9 ordonnances qui, en 2011, ont été adoptées aux fins de transposition des directives européennes. Autrement dit, seuls 6 % des 122 lois et 21 % des 42 ordonnances adoptées en France en 2011 transposaient tout ou partie d’une directive européenne.

En 2012, la France a notifié à la Commission européenne 191 mesures de transposition, dont 23 étaient de nature législative. D’après les informations fournies à la mission par trois des dix Parlements européens interrogés par l’intermédiaire du CERDP, le Danemark, le Royaume-Uni et la Suède ont, en 2012, notifié respectivement 42, 23 et 61 mesures de transposition de nature législative.

Seules 3 des 92 lois adoptées en France en 2012 transposaient des directives (soit 3 % du nombre total de lois adoptées). Et seules 5 des 40 ordonnances adoptées en France en 2012 ont été prises pour la transposition de directives (soit 13 % du nombre total d’ordonnances adoptées).

Enfin, en 2013, la France a notifié 176 mesures de transposition, dont 52 de nature législative. D’après les informations fournies à la mission par trois des dix Parlements européens interrogés par l’intermédiaire du CERDP, le Danemark, le Royaume-Uni et la Suède ont, en 2013, notifié respectivement 42, 33 et 67 mesures de transposition de nature législative.

En France, en 2013, 8 des 95 lois adoptées (soit environ 8 % du nombre total de lois) et 3 des 25 ordonnances adoptées (soit 12 % du nombre total d’ordonnances) transposaient des directives.

Au final, en France, sur les trois dernières années, le rapport entre les mesures législatives de transposition notifiées et le nombre de lois et ordonnances adoptées dans l’année est de 35 % en 2011, 17 % en 2012 et 15 % en 2013, soit 22 % en moyenne.

S’il est vrai que « l’européanisation des lois nationales est importante dans quelques secteurs (agriculture, services financiers, environnement…) et très réduite dans d’autres (éducation, protection sociale, logement, sécurité, etc.) » (141), notre pays se situe néanmoins dans la moyenne européenne, car, d’après M. Yves Bertoncini, « toutes les études disponibles convergent vers une proportion de lois nationales d’origine communautaire oscillant entre 10 % et un tiers selon les pays » (142) – et plus précisément entre 11,8 % en Finlande (ou encore 12,3 % aux Pays-Bas) et 35 % en Espagne (143).

Si l’idée selon laquelle « 80 % de nos lois viennent de Bruxelles » relève donc davantage du mythe que de la réalité, la tendance des pouvoirs législatif et exécutif français à transposer au-delà de ce qui est utile et nécessaire est, elle, bien réelle.

Votre rapporteur ne citera que deux exemples, auxquels a d’ailleurs remédié depuis une loi de simplification (144).

Deux exemples de surtranspositions

Le dispositif de la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme n’avait vocation à s’appliquer, pour le secteur des assurances, qu’aux entreprises d’assurance-vie. Or la France a été le seul pays de l’Union européenne à en avoir étendu l’application aux entreprises d’assurance de dommages. Ces entreprises se trouvaient donc dans l’obligation d’adopter des mesures de vigilance dès l’entrée en relation d’affaires avec le client alors même que, les assurances de dommages étant régies par le principe indemnitaire, le risque de blanchiment pour ce type de garanties ne peut être détecté lors de la souscription du contrat, mais seulement lors de la phase de règlement du sinistre. Il a fallu que les parlementaires s’emparent du sujet pour que soit instauré un régime simplifié et adapté aux spécificités de l’assurance de dommages en phase de souscription du contrat. Sans entamer en aucune façon le dispositif anti-blanchiment, ni remettre en cause les mesures de vigilance prises lors de la phase d’indemnisation, qui est la seule susceptible de donner lieu à la détection de fraudes motivées par le blanchiment, l’article 72 de la loi du 22 mars 2012 a libéré quelque 45 000 entreprises françaises d’assurance de dommages – dont la plupart sont de petite taille ou des professionnels indépendants – de procédures lourdes, complexes et inutiles au regard des objectifs de lutte contre le blanchiment des capitaux (145).

L’article 118 de la même loi a relevé de 4 000 à 15 000 euros le seuil à compter duquel les marchés publics doivent faire l’objet d’une procédure formalisée de publicité et de mise en concurrence préalables. Le seuil de 4 000 euros jusqu’alors retenu en France paraissait très bas au regard de la réglementation applicable au sein de l’Union européenne. À l’exception de Chypre ou encore de la Lituanie, l’immense majorité des États membres avaient retenu des seuils sensiblement plus élevés que le seuil français de 4 000 euros : 14 000 euros en Pologne, 15 000 euros en Roumanie, 40 000 ou 60 000 euros en Autriche (selon qu’il s’agissait du secteur « classique » ou des « secteurs spéciaux »), 15 000 ou 100 000 euros en Finlande (selon qu’il s’agissait des marchés de fournitures et services ou de travaux), 20 000 ou 40 000 euros en Italie (selon qu’il s’agissait des marchés de fournitures et services ou de travaux). La Commission européenne elle-même avait fixé un seuil 10 000 euros pour la passation de ses propres marchés. Là encore, comme le notait notre collègue Jean-Luc Warsmann devant la mission, il a fallu que les parlementaires s’investissent avec ténacité pour que le seuil à compter duquel les marchés publics sont soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables soit fixé à un niveau harmonisé avec celui des seuils pratiqués par la plupart des pays membres de l’Union européenne. Ce relèvement du seuil représentait un enjeu économique important pour l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique, qui représente chaque année environ 150 milliards d’euros (146).

Ces deux exemples illustrent l’ampleur des implications économiques que peuvent avoir les surtranspositions inutiles des directives européennes. Nos voisins allemands l’ont bien compris, eux qui mettent parfois en œuvre une méthode de transposition en deux temps susceptible de limiter les surtranspositions.

2. La méthode de la transposition en deux temps (ou « double corbeille »)

L’Allemagne a adopté, pour la transposition de certaines directives, une méthode que la doctrine allemande, et plus précisément le professeur Thomas Dreier, a qualifié de « double corbeille » (147).

Cet auteur explique que, pour la transposition de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (dite « directive DADVSI »), « le législateur allemand a été réaliste jusqu’à un certain point, et a transposé ce qu’il fallait transposer pour être en conformité avec la directive. Toutes les autres questions, destinées à rénover et réformer en profondeur le droit d’auteur en vue de l’adapter aux exigences du numérique et des réseaux, ont été reportées à ce qu’on appelle un deuxième volet, ou encore une “deuxième corbeille”. »

Pour la « première corbeille », « la stratégie choisie a été celle de transposer la directive telle quelle. On a emprunté le langage de la directive là où il n’y avait pas encore de dispositions précises dans la loi allemande, notamment en ce qui concerne les mesures techniques de protection, en d’autres termes [on retrouve], dans le texte allemand, toutes les questions d’interprétation qu’on peut se poser vis-à-vis du texte de la directive ». Cette transposition verbatim ou « à plat » a permis d’introduire la directive dans l’ordre interne dans les délais impartis.

Pour la « deuxième corbeille », un grand débat a été organisé, des groupes de travail ont été mis en place et une douzaine de commissions ont été instituées pour traiter chacun des pans du droit allemand de la propriété intellectuelle affectés par la directive européenne : système de rémunération pour copie privée, copie privée numérique, situation des radiodiffuseurs, réforme du droit de prêt, etc. Des rapports ont été produits par ces commissions, sur le fondement desquels un avant-projet de loi proposant une réforme globale de la matière a été préparé et soumis à la discussion, avant que ne soit arrêté un projet de loi longuement discuté par le Parlement.

Dans sa thèse sur la Méthode de transposition des directives communautaires : étude à partir de l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins (148), Mme Célia Zolynski, professeure de droit entendue par la mission, propose d’adapter le processus législatif français de transposition des directives en s’inspirant de l’exemple allemand et en procédant en deux temps. Le premier temps serait consacré à une transposition verbatim des dispositions des directives ayant un objectif d’harmonisation maximale. Pour la transposition des « dispositions communautaires poursuivant une harmonisation a maxima, i.e. dont le contenu normatif précis ôte toute marge de manœuvre à l’État membre lors de sa mise en œuvre », Mme Célia Zolynski suggère qu’« aucune disposition substantielle ne [fasse] l’objet de débat interministériel lors de la rédaction de l’avant-projet de loi ni de débat parlementaire lors de l’examen du projet de loi devant le Parlement » (149). Sans faire de l’ordonnance l’instrument de transposition de droit commun, l’auteur souligne que celle-ci présente un double intérêt :

– d’une part, elle « permet d’accélérer le processus de transposition en évitant les retards dus aux débats parlementaires » ;

– d’autre part, « l’ordonnance assure une pleine application de la directive, et, partant, le respect des obligations communautaires de l’État membre, en procédant à une “transposition à plat”, i.e. en reprenant le texte communautaire en l’état » (150).

Le second temps serait dévolu à une transposition étoffée des dispositions des directives ayant un objectif d’harmonisation minimale. Pour la transposition des « dispositions réalisant une harmonisation a minima, appelant un complément normatif de la part des États membres qui demeurent libres de déterminer les moyens les plus pertinents afin de réaliser l’objectif prescrit par la norme communautaire de nature téléologique » (151), l’auteur préconise qu’une nouvelle loi prolonge la première afin de la compléter. « Les dispositions dont l’harmonisation n’est que facultative et qui font l’objet de débats peuvent alors être examinées » - étant précisé que ces dispositions sont « bien souvent celles sur lesquelles aucun accord n’a pu être trouvé lors de l’adoption du texte communautaire » (152).

En somme, « les dispositions poursuivant une harmonisation a maxima pourraient être transposées par ordonnance. Au-delà, on doit exclure ce mode de transposition en ce qui concerne les dispositions laissant une marge de manœuvre à l’État membre puisqu’ici, le débat parlementaire est autorisé afin de déterminer les moyens les plus pertinents pour compléter la disposition communautaire et, partant, en assurer sa mise en œuvre en droit interne. Il en résulterait un découpage du texte selon la nature des dispositions à transposer » (153).

Si la méthode de transposition parfois retenue en Allemagne, paraît difficilement applicable « telle quelle » à la procédure législative française, elle pourrait en revanche être adaptée et inspirer des bonnes pratiques tendant à améliorer le processus d’adoption des directives et à faire en sorte que ce dernier limite davantage les surtranspositions.

3. Pistes pour améliorer le processus de transposition des directives

On pourrait en effet imaginer que la transposition des directives se déroule en deux temps :

– le premier passerait par l’élaboration d’un projet d’ordonnance assorti d’une étude d’impact complète et précise ;

– le second consisterait en un débat parlementaire, à l’occasion du projet de loi de ratification, sur l’étude d’impact jointe à l’ordonnance et sur la partie de l’avis du Conseil d’État relative à cette étude d’impact qui aura été rendue publique.

Un tel dispositif ne sera toutefois efficace que si une plus grande attention est accordée à l’évaluation de l’impact au stade des négociations des directives.

a. Placer l’étude d’impact au cœur des négociations des textes européens et en analyser les implications au niveau national

Lorsque la Commission européenne envisage l’élaboration d’un texte, son secrétariat général commence par mettre en ligne une feuille de route (« roadmap plan ») de trois à quatre pages indiquant :

– qui est susceptible d’être concerné par la réflexion initiée ;

– quel calendrier de consultations est envisagé ;

– quelle est la nature de la réforme envisagée (règlement, directive, recommandation…) ;

– quand le projet de texte est susceptible d’être finalisé.

À ce stade, les services de la Commission européenne attendent des réactions, qu’ils jugent trop peu nombreuses, en particulier de la part des Parlements nationaux (154). Ces derniers ne réagissent que dans le cadre du délai de huit semaines consacré à l’examen de la conformité au principe de subsidiarité d’un projet de texte européen déjà adopté par la Commission européenne (155).

Les services de la Commission que la mission a pu rencontrer lors de son déplacement à Bruxelles, le 16 janvier 2014, ont expliqué qu’ils réfléchissaient aux moyens d’assurer une plus grande publicité à cette étape de l’élaboration des normes européennes et d’améliorer la prise en compte de l’étude d’impact au niveau du Conseil européen (156).

Quoique la circulaire du Premier ministre du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes précise expressément que « l’impact de l’acte en préparation sur le droit interne doit être apprécié le plus en amont possible, pour permettre, à la fois, d’arrêter les positions de négociation de la France en connaissance de cause et de préparer la transposition », le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, a concédé que les administrations françaises devaient encore fournir des efforts pour mieux anticiper l’impact des directives au niveau national (157). À cet effet, le Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes établi par le SGAE impose l’élaboration de fiches d’impact simplifiée et stratégique (158).

Pourtant, des difficultés subsistent, qu’a relevées, lors de son audition, M. Nick Malyshev, responsable de la division de la politique de la réglementation de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Ce dernier a en effet indiqué que, d’après les études de l’OCDE sur le « Mieux légiférer » en Europe et en France (159), « il y a souvent peu de rapports entre les études d’impact menées au niveau de la Commission européenne et ce qui émerge à l’autre bout du processus » (160).

Ce constat ne concerne pas que la France. La mission a pu constater lors de ses déplacements à Bruxelles et à Berlin, que, de l’avis de nos voisins belges et allemands, c’est le stade précoce des négociations des textes européens qui constitue le maillon faible de la chaîne du « mieux légiférer » au niveau des institutions européennes.

Lors de son déplacement à Berlin, le 12 février 2014, la mission a rencontré des représentants du conseil national de contrôle des normes (« NKR ») qui ont exprimé le souhait que le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne s’emparent davantage des enjeux liés à l’impact des projets de textes qu’ils négocient, le plus en amont possible des négociations. Ils ont formé le vœu que les ministres allemands et députés allemands au Parlement européen s’organisent mieux en interne pour examiner les projets d’actes législatifs de la Commission européenne sous l’angle de leurs coûts pour l’Allemagne.

De son côté, M. Helge Braun, ministre d’État auprès de la Chancelière, chargé de la simplification, a insisté sur le fait qu’il était crucial d’intégrer une réflexion sur l’impact des projets de texte le plus en amont possible de leur négociation, au niveau du Conseil européen et du Conseil des ministres européens. Les ministres, chefs de gouvernements et chefs d’États européens doivent selon lui placer les études d’impact ex ante au cœur de leurs débats et négociations afin d’influer le plus tôt possible sur les orientations et le contenu des projets de textes européens. Il avait souhaité qu’une discussion approfondie sur ce sujet soit engagée après les élections européennes et qu’elle soit l’occasion d’un travail franco-allemand voire d’une prise de position commune.

Dans l’attente d’une meilleure anticipation des impacts de la réglementation européenne, les autorités allemandes ont créé un site Internet, consultable par tous, où sont indiqués les coûts auxquels il faut s’attendre compte tenu des projets de textes européens en cours d’adoption. Ce site Internet est connu sous le nom de « moniteur PME ». Cet outil permet aux petites et moyennes entreprises allemandes d’anticiper les effets de la réglementation européenne envisagée et de transmettre leurs remarques de façon précoce. Le « moniteur PME » donne une vue d’ensemble des initiatives du programme de travail de la Commission affectant les PME, dès la publication de ce programme de travail, et pour toute la durée du cycle de travail. Le moniteur PME prend la forme d’un tableau d’une vingtaine de pages, dans lequel les propositions sont regroupées par secteur (161). Les règlementations envisagées au niveau européen sont classées en fonction de leur importance pour les PME nationales, selon un système de feux tricolores.

Le décalage qui peut parfois être constaté entre l’impact des directives européennes tel qu’il est évalué par la Commission européenne et par les négociateurs, et l’impact des mesures de transposition tient non seulement à une anticipation insuffisante des conséquences des textes au niveau national lors de la phase de négociation, mais aussi à une rupture entre la phase de négociation et la phase de transposition. C’est du moins l’analyse du secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, qui a expliqué devant la mission que « jusqu’à il y a peu, le service chargé de négocier la directive à Bruxelles était différent de celui qui était chargé de la transposer dans le droit national », de sorte que, très vite, « la mémoire de la négociation pouvait se perdre, si bien qu’il devenait impossible de se rappeler pourquoi la France avait elle-même demandé l’inscription de telle ou telle disposition dans la directive ». Tout en soulignant que « des progrès ont été réalisés sur tous ces points », notamment à la faveur du rapprochement du SGG et du SGAE, M. Serge Lasvignes a fait état de la persistance de « difficultés à obtenir des ministères qu’ils échangent avec le Secrétariat général au sujet de l’impact effectif d’un projet en cours de préparation ». Il a ajouté qu’il lui était « même arrivé de découvrir que des projets de directives impliquaient une révision de la Constitution, sans que l’administration concernée s’en soit rendu compte ».

Ainsi que l’a indiqué devant la mission M. Nick Malyshev, l’OCDE aussi a constaté que « de nombreux pays ont du mal à négocier la version finale des directives au niveau du Conseil », notamment parce que « les politiques chargés des négociations ne sont pas suffisamment en relation avec les personnes qui seront responsables de la transposition. Lorsque la directive arrive dans le cadre national, elle provoque souvent la surprise, signe d’une préparation insuffisante ». Pour y remédier, l’OCDE recommande, comme la mission, « que les États membres utilisent davantage les études d’impact menées au niveau de l’Union sur les textes européens », car, « alors que la Commission alloue des moyens considérables au développement de ces travaux, nous n’avons pas l’impression que les pays s’en servent comme point d’appui pour analyser l’impact local des directives ».

Une meilleure appropriation de l’étude d’impact de la Commission européenne et, corrélativement, une meilleure anticipation de l’impact des textes négociés au niveau national pourront contribuer à limiter les surtranspositions car les mesures que la France jugera les plus appropriées au regard de sa situation particulière seront alors défendues au stade des négociations, et non plus imposées au stade de la transposition.

b. Mieux identifier les éventuelles surtranspositions

Il est vrai que le Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes établi par le SGAE recommande de lutter contre la surtransposition en invitant les ministères à écarter toute mesure allant au-delà de ce qu’implique strictement la mise en œuvre de la directive et en rappelant qu’une directive ne devrait pas être l’occasion d’une remise en chantier du droit national, en dehors de ce qui est nécessaire pour la transposition.

Pourtant, en tant que députés, nous sommes régulièrement interpellés par des professionnels qui remarquent que leurs concurrents d’autres pays de l’Union européenne disposent de marges de manœuvre supérieures aux leurs.

Or, à cet égard, le Parlement ne dispose aujourd’hui d’aucun outil permettant d’identifier une surtransposition. Or c’est d’autant plus problématique que la transposition des directives européennes s’effectue parfois « par appartement », « le Gouvernement se contentant [pour reprendre la formule de notre collègue Jean-Luc Warsmann] de rédiger quelques amendements qu’il “confie” à certains députés de la majorité » (162), sans stratégie globale de transposition. Ainsi que l’a décrit notre collègue Jean-Luc Warsmann, « la plupart du temps, malheureusement, cela se passe ainsi : un collègue dépose un amendement inspiré par le Gouvernement et destiné, par exemple, à soumettre à l’étude d’impact les poulaillers de plus de 50 000 volailles ; le ministre se lève et se déclare favorable. L’amendement est donc voté, bien que le Parlement ne dispose d’aucun élément d’appréciation, et que les parties prenantes – professionnelles ou autres – n’aient pas pu s’exprimer à son sujet puisqu’il s’agit d’un amendement parlementaire ».

Lorsqu’elle se fait par voie législative, la transposition d’une directive devrait, au contraire, être l’occasion, pour le Parlement, de toiletter le droit et d’abroger les anciennes dispositions de droit interne, ou du moins de débattre de la nécessité de les maintenir. Cela permettrait d’éviter que ne se constitue un « mille-feuille » d’obligations à la fois européennes et nationales qui contribuent à placer notre pays en situation de surtransposition.

L’objectif d’identification des surtranspositions n’est pas hors de portée. Nos voisins y parviennent. À titre d’exemple, le Royaume-Uni a récemment déployé d’importants moyens de lutte contre la surtransposition des directives européennes. Outre le contrôle des cas de surtransposition qui est opéré par le conseil consultatif indépendant chargé de contrôler la qualité des études d’impact (« Regulatory Policy Committee » - RPC) et par le comité gouvernemental chargé de la réduction de la réglementation (« Reducing Regulation ministerial Committee » - RRC), des lignes directrices encadrent strictement la transposition de la règlementation européenne et font l’objet de rapports quant à leur application :

– toute surtransposition est interdite, sauf lorsqu’elle est favorable aux entreprises britanniques et dûment justifiée (sur la période juillet 2011-décembre 2012, des standards plus élevés que les exigences européennes n’ont été retenus que dans 14 % des cas, sans que cela n’implique de charges supplémentaires) ;

– le Gouvernement doit chercher autant que possible à utiliser des alternatives à la réglementation (sur la période juillet 2011-décembre 2012, cela a été fait dans 16 % des cas) ;

– le Gouvernement doit transposer « mot pour mot » dans la mesure du possible, sauf si cela engendre un risque de mauvaise compréhension ou de mauvaise interprétation (sur la période juillet 2011-décembre 2012, cela a été fait dans 72 % des cas) ;

– le Gouvernement doit s’assurer que les mesures n’entrent en vigueur qu’à la date butoir définie par la Commission, sauf lorsqu’une transposition anticipée profiterait aux entreprises (sur la période juillet 2011-décembre 2012, 95 % des mesures sont entrées en vigueur à la date fixée par les institutions européennes) ;

– le Gouvernement doit introduire dans le texte de transposition une clause de révision quinquennale.

En Allemagne, le nouveau Gouvernement a décidé que, désormais, comme au Royaume-Uni, toute surtransposition serait interdite, sauf lorsqu’elle serait favorable aux entreprises allemandes et dûment justifiée.

En revanche, ce contrôle ne concerne pas les règlements européens, qui sont d’application directe. Ayant constaté que les charges administratives résultant des règlements pouvaient être conséquentes, le conseil national de contrôle des normes (« NKR ») a décidé de mettre en place d’ici la fin de l’année 2014 un processus d’évaluation desdites charges.

Si nos voisins britanniques et allemands sont parvenus à mettre en place de telles stratégies de lutte contre les surtranspositions, il n’y pas de raison que la France n’y parvienne pas.

De façon à éviter que les débats parlementaires ne soient l’occasion d’aller au-delà des exigences européennes, la mission recommande de développer la transposition des directives par voie d’ordonnances, à la double condition toutefois que :

– lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances de transposition, le Parlement dispose des études d’impact réalisées sur les projets d’ordonnances ainsi que de la partie de l’avis du Conseil d’État portant sur la qualité de ces études d’impact ;

– les études d’impact jointes aux projets d’ordonnances et la partie de l’avis du Conseil d’État qui y est relative identifient clairement les éventuelles surtranspositions qui devront par ailleurs être dûment justifiées.

Cette proposition doit être lue en lien avec les précédentes propositions de la mission qui visent à rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour tous les projets d’ordonnance, et à rendre publique la partie de l’avis du Conseil d’État sur les études d’impact assortissant les projets et propositions de loi ainsi que les projets d’ordonnance.

Proposition n° 12 – Modifier les modalités de négociation et de transposition des directives

– Placer l’étude d’impact de la Commission européenne (et ses implications au niveau national) au cœur des négociations des directives européennes ;

– Développer la transposition des directives par voie d’ordonnances en exigeant :

– que l’avis du Conseil d’État sur le projet d’ordonnance de transposition soit rendu public avant le dépôt du projet de loi de ratification ;

– et que cet avis ainsi que l’étude d’impact assortissant le projet d’ordonnance identifient les éventuelles « surtranspositions », qui devront alors être soumises à une obligation de motivation renforcée.

TROISIÈME PARTIE : MIEUX ÉVALUER LA NORME
EN AVAL DE SON ADOPTION

L’amélioration de la fabrique de la loi passe par la mise en place d’un « cercle vertueux » de l’évaluation au sein duquel l’étude ex post de l’impact peut conduire à envisager des modifications de la norme adoptée – modifications qui, si elles trouvent une traduction législative, seront elles-mêmes soumises à une analyse ex ante de leur impact. Il existe en effet un lien étroit et nécessaire entre l’évaluation ex ante et l’évaluation ex post, qui se nourrissent l’une de l’autre.

Or, en matière d’évaluation ex post, la mission a pu constater tout au long de ses travaux que notre pays comptait de nombreux acteurs ainsi que de nombreuses initiatives qui gagneraient sans doute à être organisées de façon plus méthodique.

I. CLARIFIER LE PAYSAGE DE L’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Cour des comptes, comité d’évaluation et de contrôle (CEC), mission d’évaluation et de contrôle (MEC), commission pour le contrôle de l’application des lois, directions ministérielles de la recherche, des études, de l’évaluation, de la prospective et des statistiques… Il est aujourd’hui extrêmement difficile de faire un recensement exhaustif des institutions, organes parlementaires ou services ministériels qui interviennent en matière d’évaluation ex post des normes, et, plus largement, des politiques publiques, tant ceux-ci sont nombreux.

Si l’on peut se réjouir d’une telle abondance, votre rapporteur estime cependant que les multiples initiatives que prennent ces différents acteurs en matière d’évaluation ex post gagneraient, dans un souci d’efficacité, à être mieux coordonnées.

A. UNE ÉVALUATION A POSTERIORI ABONDANTE MAIS PAS TOUJOURS ORGANISÉE.

L’évaluation ex post des normes adoptées et des politiques publiques est aujourd’hui le fait à la fois :

– du Parlement, qui s’est doté en la matière de nombreux organes et a adopté des bonnes pratiques ;

– des juridictions judiciaires et administratives et d’institutions comme la Cour des comptes ou le Conseil économique, social et environnemental ;

– de l’exécutif, qui dispose de nombreux corps d’inspection, secrétariats et commissariats généraux, et autres départements ministériels dédiés à l’évaluation.

1. Ce que fait le Parlement

Outre les multiples rapports ponctuels que le Parlement demande au Gouvernement sur les sujets les plus divers à l’occasion de l’examen des textes de loi, et dont le nombre a avoisiné 400 sous la précédente législature, d’après le secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen (163), les rapports d’application des lois adoptées et les rapports d’information que produisent les parlementaires contribuent au travail d’évaluation et de contrôle que mènent les assemblées et pour lequel elles se sont dotées de nombreux organes.

a. Les rapports d’application des lois adoptées

Votre rapporteur tient à rappeler que le Parlement s’est fortement investi au cours des vingt dernières dans l’évaluation de la qualité opérationnelle des lois adoptées et promulguées, ce qui se traduit par une évaluation de l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre par ces lois. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a d’ailleurs modifié l’article 24 de la Constitution pour reconnaître expressément au Parlement une mission d’évaluation des politiques publiques.

Depuis 2004, à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, un rapport sur la mise en application de cette loi doit être présenté à la commission compétente. Ce rapport fait notamment état des textes réglementaires publiés, ainsi que des dispositions de la loi concernée qui n’auraient pas fait l’objet des textes d’application nécessaires.

Depuis 2009, l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que la rédaction de ce rapport est confiée à deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition et parmi lesquels figure de droit le rapporteur du projet ou de la proposition de loi faisant l’objet du rapport d’application. Les rapports sur la mise en application des lois peuvent donner lieu, en séance publique, à un débat sans vote ou à une séance de questions.

Ces rapports sur la mise en application des lois se nourrissent des documents fournis par le Gouvernement, dont notre collègue David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, a jugé qu’ils étaient « de contenu très inégal – s’apparentant parfois à une sorte d’exposé des motifs –, voire parfois même pas transmis au Parlement, ce qui explique que nos commissions n’utilisent pas pleinement ces outils dont il faudrait pourtant faire un meilleur usage » (164).

Votre rapporteur souligne en outre que les rapports des députés et sénateurs sur la mise en application des lois se focalisent surtout sur la vérification de ce que les décrets d’application d’une loi ont bien été pris et, le cas échéant, sur les raisons invoquées par l’exécutif pour justifier un retard d’adoption de ces décrets. L’évaluation ex post de l’impact des lois adoptées et des politiques publiques qu’elles concourent à mettre en œuvre relève davantage des rapports produits par les commissions d’enquête et les missions d’information.

b. Les commissions d’enquête, missions d’information des commissions permanentes et missions d’information de la Conférence des Présidents

La mission assignée aux commissions d’enquête régies par les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale tend à évoluer dans le sens d’une démarche évaluative de politiques publiques sectorielles, ainsi qu’a pu le montrer, sous la XIVe législature, la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ou encore celle sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement.

Par ailleurs, depuis 1990, les articles 145 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale offrent aux commissions permanentes la possibilité de créer des missions d’information temporaires, éventuellement communes à plusieurs commissions, pour évaluer les conditions d’application d’une législation.

Qui plus est, en application de l’article 145, alinéa 4, du Règlement, la Conférence des présidents peut elle aussi créer, sur proposition du Président de l’Assemblée nationale, des missions d’information.

c. L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques  (OPECST) et les diverses délégations parlementaires

Créé par la loi n° 83-609 du 8 juillet 1983, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a pour mission, aux termes de la loi, « d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions ». À cet effet, l’OPECST « recueille des informations, met en œuvre des programmes d’études et procède à des évaluations ».

Composé de 18 sénateurs et 18 députés, cet organe est présidé alternativement par un sénateur et par un député. Il est assisté par un conseil scientifique formé de personnalités choisies en raison de leurs compétences. Il peut être saisi par le Bureau de l’une des deux assemblées, par un président de groupe, par 60 députés ou 40 sénateurs ou par une commission. 

Les travaux de cet office servent le plus souvent à l’établissement d’un rapport préalable à la réflexion législative. Cependant, diverses lois prévoient une évaluation ex post par l’OPECST de la mise en œuvre de tout ou partie de leurs dispositions, parmi lesquelles les lois de 1994, 2004 et 2011 relatives à la bioéthique (165), la loi de 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (166), les lois de programme de 2006 relatives à la recherche et à la gestion durable des matières et déchets radioactifs (167).

Outre l’OPECST, diverses délégations apportent leur pierre à l’évaluation ex post des lois adoptées dans les domaines qui les concernent :

– délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes créées dans les deux assemblées par la loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 ;

– délégation parlementaire au renseignement commune à l’Assemblée nationale et au Sénat et créée par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 ;

– délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation créée au Sénat par l’arrêté n° 2009-95 du Bureau du 7 avril 2009 ;

– délégation à la prospective créée au Sénat le 7 avril 2009 par l’Instruction générale du Bureau ;

– délégation à l’Outre-mer créée au Sénat par l’arrêté n° 2011-282 du Bureau du 16 novembre 2011 ;

– délégation aux outre-mer, créée à l’Assemblée nationale par la Conférence des Présidents du 17 juillet 2012.

d. La mission d’évaluation et de contrôle (MEC)

La mission d’évaluation et de contrôle a été créée en 1999 au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, à la suite des conclusions d’un groupe de travail sur le contrôle parlementaire et l’efficacité de la dépense publique qui fut l’initiateur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Forte de 18 membres désignés à parité entre majorité et opposition par les groupes politiques, elle est co-présidée par un député de la majorité et par un député de l’opposition et conduit des investigations approfondies sur des politiques publiques sectorielles.

Dotée de pouvoirs étendus pour convoquer des témoins et se faire communiquer tous documents (à l’exception de ceux couverts par le secret médical, de l’instruction ou encore de la défense nationale), la MEC formule des propositions concrètes d’amélioration des politiques publiques qui font l’objet d’un suivi et, parfois, de notifications au Gouvernement qui, en application de l’article 60 de la LOLF, est tenu d’y répondre par écrit dans un délai de deux mois.

e. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) 

Des missions d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale ont été mises en place en 2004 au sein des commissions des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Coprésidées par deux parlementaires de la majorité et de l’opposition, ces missions, dont la composition tend à reproduire la configuration politique des assemblées, sont chargées d’évaluer toute question relative aux finances de la sécurité sociale. Elles disposent pour ce faire de pouvoirs étendus qui sont fixés aux articles L.O. 111-9, L.O. 111-9-1, L.O. 111-9-3 et L.O. 111-10 du code de la sécurité sociale (convocation de témoins, contrôles sur pièces et sur place auprès d’administrations de l’État et des organismes de sécurité sociale, etc.).

Les MECSS publient des rapports et peuvent notifier au Gouvernement ou à un organisme de sécurité sociale des observations auxquelles ces derniers sont tenus de répondre dans un délai de deux mois.

f. Le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC)

À la suite de la consécration constitutionnelle de la fonction d’évaluation et de contrôle du Parlement, la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale du 27 mai 2009 a conduit à la création d’une instance de contrôle opérationnel : le comité d’évaluation et de contrôle (CEC).

Sous l’égide du Président de l’Assemblée nationale, ce comité conduit des évaluations de politiques publiques transversales portant sur des domaines de compétence plus larges que ceux d’une commission permanente (article 146-3 du Règlement) et peut, sur saisine du président de la commission à laquelle un projet de loi a été renvoyé, apporter son expertise sur les études d’impact qui accompagnent les projets de loi déposés par le Gouvernement (article 146-5 du Règlement), notamment afin de déterminer si ces études satisfont aux exigences prévues à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

Le CEC peut également formuler des propositions pour la détermination de l’ordre du jour de la semaine réservée par priorité au contrôle et à l’évaluation de la législation. Il peut « en particulier, proposer l’organisation en séance publique, de débats sans vote ou de séances de questions portant sur les conclusions de ses rapports ou sur celles des rapports des missions d’information » des commissions permanentes ou de la Conférence des présidents (article 146-7 du Règlement).

Votre rapporteur souligne que, depuis l’actuelle législature, le CEC s’est efforcé d’éclairer, par ses travaux d’évaluation ex post, l’analyse ex ante de l’impact des projets de loi dont notre Assemblée est saisie. Par exemple, en vue de l’examen par notre Assemblée du texte qui est devenu la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, le CEC a mené, pendant l’année 2013, une évaluation de l’adéquation entre l’offre et les besoins de formation professionnelle qui a conduit à la publication d’un rapport d’information en janvier 2014 (168). Plus récemment, dans la perspective des débats sur le projet de loi n° 2188 relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, le CEC a réalisé une évaluation du paquet « énergie-climat » de 2008 en France qui a abouti à la publication d’un rapport d’information en mai dernier (169).

g. La commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois

Instituée en novembre 2011 par l’article X bis de l’Instruction générale du Bureau du Sénat et composée de 39 membres, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est chargée de veiller à la mise en œuvre effective des textes votés par le Parlement.

Bénéficiant des prérogatives d’une commission d’enquête, cette commission assure non seulement un suivi de la publication des décrets d’application mais aussi une évaluation de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs adoptés au regard de ce qui en était attendu a priori.

En effet, cette commission établit des rapports thématiques sur certaines lois – portant sur des domaines variés – qui sont sélectionnées dans le cadre d’un programme de travail annuel défini en coordination avec les groupes politiques et les commissions permanentes.

La mise en œuvre des lois retenues pour faire l’objet de bilans d’évaluation est examinée par des rapporteurs qui travaillent en binômes de différentes sensibilités politiques, de manière à assurer le pluralisme de leurs analyses. Sous réserve des contraintes du calendrier parlementaire, chacun de ces bilans fait l’objet d’un débat de contrôle en séance publique, en présence du ministre responsable.

Pour la session 2013-2014, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a choisi d’effectuer sept bilans d’évaluation portant sur :

– la loi du 23 juillet 2010 relatives aux chambres de commerce et d’industrie (en liaison avec la commission des Affaires économiques) ;

– la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure ;

– la loi du 1er août 2008 sur les droits et obligations des demandeurs d’emploi ;

– la loi du 28 octobre 2009 sur la parité de financement entre les écoles élémentaires accueillant des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence, dite « loi Carle » ;

– la loi du 24 janvier 2012 relative à Voies navigables de France (en liaison avec la commission du Développement durable) ;

– les dispositions législatives relatives aux pouvoirs de sanction des régulateurs financiers (en liaison avec la commission des Finances) ;

– les dispositions législatives récentes sur la lutte contre la précarité dans la Fonction publique et l’intégration des contractuels (en liaison avec la commission des Lois).

Lors de son audition, le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, M. David Assouline, a insisté sur le fait que ces bilans d’évaluation ne se contentaient pas d’un recensement statistique des mesures d’application, mais comportaient une expertise poussée de l’impact des normes concernées. Il a expliqué que c’est d’ailleurs l’évaluation par sa commission de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui avait « permis de souligner notamment qu’on n’arriverait pas à permettre l’accessibilité des personnes handicapées à tous les lieux publics en 2015 et conduit le Gouvernement à nommer l’une de nos rapporteures parlementaire en mission pour faire des recommandations législatives ».

Comme la mission a pu le constater lors de son déplacement à Bruxelles, le 16 janvier 2014, nos voisins belges ont créé au sein de leur Parlement un organe comparable à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

En effet, une loi organique du 25 avril 2007 a créé un comité parlementaire chargé du suivi législatif, organe commun à la Chambre des représentants et au Sénat de Belgique, et composé de 11 députés et de 11 sénateurs. Ce comité procède à des évaluations ex post de certains dispositifs législatifs qu’il sélectionne après avoir identifié les difficultés d’application des auxquels ils se heurtent grâce :

– aux requêtes dont tous les citoyens belges peuvent, depuis le 1er mai 2013, saisir le Parlement (via un site Internet (170)) ;

– aux rapports annuels de la Cour constitutionnelle et du ministère public (procureur général près la Cour de cassation et Collège des procureurs généraux) qui signalent aux commissions parlementaires et aux ministres compétents les difficultés concrètes rencontrées dans le cadre de l’application ou de l’interprétation des lois.

En France aussi, les rapports annuels des juridictions judiciaires et administratives contribuent à l’évaluation ex post de l’impact des textes votés par le Parlement.

2. Ce que font les juridictions

a. Les rapports de la Cour de cassation

La Cour de cassation participe d’une certaine façon à l’évaluation des dispositifs adoptés par ses rapports annuels. L’article R. 431-9 du code de l’organisation judiciaire, relatif au fonctionnement de la Cour de cassation, précise en effet qu’« il est fait rapport annuellement au président de la République et au garde des sceaux, ministre de la justice, de la marche des procédures et de leurs délais d’exécution ». Et l’article R. 431-10 du même code ajoute que « le premier président et le procureur général peuvent appeler l’attention du garde des sceaux, ministre de la justice, sur les constatations faites par la Cour à l’occasion de l’examen des pourvois et lui faire part des améliorations qui leur paraissent de nature à remédier aux difficultés constatées ».

À cette occasion, la Haute juridiction présente, dans la deuxième partie de son rapport, des suggestions de modifications législatives ou réglementaires, tandis que la troisième partie dudit rapport est consacrée à une étude, désormais unique depuis 2006, sur un thème particulier (la preuve en 2012, le risque en 2011, le droit de savoir en 2010…).

b. Les rapports du Conseil d’État

Le Conseil d’État contribue lui aussi à l’évaluation des politiques publiques par le rapport public et l’étude qu’il produit chaque année.

Le rapport annuel que le Conseil d’État remet au Président de la République est préparé par la section du rapport et des études, sous l’autorité de son président, assisté d’un rapporteur général, avec l’aide des autres sections du Conseil d’État. Il engage toute l’institution puisqu’il est adopté par l’Assemblée générale.

Ce rapport a un contenu triple : il fait le point des activités contentieuses et administratives du Conseil d’État au cours de l’année écoulée, attire l’attention des pouvoirs publics sur les difficultés rencontrées par les justiciables dans l’exécution des décisions des juridictions administratives et étudie une question de fond sur lequel il propose des orientations de la pratique administrative voire des modifications de dispositions législatives ou réglementaires. Ces études annuelles ont par exemple porté sur le droit souple en 2013, sur les agences en 2012 (« Les agences, une nouvelle gestion publique ? »), sur les consultations en 2011 (« Consulter autrement, participer effectivement »), sur le droit de l’eau en 2010 et sur le droit au/du logement en 2009.

L’article L. 112-3 du code de justice administrative prévoit en effet que « le Conseil d’État peut, de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes à l’intérêt général ».

Par ailleurs, un certain nombre d’études de fond, commandées au Conseil d’État par le Premier ministre, sont conduites par la section du rapport et des études. Participent à ces études des membres du Conseil d’État appartenant à d’autres sections, mais aussi des personnalités françaises ou étrangères, n’appartenant pas au Conseil d’État. C’est ainsi qu’en 2013, le Conseil d’État a produit, à la demande du Premier ministre, une étude sur le rescrit. Des études ont également été réalisées sur l’institution d’un parquet européen en 2011, sur le développement de la médiation dans le cadre de l’Union Européenne en 2010, sur la révision des lois de bioéthique en 2009, ou encore sur le droit de préemption ainsi que sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) en 2008.

À l’instar de la juridiction administrative suprême, la juridiction financière suprême concourt à l’évaluation ex post des politiques publiques.

3. Ce que fait la Cour des comptes

La Cour des comptes est une juridiction indépendante à laquelle l’article 47-2 de la Constitution confie la mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens. Les contrôles et les évaluations de la Cour des comptes portent sur la régularité, l’efficience et l’efficacité de l’usage de l’argent public. Elle procède à ce titre à l’examen des comptes publics et à la certification des comptes de l’État et de la sécurité sociale.

Des recommandations accompagnent les observations de la Cour dans tous ses rapports publics. Ce sont des mesures concrètes pour remédier aux gaspillages et pour faire progresser la gestion des services publics au meilleur coût. La Cour s’assure de la mise en œuvre de ses recommandations et des suites qui leur sont données.

La Cour des comptes se situe à équidistance du Parlement et du Gouvernement, qu’elle assiste l’un et l’autre. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé l’interaction entre le Parlement et la Cour des comptes. La loi constitutionnelle n° 2008-724 de modernisation des institutions de la Ve République a en effet introduit dans la Constitution un article 47-2 dont le premier alinéa dispose que « la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement » et qu’« elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques ».

En vertu de cette disposition, la Cour des comptes apporte son concours aux travaux de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) mise en place au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. La Cour est consultée par la MEC préalablement au choix des thèmes d’investigation qui seront retenus, et ses membres assistent aux réunions de la MEC.

De la même façon, les missions d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) créées en 2004 au sein des commissions des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat peuvent solliciter l’appui de la Cour des comptes dont les membres peuvent participer aux travaux des missions en question. La Cour procède en outre à des enquêtes sur les organismes de sécurité sociale soumis à son contrôle afin de transmettre ses conclusions aux MECSS qui peuvent en outre collaborer avec l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS).

La Cour assiste enfin le comité d’évaluation et de contrôle des politiques (CEC) dans le cadre de deux évaluations annuelles dont les thèmes sont retenus d’un commun accord entre la Cour et le CEC.

4. Ce que fait le Conseil économique, social et environnemental

Assemblée consultative dont l’existence est fixée par la Constitution (titre XI, articles 69 à 71), le conseil économique, social et environnemental (CESE) compte 233 membres représentant la vie économique et associative (salariés, entreprises industrielles et commerciales, professions agricoles, artisanales et libérales, associations et fondations œuvrant notamment dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement).

Par la représentation des principales activités économiques, sociales et environnementales, le CESE favorise la collaboration des différentes catégories socioprofessionnelles entre elles et assure leur participation à la définition et à l’évaluation des politiques publiques.

Le CESE a vu ses compétences et missions élargies à la suite de à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010. Parmi ses cinq missions figure celle de contribuer à l’évaluation des politiques publiques à caractère économique, social et environnemental. Pour s’acquitter de cette mission, le CESE s’est doté en novembre 2010 d’une délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques.

Cette évaluation peut prendre la forme d’études destinées à dresser un premier bilan sur une thématique sans pour autant donner lieu à la formulation de propositions. Toutefois, ces études peuvent être transformées en projets d’avis qui dressent un bilan exhaustif du sujet traité et présentent les propositions concrètes que le CESE adresse aux décideurs politiques.

Les différents rapports, avis et études produits par le CESE résultent soit d’une saisine gouvernementale ou parlementaire, soit de sa propre initiative (autosaisine), soit d’une saisine par voie de pétition portant sur toute question à caractère économique, social et environnemental et signée par au moins 500 000 personnes majeures (de nationalité française ou résidant régulièrement en France).

5. Ce que font les services et les corps d’inspection de l’exécutif

L’exécutif dispose de nombreux outils d’évaluation ex post. La plupart des ministères sont dotés d’une direction de la recherche, des études, de l’évaluation, de la prospective et/ou des statistiques. C’est notamment le cas pour les ministères de l’Économie et des Finances, des Affaires sociales et de la santé, du Travail, de la Culture, de l’Éducation nationale ou encore du Logement. À ces directions s’ajoutent :

– le conseil général de l’environnement et du développement durable, dont l’autorité environnementale rend des avis sur la qualité des évaluations environnementales des plans, programmes et projets et sur les mesures de gestion visant à éviter, atténuer ou compenser les impacts ;

– l’agence nationale de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche (AERES), autorité administrative indépendante créée en 2007, notamment pour évaluer les formations et les diplômes des établissements d’enseignement supérieur.

a. Les corps d’inspection

Les corps d’inspection de l’État, particulièrement l’Inspection générale des Finances (IGF), l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’administration (IGA), contribuent à l’évaluation ex post de la qualité opérationnelle de la législation.

L’IGF exerce une mission générale de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation en matière administrative, économique et financière. À côté de son travail d’inspection, qui permet à l’État de contrôler l’efficacité financière des services déconcentrés des ministères, ses missions d’évaluation visent à porter une appréciation sur des organismes ou des dispositifs publics et à suggérer des améliorations. Elles s’inscrivent notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), et dans le contexte de l’examen de l’efficience des dépenses fiscales (chiffrage des nouveaux dispositifs fiscaux, évaluation et pilotage des politiques d’emploi, etc.).

L’IGAS est le service administratif de contrôle, d’audit et d’évaluation des politiques sociales, placé sous l’autorité du ministre des Affaires sociales et de la Santé ainsi que du ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Elle assure des missions d’inspection des services ou organismes publics ou privés bénéficiant de concours publics ou financés par des cotisations obligatoires. Elle évalue également les politiques publiques menées dans ses domaines de compétence, et suggère des évolutions souhaitables. Ce service effectue environ 200 missions par an et a réalisé 217 rapports en 2013.

L’IGA, corps d’inspection du ministre de l’Intérieur, est chargée de missions d’évaluation des politiques publiques, d’audit de service et d’appui et de conseil. Elle a une vocation interministérielle et intervient sur l’ensemble des champs d’action publique, en réponse aux demandes de Premier ministre ou de tout autre membre du Gouvernement. Elle est très impliquée sur les sujets de la réforme de l’État, des libertés publiques, de la sécurité, des collectivités locales et des territoires. En moyenne, plus d’une centaine de missions et de rapports sont réalisés chaque année (111 en 2012, 115 en 2013).

Le Contrôle général économique et financier (CGEFi), créé par le décret n° 55-733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et financier de l’État, a pour mission d’optimiser la gestion de l’argent public. Il intervient dans des organismes dans lesquels l’État possède des intérêts majoritaires, quel que soit  leur statut (entreprises, établissements publics, GIP), ou  qui relèvent de la catégorie des opérateurs de l’État, ainsi que des organismes indépendants de l’État autorisés à percevoir (ou bénéficiaires) des taxes, redevances ou cotisations à caractère obligatoire. Il apprécie les risques, notamment financiers, et mesure la performance  des organismes qu’il contrôle pour alerter les dirigeants et en rendre compte aux directions de tutelles et aux ministres. En parallèle de sa mission de contrôle, cet organe dispose d’une capacité d’analyse comparative, de synthèse et de prospective qu’il met au service des ministres sous forme de notes périodiques d’alertes, d’études approfondies sur des sujets d’actualité, d’organisation de colloques ou d’ateliers, ce qui contribue à la qualité des décisions des pouvoirs publics.

L’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) a été créée par l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature. Chargée d’une mission permanente d’inspection, sur l’ensemble des directions et services du ministère de la Justice, ainsi que sur les juridictions de l’ordre judiciaire et sur les personnes morales de droit public ou privé, dont les activités sont liées à celles du ministère, l’IGSJ est aussi chargée d’une mission d’appréciation de l’activité, du fonctionnement et de la performance de ces juridictions, services et organismes. Elle émet toutes les recommandations et observations utiles. Le rapport annuel d’activité de l’IGSJ retrace l’essentiel des missions de contrôle de fonctionnement et présente une synthèse des principales préconisations.

L’IGSJ peut être saisie par le garde des Sceaux lorsque ce dernier souhaite pouvoir disposer d’éléments d’appréciation sur la nécessité, la faisabilité ou l’impact d’une réforme en lien avec les politiques publiques du ministère de la Justice et des Libertés. Elle conduit alors ses travaux en exécution d’une lettre de mission, conjointement avec des services ou corps d’inspection d’autres ministères comme l’IGF, l’IGA ou l’IGAS. L’IGSJ travaille selon une méthodologie proche de l’audit : ses missions de contrôle s’appuient sur des « référentiels » élaborés en fonction d’une analyse des risques.

b. Le commissariat général à la stratégie et à la prospective

Créé par le décret n° 2013-333 du 22 avril 2013, et se substituant ainsi au Centre d’analyse stratégique, le commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) apporte son concours au Gouvernement pour la détermination des grandes orientations de l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long termes de son développement économique, social, culturel et environnemental et participe à l’évaluation des politiques publiques.

Le Commissariat général travaille en réseau avec huit organismes à compétences sectorielles : le Conseil d’analyse économique, le Conseil d’orientation des retraites, le Conseil d’orientation pour l’emploi, le Haut Conseil de la famille, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, le Haut Conseil du financement de la protection sociale, le Conseil national de l’industrie, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Le commissaire en coordonne les travaux.

Celui-ci établit un rapport annuel, remis au Président de la République et au Premier ministre et transmis au Parlement. Ses rapports et avis sont rendus publics.

Dans le cadre de sa mission d’évaluation des politiques publiques, le CGSP peut être nommé responsable de comité de suivi de certaines réformes. Un comité de suivi du CICE a ainsi été créé le 25 juillet 2013, et réunit huit partenaires sociaux représentatifs au niveau national interprofessionnel, les représentants des administrations compétentes, ainsi que la Banque de France, le Commissariat général à l’investissement, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et deux experts. Outre sa mission consistant à effectuer un suivi régulier du dispositif et de ses effets, le rôle du comité est de définir, dans la concertation, les modalités d’une évaluation du CICE transparente et indépendante.

c. Le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique

Créé par un décret du 30 octobre 2012 et placé sous l’autorité du Premier ministre, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) est mis à disposition du ministre chargé de la Réforme de l’État.

Le SGMAP regroupe l’ensemble des services en charge de la politique de modernisation, jusqu’alors dispersés, et réunit en son sein : la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique (DIMAP), anciennement direction générale à la modernisation de l’État ; la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’État (DISIC) ; la mission chargée de la mise à disposition des données publiques (Etalab).

La DIMAP aide à l’évaluation des politiques publiques. Son service « Évaluation et appui aux administrations » anime et coordonne les travaux d’évaluation et appuie les administrations dans leurs actions de modernisation. Il accompagne en particulier les ministères dans la mise en œuvre des chantiers issus du comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP). Il les aide à identifier les leviers de modernisation nécessaires à leurs transformations : conduite du changement, optimisation des organisations, des processus, des systèmes d’information…

Votre rapporteur ne s’attardera pas davantage sur la présentation des innombrables comités, commissions, directions, inspections, commissariats et secrétariats généraux qui œuvrent aujourd’hui à l’évaluation ex post des textes que nous votons et des politiques publiques dans lesquelles ils s’insèrent. Cette présentation, qui ne se veut pas exhaustive, montre assez qu’en la matière, les travaux sont abondants, ce dont il faut se réjouir, tout en signalant l’intérêt qu’il y aurait sans doute à les coordonner davantage pour éviter des doublons.

B. UNE ÉVALUATION QUI GAGNERAIT À ÊTRE MIEUX COORDONNÉE

Comme l’a fort justement remarqué lors de son audition M. David Assouline, en qualité de président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, « les deux chambres se livrent parfois aux mêmes contrôles » et l’action menée par la commission qu’il préside « rejoint celle de la commission chargée de l’évaluation des politiques publiques de votre assemblée, le contrôle de l’application de la loi étant indissociable de cette évaluation ». Et M. David Assouline d’ajouter : « dans la mesure où l’on a peu de moyens, autant les rationaliser ».

C’est aussi le point de vue de votre rapporteur qui estime qu’il serait possible de gagner du temps et d’économiser des moyens si les travaux d’évaluation conduits par les divers organes et services du Parlement, de l’exécutif et par des institutions comme la Cour des comptes ou le CESE étaient mieux coordonnés.

M. David Assouline a souligné qu’au Sénat, la commission pour le contrôle de l’application des lois veillait à ne pas procéder à des évaluations similaires déjà conduites par une commission permanente.

Quand la commission pour le contrôle de l’application des lois décide d’étudier tel sujet ou telle loi, elle le fait « en concertation avec la commission compétente et son président, qui mobilise en général une personne de son équipe administrative ». Quant au rapport annuel sur l’application des lois, il est « réalisé à partir de rapports préalablement établis par chaque président de commission permanente dans son domaine de compétences. Ceux-ci, qui sont quantitatifs et, de plus en plus, qualitatifs, sont préalablement débattus et adoptés par la commission concernée. La déconcentration du travail permet ainsi de répartir intelligemment la charge en tenant compte des compétences de chacun ».

Une fois que les commissions permanentes et les différents organes d’évaluation de chaque assemblée parlementaire se seront concertés pour définir un programme annuel voire pluriannuel d’évaluation, on pourrait imaginer, pour reprendre la formule de M. David Assouline, qu’« il y ait une coordination régulière entre nos deux assemblées sur le bilan des lois évaluées, les rapports réalisés, le programme de travail ». Ce dernier a d’ailleurs suggéré que ce travail de coordination s’effectue entre la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (171) .

Du point de vue de votre rapporteur, cet effort de coordination ne doit pas être entrepris par le Parlement uniquement. Il doit associer les institutions, telles que la Cour des comptes ou le CESE, ainsi que les services de l’exécutif, qui se consacrent à l’évaluation ex post.

Aussi est-ce la raison pour laquelle votre rapporteur suggère l’organisation d’une conférence des évaluateurs chargée de coordonner les diverses initiatives prises en matière d’évaluation ex post de façon à éviter des doublons, et donc une perte de temps, d’énergie et de moyens.

Proposition n° 13 – Clarifier le paysage de l’évaluation des politiques publiques

Organiser une conférence des évaluateurs pour mieux coordonner les initiatives en matière d’évaluation ex post aujourd’hui prises par l’Assemblée nationale, le Sénat, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental, les corps d’inspection ou autres (IGF, IGAS, IGA, IGSJ, CGEFI, SGMAP…).

II. RENDRE L’ÉVALUATION EX POST DE LA NORME PLUS MÉTHODIQUE

Mieux coordonnée, l’évaluation ex post de la norme gagnerait aussi à être plus méthodique.

La proposition faite par la mission d’enrichir le contenu des études d’impact ex ante de façon à ce qu’elles identifient mieux les indicateurs précis sur le fondement desquels se fondera l’évaluation ex post (proposition n° 1) est de nature à rendre cette dernière plus méthodique.

En effet, comme l’a expliqué devant la mission M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, « évaluer une réforme qui n’a pas été conçue dès l’origine dans la perspective d’être, un jour, évaluée, est une tâche lourde, difficile et souvent improductive. Il faut identifier les objectifs visés, qui ne sont pas toujours clairement formulés, trouver les données quantitatives et qualitatives permettant de voir si ces objectifs sont atteints et inciter les administrations elles-mêmes à évaluer l’impact des règles dont elles ont proposé l’adoption. Cela représente un travail important qui n’aboutit pas toujours, faute de données disponibles. Autrement dit, si l’on se contente de renforcer l’évaluation ex post, la Cour sera à même de livrer un nombre réduit de travaux. Si, au contraire, le législateur et l’administration conçoivent des dispositifs de qualité, qui identifient des objectifs clairs et prévoient la collecte de données afin de vérifier dans quelle mesure ils sont atteints, la Cour sera en mesure de vous livrer des évaluations ex post plus utiles et plus nombreuses ».

Outre cet enrichissement des études d’impact ex ante qu’a également préconisé M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, la mission propose de mieux organiser l’évaluation ex post en développant l’insertion, dans certaines lois, de clauses de révision imposant un réexamen des dispositifs votés au bout de plusieurs années de mise en œuvre, et en systématisant l’élaboration de rapports d’évaluation au terme d’un délai de trois ans après l’entrée en vigueur des lois adoptées.

A. DÉVELOPPER L’INSERTION DE CLAUSES DE RÉVISION DANS CERTAINS TYPES DE LOI.

Si le législateur français a adopté depuis longtemps une pratique tendant à introduire, dans certains types de loi, des clauses de révision, celle-ci ne paraît pas aussi contraignante que celle retenue chez nos voisins britanniques et allemands.

1. La pratique française des clauses de révision

Les clauses de révision ne sont pas inconnues du législateur français, qui en a fait usage dans certains types de loi, par exemple dans les lois de bioéthique.

En effet, l’article 21 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dispose que « la présente loi fera l’objet, après évaluation de son application par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques [OPECST], d’un nouvel examen par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur ».

Le fait est que ce nouvel examen n’a pas eu lieu cinq ans, mais dix ans après l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1994, à l’occasion des débats sur la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique. L’article 40 de cette dernière loi prévoit qu’elle fera l’objet, dans un délai de quatre ans, d’une évaluation de son application par l’OPECST, ainsi que « d’un nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur ».

Une nouvelle fois, le délai fixé par la loi pour qu’il soit procédé à sa révision n’a pas été respecté, puisque ce n’est que sept ans plus tard que le Parlement a été saisi de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. L’article 47 de cette loi prévoit qu’elle fera l’objet, dans un délai de six ans, d’une évaluation de son application par l’OPECST et qu’elle sera soumise à un « nouvel examen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur » - soit d’ici 2018.

Votre rapporteur forme le vœu que le délai de réexamen fixé par la clause de révision sera cette fois respecté, car, jusqu’ici, l’irrégularité avec laquelle le Parlement français s’astreint à appliquer les clauses de révision qu’il a lui-même votées contraste avec la discipline avec laquelle certains Parlements européens se plient aux exigences résultant de telles clauses.

2. Les pratiques britannique et allemande des clauses de révision

a. Les clauses de révision et de caducité au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni n’opère pas de distinction entre le domaine de la loi et celui du règlement. En revanche, il opère une distinction entre la législation dite primaire et la législation dite « secondaire » ou « déléguée ».

La législation primaire est celle dont l’importance et le caractère de généralité sont tels qu’elle doit être adoptée par le Parlement sous forme de lois.

La législation secondaire ou déléguée est celle dont le degré de technicité ou de précision est tel qu’elle peut être édictée par le Gouvernement : il s’agit des ordonnances et des actes réglementaires (décrets, arrêtés, etc.).

La législation primaire, sauf si elle est relative à la fiscalité, est désormais obligatoirement assortie d’une clause de révision (« review clause ») qui impose son évaluation ex post dans un délai maximal de cinq ans à compter de son entrée en vigueur.

La législation secondaire, sauf si elle a trait à la fiscalité, est désormais obligatoirement assortie d’une clause de révision (« review clause »), qui impose son évaluation dans un délai maximal de cinq ans à compter de son entrée en vigueur, et d’une clause de caducité (« sunset clause ») qui la prive d’effet si le Parlement n’a pas l’occasion de se prononcer sur son efficacité au terme d’un délai maximal de sept ans à compter de son entrée en vigueur. Les clauses de révision et de caducité forment ce que l’on appelle la « sunset regulation ».

b. Les clauses de révision en Allemagne

Depuis le 1er janvier 2013, il existe en Allemagne une obligation d’introduire systématiquement dans les textes de loi créant une charge administrative supérieure à un million d’euros des clauses de révision imposant leur évaluation ex post dans un délai maximal de cinq ans à compter de leur entrée en vigueur.

Il a été décidé qu’une première évaluation ex post serait réalisée au bout de deux années par le bureau fédéral des statistiques (« Destatis »), à partir de la comparaison des données fournies par les ministères dans l’étude d’impact ex ante avec les données empiriques ex post.

De son côté, le ministère qui avait porté le texte de loi est libre d’effectuer, dans le délai maximal de cinq ans, une évaluation plus complète au regard des critères d’évaluation préalablement définis dans l’étude d’impact ex ante.

Les rapports d’évaluation ex post élaborés par les ministères ne sont pas publics. Ils ne sont pas adressés au Parlement, mais seulement au ministre compétent, à la Chancellerie fédérale et au conseil national de contrôle des normes (« Normenkontrollrat » - NKR).

Le système est encore trop récent pour qu’un bilan en soit tiré, mais les représentants du « NKR » que la mission a pu rencontrer ont qualifié l’avancée d’« historique ».

L’un des fonctionnaires du bureau de la Chancellerie fédérale chargé de la simplification (« Better Regulation Unit » - BRU), M. Lars Limon-Wittmann, a précisé que le fait que le rapport d’évaluation ex post élaboré par le ministère porteur du texte au regard des critères préalablement définis dans l’étude d’impact ex ante soit communiqué non seulement au ministre et à la Chancellerie fédérale mais aussi et surtout au « NKR », permettait d’empêcher que l’évaluation ex post soit faite de façon biaisée, trop abstraite ou peu sérieuse. L’existence d’un regard extérieur sur le travail d’évaluation mené a posteriori (et pas seulement sur celui mené a priori) permet de faire pression sur les ministères pour qu’ils privilégient une approche constructive et pragmatique.

La mission a pu constater que le Royaume-Uni et l’Allemagne n’étaient pas les seuls pays européens à recourir aux clauses de révision. D’après les réponses fournies à la mission par neuf des dix Parlements européens interrogés par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), il semblerait :

– que les Pays-Bas font une utilisation fréquente des clauses de révision ;

– que la Belgique, la Norvège et le Danemark aient une pratique occasionnelle de ce type de clauses – le Danemark y ayant eu recours pour des lois qui sont controversées ou dont l’impact est incertain, comme une loi sur les responsabilités parentales de 2007 ou encore une loi sur l’économie d’énergie de 2013, dont les réexamens sont prévus respectivement en 2010 et 2015.

Un recours plus fréquent aux clauses de révision gagnerait à être complété par la définition d’une méthode plus rigoureuse et plus systématique d’évaluation ex post des dispositifs adoptés. Cette évaluation irait plus loin que le simple contrôle de la publication des décrets d’application – contrôle dont la mission a constaté qu’il pouvait être renforcé.

B. ADOPTER UNE PRATIQUE TENDANT À SYSTÉMATISER LA JUSTIFICATION DES RETARDS EN MATIÈRE DE PUBLICATION DES DÉCRETS D’APPLICATION

S’il est vrai que, comme l’a souligné devant la mission le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, « de nombreux progrès ont été réalisés en matière de décrets d’application », puisque « 82 % des dispositions réglementaires exigées par les lois adoptées au cours de la première année de l’actuelle législature ont été prises, 65 % l’ayant été en moins de six mois », il n’en demeure pas moins que, comme le montre le Rapport annuel sur l’application des lois publié par le Sénat en juin dernier (172), les efforts entrepris méritent d’être poursuivis.

1. De nets efforts…

Le Rapport annuel sur l’application des lois produit en juin dernier par notre collègue sénateur David Assouline, montre que 90 % des lois promulguées durant la session parlementaire 2012-2013 avaient reçu des mesures d’application en permettant la mise en œuvre totale ou partielle. En effet, sur les 50 lois promulguées au cours de cette session (hors lois de ratification ou d’approbation de traités ou d’accords internationaux), 30 appelaient des mesures réglementaires d’application. Or, parmi ces 30 lois, 12 étaient devenues totalement applicables au 31 mars 2014, 13 étaient partiellement applicables à la même date et seulement 5 lois attendaient encore d’être mises en application (173). Au total, seuls 10 % des lois promulguées durant la session parlementaire 2012-2013 demeuraient non appliquées au 31 mars dernier.

Par ailleurs, selon cette même source, sur les 310 mesures réglementaires prises pour l’application de lois promulguées au cours de la session parlementaire 2012-2013, 174 ont été publiées dans un délai inférieur à six mois, soit plus de 50 %, tandis que seulement 19 mesures (soit 6 %) ont souffert de délais « anormalement longs » d’un an ou plus. Le rappporteur souligne que ces délais de parution se rapprochent des objectifs fixés par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 relative à l’application des lois, qui assigne à tous les ministères un délai de six mois pour prendre tous les décrets d’application d’une loi et qui impose l’établissement d’un bilan semestriel de l’application des lois adressé au Parlement, remis à la presse et mis en ligne sur Internet.

Toutefois, en raisonnant non plus en nombre de lois, mais en nombre de mesures, il apparaît que le taux d’application des mesures législatives promulguées durant la session parlementaire 2012-2013 avoisine plutôt 65 %. Cependant, d’après M. David Assouline, ce taux reste « sans commune mesure avec les taux très faibles observés jusqu’en 2009-2010 (entre 10 % et 35 % seulement) » (174).

Ce dernier a en effet indiqué lors de son audition que « le taux de publication des décrets d’application des lois dans les six mois après leur promulgation est passé de 10 % en 2003 à environ 28 % en 2008-2009 et 20 % en 2009-2010, puis à 64 % en 2010-2011 et 67 % en 2011-2012 » (175).

« Il y a eu en effet une prise de conscience en 2011 », d’après notre collègue sénateur David Assouline, qui a expliqué avoir « travaillé à l’époque en bonne intelligence avec le ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Patrick Ollier, qui, en Conseil des ministres, appelait, par le biais de petites notes, l’attention de ses collègues sur les décrets en retard, dont certains ne nécessitaient pas moins de treize signatures. Ce volontarisme politique, appuyé par une mobilisation sans précédent du secrétariat général du Gouvernement (SGG), a été payant ».

Si la mise en application des lois promulguées au cours de la XIIIe législature a été « plus laborieuse » (176), elle est désormais presqu’achevée. D’après notre collègue David Assouline, sur les 261 lois adoptées sous cette législature, 190 sont aujourd’hui entièrement applicables, 65 le sont partiellement, et 6 ne le sont pas du tout. Le taux d’application des lois adoptées sous la XIIIlégislature s’établit donc à environ 98 %.

Ce bilan globalement satisfaisant doit cependant être nuancé, car le Rapport annuel sur l’application des lois du Sénat a révélé que la mise en application des lois promulguées sous des législatures plus anciennes est « quasi-végétative » (177).

2. … qui méritent d’être poursuivis.

Tout en faisant remarquer que « les nouvelles exigences en matière d’étude d’impact, de préparation raisonnée de la réglementation, de consultations et de tests interdisent de publier très rapidement les décrets d’application » et qu’« un équilibre est à trouver entre la maturation des nouvelles réglementations et le souci d’accélérer l’application des lois », le secrétaire général du Gouvernement a concédé qu’« on peut faire encore mieux », car « les administrations centrales – c’est une de leurs faiblesses traditionnelles – […] procèdent de manière séquentielle, consultant les uns après les autres différents organismes, avant de se tourner vers le Conseil d’État puis le Secrétariat général du Gouvernement, toute suspension de la démarche impliquant souvent de revenir à l’étape précédente » (178).

Outre le fait que les taux et délais de mise en application des textes issus de l’initiative parlementaire (propositions de loi et amendements) sont, d’après M. David Assouline, moins bons que ceux des textes d’origine gouvernementale, avec en outre un traitement moins favorable des textes émanant du Sénat par rapport à ceux de l’Assemblée nationale (179), il apparaît que « le taux de mise en application du “stock ancien” - c’est-à-dire des lois antérieures à 2007 non encore appliquées - végète et n’enregistre aucun progrès significatif par rapport aux années précédentes. Cette situation, qui tient principalement aux changements de priorités politiques survenus dans l’intervalle, aboutit à ce qu’une loi non mise en application rapidement risque fort, au bout de quelques années, de tomber aux oubliettes réglementaires. Cette sorte de péremption de fait au bout de quelques années pose un problème de fond sur laquelle il conviendrait de s’interroger » (180).

Précisément, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’est interrogée au cours de sa réunion du 17 juin 2014 sur l’absence d’application de l’article 24 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances (181). Cette disposition a introduit dans le code du travail un article L. 1221-7 prévoyant que dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi, ayant pour seule finalité d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles, et communiquées par écrit par ledit candidat, ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant son anonymat. Cette obligation du « CV anonyme » à l’embauche devait être précisée par des mesures réglementaires, le même article L. 1221-7 disposant que ses modalités d’application sont déterminées par décret en Conseil d’État.

Or, saisi de trois plaintes, le Conseil d’État a décidé, le 9 juillet dernier, « d’ordonner au Gouvernement d’édicter ce décret dans un délai de six mois » (182). Après avoir rappelé qu’en application de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l’exécution des lois » et « exerce le pouvoir réglementaire » (sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par l’article 13 de la Constitution) – ce qui emporte « non seulement le droit, mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi » (183) – et après avoir constaté que les trois plaignants avaient un intérêt à demander l’annulation des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre avait refusé de prendre le décret d’application en cause, la Haute juridiction a jugé que les dispositions législatives litigieuses ne pouvaient, en raison de leur généralité, recevoir application sans qu’un décret précisât l’étendue de l’obligation d’anonymisation et les modalités concrètes de sa mise en œuvre au sein des entreprises concernées. Partant, ces dispositions « ne laissent pas à la libre appréciation du Premier ministre l’édiction du décret dont elles prévoient l’intervention ». En conséquence, le Conseil d’État a estimé qu’« en dépit des difficultés rencontrées par l’administration dans l’élaboration de ce texte et en dépit de la durée nécessaire à la conduite des expérimentations et à leur évaluation, le délai raisonnable au terme duquel le décret aurait dû être adopté a[vait] été dépassé » (184).

Cette récente décision montre que, dans la mesure où certaines lois ne reçoivent pas de mesures d’application plus de huit ans après leur adoption, il existe encore une marge de progrès en matière de mise en application des lois.

Interrogé sur l’opportunité de reconnaître aux parlementaires un droit de saisir le Conseil d’État en cas de retard constaté dans la mise en application des lois, indépendamment de la condition d’intérêt à agir qui est aujourd’hui exigée pour demander l’annulation de décisions implicites refusant la prise de mesures d’application, notre collègue David Assouline a expliqué ne pas croire « que l’on puisse reconnaître aux parlementaires un droit de saisine des juridictions administratives, soit dans le cadre d’une action en manquement, quand les décrets d’application n’ont pas été publiés, soit pour former un recours contre eux quand ils ne paraissent pas satisfaisants ».

Il est vrai que, saisi d’un recours tendant à l’annulation du refus implicite du Premier ministre d’édicter divers décrets d’application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et formé par le sénateur Jean-Louis Masson, qui se prévalait « des qualités de citoyen, d’usager des services publics, d’élu et de parlementaire », le Conseil d’État a jugé, le 23 novembre 2011, que ce dernier ne justifiait pas, ès qualités, « d’un intérêt lui donnant qualité pour former un recours pour excès de pouvoir contre le refus de prendre ces décrets » et qu’en conséquence, ses conclusions étaient irrecevables (185).

La doctrine semble partagée à la fois sur l’opportunité et sur la nature du vecteur normatif qui reconnaîtrait à un parlementaire de disposer d’une action lui permettant de contraindre le Gouvernement à adopter les mesures d’application d’une loi. Certains ont émis l’idée qu’une loi pourrait être adoptée qui conférerait un intérêt à agir devant le Conseil d’État à un certain nombre de parlementaires qui pourraient alors exercer un recours pour excès de pouvoir « toutes les fois qu’ils viendraient à estimer que le délai raisonnable pour prendre un décret d’application d’une loi est dépassé ou encore que le décret adopté est contraire à la volonté du législateur » (186). D’autres soutiennent que le litige doit s’analyser en un « conflit entre organes constitutionnels » qui ne pourrait être tranché que par une cour constitutionnelle (187).

Sans entrer dans ces débats doctrinaux, M. David Assouline a suggéré qu’à tout le moins, « lorsqu’un décret n’est pas publié [en temps utile] ou qu’il n’est pas conforme à la volonté du législateur, nos commissions parlementaires pourraient jouer un rôle d’alerte » et que « les semaines de contrôle, voire d’initiative parlementaire, pourraient permettre d’interpeller le Gouvernement en la matière » (188).

C’est la raison pour laquelle la mission propose que notre Assemblée adopte une pratique tendant à contraindre le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes l’absence de publication des décrets d’application à l’expiration d’un certain délai (entre six mois et un an) courant à compter de la promulgation de la loi.

Proposition n° 14 : Développer l’insertion dans la loi de clauses de révision et renforcer le contrôle parlementaire sur la publication des décrets d’application

Développer l’insertion, dans certains types de loi, de clauses de révision amenant le Parlement à débattre de l’efficacité du dispositif adopté dans un certain délai après son entrée en vigueur.

Contraindre le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes l’absence de publication des décrets d’application à l’expiration d’un certain délai (entre six mois et un an) courant à compter de la promulgation de la loi.

Votre rapporteur n’ignore pas que l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit d’ores et déjà qu’« à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition et parmi lesquels figure de droit le député qui en a été le rapporteur, présentent à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi ». Ce rapport, qui peut donner lieu, en séance publique, à un débat sans vote ou à une séance de questions, doit faire état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en œuvre de ladite loi, ainsi que de ses dispositions qui n’auraient pas fait l’objet des textes d’application nécessaires. Dans cette dernière hypothèse, l’article 145-7 du Règlement ajoute que la commission entend alors une nouvelle fois ses rapporteurs à l’issue d’un nouveau délai de six mois.

La mission estime qu’il faut aller au-delà d’une simple présentation d’un rapport d’application en commission et que notre Assemblée devrait prendre l’habitude de convoquer le ministre concerné devant la commission compétente lorsque sont constatés des délais anormalement longs pour l’adoption de mesures d’application.

Ce contrôle plus étroit de la parution des décrets d’application devra en outre s’accompagner de l’élaboration de rapports d’évaluation qui ne se contenteront pas, comme nombre des actuels rapports d’application, de dresser la liste des mesures d’application prises ou restant à prendre, mais qui analyseront ex post l’impact d’une loi, trois ans après son entrée en vigueur, et qui s’inscriront dans un programme d’évaluation mieux ordonné.

C. MIEUX ORDONNER LES MISSIONS D’ÉVALUATION DU PARLEMENT

La mission considère que, dans le cadre de son travail d’évaluation ex post, notre Assemblée ne peut plus se contenter des rapports d’application qui sont élaborés sur le fondement de l’article 145-7 du Règlement.

En effet, ces rapports se nourrissent largement des données transmises par l’exécutif en application de l’article 67 de la loi de simplification du droit n° 2004-1343 du 9 décembre 2004. Ce texte dispose qu’« à l’issue d’un délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur d’une loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de cette loi » et que « ce rapport mentionne les textes réglementaires publiés et les circulaires édictées pour la mise en œuvre de ladite loi, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de celle-ci qui n’ont pas fait l’objet des textes d’application nécessaires et en indique les motifs ».

Or, force est de constater, avec notre collègue David Assouline, que « jusqu’à présent, les rapports de l’article 67 sont encore loin d’atteindre la qualité que le Parlement serait en droit d’en attendre, et ne peuvent pas être exploités comme ils gagneraient à l’être, plusieurs facteurs semblant en limiter, et la connaissance effective, et le rendement réel » (189). Parmi ces facteurs figurent le retard avec lequel ces rapports dits « de l’article 67 » sont déposés par le Gouvernement (190) ainsi que l’intérêt inégal voire l’incomplétude des informations contenues dans ces rapports.

Pour améliorer son travail d’évaluation ex post, notre Assemblée ne peut pas davantage compter sur les innombrables rapports ponctuels qui sont demandés au Gouvernement dans le cadre de l’examen de projets ou de propositions de loi. D’après le Rapport annuel sur l’application des lois du Sénat, alors que 415 des 1797 lois répertoriées dans la base de données Apleg depuis 1980 prévoient de manière spécifique la remise par le Gouvernement d’un ou plusieurs rapports (autres que ceux transmis au titre de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 ou en vertu d’une obligation légale générale), l’exécutif n’a déposé un ou plusieurs rapports que pour 263 lois – ce qui porte à un peu moins de 65 % le taux de remise effective des rapports que le Parlement demande au Gouvernement (191).

Face à ces chiffres, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a suggéré « d’une part que les parlementaires demandent moins de rapports ponctuels pour en tirer un meilleur parti (d’autant que beaucoup de rapports ponctuels sont la simple contrepartie du retrait d’un amendement auquel le Gouvernement s’oppose), [et] d’autre part que les rapports [dits] de l’article 67 soient effectivement déposés dans les six mois et qu’ils comportent des indications précises permettant de suivre plus efficacement la parution des décrets d’application attendus » (192) .

Pour sa part, la mission a été séduite par la proposition faite par le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, d’organiser des « rendez-vous triennaux d’évaluation [qui] permettraient de faire le tri entre les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui devraient être revus » (193). À cet effet, l’ancien commissaire à la simplification, M. Rémi Bouchez, a suggéré « de retenir un segment du droit, un angle d’attaque ou un chapitre de code, d’en faire la revue de détail et d’essayer, par la concertation, de le simplifier et de l’améliorer » (194).

S’inspirant de ces recommandations, la mission propose de modifier le Règlement de l’Assemblée nationale de façon à prévoir la présentation systématique de rapports d’évaluation qui ne se confondraient pas avec les actuels rapports d’application régis par l’article 145-7 dudit Règlement. Ces rapports, conçus sur le modèle des bilans d’évaluation auxquels procède la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, analyseraient ex post l’impact concret, l’opérationnalité et l’adéquation des mesures adoptées au regard des objectifs qui leur étaient assignés – et ce une fois écoulé un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur des dispositifs concernés.

Afin de dresser un constat le plus objectif possible, la rédaction de ces rapports devrait être confiée à un binôme de rapporteurs dont l’un appartiendrait à un groupe de la majorité et l’autre à un groupe d’opposition.

Afin d’éviter les doublons – entre commissions permanentes et autres organes de l’Assemblée nationale (comme le comité d’évaluation et de contrôle), mais aussi entre l’Assemblée nationale et le Sénat (et plus particulièrement la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois) –, le choix des dispositifs analysés dans le cadre des rapports d’évaluation devrait être arrêté au sein d’un programme annuel voire pluriannuel d’évaluation défini conjointement par les deux assemblées parlementaires qui pourraient se répartir les thématiques abordées.

Proposition n° 15 – Prévoir une évaluation ex post plus méthodique

Indépendamment des réexamens exigés par des clauses de révision, prévoir des rendez-vous triennaux d’évaluation de lois adoptées et définir en conséquence un programme annuel voire pluriannuel d’évaluation dans les deux assemblées parlementaires, en répartissant entre ces dernières les thématiques abordées.

Systématiser en conséquence l’élaboration de rapports d’évaluation (distincts des actuels rapports d’application) dont la rédaction serait confiée, trois ans après l’entrée en vigueur d’une loi, à un binôme de rapporteurs majorité-opposition.

CONCLUSION

« L’heure est importante et le sujet stratégique. La contrainte normative constituera-t-elle une entrave à l’avenir ou, au contraire, permettra-t-elle de libérer les initiatives ? » C’est en ces termes que le président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean-Paul Delevoye, a résumé le défi que doit relever l’entreprise de simplification législative (195).

Consciente de ce que l’inflation normative a continué jusqu’ici de progresser malgré les « discours vertueux sur l’élaboration de la norme » (196), la mission souhaite vivement que ses 15 propositions pour améliorer la fabrique de la loi ne sonnent pas comme des vœux pieux, car « au moment où le discrédit politique et syndical a atteint un niveau dangereux pour le système démocratique lui-même, au moment où l’on prend conscience que la complexité est telle que seuls quelques privilégiés peuvent en surmonter l’obstacle, si nous n’y prenons garde, le risque est que l’on perde confiance dans la force du droit et que l’on revendique le droit à la force » (197).

Si, comme l’a indiqué notre collègue David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, certains maires ne se sont pas représentés lors des dernières élections municipales entre autres parce qu’ils avaient, chaque année, à tenir compte de près de 80 000 pages de circulaires (198), c’est que l’inflation normative a atteint dans notre pays un niveau tel qu’elle menace la démocratie.

Certes, « cette inflation résulte des demandes de la société, des groupes de pression, des associations, qui exigent souvent que nous légiférions, même dans le détail, sur certaines de leurs préoccupations » (199), mais le Parlement ne doit pas pour autant perdre de vue la nécessité d’en réguler le flux. D’où la nécessité que les 15 propositions ambitieuses qui ont été formulées – dont la mission n’ignore pas qu’elles nécessitent pour certaines des modifications de la Constitution – ne restent pas lettre morte et qu’il soit mis fin au « décalage entre les intentions et les réalisations, entre les constats et les pratiques » (200).

EXAMEN DU RAPPORT PAR LA MISSION

Au cours de sa réunion du mardi 7 octobre 2014, la mission d’information procède à l’examen le présent rapport.

La présidente Laure de la Raudière. Mes chers collègues, je vous remercie d’être présents pour la remise de ce projet de rapport que va vous présenter M. le rapporteur Régis Juanico. Il vous a été adressé par voie électronique le jeudi 2 octobre 2014 et il a été complété depuis par les contributions de nos collègues Cécile Untermaier et Pierre Morel-A-L’Huissier. Il vient rendre compte des travaux et des réflexions que nous avons menés pendant neuf mois et qui ont été nourris par une vingtaine d’auditions et quatre déplacements – en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Nous avons en effet souhaité explorer, à l’aune des bonnes pratiques adoptées par nos voisins, les pistes qui sont en mesure de provoquer un changement de culture normative dans notre pays. À cet égard, nos déplacements ont été utilement complétés par les réponses apportées par neuf des dix parlements européens auxquels nous avons adressé un questionnaire sur la procédure législative. L’audition, à l’Assemblée nationale, de représentants de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), le 17 avril dernier, a en outre permis d’apporter un éclairage sur les diverses initiatives prises par le Canada, l’Australie et quinze pays membres de l’Union européenne, afin de mieux légiférer.

Nous avons souhaité commencer nos travaux par ces déplacements à l’étranger et par l’audition d’universitaires spécialisés en droit privé, droit public et droit européen, susceptibles d’ouvrir des perspectives que nous n’aurions pas spontanément envisagées. Nous avons eu l’occasion de soumettre les idées inspirées de ces bonnes pratiques étrangères et des travaux universitaires aux nombreux acteurs que nous avons entendus au Palais-Bourbon.

Nous avons également entendu des élus ayant abondamment réfléchi aux enjeux de la rationalisation et de la simplification des normes. Je pense notamment à M. Alain Lambert, président du conseil national d’évaluation des normes (CNEN), au sénateur Éric Doligé, à notre collègue Jean-Luc Warsmann ou encore à M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Nous avons ensuite sollicité les acteurs institutionnels concernés par notre sujet. Nous avons ainsi donné la parole au Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, au vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, ou encore au président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean-Paul Delevoye.

Nous avons également expertisé les pistes de réforme possibles avec les représentants d’un certain nombre d’administrations, comme le secrétariat général du Gouvernement, le secrétariat général des Affaires européennes, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique et les représentants de l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Enfin, la mission a recueilli l’avis du secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, M. Jean-Marie Le Guen.

J’ai mené tous ces travaux en bonne intelligence avec les deux rapporteurs successifs de la mission, M. Régis Juanico ayant succédé en juin dernier à M. Thierry Mandon, nommé secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Je les remercie de leur implication. Je vous remercie aussi, chers collègues, pour le travail effectué et pour nos échanges dont le caractère transpartisan facilitera l’adoption du rapport.

À titre personnel et non pas au nom du groupe UMP, qui n’a pas été consulté en tant que tel, je souscris d’ailleurs aux quinze propositions qui vont vous être présentées et qui ont fait l’objet, le 17 juin dernier, d’un échange de vues auquel vous avez tous été conviés.

Tout comme le rapporteur, je n’ignore pas que la réforme constitutionnelle adoptée en 2008, sous la précédente législature, a profondément modifié le fonctionnement de notre Parlement. Nous devons apprendre à faire vivre pleinement ces mesures, qui sont en cours d’appropriation par les institutions, pour en tirer des bénéfices concrets.

Néanmoins, je pense que nous pouvons aller plus loin dans certains domaines, afin d’améliorer la fabrique de la loi. Plusieurs de nos propositions sont ambitieuses dans la mesure où elles appellent une révision constitutionnelle. Toutefois, elles ne me semblent pas de nature à remettre en cause l’esprit de la Constitution du 4 octobre 1958 ni l’équilibre des pouvoirs que celle-ci a instauré. C’est donc dans le respect des institutions de la Ve République qu’il vous est proposé de mettre en œuvre des moyens propres à améliorer la fabrique de la loi, en renforçant et en fiabilisant l’évaluation de son impact tant au stade de sa conception qu’à celui de son application.

M. Régis Juanico, rapporteur. Le projet de rapport qui vous est soumis comprend quinze propositions destinées à améliorer la fabrique de la loi. C’est en toute logique que j’ai choisi d’organiser leur présentation selon les différentes étapes de la conception et de la mise en œuvre de la loi.

Tout d’abord, en amont de la procédure législative, une première série de propositions vise à améliorer la préparation de la norme, et notamment la qualité de l’évaluation préalable de son impact.

La première proposition concerne l’enrichissement du contenu des études d’impact. Si des progrès ont indéniablement été accomplis en la matière depuis la réforme constitutionnelle de 2008, leurs insuffisances ont été pointées à plusieurs reprises au cours de nos travaux.

Tout d’abord, il est préconisé de rendre obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation du « test entreprises », qui est actuellement facultatif et circonscrit aux textes réglementaires, et de tests « collectivités locales » et « usagers de l’administration ».

Il est proposé d’améliorer l’évaluation des coûts et bénéfices économiques ainsi que des conséquences sociétales des mesures envisagées.

Il est recommandé de fournir une analyse et une justification approfondies à l’appui des mesures transitoires et des dates d’entrée en vigueur retenues.

Nous suggérons d’intégrer, sur le modèle britannique, l’exigence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées, ce que l’on appelle le « one-in, one-out ». Cette exigence est aujourd’hui circonscrite aux textes réglementaires.

Enfin, sur le modèle allemand, nous préconisons d’introduire, dans les études d’impact, les critères sur lesquels se fondera l’évaluation ex post de ces mesures.

Mieux renseignées, les études d’impact devront également être soumises à une contre-expertise externe et impartiale, à l’instar de la pratique instaurée au Royaume-Uni et en Allemagne, pays qui se sont respectivement dotés d’un comité de la politique réglementaire (Regulatory Policy Committee – RPC) et d’un conseil national de contrôle des normes (Normenkontrollrat – NKR).

Dans la deuxième proposition, il est suggéré de confier l’évaluation de la qualité des études d’impact à un organisme indépendant, composé de représentants de la société civile et chargé de rendre un avis public qui prenne notamment en compte l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée. Pour ce faire, il s’appuierait sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux.

Cet avis sur les études d’impact assortissant les projets de loi devrait être rendu public lors de la présentation de ces derniers en conseil des ministres.

Afin de soumettre nos propres propositions à la discipline d’évaluation que nous prônons, il est suggéré de prévoir un réexamen de ce dispositif de validation des études d’impact dans un délai de deux ans à compter de sa mise en œuvre.

Plus indépendante, l’évaluation ex ante de la norme devrait aussi être plus systématique. Il serait paradoxal d’appeler de nos vœux un approfondissement des études d’impact assortissant les projets de loi, tout en continuant de dispenser d’autres textes législatifs de toute étude d’impact.

C’est la raison pour laquelle, en s’inspirant des bonnes pratiques adoptées notamment à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, la troisième proposition vise à rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact sur les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour. Cette étude pourra, le cas échéant, être complétée par un avis du Conseil d’État, selon les modalités de saisine actuellement prévues par la Constitution.

Quant à la quatrième proposition, elle tend à rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les ordonnances, y compris lorsque celles-ci ne concernent ni les entreprises ni les collectivités territoriales. La dispense d’étude d’impact dont bénéficient actuellement les projets de loi de ratification des ordonnances pourrait, en conséquence, être subordonnée à la condition qu’une étude d’impact ait été produite à l’occasion de l’examen par le Conseil d’État du projet d’ordonnance. Par ailleurs, les projets de loi d’habilitation devraient être assortis d’une étude d’impact plus complète que ne l’exige la loi organique du 15 avril 2009.

Enfin, l’évaluation ex ante de la norme gagnerait à être fiabilisée par un recours accru à l’expérimentation. C’est l’objet de la cinquième proposition qui vise à en développer l’utilisation avant la généralisation de certains dispositifs législatifs et à en consolider les effets juridiques, à l’exemple de ce qui a été prévu par l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet.

Ensuite, une deuxième série de propositions concerne la procédure législative. La sixième proposition consiste à rendre publique la partie de l’avis du Conseil d’État relative aux études d’impact assortissant les projets de loi, les projets d’ordonnance et, le cas échéant, les propositions de loi. Cette proposition a été bien accueillie tant le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, que par le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, et par le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud.

Dès lors qu’il pourra s’appuyer sur la partie de l’avis du Conseil d’État traitant de la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi – et, le cas échéant, aux propositions de loi –, le débat parlementaire sera mieux à même d’être recentré sur ces études. Idéalement, le renforcement du contrôle du Parlement sur la qualité des études d’impact devrait passer par l’organisation d’un débat d’orientation préalable à l’examen du texte en commission. Ce débat aurait vocation à se substituer à la discussion générale, à l’instar de ce qui se pratique en Allemagne, au Danemark, en Espagne et au Royaume-Uni. S’appuyant sur l’étude d’impact, il aurait lieu en séance publique, avant l’examen du texte en commission, et il permettrait aux divergences politiques de s’exprimer sur l’esprit et les principaux enjeux de la réforme envisagée, de façon à réserver la suite de la discussion à un examen plus détaillé et plus technique du projet de loi ou de la proposition de loi. Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’organisation de ce débat d’orientation préalable nécessiterait une révision constitutionnelle.

Un autre moyen de placer les études d’impact au cœur de la discussion parlementaire pourrait consister à prévoir l’organisation systématique d’un débat en commission sur la qualité de ces études. Celui-ci pourrait être impulsé par la création d’une obligation, pour le rapporteur de la commission saisie au fond d’un texte, de présenter, dans son intervention liminaire lors de l’examen en commission, l’étude d’impact jointe au projet de texte. Un débat sur l’étude d’impact pourrait ainsi s’engager avant l’examen des articles et des amendements.

Toutefois, la réalisation d’une étude d’impact sérieuse et exhaustive sur un projet de loi ou une proposition de loi ne sera d’aucune utilité tant qu’un amendement gouvernemental ou parlementaire pourra, au cours de la procédure législative, sans faire l’objet de la moindre évaluation, bouleverser l’équilibre du projet de loi ou de la proposition de loi en question. C’est la raison pour laquelle la huitième proposition vise, en s’inspirant des pratiques des parlements européen, allemand et néerlandais, à reconnaître au président de la commission saisie au fond le droit d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur les amendements qualifiés de substantiels par ladite commission.

L’élaboration d’une étude d’impact sur un amendement substantiel d’origine gouvernementale ne sera toutefois possible que si un temps minimal d’évaluation est ménagé entre son dépôt et sa discussion. C’est pourquoi, avec la neuvième proposition, nous suggérons de soumettre les amendements gouvernementaux à un délai de dépôt, tant lors de l’examen des textes en commission que lors de leur examen en séance publique, étant précisé que ce délai pourrait ne pas être le même que celui qui est actuellement prévu, à titre de principe, pour les amendements parlementaires.

Une meilleure gestion du temps parlementaire, tel est aussi l’objet de la dixième proposition. Sans remettre en cause le recours de droit à la procédure accélérée pour les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ainsi que pour les projets de loi relatifs aux états de crise, nous préconisons d’aménager les règles relatives à cette procédure d’urgence pour préserver un temps minimal d’examen parlementaire entre le dépôt d’un texte et sa discussion devant chaque assemblée, sur le modèle de ce qui est prévu pour les seules lois organiques.

La onzième proposition tend aussi à une nouvelle répartition du temps parlementaire. Dans un souci d’efficience, elle vise à repenser l’organisation des débats budgétaires, de façon à faire de la loi de règlement un moment fort d’évaluation, notamment de la modernisation de l’action publique. Le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, l’a fait remarquer lors de son audition : « C’est souvent à partir de l’exécution d’une loi de finances ou d’une politique publique que l’on peut se rendre compte de dysfonctionnements, de défaillances ou d’insuffisances. » Or, alors que « dans tous les pays du monde, les parlementaires consacrent beaucoup plus de temps à l’exécution budgétaire qu’aux lois de finances initiales, qui sont d’ailleurs souvent des lois d’affichage », « en France, nous faisons l’inverse. »

La réflexion menée par la mission sur la gestion du temps parlementaire s’est étendue au temps que nos assemblées consacrent à l’examen de textes législatifs pris pour la transposition de directives européennes, et donc à la méthode jusqu’ici retenue en la matière. S’inspirant de la méthode allemande de transposition, dite de la « double corbeille », la douzième proposition suggère de privilégier la transposition des directives européennes par voie d’ordonnances, selon une procédure organisée en deux temps. Le premier serait consacré à l’élaboration d’un projet d’ordonnance assorti d’une étude d’impact complète et précise, identifiant et justifiant les éventuelles sur-transpositions. Le second consisterait en un débat parlementaire, à l’occasion du projet de loi de ratification, sur l’étude d’impact jointe l’ordonnance et sur la partie de l’avis du Conseil d’État relative à cette étude.

Rendue publique, cette partie de l’avis du Conseil d’État devrait rendre compte de la pertinence des motifs susceptibles de justifier une éventuelle sur-transposition. Outre les modalités de transposition des directives européennes, ce sont également les modalités de négociation des projets de textes européens qui mériteraient d’être rénovées de façon à placer l’étude d’impact de la Commission européenne – et ses implications au niveau national – au cœur des négociations européennes.

En effet, un débat de fond préalable sur l’étude d’impact de la Commission européenne et, corrélativement, une meilleure anticipation de l’impact des textes négociés au niveau national, pourraient contribuer à limiter les sur-transpositions car les mesures que la France jugerait les plus appropriées, au regard de sa situation particulière, seraient alors défendues au stade des négociations, et non plus imposées au stade de la transposition.

Enfin, une troisième série de propositions a trait à l’amélioration de l’évaluation de la norme en aval de son adoption. La clarification du paysage de l’évaluation des politiques publiques est apparue comme un préalable à l’amélioration de l’évaluation ex post. En effet, la mission a pu constater que notre pays comptait de nombreux acteurs à l’origine de multiples initiatives qui, dans un souci d’efficacité, gagneraient sans doute à être mieux coordonnées et organisées de façon plus méthodique, afin d’éviter les doublons.

Cour des comptes, comité d’évaluation et de contrôle (CEC), mission d’évaluation et de contrôle (MEC), commission pour le contrôle de l’application des lois, corps d’inspection, directions ministérielles de la recherche, des études, de l’évaluation, de la prospective et des statistiques... Il est extrêmement difficile de faire un recensement exhaustif des institutions, organes parlementaires ou services ministériels qui interviennent en matière d’évaluation ex post des normes et, plus largement, des politiques publiques, tant ceux-ci sont nombreux. Autant gagner du temps et économiser des moyens en organisant une conférence des évaluateurs pour mieux coordonner les initiatives en matière d’évaluation ex post prises par les divers organes du Parlement, de l’exécutif et par des institutions comme la Cour des comptes ou le Conseil économique, social et environnemental.

Mieux coordonnée, l’évaluation ex post de la norme gagnerait aussi à être plus méthodique. Pour qu’elle le soit, la mission propose d’enrichir le contenu des études d’impact ex ante de façon à ce qu’elles identifient mieux les indicateurs précis sur le fondement desquels se fondera l’évaluation ex post. Dans le même but, la quatorzième proposition appelle à développer l’insertion, dans certains types de loi, de clauses de révision amenant le Parlement à débattre de l’efficacité du dispositif adopté dans un certain délai après son entrée en vigueur, sur le modèle des pratiques adoptées par nos voisins britanniques et allemands.

Le renforcement du contrôle parlementaire sur l’application de la loi pourrait aussi passer par la mise en place d’une pratique tendant à contraindre le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes l’absence de publication des décrets d’application à l’expiration d’un certain délai – entre six mois et un an – courant à compter de la promulgation de la loi.

Ce contrôle plus étroit de la parution des décrets d’application devrait en outre s’accompagner de l’élaboration de rapports d’évaluation qui, confiés à un binôme de rapporteurs issus de la majorité et de l’opposition, analyseraient ex post l’impact d’une loi, trois ans après son entrée en vigueur, et s’inscriraient dans un programme d’évaluation mieux ordonné. Avec la quinzième et dernière proposition, il est ainsi suggéré qu’indépendamment des réexamens exigés par des clauses de révision, soient prévus des rendez-vous triennaux d’évaluation de lois adoptées et qu’en conséquence un programme annuel voire pluriannuel d’évaluation soit défini dans les deux assemblées parlementaires qui se partageraient les thématiques abordées.

Telles sont, mes chers collègues, les quinze propositions que je formule dans le projet de rapport qui est soumis à votre vote. Je n’ignore pas qu’elles sont ambitieuses et que certaines d’entre elles nécessitent une révision constitutionnelle. Toutefois, elles sont à la hauteur des enjeux. Comme l’a rappelé notre collègue sénateur David Assouline lors de son audition, certains maires ne se sont pas représentés lors des dernières élections municipales notamment parce qu’ils avaient, chaque année, à tenir compte de près de 80 000 pages de circulaires. Un tel constat montre que l’inflation normative a atteint dans notre pays un niveau tel qu’elle menace la démocratie.

Il faut donc mettre fin au décalage que l’on constate trop souvent, dès lors que l’on parle d’inflation normative, entre les intentions et les réalisations, entre les constats et les pratiques. Afin que notre travail ne se résume pas à un énième discours vertueux sur l’élaboration de la norme qui reste lettre morte, je vous appelle donc à voter en faveur des quinze propositions que je formule pour mieux légiférer et mieux évaluer.

Pour terminer, je remercie Thierry Mandon, le premier rapporteur de la mission parlementaire auquel j’ai succédé, ainsi que la présidente Laure de la Raudière, avec laquelle nous avons effectué ce travail de qualité.

M. Daniel Fasquelle. Je voulais vous remercier pour votre travail et pour ces propositions que j’approuve.

Il est une question que l’on ne se pose pas suffisamment : faut-il légiférer ? Nous légiférons parfois pour répondre à une demande sociale ou pour réagir au plan politique, plus que mus par la nécessité. Il faudra avoir le courage de dire qu’il ne s’agit pas tant de changer la norme que de mieux appliquer les textes en vigueur. Or, que nous soyons de droite ou de gauche, nous pouvons battre notre coulpe : nous cédons parfois à la tentation de modifier les textes pour donner à nos concitoyens l’impression que nous sommes actifs, alors qu’il suffirait de mieux appliquer ceux qui existent.

De même, nous ne réfléchissons pas suffisamment au rôle du juge et de la jurisprudence dans l’application de la norme. Il faut laisser le juge adapter la loi aux situations qu’il rencontre, mais son temps n’est pas forcément celui de la demande sociale. Dans notre pays plus qu’ailleurs, nous avons du mal à définir la place que nous accordons au juge et à décider s’il doit être créateur de droit. Sans aller jusque-là, nous devons être conscients du fait que changer trop souvent la norme revient à remettre en cause la jurisprudence et à créer de l’insécurité juridique. Nous en avons tenu compte lorsque nous avons renoncé à introduire dans la loi de modernisation de l’économie une nouvelle modification des rapports entre fournisseurs et distributeurs. Ce domaine souffre en effet d’une incroyable instabilité législative et d’une grande insécurité juridique. Il faut savoir laisser du temps au juge et au corps social pour comprendre la loi.

Afin que le Parlement joue son rôle, il doit disposer d’études d’impact et d’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi comme pour les projets de loi.

Lors de la précédente législature, j’étais membre de la Commission des Affaires européennes et de la Commission des Affaires économiques. Constatant qu’il est impossible d’appartenir à deux commissions à la fois, j’ai renoncé à siéger au sein de la Commission des Affaires européennes. Du coup, je ne parviens plus à suivre certaines questions de droit européen qui concernent pourtant la Commission des Affaires économiques. Faut-il conserver une Commission des Affaires européennes en plus des commissions thématiques ? Ne devrait-on pas plutôt traiter les questions de droit européen au sein de chacune des commissions ?

Prenons l’exemple d’une proposition de règlement de bioéthique qui intéresse la Commission des Affaires sociales et la Commission des Affaires économiques. Ne serait-il pas plus efficace ce soit ces commissions qui traitent le sujet plutôt que la Commission des Affaires européennes ? Je précise que je fais tout à fait confiance à nos collègues de la Commission des Affaires européennes. Nous devons y réfléchir. Dans le cadre de la subsidiarité et du traité de Lisbonne, les parlements nationaux ont un rôle de plus en plus important et je ne suis pas sûr que nous soyons organisés pour le jouer efficacement.

S’agissant du budget, nous devons travailler plus en amont et toutes les commissions doivent avoir leur mot à dire. Cet après-midi, la Commission des Affaires économiques va se réunir pour débattre du projet de loi de finances et j’approuve cette initiative du président Brottes. Si la Commission des Affaires économiques ne traite pas de la fiscalité des entreprises, elle passe à côté de choses importantes. Au moment de voter sur le budget, les questions de fiscalité et de règles sociales qui s’appliquent aux entreprises nous échappent complètement. Nous débattons sans avoir de prise sur les règles qui ont un impact direct sur les sujets discutés. D’ailleurs, que ce soit sur le budget ou sur d’autres sujets, les commissions ne travaillent pas suffisamment ensemble.

Mme Cécile Untermaier. Cette mission n’est certes pas la première à étudier l’inflation législative, phénomène qui a donné lieu à la publication d’une foison de rapports, mais elle a le mérite d’élaborer un éventail de propositions réalistes pour lutter contre ce fléau.

J’ai apprécié la façon dont cette mission a été menée par la présidente Laure de la Raudière et par les deux rapporteurs successifs, Thierry Mandon et Régis Juanico. Je vais me permettre d’intervenir un peu longuement car j’ai été très présente au cours des travaux de cette mission dont je suis secrétaire.

Je souhaite mettre l’accent sur certaines des propositions de cette mission qui permettront de perfectionner le travail législatif. Pour mieux fabriquer la loi, il n’y a pas de secret : il faut d’abord identifier les objectifs poursuivis par les dispositions, recenser les options envisageables et motiver le recours à une nouvelle législation. Ces caractéristiques sont celles de l’étude d’impact telle que définie par l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Ces évaluations préalables à la loi ont, depuis 2009 et leur consécration dans une loi organique, un caractère obligatoire. Elles sont salutaires pour le travail législatif.

Il faut cependant les étoffer car certaines carences sont apparues depuis 2009 : l’absence de test auprès des entreprises, des collectivités locales ou des citoyens, et de test sur l’égalité entre les femmes et les hommes ; l’absence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie des charges administratives créées. Les propositions de ce rapport visent à combler ces lacunes. J’insiste pour ma part sur la prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes qui n’a pas été évoquée au cours de nos travaux.

Il est d’autant plus impératif de pouvoir critiquer le contenu des études d’impact, voire de demander une expertise contradictoire, que ces études doivent prendre une place absolument majeure dans le processus législatif. Si je vois d’un œil bienveillant la création d’un organisme indépendant composé d’experts chargés de les évaluer, je m’interroge toutefois sur l’opportunité de créer une énième autorité. Ne faudrait-il pas donner cette compétence au Conseil économique, social et environnemental ou au Conseil d’État ? Ne pas surajouter une autorité à une autre, c’est aussi cela la simplification. Publier la partie de l’avis du Conseil d’État relatif à cette étude d’impact permettrait aussi de bénéficier d’une analyse critique de cette évaluation. J’y suis d’autant plus favorable que cette publication s’inscrit dans le mouvement d’accroissement de la transparence de l’action publique que j’appelle de mes vœux.

Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il faut aussi aller plus loin en généralisant l’obligation d’élaboration d’une étude d’impact tant pour les propositions de loi que pour les ordonnances. L’absence d’une telle étude pour les propositions de loi représente une vraie limite à l’initiative des parlementaires dans l’élaboration de la loi. Rendre obligatoire et possible sa confection pour les plus importantes propositions de loi contribuerait à une revalorisation réelle du travail des parlementaires. De même, assujettir toutes les ordonnances à une étude d’impact permettrait aux parlementaires d’étendre le contrôle qu’ils exercent sur l’action du Gouvernement et, dès lors, de remplir correctement leurs obligations constitutionnelles.

Le rapport propose aussi de permettre au président de la commission saisie au fond d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur un amendement qualifié de « substantiel » par la commission. Si je comprends l’intérêt de cette proposition pour certains « gros » amendements, je tiens à souligner que sa mise en œuvre est délicate : elle ne doit pas entraver le droit d’amendement, souvent considéré comme la seule matérialisation de l’initiative législative des parlementaires. Prenons garde à ne pas affaiblir le rôle du Parlement, en voulant trop bien faire.

Enfin, je tiens à souligner que ces quinze propositions, ambitieuses mais réalistes, ne constituent en fait que les premiers jalons du mouvement de perfectionnement de la fabrication de la loi.

Dans ce cadre, j’estime que nos prochaines réflexions pourraient s’orienter vers l’article 40 de la Constitution, qui constitue une limite importante au droit d’amendement des parlementaires, voire à leur possibilité de déposer des propositions de loi. Il donne parfois lieu à une interprétation qui réduit un peu plus l’initiative législative des parlementaires. Ne pourrait-on pas, par exemple, imaginer qu’une décision d’irrecevabilité soit motivée ?

Comme précisé dans ma contribution annexée à ce rapport, j’estime également que la confection de la loi aurait à gagner au développement, sur nos territoires, de la pratique d’ateliers législatifs citoyens dont j’ai pu éprouver l’efficacité dans ma circonscription. Le non-cumul des mandats permet ce type rapprochement salutaire entre le député, c’est-à-dire le politique, et le citoyen, à la faveur de la fabrication de la loi.

M. Philippe Gosselin. Je m’amuse de la façon dont le cumul des mandats est arrivé dans le débat !

L’objet de notre mission n’est pas nouveau et le Conseil d’État, dans son rapport de 1991, se penchait déjà sur la logorrhée législative et réglementaire, dénonçant l’épaisseur de nos codes et le nombre de règlements et de lois. Comme il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier, il était pertinent de reprendre les trois stades de l’élaboration de la loi : avant, pendant et après l’adoption du texte.

Comment mieux préparer la loi en amont ? Les études d’impact sont le nœud que vous avez bien identifié, madame la présidente, monsieur le rapporteur. Ces études, relativement indigentes et souvent dépourvues de chiffres, sont sujettes à caution. Outre la question de leur crédibilité, se pose celle de leur évaluation.

Mieux faire la loi pendant les débats n’est pas si facile puisque cela revient à modifier les équilibres de la Ve République. Il ne s’agit pas de bloquer le droit d’amendement du Gouvernement ou celui des parlementaires, alors que nous appelons de nos vœux à une revalorisation du travail du Parlement. Ces réformes institutionnelles vont bien au-delà de nos travaux, de nos méthodes ou de notre présence accrue.

Cette revalorisation du travail du Parlement doit aussi intervenir à un moment essentiel, celui du contrôle de l’action du Gouvernement.

Si nos concitoyens réclament une simplification, cette demande est parfois ambiguë. Dans ce pays, nous avons une forme particulière d’attachement à la loi, laquelle est parée de toutes les vertus dans l’imaginaire républicain. Nos concitoyens, qui veulent moins de lois, se tournent pourtant vers le législateur quand survient une difficulté.

Pour résumer, je dirais qu’il faut faire moins et mieux, en ouvrant deux perspectives. Revenons, tout d’abord, sur l’intégration du droit européen, évoquée par notre collègue Daniel Fasquelle. Malgré la Commission aux Affaires européennes et les mécanismes prévus par notre Constitution, cette intégration des enjeux européens se fait encore d’une manière parallèle et non pas transversale. Faut-il supprimer la Commission aux Affaires européennes ? Je n’en suis pas sûr. Lorsque j’en étais membre, je trouvais ses travaux très intéressants. Peut-être faut-il adopter une approche plus transversale, en s’inspirant de la démarche de la Commission des Lois où Marietta Karamanli et Guy Geoffroy sont responsables d’une sorte de cellule de veille ? Les directives et les obligations de transposition sont nombreuses et elles viennent télescoper nos propres travaux. De plus en plus, le droit européen irrigue par capillarité le droit national.

Deuxième perspective, encore plus compliquée à prendre en compte : la révolution des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), les fameuses « portes étroites » dont parlait le doyen Georges Vedel et dont nous n’avions pas bien mesuré toutes les conséquences. Quasiment chaque semaine apporte son lot de QPC, et donc de décisions du Conseil constitutionnel qui s’imposent à l’État et au législateur. Parfois ces décisions conduisent à adopter, au détour de textes examinés, des amendements en urgence, sans avoir le temps de les évaluer. Même en considérant que le Conseil constitutionnel a fait l’évaluation, nous avons un peu le couteau sous la gorge. Ce n’est pas très satisfaisant, même si nous pouvons approuver l’ouverture aux citoyens de ces QPC.

Pour conclure en forme de clin d’œil, en tant que vice-président de cette mission d’information, je souhaite à notre présidente un sort aussi enviable que celui du rapporteur précédent : qu’elle puisse un jour se perdre sur des bancs gouvernementaux et être ainsi à même d’appliquer les recommandations que nous allons sans nul doute adopter à l’unanimité.

Mme la présidente Laure de la Raudière. Merci, monsieur Gosselin. Je vous rappelle que trois membres de la mission ont rejoint les bancs du Gouvernement : Thierry Mandon mais aussi Matthias Fekl et Pascale Boistard. Vous êtes donc concerné !

M. Philippe Gosselin. Cette mission est un nid !

M. Régis Juanico, rapporteur. Tous les espoirs sont permis !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cette mission a effectué un travail sur un vrai problème : l’inflation législative. Avec Daniel Fasquelle, j’ai fait un rapport très important sur la simplification normative réglementaire, qui préconisait notamment la création d’un principe constitutionnel d’adaptabilité à côté du principe d’égalité.

Je souscris à vos propositions sur le recours accru à des études d’impact, qui permettront au législateur de faire un travail plus approfondi.

Par ailleurs, je vous soumets mes questionnements sur deux sujets un peu atypiques. Tout d’abord, vous n’avez pas abordé la création d’une cellule de spécialistes qui pourraient intervenir après l’examen du texte et avant la promulgation de la loi, pour nous avertir sur de possibles difficultés d’exécution. Cela peut porter atteinte à la légitimité du Parlement, m’objectera-t-on. Reste à définir des modalités qui permettraient de terminer le travail législatif.

Ensuite, le travail parlementaire souffre du dépôt d’amendements qui ne respectent pas forcément les articles 34 et 37 de la Constitution. Même si cela peut heurter, je pense que, à l’instar de ce qui existe à la Commission des Finances, il serait intéressant de filtrer certains amendements. Il s’agit de créer un dispositif permettant d’éviter une logorrhée due à des amendements qui sont rédactionnels et peu utiles, ou qui visent à bloquer la discussion législative, ou qui sont du domaine réglementaire.

M. Daniel Fasquelle. En complément de mon intervention précédente, je voudrais dire qu’il faut veiller à ce que la loi ne soit pas déformée ou détournée par le juge, et à ce que les décrets d’application soient pris. En l’absence de décrets, la loi risque d’être détournée des objectifs voulus par le législateur. En tant que maire – le cumul permet de connaître certaines réalités auxquelles nous ne serions jamais confrontés autrement – je veux citer ici l’exemple de la loi « littoral » dont la jurisprudence s’éloigne de plus en plus des objectifs initiaux de 1986.

L’administration joue également un rôle dans l’application de la loi, sujet sur lequel j’ai effectivement travaillé avec Pierre Morel-A-L’Huissier. La complexité vient parfois de la manière dont les textes sont mis en œuvre. Est-ce normal d’appliquer un texte de la même façon dans des métropoles comme Paris, Lyon et Marseille et dans des communes de 80, 100 ou 200 habitants ? Ces dernières n’ont pas forcément les moyens d’appréhender la complexité et le foisonnement des textes.

En France, chacun cherchant à se protéger, nous sommes trop attachés à l’application des textes à la lettre et au mot près. Même si c’est absurde, on va imposer la norme. Nous avons tous en tête des exemples où l’administration a voulu appliquer le texte à la lettre, alors qu’il aurait été possible de le faire avec plus de liberté et de simplicité en s’attachant à l’objectif de la loi. Ce qui compte, c’est de respecter les objectifs fixés en matière de sécurité pour prévenir les incendies ou d’accessibilité pour les personnes handicapées conformément à la loi de 2005, par exemple. Or, on finit par perdre ces objectifs de vue quand on veut appliquer un texte à la lettre. Ce chantier sur la mise en œuvre de la norme dépasse un peu le cadre de notre mission, mais nous devrions nous y intéresser. On peut faire tous les efforts possibles pour mieux légiférer, si l’application n’est pas assez souple, nous n’atteindrons pas l’objectif recherché : plus de liberté, de simplicité et d’adaptabilité pour nos concitoyens.

M. Régis Juanico, rapporteur. Revenons à la nécessaire revalorisation de la loi de règlement dans la procédure budgétaire, évoquée par Daniel Fasquelle. Nous consacrons quasiment trois mois à la loi de finances initiale, qui et souvent un texte d’affichage, et quelques heures seulement en séance publique à la loi d’exécution qui est, elle, un texte de vérité budgétaire.

François Cornut-Gentille et moi-même, nous avons exploré le sujet l’an dernier, à la demande du Président Claude Bartolone, et certaines de nos propositions sont en cours d’expérimentation. Sur les questions budgétaires, il faut associer les commissions permanentes au travail de la Commission des Finances, et faire fonctionner la majorité et l’opposition en binôme. L’évaluation ex post des lois devrait d’ailleurs reposer sur ce type de binômes : les rendez-vous triennaux que nous proposons seraient confiés au rapporteur de la loi et à un député de l’opposition. Il s’agit de choisir des thèmes très précis d’évaluation des politiques publiques sous l’angle budgétaire, au moment de la loi de règlement, c’est-à-dire pendant les mois d’avril, mai et juin. J’espère que nous pourrons convaincre le président de l’Assemblée nationale de systématiser cette façon de faire, car ces expériences sont très intéressantes sur le plan législatif.

Cécile Untermaier regrette que nous n’ayons pas prévu un test sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Nous avons envisagé trois tests – entreprises, collectivités territoriales, usagers de l’administration – mais le thème de l’égalité entre les hommes et les femmes est déjà pris en compte par une circulaire du Premier ministre. Cette circulaire qui date du 23 août 2012 invite à tenir compte de ce critère dans les évaluations préalables, de la même façon qu’une circulaire du 4 septembre 2012 en matière de handicap. Plutôt que de se lancer dans une énumération, nous avons préféré balayer les trois grands sujets, quitte à renvoyer à une circulaire pour élargir à d’autres champs thématiques.

Vous craignez de voir le droit d’amendement parlementaire bridé par notre huitième proposition, celle qui tend à faire reconnaître au président de la commission saisie au fond le droit d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur les amendements qualifiés de « substantiels » par ladite commission. L’expérience montre que les amendements « substantiels », qui viennent modifier en dernière minute l’équilibre d’un texte, sont plutôt d’origine gouvernementale. Souvenez-vous de l’amendement « pigeons » sur les plus-values résultant de la vente d’une entreprise, ou de l’amendement sur la taxe professionnelle. Notre proposition représente plutôt une garantie pour les droits du Parlement.

Philippe Gosselin et Daniel Fasquelle plaident pour une approche plus intégrée entre la Commission des Affaires européennes et les autres commissions permanentes qui s’intéressent aussi aux répercussions des textes européens. Dans la pratique, la Commission des Affaires européennes a, dans chaque commission permanente, des correspondants chargés de faire le lien. Peut-être faudra-t-il développer cette pratique ? Peut-être faudra-t-il aussi demander aux commissions permanentes de réserver des moments spécifiques pour évoquer les questions qui touchent aux affaires européennes ?

Pierre Morel-A-L’Huissier s’interroge sur l’opportunité de créer un filtre pour éviter les amendements qui sont du domaine réglementaire. L’article 41 de la Constitution permet déjà de faire ce tri, mais tant le Gouvernement que le Conseil constitutionnel – depuis une décision de 1982 – ont renoncé à le mettre en oeuvre.

Mme la présidente Laure de la Raudière. Pierre Morel-A-L’Huissier propose la création d’une cellule de spécialistes qui pourraient intervenir juste après l’examen du texte de loi. Nous n’avons pas envisagé une telle piste, estimant qu’il valait mieux travailler de manière plus professionnelle avant, en particulier via l’étude d’impact, afin de mesurer les conséquences des différents dispositifs du texte.

Nous proposons des tests – sur les entreprises et les collectivités – qui sont importants au regard de vos travaux sur l’adaptabilité de la loi : les dispositions législatives envisagées seront passées à la moulinette sur des cas concrets avant l’examen du texte. Ces tests nous permettront, par exemple, d’écarter des dispositions qui se révèleraient trop lourdes et coûteuses à appliquer dans les PME, dans les collectivités locales de petite taille, dans les territoires ruraux ou montagnards, etc. Cette solution nous semble préférable à la création d’une cellule de spécialistes.

Notre rapport préconise le recours à des études d’impact et à l’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour, qu’elles émanent de la majorité ou de l’opposition. Actuellement, seul le président de l’Assemblée nationale peut saisir le Conseil d’État pour avoir son avis sur une proposition de loi. Il ne satisfait pas toujours cette demande quand la proposition de loi vient de l’opposition, afin de ne pas engorger le Conseil d’État – je ne soupçonne pas une volonté politique de la part du Président Claude Bartolone.

Mes chers collègues, chacun s’étant exprimé, il revient à notre mission, en application de l’article 145 du Règlement, de voter sur le rapport qui vous est aujourd’hui soumis.

La mission d’information adopte à l’unanimité le rapport, autorisant ainsi sa publication (201 .

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

MIEUX PRÉPARER LA NORME
EN AMONT DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

Proposition n° 1 – Enrichir le contenu des études d’impact

Mieux renseigner les études d’impact :

– en rendant obligatoire, pour les textes législatifs, la réalisation d’un « test entreprises » (aujourd’hui facultatif et circonscrit aux textes réglementaires) ainsi que de tests « collectivités locales » et « usagers de l’administration » ;

– en améliorant l’évaluation des coûts et bénéfices économiques ainsi que des conséquences sociétales des mesures envisagées ;

– en fournissant une analyse et une justification approfondies à l’appui des mesures transitoires et des dates d’entrée en vigueur retenues ;

– en y intégrant l’exigence de quantification des charges administratives supprimées en contrepartie et à hauteur des charges administratives créées (« one-in, one-out ») ;

– et en y introduisant les critères sur lesquels se fondera l’évaluation ex post de ces mesures.

Proposition n° 2 – Contrexpertiser les études d’impact

Confier l’évaluation de la qualité des études d’impact à un organisme indépendant :

– composé de représentants de la société civile ;

– chargé, en s’appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux, de rendre un avis public prenant notamment en compte l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée ;

– l’avis sur les études d’impact assortissant les projets de loi étant rendu public lors de la présentation de ces derniers en conseil des ministres.

Prévoir une évaluation de ce dispositif de validation des études d’impact dans un délai de deux ans à compter de sa mise en œuvre.

Proposition n° 3 – Soumettre les propositions de loi à une étude d’impact

Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact sur les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour – cette étude pouvant, le cas échéant, être complétée par un avis du Conseil d’État saisi à cet effet selon les modalités actuellement prévues par la Constitution.

Proposition n° 4 – Soumettre les ordonnances à une étude d’impact

– Exiger que les projets de loi d’habilitation soient assortis d’une étude d’impact plus complète (et non allégée comme c’est le cas aujourd’hui) ;

– Rendre obligatoire la réalisation d’une étude d’impact pour les ordonnances ;

– Subordonner en conséquence la dispense d’étude d’impact pour les projets de loi de ratification des ordonnances à la condition qu’une étude d’impact ait été produite à l’occasion de l’examen par le Conseil d’État du projet d’ordonnance.

Proposition n° 5 – Développer le recours à l’expérimentation avant la généralisation de certains dispositifs législatifs – le cas échéant en consolidant les effets juridiques de ces expérimentations.

MIEUX ÉLABORER LA NORME
AU COURS DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

Proposition n° 6  – Rendre publique la partie de l’avis du Conseil d’État relative aux études d’impact assortissant les projets (et, le cas échéant, les propositions) de loi ainsi que les projets d’ordonnance, et la joindre à ces études.

Proposition n° 7 – Renforcer le contrôle du Parlement sur la qualité des études d’impact

Au stade de l’examen en commission, prévoir, dans l’intervention liminaire du rapporteur de la commission saisie au fond, une présentation systématique de l’étude d’impact sur le projet de texte, avant l’examen des articles et des amendements.

Proposition n° 8 – Reconnaître au président de la commission saisie au fond le droit d’exiger la réalisation d’une étude d’impact sur les amendements qualifiés par ladite commission de « substantiels ».

Proposition n° 9  – Soumettre les amendements du Gouvernement à un délai de dépôt.

Proposition n° 10  – Modifier la procédure accélérée pour préserver un délai minimal entre le dépôt d’un texte et sa discussion devant chaque assemblée.

Proposition n° 11  – Repenser l’organisation des débats budgétaires de façon à faire de la loi de règlement un moment fort d’évaluation, notamment de la modernisation de l’action publique.

Proposition n° 12 – Modifier les modalités de négociation et de transposition des directives

– Placer l’étude d’impact de la Commission européenne (et ses implications au niveau national) au cœur des négociations des directives européennes ;

– Développer la transposition des directives par voie d’ordonnances en exigeant :

– que l’avis du Conseil d’État sur le projet d’ordonnance de transposition soit rendu public avant le dépôt du projet de loi de ratification ;

– et que cet avis ainsi que l’étude d’impact assortissant le projet d’ordonnance identifient les éventuelles « surtranspositions », qui devront alors être soumises à une obligation de motivation renforcée.

MIEUX ÉVALUER LA NORME EN AVAL DE SON ADOPTION

Proposition n° 13 – Clarifier le paysage de l’évaluation des politiques publiques

Organiser une conférence des évaluateurs pour mieux coordonner les initiatives en matière d’évaluation ex post aujourd’hui prises par l’Assemblée nationale, le Sénat, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental, les corps d’inspection ou autres (IGF, IGAS, IGA, IGSJ, CGEFI, SGMAP…).

Proposition n° 14 : Développer l’insertion dans la loi de clauses de révision et renforcer le contrôle parlementaire sur la publication des décrets d’application

Développer l’insertion, dans certains types de loi, de clauses de révision amenant le Parlement à débattre de l’efficacité du dispositif adopté dans un certain délai après son entrée en vigueur.

Contraindre le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes l’absence de publication des décrets d’application à l’expiration d’un certain délai (entre six mois et un an) courant à compter de la promulgation de la loi.

Proposition n° 15 – Prévoir une évaluation ex post plus méthodique

Indépendamment des réexamens exigés par des clauses de révision, prévoir des rendez-vous triennaux d’évaluation de lois adoptées et définir en conséquence un programme annuel voire pluriannuel d’évaluation dans les deux assemblées parlementaires, en répartissant entre ces dernières les thématiques abordées.

Systématiser en conséquence l’élaboration de rapports d’évaluation (distincts des actuels rapports d’application) dont la rédaction serait confiée, trois ans après l’entrée en vigueur d’une loi, à un binôme de rapporteurs majorité-opposition.

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA MISSION

I. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR MME CÉCILE UNTERMAIER, SECRÉTAIRE

La mission d’information sur la simplification législative créée le 26 novembre 2013 par la Conférence des présidents s’est attaquée à l’inflation législative, ainsi qu’à la complexité du droit et à l’insécurité juridique qui en découlent. Le rapport le souligne : cette mission n’est pas la première à étudier ces phénomènes. Les rapports sont foison en la matière. Mais cette mission d’information a le mérite d’élaborer un éventail de mesures réalistes pour lutter contre ces dérives bien connues de l’État de droit. Ce rapport formalise quinze mesures permettant d’améliorer qualitativement et quantitativement la fabrication de la loi.

Je souhaite mettre l’accent sur certaines de ces mesures (2), ainsi que sur une innovation, les ateliers législatifs citoyens, pratiquée dans ma circonscription et qui pourrait se développer sur le territoire national (1).

1- Les Ateliers législatifs citoyens, un outil d’amélioration de la procédure législative

Depuis le début de mon mandat en juin 2012, j’ai mis en place dans la 4ème circonscription de Saône-et-Loire des Ateliers législatifs citoyens (ALC4) sur les grandes réformes législatives. Ces Ateliers ont connu un vif succès, me convainquant de l’intérêt des citoyens pour la vie publique ainsi que de l’urgence d’instaurer une plus grande participation citoyenne en France. Ces Ateliers portent sur des projets ou propositions de loi (202) en discussion au Parlement, avant leur adoption. Ils réunissent toutes les personnes intéressées, à savoir des particuliers, des professionnels, des associations, des journalistes, des syndicats, des entreprises… Ces personnes sont mises au courant de la tenue d’un Atelier par voie électronique ainsi que par voie de presse. Au fil des Ateliers, la liste des personnes intéressées, et prévenues par voie électronique, ne cesse de s’élargir, et les professionnels s’y rendent même lorsque le thème retenu ne les concerne plus dans leur fonction, mais comme simples citoyens engagés dans la vie publique. L’Atelier est parfois précédé d’une visite par les élus et les professionnels intéressés d’un lieu en rapport avec le thème de l’Atelier. Il arrive également qu’un ministre vienne assister à cet Atelier (203).

Ces Ateliers se déroulent de la façon suivante : une fois introduit et présenté le texte d’une manière pédagogique, des questions sont posées et la parole est donnée aux personnes présentes. Une discussion s’engage entre les citoyens, les professionnels, les élus et moi-même afin d’interroger le bien-fondé des dispositions du texte, et de s’efforcer d’en évaluer les effets attendus. Les Ateliers font ressortir des interrogations concrètes et finalement permettent de proposer à l’Assemblée nationale des « amendements citoyens » (204), des questions parlementaires et même des propositions de loi citoyennes (205).

Ils se déroulent dans des villes différentes au sein de ma circonscription, ce qui permet de toucher des publics variés et de permettre à des personnes ne disposant pas d’une grande mobilité de participer aux discussions qui se déroulent à proximité de leur domicile. Enfin, en dehors ou parallèlement à ces réunions, les citoyens peuvent présenter des contributions sur un site internet que j’ai mis en place début 2014 (206). Je prends également en compte ces contributions dans le cadre du travail législatif.

Le rapport de la mission d’information sur la simplification législative présente trois axes pour approfondir le processus de fabrication de la loi, correspondant respectivement aux trois temps de l’élaboration de cette norme : la préparation de la loi, sa formation durant la procédure législative, et enfin son évaluation. Les Ateliers législatifs citoyens sont susceptibles d’apporter une réelle plus-value à chacune de ces étapes.

1.1 D’abord lors de l’élaboration de la loi. Ces Ateliers permettent aux citoyens d’évoquer les problématiques concrètes du projet ou de la proposition de loi. Ce faisant, les citoyens font remonter leurs préoccupations quotidiennes en rapport avec le texte et en lien avec les territoires dont ils sont issus. La loi gagne ainsi en adaptation aux territoires, ce qui est aujourd’hui un enjeu principal de l’élaboration des normes, compte tenu des fractures grandissantes entre les milieux ruraux et urbains.

J’ai ainsi pu faire remonter des problèmes de terrain, tant lors de la défense d’amendements à la Tribune de l’Assemblée, que lors de rencontres avec des ministres.

1.2 Ensuite, c’est sans doute au regard de l’élaboration même de la loi que les Ateliers présentent la plus grande utilité. Les citoyens s’interrogent au cours de ces Ateliers sur le bien-fondé des dispositions du texte examiné. Ce faisant, ils en évaluent la pertinence et confrontent ces dispositions à leurs expériences personnelles. D’autant plus que certaines remarques judicieuses sont formulées au cours de la discussion par des personnes pouvant être des professionnels ou des usagers agissant dans le champ d’application du projet de loi étudié. C’est pour cela qu’elles débouchent fréquemment sur des propositions d’amendements de la loi. Ceux-ci sont alors calibrés lors du débat qui suit cette proposition et qui s’ouvre entre les citoyens et moi-même. Je porte alors au sein de l’hémicycle des propositions de modification de la loi. La défense de ces amendements, tant au sein des divers groupes de travail, qu’en commission ou dans l’hémicycle est une formidable occasion d’informer et d’interpeller les membres du gouvernement et les autres députés sur les problèmes de terrain. Si ces amendements ne sont pas toujours adoptés, il reste qu’ils sont toujours pris au sérieux par les autres députés.

Ainsi, les Ateliers législatifs citoyens ont contribué à proposer des simplifications législatives, et à rendre plus effectifs les textes discutés à l’Assemblée. Ils sont aussi l’expression de la diversité des territoires. Ils révèlent le dynamisme et l’inventivité qui existent tant dans le monde rural qu’urbain.

1.3 Enfin, les Ateliers législatifs citoyens contribuent à l’évaluation de la loi. Si ces Ateliers sont avant tout des lieux de discussion nourrie et apaisée de projets ou de propositions de loi, ils constituent également un cadre privilégié au cours duquel les citoyens n’hésitent pas à faire part des difficultés d’application de certaines dispositions prévues par le texte discuté ou bien de réformes déjà entrées en vigueur.

Finalement, les Ateliers législatifs citoyens permettent des retours d’expérience d’une très grande richesse pour les élus qui permettent d’établir une véritable concordance entre les lois et les pratiques du terrain.

Ces Ateliers approfondissent en amont ou en aval le travail parlementaire sur la loi. Chaque député est en mesure d’y procéder sans difficulté et le Parlement de devenir l’Atelier législatif citoyen. Une extension de cette pratique favorise le rapprochement des citoyens avec leurs élus, fait connaître le rôle du parlementaire et le travail qu’implique la fabrication de la loi.

2- Observations sur les propositions de la mission d’information :

Avant tout, je souhaite saluer le travail effectué par l’ensemble des membres de la mission d’information, et plus particulièrement par ses rapporteurs. L’ensemble des propositions de cette mission permettra à n’en pas douter de perfectionner le travail législatif.

2.1 Tout d’abord, la simplification passe par une meilleure rédaction des lois. Or, pour améliorer la fabrication de la loi, il faut d’abord identifier les objectifs poursuivis par les dispositions, recenser les options envisageables et motiver le recours à une nouvelle législation. Ces évaluations préalables aux projets de lois, reconnues depuis 2009 par le biais des études d’impact (207), a été salutaires pour le travail législatif.

Toutefois, il convient aujourd’hui d’étoffer ces études. En effet, certaines faiblesses et carences sont apparues notamment quant à l’absence de « test entreprises », ou bien encore l’absence de quantification sur les charges administratives supprimées en contrepartie des charges administratives créées. Il faudrait donc mentionner les effets attendus en la matière des dispositions du projet de loi.

Ensuite, une procédure permettant la critique voire une contre-expertise du contenu des études d’impact devrait être créée en amont de sa publication officielle afin d’en améliorer l’évaluation. Cela permettrait d’enrichir incontestablement la portée de cette étude en évitant qu’elle ne se limite à une évaluation théorique et abstraite à partir de méthodes de calcul déconnectées des questions concrètes du terrain. C’est d’autant plus une nécessité aujourd’hui que les études d’impact ont pris une place absolument majeure dans le processus législatif.

Publier la partie de l’avis du Conseil d’État relatif à cette étude permettrait cette critique. J’y suis d’autant plus favorable que cette publication s’inscrit dans le mouvement de transparence de l’action publique que j’appelle de mes vœux.

Il faut aussi aller plus loin en généralisant l’obligation d’élaboration d’une étude d’impact tant pour les propositions de loi les plus importantes que pour les ordonnances. L’absence d’étude d’impact pour les propositions de loi est effectivement une réelle limite à l’initiative des parlementaires dans l’élaboration de la loi. Rendre obligatoire sa confection dans cette hypothèse serait, dès lors, une revalorisation réelle du rôle du Parlement. De même, assujettir les ordonnances à une étude d’impact permettrait aux parlementaires d’étendre le contrôle qu’ils exercent sur l’action du gouvernement, et, dès lors, de remplir correctement leurs obligations constitutionnelles.

Le rapport propose aussi de permettre au président de la commission saisie au fond d’exiger la réalisation d’une étude d’impact par une autorité indépendante sur un amendement qualifié par la commission de « substantiel ». Si je comprends l’intérêt de cette proposition pour certains « gros » amendements, il reste que je tiens à souligner que sa mise en œuvre est délicate : elle ne doit en effet pas entraver le droit d’amendement du parlementaire, droit qui est aujourd’hui souvent considéré comme la seule matérialisation de l’initiative législative des parlementaires. En voulant trop bien faire, faisons attention à ne pas affaiblir le rôle du Parlement.

2.2 Enfin, je tiens à souligner que ces quinze propositions, ambitieuses et réalistes, ne constituent que les premiers jalons du perfectionnement de la fabrication de la loi.

À cette occasion, je me permets de mentionner quelques pistes de réflexion non évoquées par la mission. Il faut réduire le nombre des renvois dans les lois. Les articles de loi qui renvoient à un article d’un code quelconque qui renvoient lui-même à un article, etc. doivent être limités afin de rendre le texte intelligible et compréhensible en et pour lui-même.

De plus, pour les textes particulièrement techniques, l’étude d’impact devrait contenir un lexique des termes juridiques ou économiques employés et qui ne sont pas compréhensibles pour la plupart des citoyens, voire des élus. Ce problème étant assez symptomatique du caractère trop bureaucratique des projets de loi.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas garantir une meilleure coordination entre les commissions parlementaires afin d’éviter un dispersement dans plusieurs textes législatifs de règles ayant un objet commun ? On ne peut pas inscrire des règles relatives à la réforme des tribunaux de commerce et à la prévention des procédures collectives dans la proposition de loi sur l’économie réelle alors qu’un projet de loi est en préparation sur ces sujets. Les exemples de cette dispersion sont trop nombreux et rendent le droit en général difficilement identifiable. La codification à droit constant est insuffisante pour compenser cette complexité.

J’estime que nos prochaines réflexions pourraient également s’orienter sur l’article 40 de la Constitution, qui constitue aujourd’hui une limite importante au droit d’amendement des parlementaires, voire de leur possibilité de déposer des propositions de loi. L’interprétation qui en est parfois faite réduit un peu plus l’initiative législative des parlementaires. Ne pourrait-on pas imaginer qu’une décision d’irrecevabilité soit motivée ?

Louhans, le lundi 6 octobre 2014.

II. CONTRIBUTION DE M. PIERRE MOREL-A-L’HUISSIER

L’inflation normative que ce rapport développe à l’envi, tout en essayant d’apporter des réponses est incontestablement aujourd’hui un mal dans notre société moderne. Auteur d’un rapport au Président de la République sur le problème des normes en milieu rural, réalisé en commun avec Messieurs Etienne Blanc, Daniel Fasquelle et Yannick Favennec, j’ai pu en apprécier son impact dans les différents départements visités, tant au niveau du simple citoyen, que des élus ainsi que des entreprises voire même des agents et fonctionnaires. Tous ont attiré notre attention sur cette inflation, qui nous a fait mentionner que 8 000 lois étaient applicables dans notre pays, générant pas moins de 400 000 normes. En réalité le problème est plus complexe : l’inflation normative provenant tant du système législatif lui-même que de l’administration française. S’agissant du législateur, je pense que la procédure législative - comme l’affirme ledit rapport - n’est plus adaptée au monde moderne. Beaucoup trop de lois sont proposées, semaines après semaines, tant par le gouvernement, que par les groupes parlementaires, et par les députés eux-mêmes. S’il l’on a beaucoup insisté sur les études d’impact qui devraient concerner à la fois les projets de loi gouvernementaux, et les propositions de loi d’origine parlementaire, je pense qu’au-delà le problème réside dans la construction collective du texte législatif qui induit des imprécisions et parfois des confusions : tel ou tel article additionnel qui vient perturber le texte initial sans études d’impact préalable. Je pense que la procédure législative devrait intégrer avant même la promulgation de la loi, l’examen par une commission de spécialistes venant en fin de discussion législative vérifier si telle ou telle disposition visait en réalité à créer des problèmes dans son application. On m’objectera que cette cellule spécialisée pourrait remettre en cause la légitimité du pouvoir législatif que nous sommes. Aussi, je pense que des modalités précises permettant au Président de la commission saisi au fond voire au Président de l’Assemblée Nationale lui-même permettrait nonobstant au recours à ces spécialistes que le dernier mot soit donné au Parlement dans une ultime lecture. Je pense également qu’un dispositif permettant de refuser tel ou tel amendement qui ne respecterait pas les domaines législatifs et réglementaires serait de nature à éviter que la loi bavarde trop. Ce système serait calqué sur celui applicable à la commission des Finances. Enfin, il me semble que le moment est venu pour que la représentation parlementaire soit autorisée à avoir recours aux moyens modernes qu’offre aujourd’hui l’informatique à travers la reconnaissance digitale qui permettrait d’adopter ou de refuser tel ou tel amendement sans être présent physiquement en séance.

La deuxième source d’inflation normative est incontestablement liée au pouvoir réglementaire : décrets du Conseil d’État, décrets simples, arrêtés administratifs, directives, circulaires, instructions sont autant de manifestation de l’administration française qui viennent alourdir la vie quotidienne. Le mal français réside largement dans cette propension qu’a l’administration à venir réglementer tous les aspects de la vie civile et sociale. La complexité est telle que ni les citoyens, ni les chefs d’entreprise, ni les fonctionnaires, ni les élus ne sont en capacité d’appliquer au bon moment le texte qui convient à telle ou telle situation. Il s’ensuit une incertitude juridique permanente et une exaspération que j’ai largement perçue dans le cadre de la mission sus énoncée et qui m’a conduit à rencontrer plus de 4 000 acteurs locaux sur les territoires. Conscient qu’il sera désormais difficile même avec des lois de simplification au travers du Conseil National d’Évaluation des Normes, même avec un commissaire à la simplification et une réorganisation de l’Etat institutionnel de changer profondément le cours des choses, j’ai acquis la conviction que l’émergence d’un nouveau pouvoir juridique, celui du principe d’adaptabilité des normes au côté du principe d’égalité serait de nature à permettre une évolution de tous ces dispositifs normatifs de notre pays. Interrogés, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État se sont montrés à la fois ouverts et interrogatifs. Le législateur malgré une volonté affichée, s’est jusqu’à maintenant montré frileux. Je pense que cette voie est à explorer car elle constituerait une base juridique nouvelle qui permettrait à tout un chacun d’adapter les normes à certaines contingences locales. La pratique qui s’ensuivrait sous le contrôle du juge administratif et du juge constitutionnel permettrait d’éviter telles ou telles dérives.

ANNEXES

Annexe n° 1 : personnes entendues et déplacements effectués 178

Annexe n° 2 : nombre moyen de lois adoptées par neufs parlements européens au cours des dernières années 183

Annexe n° 3 : modèles de fiches d’impact des projets d’actes réglementaires relatifs aux entreprises et aux collectivités territoriales 184

Annexe n° 4 : mesure des charges administratives en Belgique et en Allemagne 193

Annexe n° 5 : mesure des charges administrative en France 196

Annexe n° 6 : consultations préalables obligatoires sur les projets de loi 199

Annexe n° 7 : mise en œuvre du principe « one-in, two-out » au Royaume-Uni 210

Annexe n° 8 : le Comité d’analyse d’impact (« Impact Assessment Board ») de la Commission européenne 212

Annexe n° 9 : le conseil indépendant chargé de contrôler la qualité des études d’impact des administrations britanniques : « Regulatory Policy Committee » (RPC) 214

Annexe n° 10 : projets et propositions de loi examinés et adoptés de la XIe à la XIVe législature 219

Annexe n° 11 : évolution du nombre de procédures accélérées de la XIe à la XIVe législature 221

Annexe n° 12 : scénarios de réforme possibles pour faire de l’examen de la loi de règlement un moment fort d’évaluation de l’action publique 223

Annexe n° 13 : proportion des lois françaises prises pour la transposition des directives européennes 224

Annexe n° 14 : outils méthodologiques pour la transposition des directives européennes 226

Annexe n° 15 : taux d’application des lois promulguées 231

Annexe n° 16 : comptes rendus des auditions de la mission 233

ANNEXE N° 1 :
PERSONNES ENTENDUES ET DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS

(Les comptes rendus des auditions figurent en annexe 16 du présent rapport)

Jeudi 16 janvier 2014 – Déplacement à Bruxelles

• Entretien avec les responsables de l’Agence de simplification administrative (ASA) ;

• Entretien avec les Présidents du Comité parlementaire chargé du suivi législatif ;

Entretien avec Mme Marianna Klingbeil, secrétaire générale adjointe de la Commission européenne et présidente de l’Impact Assessment Board ;

• Entretien avec des membres de l’unité d’évaluation de l’impact du Parlement européen, ainsi que de l’unité « valeur ajoutée européenne ».

Jeudi 23 janvier 2014

• Première table ronde réunissant des universitaires :

– Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ;

– M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense) ;

– M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).

• Seconde table ronde réunissant des universitaires :

– Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ;

– Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

• MM. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, auteurs d’Ubu loi (Fayard, mars 2008).

Jeudi 30 janvier 2014

• M. Alain Lambert, président de la commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) et auteur, avec M Jean-Claude Boulard, du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013) ;

• M. Bruno Dondero, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

Jeudi 6 février 2014 – Déplacement à Londres

• Entretien avec M. Michael Gibbons, Président du « Regulatory Policy Committee » ;

• Entretien avec des membres des services du Premier ministre chargés notamment de la mise en œuvre du programme « Red Tape Challenge » ;

• Entretien avec M. Oliver Letwin, secrétaire d’État auprès du Premier ministre britannique, chargé de la politique réglementaire ;

• Entretien avec des membres du bureau « Better Regulation Executive » (BRE) au ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences ;

• Entretien avec Mme Celia Thomas of Winchester, présidente de la commission de la Chambre des Lords chargée de la législation déléguée et de la dérégulation (« Delegated Powers and Regulatory Reform Committee ») ;

• Entretien avec M. Alex Scharaschkin, directeur au « National Audit Office » (NAO) ;

• Entretien avec M. Angus Lapsley, chef du secrétariat des services du Premier ministre en charge des questions européennes et internationales, conseiller du Premier ministre pour les questions européennes.

Mercredi 12 février 2014 – Déplacement à Berlin

• Entretien avec des membres de la direction du ministère fédéral de l’Intérieur, en charge de l’organisation et de la modernisation de l’administration ;

• Entretien avec M. Helge Braun, ministre d’État auprès de la Chancelière, chargé de la simplification ;

• Entretien avec des membres du bureau de la Chancellerie fédérale chargé de la simplification (« Better Regulation Unit » - BRU) ;

• Entretien avec M. Johannes Ludewig, président du conseil national de contrôle des normes (« Normenkontrollrat » - NKR), et M. Wolf-Michael Catenhausen, vice-président ;

• Entretien Mme Ulrike Beland, responsable de la coordination des positions économiques et de la débureaucratisation à la Chambre allemande de commerce et d’industrie (DIHK) et M. Martin Eckstein, responsable du droit du travail et du droit des conventions collectives à l’Association des fédérations allemandes des employeurs (BDA).

Mercredi 19 février 2014

• Secrétariat général du Gouvernement

– M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement ;

– M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement.

Jeudi 20 février 2014

• M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification ;

• M. Éric Doligé, sénateur et auteur du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales (juin 2011).

Jeudi 27 mars 2014 – Déplacement à La Haye

• Entretien avec M. Jan Ten Hoopen, Président du conseil consultatif indépendant ACTAL et avec M. Rudy van Zijp, Secrétaire de ce conseil ;

• Entretien avec M. Bernard Wientjes, Président de l’organisation patronale VNO-NCW ;

• Entretien avec les représentants du ministère des Affaires économiques sur la politique néerlandaise de simplification administrative et législative.

Jeudi 10 avril 2014

• M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes.

Jeudi 17 avril 2014

• Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE)

– M. Nick Malyshev, responsable de la division de la politique de la réglementation ;

– Mme Céline Kauffmann, responsable adjointe de la division de la politique de la réglementation ;

– M. Daniel Trnka, responsable du travail sur la simplification, division de la politique de la réglementation.

Mercredi 30 avril 2014

• Cour des comptes

– M. Didier Migaud, premier président ;

– M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général ;

– M. Simon Bertoux, conseiller référendaire, chargé de mission.

• Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP)

– M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers ;

– M. Gérard Huot, mission simplification, responsable des relations avec les entreprises.

Jeudi 15 mai 2014

• Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE)

– M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général ;

– Mme Liza Bellulo, conseillère juridique ;

– Mme Véronique Fourquet, adjointe à la conseillère juridique ;

– Mme Juliette Clavière, responsable du département Parlement National, Parlement européen, collectivités locales.

• Conseil économique, social et environnemental (CESE)

– M. Jean-Paul Delevoye, président ;

– M. Christian Le Roux, directeur de Cabinet.

• Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) :

– M. Bernard Gaud, président du MEDEF Rhône-Alpes et président de la commission « Simplification » du MEDEF ;

– Mme Dorothée Pineau, directrice générale adjointe du MEDEF en charge du dossier simplification ;

– Mme Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques, rapporteure de la commission « Simplification » du MEDEF.

Jeudi 22 mai 2014

• Conseil d’État

– M. Jean-Marc Sauvé, vice-président ;

– M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration ;

– Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études.

• INSEE

– M. Jean-Luc Tavernier, directeur général ;

– M. Alain Bayet, secrétaire général.

Jeudi 5 juin 2014

• M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mardi 1er juillet 2014

• M. Jean-Luc Warsmann, député.

Mercredi 9 juillet 2014

• M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement.

ANNEXE N° 2 :
NOMBRE MOYEN DE LOIS ADOPTÉES PAR NEUF PARLEMENTS EUROPÉENS AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES

Pays

Nombre de lois adoptées en 2010-2011

Nombre de lois adoptées en 2011-2012

Nombre de lois adoptées en 2012-2013

Nombre de lois adoptées en 2013-2014

Allemagne

2009-2013 : 553 (soit, environ, 138 lois par an)

Donnée non communiquée

Belgique

Donnée non communiquée

181

211

278

Danemark

207

207

236

Donnée non communiquée

Espagne

52

25

Donnée non communiquée

Donnée non communiquée

France

108

10

90

98

Norvège

68

77

124

Donnée non communiquée

Pays-Bas

279

262

254

Donnée non communiquée

Portugal

57

93

92

Donnée non communiquée

Royaume-Uni

49

38

28

Source : réponses fournies par huit des dix parlements européens interrogés par la mission par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires - CERDP.

ANNEXE N° 3 :
MODÈLES DE FICHES D’IMPACT DES PROJETS D’ACTES RÉGLEMENTAIRES RELATIFS AUX ENTREPRISES ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

(circulaire du 17 février 2011)

ANNEXE N° 4 :
MESURE DES CHARGES ADMINISTRATIVES
EN BELGIQUE ET EN ALLEMAGNE

TABLEAU N° 1. ÉVOLUTION DES CHARGES ADMINISTRATIVES EN BELGIQUE EN 2012

Évolution des charges administratives sur une base annuelle

Impact monétaire

Intérieur

-309 130 €

Affaires étrangères

-611 411 €

économie, P.M.E., Classes moyennes et énergie

-1 174 410 €

Finances

-59 559 635 €

Technologie de l'Information et de la Communication (Fedict)

-216 556 €

Justice

-119 885 €

Mobilité et Transport

1 517 477 €

Sécurité sociale et Institutions publiques de sécurité sociale

-3 624 258 €

Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement

-1 018 530 €

Emploi, Travail et Concertation sociale

-16 672 106 €

Plusieurs domaines politiques concernés :

- Télémarc

- Facturation électronique

- Chèque-repas électronique

-493 798 €

-172 173 442 €

-6 231 187 €

TOTAL

-260 686 871 €

Source : Rapport 2012 du bureau de mesure de l’ASA, p. 15.

TABLEAU N° 2. ÉVOLUTION CUMULÉE DES CHARGES ADMINISTRATIVES
EN BELGIQUE DEPUIS 2008

 

2008

2009

2010

2011

2012

TOTAL

Intérieur

-81 154 €

-1 066 739 €

-340 419 €

19 121 928 €

-309 130 €

17 324 486 €

Affaires étrangères

0 €

0 €

0 €

0 €

-611 411 €

-611 411 €

Économie, PME, Classes moyennes et énergie

-28 687 512 €

-31 150 527 €

-20 225 142 €

-4 631 583 €

-1 174 410 €

-85 869 174 €

Finances

-16 979 614 €

-73 526 862 €

-19 303 458 €

-45 813 246 €

-59 559 635 €

-215 182 815 €

Technologie de l'Information et de la Communication

0 €

31 785 €

5 574 €

-124 402 €

-216 556 €

-303 599 €

Justice

-1 167 476 €

-1 418 247 €

-1 401 €

-19 502 €

-119 885 €

-4 166 511 €

Mobilité et Transports

-39 387 553 €

-14 783 055 €

-2 363 723 €

-8 062 771 €

1 517 477 €

-63 079 625 €

Personnel et Organisation

61 464 €

0 €

0 €

0 €

0 €

61 464 €

Sécurité Sociale et Institutions publiques de sécurité sociale

-7 163 802 €

18 933 832 €

-119 353 €

-16 252 177 €

-3 624 258 €

-8 225 758 €

Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et environnement

-2 405 416 €

-121 188 €

-3 055 016 €

-1 892 131 €

-1 018 530 €

-8 492 281 €

Emploi, travail et Concertation sociale

2 942 732 €

2 223 244 €

-19 828 434 €

1 743 410 €

-16 672 106 €

-29 591 154 €

Intégration sociale, Lutte contre la Pauvreté et Économie sociale

0 €

2 340 625 €

0 €

0 €

0 €

2 340 625 €

Plusieurs domaines politiques concernés :

- facturation électronique

- Télémarc

- titres-repas électroniques

     

-9 978 573 € -363 387 €

-172 173 442 €

-493 798 €

-6 231 187 €

-189 240 387 €

 

-92 868 331 €

-98 537 132 €

-66 671 372 €

-66 272 434 €

-260 686 871 €

-585 036 140 €

Source : Rapport 2012 du bureau de mesure de l’ASA, p. 44.

TABLEAU N° 3. ÉVOLUTION DE L’INDICE DES COÛTS DES CHARGES ADMINISTRATIVES
EN ALLEMAGNE, DE JANVIER 2012 À JANVIER 2014

Janvier 2012 = 100

 

2012

2013

2014

Janvier

100,00

100,28

100,32

Février

100,29

Mars

100,25

Avril

100,26

Mai

100,27

100,30

Juin

100,30

100,30

Juillet

100,24

100,32

Août

100,25

100,33

Septembre

100,21

100,32

Octobre

100,23

100,32

Novembre

100,25

100,31

Décembre

100,27

100,31

Ÿ = Données inconnues.

– = Indisponible.

Source : site Internet du bureau fédéral des statistiques (Destatis)

ANNEXE N° 5 :
MESURE DES CHARGES ADMINISTRATIVES EN FRANCE

TABLEAU N° 1 D’ÉVALUATION DES IMPACTS FINANCIERS GLOBAUX

 

Entreprises

Particuliers

Collectivités territoriales et EPL

État

Autres organismes administratifs

Total

Charges d’adaptation et charges récurrentes

Année 1

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Année 2

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Année 3

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Moyenne annuelle sur 3 ans

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Économies et gains

Année 1

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Année 2

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Année 3

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Moyenne annuelle sur 3 ans

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Impact net

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

0,00 €

Source : Secrétariat général du Gouvernement : Manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation, février 2014.

TABLEAU N° 2 D’ÉVALUATION DES DÉPENSES D’INVESTISSEMENT ET DE FONCTIONNEMENT

Investissements

       

Terrains, constructions, installations techniques, matériels, outillages, autres …

       

Investissements immatériels (ex : adaptation des SI, achat de licences)

       

Fonctionnement

       

Achats, approvisionnements, petits équipements

       

Études et prestations de services externes

       

Location

       

Estimation des salaires et traitements :

{

     

Temps de travail ou ETPT

       

Salaire moyen chargé

       

Nombre d’entreprises concernées

       

Total des salaires et traitements

   

0,00 €

 

Imputation forfaitaire de frais généraux

   

0,00 €

 

Coût total des salaires et traitements

 

z

0,00 €

z

Formation

       

Frais financiers et primes d’assurances

       

Communication

       

Autres (à préciser)

       

Source : Secrétariat général du Gouvernement : Manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation, février 2014.

TABLEAU N° 3. MÉTHODE BELGE ET FRANÇAISE D’ESTIMATION DU COÛT LIÉ
À L’ACCOMPLISSEMENT D’OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES

Tâche administrative

Temps en minutes avec déplacement

Couts/frais en €

Déplacement à la mairie pour une carte d'identité

36

2

Déplacement à la mairie pour une déclaration

40

2

Déplacement à la mairie pour une déclaration

37

2

Déplacement à la mairie pour un certificat ou une attestation

37

2

Déplacement au bureau de poste pour une lettre recommandée (particulier)

30

2

Déplacement au bureau de poste pour une lettre recommandée (employeur)

32

2

Déplacement au bureau de poste pour l'achat de timbres, timbres fiscaux...

26

2

Visite chez le médecin

64

7.34

Déplacement à la pharmacie

14

0.70

Frais de déplacement par kilomètre

0

0.28

Frais de parking (en moyenne)

0

0.16

Sans Déplacement

Copier ou imprimer des documents

2

0

Signer des documents

2

0

Poster des documents

10

0

Faxer des documents

5

0

Envoyer un document par mail

2

0

Faire un virement (électronique)

3

0

Archiver des documents

10

0

Archiver des documents de manière électronique

4

0

Recevoir une lettre

2

0

Source : Secrétariat général du Gouvernement : Manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation, février 2014, qui renvoie au Modèle de mesure Kafka, guide pratique destiné à quantifier les charges administratives, Agence pour la simplification administrative, Belgique.

TABLEAU N° 4. MÉTHODE ALLEMANDE ET FRANÇAISE D’ESTIMATION DE LA DURÉE NÉCESSAIRE À L’ACCOMPLISSEMENT D’OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES

Pour les entreprises

Activité

Facile

Modérée

Complexe

Se familiariser avec une obligation d'information

3 min

15 min

120 min

Recueillir les données

3 min

15 min

120 min

Remplir les formulaires

3 min

7 min

30 min

Effectuer les calculs

3 min

20 min

120 min

Vérifier les données et calculs

1 min

5 min

45 min

Corriger les erreurs

2 min

10 min

60 min

Traiter les données

3 min

15 min

120 min

Transmettre et publier les données

1 min

2 min

10 min

Organiser des réunions internes

5 min

30 min

480 min

Organiser des réunions extérieures

10 min

60 min

480 min

Effectuer les paiements

2 min

8 min

30 min

Photocopier, classer, distribuer

2 min

5 min

15 min

Coopérer à une inspection par les autorités publiques

2 min

30 min

140 min

Procéder aux corrections à la suite d'une inspection

3 min

90 min

90 min

Fournir des informations supplémentaires si nécessaire

3 min

15 min

120 min

Former

3 min

35 min

480 min

Pour les particuliers

Activité

Facile

Modérée

Complexe

Se familiariser avec une obligation d'information

2 min

5 min

20 min

Obtenir des conseils

10 min

30 min

79 min

Rassembler et compiler des données

1 min

3 min

20 min

Traiter les informations et données

1 min

5 min

54 min

Remplir des formulaires

2 min

5 min

25 min

Rédiger des correspondances

3 min

5 min

13 min

Transmettre les informations aux autorités compétentes

1 min

2 min

5 min

Procéder aux paiements

1 min

2 min

3 min

Photocopier, classer, distribuer

1 min

3 min

6 min

Coopérer à une inspection par les autorités publiques

1 min

15 min

60 min

Fournir des informations supplémentaires si nécessaire

2 min

5 min

15 min

Source : Secrétariat général du Gouvernement : Manuel d’aide au calcul de l’impact financier de la réglementation, février 2014, qui renvoie aux « Lignes directrices pour l’identification et la présentation des coûts de conformité dans les projets de loi du gouvernement fédéral allemand » (Guidelines on the identification and presentation of compliance costs in legislative proposals by the federal government, Federal Statistical Office, Federal Government, Nationaler Normenkontrollrat, juin 2011).

ANNEXE N° 6 :
CONSULTATIONS PRÉALABLES OBLIGATOIRES
SUR LES PROJETS DE LOI

(Rapport n° 1579 fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi organique n° 1405, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements, par M. Olivier Dussopt)

Instance

Champ de la consultation obligatoire

Base juridique

Délais et observations

CONSULTATIONS PRÉVUES PAR LA CONSTITUTION

Conseil d’État

Obligatoirement saisi de tous les projets de loi, avant leur adoption par le Conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement (208).

Article 39 de la Constitution

 

Conseil économique, social et environnemental

Saisi par le Gouvernement, donne son avis sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de lois qui lui sont soumis.

Obligatoirement saisi pour avis, par le Premier ministre, des projets de loi de plan et des projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental.

Peut être saisi pour avis, par le Premier ministre, des projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, des projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence.

Article 69 de la Constitution

Ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental.

 

Commission indépendante prévue par l’article 25 de la Constitution

Se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.

Article 25 de la Constitution

 

Assemblée de la Polynésie française

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à la Polynésie française.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de la Polynésie française.

Article 74 de la Constitution

Article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Conseil territorial de Saint-Barthélemy

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à Saint-Barthélemy.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de Saint-Barthélemy.

Article 74 de la Constitution

Article L.O. 6213-3 du code général des collectivités territoriales

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Conseil territorial de Saint-Martin

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à Saint-Martin.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de Saint-Martin.

Article 74 de la Constitution

Article L.O. 6313-3 du code général des collectivités territoriales

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Article 74 de la Constitution

Article L.O. 6413-3 du code général des collectivités territoriales

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Conseil territorial de Wallis-et-Futuna

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à Wallis-et-Futuna.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de Wallis-et-Futuna.

Article 74 de la Constitution

Néant (application des règles dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans l’attente de l’intervention de dispositions organiques)

« délai raisonnable » que le Conseil d’État estime à un mois

CONSULTATIONS PRÉVUES PAR LA LOI ORGANIQUE

Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Introduction, modification ou suppression de dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie.

Autorisation de ratifier ou d’approuver des engagements internationaux intervenant dans les domaines de compétence de l’État et ayant vocation à s’appliquer en Nouvelle-Calédonie.

Articles 89 et 90 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Défenseur des droits

Peut être consulté par le Premier ministre sur tout projet de loi intervenant dans son champ de compétence.

Loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits

 

Haut conseil des finances publiques

Est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques et de l’estimation du produit intérieur brut potentiel sur lesquelles repose le projet de loi de programmation des finances publiques.

Est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances de l’année et le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année.

Rend un avis sur le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement en cas de dépôt d’un projet de loi de finances rectificative ou d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012

Septembre de chaque année

CONSULTATIONS PRÉVUES PAR LA LOI

Conseils régionaux des régions d’outre-mer

Sont consultés sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions d’adaptation du régime législatif et de l’organisation administrative de ces régions.

Article L. 4433-3-1 du code général des collectivités territoriales

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Conseil généraux des départements d’outre-mer

Sont consultés sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions d’adaptation du régime législatif et de l’organisation administrative de ces départements.

Article L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Assemblée de Guyane

Est consultée sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions d’adaptation du régime législatif et de l’organisation administrative de la collectivité territoriale de Guyane.

Article L. 7152-2 du code général des collectivités territoriales (209)

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Assemblée de Martinique

Est consultée sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions d’adaptation du régime législatif et de l’organisation administrative de la collectivité territoriale de Martinique.

Article L. 7252-2 du code général des collectivités territoriales (210)

Un mois (15 jours en cas d’urgence)

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

Est consultée sur les projets de loi ou de règlement relatifs aux services postaux.

Est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre.

Articles L. 5 et L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques

 

Agence française de lutte contre le dopage

Est consultée sur tout projet de loi ou de règlement relatif à la lutte contre le dopage.

Article L. 232-5 du code du sport

 

Autorité de régulation des jeux en ligne

Rend un avis sur tout projet de texte relatif au secteur des jeux en ligne soumis à agrément que lui transmet le Gouvernement.

Elle peut proposer au Gouvernement les modifications législatives et réglementaires qui lui paraissent nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique des jeux d’argent et de hasard.

Article 34 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne

 

Conseil supérieur de l’audiovisuel

Est consulté sur les projets de loi et d’actes réglementaires relatifs au secteur de la communication audiovisuelle.

Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

 

Commission nationale de l’informatique et des libertés

Est consultée sur tout projet de loi ou de décret relatif à la protection des personnes à l’égard des traitements automatisés.

Propose au Gouvernement les mesures législatives de nature à adapter la protection des libertés et de la vie privée à l’évolution des techniques.

Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

 

Conseil national d’évaluation des normes

Est consulté par le Gouvernement sur l’impact technique et financier des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

Article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales

 

Conseil national de l’aide juridique

Consulté sur les projets de loi relatifs à l’aide juridictionnelle, à l’aide à l’accès au droit, et aux aides à l’intervention de l’avocat prévues par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991.

Article 65 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991

Article 133 du décret n° 1266 du 19 décembre 1991

 

Conseil national des opérations funéraires

Consulté sur les projets de textes relatifs à la législation et à la réglementation funéraire.

Article L. 1241-1 du code général des collectivités territoriales

 

Conseil national de l’ordre des architectes

Consulté par les pouvoirs publics sur toutes les questions intéressant la profession, notamment l’organisation de l’enseignement de l’architecture.

Article 25 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977

 

Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

Est consulté sur la politique proposée par les pouvoirs publics pour assurer la cohésion des formations supérieures dépendant du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

Article L. 232-1 du code de l’éducation

 

Conseil supérieur de l’éducation

Est consulté et peut donner son avis sur toutes les questions d’intérêt national concernant l’enseignement ou l’éducation quel que soit le département ministériel intéressé.

Article L. 231-1 du code de l’éducation

 

Conférence nationale des services d’incendie et de secours

Est consultée sur les projets de loi relatifs aux missions, à l’organisation, au fonctionnement ou au financement des services d’incendie et de secours.

Est consultée sur un projet de loi ayant des incidences sur les missions, l’organisation, le fonctionnement ou le financement de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ou du bataillon de marins-pompiers de Marseille.

Article 44 de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004

 

Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

Connaît de toute question relative au statut particulier du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel.

Article L. 232-1 du code de la justice administrative

 

Conseils d’administration des caisses de sécurité sociale du régime général

Sont saisis, pour avis et dans le cadre de leurs compétences respectives, de tout projet de mesure législative ayant des incidences sur l’équilibre financier de la branche ou entrant dans leur domaine de compétence et notamment des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Article L. 200-3 du code de la sécurité sociale

Le Gouvernement transmet au Parlement les avis rendus sur les projets de loi.

Le Gouvernement fait connaître dans un délai d’un mois les suites qu’il réserve aux propositions.

L’avis doit être notifié au ministre chargé de la sécurité sociale dans le délai de vingt et un jours à compter de la date de réception du projet de mesure législative. Toutefois, en cas d’urgence, dûment invoquée dans la lettre de saisine, ce délai est réduit à onze jours.

Commission nationale de la négociation collective

Chargée d’émettre un avis sur les projets de loi, d’ordonnance et de décret relatifs aux règles générales portant sur les relations individuelles et collectives du travail, notamment celles concernant la négociation collective.

Article L. 2271-1 du code du travail

 

Conseil national de l’emploi

Chargé d’émettre un avis :

1° Sur les projets de loi, d’ordonnance et de décret relatifs à l’emploi.

Article L. 5112-1 du code du travail

 

Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie

Émet un avis sur les projets de loi, en matière de formation professionnelle initiale et continue.

Article L. 6123-1 du code du travail

 

Conseil de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie

Chargé de rendre un avis motivé et public sur les projets de loi relatifs à l’assurance maladie.

Article L. 182-2 du code de la sécurité sociale

 

Haut conseil de santé publique

Est consulté avant de fixer les règles générales d’hygiène et toutes autres mesures propres à préserver la santé de l’homme, notamment en matière :

- de prévention des maladies transmissibles ;

- de salubrité des habitations, des agglomérations et de tous les milieux de vie de l’homme ;

- d’alimentation en eau destinée à la consommation humaine ;

- d’exercice d’activités non soumises à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement ;

- d’évacuation, de traitement, d’élimination et d’utilisation des eaux usées et des déchets ;

- de lutte contre les bruits de voisinage et la pollution atmosphérique d’origine domestique ;

- de préparation, de distribution, de transport et de conservation des denrées alimentaires.

Article L. 1311-1 du code de la santé publique

 

Conseil de l’hospitalisation

Les décisions relatives au financement des établissements de santé, à la détermination des objectifs de dépenses d’assurance maladie relatives aux frais d’hospitalisation, notamment celles portant sur les éléments mentionnés aux articles L. 162-22-3, L. 162-22-10 et L. 162-22-13, sont prises sur la recommandation de ce conseil.

Article L. 162-21-2 du code de la sécurité sociale

Lorsque la décision prise est différente de la recommandation du conseil, elle est motivée. En cas de carence du conseil, les ministres compétents l’informent de la décision prise et le conseil donne un avis sur la décision.

Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière

Saisi pour avis par le ministre chargé de l’économie de tout projet de loi et de toute proposition de règlement ou de directive communautaires avant son examen par le Conseil des Communautés européennes, traitant de questions relatives au secteur de l’assurance, au secteur bancaire et aux entreprises d’investissement, à l’exception des textes portant sur l’Autorité des marchés financiers ou entrant dans les compétences de celle-ci.

Article L. 614-2 du code monétaire et financier

Les projets, intervenant dans les mêmes domaines ne peuvent être adoptés qu’après l’avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières.

Il ne peut être passé outre à un avis défavorable du comité sur ces projets qu’après que le ministre chargé de l’économie a demandé une deuxième délibération de ce comité.

Autorité des marchés financiers

Peut formuler des propositions de modifications des lois et règlements concernant l’information des porteurs d’instruments financiers et du public, les marchés d’instruments financiers et le statut des prestataires de services d’investissement.

Loi n° 2003-1109 du 1er août 2003

 

Comité des normes comptables

Est consulté sur tout projet de norme de comptabilité générale applicable à certaines personnes.

Article 136 de la loi de finances n° 2001-1275 du 28 décembre 2001

 

Autorité des normes comptables

Donne un avis sur toute disposition législative ou réglementaire contenant des mesures de nature comptable applicables aux personnes mentionnées dans cet article, élaborée par les autorités nationales.

Article 1er de l’ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 créant l'Autorité des normes comptables

 

Conseil supérieur de la mutualité

Saisi pour avis par le ministre chargé de la mutualité sur tout projet de texte législatif ou réglementaire relatif au fonctionnement des mutuelles, des unions et des fédérations, ainsi que sur tout projet de règlement ou directive communautaire ayant le même objet avant son examen par le Conseil des Communautés européennes.

Article L. 411-1 du code de la mutualité

 

Conseil supérieur des chambres régionales des comptes

Tout projet de modification du statut défini par le présent code est soumis pour avis au Conseil supérieur des chambres régionales des comptes.

Ce conseil est également consulté sur toute question relative à l’organisation, au fonctionnement ou à la compétence des chambres régionales.

Article L. 212-16 du code des juridictions financières

 

Autorité de la concurrence

Peut être consultée par les commissions parlementaires sur les propositions de loi ainsi que sur toute question concernant la concurrence.

Donne son avis sur toute question de concurrence à la demande du Gouvernement.

Article L. 62-1 du code de commerce

 

Comité des finances locales

Est consulté sur tout projet de loi, tout projet d’amendement du Gouvernement à caractère financier concernant les collectivités locales.

Article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales

Chaque année, avant le 31 juillet, les comptes du dernier exercice connu des collectivités locales sont présentés au gouvernement ainsi qu’aux commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Fournit au ministre chargé de la santé l’expertise qui lui est nécessaire en ce qui concerne les produits susvisés, notamment pour en permettre le bon usage ; elle participe à la préparation des textes législatifs et réglementaires.

Article L. 5311-2 du code de la santé publique

 

Agence française de sécurité sanitaire des aliments

Fournit au Gouvernement l’expertise et l’appui scientifique et technique qui lui sont nécessaires, notamment pour l’élaboration et la mise en œuvre des dispositions législatives des règles communautaires et des accords internationaux relevant de son domaine de compétence, et instruit, pour son compte et sous l’autorité du directeur général, les dossiers qu’il lui confie.

Article L. 1323-2 du code de la santé publique

 

Conseil supérieur de la fonction publique de l’État

Est saisi :

1° Des projets de loi tendant à modifier les lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État ;

2° Des projets de loi relatifs à la situation des agents civils de l’État, titulaires ou non ;

3° Des projets de loi, dérogeant aux lois du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984 précitées, relatifs à un ou plusieurs corps de fonctionnaires de l’État.

Article 2 du décret n° 82-450 du 28 mai 1982

 

Conseil supérieur de la fonction militaire

Exprime son avis sur les questions de caractère général relatives à la condition et au statut des militaires.

Article L. 4124-1 du code de la défense

 

Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

Est saisi pour avis par le ministre chargé des collectivités territoriales des projets de loi relatifs à la fonction publique territoriale ainsi que des projets d’ordonnance pris dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution.

Article 9 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984

Le ministre chargé des collectivités territoriales peut, en tant que de besoin, demander la réunion du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale dans un délai de dix jours.

Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière

Est saisi pour avis des projets de loi de portée générale relatifs à la situation des personnels des établissements mentionnés à l’article 2 et des projets de statuts particuliers des corps et emplois.

Article 12 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986

 

Conseil national de l’enseignement agricole

Donne obligatoirement son avis sur tout avant-projet de loi concernant l’enseignement agricole.

Article L. 814-2 du code rural

 

Banque centrale européenne

Est consultée par les autorités des États membres au sujet de projets de réglementation.

Loi n° 2008-125 du 13 février 2008 autorisant la ratification du traité de Lisbonne

Articles 109 L, paragraphe 2, et 109 F, paragraphe 6, du Traité instituant la Communauté européenne, et de l’article 1.1 de la décision du conseil 93/717/CE

 

Commission européenne

Les États membres qui, en vertu de l’article 5 du traité, sont tenus de faciliter l’accomplissement de sa mission, doivent notifier leurs projets dans le domaine des réglementations techniques.

Loi n° 2008-125 du 13 février 2008 autorisant la ratification du traité de Lisbonne

Directive du 28 mars 1983 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (83/189/CEE)

 

CONSULTATIONS PRÉVUES PAR LE RÈGLEMENT

Conseil d’administration d’un établissement public

Est consulté sur tout projet de texte portant sur l’organisation et le fonctionnement du régime et de l’établissement.

Article 22 du décret n° 2004-569 du 18 juin 2004

En cas d’urgence déclarée, l’avis est rendu dans un délai de dix jours ouvrés à compter de la saisine.

Commission supérieure de codification

Elle a pour mission de :

- recenser les textes législatifs et réglementaires applicables dans les territoires d’outre-mer, vérifier le champ d’application des textes à codifier en ce qui concerne ces mêmes territoires

- adopter et transmettre au Gouvernement les projets de codes élaborés dans les conditions définies par l’article 3 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ainsi que les projets qui lui sont soumis tendant à la refonte de codes existants.

Elle peut également être consultée sur les projets de textes modifiant des codes existants.

Décret n° 89-647 du 12 septembre 1989

 

Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

Est consulté par le ministre chargé des pêches maritimes et des cultures marines sur toute mesure nationale ou communautaire concernant :

a) La préservation et la gestion des ressources de pêche ;

b) Les conditions d’exercice de la pêche professionnelle et des élevages marins, à l’exclusion des questions relatives à la réglementation du travail et à la fixation des salaires ;

c) Le fonctionnement de l’organisation interprofessionnelle des pêches maritimes et des élevages marins.

Article 3 du décret n° 92-335 du 30 mars 1992

 

Comité technique permanant des barrages

Est consulté sur les dispositions des projets de loi, relatifs à la sécurité de ces ouvrages, à leur surveillance et à leur contrôle.

Article R. 213-77 du code de l’environnement

 

Conseil national de l’habitat

Le ministre chargé du logement peut recueillir son avis sur toute question relative à la politique du logement.

Article R. 361-2 du code de la construction et de l’habitation

 

Conseil supérieur des administrations parisiennes

Chaque section est également saisie de tout projet mentionné à l’article 34 relatif aux personnels qui relèvent de sa compétence.

Décret n° 94-415 du 24 mai 1994

 

Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies

Donne son avis sur les questions qui relèvent du champ de ses compétences.

Décret n° 2009-64 du 16 janvier 2009

 

Conseil national du sport

Est consulté, à la demande du ministre chargé des sports, sur tout projet de loi ou de texte réglementaire relatif aux activités physiques et sportives.

Article R. 142-2 du code des sports

 

Conseil supérieur de la marine marchande

Obligatoirement consulté sur les projets de loi relatifs à la marine marchande ou aux ports maritimes.

Décret n° 2002-647 du 29 avril 2002

Son avis est réputé donné, s’il ne s’est pas prononcé dans le délai d’un mois à compter de la date de réception du projet par le président

Groupe interministériel permanent de la sécurité routière

Examine les projets de lois relatifs à la sécurité routière.

Article 2 du décret n° 75-360 du 15 mai 1975

 

Mission interministérielle de l’eau

Donne son avis sur tous les projets de lois, portant en tout ou partie sur des questions relatives à l’eau, élaborés par les différents ministères.

Examine également les projets de textes relatifs à l’organisation des services déconcentrés de chaque ministère dans le domaine de l’eau ainsi que les projets d’instruction du ministre chargé de l’environnement relatifs à la coordination dans ce domaine.

Article R. 213-13 du code de l’environnement

 

Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels

Est consulté sur :

2° Les projets de loi relatifs à la protection et à la promotion de la santé et de la sécurité au travail dans les établissements mentionnés aux articles L.  4111-1 et L.  4111-3.

Article R. 4641-2 du code du travail

 

Conseil supérieur de la prud’homie

Est consulté sur les projets de loi relatifs :

1° A l’institution, la compétence, l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes ;

2° A l’élection, au statut et à la formation des conseillers prud’hommes ;

3° A la procédure suivie devant les conseils de prud’hommes.

Article R. 1431-3 du code du travail

 

Conseil national de la consommation

Rend un avis sur les projets ou propositions de lois et règlements susceptibles d’avoir une incidence sur la consommation.

Article D. 511-3 du code de la consommation

 

ANNEXE N° 7 :
MISE EN
œUVRE DU PRINCIPE « ONE-IN, TWO-OUT »
AU ROYAUME-UNI

TABLEAU N° 1. MISE EN œUVRE DU PRINCIPE « ONE-IN, TWO-OUT »
PAR LES MINISTÈRES EN 2013

 

Nombre de réformes

Coût annuel net pour les entreprises
(en millions de livres sterling)

IN

OUT

Coût net nul

IN

OUT

Total net

Balance « one in two out »

Ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences

4

7

2

£8.11

- £96.83

- £88.72

- £80.61

Ministère des Collectivités locales

4

20

11

£9.53

- £94.48

- £84.94

- £75.41

Services du Premier Ministre

0

0

1

£0.00

£0.00

£.0.00

£0.00

Ministère de la Culture, des médias et des sports

2

5

0

£0.31

- £6.60

- £6.29

- £5.98

Ministère de l’Énergie et du changement climatique

1

5

3

£0.06

- £3.79

- £3.73

- £3.67

Ministère de l’Environnement, de l’alimentation et de l’agriculture

6

9

1

£4.01

- £9.30

- £5.28

- £1.27

Ministère de l’Éducation

0

8

1

£0.00

- £2.54

- £2.54

- £2.54

Ministère des Transports

0

9

9

£0.00

- £41.38

- £41.38

- £41.38

Ministère de la Santé

0

0

2

£0.00

£0.00

£0.00

£0.00

Ministère du Travail et des retraites

1

3

5

£0.00

- £0.50

- £0.50

- £0.50

Agence des normes alimentaires

0

0

1

£0.00

£0.00

£0.00

£0.00

Ministère des Finances

0

1

1

£0.00

- £0.47

- £0.47

- £0.47

Ministère de l’Intérieur

1

0

0

£6.50

£0.00

£6.50

£13.00

Ministère de la Justice

0

0

6

£0.00

£0.00

£0.00

£0.00

Total pour le Gouvernement

19

67

43

£28.52

- £255.88

- £227.35

- £198.82

Source : The Seventh Statement of New Regulation, Better Regulation Executive, décembre 2013, p. 8.

TABLEAU N° 2. CLASSEMENT DES MINISTÈRES POUR LA MISE EN œUVRE DU PRINCIPE
« ONE IN, TWO-OUT » EN 2013

Rang

Ministère

Situation en matière de « one-in, two-out » (semestre 5 et 6)

(en millions de livres)

1

Ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences

- £80.61

2

Ministère des Collectivités locales

- £75.41

3

Ministère des Transports

- £41.38

4

Ministère de la Culture, des médias et des sports

- £5.98

5

Ministère de l’Énergie et du changement climatique

- £3.67

6

Ministère de l’Éducation

- £2.54

7

Ministère de l’Environnement, de l’alimentation et de l’agriculture

- £1.27

8

Ministère du Travail et des retraites

- £0.50

9

Ministère des Finances

- £0.47

10

Services du Premier Ministre

- £0.00

11

Ministère de la Santé

- £0.00

12

Agence des normes alimentaires

- £0.00

13

Ministère de la Justice

- £0.00

14

Ministère de l’Intérieur

- £13.00

Source : The Seventh Statement of New Regulation, Better Regulation Executive, décembre 2013, p. 9.

TABLEAU N° 3. BILAN CUMULÉ DE LA MISE EN œUVRE DES PRINCIPES « ONE-IN, ONE-OUT » PUIS « ONE-IN, TWO-OUT » DE 2011 À 2013 (EN MILLIONS DE LIVRES STERLING)

Semestre 1

Semestre 2

Semestre 3

Semestre 4

Semestre 5

Semestre 6

Total à déc. 2013

-£3,288m

-£211m

£8m

£2,524m

-£210m

-£17m

-£1,193m

Source : The Seventh Statement of New Regulation, Better Regulation Executive, décembre 2013, p. 4.

ANNEXE N° 8 :
LE COMITÉ D’ANALYSE D’IMPACT (« IMPACT ASSESSMENT BOARD ») DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

PLACE DU COMITÉ D’ANALYSE D’IMPACT (« IAB ») DANS LA PHASE D’« INITIATIVE » DES TEXTES EUROPÉENS (JUSQU’À LEUR ADOPTION PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE)

Phase d’initiative : la procédure interne à la Commission




Phase d’initiative : les actions sont examinées par les parties prenantes extérieures

Source : Rapport 2012 de l’« IAB », p. 8.

STATISTIQUES RELATIVES AUX ACTIVITÉS DE L’« IAB » DE 2007 À 2012

Source : Rapport 2012 de l’IAB, p. 14.

ANNEXE N° 9 :
LE CONSEIL INDÉPENDANT CHARGÉ DE CONTRÔLER LA QUALITÉ DES ÉTUDES D’IMPACT DES ADMINISTRATIONS BRITANNIQUES :
« REGULATORY POLICY COMMITTEE » (RPC)

AVIS DU « RPC » SUR UN PROJET DE LOI DE RÉFORME DES RETRAITES

TABLEAU N° 1. CLASSEMENT DES MINISTÈRES SELON L’AVIS ÉMIS PAR LE « RPC »
SUR LES ÉTUDES D’IMPACT COMPLÈTES EXAMINÉES DE JANVIER À JUIN 2013
DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE CLASSIQUE

Ministère – Etude d’impact complètes – 2013 (janvier à juin)

Nombre d’étude d’impact

Avis rouge

Avis orange

Avis vert

Degré de conformité aux objectifs fixés

2012

Ministère de l’Énergie et du changement climatique

11

0

1

10

100 %

88 %

Agence nationale de la Santé et de la sécurité

5

0

1

4

100 %

93 %

Ministère de la Justice

4

0

2

2

100 %

76 %

Ministère du Budget

3

0

1

2

100 %

87 %

Ministère du Travail et des retraites

2

0

0

2

100 %

83 %

Ministère des transports

19

2

1

16

89 %

88 %

Ministère de l’Intérieur

6

1

1

4

83 %

68 %

Ministère de la Culture, des médias et des sports

9

2

3

4

78 %

82 %

Ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences

29

7

5

17

76 %

84 %

Ministère des Collectivités locales

3

1

0

2

66 %

76 %

Ministère de la Santé

4

2

2

0

50 %

68 %

Ministère de l’Éducation

2

1

1

0

50 %

84 %

Ministère de l’Environnement, de l’alimentation et de l’agriculture

8

5

0

3

38 %

84 %

TOTAL

105

21

18

66

80 %

81 %

Source : Regulatory Policy Committee, Fit for Purpose Performance 2013, Impact Assessments, half year results – January to June 2013.

TABLEAU N° 2. CLASSEMENT DES MINISTÈRES SELON L’AVIS ÉMIS PAR LE « RPC »
SUR LES ÉTUDES D’IMPACT ALLÉGÉES EXAMINÉES DE JANVIER À JUIN 2013
DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE

Ministère – Etude d’impact complètes – 2013 (janvier à juin)

Études d’impact allégées

Avis rouge

Avis vert

Degré de conformité aux objectifs fixés

(2013)

Degré de conformité aux objectifs fixés

(2012)

Ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences

6

0

6

100 %

89 %

Ministère des Collectivités locales

4

0

4

100 %

100 %

Ministère du Travail et des retraites

2

0

2

100 %

75 %

Ministère de la Justice

1

0

1

100 %

87 %

Office gouvernemental pour l’Égalité

1

0

1

100 %

N/A

Agence des Normes alimentaires

1

0

1

100 %

N/A

Ministère de la Santé

1

0

1

100 %

66 %

Services du Premier ministre

1

0

1

100 %

100 %

Ministère des transports

23

2

21

91 %

92 %

Ministère du Budget

9

1

8

89 %

100 %

Ministère de l’Intérieur

6

1

5

83 %

50 %

Ministère de l’Énergie et du changement climatique

5

1

4

80 %

50 %

Ministère de la Culture, des médias et des sports

3

1

2

66 %

100 %

Ministère de l’Éducation

4

2

2

50 %

83 %

Ministère de l’Environnement, de l’alimentation et de l’agriculture

15

10

5

100 %

91 %

Ministère de la Défense

2

2

0

0 %

N/A

TOTAL

84

20

64

76 %

89 %

Source : Regulatory Policy Committee, Fit for Purpose Performance 2013, Regulatory Triage Assessments, half year results – January to June 2013.

ANNEXE N° 10 :
PROJETS ET PROPOSITIONS DE LOI EXAMINÉS ET ADOPTÉS DE LA XIE À LA XIVE LÉGISLATURES

(du 1er octobre 1999 au 30 septembre 2013)

 

Projets de loi examinés (hors conventions internationales)

Projets de loi adoptés (hors conventions internationales)

Propositions de loi examinées

Propositions de loi adoptées

01/10/1999-01/10/2000

37

37

50

43

02/10/2000-30/09/2001

25

25

40

38

01/10/2001-18/06/2002

17

17

23

21

19/06/2002-30/09/2002

5

5

0

0

01/10/2002-30/09/2003

39

39

23

18

01/10/2003-30/09/2004

34

34

14

8

01/10/2004-30/09/2005

35

35

15

12

01/10/2005-01/10/2006

33

33

17

12

02/10/2006-19/06/2007

30

29

14

10

20/06/2007-30/09/2007

6

6

0

0

01/10/2007-30/09/2008

42

42

21

14

01/10/2008-30/09/2009

32

32

19

11

01/10/2009-30/09/2010

35

35

38

22

01/10/2010-30/09/2011

43

43

43

24

01/10/2011-19/06/2012

19

19

33

19

26/06/2012-30/09/2012

3

3

1

1

01/10/2012- 30/09/2013

34

34

39

19

ANNEXE N° 11 :
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PROCÉDURES ACCÉLÉRÉES
DE LA XIE À LA XIVE LÉGISLATURE

(du 1er octobre 1999 au 31 mai 2014)

 

Procédures accélérées sur des projets de loi

Procédures accélérées sur des propositions de loi

01/10/1999-01/10/2000

9

1

02/10/2000-30/09/2001

20

2

01/10/2001-18/06/2002

4

4

19/06/2002-30/09/2002

3

0

01/10/2002-30/09/2003

10

0

01/10/2003-30/09/2004

13

0

01/10/2004-30/09/2005

7

0

01/10/2005-01/10/2006

12

0

02/10/2006-19/06/2007

14

0

20/06/2007-30/09/2007

6

0

01/10/2007-30/09/2008

6

0

01/10/2008-30/09/2009

30

4

01/10/2009-30/09/2010

20

2

01/10/2010-30/09/2011

14

7

01/10/2011-19/06/2012

16

10

26/06/2012-30/09/2012

5

2

01/10/2012-30/09/2013

37

9

01/10/2013-31/05/2014

25

12

ANNEXE N° 12 :
SCÉNARIOS DE RÉFORME POSSIBLES
POUR FAIRE DE L’EXAMEN DE LA LOI DE RÈGLEMENT
UN MOMENT FORT D’ÉVALUATION DE L’ACTION PUBLIQUE

(extrait de la synthÈse du rapport de
MM. François cornut-Gentille et Régis Juanico
au président de l’Assemblée nationale)

 

Procédure d'examen du projet de loi de règlement

Calendrier

Avantages

Inconvénients

Option 1

– renvoi à la commission des Finances avec rapport législatif du rapporteur général et notes d'évaluation des rapporteurs spéciaux

– saisine pour avis des commissions permanentes

examen en séance début octobre

– création d'un « temps fort » budgétaire alliant évaluation des dépenses passées et examen des dépenses à venir en PLF

– mobilisation des commissions permanentes

– délais d'évaluation raisonnables

– calendrier d'examen du projet de loi de règlement trop tardif pour peser sur la préparation du PLF par le gouvernement

– absence de binômes majorité/opposition

– risque d'engorgement de la commission des finances à l'automne

Option 2

création d'une commission spéciale avec rapport du rapporteur général et rapports d'évaluation des politiques publiques par binômes de rapporteurs (majorité/opposition / finances/autre commissions)

examen en séance fin juin

– « rupture » dans la procédure actuelle en retirant la commission des Finances sa prééminence sur la loi de règlement et en associant des rapporteurs des autres commissions

– création de binômes majorité /opposition

– tous les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ne seraient pas membres de la commission spéciale ce qui la priverait d'office de pouvoirs de contrôle sur certaines missions et programmes

– délais d'évaluation contraints

Option 3

– renvoi à la commission des Finances avec rapport législatif du rapporteur général du budget et notes d'évaluation des rapporteurs spéciaux

– création de missions d'information communes (finances + commissions permanentes compétentes)

– examen du projet de loi de règlement en séance fin juin

– examen fin juin en commissions élargies des rapports des missions d'information communes

– implication des commissions permanentes tout en préservant la prééminence de la commission des finances

– création de binômes majorité / opposition

– l'examen en commissions élargies des rapports d'information ne permet pas une exposition médiatique et une solennité politique forte

– délais d'évaluation contraints

Option 4

– renvoi à la commission des Finances avec rapport législatif du rapporteur général du budget et notes d'évaluation des rapporteurs spéciaux

– création de missions d'information communes (finances + commissions permanentes compétentes)

examen du projet de loi de règlement et débat sur les rapports des missions d'information communes fin juin en séance lors de la semaine de contrôle

– implication des commissions permanentes tout en préservant la prééminence de la commission des finances

– création de binômes majorité / opposition

– exposition médiatique et solennité du fait des débats en séance

– confère un contenu utile à la semaine de contrôle

– suppose de modifier le calendrier prévisionnel de l'ordre du jour afin de décaler la semaine de contrôle (actuellement prévue du 10 au 14 juin) à la fin juin

– délais d'évaluation contraints

ANNEXE N° 13 :
PROPORTION DES LOIS FRANÇAISES PRISES POUR LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES

(TABLEAUX EXTRAITS DE L’ÉTUDE DE M. YVES BERTONCINI :
« L’UE ET SES NORMES : PRISON DES PEUPLES OU CAGES À POULES ? »
,
NOTRE EUROPE, INSTITUT JACQUES DELORS, 16 MAI 2014)

TABLEAU N° 1. NOMBRE ET NATURE MATÉRIELLE DES ACTES DE TRANSPOSITION DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES EN FRANCE POUR LA PÉRIODE 2000-2010

 

ACTES DE PORTÉE LÉGISLATIVE

ACTES DE PORTÉE RÉGLEMENTAIRE

 

Types d’actes

DDADC(*)

Lois

Ordonnances

Décrets

Arrêtés

Divers(**)

TOTAL

Nombre d’actes

62

224

67

788

1356

34

 

Total actes LEG/REGL

353

2178

2531

Proportion d’actes LEG/REGL

14 %

86 %

 

Nombre de directives concernées

236

757

993

Nombre de directives concernées/an

21,4

68,8

90,2

Proportion de directives/an

23,8 %

76,2 %

100

(*) Les DDAC sont des lois et ordonnances portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire.

(**) Les actes de portée réglementaires « divers » correspondent par exemple à des décisions d’autorité administrative indépendante.

Source : Données SGAR, calculs Y. Bertoncini

TABLEAU N° 2. IMPORTANCE RELATIVE DES FLUX NORMATIFS COMMUNAUTAIRES
ET FRANÇAIS PAR SECTEUR POUR LA PÉRIODE 1987-2006

SECTEURS

DIRECTIVES ET RÈGLEMENTS

LOIS, ORDONNANCES, DÉCRETS, ARRÊTÉS

ACTES UE ET FRANCE

% UE/TOTAL

Affaires étrangères

8 9,6

340,2

429,8

20,8 %

Agriculture

798,4

1021,6

1820

43,9 %

Culture

0

397,8

397,8

0 %

Défense

0,9

534,4

535,3

0,2 %

Écologie

19,75

434,9

454,65

4,3 %

Économie

423,65

1737,1

2160,75

19,6 %

Éducation, jeunesse et sports

1,7

827,1

828,8

0,2 %

Emploi et santé

14,45

1821,1

1835,55

0,8 %

Intérieur et outre-mer

12,45

1207,7

1220,15

1 %

Justice

1,05

689,7

690,75

0,2 %

Transports et équipement

21,75

1167, 2

1188,95

1,8 %

Total global

1383,7

10178,8

11562, 5

12 %

Source : Yves Bertoncini, « Les interventions de l’UE au niveau national : quel impact ? », Études & Rapports n°73, Notre Europe – Institut Jacques Delors, mai 2009.

TABLEAU N° 3. PROPORTION DE LOIS D’ORIGINE EUROPÉENNE DANS 7 PAYS DE L’UE

PAYS

PERIODE

% DE LOIS D’ORIGINE EUROPEENNE (UE)

Espagne

1986-2007

35

Luxembourg

1986-2006

28,8

Allemagne

1986-2005

28,7

Autriche

1992-2007

26

France

1986-2007

18,75

Pays-Bas

1981-2009

12,3

Finlande

1995-2009

11,8

Source : Données S. Brouard, O. Costa et T. König, The Europeanization of domestic legislatures - The empirical implications of the Delors’ myth in nine countries, Studies in Public Choice, Springer 2012.

ANNEXE N° 14 :
OUTILS MÉTHODOLOGIQUES
POUR LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES

LE GUIDE DE BONNES PRATIQUES POUR LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES

Pour élaborer les mesures de transposition des directives européennes, un Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes a été élaboré dans le prolongement de la circulaire du Premier ministre (M. Jean-Pierre Raffarin) du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes. Cette circulaire recommandait d’apprécier le plus en amont possible l’impact de l’acte en préparation sur le droit interne « pour permettre, à la fois, d’arrêter les positions de négociation de la France en connaissance de cause et de préparer la transposition ». Selon cette circulaire, « cet effort d’anticipation doit se matérialiser sous la forme d’une étude d’impact » devant être prise en compte dans le cadre de la négociation.

1° Veille « pré-transposition » au stade de l’élaboration des propositions de textes européens

La veille active sur les projets de la Commission est du ressort de chaque ministère, en lien avec la Représentation Permanente de la France auprès de l’Union Européenne (RP) et le secrétariat général des Affaires européennes (SGAE). Les ministères établissent des « notes de veille » sur le fondement desquelles le SGAE rédige et met à jour à échéances régulières un tableau de prospective rassemblant, par secteur, les projets de textes en cours d’élaboration au sein de la Commission européenne et mis à la disposition des assemblées sur le site extranet du SGAE.

2° Au stade des négociations des textes européens

Dès la publication d’une proposition de directive, une « équipe projet » est mise en place au sein du (des) ministère(s) concerné(s), afin d’en évaluer l’impact, y compris du point de vue de sa transposition. Cette équipe projet est opérationnelle jusqu’à la transposition définitive du texte. Elle est responsable de la constitution d’un fonds de dossier sur la directive, qui pourra être utile à la conservation de la mémoire de la négociation et de la transposition du texte en cas de mobilité des personnes constituant l’équipe initialement constituée.

Afin d’assurer une continuité entre la négociation et la transposition dans chacune des assemblées, le guide de bonnes pratiques suggère que, selon l’organisation au sein des assemblées et des commissions :

– un parlementaire se propose ou soit désigné par sa commission pour suivre la négociation du texte, en lien avec l’« équipe projet » et le SGAE, et faciliter le choix du vecteur de transposition le plus approprié ;

– ce parlementaire soit ensuite désigné pour suivre le projet de loi de transposition ou présenter une proposition de loi sur le domaine couvert par la directive.

3° Production d’une fiche d’impact simplifié (sous 3 semaines)

Le ministère chef de file rédige une fiche d’impact simplifié qui contient une description succincte de la proposition de directive et de son insertion dans l’environnement juridique national, ainsi qu’un avis sur le principe du texte.

Cette fiche d’impact simplifiée est envoyée aux assemblées dans les trois semaines suivant la transmission du texte par le Gouvernement aux assemblées. Elle est mise en ligne sur l’extranet du SGAE et du SGG à des fins de transparence et de diffusion de l’information aux principaux acteurs concernés.

4° Production d’une fiche d’impact stratégique (sous 3 mois)

Dans les trois mois suivant la transmission de la proposition de directive par le Gouvernement aux assemblées, la fiche d’impact simplifiée est complétée par l’« équipe projet » pour devenir une véritable analyse d’impact, appelée « fiche d’impact stratégique ». Le niveau de détail de cette analyse d’impact est laissé à l’appréciation des services. Cette fiche est également envoyée aux assemblées et mise en ligne sur l’extranet du SGAE.

5° Définition d’un « plan de transposition »

Une fois la directive adoptée au niveau européen et publiée au Journal Officiel de l’Union européenne, le ministère chef de file établit un plan de transposition qui définit les véhicules normatifs de transposition (identification des normes à abroger, modifier ou adopter), déterminer les consultations (obligatoires ou non) à mener et propose des calendriers de rédaction et d’adoption.

Pour les directives les plus importantes, dont le texte à transposer est clairement identifié, un projet ou une proposition de loi dédié(e), dont l’objet principal est la transposition de cette directive, est rédigé.

Pour les directives au contenu essentiellement technique devant être transposées par voie législative, un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (« DDADUE ») est déposé au Parlement en début d’année calendaire. Ce projet de loi est inséré dans le schéma prévisionnel du Gouvernement pour les assemblées. Sous réserve des échéanciers électoraux propres à chaque assemblée, la répartition des « DDADUE » entre l’Assemblée nationale et le Sénat devra être équilibrée, avec éventuellement deux « DDADUE » en début d’année (répartissant les domaines concernés de façon homogène), l’un passant en première lecture à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. En cas de projet ou de proposition de loi dont la transposition n’est pas l’objet principal mais qui comporte des mesures de transposition, une distinction claire doit être opérée dans l’exposé des motifs de ce qui relève de la transposition.

Un « Groupe à Haut Niveau » (GHN), coprésidé par le Secrétaire général du Gouvernement et le Secrétaire général des Affaires européennes, se réunit tous les trois mois afin de traiter au fond des cas de transposition posant des difficultés, soit au niveau du choix du vecteur, soit au niveau du respect des échéances de transposition. Il tire également un bilan trimestriel de la transposition par ministère, à travers un bilan des différents indicateurs élaborés tout au long du processus de négociation et de transposition.

6° Veille « post-transposition » destinée à anticiper une éventuelle révision des directives

Un mécanisme d’alerte sur les difficultés d’application des textes de transposition (« Centre SOLVIT France ») a été mis en place : il informe le ministère compétent en cas de difficultés d’application pour les entreprises ou les citoyens.

Le guide de bonnes pratiques suggère qu’au Parlement, dans le respect du principe d’autonomie des assemblées, le mandat du rapporteur d’une proposition de directive, puis du vecteur législatif de transposition le cas échéant, pourrait utilement être étendu pour les directives les plus importantes au suivi de leur exécution en France, sur le modèle des rapports d’application des lois.

Annexe 1 - Fiche d’impact simplifiée (FIS 1)

Acte européen proposé

Base juridique et procédure d’adoption de l’acte

- Base juridique

- Compétence exclusive, partagée, d’appui de l’UE

- Procédure d’adoption de l’acte (procédure législative ordinaire ou procédure spéciale)

- Règles de vote au Conseil

Responsabilité ministérielle

- Ministère chef de file

Objet de la proposition d’acte

Description du dispositif administratif et juridique proposé

Insertion dans l’environnement juridique

- Respect du principe de subsidiarité

- Textes qui en droit français régissent la matière concernée par la proposition d’acte

Avis sur le principe du texte

Autres observations

Annexe 2- Fiche d’impact stratégique (FIS 2)

Acte européen proposé

Base juridique et procédure d’adoption de l’acte

- Base juridique

- Compétence exclusive, partagée, d’appui de l’UE

- Procédure d’adoption de l’acte (procédure législative ordinaire ou procédure spéciale)

- Règles de vote au Conseil

Champ d’application de l’acte (espace économique européen)

Responsabilité ministérielle

- Ministère chef de file

- Ministères concernés

- Responsable équipe projet & nom des membres de l’équipe

Objet, description générale et principaux effets attendus de l’acte

Résumé de la proposition, du dispositif administratif et juridique proposé et des motivations de la Commission européenne

Insertion dans l’environnement juridique

- Respect du principe de subsidiarité

- Tableau de concordance précoce7 à fournir dans les 3 mois suivant l’adoption de la proposition de directive par la Commission européenne

- Le cas échéant, appréciation des recours aux actes délégués ou aux actes d’exécution et de leur adéquation/opportunité (à voir avec le correspondant comitologie du ministère)

- Analyse en termes de droits fondamentaux

- Avis du Conseil d’Etat : saisine éventuelle, date de saisine, résumé de l’avis rendu

7 Modèle de tableau de concordance précoce

Dispositions de la

proposition de

directive

(article par article)

Droit interne en

vigueur susceptible

d’être modifié

(citation de la disposition concernée)

Première estimation des

normes à adopter en vue de la transposition

(abrogation / modification de dispositions existantes ; ajout de

dispositions nouvelles) (préciser la nature juridique

Observations relatives

à l’impact de la

disposition du projet

de directive

Consultations

- Au niveau communautaire : consultations passées (+ contribution des autorités françaises, le cas échéant)

- Au niveau français : obligatoires (avec échéancier) et facultatives (CCEN, consultations publiques)

Analyse

- Étude d’impact européenne (le cas échéant): principaux éléments

- Contribution nationale à l’étude d’impact européenne, le cas échéant

- Étude d’impact nationale :

o Premiers éléments d’analyse des impacts budgétaires, économiques et financiers,

sociaux, techniques ou administratifs de la proposition d’acte.

o Impact sur les collectivités locales

Impact sur l’outre-mer et autres territoires spécifiques

[Anticiper et articuler avec la fiche d’impact sur les collectivités territoriales telle que prévue dans la circulaire du Premier ministre du 17
février 2011 sur la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales].

o Impact sur les entreprises [Anticiper et articuler avec la fiche d’impact sur les entreprises telle que prévue dans la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011 sur la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales].

Position française sur la proposition

[À compléter à chaque grande étape du processus européen de négociation, si pertinent : accord en 1ère lecture, le cas échéant, accord en 2ème lecture le cas échéant, conciliation le cas échéant]

Application et suivi des articles 88-4 et 88-6 de la Constitution sur ce projet d’acte

Echéancier de négociation

Autres observations

Appréciation du délai de transposition proposé

ANNEXE N° 15 :
TAUX D’APPLICATION DES LOIS PROMULGUÉES

(EXTRAITS DU RAPPORT ANNUEL SUR L’APPLICATION DES LOIS PUBLIÉ EN JUIN 2014
PAR LA COMMISSION SÉNATORIALE POUR LE CONTRÔLE DE L’APPLICATION DES LOIS)

GRAPHIQUE DE L'ÉVOLUTION DÉCENNALE DU POURCENTAGE DE MESURES RÉGLEMENTAIRES PRISES PAR RAPPORT AU NOMBRE DES MESURES ATTENDUES

Source : Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012 2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 24.

NOMBRE DE MESURES RÉGLEMENTAIRES PRISES PAR RAPPORT AU NOMBRE DES MESURES ATTENDUES

Année parlementaire

2003
2004

2004
2005

2005
2006

2006
2007

2007
2008

2008
2009

2009
2010

2010
2011

2011
2012

2012
2013

Pourcentage

14 %

16 %

30 %

32 %

24 %

27 %

20 %

64 %

66%

64 %

Source : Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012 2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 24.

TAUX D’APPLICATION DES LOIS POUR L’ANNÉE PARLEMENTAIRE 2012-2013

Nombre de lois (a) promulguées durant l'année parlementaire

50

Taux de mise en application des lois de la XIVème législature(b)

88 %

Taux de mise en application des lois de l'année parlementaire :

 

- en nombre de lois

- en nombre de mesures

90 %

64 %

Rapports demandés par le Parlement depuis 2004 (c)

 

- nombre de rapports demandés

- pourcentage par rapports déposés

173

58 %

Rythme de publication des rapports « de l'article 67 » (d)

 

- nombre de rapports attendus

- nombre de rapports présentés dans le délai légal

30

2

Source : Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012 2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 23.

(a) Hors lois de ratification ou d'approbation de conventions internationales

(b) Période du 20 juin 2012 au 9 avril 2014 - pourcentage en nombre de lois

(c) Du 1er janvier 2004 au 30 décembre 2013 - hors rapports de l'article 67

(d) Rapports sur la publication des règlements d’application de toute nouvelle loi

ANNEXE N° 16 :
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA MISSION

Première table ronde réunissant des universitaires : Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ; M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense) ; M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), le jeudi 23 janvier 2014. 235

Seconde table ronde réunissant des universitaires : Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ; Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, le jeudi 23 janvier 2014 248

Audition de MM. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, auteurs d’Ubu loi (Fayard, mars 2008), le jeudi 23 janvier 2014. 258

Audition de M. Alain Lambert, président de la commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) et auteur, avec M Jean-Claude Boulard, du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), le jeudi 30 janvier 2014 263

Audition de M. Bruno Dondero, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, le jeudi 30 janvier 2014 271

Audition de M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, le mercredi 19 février 2014 278

Audition de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification, le jeudi 20 février 2014 288

Audition de M. Éric Doligé, sénateur et auteur du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales (juin 2011), le jeudi 20 février 2014 295

Audition de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes, le jeudi 10 avril 2014 300

Audition de représentants de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) : M. Nick Malyshev, responsable de la division de la politique de la réglementation ; Mme Céline Kauffmann, responsable adjointe de la division de la politique de la réglementation ; M. Daniel Trnka, responsable du travail sur la simplification, division de la politique de la réglementation, le jeudi 17 avril 2014 309

Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général, et de M. Simon Bertoux, conseiller référendaire, chargé de mission, le mercredi 30 avril 2014 315

Audition de M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et de M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification » le mercredi 30 avril 2014 326

Audition de M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des Affaires européennes (SGAE), accompagné de Mmes Liza Bellulo, conseillère juridique, Véronique Fourquet, adjointe à la conseillère juridique, Juliette Clavière, responsable du département Parlement National, Parlement européen, collectivités locales, le jeudi 15 mai 2014 333

Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, accompagné de M. Christian Le Roux, directeur de cabinet, le jeudi 15 mai 2014 340

Audition de représentants du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) : M. Bernard Gaud, président du MEDEF Rhône-Alpes et président de la commission « Simplification » du MEDEF, Mmes Dorothée Pineau, directrice générale adjointe du MEDEF en charge du dossier simplification et Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques, rapporteure de la commission « Simplification » du MEDEF, le jeudi 15 mai 2014 349

Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, accompagné de M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, et de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études, le jeudi 22 mai 2014 355

Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, accompagné de M. Alain Bayet, secrétaire général le jeudi 22 mai 2014 367

Audition de M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le jeudi 5 juin 2014 373

Audition de M. Jean-Luc Warsmann, député, le mardi 1er juillet 2014 380

Audition de M. Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre, le mercredi 9 juillet 2014 390

Séance du jeudi 23 janvier 2014

La mission d’information procède à l’audition, sous forme de table ronde de : Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ; M. Bertrand du Marais, conseiller d’État et professeur de droit public à l’Université Paris Ouest (Nanterre-La Défense) ; M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Madame, messieurs, je vous remercie de votre participation à cette première réunion de notre mission d’information, que va vous présenter son rapporteur, M. Thierry Mandon.

M. Thierry Mandon, rapporteur. La mission d’information sur la simplification législative a pour objet de rationaliser autant que possible le flux normatif, plutôt que le stock de dispositions réglementaires et législatives existantes, lequel est traité par ailleurs. Toutefois, nous ne devrons pas hésiter à passer outre cette distinction entre flux et stock si cela se révèle nécessaire.

Nous réfléchirons donc aux moyens de produire des textes moins nombreux, plus lisibles, plus efficaces, en privilégiant l’évaluation ex ante, l’éventualité de supprimer des textes en même temps que nous en adoptons de nouveaux, la possibilité d’un « droit de regard » du Parlement sur les décrets d’application. Nous étudierons plus généralement la procédure législative et la méthode de transposition des directives, et tout autre moyen de simplifier une procédure dont nous mesurons chaque jour les archaïsmes. J’ai pour ma part le sentiment que les parlementaires, tous groupes politiques confondus, sont maintenant mûrs et prêts à cette évolution.

Nous entendrons d’abord, en particulier au sujet des décrets d’application, Mme Chavrier, auteur de nombreux textes sur l’expérimentation territoriale et l’adaptabilité de la norme, dont Le Pouvoir normatif local, paru en août 2011. Nous nous tournerons ensuite vers M. du Marais, qui a étudié l’attractivité du droit français dans la compétition économique internationale, notamment dans une contribution au rapport public de 2006 du Conseil d’État sur la sécurité juridique et la complexité du droit, où il évoque l’évaluation ex ante de la réglementation dans le cadre des études d’impact. M. Verpeaux, enfin, auteur de nombreux ouvrages de droit constitutionnel et de droit des collectivités territoriales, a été membre du Comité pour la réforme des collectivités locales créé en 2008.

Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés et membres de la mission d’information, vous avez reçu la noble mission de réfléchir aux moyens de simplifier la loi et vous m’avez fait l’extrême honneur de me demander de participer à cette table ronde afin de vous restituer le résultat de mes recherches. Je vous en remercie vivement.

J’ai bien noté que vous avez désiré m’entendre sur les liens que pourrait entretenir cette simplification avec la thématique du pouvoir normatif local, laquelle peut effectivement renvoyer aux décrets d’application.

Je préciserai d’abord qu’il ne peut évidemment être question de confier un pouvoir législatif aux collectivités. En effet, l’unité de l’État, c’est l’unité de la souveraineté ; or la souveraineté, c’est la loi. Celle-ci doit rester unique, de sorte que seule la procédure d’expérimentation législative est souhaitable.

La question se pose différemment concernant le pouvoir réglementaire étatique, deuxième dans la hiérarchie des normes, et qui n’est autorisé à imposer des charges et des obligations aux collectivités qu’à condition d’y avoir été habilité par le législateur. L’unité de l’État s’accommode donc de l’existence d’un pouvoir réglementaire local. La question qui se pose est alors la suivante : pourriez-vous renvoyer, pour l’application des lois que vous adoptez, au pouvoir réglementaire et quel intérêt y trouveriez-vous ?

Vous vous inquiétez légitimement de la lenteur avec laquelle l’exécutif applique vos lois, d’une part, et de l’adaptation de ces lois à leurs enjeux, d’autre part. Une loi appliquée tardivement, ou mal appliquée parce que mal adaptée à son contexte par le pouvoir réglementaire, peut être une loi perdue en ce sens qu’elle manque ses objectifs initiaux.

L’intérêt d’un renvoi direct de la loi au pouvoir réglementaire local serait de remédier à cette lenteur et de permettre d’atteindre plus facilement les objectifs poursuivis, puisque c’est aux collectivités que vous confieriez alors le soin d’adopter certaines modalités d’application des lois qui concernent l’exercice de leurs compétences, c’est-à-dire aux plus motivées, aux plus pressées de voir appliquer la loi. Cette faculté peut être fondée sur un principe constitutionnel méconnu : le principe de subsidiarité normative, proche du principe de proportionnalité, et dont la mise en œuvre, loin de menacer le principe d’égalité, pourrait au contraire le défendre en donnant corps au principe d’égalité proportionnelle, matérielle. Cette recherche d’égalité matérielle, et non plus formelle, est d’ailleurs à l’origine des demandes récentes d’adaptabilité du droit.

Comment adapter le droit à son contexte par application du principe de subsidiarité normative ?

Le législateur décentralise au nom du principe selon lequel on administre mieux de près, en prenant en considération les particularités du terrain. Toutefois, lorsqu’il renvoie systématiquement au Premier ministre pour l’exécution des lois concernant les compétences des collectivités, lequel l’applique de façon trop détaillée et avec retard, ce centralisme normatif contrevient au bénéfice attendu de la décentralisation : on administre de près, certes, mais sans pouvoir tenir compte des spécificités locales. Jusqu’ici, vous avez pourtant toujours considéré que le renvoi au pouvoir réglementaire du Premier ministre s’imposait.

L’exécutif, conscient de ses faiblesses, a bien tenté de se discipliner lui-même, mais sans succès. Il a ainsi préconisé dans la circulaire du 7 juillet 2011 sur la qualité du droit que « chaque projet de norme nouvelle [soit] soumis à un examen de nécessité et de proportionnalité aussi circonstancié que possible » et il a été envisagé d’inscrire dans le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale que le Gouvernement adopterait à l’avenir des modalités d’application proportionnées des lois concernant les collectivités.

Ce principe de proportionnalité postulait nécessairement le recours au règlement local : la norme se limite à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, renvoyant pour le reste à d’autres autorités – ici les collectivités, mais pourquoi pas chaque acteur concerné dans son domaine, notamment les entreprises, qui seraient alors contraintes d’atteindre certains objectifs, mais selon des modalités dont le détail ne leur serait pas entièrement imposé ?

Toutefois, ce principe n’a pas été retenu, notamment parce qu’il risquait d’être un nid à contentieux, du fait d’interminables interrogations sur le degré de détail dans lequel l’État peut entrer. Et c’est heureux, car il aurait alors incombé au juge de décider lui-même qui, de la collectivité ou de l’État, devait adopter telle norme, sûrement à partir d’un contrôle minimum, d’ailleurs, alors que c’est à vous, législateur, de trancher. Et vous pouvez vous appuyer pour ce faire sur un principe constitutionnel de subsidiarité normative qui s’apparente en définitive au principe de proportionnalité.

En effet, alors que le projet de loi constitutionnelle de 2003 prévoyait initialement que les collectivités avaient vocation à exercer l’ensemble des compétences qui pouvaient le mieux être mises en œuvre à leur échelon, l’article 72 de la Constitution dispose finalement que les collectivités ont vocation à prendre les « décisions » – le mot n’est pas anodin – pour l’ensemble de ces compétences. L’intention du constituant, sur laquelle se fonde le Conseil constitutionnel, est claire puisque l’amendement réécrivant le texte en ces termes a été adopté. Il revient par conséquent au législateur d’appliquer ce principe, sous le contrôle, certes minimum, du Conseil constitutionnel, et au pouvoir réglementaire de le respecter, également sous le contrôle, probablement minimum, du Conseil d’État.

Pour chaque disposition concernant les compétences locales, le législateur doit donc s’interroger sur la nécessité de renvoyer au décret ou au pouvoir réglementaire local d’application. Sa feuille de route est tracée par la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 – loi relative à la Corse –, aux termes de laquelle les articles 21 et 72 de la Constitution « permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d’application d’une loi ; […] cependant, le principe de libre administration des collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques et, par suite, l’ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des décisions de collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire de la République ».

Autrement dit, le Premier ministre reste l’autorité de droit commun en matière d’exécution des lois, le législateur renvoyant aux collectivités l’application des lois dans leurs seuls domaines de compétence. Le Conseil d’État ayant ajouté dans un avis du 15 novembre 2012 que cette compétence normative accompagne nécessairement un transfert de compétence, la capacité d’appliquer certaines lois ne pouvant être considérée en elle-même comme une compétence transférée à une catégorie de collectivités.

La réserve concernant la fixation des conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques, formulée dès 1985, limite le champ des possibles. On peut ainsi considérer que confier aux collectivités le soin d’adopter certaines modalités d’application de la loi sur l’accessibilité des établissements recevant du public impliquerait une intervention dans la définition des conditions essentielles de mise en œuvre de la liberté d’aller et venir.

Cette limite haute s’accompagne d’une autre réserve, puisque le Conseil décide que le législateur peut confier aux collectivités « certaines » modalités d’application des lois. Cette limite vague reposera certainement sur les nécessités d’intérêt général – ou sur le principe d’égalité, nous y reviendrons – imposant que la mesure soit la même pour tous.

Il en résulte que les collectivités peuvent intervenir à un troisième niveau d’influence, celui dont la décentralisation a besoin. Son efficacité a déjà été démontrée. Jusqu’en 2002, ainsi, le régime des aides directes aux entreprises était fixé uniformément par le Premier ministre ; à partir de cette date, le législateur a décidé que les assemblées régionales pourraient le fixer elles-mêmes. Or qui peut nier que, pour réussir économiquement, deux régions aussi différentes que le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes doivent pouvoir mener des politiques distinctes ?

À ce stade de ma démonstration, vous devriez être convaincus de la faisabilité juridique de l’opération, mais peut-être pas de sa pertinence au regard de la défense du principe constitutionnel d’égalité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on est aujourd’hui plutôt tenté d’invoquer le principe d’adaptabilité. Mais celui-ci ne dit rien de l’auteur de la norme. Le principe de proportionnalité suppose qu’à un moment donné l’État laisse la place à une autre autorité ; l’adaptabilité, elle, peut dépendre des collectivités – c’est le pouvoir réglementaire local d’adaptation évoqué par le Président de la République –, mais aussi de l’État lui-même, comme dans le cas des expérimentations, dont il décide, charge telle ou telle collectivité et sur les suites desquelles il se prononce seul.

De ce point de vue, l’adaptabilité est rassurante, car l’État est unificateur et garantit le respect du principe d’égalité. Que ne voit-on toutefois que cette unification, dans les autres domaines que l’expérimentation législative, est « égalicide », car incapable d’adapter le droit aux besoins de plus en plus divers des destinataires de la norme ? Le peuple est un, mais le territoire est varié. Lorsque vous adoptez une loi sur la montagne ou sur le littoral, vous ne brisez pas l’égalité par renoncement à l’universalisme de la loi : vous la rétablissez. Il en ira de même lorsque vous renverrez aux collectivités l’application de la loi, dans les limites précitées.

Comment pouvoir local et principe d’égalité se conjuguent-ils ? Le Conseil d’État a rappelé dans son avis de 2012 que « l’attribution par la loi d’un pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’égalité ». À vrai dire, puisque les collectivités n’interviennent qu’à un troisième niveau d’importance lorsqu’elles appliquent la loi, le principe d’égalité ne risque plus véritablement d’être violé. En outre, il existe une raison d’intérêt général de déroger au principe d’égalité : l’amélioration de l’action publique par la prise en considération du contexte d’application du texte et, ainsi, des circonstances locales. Pour que la loi soit plus adaptée à son contexte d’application et plus rapidement appliquée, il faut par conséquent renvoyer plus souvent au pouvoir réglementaire local des collectivités, sachant que les communes ne disposeront pas pour en user de la même ingénierie juridique que les départements ou les régions, voire les intercommunalités.

Pour toutes les autres lois, celles qui ne concernent pas les collectivités, vous disposez d’un moyen constitutionnel de contraindre l’exécutif à adopter rapidement des décrets d’application. Il est brutal mais pourrait, de ce fait même, obliger le Gouvernement à agir. Lorsqu’une disposition vous semble si importante qu’elle doit être urgemment appliquée, vous pouvez en effet prévoir dans la loi qu’elle deviendra caduque si elle n’est pas appliquée dans un délai d’un an. Certes, si tel n’est pas le cas, elle perdra automatiquement sa valeur ; mais l’exécutif, qui consacre toujours beaucoup d’énergie à faire adopter la loi – bien plus qu’à la faire appliquer –, ne pourra sans doute se permettre de la laisser s’évanouir, surtout s’agissant d’une disposition importante. Le procédé est constitutionnel, car la contrainte, ou la sanction, ne porte pas sur l’exécutif, mais sur la loi elle-même, puisque c’est la disposition législative qui risque alors de tomber.

M. Bertrand du Marais, conseiller d’État, professeur de droit public à l’université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie sincèrement de me donner le privilège, l’occasion et le plaisir de vous présenter aujourd’hui des travaux et analyses – ainsi que quelques résultats intermédiaires – que je mène depuis plusieurs années, en particulier sur les études d’impact.

Je me permettrai de commencer par une petite page de publicité pour la filière droit-économie de l’université Paris Ouest-Nanterre. Unique en France, elle constitue un outil mis à la disposition de toutes les parties prenantes du processus normatif, dont les pouvoirs publics et – pourquoi pas ? – le Parlement. Cette filière réunit plus de 450 étudiants, de la première année de licence au master 2, dont un M2 d’analyse économique du droit où nous formons de jeunes étudiants, mais aussi des cadres de l’administration et du secteur privé. Dans la nouvelle nomenclature en cours d’adoption, son intitulé deviendra « Évaluation de l’impact du droit ».

J’ai d’autre part le plaisir de présider une petite association para-universitaire appelée FIDES (Forum sur les institutions, le droit, l’économie et la société), qui s’efforce de soutenir financièrement la recherche dans ces disciplines, souvent oubliée par les grands programmes de financement, afin que les chercheurs ne rejoignent pas tous, sitôt formés, les pays anglo-saxons.

Je ne traiterai dans mon intervention que de la question de l’amélioration de l’évaluation ex ante par les études d’impact ; je profiterai éventuellement de la discussion ultérieure pour évoquer deux autres sujets sur lesquels j’ai travaillé : les décrets d’application et la transposition des directives.

Pourquoi se focaliser sur les études d’impact ? Parce qu’elles sont un moyen non seulement de réguler le flux des textes et d’en rationaliser le contenu, mais aussi, si tant est que les parties prenantes s’en saisissent, d’instiller du débat public dans la procédure grâce – paradoxalement – à l’expertise. Je traiterai la question en trois temps : je dresserai d’abord un constat non pas désabusé, mais mitigé sur la qualité et le contenu des études d’impact présentées jusqu’à présent ; je donnerai ensuite des pistes pour favoriser l’usage de cet outil ; et je terminerai par quelques propositions visant à en améliorer le contenu.

Mon constat est tiré de l’analyse des études d’impact que je conduis avec mes étudiants depuis septembre 2009. Nous disposons aujourd’hui de quatre ans de recul et d’un échantillon d’une quarantaine d’études, relativement représentatif puisqu’il recouvre plus de la moitié des textes de loi portant des dispositions normatives. Il s’agit d’une analyse qui, pour l’instant, est qualitative, mais je vous donnerai aussi quelques éléments quantitatifs ; nous sommes en train de construire des indicateurs, notre objectif étant d’aboutir à un classement du type « Gault et Millau » des études d’impact, de la plus complète, la plus lisible et la plus pertinente jusqu’à la moins satisfaisante. De l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, nous avons ainsi tiré une liste de vingt critères, dont nous vérifions le degré de respect, de l’absence totale jusqu’à l’obligation entièrement remplie, en utilisant des catégories intermédiaires ; les résultats sont reportés dans un tableau récapitulatif.

Par exemple, l’analyse de l’étude d’impact du projet de loi de programmation militaire pour 2014-2019 fait apparaître l’absence totale de quatre critères, parmi lesquels l’évaluation des conséquences environnementales, la présentation des possibilités autres que l’option législative, l’analyse quantitative et l’exposé de la méthode de calcul.

De même, dans l’étude d’impact du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, l’évaluation des conséquences financières n’est faite pour aucun des titres du texte, à une exception près ; il n’y a ni quantification ni indication de la méthode de calcul retenue.

Certaines personnes me présentent comme un « ayatollah » de la quantification – il est vrai que je fus le seul à utiliser le verbe « quantifier » dans le rapport public de 2006 du Conseil d’État que le rapporteur a eu l’amabilité de citer. Pourtant, comment le disent nos amis anglo-saxons, quantifier, c’est déjà dans une certaine mesure décider ; c’est en tout cas fonder le débat sur des éléments objectifs et, en définitive, rendre possible la contradiction.

Notre analyse débouche sur un constat mitigé. Les études d’impact se caractérisent en effet – vous vous en êtes certainement aperçus – par une grande diversité et une inégalité de contenus. Nombre d’entre elles ne satisfont pas, même formellement, aux obligations de la loi organique. En particulier, la méthode de calcul retenue n’est quasiment jamais indiquée – souvent pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas d’évaluation quantifiée des impacts des dispositions que l’on vous propose d’adopter.

Pour expliquer cette qualité inégale, nous avons formulé deux hypothèses.

La première est que la qualité de l’étude d’impact dépendrait de l’offre d’études en interne : les ministères ayant une forte culture de l’étude économique, de la statistique, de l’expertise technique présenteraient des études d’impact plus satisfaisantes. Cette hypothèse est cependant fragilisée par le fait qu’il existe de nombreux contre-exemples, comme l’étude d’impact du projet de loi relatif au Grand Paris : les incidences budgétaires y étaient certes examinées, mais aucune méthode de calcul n’était indiquée.

Deuxième hypothèse : la qualité de l’étude d’impact serait fonction de la sensibilité politique du projet de loi. Nous avons ainsi été frappés par la grande qualité de l’étude d’impact du projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. Il semblerait que, quand un texte est débattu pied à pied dans toutes les régions et dans toutes les grandes villes de France, les parties prenantes soient obligées de fonder leurs arguments sur des données chiffrées et sur les résultats d’expertises.

Nous avons également noté une utilisation inégale, mais croissante des études d’impact dans les débats parlementaires. Cette observation se fonde sur une méthode simple : je demande à mes étudiants de passer en revue les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale afin de comptabiliser le nombre de fois où l’étude d’impact est citée. Certains parlementaires fondent même leurs amendements sur l’étude d’impact. Toutefois, celle-ci est généralement conçue comme une source d’information et fait rarement l’objet de critiques ou de débats.

S’il est mitigé, notre constat n’est cependant pas désabusé. Certes, il existe un risque : que, l’éclat de la nouveauté ayant disparu, la routine et le formalisme reprennent le dessus – ce fut d’ailleurs le cas lors des tentatives qui ont précédé la réforme constitutionnelle de 2008. Comme l’a écrit Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, dans sa préface au Guide d’évaluation de l’impact concurrentiel de projets de textes normatifs : « Les progrès en la matière nécessitent durée et ténacité ». Pourtant, le fait même que l’Autorité de la concurrence ait rédigé de sa propre initiative un tel guide est extrêmement encourageant ; cela montre que certains acteurs, notamment au sein des pouvoirs publics, ont compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à faire ce type de travaux.

Je vais maintenant présenter quelques pistes pour favoriser l’usage des études d’impact.

Premièrement, il serait bon de développer l’approche sectorielle, par exemple en publiant, suivant l’exemple de l’Autorité de la concurrence, des guides pour l’évaluation de l’impact des projets de textes en fonction de problématiques soit horizontales, comme l’égalité entre les femmes et les hommes, soit verticales, comme l’économie sociale et solidaire ; il s’agirait de rédiger des vade-mecum à destination des différents intervenants dans le processus législatif pour leur permettre d’identifier et de quantifier l’impact des projets de loi sur tel ou tel secteur. Ces guides pourraient être réalisés soit à l’initiative du seul Parlement, soit en commun avec les services du Gouvernement.

Deuxièmement, il convient de sensibiliser les parties prenantes. La difficulté est qu’aujourd’hui l’étude d’impact n’est rendue publique qu’au moment de la transmission du projet de loi au Parlement ; il faudrait qu’elle le soit avant la saisine du Conseil d’État – comme c’est le cas pour les études d’impact environnementales.

Troisièmement, il faut inciter le politique à se saisir de l’étude d’impact. En Grande-Bretagne, celle-ci est le support des consultations et permet aux ministres compétents comme à l’opposition d’intervenir dans le processus d’élaboration du projet de loi – alors qu’en France, celui-ci reste interne à l’administration. De même, au niveau de l’Union européenne, les études d’impact sont publiées longtemps avant le début de l’examen du texte, ce qui permet aux parties prenantes d’intervenir dans le débat politique.

Pour finir, je formulerai quelques propositions en vue d’améliorer le contenu des études d’impact.

L’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit une évaluation « des coûts et bénéfices financiers attendus », mais pas des effets économiques. Il serait important de l’ajouter – quoique la première évaluation soit rarement faite.

Prenons par exemple les dispositions législatives sur la sécurité des ascenseurs : c’est une chose d’évaluer le coût financier de la réfection des ascenseurs pour les syndicats de copropriété et les bailleurs sociaux ; c’en est une autre de réaliser une véritable analyse économique, qui aurait permis de remarquer que, étant donné qu’il n’existe que deux ou trois ascensoristes sur le marché, le risque était grand, d’une part que les coûts explosent, d’autre part que l’offre ne puisse pas répondre à la demande !

Le champ de l’étude d’impact pose un autre problème. Nous essayons de calculer un indice de recouvrement entre ce qui est traité dans l’étude et les dispositions contenues dans le texte de loi définitivement adopté. Il est évident que certains projets de loi subissent des modifications significatives ; ainsi, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires est passé de 7 titres et 26 articles à 12 titres et 86 articles, certaines adjonctions portant sur des sujets majeurs, comme la lutte contre les dérives financières ou l’encadrement des conditions d’emprunt des collectivités territoriales.

Rendre obligatoire une étude d’impact des amendements significatifs supposerait une modification de la loi organique – le Conseil constitutionnel s’est prononcé de façon très claire sur ce point ; cela imposerait également que le Parlement et/ou le Gouvernement se dotent d’une capacité d’expertise immédiate. Une meilleure solution serait que le Conseil constitutionnel tienne davantage compte de la qualité de l’étude d’impact dans le cadre du contrôle qu’il exerce au titre de l’article 61 de la Constitution. Nous souffrons en France d’un biais culturel : on ne considère pas les questions d’évaluation et de quantification comme des éléments substantiels de la procédure – jusqu’à ce que cela nous soit imposé de l’extérieur. Si je comprends qu’il soit politiquement difficile de mettre en œuvre les mécanismes prévus par la loi constitutionnelle de 2008 et par la loi organique de 2009 en cas de divergence entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, une sanction ex post par le Conseil constitutionnel permettrait d’instaurer une certaine discipline.

Le problème principal réside toutefois dans la capacité même du Gouvernement à réaliser les études d’impact. La solution passe à mon avis par deux impératifs. Le premier est de parvenir à une harmonisation des méthodes et du contenu même des études ; à l’heure actuelle, la compétence en revient au Secrétariat général du Gouvernement ; pour ma part, j’étais plutôt partisan que ce soit le Centre d’analyse stratégique, aujourd’hui remplacé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui soit chargé de la mise en forme des études d’impact. L’autre impératif est de développer la capacité d’expertise en France – d’où la « page de publicité » par laquelle j’ai commencé mon exposé.

M. Michel Verpeaux, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Mon propos sera sans doute plus général que celui de mes deux collègues, car je n’ai pas réfléchi autant qu’eux sur les études d’impact et le pouvoir normatif local – même si je m’intéresse beaucoup à ces questions.

Je ne voudrais pas décevoir le rapporteur, qui déclare sentir les esprits « mûrs » pour la simplification, mais il s’agit d’une question très ancienne, qui remonte d’une certaine façon à la Révolution française : dans les cahiers de doléances, on demandait déjà des lois plus simples, plus claires, qui s’appliquent partout de manière uniforme. C’est un thème récurrent.

Même s’il est un peu facile de commencer ainsi, je crois donc qu’il faut faire preuve de modestie et manier les solutions radicales avec prudence. N’oublions pas que ce qui est compliqué, c’est d’abord la société dans laquelle nous vivons ; il n’est pas certain que le droit puisse résoudre d’un coup de baguette magique des questions par essence très complexes.

D’ailleurs, ce qu’il faut viser, est-ce la simplification législative ou celle du droit ? De ce point de vue, et malgré toute l’amitié que j’ai pour ma collègue Géraldine Chavrier, je ne suis pas certain qu’attribuer un pouvoir normatif local aux collectivités territoriales ferait avancer les choses – même avec les garanties qu’elle a présentées. Je préside l’Association française de droit des collectivités locales : on peut donc difficilement voir en moi un centralisateur ultrajacobin ; pourtant, je ne pense pas que la décentralisation soit la solution à tout. Il me semble d’autre part que la loi n’est pas la seule source de la complexité actuelle – et ce n’est pas parce que je suis à l’Assemblée nationale que je dis cela. Le Gouvernement et les instances administratives ont eux aussi leur part de responsabilité.

J’examinerai en premier lieu les moyens existants, puis j’envisagerai les facteurs sur lesquels il serait possible de jouer, avant de vous livrer quelques pistes de réflexion.

Pour commencer, n’oublions pas que les articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 avaient initialement pour objectif de simplifier, sinon le droit, du moins la répartition des compétences normatives : pour que les choses fonctionnent mieux, le Parlement ne devait pas se perdre dans les détails. Or ce n’est pas ce qui s’est passé ; pour reprendre l’expression d’un éminent juriste malheureusement décédé, sur ce point « la Révolution n’a pas eu lieu ». Peut-être les juridictions ont-elles œuvré en ce sens : ainsi le Conseil constitutionnel, après une timide tentative en 2005 pour déplacer le curseur entre la loi et le règlement dans une direction plus conforme à l’esprit de la Constitution, a maintenu en 2012 une jurisprudence qui autorise les dérives en la matière.

Deuxième moyen : la jurisprudence ayant trait à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Malheureusement, le Conseil constitutionnel manie cet outil avec une certaine prévention – en tout cas, pas autant qu’on pourrait le souhaiter ; les censures de lois sur ce motif sont très peu nombreuses. Il a fallu attendre 2005 et une loi de finances totalement incompréhensible, même pour les spécialistes, pour que le Conseil constitutionnel l’utilise.

Le processus de codification, lancé depuis la fin des années 1980, a également pour objectif – entre autres – de simplifier, sinon le contenu, du moins l’approche du droit.

Dernier moyen : la révision constitutionnelle de 2008 et les nouveaux outils qui ont été donnés au Parlement afin de développer son activité de contrôle et d’accroître son rôle dans le processus législatif. Ces outils sont-ils suffisants ? Le bilan des études d’impact n’est guère satisfaisant – il se trouve qu’un de mes doctorants travaille sur le sujet, même si son approche est beaucoup moins quantifiée que celle de M. du Marais. On nous les avait présentées comme un moyen radical d’améliorer de la loi, mais pour un observateur extérieur, comme je le suis, cela ne semble pas révolutionner grand-chose ! Là encore, le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi sur cette question, mais la faute en incombe aux acteurs publics, puisqu’il ne peut l’être que s’il existe un désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement – ce qui, du fait de l’organisation institutionnelle de la Véme République, n’est jamais le cas. Malgré tout, le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer indirectement sur le sujet, dans le cadre de l’examen de la procédure législative au titre du contrôle a priori des lois ordinaires, mais jusqu’à présent, il l’a toujours fait avec une très grande prudence : il n’a jamais jugé qu’une étude d’impact n’était pas adaptée.

À mon avis, deux aspects sont à prendre en considération dans la question de la simplification législative : la quantité des lois et leur qualité.

On dit souvent qu’il y a un trop grand nombre de lois. Est-ce vrai ? On en compte à peu près une centaine par an, dont une quarantaine se bornent à autoriser la ratification d’engagements internationaux : cela ne me semble pas excessif.

Ce qui fait problème, ce n’est pas le nombre de lois en soi, mais l’existence de textes redondants, qui reviennent sans cesse sur le même sujet. Le domaine de la procédure pénale est particulièrement « riche » d’exemples de ce type. Sur ce plan, peut-être les choses pourraient-elles être améliorées. Toutefois, cela ne manquerait pas de soulever des difficultés politiques, car la situation actuelle résulte en grande partie des alternances, la nouvelle majorité cherchant en général à corriger ce qu’a fait la précédente. C’est le jeu de la démocratie, mais il faut avoir conscience que cela a des effets quantitatifs.

Autre problème : la multiplication des textes de simplification du droit, qui ont l’effet inverse de celui annoncé. On y trouve de tout ! Les lois « portant diverses dispositions » n’existent plus, mais elles ont été remplacées par ces lois dites « de simplification », qui ne valent pas mieux sur le plan de la clarté et de la lisibilité.

Se pose aussi la question des niveaux de décision, ce qui nous ramène au thème de la décentralisation ; je n’y reviens pas.

Passons aux problèmes relatifs à la qualité de la loi, à commencer par sa longueur. Certains projets de loi subissent des modifications importantes entre leur dépôt et leur adoption définitive. D’aucuns vont même jusqu’à considérer que la loi est « dénaturée » par le Parlement, de nombreux amendements venant « perturber » le texte initial. Pourtant, c’est bien le rôle des parlementaires que d’amender la loi. Si on le leur interdisait, on présenterait un texte et le Conseil d’État l’adopterait ; ce serait un retour à l’époque de Napoléon Bonaparte !

La qualité rédactionnelle des lois est en revanche un vrai problème. Certes, le Conseil d’État est censé faire un contrôle à l’étape de l’avant-projet de loi et la révision de 2008 a ouvert la possibilité de lui soumettre pour avis également les propositions de loi. Mais cette nouvelle procédure est-elle très utilisée ? Est-ce que cela change quelque chose ? On peut se demander si cet outil, qui a été strictement bordé par le Constituant et la loi ordinaire, est véritablement utile.

Enfin, il ne faut pas oublier que la loi se trouve à l’origine d’une cascade de textes, qui compliquent parfois les choses – avec, dans les cas extrêmes, des circulaires qui disent autre chose que ce qui a été voté par le législateur !

S’agissant des pistes à étudier, je distinguerai l’amont de l’aval.

En amont, il conviendrait de renforcer les moyens du Parlement : faut-il, à cette fin, créer un nouvel organe parlementaire dédié à l’amélioration de la qualité de la loi ? Cet organe devra-t-il être propre à chacune des deux assemblées – l’indépendance des deux assemblées est, je le rappelle, un principe constitutionnel – ou mixte et paritaire, du fait qu’il s’agit d’un travail collectif et qu’une assemblée ne saurait, en la matière, ignorer ce que fait l’autre ?

Serait-il par ailleurs farfelu d’envisager l’adoption d’une loi organique relative aux lois ordinaires – une « LOLO » – sur le modèle de la LOLF pour les lois de finances ? Cette loi organique encadrerait le processus et le contenu de la loi ordinaire. Un tel projet rencontrerait toutefois deux difficultés. Son adoption devrait tout d’abord résulter d’une démarche consensuelle, mais tel est, après tout, le cas de la loi organique relative aux lois de finances adoptée en 2001, qui a été le fruit d’un consensus entre deux assemblées alors de majorités politiques opposées. Ensuite, l’adoption d’une telle loi organique impliquerait une révision de la Constitution. J’ignore comment les parlementaires vivent la LOLF : celle-ci, qui permet de censurer tout débordement du cadre constitutionnel des lois de finances, maintient ainsi leur unité.

En aval, il convient de déterminer les meilleurs moyens permettant d’évaluer la loi et d’en favoriser son application.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je suis toujours étonnée du fait que les études d’impact sont réalisées par le ministère chargé du texte. Quelle instance devrait être responsable des études d’impact ? Devraient-elles être réalisées par un service centralisé du Gouvernement dédié à cette fin ? Ou mieux : ne devrait-il pas revenir au Parlement de se charger de l’étude d’impact d’un texte gouvernemental ?

Par ailleurs, les amendements sont examinés, en raison de leur éventuel impact budgétaire, au regard de l’article 40 de la Constitution. Ne serait-il pas utile d’envisager un dispositif du même ordre pour juger de la recevabilité des amendements au titre de leur qualité ?

Mme Cécile Untermaier. Comme Mme la présidente et moi-même avons pu le constater à Bruxelles, au plan européen, l’étude d’impact doit être validée avant toute adoption d’une directive de la Commission. L’étude est également co-construite avec les citoyens dans le cadre d’un forum Internet. Un tel dispositif serait-il transposable au Parlement français ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas rendre obligatoires les études d’impact, sinon pour les amendements, du moins pour les propositions de loi ? Tel n’est pas le cas aujourd’hui, alors même que les propositions de loi sont nombreuses.

Enfin, il conviendrait, en ces temps de rigueur budgétaire, d’inclure dans les études d’impact l’évaluation de la charge administrative de l’étude elle-même. Ne faudrait-il pas alors modifier la loi organique pour rendre ce critère obligatoire ?

M. Régis Juanico. Madame Chavrier, avez-vous mené des travaux sur la réalité du principe de subsidiarité face aux normes édictées par l’Europe ? L’inflation des normes européennes, qui constitue un vrai souci pour les collectivités territoriales, met à mal l’application du principe de subsidiarité aux plans national et infranational.

Monsieur Verpeaux, l’Assemblée nationale s’est dotée depuis 2009 d’un Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, qui produit des rapports de très grande qualité. Cette évaluation, réalisée ex post, implique évidemment un recul certain dans l’application des lois : certes, tel n’est pas l’objet des travaux de la présente mission d’information parlementaire, mais ne conviendrait-il pas de s’inspirer d’un tel outil, qui est bipartisan et donne entière satisfaction, en matière de simplification législative ?

Vous avez évoqué l’éventualité d’une loi organique encadrant les lois ordinaires sur le modèle de la LOLF pour les lois de finances : nous devons auparavant faire le bilan de l’application de la LOLF promulguée en 2001. En effet, il existe un déséquilibre certain entre les trois mois que le Parlement consacre, entre octobre et décembre, à l’adoption de la loi de finances initiale – les intentions budgétaires – et les quelques jours seulement dévolus, à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, à la loi de règlement qui porte sur l’exécution et donc la « vérité » budgétaire de l’année antérieure. Je tiens également à insister sur la fragilité qui préside à l’élaboration de certains indicateurs de performance contenus dans la LOLF. C’est pourquoi, je le répète, il me paraît nécessaire de réaliser un bilan qualitatif de son application.

Mme Cécile Untermaier. Il conviendrait également de renforcer la coordination des textes : trop souvent, il n’existe aucune cohérence entre ceux qui sont discutés au Parlement. Si, s’agissant des propositions de lois, il revient à l’Assemblée nationale d’assurer cette cohérence, s’agissant des projets de loi, n’est-ce pas au Gouvernement d’y veiller dans un cadre interministériel ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Mme Untermaier a raison : nous avons trop souvent l’impression que le dépôt des textes entre les deux assemblées n’obéit plus à aucune logique interministérielle : les projets se chevauchent en cours d’examen.

M. le rapporteur. La mission travaille sur la fabrique de la loi. Il conviendrait de faire le point sur la réalisation des études d’impact en Europe, notamment sur les organismes chargés de les effectuer. Alors que des organismes indépendants sont parfois sollicités, en France, elles sont réalisées par les ministères concernés par le texte. Le secrétaire général du Gouvernement m’a confié que ceux-ci y tenaient, ce qui n’est pas sans poser un problème.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Surtout en l’absence de tout organe de validation de l’étude d’impact.

M. le rapporteur. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a un droit de regard sur l’étude d’impact : en a-t-elle jamais usé ? La Présidente me dit que oui… Il faudrait rappeler aux titulaires de ce droit qu’ils doivent l’exercer, car il est très important pour la fabrique de la loi. Il conviendrait également d’instaurer, en amont du débat sur le projet de loi lui-même, un vrai débat autour de l’étude d’impact. Ce type de débat se déroule-t-il dans d’autres pays ?

Je pense par ailleurs que les études d’impact devraient être rendues obligatoires pour les propositions de loi comme elles le sont déjà pour les projets de loi. Pourquoi faire une différence en la matière entre les textes émanant du Gouvernement et ceux qui sont déposés par les parlementaires ?

Enfin, pourquoi les avis du Conseil d’État sur les projets de loi ont-ils le statut de documents confidentiels, un secret que tout l’art des journalistes consiste d’ailleurs à divulguer ? Quant aux parlementaires, pourquoi ne saisissent-ils pas davantage le Conseil d’État sur les propositions de loi, alors qu’ils en ont la possibilité ?

M. Bertrand du Marais. La confection des études d’impact souffre en France d’un biais culturel : l’expertise technique appartient traditionnellement aux services de l’exécutif. Dans ma contribution au rapport du Conseil d’État, j’ai suggéré de recourir pour l’analyse microéconomique, notamment de l’impact des politiques publiques, à la même démarche que celle que le Premier ministre Raymond Barre avait entreprise pour l’analyse macroéconomique : soit donner son indépendance à une structure qui a déjà l’expertise, soit créer ex nihilo des centres d’expertise.

J’ai préconisé que l’ex-Commissariat au plan, structure qui dispose d’une tradition d’expertise, encadre et réglemente les études d’impact et soit chargé du contrôle de leur qualité technique. Nous sommes en effet confrontés au problème de la sanction infligée en cas « d’absence » d’études d’impact ou de leur « insuffisance », pour reprendre les termes de la jurisprudence du Conseil d’État sur les études d’impact environnementales. En droit européen, le comité autonome adjoint à la Commission européenne renvoie le projet de directive en cas d’études d’impact insuffisante : le manque, en France, d’un tel degré de sanction n’est pas sans poser la question, qui est majeure, du débat politique au sein de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale.

Le calcul du coût de la charge administrative figure dans la loi organique, qui prévoit, à l’article 8, l’évaluation des « coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques ». J’ai participé à la fabrication du modèle comptable OSCAR qui mesure la charge administrative : il est utilisé par Bercy pour préparer les lois de simplification et il serait intéressant d’en publier les résultats. Ce modèle pourrait être ouvert aux commissions du Parlement.

Je ne suis pas favorable à l’élargissement des études d’impact aux propositions de lois : effectuons déjà des études d’impact complètes et utiles dans les domaines requis par la loi. N’oublions pas qu’elles représentent un énorme progrès par rapport à la façon dont on préparait les textes il y a dix ou quinze ans.

Enfin, le fait de rendre publique l’étude d’impact en amont de la saisine du Conseil d’État permettrait, comme au Royaume-Uni, de faire de cette étude le lieu de la consultation : le politique pourra alors se saisir de ce qui sera devenu un vrai instrument de débat démocratique.

Mme Géraldine Chavrier. S’agissant du respect du principe de subsidiarité, le protocole européen sur l’application du principe de subsidiarité prévoit que tout projet d’acte législatif doit comporter une fiche contenant des éléments circonstanciés sur le respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité. Ce principe devrait être retenu au niveau réglementaire. Les parlements nationaux ont d’ailleurs en la matière un droit de contestation auquel, il est vrai, ils recourent rarement. En avril 2013, un État s’est plaint auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la violation du principe de subsidiarité à propos d’une autorisation de substance chimique.

Quant au mot « simplification », il me paraît un peu étroit. L’adaptabilité, qui répond, à l’heure actuelle, à une demande très forte, est le contraire de la simplification. Faut-il faire plus simple et moins efficace ou plus efficace et moins simple ? Il est évident que le développement du pouvoir réglementaire local, en multipliant les actes normatifs, tourne le dos à la simplification. Il faut aller vers l’efficacité. À mes yeux, la simplification se résume à l’intelligibilité de la loi et à sa permanence. Est-il par exemple pertinent que la clause de compétence générale ait été quasiment supprimée en 2010 pour être réinstaurée en décembre 2013 puis de nouveau remise en cause en janvier 2014 ? Une loi doit avoir une certaine permanence pour avoir une certaine solennité. Quant à son efficacité, elle est fonction de la valeur des études d’impact et de l’adaptabilité des textes.

Rappelons, enfin, que la qualité de l’évaluation dépend des critères retenus : vous avez raison, madame la présidente, le fait que ce soit le porteur du projet, c’est-à-dire celui qui le désire, qui réalise l’étude d’impact, n’est pas très sain puisque les critères qu’il choisira refléteront son désir. Il convient donc de confier la réalisation des études d’impact soit au Parlement soit, comme au niveau de l’Union européenne, à des organismes de la société civile – l’ouverture à la société civile figurait d’ailleurs dans la charte de déontologie instaurée par le Président de la République lors de son entrée en fonction. Les critères choisis doivent pouvoir faire l’objet d’un débat et être contestés, notamment au titre des expériences privées.

M. Michel Verpeaux. L’adoption d’un article qui, sur le modèle de l’article 40, censurerait non pas la portée budgétaire mais la qualité des amendements, impliquerait une modification de la Constitution puisque les amendements gouvernementaux y seraient également soumis. L’idée, qui est séduisante, serait une arme lourde.

Souhaitez-vous doter le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques d’une compétence plus technico-juridique ? Faut-il créer un comité parallèle et donc supplémentaire ? C’est moi qui vous pose la question car il appartient à l’Assemblée nationale d’en décider.

Les études d’impact devraient avoir pour fonction de permettre une meilleure coordination des textes, d’autant que, trop souvent, ces études donnent aujourd’hui l’impression d’être les doublons des rapports parlementaires sur les projets ou les propositions de loi, rapports qui sont de grande qualité. On a évoqué devant moi le recours à l’externalisation : est-ce exact ?

M. Régis Juanico. Le Comité d’évaluation et de contrôle peut externaliser certaines études pour des rapports portant sur l’évaluation des politiques transversales.

M. le rapporteur. Monsieur Verpeaux, je pense à cette citation d’Eschyle dans Prométhée enchaîné selon laquelle ne pas paraître sage, c’est la vraie sagesse. Tel est l’état d’esprit de la mission d’information.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie madame et messieurs les professeurs.

*

* *

La mission d’information procède ensuite à l’audition, sous forme de table ronde, de : Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean Moulin (Lyon III) ; Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre mission d’information entend davantage faire porter ses travaux sur une rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires, dont se préoccupe d’ailleurs le Gouvernement en étroite collaboration avec notre rapporteur Thierry Mandon. Pour parvenir à la production de textes moins nombreux, plus lisibles et plus efficaces, nous envisageons notamment de procéder à une meilleure évaluation ex ante des textes au stade de la réalisation de l’étude d’impact, de supprimer des textes lorsque de nouveaux sont adoptés, suivant le principe britannique du « one in, two out », d’octroyer au Parlement un droit de regard sur les décrets d’application et sur les ordonnances, droit qui pourrait se concrétiser par un meilleur encadrement et une meilleure visibilité de leur calendrier prévisionnel de publication, et enfin de modifier la méthode législative de transposition des directives – nous pourrions par exemple disposer d’un avis du Conseil d’État dans les cas où la directive est transposée par défaut, sans durcissement dans le droit français.

Après avoir effectué un déplacement à Bruxelles, nous ouvrons nos travaux en rencontrant des universitaires qui se sont penchés sur ces sujets. Nous accueillons donc Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean-Moulin (Lyon III), et Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, que nous remercions d’avoir répondu à notre invitation.

Madame Deumier, vous vous intéressez depuis longtemps aux enjeux qui préoccupent notre mission d’information. Je pense aux réflexions que vous avez menées, dans le cadre de commentaires de décisions du Conseil constitutionnel, sur les qualités de la loi, sur sa normativité, sur son objet, en principe non réglementaire, et sur son obsolescence, mais aussi à vos travaux sur la simplification par la codification à droit constant.

Madame Zolynski, vous avez en particulier réfléchi sur la méthode de transposition des directives européennes. Vous êtes l’auteure d’une thèse de doctorat sur la question, qui s’appuie sur l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins pour proposer une nouvelle méthode de transposition.

Je vous cède à présent la parole pour un exposé liminaire d’une dizaine de minutes chacune, afin de laisser place au débat dans un second temps.

Mme Pascale Deumier, professeure de droit à l’Université Jean-Moulin (Lyon III). Je vous remercie de nous avoir invitées à évoquer avec vous ce vaste projet de simplification législative. Je ne suis cependant pas certaine que la réponse puisse venir de la science du droit. Le droit peut dire ce qu’il ne faut pas faire, mais il ne peut prescrire comment simplifier la loi ou rationaliser le flux normatif – c’est là un chantier bien plus vaste.

J’évoquerai brièvement la simplification législative en général, avant d’aborder trois des thèmes que vous nous avez suggérés, laissant le quatrième à ma collègue dont c’est la spécialité.

Il importe d’avoir une conception précise de ce qu’est la simplification législative comme de son objectif. Mme la présidente a précisé qu’il s’agissait de la rationalisation du flux, et non des autres volets de la simplification. Je ne peux qu’approuver, car en annonçant des mesures de simplification, on ne peut que décevoir. En effet, les citoyens ne percevront jamais la loi comme quelque chose de simple. Par conséquent, toutes les mesures de simplification donneront l’impression d’aboutir à un échec : le ressenti ne sera jamais celui d’un droit simple, alors que l’objectif d’un droit rationalisé, bien maîtrisé et bien pensé peut, lui, être atteint.

Il convient néanmoins de saluer tout ce qui a été fait en termes de simplification dans les dix dernières années. Les progrès sont considérables, et sans doute insuffisamment valorisés. Nous entendons toujours le discours traditionnel sur l’inflation législative, comme si les progrès accomplis n’avaient pas été intégrés dans la perception que nous avons de la loi. Il est temps, je crois, de valoriser Légifrance, les échéanciers de décrets d’application, la codification à droit constant ou encore les études d’impact.

Enfin, il serait bon que l’action de simplification législative s’applique ses propres préconisations – celles qu’elle entend appliquer au traitement de la loi. Si beaucoup a été réalisé, beaucoup a aussi été proposé, étudié ou réfléchi. L’accumulation des rapports, circulaires et propositions donne parfois l’impression de ne pas tenir compte de ce qui a été fait auparavant, et surtout de négliger les raisons de l’échec de certaines propositions. Appliquer à l’action de simplification de la loi ses propres préconisations devrait commencer par une évaluation ex post, ne serait-ce que des propositions du rapport du président Jean-Luc Warsmann sur la qualité et la simplification du droit publié en 2009. De même, il faut soumettre les nouvelles propositions à une évaluation ex ante.

J’en viens aux interrogations que vous avez formulées.

S’agissant des décrets d’application, beaucoup a déjà été fait. L’échéancier – disponible sur Légifrance – est très utile pour les utilisateurs du droit que nous sommes. Le travail de la commission du Sénat pour le contrôle de l’application des lois a également porté des fruits. En revanche, les difficultés d’application de la disposition qui prévoit que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en application de la loi à l’issue des six mois suivant sa date d’entrée en vigueur mériteraient d’être évaluées.

Est-il possible au législateur d’aller plus loin ? Je n’en suis pas certaine, eu égard à la décision rendue le 9 avril 2009 par le Conseil constitutionnel sur la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Cette dernière prévoyait qu’outre les mesures d’application nécessaires, l’étude d’impact devait mentionner leur contenu prévisionnel et leur délai prévisionnel de publication, disposition qui a été censurée au motif qu’elle méconnaissait le principe de séparation des compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire. Cette limite me semble difficile à contourner. En revanche, l’étude d’impact doit comporter une liste des mesures d’application. Si le Parlement se saisit du contrôle des études d’impact des projets de loi, peut-être pourrait-il obtenir des explications plus substantielles sur ces décrets d’application, tout en respectant la séparation des pouvoirs.

J’en viens aux abrogations de textes. Selon moi, la règle britannique du « one in, two out » est davantage une règle de simplification pour les entreprises qu’une règle de gestion du flux normatif : il s’agit davantage de raisonner en termes de coûts et de charges pour une entreprise qu’en termes de nombre de normes existantes.

En revanche, la règle du « one in, one out » existe aussi bien en droit britannique qu’en droit français. Lors d’un colloque qui s’est tenu au Sénat en décembre dernier, le secrétaire général du Gouvernement a expliqué qu’il devait désormais suivre cette règle pour l’élaboration des décrets : chaque décret ajoutant une nouvelle règle doit en supprimer une ancienne. La règle ne signifie pas que n’importe quel texte doive disparaître lorsqu’un nouveau est publié, mais qu’il faut supprimer une règle dont le coût social, économique ou juridique est équivalent. Là encore, il serait utile de disposer d’un bilan de cette expérience.

Permettez-moi de faire deux autres observations en ce qui concerne cette idée d’une abrogation « mécanique » des textes. Quels que soient les résultats de l’expérimentation qui a été faite au Royaume-Uni, n’oublions pas que le droit français, qui forme un système complet et cohérent, est différent du droit britannique, où les textes sont davantage ciblés sur des cas précis. En France, l’abrogation d’un texte peut donc avoir des effets sur d’autres branches du droit. Nous devons garder à l’esprit cette différence culturelle.

Cette idée d’abrogation est au demeurant un vieux projet, qui date quasiment de la promulgation du code civil. Des abrogations en nombre ont eu lieu ces dernières années dans le cadre des lois de simplification. Le risque est de commettre des maladresses. C’est ainsi que l’article 639 du code de commerce a été abrogé par erreur, ou que, sans l’avis du Conseil d’État, une proposition loi de simplification aurait pu rétablir la peine des fers sur les navires ! C’est ainsi encore que l’ordonnance de la marine, que les juridictions françaises utilisaient encore régulièrement, a été abrogée dans le cadre d’une codification à droit constant. Bref, l’abrogation automatique pose parfois plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il convient donc de s’assurer que les textes anciens ont été passés en revue pour détecter les dispositions devenues incompatibles ou désuètes lorsqu’on modifie une matière. Cela peut passer par l’étude d’impact, puisque celle-ci est censée dresser cette liste.

Des progrès considérables ont été accomplis en matière d’études d’impact : la qualité et le contenu de ces dernières n’ont plus rien à voir avec les tentatives qui avaient été faites avant la révision constitutionnelle de 2008. Il est cependant un peu inquiétant qu’il ait fallu en passer par la contrainte pour que ces études deviennent une pratique : votre programme de simplification de la loi ne saurait être mis en œuvre uniquement par le recours à la modification de la règle supérieure.

Si le résultat est là, les études d’impact restent parfois décevantes sur l’étude d’options, s’intéressant davantage aux options de fond qu’aux options normatives – à savoir la réponse à la question : « est-ce vraiment une loi qu’il faut ? ». Nombre de rapports récents, dont l’étude annuelle du Conseil d’État de 2013, estiment que cette étude d’options devrait davantage envisager le recours à un droit souple. J’observe que nous n’aurons pas moins de droit pour autant. Certes, nous aurons moins de lois, mais le droit sera plus instable, plus réactif et plus difficile à connaître. Le droit souple est tout le contraire de la simplification de la loi : c’est la complexité juridique dans ce qu’elle a de plus contemporain.

Vous vous interrogez sur l’opportunité de réaliser une étude d’impact pour les normes d’origine parlementaire, à savoir les amendements et les propositions de loi. Le principe va de soi. Si l’étude d’impact n’était qu’un outil de contrôle du Gouvernement par le Parlement, elle ne serait pas adaptée à la norme d’origine parlementaire. Mais dans la mesure où elle n’est pas seulement un outil de contrôle, mais aussi un outil de qualité de la norme, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la norme est d’origine gouvernementale ou parlementaire. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’un outil constitutionnel pensé dans une logique de séparation des pouvoirs serait ensuite utilisé dans une logique de qualité normative.

La difficulté est d’ordre pratique. Le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit cette possibilité de réaliser des études d’impact sur des amendements ; étonnamment, il ne dit rien des propositions de loi. Sans doute en raison du problème de temps qui se poserait alors, le rapport du comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de 2009 ne se montre guère enthousiaste à cette idée. Il est plus étonnant qu’après avoir été abordé par le premier rapport du CEC, le sujet disparaisse ensuite de ses préoccupations, à ce que j’ai cru voir, alors même qu’il préconisait un suivi et un nouveau rapport dans les six mois pour faire évoluer les critères de contrôle des études d’impact.

C’est donc un problème d’organisation matérielle. Les missions d’information font un travail équivalent à celui d’une étude d’impact, mais leur caractère ponctuel fait obstacle à une spécialisation en la matière. Quant au CEC, il ne dispose sans doute pas de moyens suffisants. Il semble donc préférable de mettre en place une structure ad hoc, avec des personnels – statisticiens, économistes, etc. – spécialement recrutés pour réaliser ces études d’impact. Dans l’ensemble, les outils existent. Il reste à s’en saisir et à travailler sur leur application effective.

Mme Célia Zolynski, professeure de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Je vous remercie d’avoir invité les universitaires que nous sommes à s’exprimer sur un sujet qui nous passionne autant qu’il nous inquiète, celui de la gestion du flux normatif.

Compte tenu des propos qui ont été tenus par ma collègue, je me concentrerai sur un point spécifique : la transposition des directives européennes dans notre ordre juridique interne. Cela me conduira néanmoins à évoquer d’autres points, dans la mesure où cette transposition est un révélateur de problématiques actuelles que l’on rencontre à l’occasion de la confection de la norme.

La transposition est l’opération par laquelle l’État membre adapte son droit national dans le délai qui lui est imparti par la directive, afin de faire produire aux dispositions communautaires leur plein effet dans son ordre interne. La France est tenue par une obligation de transposition conforme, dont l’inexécution peut être sanctionnée lourdement par la Cour de justice de l’Union européenne et qui fait désormais l’objet d’un contrôle du Conseil constitutionnel.

L’opération de transposition soulève pourtant de nombreuses difficultés, en lien avec le sujet qui nous occupe. Les difficultés au niveau européen résident d’abord dans l’analyse – qui n’est pas toujours évidente – du degré de liberté laissé aux États membres, celui-ci pouvant varier d’une directive à l’autre, voire au sein même d’une directive, ce qui a une incidence sur l’étendue des dispositions à adopter. Elles naissent aussi du caractère évolutif de l’harmonisation réalisée par la directive, qui peut être la cause de l’intempérance de la loi. Cette évolution peut d’abord résulter de l’évolution des directives elles-mêmes, celles-ci étant soumises à une clause de révision qui participe du processus d’évaluation ex post, lequel occupe une place centrale au sein du droit de l’Union européenne. En effet, les autorités de l’Union organisent un suivi de l’efficacité du texte tout au long de sa vie, ex ante et ex post, afin de garantir l’adéquation du texte aux besoins des parties prenantes.

Cette évolution peut aussi résulter de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne – dont les arrêts ont un effet erga omnes. Ses décisions doivent donc être prises en compte lors de la transposition du texte, auquel elles s’intègrent, à l’image des lois interprétatives. Mais la difficulté vient surtout du fait que ces décisions interviennent la plupart du temps après la transposition de la directive. S’intégrant au texte, elles vont alors le compléter, réaliser une sorte d’harmonisation prétorienne à marche forcée, ce qui peut remettre en cause a posteriori la bonne exécution de notre obligation de transposition, donc imposer une réforme de la loi de transposition. Il y a donc un travail de veille à effectuer pour garantir la transposition de la directive, laquelle n’est pas une opération définitive, mais diachronique, qui risque de nourrir l’intempérance de la loi.

La transposition suscite également des difficultés au niveau du droit interne. Un risque de sur-transposition a ainsi été observé – et critiqué –, notamment dans l’étude annuelle du Conseil d’État de 2006. Il a été souligné que si la transposition doit être complète, elle ne doit pas pour autant conduire à adopter des mesures nationales supplémentaires qui viendraient alourdir d’autant notre charge normative sous prétexte de transposer la directive.

Plus encore, la transposition expresse n’est pas exigée lorsqu’elle est en quelque sorte préétablie, c’est-à-dire lorsque notre droit interne est déjà conforme à la directive, notamment lorsque la solution nationale a inspiré les autorités européennes – nous en avons de nombreux exemples. Ici, le recours à la loi peut certainement être limité.

Comment procéder ? On peut appliquer un « test de nouveauté » à la disposition communautaire pour évaluer la nécessité de modifier le droit national préexistant et – dans l’affirmative – déterminer la mesure de cette modification. La disposition devrait donc être soumise à un principe de nécessité, c’est-à-dire n’être adoptée que si elle est imposée par notre obligation de transposition conforme, et uniquement dans cette mesure.

Au-delà, on pourrait encourager une obligation de motivation renforcée lors du dépôt du projet ou de son examen, lorsque l’on dépasse cette exigence de respect de nos obligations communautaires. C’est la proposition du rapport de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard sur la lutte contre l’inflation normative, qui peut être largement approuvée.

L’opération de transposition est des plus délicates lorsqu’il s’agit de bien évaluer nos obligations communautaires pour s’y conformer. Sur ce point, on a observé une vraie prise de conscience ces dernières années : la France n’est plus le « cancre » de l’Europe. Mais dans le même temps, on peut regretter que le processus de transposition connaisse les mêmes travers que ceux qui vicient l’élaboration des lois. C’est tout naturel, puisque l’opération de transposition comporte deux volets : un volet communautaire – respecter nos obligations communautaires de transposition conforme – mais aussi un volet national. Cela signifie que l’intégration de la directive ne doit pas remettre en cause la cohérence de notre droit national, tant d’un point de vue institutionnel que d’un point de vue substantiel. En quelque sorte, l’opération de transposition doit elle aussi conduire à respecter les prescriptions du « mieux légiférer ». C’est à cette double condition que l’on peut proposer une méthode de transposition rationnelle.

Compte tenu de l’ensemble de ces difficultés et de ces objectifs, on peut s’interroger sur les solutions à préconiser pour parvenir à cette gestion rationnelle du flux normatif lors de la transposition des directives. Ces solutions ont été recherchées de longue date, tant au niveau européen qu’au niveau de notre droit interne. Je citerai plus particulièrement celle qu’a préconisée le Conseil d’État dans son étude de 2006, et qui pourrait être la devise du « mieux transposer » : anticiper, adapter et simplifier.

Dans la mesure où votre mission d’information porte sur la simplification législative, sur la gestion du flux normatif, je me concentrerai sur une série de questions posées par la transposition à ces égards.

Dans quelle mesure est-il nécessaire de recourir à la loi pour transposer une directive ? Si le recours à la loi est nécessaire ou souhaitable, comment éviter l’enflure des textes, ou encore leur instabilité ?

Le choix de l’instrument de transposition par un État membre dépend à la fois du respect d’un principe d’effectivité du droit de l’Union européenne et du respect du principe d’autonomie procédurale reconnu aux États membres. Cela revient à dire que l’acte de transposition doit prendre la même forme qu’un acte qui serait adopté en droit interne pour atteindre le même objectif. Il existe ici un parallélisme des formes qui s’impose aux autorités nationales en charge de la transposition.

Comment éviter trop de lois ?

Tout d’abord, comment éviter une enflure excessive de la loi ? Il faut éviter l’ajout inutile de dispositions aux projets de textes, notamment lorsque le législateur national est tenu à une harmonisation maximale – c’est-à-dire à un « copier-coller » des dispositions communautaires. Il s’agit donc d’éviter la « sur-transposition », peut-être en recourant à une transposition « à plat » – je vais y revenir.

Il convient également d’éviter de multiples réformes, des « bégaiements » législatifs, une constante remise de l’ouvrage sur le métier. Les réticences à transposer certaines dispositions européennes donnent parfois lieu à des corrections en série. Un exemple récent concerne les pratiques commerciales déloyales, désormais sanctionnées par le code de la consommation. La directive de 2005 a été transposée par la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite « loi Chatel », par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, par la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit du 17 mai 2011, et le sera encore demain par le projet de loi sur la consommation – ou « projet de loi Hamon ». Cette harmonisation à petits pas favorise un phénomène d’enflure de la loi.

Pour atteindre nos objectifs, il faut anticiper les difficultés que suscitera la transposition de la directive au regard de notre droit positif dès la négociation des directives. Nous devons repenser le traitement de la question européenne pour aller plus loin dans l’adaptation de nos procédures administratives et parlementaires. Il faut en tout cas éviter que des arbitrages soient rendus davantage sur un fondement politique que conformément au respect du principe de primauté du droit communautaire. Certains moyens peuvent assurer cette primauté. On peut par exemple imposer une sorte d’effet cliquet écartant toute proposition de texte contraire au droit de l’Union ou remettant en cause son effet utile.

Au-delà de cette procédure propre au droit interne, il faut améliorer le dialogue entre la Commission européenne et le législateur national. Il existe déjà des échanges informels, mais il faut aller plus avant dans ce dialogue, voire recommander une diffusion plus large de communications ou de guidelines par la Commission, même si son interprétation des textes n’est pas authentique – seule l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne l’est.

Peut-on transposer en évitant la loi ? Comment le « mieux légiférer » peut-il se muer en « moins légiférer » ? Il est d’abord possible d’encourager le recours aux ordonnances, qui permet non seulement d’éviter de violer les délais de transposition – qui sont impératifs – en cas d’urgence, mais aussi d’éviter d’ajouter des dispositions au texte – notamment sous la pression des groupes d’intérêts – lors des débats parlementaires, en procédant à une transposition « à plat ». Dans la mesure où le « copier-coller » n’exige pas l’intervention du Parlement sur le fond, on pourrait encourager ce recours. Toutefois, il ne doit pas être généralisé, notamment lorsque la transposition d’une directive permet de réformer plus généralement la matière. En matière de droit de la consommation, par exemple, le texte de loi demeure l’instrument idoine pour assurer la cohérence de notre droit interne.

Sans passer outre la loi en recourant en bloc à l’ordonnance, on peut aussi tester des systèmes de législation par étapes ou par strates successives. On peut ainsi réserver à l’ordonnance les dispositions qui sont soumises à un degré d’harmonisation maximale, puisque le débat parlementaire n’est pas possible, et à la loi – pour laquelle le rôle du Parlement est fondamental – les dispositions qui poursuivent une harmonisation minimale.

On peut également s’inspirer de la méthode allemande de la « double corbeille ». Deux lois viendraient ici se succéder. Une première, adoptée rapidement, viserait à satisfaire nos obligations communautaires de transposition dans les délais ; elle intégrerait l’ensemble des dispositions d’harmonisation maximale. Une seconde, élaborée dans la durée, avec un débat parlementaire nourri, permettrait de transposer les dispositions suivant une harmonisation a minima tout en respectant la cohérence de notre droit interne.

Parmi les méthodes de transposition par étapes, on peut encore envisager de recourir à la loi – au droit « dur » – pour définir les seuls objectifs, puis au droit « mou » pour déterminer les moyens d’atteindre ceux-ci. Ce sont les prescriptions de la « réglementation affûtée » aujourd’hui prônée par la Commission européenne, qui constitue pour certains le droit « intelligent » qui permet d’éviter une instabilité du texte – puisque les normes techniques évoluent avec le droit « mou » – ou encore un texte trop bavard. C’est peut-être dans ce maillage des différentes textures de normativité qu’il faut désormais rechercher une gestion du flux normatif plus rationnelle.

Pour conclure, il est possible de retenir une méthode idoine de transposition des directives qui permette tout à la fois de respecter nos obligations communautaires et d’assurer la cohérence de notre ordre juridique. Néanmoins, il faut prendre conscience, avec le Professeur Jacques Chevallier, de la dimension mythique de ce « mieux transposer » et de ce « mieux légiférer ». La lutte contre les maux de notre production normative nationale ou communautaire repose en effet sur une part d’illusion, puisque la loi n’est pas seulement un instrument technique auquel on peut appliquer des méthodes rationnelles, mais aussi et surtout la traduction d’enjeux économiques, politiques et sociétaux dont il faut prendre la mesure. Que veut-on faire de la loi ? C’est une question à laquelle seul le législateur peut répondre – ce qui nécessite parfois un certain courage.

Mme Cécile Untermaier. Pour améliorer l’intelligibilité de la loi, et donc sa qualité, ne serait-il pas intéressant de publier à la suite du texte la liste des personnes auditionnées et de signaler, le cas échéant, les points de divergence majeurs ?

Par ailleurs, je suis frappée par le fait que les lois sont illisibles. Ne pourrait-on limiter les renvois à d’autres textes, afin de rendre leur lecture plus agréable ? Voyez-vous des obstacles à cette suggestion ?

En ce qui concerne la transposition, je vous rejoins sur la nécessité de la simplification. Le système de la « double corbeille », qui consiste à transposer a minima tout en se donnant le temps de mettre notre droit en cohérence, me semble intéressant à cet égard.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le rapporteur et moi-même estimons aussi que ce système de la « double corbeille » pourrait constituer une piste intéressante pour faire évoluer nos pratiques.

Je retiens par ailleurs de votre exposé, madame Deumier, qu’une plus grande exigence sur les études d’impact nous permettrait de répondre à bon nombre de nos interrogations.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Outre l’idée de préciser les délais de rédaction des décrets d’application dans l’étude d’impact, une autre option nous a été suggérée : elle consisterait à inclure dans chaque projet de loi un article additionnel disposant que la loi deviendra caduque si les décrets d’application ne sont pas publiés sous douze ou dix-huit mois.

En ce qui concerne la « double corbeille », quel est le délai entre le premier et le deuxième texte de loi ? N’y a-t-il aucun risque juridique dans l’intervalle ? D’autre part, il me semblait avoir entendu que certains pays faisaient le choix d’une seule « corbeille ». Pouvez-vous me le confirmer ?

Mme Pascale Deumier. S’agissant de l’intelligibilité de la loi, madame Untermaier, il me semble difficilement envisageable de publier la liste des personnes auditionnées à la suite du texte de la loi : cela risque de créer un doute sur la valeur juridique de ces éléments d’information, notamment au moment de l’interprétation. La pratique actuelle – à savoir la mise en ligne de tous les documents qui accompagnent le projet, notamment l’étude d’impact, sur les sites Internet des deux Assemblées – est sans doute préférable. Cette mise à disposition est indispensable : à l’heure où l’on pratique de plus en plus la transparence, il est important de savoir quels intérêts ont été entendus. Le rapport d’information de MM. Claude Goasguen et Jean Mallot sur les critères de contrôle des études d’impact relevait d’ailleurs que ces études mentionnent souvent à peine les personnes qui ont été auditionnées et les positions qu’elles ont défendues. Il convient donc de développer davantage ces éléments.

La limitation des renvois à d’autres textes figure déjà parmi les préconisations du guide de légistique. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré un article de loi au motif qu’il était trop complexe : il faisait plusieurs pages et procédait presque exclusivement par renvois. Cet article, qui concernait les niches fiscales, disposait que l’on ne pouvait dépasser un certain pourcentage d’abattement en cumulant différentes niches fiscales. Il renvoyait donc à chaque texte relatif à ces niches. Mais si l’on ne peut procéder par renvoi pour ce type de dispositions, cela signifie que l’article doit reprendre intégralement chacun des dispositifs en question – ce qui ne va pas sans poser problème.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est ici qu’un avis du Conseil d’État pourrait être intéressant. En l’état actuel des choses, nous autres parlementaires sommes obligés de faire confiance à l’exposé des motifs. Disposer de l’avis du Conseil d’État rendrait sans doute les articles du texte plus « lisibles ». Tout au moins, cela nous donnerait davantage confiance dans l’exposé des motifs.

M. le rapporteur. Je crois savoir que cette question fait l’objet d’une querelle de doctrine.

Mme Pascale Deumier. Les études d’impact sont le « point de contrôle » de tout ce qui peut être fait en matière de simplification législative. Tout ce qui vous intéresse – explications, abrogations, décrets d’application – est en effet censé y figurer. En outre, elles peuvent maintenant être contrôlées par les parlementaires. Non seulement elles permettent de « centraliser » toutes les préoccupations de qualité normative, mais elles constituent aussi un moyen de contrôle. C’est donc le point d’ancrage le plus important.

Quant à l’idée de prévoir une caducité de la loi si les décrets d’application ne sont pas publiés dans un certain délai, elle rappelle une disposition de la loi de simplification de 2011 : toutes les dispositions de loi qui attendaient leurs décrets d’application depuis plus de trois ans et pour lesquelles les ministères ont confirmé qu’ils ne les prendraient pas ont été abrogées. C’est donc la loi qui a disparu faute de décrets d’application. Du point de vue de la sécurité juridique, c’est préférable pour le citoyen ; il est en effet incompréhensible qu’un texte de loi qui a été voté ne soit pas appliqué. En revanche, cela a l’inconvénient de laisser entre les mains de l’auteur des décrets d’application le pouvoir de décider du sort de la loi.

M. le rapporteur. Il l’a déjà.

Mme Pascale Deumier. Certes. Mais tant que la loi est là, il est tout de même censé prendre les décrets d’application ; la saisine du Conseil d’État peut donc constituer un moyen de pression. Si le texte de loi disparaît, il n’y a plus de pression possible – donc plus d’obligation.

Mme la présidente Laure de La Raudière. On peut prévoir un délai dans lequel les députés ou les sénateurs pourraient saisir le Conseil d’État pour demander la publication des décrets d’application – pouvoir qu’ils utilisent très rarement. Cela rendrait la procédure complète.

Personnellement, j’ai eu du mal à faire supprimer l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) – adoptée en 2004 – dont le décret d’application n’avait pas été pris. J’ai dû négocier avec le Gouvernement pour obtenir qu’il s’en remette à la sagesse de l’Assemblée : l’administration, qui estimait que la disposition en question pourrait peut-être servir un jour, ne voulait pas la supprimer.

Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : nous devons garder le pouvoir de saisir le Conseil d’État.

Mme Célia Zolynski. En ce qui concerne la publication de la liste des personnes entendues dans le cadre de l’élaboration d’un projet de loi, nous pouvons nous inspirer du droit de l’Union européenne : la Commission européenne publie en effet sur son site Internet les résultats de ses consultations ; on retrouve là la pratique du sourcing, très en vogue dans les contributions collaboratives sur Internet, qui participe du mécanisme de la démocratie participative. On connaît aussi les risques d’instrumentalisation et de gestion statistique de ces réponses. C’est donc sous ces réserves que cet exemple peut être pris en compte.

J’en viens aux délais de transposition définitive et au mécanisme de la « double corbeille ». Il semble en effet nécessaire de recourir à une seule « corbeille » – ou une seule loi – lorsque la directive poursuit un objectif d’harmonisation maximale. Dans ce cas, aucune liberté n’est laissée aux États membres – on est presque plus proche du règlement que de la directive. On a ici tout intérêt à transposer « à plat ». La plupart des États membres ont d’ailleurs recours à cette transposition « mécanique », qui évite des « gesticulations » inutiles et une perte de temps.

En revanche, la « double corbeille » peut être fort utile lorsque la directive poursuit dans son ensemble un objectif d’harmonisation minimale – ne définissant que les objectifs à atteindre, laissant toute liberté aux États membres quant aux moyens d’y parvenir – ou lorsqu’elle est « binaire », certaines dispositions limitant strictement la liberté des Etats membres et d’autres leur laissant une grande marge de liberté. En ce cas, on pourrait commencer par transposer « à plat » toutes les dispositions d’harmonisation maximale, éventuellement en recourant aux ordonnances, puis transposer les objectifs fixés par la directive – qui s’imposent. Ceux-ci pourraient être complétés par la suite dans la deuxième « corbeille ». Cela laisserait le temps de réfléchir au meilleur moyen – seconde loi ou recours au droit « mou » – de transposer. Cela permettrait de prendre en compte les éventuelles interprétations de la Cour de justice de l’Union européenne – on pourrait même solliciter une intervention plus rapide de sa part sur ces questions d’interprétation, voire des avis sur les difficultés d’interprétation prégnantes. Cela permettrait aussi de prendre en compte les évolutions de la technique. Je pense par exemple à la transposition de la directive sur le commerce électronique – qui date de 2000 – par la loi LCEN que vous avez évoquée, madame la présidente. Les pratiques ayant beaucoup évolué depuis cette date, nous sommes en proie à de vraies difficultés. Une mise en cohérence a posteriori permettrait peut-être d’adapter les principes de la directive pour atteindre au mieux les objectifs fixés. C’est ce qu’a fait l’Allemagne avec le système de la « double corbeille ». Elle a réformé le droit d’auteur en deux temps, d’abord en transposant la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, puis en réformant le droit d’auteur. Je pourrai vous faire parvenir plus de précisions à ce sujet si vous le souhaitez.

Le risque de disparition existe bien sûr dans l’intervalle, monsieur le rapporteur. Il faut donc faire preuve d’une volonté politique forte. Mais nous devons affirmer celle-ci si nous voulons à la fois gérer le flux normatif et assurer la cohérence de notre droit interne.

M. le rapporteur. Combien transposons-nous de directives chaque année ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Beaucoup des textes que nous avons adoptés récemment – le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, le projet de loi sur la consommation – comportaient des dispositions transposant des directives.

Mme Célia Zolynski. En effet. Mais on peut aussi observer des « wagons » entiers de transposition de directives par blocs.

Mme Cécile Untermaier. Le rapporteur propose que la loi prévoie elle-même qu’elle deviendra caduque si ses décrets d’application ne sont pas pris dans un délai de douze ou dix-huit mois. Je le rejoins sur l’objectif. Néanmoins, je crains que nous ne nous tirions une balle dans le pied : dans cette hypothèse, il suffirait en effet que le Gouvernement refuse de prendre les décrets d’application pour que la loi disparaisse. À la réflexion, je pense que l’abrogation de la loi que le législateur a votée ne peut être automatique. En revanche, il faut pouvoir contraindre le pouvoir réglementaire : il n’est pas normal qu’il puisse faire obstacle à l’application de la loi. Mieux vaut donc renforcer notre pouvoir de contrainte. Pour ma part, je souhaite que les décrets d’application soient présentés avec le projet de loi.

M. le rapporteur et Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce n’est pas possible.

Mme Pascale Deumier. Dans la mesure où le texte évolue au cours de la discussion parlementaire, les décrets d’application ne peuvent être préparés avant qu’il ne soit adopté.

Mme Cécile Untermaier. Du moins pourrait-on avoir une idée de ce qui y figurera. On ne peut tout renvoyer au décret sans explication.

Mme Célia Zolynski. Lors du travail de transposition, une réflexion est justement menée dans les différents ministères et en interministériel sur les dispositions qui figureront dans la loi et sur celles qui relèveront du décret. Même si le décret n’est pas préparé dans son intégralité, l’essentiel est déjà pensé.

Mme la présidente Laure de La Raudière. L’étude d’impact peut fournir des éléments.

M. le rapporteur. Il y a des cas d’espèce. La directive européenne sur les études d’impact en matière de droit de l’urbanisme est l’exemple de ce qu’on peut faire de pire. Kafka lui-même est dépassé : on a transposé la directive en y rajoutant des dispositions ; le décret a fait de même, en laissant subsister une latitude d’interprétation aux préfets ; et maintenant, l’Union européenne souhaite la revoir ! Bref, c’est un capharnaüm. Indéniablement, il y a une réflexion à conduire sur la méthode.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous vous remercions pour cet échange très intéressant.

*

* *

La mission d’information procède enfin à l’audition de MM. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, auteurs d’Ubu loi (Fayard, mars 2008).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Sassier, monsieur Lansoy, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. La mission d’information sur la simplification législative, que je préside, se concentre davantage sur le flux normatif que sur le stock, lequel fait plus précisément l’objet de la mission confiée par ailleurs par le Président de la République à notre rapporteur, M. Thierry Mandon.

Vous vous êtes efforcés de faire prendre conscience aux politiques, aux institutions et aux citoyens de l’inflation normative qui suscite aujourd’hui de la part des derniers un rejet préjudiciable au fonctionnement de notre société.

M. Philippe Sassier. Je suis pétri d’humilité après avoir entendu les universitaires qui nous précédaient décortiquer devant vous les problèmes juridiques avec un soin d’horloger. Si le coauteur de notre livre Ubu loi, M. Dominique Lansoy, est professeur de droit à l’université, je ne suis quant à moi nullement juriste, mais journaliste économique – d’abord aux Échos, puis au Figaro, à Antenne 2 et à France 2.

C’est en m’efforçant de comprendre pourquoi et comment disparaissaient en France des activités économiques – commerces, restaurants, maraîchers, paysans, petits hôtels, artisans – et dépérissaient des produits utilisés depuis des siècles – comme les concombres et les tomates, qui se voient imposer des formes et des couleurs par les règlements de Bruxelles –, en même temps qu’éclataient les scandales du poulet à la dioxine ou de la vache folle que m’est venue l’idée de ce livre et de son titre. J’ai alors demandé à Dominique Lansoy de m’épauler dans cette recherche.

Ce livre avait une vocation quelque peu pamphlétaire et c’est dans la même veine que je vais m’exprimer devant vous.

Tout l’esprit du livre est présent déjà dans son premier chapitre, qui expose les démêlés du comte Paul de La Panouse avec les administrations à propos d’un permis de construire demandé pour son parc animalier de Thoiry, ouvert en 1968. M. de La Panouse, qui a créé de nombreux emplois permanents et saisonniers, contribuant à animer un village dans une zone située entre la grande banlieue parisienne et la campagne et donnant un élan à l’activité touristique de ce village, nous a confié qu’un tel projet ne serait plus possible aujourd’hui, compte tenu des normes, règlements, directives, lois et textes divers qui se sont accumulés depuis quarante ans. Il ne s’agit pas là d’un cas unique.

Voilà quarante ans, le président Georges Pompidou déclarait en termes un peu crus, devant l’avalanche de textes qui commençait à se déclencher : « Cessez d’emmerder les Français ! » Il n’a pas été entendu, et encore moins écouté. La machine s’est emballée et, dans tous les domaines, les lois et textes se sont multipliés, tant en France qu’en Europe.

À mesure que les pouvoirs publics et politiques se sont affaiblis et ont laissé lobbies, groupes d’intérêts, syndicats et groupuscules prendre le pouvoir, les lois se sont multipliées – on légifère parfois pour tenter de dissimuler une certaine faiblesse politique. L’inflation législative va de pair avec l’inflation fiscale et administrative. Lois, normes, règlements, décrets, interdictions, mais aussi impôts, taxes, strates administratives, nombre de fonctionnaires et d’élus – la France bat des records européens en la matière – sont les ingrédients d’un même problème : celui de la complexification d’un État de plus en plus obèse et impotent.

Peu à peu, la ve République se transforme – je pèse mes mots – en république bananière et corrompue. Il suffit pour s’en convaincre de lire les journaux ou French Corruption, un livre récent consacré à ce qui se passe autour de Paris – la complexité conduit forcément à la corruption. Nous sommes en train de découvrir que « trop de loi tue la loi », comme « trop d’impôt tue l’impôt ». Le citoyen a progressivement perdu de sa liberté, comme l’a récemment noté l’écrivain Michel Houellebecq, s’étonnant à son retour en France, après un long séjour à l’étranger, d’y trouver moins de liberté pour les citoyens qu’il n’y en avait avant son départ.

Les activités économiques aussi disparaissent peu à peu, étouffées par cette gangue législative, normative, fiscale et administrative – je crois d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que vous n’êtes pas impliqué seulement dans la simplification législative, mais aussi dans la réforme des collectivités territoriales. Il faut parcourir la France, traverser des villages et des petites villes pour saisir l’ampleur du problème. En passant de France en Allemagne, on est saisi de constater l’activité qui règne de l’autre côté de la frontière par rapport à notre pays, où la mort gagne peu à peu nos régions – comme à Lignières, petite ville du Cher où j’étais voici quelques jours et qui meurt doucement, et comme dans combien d’autres villes encore !

Les gouvernements successifs ont bien compris le mécanisme pervers qui s’est mis en route et, depuis des années, annoncent une baisse des dépenses publiques, un contrôle de la dette, une baisse des impôts, une simplification administrative et législative et, sous un nom ou sous un autre, promettent un choc de compétitivité et de simplification. Mais, s’ils ont compris ce mécanisme, ils ne le maîtrisent plus. Le dernier chapitre de notre livre, intitulé « Bavard et Pétochet », renvoie dos à dos Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin, deux premiers ministres successifs qui ont dit exactement la même chose, promettant de relancer la compétitivité et de simplifier la vie des Français et des entreprises, et qui n’ont rien fait ni l’un ni l’autre. En dix ans, la France a perdu près d’un million d’emplois industriels.

La simplification des lois doit aller de pair avec celle des impôts, des collectivités locales, des administrations, comités, commissions et directions, c’est-à-dire de l’ensemble des mécanismes permettant ou empêchant de diriger la France. Le titre d’un article paru dans le numéro d’hier du Canard enchaîné, « Hollande dans le maquis de la simplification », conviendrait aussi bien à M. Chirac ou à M. Sarkozy. Comme l’observe le Canard, les normes et les élus font de la résistance – chacun est favorable à ce que soit supprimé le canton voisin, mais pas le sien. Il y a des années qu’on parle de simplifier les strates des collectivités locales.

Cette simplification, je le redis, ne se fera pas par une diminution du nombre de textes de loi, de taxes, de fonctionnaires, de régions, de départements, de commissions ou de comités Théodule. Elle exige probablement que l’État redéfinisse son rôle par rapport aux régions et à l’Europe. Il s’agit là d’une réflexion majeure pour faire entrer la France dans une Europe qui change et dans une mondialisation qu’on n’arrêtera pas.

Einstein disait qu’il y avait trois bombes : la bombe atomique, celle de la population et celle de la pauvreté. Deux de ces bombes nous éclatent à la figure : c’est cela, la mondialisation. On peut certes la modifier, car elle est parfois allée trop loin, mais il nous faut entrer dans un monde qui compte huit milliards d’hommes, contre deux milliards au début du siècle dernier et un milliard en 1800, et où la population de la planète s’accroît chaque année de 80 millions d’hommes supplémentaires. Si nous n’y entrons pas, nous serons engloutis.

Il est présomptueux, j’en suis conscient, de vous dire que l’État doit penser à redéfinir son rôle, mais j’ai été journaliste et j’ai toujours aimé dire ou écrire ce que je ressentais. J’étais payé pour être curieux et je le suis resté : c’est la raison pour laquelle je m’exprime ainsi devant vous, sur un ton légèrement caricatural, mais aussi avec cœur et un peu de colère.

On sent bien que nous arrivons à la fin d’une époque, à la fin d’un processus, avec la recherche d’une nouvelle politique à gauche comme à droite, et pas seulement en France – il suffit de penser à la montée des régions ou à ce que nous observons au Royaume-Uni et en Espagne. Il est temps non seulement de comprendre les mécanismes, comme l’ont fait tous les présidents qui se sont succédé, mais d’agir sur eux.

Si elle s’inscrit dans un ensemble de simplifications à opérer dans tous les domaines, la simplification législative peut probablement servir de guide et de boussole à cette réflexion sur l’État. Qui fait quoi ? Qui décide quoi ? Qui tranche ? Qui est responsable ? On ne le sait plus vraiment. Le pouvoir a été balkanisé – « ventilé », « éparpillé façon puzzle » pour le dire à la manière des Tontons flingueurs. Il est à l’Élysée, car tout y remonte, mais il est aussi parfois dans les communes – les Français y tiennent beaucoup et leur désamour épargne au moins leurs maires.

Il faut cesser de légiférer sur tout et n’importe quoi, d’empiler textes nationaux et européens, de légiférer pour répondre à une émotion surgie au journal de 20 heures, pour flatter son ego en donnant son nom à une loi ou pour faire croire aux citoyens que l’on s’occupe d’eux et que l’on gouverne.

J’espère que la fin des mandats multiples, dénoncés par de nombreux experts que nous avons rencontrés comme l’une des causes de l’inflation législative et de la mauvaise qualité des lois, ainsi que de leur inutilité, permettra d’améliorer le travail législatif. Sans doute faut-il aussi, comme cela se pratique en Finlande et à l’inverse de l’antagonisme qui prévaut en France, institutionnaliser les liens et les échanges entre élus nationaux et européens.

La simplification, dans tous les sens du terme, n’est pas seulement un impératif économique, mais aussi un objectif politique majeur. La complexité et son cortège associant la dette, le déficit, le chômage, une croissance bridée et la corruption menacent non seulement la vie des citoyens et l’activité économique, mais aussi notre démocratie – car j’en ai la conviction : au même titre que la dette dénoncée par l’ancien ministre Alain Lambert dans son livre Déficits publics, la démocratie en danger, la complexité des lois est un danger pour notre démocratie, et pas seulement en France.

M. Dominique Lansoy. Lorsque M. Philippe Sassier m’a demandé si la complexité et l’excès des lois et des normes qu’il observait dans le domaine économique se faisaient aussi sentir dans les métiers du droit, je lui ai répondu qu’il en allait bien de même. Chez les praticiens du droit, les magistrats téléphonent aux universitaires, les avocats aux magistrats et les magistrats aux avocats en quête d’éclaircissements sur des lois qu’ils maîtrisent mal. C’est au point qu’en 2006, le bâtonnier de Paris, Me Yves Repiquet, a créé au sein du conseil de l’Ordre de Paris un poste d’avocat référent pour suivre l’évolution législative et normative, afin que les avocats – voire les magistrats, mais je n’ai presque pas le droit de le dire – trouvent un interlocuteur qui puisse les renseigner.

La première alerte remonte à 1991, lorsque le Conseil d’État a appelé l’attention du législateur sur le nombre des lois et, surtout, sur leur qualité. La deuxième est venue en 2006, alors que M. Renaud Denoix de Saint-Marc était vice-président du Conseil d’État, avec le rapport de Mme Josseline de Clausade, réquisitoire féroce contre l’inflation normative. La troisième alerte a été, en 2007, le rapport du Conseil d’État dont M. Jean-Marc Sauvé est le nouveau vice-président.

Les reproches formulés sont tout d’abord le nombre excessif de lois et de normes – décrets, circulaires, transcription de textes communautaires et production normative des autorités administratives indépendantes –, puis le fait que les lois soient mal écrites et bavardes, parlant de choses et d’autres, et enfin qu’elles soient inapplicables : une étude réalisée par le Sénat a montré que 24 % des lois votées dans les années 1997-1998 l’étaient totalement et 21 % partiellement, soit un total de 45 % ; pour les années 2004-2005, selon le Conseil d’État, la proportion était respectivement de 35,4 % et de 27,1 %, soit un total de 62,5 % !

Je conclurai en revenant à des principes simples. Tout d’abord, le législateur n’a pas à s’occuper de choses sans importance – c’est là un adage de droit romain : De minimis non curat praetor. Ensuite, la loi ne peut que permettre, ordonner ou interdire – pour reprendre des termes employés en 1801 par Portalis dans son Discours préliminaire du premier projet de code civil. Pour ce qui est, enfin, de la longueur des textes, je rappelle que, selon Edgar Faure, président de l’Assemblée nationale, une bonne loi devait faire une page et demie – ce qui fut du reste démenti en novembre 1968 par sa loi d’orientation de l’enseignement supérieur, qui inaugurait la série des lois d’une centaine de pages.

Mme Cécile Untermaier. Ces propos qui nous accablent ne font en même temps que renforcer notre détermination à changer les choses. Nous sommes convaincus de la nécessité d’améliorer le travail législatif et de notre capacité à y parvenir. Du reste, ce travail ne mérite tout de même pas une trop grande sévérité. La loi suit en effet la complexification du monde et nous avons déjà évoqué des orientations qui devraient nous rassurer.

Vous avez souligné à très juste titre qu’il fallait tenir compte à la fois des régions, de la France et de l’Europe, et que les députés nationaux et européens ne savaient pas travailler ensemble. Il nous faut assurément travailler en amont de la directive et de la loi française. Tout cela est cependant loin d’être hors de notre portée et il n’y a pas lieu de céder à la morosité en considérant que nous serions impuissants. Une étude d’impact très sérieuse, permettant de fonder la nécessité et l’utilité de la loi, peut contribuer à améliorer la situation.

Il faut aussi, vous avez raison, abandonner son ego en entrant à l’Assemblée nationale, car la satisfaction d’attacher son nom à une loi peut contribuer à l’inflation législative.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Messieurs, je vous remercie de votre témoignage, même dans sa vérité brutale : vous dites avec vos mots ce que nous avons lu dans Le Monde d’avant-hier sur l’accablante défiance des Français face à l’état de leur démocratie.

Les choses bougent cependant et notre modeste mission entend contribuer à ce mouvement. La volonté de réagir contre l’univers lourd et complexe que vous décrivez transcende les clivages politiques et un consensus émerge sur la nécessité de nous attaquer à l’hydre et sur le fait que nous pouvons, dans la durée, y parvenir sans que ses têtes repoussent.

Pouvez-vous préciser la source des données chiffrées que vous avez citées ?

M. Dominique Lansoy. Il s’agit des travaux du Conseil d’État et du Sénat, notamment des tableaux complémentaires des lois votées par le Sénat dans les années 1997-1998 et 2005-2006.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il devient clair, à vous entendre, que la simplification législative n’aura de sens et de portée que si elle s’étend à bien d’autres domaines. Gauche et droite travaillent conjointement depuis des années à cette tâche, mais nous n’aurons fait un bon travail que si le citoyen constate des modifications concrètes dans sa vie quotidienne. Tant que ce travail reste partiel, il revient à vider des seaux pendant que d’autres se remplissent – ou à pomper comme les Shadoks !

M. Dominique Lansoy. Vous avez des armes pour contrôler la loi, à commencer par celles que vous donnent les articles 34 et 37 de la Constitution.

On trouve parfois dans la loi des absurdités extraordinaires. M. Sassier a ainsi relevé qu’une loi sur la montagne commençait par affirmer que la loi reconnaît la montagne, formule que le Conseil constitutionnel, tout en reconnaissant son inutilité, n’avait du reste pas lieu de censurer, car elle n’était en rien inconstitutionnelle. Dans la même veine, une loi précise que la personne désireuse d’obtenir certaine autorisation doit s’adresser à l’autorité compétente et que, si cette autorité se déclare incompétente, elle devra s’adresser à l’autorité compétente…. !

Le Parlement peut restreindre ces excès. Pratiquez donc, comme nos étudiants, la contraction de texte : les choses en seront plus lumineuses.

M. Philippe Sassier. Les parlementaires doivent demander à Bruxelles de changer ses pratiques. J’espère que ce sera le cas après le mandat de M. Barroso, car l’Europe est aujourd’hui trop loin des citoyens. La première simplification devrait consister dans l’application du principe de subsidiarité. Il n’est pas normal, en effet, que les lois qui s’appliquent à l’agriculture soient les mêmes de la Sicile au Danemark et que Bruxelles décide de la courbure des concombres. Il faut clarifier des compétences respectives de l’Europe, de l’État et des régions. Pour ce qui concerne la vie des citoyens, il faut absolument, je le répète, relancer la subsidiarité.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Messieurs, je vous remercie.

Séance du jeudi 30 janvier 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. Alain Lambert, président de la commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) et auteur, avec M Jean-Claude Boulard, du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur le ministre, d’avoir accepté l’invitation de la mission d’information sur la simplification législative, que je préside et dont Thierry Mandon – par ailleurs coprésident du Conseil de la simplification voulu par le Président de la République – est le rapporteur. Plutôt qu’à la simplification du stock législatif, notre mission s’intéresse à la rationalisation du flux, c’est-à-dire aux moyens de mieux légiférer.

Nous avons commencé nos travaux par un déplacement à Bruxelles, destiné à observer les pratiques au sein de l’État belge ainsi qu’à la Commission européenne. Nous nous rendrons ensuite à Londres, puis à Berlin et La Haye. Il nous semble en effet utile de s’inspirer des travaux réalisés dans tous ces pays en matière de simplification et de rationalisation du droit.

Nous vous recevons aujourd’hui à plusieurs titres : vous êtes d’abord l’auteur, avec M. Jean-Claude Boulard, d’un rapport sur la lutte contre l’inflation normative, que vous avez remis en mars 2013 au Premier ministre, et qui a reçu un très bon accueil dans les médias et les institutions. Ensuite, vous présidez la Commission consultative d’évaluation des normes – CCEN –, appelée à évoluer prochainement en Conseil national d’évaluation des normes.

Quelles sont vos propositions en matière de simplification législative ? Quels conseils pouvez-vous nous donner sur la façon de les mettre en œuvre ?

M. Alain Lambert, président de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN). Je suis un praticien du droit depuis quarante ans puisque, d’abord juriste, j’ai été longtemps parlementaire, avant de présider la CCEN qui surveille les relations financières entre l’État et les collectivités locales. Pour autant, sur cet éternel sujet qu’est la simplification législative, vous entendrez de meilleurs experts que moi. Je ne peux que vous faire part des enseignements que j’ai tirés de mon expérience et signaler notamment certains effets pervers que celle-ci m’a permis d’identifier.

Tout d’abord, il faut insister sur le fait que la loi, en France, est avant tout d’origine gouvernementale, ce qui signifie qu’elle est élaborée par les administrations centrales. Certes, le Parlement en a également l’initiative avec ses propositions de loi, mais la plupart des textes adoptés sont des projets de loi. Quant au règlement, il a pour seule source les administrations centrales.

L’examen des projets de loi par le Parlement ne change pas fondamentalement ni la méthode de leur élaboration ni ce que l’on pourrait appeler leur « ligne rédactionnelle ». Or les administrations qui rédigent ces textes le font depuis un certain point de vue, à la fois central et élevé par rapport à ceux à qui les lois doivent s’appliquer, et marqué par le rôle qu’elles jouent dans l’organisation des pouvoirs publics. De nombreux textes sont ainsi écrits en fonction du contrôle qui sera effectué ensuite, et non pas avec l’intention d’en rendre l’application facile. Pour parler simplement, cela signifie que les lois ne sont pas élaborées pour ceux à qui elles sont destinées.

Par ailleurs, les administrations ont généralement une culture juridique très faible, pour ne pas dire indigente : l’équivalent actuel d’un DEUG de droit, pas davantage. Elles sont certes capables de rédiger des textes d’une haute technicité dans certains domaines spécialisés du droit, comme l’urbanisme ou l’environnement, mais on trouve dans leurs propositions des dispositions porteuses d’un grand risque juridique. C’est pourquoi les parlementaires auraient intérêt à vérifier d’un œil très attentif le respect des principes généraux du droit dans les textes qu’ils examinent.

Ainsi, la CCEN constate très souvent des manquements à la hiérarchie des normes. En particulier, les administrations centrales ont tendance à méconnaître les articles 34 et 37 de la Constitution qui délimitent les domaines respectifs de la loi et du règlement. Et le Parlement laisse passer certaines de ces erreurs. Il n’est sans doute pas mécontent de pouvoir ainsi pénétrer subrepticement dans le domaine du règlement afin de mieux peser sur le contenu du droit positif, mais ce n’est pas de bonne méthode : rédigée avec un luxe de détails, la loi finit par être difficile à appliquer. En outre, le rapport de la commission saisie au fond, le compte rendu des débats et les exposés des motifs des amendements sont autant de moyens, pour le Parlement, de s’assurer que son intention sera respectée par le pouvoir réglementaire.

Les grands penseurs français du droit, cités dans le monde entier – comme Montaigne, Montesquieu et Portalis – ont tous souligné la grave erreur consistant à vouloir prévoir dans la loi la diversité des situations. Le résultat d’une telle tentation est le blocage, les difficultés d’application, l’accent mis sur le bavardage au détriment des grands principes que la loi est supposée défendre.

Le législateur gagnerait donc beaucoup à lutter contre la confusion entre loi et règlement. À cet égard, je suis frappé de le voir si souvent renvoyer à des décrets en Conseil d’État. Dans un tel cas de figure, le Conseil recommande très vivement aux administrations d’inclure dans les décrets d’application la totalité du droit applicable, ce qui a pour effet d’augmenter de façon excessive la longueur des nouveaux textes et d’en rigidifier le contenu. La plupart du temps, des décrets simples suffiraient. Le Parlement serait par ailleurs fondé à réclamer à l’exécutif la transmission de ses projets de décrets d’application, afin de pouvoir mesurer l’éventuel écart entre ces derniers et les textes qu’ils concernent.

De même, le législateur aurait intérêt à vérifier la nécessité de légiférer, dans la mesure où l’usage de la loi peut être dévoyé. La loi est un acte de souveraineté et d’une certaine façon, de majesté ; elle perd beaucoup en crédibilité lorsqu’elle devient un acte de communication. Que penserait-on d’un souverain qui se montrerait bavard, inconstant, brouillon, ambigu, schizophrène, et ne traduirait jamais dans les faits les solutions qu’il propose ?

Il faut également faire la chasse aux « surtranspositions » du droit européen, et rompre avec l’idée selon laquelle la transposition pure et simple est une marque de renoncement à la souveraineté nationale. C’est au contraire un signe de lucidité, car cela évite de remettre en cause la compétitivité française par rapport à celle d’autres pays. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de me rendre à Bruxelles pour dénoncer, au nom des collectivités locales, les abus du droit européen. Souvent, dans de tels cas, on me montre les modifications effectuées à l’échelon national et on me rétorque que la France est l’un des seuls pays à juger nécessaire d’ajouter une couche juridique supplémentaire aux directives. Il serait généralement préférable de se limiter à en assurer la transposition pure et simple.

Je suggère également de bien identifier l’objectif recherché par un projet de loi. Celui-ci vise-t-il à organiser les relations entre les citoyens, entre les entreprises et les citoyens, entre les entreprises elles-mêmes, entre l’État et les collectivités territoriales ? Au fil de son examen, en effet, on tend à y introduire des finalités complémentaires – sans parler des cavaliers législatifs – au risque d’oublier l’objectif principal, et donc de lui faire perdre une partie de son efficacité.

Dans le cas où une loi paraît difficile à appliquer de façon uniforme sur l’ensemble du territoire, il serait aussi souhaitable de mettre en œuvre le principe de proportionnalité. En effet, si ce principe est contesté en France, notamment s’agissant des relations entre l’État et les collectivités territoriales, c’est parce que le premier veut conserver un monopole sur le droit régissant les secondes. Les administrations centrales n’ont jamais accepté le principe, posé il y a soixante ans, de la libre administration des collectivités territoriales. Il serait pourtant utile de prévoir, dans la loi, que les moyens d’application ne seront pas disproportionnés par rapport au but recherché.

Il convient par ailleurs d’éviter l’excessive pénalisation du droit. Si le droit pénal suffisait à faire reculer les voyous, les prisons seraient bien moins peuplées ! En réalité, son effet est surtout de pétrifier les honnêtes gens. Le risque est même de susciter des comportements d’auto-assurance – on le voit bien dans les domaines des marchés publics ou de l’environnement – pouvant se révéler pénalisants pour l’économie et pour l’initiative publique en général.

Je ne sais pas ce que les membres de cette mission d’information pensent du principe de précaution, mais pour ma part, j’estime que la décision de l’introduire dans le préambule de la Constitution a été prise un peu rapidement. Sans doute serait-il souhaitable d’affirmer de temps en temps, dans l’appareil normatif, le droit au libre choix et même le droit au risque, afin de tempérer l’application du principe de précaution lorsque l’on en attend des effets négatifs.

Dans le cas des normes aux conséquences techniques lourdes, je me demande si la loi ne pourrait pas introduire un système de rescrit comparable à ce qui existe en matière fiscale, d’autant que les arguments constitutionnels invoqués pour s’y opposer semblent peu convaincants. Beaucoup d’agents économiques apprécieraient de pouvoir faire valider leurs schémas juridiques par les administrations concernées. Cela permettrait d’éviter des procédures excessives, des délais prolongés et des surcoûts inutiles. Or seule la loi peut faire une telle proposition : il n’y a aucun espoir que les administrations en prennent l’initiative.

En ce qui concerne les études d’impact, leur sincérité serait mieux garantie si elles faisaient l’objet d’évaluations ex post. À la CCEN, nous avons en effet constaté, en réalisant de telles évaluations, qu’elles démontraient le caractère non pertinent, voir insincère des évaluations ex ante. Parler de moralisation serait excessif, mais pour discipliner la réalisation des études d’impact, il serait sans doute souhaitable de prévoir, par principe, leur évaluation ex post, quand bien même elle ne serait finalement pas systématiquement réalisée. J’ai bien conscience que l’expérience de la CCEN, qui ne traite que des relations entre l’État et les collectivités territoriales, ne correspond qu’à une toute petite partie du champ de vos travaux. Pour autant, nous sommes frappés par l’invraisemblable résistance dont font preuve les administrations centrales, qui ont voulu conserver le pouvoir que le législateur souhaitait transférer aux administrations déconcentrées ou décentralisées. Alors que depuis les années 1950, une même volonté politique est exprimée en dépit des alternances, la situation n’a pas changé à cet égard, ce qui pose un vrai problème de gouvernance. Je me réjouis de la volonté très forte manifestée par le Gouvernement dans ce domaine, mais un suivi attentif sera nécessaire pour vérifier que les administrations centrales obéissent au pouvoir politique.

Je vous suggère au passage, si vous ne l’avez pas déjà prévu, de rencontrer Mme Chavrier, professeure à l’université Panthéon-Sorbonne, une très bonne spécialiste qui a écrit des choses très intéressantes au sujet du droit pouvant être élaboré par les administrations locales. Le droit résiduel des administrations centrales à réglementer dans les nombreux domaines de compétences que l’État a transférés depuis trente ans mériterait en effet d’être mieux circonscrit. La situation actuelle, invraisemblable, a en effet des conséquences non seulement financières, mais aussi juridiques.

Enfin, dans notre pays, les administrations qui prescrivent ne payent pas le coût de leurs prescriptions. Cela peut se comprendre quand ce coût est assumé par des agents économiques privés – c’est ainsi que fonctionne l’État –, mais moins quand il l’est par d’autres administrations. Il faudrait donc introduire un principe de « prescripteur-payeur ».

Mme Cécile Untermaier. Vous dénoncez à juste titre la confusion des domaines de la loi et du règlement. Mais en refusant, depuis 1982, de sanctionner l’irrespect des articles 34 et 37 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne participe-t-il pas à cette dérive ? Ne devrait-il pas rappeler la règle ?

Il est vrai que les administrations n’ont pas une culture juridique suffisante. Je ne suis pas sûre, d’ailleurs, qu’il en aille autrement des parlementaires entourés de leurs collaborateurs, mais on pourrait difficilement le leur reprocher. Quoi qu’il en soit, nous sommes en situation de faiblesse par rapport à une administration qui dispose de plus grands moyens d’expertise. Comment faire pour éviter que la loi ne soit bureaucratique et comment s’assurer qu’elle sera adaptée aux personnes auxquelles elle doit s’appliquer ? Comment les citoyens pourraient-ils exprimer leurs observations sur une loi qui aura, ensuite, des conséquences dans leur vie quotidienne ?

M. Régis Juanico. Nous avons auditionné la semaine dernière Mme Chavrier avec laquelle nous avons évoqué l’adaptation de la norme – et en particulier des directives européennes – aux niveaux local et régional. Selon vous, il est préférable dans la plupart des cas d’opter pour une transposition pure et simple de la directive. Mais dans ce cas, comment appliquer le principe fondamental de la subsidiarité ? Quelle marge de manœuvre peut être laissée à l’échelon local pour l’application d’une directive ?

Une des préoccupations centrales de cette mission d’information est de simplifier la procédure législative. Avez-vous des suggestions à faire sur les moyens d’améliorer les études d’impact, dont la qualité, de l’avis unanime, laisse à désirer ? Comment réduire le décalage observé entre les évaluations ex ante et ex post ? En tant qu’ancien parlementaire, jugez-vous nécessaire de simplifier drastiquement la procédure législative et ses étapes – examen en commission, puis en séance plénière, navettes, etc. ?

Enfin, vous êtes, avec Didier Migaud, l’un des pères de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Avez-vous eu l’occasion d’en évaluer l’application depuis 2001 ? Quelles améliorations seraient envisageables ? Nous sommes nombreux, au sein de la commission des finances, à penser que les projets de loi de règlement – qui représentent plutôt la vérité budgétaire – occupent une place trop faible dans le débat, alors que l’on consacre entre deux et trois mois par an à la loi de finances initiale, qui ne contient pourtant que des intentions. Quant aux indicateurs de performance, ne pourraient-ils pas être améliorés ?

M. Alain Lambert. Le Gouvernement a le pouvoir, en séance publique, de s’opposer aux amendements ou propositions de loi qui ne relèvent pas du domaine de la loi. S’agissant de la séparation entre la loi et le règlement, la position du Conseil constitutionnel est donc peut-être contestable, mais elle est claire : il a estimé qu’il ne lui appartenait pas de faire une police que le Gouvernement ne fait pas lui-même.

Pour autant, à la CCEN, nous trouvons dommage qu’il soit fait si peu recours à la procédure de déclassement prévue par l’article 37 de la Constitution. Celle-ci est pourtant très simple : il suffit au Premier ministre d’envoyer au Conseil constitutionnel la liste des mots, des paragraphes ou des fragments de texte législatif qui relèvent du domaine réglementaire pour que le Conseil, dans un délai de quinze jours, en prononce le déclassement. Dans ce cas, le texte reste dans la loi, mais il n’a plus qu’une valeur réglementaire. Le législateur s’honorerait d’ailleurs à signaler de lui-même les cas dans lesquels la loi a envahi le champ du règlement. En effet, faute de déclassement, une nouvelle loi est nécessaire pour modifier le dispositif initial, ce qui est particulièrement problématique dans le cas des normes techniques, lesquelles ont par nature vocation à évoluer. Il est insensé que la volonté de tenir compte du progrès technologique puisse avoir pour conséquence une violation de la loi ! Le déclassement me semble donc la bonne voie pour procéder au « toilettage » que le Conseil constitutionnel refuse de faire. C’est en tout cas une solution souvent meilleure que celle de l’ordonnance.

En revanche, il n’est sans doute pas encore né celui qui connaît le bon moyen d’adopter des lois moins bureaucratiques et de mieux associer à son élaboration les citoyens auxquels elles doivent s’appliquer. Il me semble toutefois que le droit issu des gens simples est meilleur que celui issu de techniciens. Prenons l’exemple de l’article du 214 du code civil, rédigé en 1804, et qui dispose que les époux contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Aujourd’hui, compte tenu de l’actuelle « ligne éditoriale » du Parlement, la même disposition serait rédigée ainsi : « Les époux contribueront aux charges du mariage à proportion de la moyenne de leurs revenus des cinq dernières années, pondérés par », etc. On serait tenté d’inclure un idéal arithmétique qui n’est pas réaliste. Je le répète, les lois écrites de manière simple sont meilleures que les lois trop techniciennes. D’ailleurs, les dispositions d’ordre réglementaire sont bien souvent les moins compréhensibles. Le problème est que la situation ne serait sans doute pas meilleure si on associait plus étroitement les lobbies – d’ailleurs déjà très présents – à l’élaboration de la loi.

M. Juanico a évoqué le lien entre principe de subsidiarité et application des directives européennes. La couche juridique nationale ajoutée aux directives lors de leur transposition en droit français pourrait justement consister à dire que les moyens employés pour leur application doivent impérativement être proportionnés par rapport au but recherché. Ce serait un premier pas vers un meilleur équilibre. Le droit communautaire partage en effet avec le droit français le défaut d’être écrit de manière très technicienne, au point de ne plus laisser de place à l’application du principe de subsidiarité – qui est pourtant un de ses principes fondamentaux, au même titre que le principe de proportionnalité.

En ce qui concerne les études d’impact, je le répète : des études ex post permettront d’en améliorer la qualité.

S’agissant de la procédure parlementaire, la solution retenue lors de la réforme constitutionnelle de 2008 ne me semble pas constituer un réel progrès. Je ne suis pas certain, en effet, que l’on discute mieux d’un texte en séance publique qu’en commission. Même si le vote solennel ne peut survenir qu’en séance publique, la commission saisie au fond – le cas échéant ouverte à d’autres députés – est peut-être le meilleur lieu pour élaborer le droit.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Un tel argument va plutôt dans le sens de la révision constitutionnelle de 2008.

M. Alain Lambert. Ce qui me gêne, c’est le fait de travailler sur le texte issu des travaux de la commission plutôt que sur la version initiale du projet de loi. Le risque est qu’un conflit s’ouvre entre deux logiques : celle de l’auteur du texte initial, le pouvoir exécutif, et celle du Parlement. On peut ainsi trouver dans certains textes des contradictions consubstantielles au mode d’élaboration de la loi. Cela étant, n’étant plus parlementaire, je ne suis pas vraiment compétent pour donner un avis sur le sujet.

J’en viens au débat sur les finances publiques. Je ne vois pas pourquoi continuer à consacrer trois semaines au projet de loi de finances, alors que pas une virgule n’y est changée. Cela n’a aucun sens ! En outre, il ne suffit pas de discuter des finances de l’État : le budget, les finances de la sécurité sociale et celles des collectivités territoriales devraient être examinés en même temps. Il faudrait y consacrer trois jours, contre trois semaines à la loi de règlement. En ce qui concerne les indicateurs, les auteurs de la LOLF n’ont jamais recommandé d’en avoir autant que ceux qui ont été inventés par Bercy. Il faut en diviser le nombre par dix, en ne gardant que les plus robustes, ceux à même de procurer une véritable information au Parlement. Plus généralement, la doctrine d’application de la LOLF doit être revue et simplifiée de manière substantielle.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je trouve, à l’usage, que le fait de discuter en séance du texte adopté par la commission est plutôt un gage d’efficacité. En outre, pousser jusqu’au bout votre raisonnement – l’examen d’un texte doit respecter la logique de celui qui le produit –, reviendrait à supprimer le Sénat et à opter pour un régime monocaméral…

Vous avez évoqué la nécessité de tempérer l’application du principe de précaution. Mais comment faire ? Faut-il le supprimer de la Constitution, ou au contraire inscrire dans celle-ci un autre principe pour faire équilibre ? On observe en tout état de cause que son existence conduit le législateur à se montrer extrêmement précautionneux, y compris s’agissant des normes techniques.

Par ailleurs, comment mettre en place le principe de proportionnalité tout en respectant la Constitution ?

M. Thierry Mandon, rapporteur. Les études d’impact, bonnes ou mauvaises, sont produites par ceux qui présentent les textes et qui ont un intérêt à leur adoption. Or, au-delà même de la qualité de ces études, c’est leur profondeur qui laisse à désirer : c’est pratiquement un problème d’ordre épistémologique.

De leur côté, les propositions de loi ne font pas l’objet d’études d’impact, pas plus d’ailleurs que les « gros » amendements, ceux d’une importance significative, même si cette importance est difficile à évaluer. Je pense à l’amendement « pigeons », sur un sujet qui a perturbé pendant un an l’élaboration du projet de loi sur le commerce et l’artisanat. Le Parlement ne devrait-il pas, dans un futur proche, se doter de ses propres moyens d’analyse et d’expertise afin de produire ses propres études d’impact ?

Par ailleurs, le Gouvernement demande systématiquement l’avis du Conseil d’État sur les textes qu’il élabore. Or nous n’avons pas connaissance du contenu de ces avis autrement que par des fuites dans la presse. Si nous voulons améliorer la qualité de la loi, ne serait-il pas utile que le Parlement en soit également destinataire ?

Enfin, il serait peut-être intéressant, à l’instar de ce qui est pratiqué dans certaines collectivités locales au moment du vote du budget, d’organiser, préalablement à l’examen d’un texte, un débat d’orientation autour de l’étude d’impact, qui permettrait de s’exprimer sur les questions de fond et de faire apparaître les divergences politiques, de façon à réserver la suite du débat au travail proprement législatif.

M. Alain Lambert. En ce qui concerne le principe de précaution, le Conseil constitutionnel n’a jamais vraiment cherché à vérifier son respect dans les textes adoptés depuis son inscription dans le préambule de notre Constitution. Et c’est fort sage de sa part, car il en est du principe de précaution comme du quinquennat : il me paraît difficile de revenir en arrière sans que le débat s’enlise. Je cite le quinquennat parce que je crois que son adoption, ainsi que l’inversion du calendrier électoral, a entraîné une modification de nos institutions – exposition du Président de la République, diminution du rôle du Premier ministre – d’une ampleur que l’on n’avait sans doute pas mesurée lorsque la décision a été prise. Il paraît cependant politiquement difficile de corriger cette évolution.

Il en est de même s’agissant du principe de précaution : il serait sans doute sage, d’un point de vue juridique, d’en supprimer la mention dans le préambule de la Constitution, mais cela ne serait guère commode. Toutefois, dans la mesure où le Conseil constitutionnel ne consacre pas son énergie à le défendre, il me paraît possible d’adopter des dispositions qui, sans se dire explicitement contraires au principe de précaution, pourraient cantonner celui-ci dans un périmètre le plus étroit possible.

S’agissant du principe de proportionnalité, le Conseil constitutionnel – comme d’ailleurs le Conseil d’État – a clairement affirmé la possibilité de l’introduire dans la loi chaque fois qu’il peut en faciliter l’application. Ce qui n’est pas possible, c’est, par exemple, au détour d’une loi organique, d’affirmer que ce principe s’applique à l’ensemble du droit. Il peut intervenir dans différents domaines juridiques tels que le droit du travail – et bien sûr le droit pénal –, mais pas en droit administratif : c’est ainsi que les administrations se sont protégées.

Il en va des études d’impact comme de toutes les pratiques nouvelles : c’est avec le temps que l’on parviendra à les améliorer. À nouveau, je me fonde sur l’expérience concrète de la CCEN : à chaque fois que nous avons annoncé notre volonté de réaliser une évaluation ex post, nous avons constaté une transformation substantielle des études d’impact, car leurs auteurs ont considéré que leur crédibilité était engagée.

Une question plus profonde est celle du déséquilibre des moyens d’expertise du Parlement par rapport à ceux de l’exécutif. C’est une des grandes faiblesses des institutions de notre pays, liée à son histoire centralisée : les moyens d’expertise de l’exécutif sont totalement disproportionnés par rapport à l’usage qu’il en fait, tandis que ceux du Parlement sont plutôt faibles. Il faudrait optimiser les ressources humaines de la puissance publique, par exemple en ayant recours aux corps d’inspection, qui sont d’une grande qualité et exclusivement au service de l’exécutif. Grâce à un système de mobilité, on pourrait mettre à la disposition du Parlement un corps d’expertise, sinon d’inspection, constitué de ces inspecteurs – dont certains s’ennuient beaucoup. Dans une démocratie qui se veut équilibrée, où les pouvoirs exécutif et législatif sont supposés jouer chacun leur rôle, mais pas se conduire en ennemis, une juste répartition des moyens d’expertise constituerait un progrès.

S’agissant des amendements dits « substantiels », il n’y a pas d’autre solution que de laisser à la commission saisie au fond le soin de les apprécier. En tant que rapporteur général du budget ou président de la Commission des finances, j’ai parfois vu arriver des amendements, préparés par l’exécutif mais parfois présentés par des parlementaires, qui tendaient à changer dans des proportions inquiétantes l’organisation d’un régime fiscal. C’est en effet un sujet majeur, mais seule la commission saisie au fond aurait la légitimité pour apprécier le caractère substantiel d’un amendement.

Quitte à être à nouveau politiquement incorrect, je trouve inadmissible que les avis du Conseil d’État ne soient pas transmis au Parlement. Ou alors, il faut que le pouvoir législatif dispose de son propre conseil : un conseil s’opposerait à l’autre ! Une démocratie ne peut se satisfaire d’un déséquilibre de cette nature, d’autant que le conseil de l’exécutif est aussi une juridiction. De même, la question de la création d’un conseil pour les collectivités territoriales va finir par se poser, car c’est souvent en se prévalant d’un avis du Conseil d’État que l’exécutif leur impose des dispositions réglementaires. Et quand nous réclamons cet avis, le Gouvernement nous répond qu’il n’a pas le droit de le transmettre. Cela ne peut plus durer ! Tout se passe comme si le Parlement devait légiférer en fonction d’un avis auquel il n’a pas accès. Et s’agissant du droit réglementaire, c’est la même institution qui conseille l’exécutif et qui, dans sa formation juridictionnelle, se prononce sur la conformité des dispositions à la Constitution. Tout cela relève d’une démocratie approximative.

S’agissant du débat d’orientation suggéré par M. Mandon, un meilleur usage de la discussion générale pourrait être envisagé. Celle-ci est en effet un moment plutôt baroque – du moins elle l’était avant que je quitte le Parlement – : c’est une succession de discours, mais certainement pas une discussion. Elle devrait pourtant être l’occasion d’échanger sur les aspects les plus délicats d’un texte, afin que la discussion sur les articles soit une réelle discussion législative. La première phase serait plus politique, la seconde plus technique. Il faut donc améliorer la qualité de la discussion générale, quitte à réduire les temps de parole de chacun.

M. le rapporteur. Au fond, la vraie discussion générale a lieu lors des explications de vote : c’est, avec peut-être les motions de procédure, le seul véritable moment où un débat politique élevé a lieu sur les enjeux d’un texte. Mais la discussion générale, y compris sur des projets ou propositions de loi importants, n’est qu’une succession de monologues : chacun est concentré sur ce qu’il va dire, et non sur ce que dit l’orateur. Et en commission, le temps manque pour avoir un véritable débat politique.

Mme la présidente Laure de La Raudière. S’agissant des amendements qui tendent à modifier structurellement un texte, la difficulté à en analyser les enjeux est d’autant plus grande que le Gouvernement, comme il en a le droit, les dépose parfois au dernier moment. Cette faculté qui lui est octroyée a-t-elle un sens ? Pour ma part, elle m’a toujours choquée.

M. Régis Juanico. Que pensez-vous, par ailleurs, de la suggestion de Thierry Mandon de renforcer les moyens d’expertise dévolus au Parlement, et aux parlementaires eux-mêmes, pour assurer la qualité du travail d’élaboration de la loi ainsi que celle du suivi et du contrôle de son application ?

M. Alain Lambert. Soyons francs, madame la présidente : le fait majoritaire, sous la Ve République, n’entraîne pas pour le Parlement une obligation d’adopter tous les amendements du Gouvernement. C’est tout de même une curieuse démocratie que la nôtre, où il est jugé déloyal, de la part d’un parlementaire de la majorité, de rejeter un amendement du Gouvernement, quand bien même celui-ci serait non pas le fruit d’une véritable intention politique, mais la traduction de la volonté des administrations centrales, motivées par des questions techniques qui ne concernent qu’elles. Pourquoi chercher des solutions compliquées alors qu’il suffirait à la majorité de ne pas voter ces amendements ? Le fait majoritaire est consubstantiel à la Ve République. Mais quand on y ajoute l’institution du quinquennat et l’inversion du calendrier, c’est finalement l’existence même du Parlement qui est en jeu.

M. le rapporteur. C’est justement la limite de votre raisonnement : nous ne sommes plus sous la Ve République, mais sous la Ve et demie ! Les députés de la majorité sont élus sous la photo du Président de la République ; leur légitimité finit par ne procéder que de lui, ce qui entrave leur capacité politique. Cela changera peut-être un jour mais aujourd’hui c’est ainsi.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le problème du groupe majoritaire, c’est que, face à un amendement déposé au dernier moment, il n’a pas le temps d’en analyser le contenu et d’organiser sa réponse afin, le cas échéant, de négocier le retrait de certaines dispositions ou l’adoption de sous-amendements.

M. Alain Lambert. Le rapporteur a raison de souligner que la Ve République que nous connaissons a perdu une grande partie de son esprit originel.

J’ai souvent eu l’occasion de réfléchir au problème posé par les amendements déposés à la dernière minute. J’ai même déjà vu des amendements apportés tellement à la dernière minute par un fonctionnaire que cela revenait à refuser au ministre que j’étais de le lire avant qu’il soit appelé. En effet, dans certains ministères, les directions générales ne se parlent pas. Ainsi, lorsqu’un amendement est proposé par la direction du Trésor, ses auteurs peuvent craindre que le ministre du Budget y voie une conséquence budgétaire et soit tenté de ne le défendre que mollement. C’est pourquoi ils ne le transmettent qu’au dernier moment, ne laissant au ministre que la possibilité de le présenter sans l’avoir lu auparavant. Il m’est d’ailleurs arrivé, dans une telle circonstance, de souffler au rapporteur de ne surtout pas adopter l’amendement en question, ou du moins de demander la réserve de l’article concerné. Si l’on veut éviter de voter contre une proposition du Gouvernement, il faut utiliser toutes les ressources de la procédure pour discipliner la relation de séance entre le Gouvernement et le Parlement et montrer que les parlementaires ne sont pas des greffiers chargés de ratifier les décisions des administrations centrales. Précisons par ailleurs que le dépôt d’un amendement à la dernière minute peut aussi être, pour le Gouvernement, un moyen d’éviter l’examen par le Conseil d’État. Quoi qu’il en soit, l’important, pour la commission saisie au fond, est de prévoir le temps nécessaire pour la discussion avec le Gouvernement – y compris, le cas échéant, en ayant recours aux suspensions de séance.

S’agissant des moyens accordés au Parlement, la solution consistant à lui consacrer une partie des ressources humaines disponibles dans les inspections générales me paraît bonne. En revanche, il serait sans doute moins productif d’allouer à chaque parlementaire des moyens supplémentaires, en raison de l’engagement inégal de ces élus au service de l’élaboration de la loi. Il serait préférable de réserver ces moyens aux commissions.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur Lambert.

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La mission d’information procède ensuite à l’audition de M. Bruno Dondero, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous sommes très heureux de vous accueillir, monsieur Dondero, dans le cadre de notre mission d’information dont l’objet est la simplification législative, tant sur le plan de la procédure législative que sur celui des normes. Notre travail est donc plutôt axé sur le flux normatif, alors que le Conseil de la simplification pour les entreprises, installé par le Président de la République et coprésidé par notre rapporteur, M. Thierry Mandon, s’intéressera davantage au stock des lois existantes.

Nous avons commencé nos travaux par un déplacement à l’étranger, en Belgique. Nous nous rendrons à Londres la semaine prochaine, à Berlin la semaine suivante et à La Haye à la fin du mois de mars. Certains pays ont déjà conduit des travaux de rationalisation du flux normatif, nous allons donc étudier leurs expériences. Nous avons également procédé à des auditions d’universitaires qui se sont intéressés au sujet qui nous préoccupe.

Professeur à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, vous avez consacré un certain nombre d’articles à l’impact qu’ont sur le droit des sociétés des lois de simplification telles celle du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives ou celle du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, n’hésitant pas à parler à ce propos de « trouble de la vision normative » ou de « réformite ».

M. Bruno Dondero, professeur de droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Je vous remercie de l’honneur que vous me faites en m’invitant à exposer devant vous ma vision de la simplification législative. C’est en tant que spécialiste du droit des affaires, et non de la simplification législative en tant que telle – si tant est qu’on peut être un spécialiste dans un tel domaine – que je m’exprimerai.

Ce qui m’intéresse, c’est l’impact de la loi, et plus généralement du droit, sur la vie des entreprises. On se propose ordinairement de simplifier le cadre réglementaire d’une entreprise. Or l’impact du droit sur la vie d’une entreprise ne se réduit pas à cela. En effet, les relations que l’entreprise entretient avec d’autres acteurs, ses salariés, ses associés ou ses actionnaires, si elle en a, ses fournisseurs, ses clients et beaucoup d’autres acteurs privés présentent un aspect juridique, souvent contractuel. Chacune de ces relations peut en effet être souvent formalisée sous la forme d’un contrat : contrat de travail, contrat de vente, contrat de fourniture, contrat de société. Chacune a ses spécificités. On peut, certes, tenter de simplifier autant que possible la loi applicable à chacune, mais cette tentative trouvera ses limites : il y a un degré de complexité inévitable, sauf à faire preuve d’un « simplisme juridique ».

En outre, ces relations ne relèvent pas seulement d’un cadre purement législatif ou réglementaire : la jurisprudence est une source importante du droit applicable aux entreprises, qu’il s’agisse de leurs relations avec leurs salariés ou de celles qu’elles entretiennent avec leurs clients, notamment les consommateurs, avec leurs associés ou leurs fournisseurs. S’il est toujours possible de simplifier les textes, que fait-on de la jurisprudence ? En outre, simplifier les textes revient à accroître l’importance de la jurisprudence, avec tous les risques que cela comporte. Il ne s’agit pas de mettre en cause l’intervention des juges, qui font un travail très sérieux dans la très grande majorité des cas et dont l’apport est incontestable. Reste que la jurisprudence pose problème en tant que source du droit qui n’en est pas officiellement une. Elle est difficile à connaître, en raison du nombre considérable de décisions et parce que la règle du précédent ne s’applique pas dans notre droit. À quoi bon simplifier la loi, si la complexité est renvoyée à la jurisprudence ou à d’autres créateurs de normes, tels que les autorités administratives indépendantes ?

Il faudrait d’abord s’interroger sur les raisons de la complexité et de l’instabilité de notre droit. Les facteurs sont multiples : l’influence du droit européen et du droit dérivé, qui n’existait pas autrefois ; le rôle important de la jurisprudence, dont le législateur doit tenir compte ; l’essor de la technique ou encore la volonté de protéger le consommateur. Tout cela explique que la loi française soit aujourd’hui compliquée. En voici un exemple, tiré de l’article L. 225-44 du code de commerce et concernant la rémunération des administrateurs des sociétés anonymes : « Sous réserve des articles L. 225-21-1, L. 225-22, L. 225-23, L. 225-27 et L. 225-27-1, les administrateurs ne peuvent recevoir de la société aucune rémunération, permanente ou non, autre que celle prévue aux articles L. 225-45, L.225-46, L.225-47 et L.225-53. ». Pour lire un texte, il faut avoir ses dix doigts mobilisés car il renvoie à neuf articles différents, et si on veut le lire, il faut avoir plusieurs pages du code du commerce sous les yeux. « Toute clause statutaire contraire est réputée non écrite et toute décision contraire est nulle ». La sanction, au moins, est claire.

Peut-on réduire la complexité de la loi, qu’il s’agisse des textes existants ou des lois futures ? On a certes tenté de le faire, notamment par les dernières grandes lois de simplification. Le problème, c’est que ces textes sont très difficiles à suivre. Ainsi, la loi de simplification du 22 mars 2012, dite loi « Warsmann IV », est terrible pour les praticiens du droit – et je ne parle même pas des entreprises ! –, auxquels il m’arrive de la présenter lors de formations. Une bonne partie de ces grands véhicules législatifs ne relève pas de la simplification. Il s’agit en réalité de lois « fourre-tout » qui, à côté de mesures dont l’objectif est bien de simplifier – dans cette dernière loi, les dispositions les plus « simplificatrices » étaient celles qui permettaient aux PME de déroger à certaines règles –, comprennent des dispositions qui n’ont rien à voir avec la simplification. Dans la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises se trouvent ainsi des dispositions sur les conventions réglementées ou la cession de parts sociales.

Surtout, ces deux textes introduisent de très nombreuses modifications ponctuelles dans le droit des affaires, ce qui est particulièrement dangereux. Il m’a ainsi fallu plusieurs après-midi de travail pour prendre connaissance de toutes les modifications introduites par la dernière « loi Warsmann », et alors que je me suis limité à mon domaine d’étude. Par exemple, l’article 17 de cette loi est ainsi rédigé : « Le chapitre III du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifié : 1° L’article L. 223-26 est ainsi modifié : a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : “ Si l’assemblée des associés n’a pas été réunie dans ce délai, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal compétent statuant en référé afin d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, aux gérants de convoquer cette assemblée ou de désigner un mandataire pour y procéder. ; b) Au début du deuxième alinéa, les mots : “ À cette fin, ” sont supprimés ; 2° A la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 223-27, le mot : “ quart ” est remplacé, deux fois, par le mot : “ dixième ”. » Il est possible qu’une telle mesure simplifie quelque chose, mais est-ce pour autant de la simplification ? En tout état de cause, les lois de simplification changent l’état du droit, ce qui est en soi une complexité supplémentaire. Qu’on soit juge ou justiciable, il faudra, par exemple, déterminer la date de début d’application de la nouvelle règle.

Des discours extrêmes, notamment en provenance de certains chefs d’entreprise, pourraient laisser penser que les entreprises pourraient se passer de droit. Or, si on peut comprendre toute la contrainte que le droit représente pour une entreprise, il ne faut pas considérer qu’il est possible de s’en passer. Le fait qu’il est aujourd’hui très facile d’accéder aux textes de loi, et même à l’essentiel de la jurisprudence – en trois clics sur un site tel que Légifrance, vous avez accès à n’importe quel arrêt de la Cour de cassation – nourrit l’illusion que la loi devrait être très simple. Il ne faut pas confondre accessibilité et simplicité. Notre droit est composé de strates multiples : lois, règlements, décisions des autorités administratives indépendantes, jurisprudence. Si on est trop simple, on risque d’être injuste et un texte d’un format très court – est parfois évoquée la « bonne loi » qui serait d’une page et demie – peut renvoyer la complexité à d’autres.

Le principe du « one in, one out » – toute création d’une norme nouvelle doit s’accompagner de la suppression d’une norme existante – peut être intéressant si cela signifie que toute nouvelle contrainte pour les entreprises doit être compensée par la suppression d’une contrainte existante. Si cela signifie, en revanche, que l’on ne doit pas adopter une loi sans en supprimer une autre, cela laisse penser qu’un flux normatif continu laisse survivre des textes anciens, alors que souvent la loi nouvelle abroge, expressément ou implicitement, la loi ancienne. Il est vrai, en revanche, que dans certaines hypothèses, loi nouvelle et loi ancienne peuvent coexister pendant un certain temps : lorsqu’une loi nouvelle entre en vigueur, les contrats conclus sous l’empire de la loi ancienne restent régis par cette dernière.

S’il faut certes s’attacher à simplifier et stabiliser le droit des affaires, il faut rester conscient que son caractère complexe et changeant est le reflet inévitable de la complexité et de l’instabilité de la réalité qu’il doit appréhender. Le droit des procédures collectives, ou droit des faillites, par exemple, est terriblement complexe et changeant. Ces dispositions, réunies dans le livre VI du code de commerce, sont en très grand nombre et l’évolution jurisprudentielle est permanente. On pourrait imaginer réduire l’ensemble de ces textes à une dizaine d’articles posant des règles de principe – par exemple, le principe qu’une entreprise en difficulté peut, dans certains cas, bénéficier d’un moratoire pour ses créances. Mais ce serait alors au juge de répondre aux questions qui n’auraient pas trouvé de réponse dans la loi – Quelles difficultés justifient l’application d’un moratoire ? Tous les créanciers doivent-ils être traités de la même façon, ou les salariés ont-ils droit à un traitement particulier ? Certaines créances, telles les créances fiscales, ne devraient-elles pas relever d’un statut particulier ? Que se passe-t-il si un repreneur se manifeste ? Le tribunal a-t-il son mot à dire ? – recréant ainsi un dispositif pour aider les entreprises en difficulté. C’est ainsi qu’en voulant réduire la complexité, on risque de compliquer encore les choses.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les chefs d’entreprise se plaignent souvent de l’extrême complexité de certaines procédures et du fait que certaines de leurs décisions soient ainsi remises en cause pour des raisons de pure forme. Avez-vous des pistes de solution dans ce domaine précis ?

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que les lois de simplification sont souvent les moins lisibles. La loi modifiant l’article d’un code ne devrait-elle pas comporter le texte du nouvel article redigé dans son intégralité ?

Comment faire pour que la loi ne soit pas encombrée de dispositions de nature réglementaire, le Conseil constitutionnel ne se prononçant pas sur ce point ? Une loi devrait se limiter à énoncer des principes et renvoyer au décret les cas particuliers.

M. Régis Juanico. Vous avez mis en évidence la grande complexité du droit des entreprises, notamment en raison du droit européen. Face à cette complexité, les entreprises ne sont pas égales : alors que les plus grandes disposent de conseillers juridiques ou de directions des ressources humaines, les PME et les TPE de nos territoires sont désarmées. Comment permettre à nos petites entreprises d’affronter cette complexité juridique ?

M. Thierry Mandon, rapporteur. Vous nous avez expliqué que simplifier, c’était compliqué, et les résultats modestes de toutes les tentatives de simplification qui se sont succédé depuis des décennies vous donnent raison. Je suis persuadé cependant que, fort de votre expérience, vous n’auriez aucun mal à nous proposer une dizaine de simplifications utiles aux entreprises.

Outre qu’elle est source d’inégalités entre les entreprises, la complexité de notre droit pose un problème de compétitivité : un droit illisible et complexe génère de la lenteur et de l’insécurité juridique, alors que les investisseurs ont besoin de rapidité et de sécurité juridique. Il y a donc un réel enjeu économique derrière ces questions.

Vous n’avez pas évoqué la question des contradictions qui peuvent exister entre la loi et les décrets d’application. Est-ce un problème que vous rencontrez souvent dans votre champ d’étude ?

M. Bruno Dondero. On peut en effet juger notre droit excessivement formaliste, madame la présidente. La question de la forme peut cependant être essentielle, en droit des contrats par exemple. Il me semble que les problèmes que vous évoquez sont plutôt liés aux relations avec l’administration, qui, pour caricaturer, refuse trop souvent d’accueillir les demandes des entreprises présentant des irrégularités formelles. Il faudrait, tout en respectant le principe d’égalité, que la collaboration de l’administration soit le principe et que celle-ci facilite, au contraire, les démarches des entreprises.

Il est vrai, madame Untermaier, que le simple renvoi à l’article modifié rend la loi assez peu lisible pour le justiciable ordinaire. Un avocat peut prendre le temps de se référer au texte ancien, mais c’est plus difficile pour le chef d’une PME ou d’une TPE.

Cela pose un question plus générale : comment être informé de la nouvelle norme ? Certes, il y a le Journal officiel, mais je ne suis pas certain qu’un chef d’entreprise puisse comme moi consulter tous les matins le sommaire du JO. Et je ne parle là que des textes de loi, des ordonnances et des décrets ou des arrêtés. Comment ce dirigeant pourra-t-il prendre connaissance des décisions jurisprudentielles qui modifient substantiellement l’environnement juridique de son entreprise ? Il faudrait trouver les moyens de faire connaître les nouvelles normes aux intéressés. Un chef d’entreprise ne peut pas suivre toute la littérature juridique et même les avocats sont submergés par la multiplication des normes. Il faut communiquer sur l’état du droit et sur son évolution.

M. Régis Juanico. Faudrait-il intégrer dans les études d’impact un volet consacré à l’applicabilité de la loi aux entreprises de toutes dimensions, jusqu’à la plus petite, notamment le temps administratif que sa mise en œuvre induit ?

M. Bruno Dondero. Nul n’étant censé ignorer la loi, chacun est présumé connaître la loi qui lui est applicable. Il serait néanmoins utile de prévoir des mesures de pédagogie pour accompagner la loi nouvelle. Cela a d’ailleurs été fait pour certaines réformes importantes. Même pour un praticien du droit, une loi de portée générale comme la loi « Warsmann » fourmille de chausse-trapes susceptibles d’engager sa responsabilité civile et professionnelle par ignorance des innombrables modifications de détail introduites par ce texte.

La question de la répartition des compétences entre loi et règlement ou celle de la contradiction éventuelle entre la loi et le décret d’application ne sont pas des problématiques fondamentales dans mon domaine. Il est vrai qu’en droit des affaires, beaucoup de normes techniques sont définies par la loi, alors qu’elles relèvent plutôt du décret. Ainsi, en matière d’organisation des entreprises ou des relations qu’elles entretiennent avec les autres acteurs, la loi a tendance à descendre jusqu’aux détails les plus techniques et les plus pointus. Je ne sais s’il faut l’attribuer à un manque de confiance dans l’autorité réglementaire ou à la volonté de maîtriser tout le processus.

On peut s’étonner, à l’inverse, que le législateur, qui n’hésite pas à prendre à bras-le-corps les sujets les plus techniques, envisage de déléguer sa compétence au pouvoir réglementaire s’agissant de réformes de fond qui mériteraient de longs débats et une certaine publicité. Je pense notamment à la proposition de réforme par ordonnance du droit des contrats, dont on parle depuis longtemps et qui concerne de nombreux domaines.

La codification est certes censée favoriser la simplification, mais on aboutit à des codes de dimension éléphantesque, tels que le code du travail, le code de l’environnement ou le code monétaire et financier, et finalement on retrouve la complexité à laquelle on voulait échapper. À l’inverse, il existe à côté de « microcodes » consacrés, par exemple, à la déontologie de tel ou tel métier.

Le droit européen est évidemment un facteur de complexité. Il est incontestable que les PME-TPE ne sont pas équipées pour suivre l’évolution du droit dérivé et sont incapables d’anticiper les changements de législation. On peut cependant prévoir des aménagements spécifiques pour ces entreprises, dans la mesure où le droit européen le permet.

Vous me demandez, monsieur le rapporteur, des propositions de simplification. Tout juriste a rencontré des dispositions qu’il a jugées inutilement complexes ou obscures, et j’ai en effet beaucoup d’idées en la matière. Mais un autre juriste pourrait juger que mes propositions lèsent tel intérêt ou telle catégorie de citoyens. En réalité, la question n’est pas que technique : elle est aussi politique.

Je suis par ailleurs tout autant que vous sensible à la question de la compétitivité du droit. Il est vrai que notre droit des contrats, par exemple, est peu lisible pour des investisseurs étrangers : il relève de textes anciens, et la jurisprudence y joue un grand rôle. Il vaudrait mieux disposer d’un droit immédiatement accessible et lisible. Il faudrait notamment que la loi intègre régulièrement l’acquis jurisprudentiel, ce qui n’a pratiquement jamais été fait dans cette matière. Il ne faut pas nier cependant la nécessité de la jurisprudence, surtout quand le texte de la loi est simple.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne faudrait-il pas améliorer le processus d’évaluation de la loi trois ou quatre ans après son adoption plutôt que de multiplier les dérogations dans des lois de simplification touchant à de nombreux domaines ? Cette évaluation peut être délicate, pour des raisons politiques, quand il y a alternance. Mais, au-delà des enjeux liés aux changements de majorité, qu’en pensez-vous ?

M. Bruno Dondero. Il serait en effet intéressant de vérifier si la loi est effectivement appliquée. Les petites entreprises contreviennent systématiquement à certaines dispositions législatives parce qu’elles sont trop difficiles à appliquer. J’ai conscience de ce qu’il peut y avoir de choquant dans le principe d’évaluer l’application réelle de la loi, mais il est incontestable que certaines lois sont inapplicables. Il faudrait évaluer l’applicabilité d’une loi, non seulement en amont, au stade de l’étude d’impact, mais également a posteriori, à condition de distinguer soigneusement le refus d’application pour des motifs politiques de celui qui découle de raisons techniques.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Une telle évaluation des dispositifs votés, au regard notamment de la jurisprudence à laquelle ils conduisent, serait à bien distinguer d’une évaluation de politique publique. Elle pourrait être confiée soit à l’auteur de l’étude d’impact, soit aux parlementaires.

M. Régis Juanico. Il faudrait également la distinguer du suivi des décrets d’application, déjà effectué par les parlementaires. Il faudrait un suivi supplémentaire, avec plus de recul par rapport à la date d’adoption de la loi, pour observer comme « vit » la loi adoptée.

Mme Cécile Untermaier. On pourrait imaginer confier ce soin au rapporteur de la loi, qui s’est particulièrement investi dans le travail législatif.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie, monsieur le professeur, pour cette audition intéressante.

M. Bruno Dondero. Ces questions d’application de la loi sont essentielles pour les professeurs de droit.

Séance du mercredi 19 février 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le Secrétaire général, monsieur le Directeur, les travaux de notre mission d’information visent davantage une rationalisation du flux normatif que la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement, en étroite collaboration avec M. Thierry Mandon, dans le cadre du conseil de la simplification.

Cette mission de l’Assemblée nationale sur le « mieux légiférer », voulue par le président Bartolone, réfléchit aux moyens de provoquer un « changement de culture normative » en s’inspirant notamment des exemples étrangers.

Nous nous sommes rendus la semaine dernière à Berlin, où nous avons rencontré le ministre chargé de la simplification, M. Helge Braun, ainsi que des représentants du conseil de contrôle des normes (NKR).

La semaine précédente, nous nous étions entretenus à Londres avec le président du comité indépendant chargé de contrôler la qualité des études d’impact – Regulatory Policy Committee (RPC) – ainsi qu’avec des représentants du Better Regulation Executive (BRE).

Le mois dernier, nous avons effectué un déplacement à Bruxelles pour y rencontrer notamment des représentants de l’Agence de la simplification administrative belge et du bureau de la Commission européenne chargé d’évaluer la qualité des études d’impact.

Ces exemples étrangers nourrissent notre réflexion sur l’importance d’une évaluation ex ante objective et indépendante et d’une évaluation ex post méthodique. À l’heure actuelle, en effet, si la Cour des comptes évalue les politiques publiques et si l’Assemblée nationale contrôle la mise en application des lois, il n’est procédé à aucune évaluation des lois votées.

À cet égard, votre point de vue, monsieur le Secrétaire général, nous intéresse au plus haut point car vous jouez un rôle clé dans la production des études d’impact qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et l’entrée en vigueur de la loi organique du 15 avril 2009, doivent obligatoirement accompagner les projets de loi déposés sur le bureau des assemblées. Nous serions heureux de connaître le regard que vous portez, avec le recul, sur le processus d’élaboration des études d’impact mis en œuvre depuis bientôt cinq ans. N’hésitez pas non plus à nous donner votre point de vue sur la qualité moyenne de celles-ci.

Nous souhaiterions également que vous nous présentiez le rôle que vous pouvez jouer en matière de gestion du « flux réglementaire », en particulier depuis qu’a été mis en place, le 1er septembre 2013, le principe du « one in, one out» pour les textes de nature réglementaire, conformément à la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation. Quelles mesures avez-vous prises à cette fin ?

Pourriez-vous, par ailleurs, nous donner votre analyse des conditions d’application des lois, tant sur l’adoption des décrets d’application que sur leur évaluation ex post ?

Enfin, nous serions heureux de recueillir votre point de vue sur certains aspects de la procédure d’élaboration des normes, en particulier sur la méthode de transposition des directives européennes.

Je vous laisse donc la parole, monsieur le Secrétaire général, pour un exposé liminaire d’une quinzaine de minutes, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.

M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement. Vaste programme ! Je porte sur ces sujets une appréciation de clinicien ou de médecin de campagne et n’ai pas d’opinion transversale sur le poids, excessif ou non, de la norme.

En revanche, il est vrai que l’évaluation est un des points faibles de notre système.

La France n’a pas la culture de l’évaluation des normes. Les diverses expériences que j’ai essayé de promouvoir en vue d’amener les organismes de réflexion stratégique à s’intéresser à l’évaluation de la norme – je pense au centre d’analyse stratégique, qui a disparu, ou à l’actuel commissariat général à la stratégie et à la prospective – n’ont pas abouti. J’ai également essayé de constituer un réseau interministériel d’évaluateurs : la réunion interministérielle s’est prononcée très favorablement sur le projet – mais on n’est jamais passé à l’acte !

Les administrations centrales n’ont pas un désir d’évaluation spontané. Elles ressentent vite la démarche d’évaluation comme une charge indue et renâclent à répondre aux demandes de Matignon à cet égard.

Il a fallu en arriver, après plusieurs circulaires et quelques rapports, à une révision de la Constitution pour obtenir en France des études d’impact honorables. Nous avons dû ensuite faire preuve de ténacité, donner des instructions de méthode et faire des observations sur le niveau de l’évaluation pour arriver à la situation actuelle, qui est en demi-teinte. En effet, si tous les ministères ont désormais compris qu’ils ne pouvaient plus échapper à l’étude d’impact des projets de loi, en revanche, l’attention portée à celle-ci est inversement proportionnelle à la charge politique du texte, les meilleures études d’impact portant souvent sur les textes dépourvus de tout enjeu politique. D’ailleurs, l’étude d’impact n’a servi qu’une seule fois à décider s’il fallait ou non légiférer sur un sujet donné, alors que telle devrait être sa fonction première : il s’agissait d’un texte technique, l’étude d’impact révélant que les inconvénients d’une nouvelle législation l’emportaient sur ses avantages.

Les études d’impact ressemblent davantage, à l’heure actuelle, à un exposé des motifs enrichi qu’au modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), pour laquelle l’étude d’impact sert à ajuster le dispositif qui sera retenu. Toutefois, leur qualité varie et nous obtenons parfois de bonnes études d’impact, y compris sur des textes importants.

Il serait en revanche déraisonnable de militer pour une approche scientiste de la production législative. Une étude d’impact, même remarquable, ne pourra jamais décider de l’engagement d’une réforme : elle doit davantage servir à aménager le dispositif retenu, voire à en modifier certaines dispositions techniques. Il ne s’agit pas de réunir un aréopage d’experts en vue de déterminer, via l’étude d’impact, s’il y a lieu de réformer.

Quant à nos instruments, si des efforts ont été réalisés en matière de quantification, la dimension économique demeure insuffisante et doit être améliorée. Il faudrait également associer davantage les politiques à ce travail, comme les Britanniques qui font venir le ministre porteur d’un projet et lui font, me semble-t-il, signer une attestation certifiant qu’il a pris connaissance de l’étude d’impact et qu’il y a bien matière à légiférer. Cette pratique est un peu formelle mais trop souvent, en France, l’exercice politique de la préparation de la loi est séparé de l’exercice administratif de l’étude d’impact.

Enfin, il est nécessaire de recourir à la pression extérieure. Le Conseil d’État joue en partie ce rôle puisque, aux termes de la révision constitutionnelle, il doit disposer de l’étude d’impact pour rendre son avis sur le texte en préparation. Or, les administrations centrales ont fini par comprendre que si elles dérogeaient à cette obligation, elles risquaient de se heurter à l’avis du Conseil d’État, qui a commencé à faire des observations pertinentes sur le contenu des études d’impact. Ne serait-il pas possible de demander au Conseil d’État de rendre un avis, qui serait rendu public, sur l’étude d’impact elle-même ? Le Parlement doit, lui aussi, porter ce regard extérieur critique : les initiateurs de l’étude d’impact ont parfois regretté que les députés et les sénateurs ne s’intéressent pas davantage aux études d’impact.

La gestion des flux réglementaires est aujourd’hui mieux maîtrisée que la production législative. Si j’exclus les textes nécessaires à l’application des lois ou à la transposition des directives européennes, tous les autres textes réglementaires sont contrôlés et évalués. Les nouvelles charges doivent être justifiées, faute de quoi le texte est bloqué. Depuis le 1er septembre dernier, la mise en application du système du « un pour un » permet de quantifier l’impact du nouveau texte sur une activité, le ministère devant supprimer une charge au moins comparable dans un autre domaine de la réglementation. Le solde est pour l’instant positif, puisque la simplification de la charge réglementaire est supérieure à son accroissement.

De nombreux progrès ont été réalisés en matière de décrets d’application, grâce à notre ténacité : 82 % des dispositions réglementaires exigées par les lois adoptées au cours de la première année de l’actuelle législature ont été prises, 65 % l’ayant été en moins de six mois. C’est un progrès réel, mais on peut faire encore mieux. Il est vrai que les nouvelles exigences en matière d’étude d’impact, de préparation raisonnée de la réglementation, de consultations et de tests interdisent de publier très rapidement les décrets d’application. Un équilibre est à trouver entre la maturation des nouvelles réglementations et le souci d’accélérer l’application des lois. De plus, les administrations centrales – c’est une de leurs faiblesses traditionnelles – ne maîtrisent que médiocrement les procédures : elles procèdent de manière séquentielle, consultant les uns après les autres différents organismes, avant de se tourner vers le Conseil d’État puis le Secrétariat général du Gouvernement, toute suspension de la démarche impliquant souvent de revenir à l’étape précédente. Elles doivent fournir un effort en matière de maîtrise des procédures.

S’agissant de la transposition des directives européennes, la France a réalisé de grands progrès en termes quantitatifs. À l’heure actuelle, le déficit de transposition se situe entre 0,4 et 0,6 %, ce qui nous situe à une bonne place dans le palmarès européen. Notre premier souci est d’éviter les phénomènes de surtransposition ; le second, situé en amont, tient à notre difficulté à anticiper l’impact de la directive sur le droit national. Jusqu’à il y a peu, le service chargé de négocier la directive à Bruxelles était différent de celui qui était chargé de la transposer dans le droit national. Très vite aussi, la mémoire de la négociation pouvait se perdre, si bien qu’il devenait impossible de se rappeler pourquoi la France avait elle-même demandé l’inscription de telle ou telle disposition dans la directive. Si des progrès ont été réalisés sur tous ces points, nous rencontrons toujours des difficultés à obtenir des ministères qu’ils échangent avec le Secrétariat général au sujet de l’impact effectif d’un projet en cours de préparation. Il nous est même arrivé de découvrir que des projets de directives impliquaient une révision de la Constitution, sans que l’administration concernée s’en soit rendu compte. Il importe de favoriser la démarche interministérielle, et, sur ce point, le rapprochement entre le Secrétariat général des affaires européennes et le Secrétariat général du Gouvernement a permis de réaliser des progrès.

Si, en France, l’accessibilité des nouvelles normes est remarquable, grâce à la codification et à Légifrance, la sécurité juridique est moins bien garantie. Le souci de stabilité et de prévisibilité du droit est étroitement lié à celui de la simplification : il convient de mieux déterminer l’impact effectif de la norme sur le public qu’elle vise. Les grandes entreprises se plaignent moins de la complexité des textes législatifs que de la mutabilité et de l’imprévisibilité juridiques. On pourrait remédier à cela en recourant à l’expérimentation ou à des dispositifs transitoires, pour faire en sorte que des projets en cours ne soient pas affectés par une nouvelle législation, plus que nous ne le faisons à l’heure actuelle.

Mme Cécile Untermaier. Vous nous confirmez les progrès constants que nous réalisons en matière de simplification et de qualité législatives.

J’ai bien noté les difficultés rencontrées pour obtenir des études d’impact de qualité en raison du peu d’intérêt porté à celles-ci par les politiques et des relations difficiles entre le politique et l’administratif. J’ai aussi noté l’utilité d’une pression extérieure. Des voyages que la mission a réalisés à Berlin et à Londres émerge l’idée de créer une autorité indépendante chargée d’émettre un avis sur la qualité de l’étude d’impact. Plus les travaux de la mission avancent, plus j’ai la conviction que l’évaluation de l’étude d’impact permettrait de garantir le mieux-être de la loi et d’améliorer, en conséquence, l’application des textes. Qu’en pensez-vous ? Cette autorité pourrait être rattachée au Premier ministre, à moins qu’elle ne soit indépendante, comme l’est le NKR à Berlin.

Vous avez également relevé la difficulté que rencontrent les États à évaluer l’impact des directives et des règlements européens lors de leur transposition : comment les États pourraient-ils être mieux associés aux études d’impact réalisées au plan européen afin d’anticiper les effets des directives au plan national avant même leur transposition ?

M. Serge Lasvignes. Je n’ai aucune objection de principe à la création d’une commission indépendante. Ma seule préoccupation – j’ai lu les comptes rendus des précédentes auditions de la mission d’information – est d’éviter la création d’une administration de l’expertise économique appliquée aux études d’impact. Il ne serait ni pertinent ni rentable de créer un service chargé des études d’impact. Il faut apprendre à travailler avec les moyens dont nous disposons, qui sont importants. Les Allemands recourent à une centaine de statisticiens alors que la France dispose de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui travaille dans des conditions d’impartialité scientifique reconnues par tous. La structure envisagée devra être légère.

On pourrait également – et profiter ainsi de la particularité française consistant à soumettre l’examen des projets de loi au Conseil d’État – donner à ce dernier la mission explicite de dire si l’étude d’impact est suffisante ou non, le cas échéant en auditionnant les experts des administrations compétentes.

En vue d’évaluer les directives européennes en amont, nous avons demandé que des fiches d’impact nous soient fournies au début de la négociation, afin que le Parlement français puisse prendre connaissance sans délai des projets de Bruxelles. Le problème est que ces fiches d’impact ne sont pas toujours transmises.

M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement. Des progrès ont été réalisés. Mais si la fiche d’impact simplifiée est transmise, elle demeure trop souvent superficielle. Pour être plus efficace, le Secrétariat général des affaires européennes, les différents ministères et la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne doivent intervenir au cours de l’élaboration par la Commission européenne du projet de directive, c’est-à-dire lorsqu’elle procède encore à des consultations et prépare ses propres études d’impact sur son projet de directive. Il est possible de renforcer l’efficacité de notre intervention à ce stade.

M. Serge Lasvignes. En France, la directive n’est pas introduite purement et simplement dans le droit national : du fait de l’existence de différents codes, le contenu de la directive doit être intégré au droit national, alors qu’au Royaume-Uni, par exemple, la directive entre en application dès qu’elle est approuvée. Et s’il est recouru à des notions juridiques ne correspondant pas au droit français, la transposition devient plus délicate. C’est pourquoi, en amont de la négociation de la directive, une négociation stratégique interministérielle devrait porter sur les enjeux politique et juridique de la directive pour la France.

Mme Cécile Untermaier. Le Conseil d’État pourrait donner un avis sur l’étude d’impact comme il le fait déjà pour les projets de loi. Considérez-vous toutefois que le ministère qui élabore un projet de loi est le mieux à même de réaliser l’étude d’impact ? Une autorité indépendante ne se justifierait-elle pas ?

M. Serge Lasvignes. Il y a deux façons de concevoir l’autorité indépendante. Soit elle valide l’étude d’impact une fois que celle-ci a été réalisée par d’autres, soit elle a la responsabilité de son élaboration.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on confie la réalisation de l’étude d’impact à une autorité indépendante, car l’essentiel des compétences se situe au sein des ministères dont les personnels connaissent très bien leur sujet. De plus, je n’attends pas de l’étude d’impact une lumière telle qu’elle devrait être le fruit d’un travail absolument impartial. La démarche de réforme législative reste foncièrement politique. Il n’est donc pas possible d’en scinder l’aspect scientifique et l’aspect politique. L’étude d’impact a simplement pour fonction d’éviter aux politiques de commettre des bêtises, surtout imprévues. Or, en raison de la compétence de leurs différentes directions, les ministères sont capables de se plier à une telle discipline. Il suffit de prévoir une contrainte extérieure permettant de vérifier que l’exercice a été bien conduit.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je crois que vous avez raison, monsieur le Secrétaire général.

L’évaluation doit également permettre de vérifier si les objectifs fixés dans l’étude d’impact ont été atteints ou non.

M. Régis Juanico. Il ne s’agit pas, en effet, de créer un monstre juridique interministériel, puisque nous disposons déjà des outils nécessaires.

Au Royaume-Uni, la structure chargée de contrôler la qualité des études d’impact – Regulatory Policy Committee – est légère, puisqu’elle ne compte qu’une quinzaine de fonctionnaires et huit membres indépendants, qui se réunissent chaque semaine, en vue d’évaluer la qualité de l’étude d’impact sans chercher à la refaire. En ce qui nous concerne, un avis du Conseil d’État, rendu public, nous éclairerait sans doute : le législateur aimerait disposer, avant l’examen des projets et propositions de loi, de données consolidées. Si un grand progrès a été réalisé depuis 2008, nous n’en devons pas moins nous doter d’un outil supplémentaire nous permettant de disposer très tôt d’études de qualité.

La mission souhaite également déterminer les moyens pouvant améliorer la rédaction, la compréhensibilité et l’accessibilité des lois – Légifrance fournissant déjà un gros travail en la matière. Les Britanniques ont créé une commission dont la fonction est de conseiller en amont les rédacteurs de la loi en termes d’intelligibilité et de concision du texte. Les lois françaises sont traditionnellement bavardes. Alors qu’une loi portugaise fait trois pages et que les lois britanniques ne contiennent souvent que trois ou quatre articles, le projet de loi français relatif à l’économie sociale et solidaire, qui se veut un texte fondateur, fait déjà cent pages, alors que nous n’en sommes qu’à sa première lecture à l’Assemblée nationale. Trop souvent aussi figurent dans nos textes des dispositions qui ne sont pas du domaine de la loi mais appartiennent au domaine réglementaire.

Quels conseils pouvez-vous nous donner en matière de simplification législative ?

M. Serge Lasvignes. Je suis embarrassé pour vous répondre car je fais déjà tout mon possible en la matière.

Ayant constaté que le Conseil d’État, lui aussi, se laisse parfois fléchir, j’ai décidé qu’avant de passer devant le Conseil d’État tous les textes feraient l’objet d’une réunion de relecture au Secrétariat général du Gouvernement. S’agissant du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, mes échanges sur le caractère législatif de certaines mesures avec les représentants du ministère concerné ont été assez difficiles. En effet, outre les vraies dispositions législatives, deux autres catégories de mesures sont très représentées dans ce texte : les mesures réglementaires et les dispositions normatives incertaines – je pense notamment à la définition de la subvention, dont le statut normatif me laisse perplexe, mais qui figure dans le texte à la demande du secteur associatif.

M. Régis Juanico. Et des collectivités locales, au nom de la sécurité juridique.

M. Serge Lasvignes. Les relectures aboutissent à un compromis : en échange de certaines concessions du ministère, j’accepte de laisser figurer certaines dispositions, sachant que je n’ai aucun pouvoir de décision politique et que le ministre mécontent peut toujours aller se plaindre auprès du Premier ministre. Je constate fréquemment que les dispositions supprimées lors de la relecture reparaissent par voie d’amendement ministériel ou parlementaire. Cela dit, les dispositions qui me préoccupent le plus ne sont pas tant celles d’ordre réglementaire, que celles dont le statut normatif est incertain : un juge risque de faire d’une déclaration de principe une règle de droit, ce qui est inquiétant. En revanche, les dispositions réglementaires, si elles dévalorisent l’ouvrage législatif, n’offrent que peu de danger en termes de sécurité juridique.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Plusieurs critères permettent de déterminer la qualité de la loi.

Le premier, vous venez de l’évoquer, c’est en effet la nature législative ou non des dispositions adoptées. L’idéal serait de limiter l’enthousiasme législatif, qui peut avoir pour effet de rigidifier les modifications futures, seule une loi pouvant modifier une loi.

Le deuxième, c’est la solidité juridique du texte. Je ne dispose pas de statistiques précises sur les censures des textes votés par le Parlement. J’ai toutefois le sentiment que le législateur a des progrès à réaliser. Est-il normal de se réjouir que 90 % de la loi de finances pour 2014 aient passé le cap du Conseil constitutionnel ? À mes yeux, la censure devrait demeurer exceptionnelle. Quelles mesures devrions-nous prendre pour mieux garantir la solidité juridique des textes que nous adoptons ? La publicité des avis du Conseil d’État permettrait-elle d’y parvenir ? Par ailleurs, serait-il possible de soumettre les propositions de loi, voire les amendements qui peuvent dénaturer les textes, à des études d’impact ?

Troisième critère : prévoir un rendez-vous d’évaluation, triennal ou quinquennal, de la mise en application de certains textes. Une loi ne doit pas être considérée comme éternelle.

S’agissant des études d’impact, je partage votre jugement sur le caractère insuffisant de l’évaluation économique des textes. Les outils statistiques et méthodologiques que nous utilisons sont-ils adéquats ? Nous sommes les seuls à recourir à la méthode franco-française : « Oscar » – outil de simulation de la charge administrative de la nouvelle réglementation. Est-ce en raison des spécificités françaises que nous avons balayé d’un revers de main le Standard Cost Model – qui n’est pas utilisé uniquement par les Anglo-Saxons ?

Enfin, le contrôle que vos services exercent sur la qualité des études d’impact est une vraie révolution culturelle : quels moyens y consacrez-vous ? Quelle est la taille de vos équipes ? Quelles pistes – vous avez évoqué l’Insee – permettraient, en cette période budgétaire contrainte, de les étoffer ? Vos équipes pourraient-elles alors tenir lieu de secrétariat d’une éventuelle instance indépendante qui validerait le travail que vous lui auriez préparé ?

M. Serge Lasvignes. S’agissant de votre premier point, la moitié des dispositions de la loi de finances pour 2014 censurées par le Conseil constitutionnel étaient des cavaliers et 80 % résultaient d’amendements.

Je ne dispose que de dix chargés de mission qui couvrent l’ensemble des ministères. Je n’ai donc pas les moyens de me pencher sur chaque amendement déposé, s’agissant surtout du projet de loi de finances dont l’examen va vite et intervient dans une période chargée. Je réponds en revanche à toutes les sollicitations.

M. le rapporteur. D’autant que vous avez déjà vu passer un grand nombre de ces amendements en amont de l’examen du texte en séance publique.

M. Serge Lasvignes. C’est vrai.

En revanche, le passage, dans la loi de financement de la sécurité sociale, des taux dits « historiques » à des taux actualisés pour le calcul des prélèvements sur l’assurance-vie présentait une réelle fragilité juridique, dont j’avais prévenu le Gouvernement. Il a longuement hésité, puis un équilibre s’est instauré entre les préoccupations juridiques, économiques et politiques, et il a pris le risque de présenter la mesure. Le Conseil constitutionnel ne l’a pas censurée mais a émis une réserve. Cette mesure visait du reste à anticiper sur une évolution jurisprudentielle probable du Conseil constitutionnel. Il convient évidemment d’assumer, ensuite, le coût politique de la réalisation du risque. Je considère que l’administration et le Gouvernement ont fait leur travail.

Quant aux clauses de désignation, inscrites dans la loi de sécurisation de l’emploi, elles ont tout d’abord été censurées par le Conseil constitutionnel au titre de la liberté d’entreprendre. Le Gouvernement a alors demandé au Conseil d’État un avis très détaillé, y compris sur le taux du dispositif d’incitation fiscale devant figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Ce dispositif a fait l’objet d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel, qui a jugé l’écart de taux trop élevé.

M. le rapporteur. Il est regrettable que nous n’ayons pas connaissance des avis du Conseil d’État…

M. Serge Lasvignes. Celui-ci a été publié.

M. le rapporteur. Ce n’est pas le cas le plus fréquent. Nous ignorons parfois les hésitations du Gouvernement sur telle ou telle disposition. Ne conviendrait-il pas d’informer les parlementaires des avis du Conseil d’État ? Parfois, ils en ont vent par Le Figaro ou Les Échos.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La publicité des avis du Conseil d’État n’éviterait-elle pas, en sus des travers que vous avez évoqués, la logorrhée non normative des textes, laquelle peut avoir des conséquences négatives lors des contentieux ? L’avis du Conseil d’État vise-t-il les dispositions non normatives des textes ?

M. Serge Lasvignes. La publicité des avis du Conseil d’État est un sujet récurrent dont l’actualité est renforcée par le besoin croissant de transparence.

Il faut avoir néanmoins conscience que leur publicité fera évoluer les avis du Conseil d’État. Celui-ci aura tendance à se protéger lui-même, par une sorte de principe de précaution juridique, qui réduira d’autant la liberté de choix du Gouvernement. Le Conseil d’État entretient actuellement un dialogue constructif avec l’administration et accepte quelquefois de prendre lui-même un risque juridique. Dès lors que ses avis seront rendus publics, il ne voudra pas perdre la face et se montrera plus restrictif sur le plan juridique. Comme, de plus, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ne sont pas toujours sur la même ligne, le politique risque de se trouver pris en tenaille. Une telle publicité poserait donc la question délicate de l’arbitrage entre la sécurité juridique et la liberté politique.

Je pense en effet que les propositions de loi les plus complexes, qui sont devenues des points de fragilité juridiques, devraient être soumises, elles aussi, aux études d’impact. La plupart du temps, le Secrétariat général du Gouvernement ne les examine pas, et même si, depuis 2008, le Conseil d’État peut être saisi pour avis d’une proposition de loi, cela n’arrive que rarement – et le Gouvernement ne connaît pas l’avis rendu en pareil cas par le Conseil. Il faudrait donc que l’Assemblée nationale et le Sénat se dotent de moyens propres, soit, que dans le cadre d’un conventionnement avec les administrations de l’exécutif, le Parlement dispose d’un droit d’accès à l’expertise de l’exécutif, avec des garanties suffisantes, notamment lorsqu’il s’agit d’une proposition de loi de l’opposition.

Des rendez-vous triennaux d’évaluation, monsieur le rapporteur, seraient fort utiles ; ils permettraient notamment d’identifier les dispositions restant inappliquées, faute que l’on ait pu prendre les décrets d’application nécessaires. De tels rendez-vous permettraient de faire le tri entre les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui devraient être revus. Les lois Dutreil sur le commerce se sont succédé car il fallait réviser quasiment chaque année les dispositifs en faveur des petites entreprises : il n’est pas bon de légiférer par balbutiements successifs.

Sans être un grand connaisseur, j’ai cru comprendre que le système d’évaluation « Oscar », mis au point par un inspecteur des finances, prenait en compte des coûts plus nombreux que le Standard Cost Model, que les Néerlandais étaient venus nous présenter. Ce dernier intègre seulement les coûts de formalités, alors qu’Oscar englobe les coûts de structure et d’adaptation. Toutefois, je ne vois aucun obstacle à approfondir la question.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne pas partager les indicateurs des autres pays risque de fausser les comparaisons, quelle que soit la majorité en place.

Vous suggérez que le Conseil d’État évalue les études d’impact : or, en Allemagne et au Royaume Uni, la société civile est également associée à cette évaluation, ce qui peut pondérer le poids politique de l’évaluation. Pourrait-on associer la société civile aux avis rendus par le Conseil d’État ?

Le « un pour un » fait-il l’objet d’un tableau de bord des bonnes pratiques, ministère par ministère ? Si oui, celui-ci est-il rendu public ? La transparence en la matière est une exigence des Français en général et des entreprises en particulier.

M. Serge Lasvignes. Le système actuel de l’évaluation des études d’impact pourrait être amélioré grâce à une intervention officielle du Conseil d’État. Si l’on veut y associer la société civile pour ne pas s’en tenir au regard technique de l’administration, il conviendrait de créer une commission indépendante.

S’agissant de votre seconde question, les indicateurs ne sauraient être tenus cachés, ne serait-ce qu’au plan juridique : le cabinet du Premier ministre s’apprête à publier les premiers résultats dans le courant du semestre. Le tableau est tenu à jour.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La France ne pourrait-elle pas adopter la règle selon laquelle une directive européenne est en principe transcrite en droit français par ordonnance après validation par le Conseil d’État de sa traduction mot à mot et ne serait soumise au Parlement qu’en cas de durcissement de la directive ? Une telle démarche supposerait la publicité de l’avis du Conseil d’État afin que les parlementaires soient assurés que la règle de la transposition mot à mot par défaut a été respectée.

M. Serge Lasvignes. La transposition par ordonnance est à l’heure actuelle toujours possible, même si cette procédure est de moins en moins utilisée au profit de l’examen simplifié devant le Parlement – après accord entre le Gouvernement et les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les textes réputés les moins sensibles au plan politique. La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dite loi « DADU », a permis de combler notre retard.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La directive est parfois durcie lors de sa transposition.

M. le rapporteur. Ou rendue plus complexe, ce qu’il faudrait éviter.

M. Serge Lasvignes. C’est certain.

Le système que vous évoquez rappelle les dispositions constitutionnelles qui permettent d’adapter à tout moment par ordonnance le droit applicable outre-mer : une disposition constitutionnelle prévoirait que les directives peuvent être transposées par ordonnance dès lors qu’aucune disposition n’y est ajoutée.

M. le rapporteur. Une modification de la Constitution serait-elle nécessaire ?

M. Serge Lasvignes. Oui, si vous voulez créer une procédure permanente de transposition. Le Conseil constitutionnel censurerait sans aucun doute une loi d’habilitation générale applicable à toute directive. Il conviendrait évidemment de s’entendre sur ce que serait une transposition a minima.

Mme la présidente Laure de La Raudière. D’où la nécessité de disposer de l’avis du Conseil d’État.

M. Serge Lasvignes. Pour accélérer la publication des décrets d’application, il conviendrait de préparer autant que possible les projets de décrets en même temps que le projet de loi. Cela se fait pour les ordonnances, qui sont préparées en même temps que les projets de loi d’habilitation : cela permet de rassurer le Parlement.

M. le rapporteur. Je n’ai jamais obtenu les ordonnances accompagnant les deux derniers projets de loi d’habilitation, alors que, j’en suis certain, elles étaient prêtes !

M. Régis Juanico. La question des décrets d’application rejoint celle de la montée en puissance de la fonction de contrôle du Parlement. Depuis 2004, le rapporteur d’une loi qui nécessite la publication de textes réglementaires peut présenter à la commission compétente, à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur de cette loi, un rapport d’application, lequel fait notamment état de l’avancement des textes d’application nécessaires. Il conviendrait peut-être d’anticiper le travail de l’administration sur les décrets d’application afin que celui-ci se fasse en lien avec les parlementaires. Cela supposerait évidemment que ces derniers se rendent disponibles à cette fin – tel n’est pas encore le cas.

Un rendez-vous triennal, ou quinquennal, permettrait de passer au scanner l’application de la loi et de faire un bilan de son efficacité, en vue de proposer des modifications.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, monsieur le Directeur.

Séance du jeudi 20 février 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Bouchez, je suis heureuse de vous accueillir pour cette audition.

Notre mission d’information, consacrée à la simplification législative, s’intéresse principalement à la façon dont est fabriquée une loi, c’est-à-dire à la rationalisation du flux normatif plutôt qu’à la réduction du stock normatif – cet aspect étant traité par le Conseil de la simplification pour les entreprises, que notre rapporteur, M. Thierry Mandon, copréside avec M. Guillaume Poitrinal. Nous réfléchissons au moyen de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant notamment d’exemples étrangers. Nous nous sommes rendus à Berlin, à Londres et en Belgique, où l’évaluation des études d’impact par des commissions indépendantes a permis d’améliorer la conception initiale de la loi et où l’on commence à mettre en œuvre systématiquement une évaluation ex post de la loi, à échéance de trois à cinq ans.

Nous avons souhaité vous entendre car, en novembre 2010, vous vous êtes vu confier par le Premier ministre de l’époque, M. François Fillon, les missions de piloter auprès du Secrétariat général du Gouvernement l’application du moratoire sur l’adoption des mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, décidé en juillet 2010, de veiller à ce que l’impact des normes applicables à l’activité des entreprises soit efficacement évalué, en particulier pour ce qui concerne le secteur de l’industrie et des petites et moyennes entreprises, ainsi que de mettre en place un mécanisme permettant que l’essentiel des dispositions nouvelles applicables aux entreprises entrent en vigueur avec un nombre réduit d’échéances prévues à l’avance et fixes dans l’année, selon une recommandation faite par le sénateur Bruno Retailleau.

En conclusion de votre mission, vous avez remis à l’ancien Premier ministre, en mars 2012, un rapport d’activité dans lequel vous avez esquissé des pistes de consolidation du dispositif de simplification alors mis en œuvre, parmi lesquelles l’approfondissement du dialogue avec les ministères à un stade plus précoce de l’élaboration des projets de texte, l’enrichissement et la publicité des fiches d’impact, et l’amélioration de la quantification des charges pour les entreprises.

Nous serions très intéressés de vous entendre sur ces sujets. Quelles résistances et quels obstacles avez-vous rencontrés dans votre mission ? Quelles préconisations feriez-vous pour parvenir à une rationalisation effective du flux normatif ?

M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification. Beaucoup de choses ayant déjà été dites ou écrites sur le thème de la simplification des normes, je ne suis pas sûr de pouvoir tenir des propos très nouveaux ou originaux, mais je peux au moins vous faire part de mon expérience de commissaire à la simplification et des quelques enseignements que j’en tire.

J’ai été nommé en novembre 2010 à cette fonction, que j’ai exercée à temps partiel auprès du Secrétaire général du Gouvernement jusqu’en janvier 2013, date à laquelle elle a été élargie et pérennisée, sous la forme d’un poste de directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, confié à ma collègue Mme Célia Vérot.

La mission qui m’était confiée était centrée sur la régulation des textes réglementaires concernant les entreprises ou les collectivités territoriales, mais j’ai également été associé aux exercices relatifs au stock de normes – ce qui est compréhensible vu qu’il est assez arbitraire de distinguer radicalement les deux aspects. De grands chantiers législatifs de simplification furent lancés à cette époque, tels que la mission et la proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann sur le droit des entreprises, la mission et la proposition de loi de M. Éric Doligé sur les normes applicables aux collectivités territoriales et les Assises de la simplification. Mon rôle a consisté surtout à concevoir, mettre en place, puis superviser et animer plusieurs dispositifs, avec l’aide des équipes du Secrétariat général du Gouvernement et de la mission « Simplification et évaluation » du Contrôle général économique et financier.

Le principal de ces dispositifs est issu de la circulaire du Premier ministre du 17 février 2011, qui demande aux administrations d’éviter tout alourdissement injustifié des charges et contraintes qui pèsent sur les entreprises et les collectivités territoriales. Pour cela, il leur incombe de procéder à une évaluation, quantifiée dans la mesure du possible, des projets de textes réglementaires – ordonnances, décrets et arrêtés – et de mener une concertation préalable approfondie avec les parties intéressées. Ce travail, mené sous le contrôle, à l’époque du commissaire à la simplification, et désormais de la directrice chargée de la simplification, doit être consigné dans une fiche d’impact destinée à accompagner le projet de texte tout au long de son cheminement.

Mon rapport d’activité de mars 2012 faisait apparaître que près de 700 textes réglementaires avaient été examinés au cours de la première année d’exercice. J’y notais que, si les progrès n’étaient pas spectaculaires, ils étaient pourtant bien réels, notamment s’agissant des conditions d’entrée en vigueur des textes, et que les améliorations avaient le plus souvent résulté du dialogue mené dans la phase préalable à la mise au point finale du texte. Plus tôt les questions sont posées, plus en amont les solutions envisagées sont évaluées, meilleur est le texte.

S’agissant des textes concernant les collectivités territoriales, je soulignerai deux particularités. Premièrement, leur contrôle était préalable à leur examen par la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), présidée par M. Alain Lambert, avec laquelle j’ai donc eu d’étroites relations. Deuxièmement, un « moratoire » s’appliquait alors en vertu d’une circulaire du Premier ministre du 6 juillet 2010, à l’exception des textes d’application d’une loi, de transposition d’une directive ou commandés par une décision contentieuse – bref, de tout ce qui relevait d’une norme de rang supérieur.

Ce dispositif a été élargi à la mi-2013 aux textes réglementaires concernant les particuliers ; n’en sont désormais exclus que les textes internes à l’administration ou qui ne concernent que les agents publics. En outre, le gel des textes concernant les collectivités territoriales a été remplacé par le système dit du « un pour un » – « one in, one out », de portée plus générale, mais qui comporte les mêmes exceptions.

J’ai également contribué à la mise en place du mécanisme, assez novateur, des DCEV, les « dates communes d’entrée en vigueur », défini par une circulaire du Premier ministre du 23 mai 2011 qui prévoit que, sauf exception dûment justifiée, par exemple en cas de mesures favorables aux entreprises, les décrets et arrêtés concernant les entreprises doivent comporter un différé d’entrée en vigueur d’au moins deux mois à compter de leur publication au Journal officiel et que cette entrée en vigueur doit se faire à des dates fixes, à savoir le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année ou, à défaut, le 1er avril et le 1er octobre. On trouve désormais, sur le site Légifrance, la liste complète des textes qui entreront en vigueur aux prochaines échéances, le but étant de permettre aux entreprises de prendre facilement connaissance des nouvelles normes et de s’y préparer.

Ces missions ont été exercées en liaison étroite avec les administrations, car la confection d’un texte est un travail de longue haleine, qui comporte plusieurs étapes – une phase ministérielle, une phase interministérielle, une phase de concertation – et il faut essayer d’apporter des améliorations à chacune d’entre elles, de manière à aboutir à un produit d’aussi bonne qualité que possible.

Je voudrais maintenant vous faire part de deux séries de réflexions que je tire de ces travaux, ainsi que de mes fonctions antérieures au Secrétariat général du Gouvernement, puis au Conseil d’État.

Tout d’abord, si l’on veut vraiment mieux réguler la production de normes, en tendant vers une plus grande stabilité et une meilleure qualité – la quantité m’apparaît relativement secondaire, car si les textes étaient de meilleure qualité, il y en aurait moins, puisqu’il n’y aurait plus besoin de les corriger –, on ne pourra pas éviter de mettre en place des dispositifs permanents de freins ou de filtres comportant un certain degré de contrainte. L’expérience montre en effet que, malgré le consensus ambiant sur la nécessité de lutter contre l’inflation normative, les mauvaises habitudes reprennent facilement le dessus.

Je pense par conséquent que l’obligation d’assortir tout projet de loi d’une étude d’impact est une bonne chose. À l’époque, certains commentateurs avaient estimé qu’il était démesuré de procéder à une révision constitutionnelle et de passer par une loi organique pour cela, mais la volonté de produire des études d’impact était restée jusque-là vacillante et la réforme a constitué un progrès. De même, l’obligation de recueillir l’avis de la Commission consultative d’évaluation des normes – et bientôt du Conseil national d’évaluation des normes –, et d’expliquer devant celle-ci l’impact des projets de textes, ralentit certes le mécanisme de production des normes, mais a pour effet de mettre sous tension les administrations et de les contraindre à se justifier et à progresser.

Je nuancerai toutefois mon propos par deux considérations. D’abord, de tels mécanismes ne deviendront réellement efficaces que le jour où les décideurs politiques – ministres et élus – se les approprieront ; sinon, les procédures risquent d’être assez formelles. Or, il me semble que, si ces dispositifs ont réellement produit des effets dans les administrations en les contraignant à se justifier, des progrès restent encore à faire : il est frappant que le dispositif du chapitre II de la loi organique du 15 avril 2009 ne soit pas complètement exploité ; à ma connaissance, la Conférence des présidents d’une assemblée n’a jamais refusé d’inscrire un texte à l’ordre du jour pour insuffisance de l’étude d’impact, ni même formulé de menace sérieuse en ce sens. Cela ferait pourtant son effet !

Ensuite, comme le soulignait le professeur Michel Verpeaux, il convient de rester pragmatique : la création ou la modification de textes a le plus souvent de bonnes justifications et traduit dans une large mesure le fonctionnement normal de nos institutions démocratiques. L’idée selon laquelle des chefs de bureaux produiraient des textes dans des recoins sans que personne ne le leur demande est erronée. J’en veux pour preuve que la CCEN, composée d’élus, donne très peu d’avis totalement négatifs sur les textes qu’elle examine et qu’en tant que commissaire à la simplification, je n’ai moi-même rendu que quinze avis défavorables sur un total de 700 projets de textes. Il faut être réaliste : si l’on produit des textes, c’est qu’il y a des raisons.

Je me méfie donc des solutions radicales, transversales, ou purement quantitatives ; à mes yeux l’amélioration des textes passe surtout par des efforts qualitatifs, par des solutions « micro » plutôt que « macro ». Les propositions de moratoires, quotas ou abrogations automatiques me laissent sceptique ; au demeurant, elles se heurteraient à d’insurmontables obstacles juridiques.

La seconde série de considérations concerne l’évaluation préalable des textes. À mes yeux, c’est en progressant dans ce domaine que l’on pourra améliorer les choses sur le long terme. Mais la France a du retard en la matière et ce n’est pas une tâche facile.

La réalisation d’études d’impact sérieuses, approfondies et soumises à un débat contradictoire, voire à une contre-expertise, prend du temps. Or le temps de l’expertise et du débat technique n’est pas toujours compatible avec celui de la décision politique et du débat médiatique. Il s’agit d’une difficulté consubstantielle au principe même de l’évaluation préalable.

En outre, celle-ci requiert des moyens techniques et humains, à un moment où les administrations centrales traversent une période de vaches maigres. Il m’a souvent été répondu qu’il était actuellement difficile pour les administrations de créer des cellules et de recruter du personnel pour que l’on puisse aller aussi loin qu’on le souhaiterait dans l’évaluation préalable.

Une question souvent débattue est de savoir s’il est opportun que les ministères réalisent eux-mêmes les études d’impact des textes qu’ils préparent. J’en suis pour ma part convaincu. D’abord, cela est conforme à notre organisation institutionnelle, où chaque ministre a la responsabilité de la préparation d’un texte. Surtout, l’évaluation préalable ne se résume pas au document final : il s’agit d’une démarche, d’un questionnement qui doit accompagner le processus du début – en se demandant si la rédaction du texte est opportune – jusqu’à la fin ; elle est intimement liée au processus de concertation et de consultation préalable. Seul le ministère porteur du texte peut conduire les processus en parallèle et les faire interagir.

En revanche, il est vrai qu’il peut manquer, notamment pour les textes à fort enjeu, un mécanisme de validation extérieure. Le Secrétariat général du Gouvernement et le Conseil d’État exercent un contrôle, mais ils n’ont pas la capacité de procéder à une contre-expertise : il s’agit surtout pour eux de s’assurer que toutes les rubriques de l’étude d’impact ont été renseignées et que le travail a bien été fait.

Bien entendu, il faut rester pragmatique : il ne s’agit pas de lancer des contre-expertises sur les fiches d’impact de tous les décrets et arrêtés. Il serait néanmoins bon de réfléchir à un dispositif possible. À cet égard, peut-être serait-il utile que le Parlement se dote en interne d’une capacité de contre-expertise des évaluations qui lui sont fournies – mais il s’agit là d’une question fort ancienne et délicate.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Vous avez rendu un avis défavorable sur plusieurs projets de texte en raison de l’insuffisance de leurs études d’impact ou parce qu’ils ne vous semblaient pas opportuns. Quelles conséquences cela a-t-il eues sur leur devenir ? Ont-ils quand même été publiés ?

Dans votre rapport d’activité, vous avez émis l’idée que les fiches d’impact, préalables aux études d’impact, soient rendues publiques. Quel intérêt cela aurait-il ?

Quel regard portez-vous sur l’outil de simulation de la charge administrative de la réglementation (« OSCAR »), notamment par rapport aux autres méthodes d’évaluation ex ante des coûts qui peuvent exister ?

M. Rémi Bouchez. Je n’ai rendu qu’une quinzaine d’avis défavorables ; le plus souvent, les projets ont été retravaillés et finalement publiés. Je ne me souviens que d’un cas où le texte a été totalement abandonné. Il s’agissait d’un projet visant à rebaptiser le livret de développement durable (LDD) « livret de développement durable industriel » (LDDI), de manière à signaler que les fonds réglementés centralisés étaient orientés vers le secteur industriel ; il n’y avait aucune mesure de fond derrière. J’ai demandé à ce que l’on évalue le coût de cette modification pour les banques ; comme il aurait été très élevé, j’ai émis un avis défavorable, et la mesure n’a pas été prise. Mais c’est anecdotique.

Le projet de décret relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans les cantines scolaires nous a également beaucoup préoccupés, mais le texte a finalement été publié ; au demeurant, cela répondait à une obligation, puisqu’il s’agissait d’un décret d’application d’une loi.

Il est cependant logique et légitime que ce soient les ministres qui décident en dernier ressort.

Mme la présidente Laure de La Raudière. N’est-ce pas aussi lié au fait que vos avis ne sont pas rendus publics ? Par exemple, si l’on avait eu connaissance du coût pour les collectivités du décret sur la restauration scolaire, cela n’aurait-il pas enrichi le débat public ?

M. Rémi Bouchez. Le choix de placer le commissaire à la simplification auprès du Secrétaire général du Gouvernement, dans une position de conseil plutôt que de décision, rendait difficile la publicité de ses avis. De même, on ne rend pas publics les débats interministériels préalables, qui donnent lieu au même type d’échanges : tout cela est considéré comme du travail préparatoire interne au Gouvernement.

Je ne me souviens pas avoir fait une distinction aussi nette entre fiches et études d’impact. En revanche, nous avons ouvert un débat pour savoir à quel moment il serait pertinent de rendre publiques les fiches d’impact sur les textes réglementaires – qui évoluent en même temps que ces derniers. Il a finalement été décidé qu’elles le seront au moment de la publication du texte. La procédure, qui s’appliquera à compter de cette année, permettra de signaler qu’une évaluation préalable du texte a bien été conduite, et que les incidences des nouvelles mesures ont été chiffrées.

Ce n’est toutefois pas suffisant. C’est pourquoi il m’arrivait de consulter à nouveau les acteurs concernés par un texte lorsque je jugeais que la concertation avait été insuffisante ; je joignais au projet de texte la fiche d’impact qui m’avait été remise, et je leur demandais ce qu’ils en pensaient.

Il existe donc deux types de publicité : d’une part, la publication finale de la fiche d’impact actualisée, correspondant au texte finalement retenu ; d’autre part, la communication à l’extérieur de l’administration, au cours du travail de préparation, de la fiche d’impact en devenir sur le projet de texte.

S’agissant d’ « OSCAR », je resterai très prudent. Quand j’ai quitté mes fonctions, le sujet était en débat. Il s’agissait d’un outil ancien, qui avait de graves défauts et que les administrations, exception faite du ministère des Finances, ne s’étaient pas complètement approprié. Je ne saurais vous dire s’il a été perfectionné ou si on lui a substitué d’autres instruments.

Il existe aussi un débat sur la méthode à adopter. La méthode internationale dite « des coûts standards » (« Standard Cost Model ») s’oppose ainsi à une approche « microéconomique » consistant à mettre en place une évaluation propre à chaque texte. Nous avons également utilisé la procédure dite « du test PME », qui correspond à l’évaluation « grandeur nature » sur un panel de textes concernant directement les PME. Tout cela était en cours de création quand j’ai quitté mes fonctions.

M. Régis Juanico. Le Parlement vote la loi mais, depuis la révision constitutionnelle de 2008, il doit aussi contrôler l’exécutif et évaluer les politiques publiques. Si ces deux dernières missions montent en puissance, pour l’heure, l’essentiel de nos activités restent la discussion et le vote des textes de loi. D’où l’importance pour nous de disposer d’études d’impact de bonne qualité, qui puissent nous éclairer sur quelques questions fondamentales : faut-il vraiment légiférer sur le sujet ? Qu’est-ce qui, dans le projet de texte, est vraiment du domaine de la loi, et qu’est-ce qui relève plutôt du domaine réglementaire ?

Dans le processus d’évaluation des études d’impact, on voit bien le rôle que jouent le Secrétariat général du Gouvernement, le Conseil d’État et, en interne, les équipes ministérielles. Ce qui manque peut-être, c’est une contre-expertise qui viendrait nourrir un débat contradictoire. Est-ce au Parlement de s’en charger ? Mais dans ce cas, avec quels moyens ? L’exemple britannique nous apporte de ce point de vue des éléments de réflexion intéressants : une commission « indépendante », comprenant une dizaine de fonctionnaires et huit personnalités extérieures, réalise non pas une contre-expertise sur le fond, mais une évaluation de la qualité de l’étude d’impact. Que pensez-vous de cette solution ?

Une autre question qui nous intéresse est l’évaluation ex post. Comment mieux associer le Parlement à la rédaction des décrets d’application, mener les procédures en parallèle et publier les textes plus rapidement ? Serait-il concevable que, trois à cinq ans après l’adoption d’une loi, le Parlement, par l’intermédiaire d’une équipe constituée autour du rapporteur du texte, évalue le dispositif concerné et fasse des propositions de révision ou de modification ? Cela nécessiterait sans doute une modification de nos habitudes et de nos façons de travailler, mais serait susceptible d’améliorer considérablement la qualité de la loi dans la durée. Qu’en pensez-vous ?

M. Rémi Bouchez. Il existe plusieurs solutions pour progresser en matière de contre-expertise et d’évaluation contradictoire d’une production qui provient, pour l’essentiel, des ministères. La constitution d’une commission indépendante en est une. Toutefois, il convient de bien mesurer la faisabilité dans le temps de l’intervention d’organismes travaillant avec des délais. Pour un projet de loi à fort enjeu et qui ne serait pas trop urgent, c’est certainement possible, mais pour d’autres textes, il serait délicat d’interrompre le processus législatif durant deux mois !

Mme la présidente Laure de La Raudière. En Grande-Bretagne, le délai d’examen de la qualité des études d’impact est de deux à trois semaines.

M. Rémi Bouchez. Je pense en tout cas qu’un tel mécanisme ne devrait être mis en œuvre que pour les textes qui le nécessitent vraiment, par exemple en cas de difficulté particulière sur les évaluations Peut-être en verra-t-on une esquisse avec la création du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), puisque la loi prévoit que celui-ci sera obligatoirement saisi des projets de loi, accompagnés des études d’impact, et pas seulement des textes réglementaires. Si cet organisme prend l’importance que le législateur souhaitait lui donner, et s’il se dote de quelques moyens, je pense qu’il procédera à la contre-expertise des textes et des évaluations qui lui seront soumis. Sa compétence est certes limitée aux textes concernant les collectivités territoriales, mais ce champ est en réalité très large car il peut s’agir de textes concernant « entre autres » les collectivités territoriales. Le CNEN sera donc peut-être un premier élément du dispositif que vous appelez de vos vœux.

S’agissant des décrets d’application des lois, on a beaucoup progressé en la matière, sous l’impulsion du Secrétariat général au Gouvernement, du ministère des relations avec le Parlement et du Parlement lui-même. Il existe maintenant un système cohérent de suivi, avec des indicateurs de performance publics. Je comprends bien votre insatisfaction et votre attente, mais il convient de ne pas négliger ces améliorations et de mesurer qu’il s’agit d’un travail très délicat : il y a beaucoup de décrets à prendre, qu’il n’est pas toujours facile d’identifier à partir du seul texte de loi. On peut certainement encore progresser, mais il me semble que, pour le coup, les dispositifs de suivi et de contrôle existent.

Quant à l’évaluation ex post, je la juge bien évidemment utile, voire nécessaire, mais il faut avoir conscience qu’elle peut déboucher sur l’édiction de nouvelles normes, de lois modificatives et de changements pour les parties concernées. À tout prendre, je préfère des lois initialement bien faites à des textes que l’on modifierait à plusieurs reprises parce que des évaluations successives auraient montré qu’il fallait corriger le tir. Prenons garde à ne pas rendre instables des pans entiers de notre droit, car cela déstabiliserait nos entreprises. Des représentants de fédérations professionnelles me disaient qu’à tout prendre, ils préféreraient qu’on ne touche pas aux normes en vigueur, quelque compliquées qu’elles soient, plutôt qu’on essaie de les améliorer, car ils devraient alors refaire les programmes informatiques et former les personnels : au final, le coût du changement serait trop élevé.

Par ailleurs, beaucoup de choses existent déjà en matière d’évaluation ex post, à commencer par les travaux de la Cour des comptes et les rapports gouvernementaux exigés dans nombre de lois. Le problème, c’est ce qu’on en fait ensuite : les utilise-t-on vraiment pour faire évoluer les textes ? Il serait utile d’établir un état des lieux de l’ensemble des dispositifs existants.

M. Régis Juanico. C’est précisément ce que nous avons prévu de faire !

M. Rémi Bouchez. Peut-être faudrait-il mieux les organiser et les coordonner davantage, mais il ne s’agit pas d’un champ vierge.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La Cour des comptes évalue dans ses rapports les politiques publiques au sens large, mais non telle disposition législative particulière, notamment au regard des objectifs fixés dans l’étude d’impact. Il n’existe pas, en matière de production de la loi, la même démarche de qualité que dans les processus industriels. S’il résultait d’une évaluation que la modification du dispositif légal occasionnerait davantage d’inconvénients que d’améliorations, on pourrait toujours décider de ne pas procéder à la réforme, mais l’évaluation aurait été faite et permettrait de faire de meilleures lois par la suite.

Vous avez raison : les travaux de la Cour des comptes ne sont pas assez utilisés par les administrations, le Gouvernement et les parlementaires. Comment faire pour changer de culture afin que le politique s’empare des préconisations et les mette en œuvre ? Les administrations n’ont pas forcément envie de revenir sur ce qu’elles ont elles-mêmes créé !

M. Rémi Bouchez. Il me semble que l’on bascule là de la question du flux vers celle du stock. Selon moi, le mieux serait de développer l’évaluation préalable, en essayant de limiter les erreurs commises dans la confection des nouveaux textes et, pour l’évaluation ex post, de retenir un segment du droit, un angle d’attaque ou un chapitre de code, d’en faire la revue de détail et d’essayer, par la concertation, de le simplifier et de l’améliorer. Cela me semblerait en tout cas plus efficace que de centrer l’analyse sur un seul dispositif ou d’engager, comme par le passé, des exercices de simplification tous azimuts donnant lieu à de lourds travaux interministériels et à des textes fleuves.

Cela n’empêcherait pas de prévoir un dispositif d’évaluation propre dans le cas d’une loi novatrice ; mais beaucoup de textes nouveaux, qu’ils soient législatifs ou réglementaires, viennent modifier ou compléter des dispositifs déjà existants. C’est l’ensemble qu’il faudrait évaluer.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur Bouchez, je vous remercie.

*

* *

Puis la mission d’information procède à l’audition de M. Éric Doligé, sénateur et auteur du rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales (juin 2011).

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le sénateur Éric Doligé, notre mission d’information sur la simplification législative s’intéresse à la fabrique de la loi, donc davantage au flux qu’au stock de normes.

Sur la question du stock, notre rapporteur, Thierry Mandon, auteur d’un rapport sur la simplification réglementaire pour les entreprises, copréside avec Guillaume Poitrinal le nouveau Conseil de la simplification tandis que la Commission consultative d’évaluation des normes, créée à la suite de votre rapport, traite des normes applicables aux collectivités territoriales.

Notre mission a commencé ses travaux par des déplacements à Bruxelles, à Londres et à Berlin – nous nous rendrons prochainement à La Haye – dans le but d’y observer les bonnes pratiques. Nous avons pu mesurer combien la culture de l’étude d’impact préalable à la fabrique de la loi pouvait être forte à l’étranger, tandis que s’y développe également une culture d’évaluation ex post méthodique des textes adoptés.

Nous avons souhaité vous entendre aujourd’hui, car nos préoccupations rejoignent celles de votre rapport, lequel comporte 268 propositions sectorielles pour simplifier le stock des normes applicables aux collectivités territoriales ainsi que des préconisations pour changer en profondeur la gouvernance normative en France.

Vous suggérez notamment de créer une instance indépendante pour procéder à une évaluation ex ante des dispositifs envisagés ; de préparer les décrets d’application concomitamment à l’élaboration de la loi et de fixer des objectifs temporels d’adoption de ces décrets ; de créer un « service après-vente » de la norme au sein de chaque ministère ; de développer l’évaluation ex post ; de déterminer des règles de stabilité minimale des textes dans le temps. Comment envisagez-vous la traduction concrète de ces propositions dans notre culture législative, et pensez-vous que le Conseil d’État y soit favorable ?

Vous proposez également d’introduire dans le droit français les principes de proportionnalité et d’adaptation des normes et de changer la culture de transposition des directives européennes.

M. Éric Doligé, sénateur. J’ai en effet produit ce rapport sur la simplification des normes il y a quelques années, avec peu de moyens mais grâce à l’aide d’une femme de grande qualité, Mme Noémie Angel. Les propositions qu’il contient reflètent mes convictions, au premier rang desquelles celle que, si la normalisation est utile et nécessaire, le trop-plein de normes conduit à un véritable « ras-le-bol », aussi bien de la part des administrés que des élus ou des entreprises, car il se traduit par un allongement des délais de l’action publique, des surcoûts et une complexification excessive de la gouvernance, sans parler des points de produit intérieur brut (PIB) qu’il nous coûte en pénalisant notre compétitivité.

Si le poids des normes est particulièrement sensible dans la gestion courante des collectivités, il existe, à tous les niveaux de l’administration, une attente de simplification. On ne manque sans doute pas d’idées dans les ministères pour y remédier, mais toute la difficulté est de mettre ces idées en œuvre.

État, Parlement, collectivités, chacun porte sa part de responsabilité dans cette surabondance de normes, qui s’explique en partie par notre attachement à certains principes – je pense notamment au principe de précaution – ou par le zèle dont fait souvent preuve la France pour se mettre en conformité avec les normes européennes. Récemment, c’est le Grenelle de l’environnement qui a débouché sur une multitude de normes nouvelles.

Les États-Unis, le Canada ou certains pays nordiques ont parfaitement compris qu’il était nécessaire de faire des efforts en la matière et j’ai l’intime conviction qu’il s’agit avant tout d’une question de volonté politique. Je me suis donc réjoui d’entendre le Président de la République évoquer un choc de simplification même si, malheureusement, nous continuons à produire de la norme, nous livrant, les uns et les autres, à une surenchère d’amendements : faute de consensus, il n’est pas rare qu’un texte arrivant au Parlement avec une trentaine d’articles en ressorte avec une soixantaine.

Nous devons non seulement adapter nos méthodes pour réguler le flux de normes, grâce à une volonté politique partagée, mais également nous attaquer au stock et le nettoyer : on parlait, il y a trois ou quatre ans, de 400 000 normes, et ce nombre a certainement encore augmenté. Cette simplification est indispensable si nous voulons améliorer notre compétitivité et notre qualité de vie.

Pour ce qui me concerne, je me suis plus spécifiquement penché sur les collectivités locales pour faire une série de propositions, dont certaines semblent avoir rencontré un écho. Certaines pistes que j’ai avancées, en matière d’accessibilité ou d’urbanisme notamment, ont pu en choquer certains, mais ce n’était pas mon intention. Il s’agissait dans mon esprit de faire avancer la réflexion et de trouver des solutions. Je constate d’ailleurs que ceux-là mêmes qui les critiquaient il y a deux ou trois ans s’en inspirent aujourd’hui.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Adapter les normes vous paraît-il compatible avec le respect du principe d’égalité ? Je pense en particulier aux petites collectivités territoriales contraintes d’engager plusieurs dizaines de milliers d’euros de travaux pour l’accessibilité de leurs bâtiments publics.

M. Éric Doligé. Mes propositions ne font que retranscrire ce qui m’a été suggéré par les associations d’élus, les associations d’handicapés, les représentants du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) et toutes les personnes concernées que j’ai auditionnées.

Par ailleurs, le Conseil d’État a rendu un avis sur les propositions issues de mon rapport, confirmant que la loi peut être adaptée. Il ne peut s’agir d’un principe général, mais il est possible de procéder au cas par cas, chaque loi pouvant comporter un article concernant son application dans telle ou telle collectivité, tel ou tel territoire, comme c’est déjà le cas pour l’outre-mer ou les départements de l’Est de la France.

En matière d’accessibilité, ma proposition consiste à remplacer l’obligation de moyens par une obligation de résultat : il s’agit non pas de rendre accessible la totalité d’un bâtiment recevant du public, mais de permettre à tous les citoyens, handicapés ou non, de bénéficier du même service. Par exemple, il n’est pas nécessaire que toutes les chambres d’une résidence étudiante soient accessibles aux handicapés ; seules quelques-unes doivent l’être, ainsi que l’ensemble des services offerts. De même, si les services d’une petite mairie ne sont pas accessibles parce qu’ils sont à l’étage, une pièce peut être aménagée en rez-de-chaussée pour que les fonctionnaires y reçoivent les usagers qui le nécessitent.

Les commissions locales doivent pouvoir valider les solutions proposées, mieux adaptées que la norme nationale. Cela permettrait d’empêcher la disparition de services ou de commerces contraints de fermer parce que les collectivités ou les entreprises n’ont pas les moyens de les mettre aux normes. Il n’est pas nécessaire, par exemple, que l’ensemble des équipements sportifs d’une intercommunalité soit mis aux normes, cette dernière pouvant sélectionner ceux qui, sur son territoire, devront être accessibles aux handicapés.

Cette adaptation est d’autant plus indispensable que la situation économique des collectivités s’est aggravée depuis la publication de mon rapport et que celles-ci connaissent aujourd’hui des graves difficultés de financement. Je rappelle que le coût total de la mise en conformité avait été évalué en 2011 à 20 milliards d’euros, et que seulement 3 ou 4 milliards avaient été dépensés à ce titre. Comme le souligne ma collègue Claire-Lise Campion dans son rapport, il est donc impératif de trouver des solutions si l’on veut achever la mise aux normes avant le 1er janvier 2015. À mes yeux, ces solutions consistent à négocier avec les associations une obligation de résultat plutôt que de moyens, mais le handicap est, avec la sécurité, l’un des sujets les plus délicats dans cette problématique des normes.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Votre rapport, le rapport Boulard-Lambert, le rapport Campion, tous disent la même chose ! Mais, concrètement, que s’est-il passé ?

M. Éric Doligé. Rien, ou pas grand-chose, mais les mentalités ont évolué : les associations d’élus n’hésitent plus à exprimer leur ras-le-bol face à l’excès de normes, en particulier en matière d’accessibilité. Le Président de la République a exprimé son désir de simplification et le Sénat a examiné ma proposition de loi, ainsi que celle déposée par M. Jean-Pierre Sueur et Mme Jacqueline Gourault. Les bonnes intentions existent mais, par souci de ne pas heurter les lobbies ou les associations, elles finissent toujours par être vidées de leur substance.

Comme je l’expliquais à l’ancien Président de la République lorsqu’il m’a confié ma mission, il faut avoir le courage politique de prendre les dispositions que les gens attendent et qui ne sont pas si difficiles que cela à accepter.

Il serait assez simple de ne pas surenchérir sur les normes européennes et, par exemple, d’autoriser nos agriculteurs à élever leurs volailles dans des poulaillers de même dimension que les poulaillers allemands ou encore de permettre à Amazon de stocker ses produits dans des entrepôts identiques à ceux d’outre-Rhin : cela permettrait dans les deux cas de faire des économies de coût de revient et de gestion. En évitant d’ajouter des normes nationales aux normes européennes, nous réaliserions des gains considérables.

Nous devons nous inspirer des méthodes mises en place à l’étranger. L’analyse coût-efficacité permettrait par exemple d’identifier et de supprimer, dans le respect du principe d’égalité, les impôts dont la perception coûte plus cher qu’elle ne rapporte à l’État.

Les parlementaires doivent se gendarmer un peu et revoir l’organisation de leurs travaux. Quant à l’exécutif, j’avais également suggéré de réduire à quinze le nombre de ministres – quinze ministres vont à l’essentiel et produisent moins que quarante –, mais cela ne se fera jamais si ce n’est pas inscrit dans la Constitution !

M. Régis Juanico. Existe-t-il des différences fondamentales entre les manières de travailler du Sénat et celles de l’Assemblée nationale, soit en amont de la loi, dans la phase de préparation des textes, soit en aval ? Le Sénat est, me semble-t-il, doté d’une commission chargée du contrôle de l’application des lois : est-elle utile ? Disposez-vous par ailleurs d’outils d’évaluation ex post qui vous paraissent adaptés ? Comment pourrions-nous nous enrichir mutuellement pour améliorer la qualité de la loi ?

M. Éric Doligé. Ayant été député avant d’être sénateur, je peux noter quelques différences. L’Assemblée est davantage soumise à la pression de l’actualité et à celle des électeurs que le Sénat, qui dispose de davantage de temps pour examiner les textes – cela influence évidemment sa manière de les aborder. Nous avons en effet une commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mais je ne suis pas persuadé de son apport particulier. Quant aux évaluations, elles indiquent rarement qu’une loi est mauvaise ou qu’elle ne fonctionne pas, et nous avons trop tendance, sénateurs comme députés, à ne pas assez prendre le temps de regarder en arrière, car nous sommes toujours assaillis de textes qui se succèdent à grande vitesse. Il faudrait pourtant prendre l’habitude de ne pas ajouter les rapports les uns aux autres et mettre enfin en application ce principe sur lequel tout le monde s’accorde : un texte adopté doit en chasser un, voire deux.

L’Assemblée comme le Sénat doivent revoir leurs méthodes de travail, car il n’est pas possible de traiter de tout en même temps. Si l’intérêt des travaux est immense, je ne suis cependant pas persuadé que nous ayons véritablement le temps d’exploiter toute la richesse que constituent les nombreuses auditions auxquelles nous procédons. Quant au rapport annuel de la commission pour le contrôle de l’application des lois, il est comme le rapport de la Cour des comptes : riche et passionnant. On pourrait certes en tirer des enseignements mais, le plus souvent, on ne progresse pas faute de temps. Je sais qu’il existe à l’étranger des commissions chargées d’examiner la « productivité » des lois. Nous pourrions nous en inspirer et mettre en place, au sein de nos assemblées respectives, des instances chargées d’évaluer l’efficacité des travaux que nous menons. Elles feraient sans doute apparaître que, bien souvent, les résultats sont moindres que les efforts fournis.

Mme Cécile Untermaier. Nous devons identifier les responsabilités de chacun dans la prolifération de la norme. Avec l’accessibilité, nous sommes pour l’essentiel dans le domaine réglementaire, et c’est moins au législateur de battre sa coulpe qu’au pouvoir exécutif de trouver des dispositifs adaptés. Ceux qui sont actuellement en place sont d’une lourdeur administrative qui les rend inapplicables dans certaines communes et décourage certains maires d’ouvrir des locaux au public. Il serait souhaitable que les décrets soient évalués par un régulateur. Il est aberrant, par exemple, que la commission départementale soit saisie d’un projet d’ouverture de local quand le maire est prêt à en assumer toute la responsabilité. Selon moi, cette complexité trouve son origine dans le fait que la décentralisation n’a jamais été vraiment assumée et que l’on continue à imposer aux élus des normes qui s’empilent les unes sur les autres.

S’agissant de la loi, ne faut-il pas se donner davantage de temps pour la produire et mieux évaluer en amont, dans les études d’impact, la diversité de situations et son incidence sur l’application de cette loi ? Ne peut-on imaginer de mettre en place des dispositifs d’expérimentation ? Et, si on met en place des normes adaptées, pourquoi ne pas concevoir un équivalent de Légifrance à l’échelle régionale ?

M. Éric Doligé. Il est clair qu’il faut clarifier les responsabilités des uns et des autres. La loi sur les compétences des collectivités, qui doit nous être présentée d’ici à quelques semaines, peut nous en donner l’occasion.

Je pense par ailleurs que les préfets sont en train de perdre le pouvoir sur leurs administrations au plan local : les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), dans le domaine des fouilles, les architectes des bâtiments de France, ou les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), en matière d’environnement, ont désormais tendance à en référer directement à leur ministère de tutelle et il devient difficile de régler les problèmes au niveau local. Il est important que les préfets retrouvent de l’autorité, car leur faculté de discussion avec les élus est souvent plus grande que celle des directeurs des services déconcentrés. Il faut leur redonner un pouvoir d’appréciation en matière d’application de la norme pour permettre la mise en œuvre de solutions plus souples au plan local. Pour reprendre l’exemple de l’accessibilité, il faut en finir avec les interprétations maximalistes d’un texte voté à l’unanimité mais dont l’application était différée de dix ans et faire en sorte que les élus puissent agir sans peur d’être sanctionnés. C’est dans cette optique que j’avais proposé, en accord avec le président de l’Association des maires de France, la mise en place d’une instance de médiation, composée d’anciens élus et destinée à assister les maires des petites communes dans leurs démarches auprès des préfets. C’est une solution intéressante et peu onéreuse.

Reste qu’il faut parvenir à convaincre les associations spécialisées. Or chacun sait que l’Association des paralysés de France ne veut, pour l’instant, pas entendre parler d’un assouplissement de la loi. Sans doute changera-t-elle d’avis le 31 décembre 2014, mais il serait préférable d’envisager les solutions suffisamment en amont, avant qu’il ne soit trop tard.

Mme Cécile Untermaier.  Une solution respectueuse passe par le dialogue et non par l’empilement des formulaires à remplir, mais nous n’avons malheureusement obtenu aucun allégement dans ce domaine. Les commissions départementales sont souvent inflexibles. En outre, quelle que soit la majorité, l’administration centrale s’intéresse peu aux difficultés locales et a du mal à admettre que ses décrets posent des problèmes d’application sur le terrain. Sans doute la mise en place d’un médiateur pourrait-elle simplifier les choses.

M. Éric Doligé. Tout est dans le rapport. Chaque administration doit analyser les remontées du terrain et corriger en conséquence les textes qu’elle produit. Quant au Parlement, il doit renforcer son suivi des normes, le Sénat se concentrant sur la problématique des collectivités et l’Assemblée s’attachant davantage aux questions de société, afin d’éviter les doublons.

Je le répète, tout est question de courage politique. Si les réactions peuvent être négatives dans un premier temps, à terme il n’y a que des effets bénéfiques à retirer d’une simplification des normes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le sénateur, nous vous remercions.

Séance du jeudi 10 avril 2014

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comme vous le savez, monsieur le professeur, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du « flux » normatif que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement – notre rapporteur, M. Thierry Mandon, est du reste coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative en nous inspirant des exemples étrangers.

Nous nous sommes rendus le 27 mars dernier aux Pays-Bas, où nous avons rencontré, notamment, des représentants du conseil consultatif indépendant ACTAL et du ministère des Affaires économiques, qui participent à la politique néerlandaise de simplification administrative et législative. Nous avons également effectué des déplacements successivement à Bruxelles, Londres et Berlin.

L’étude des exemples étrangers nourrit notre réflexion, qui porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante objective et indépendante et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Nous avons souhaité vous entendre car vous êtes l’auteur de nombreux articles sur la simplification du droit et sur la sécurité juridique. Je pense notamment à votre contribution au rapport public du Conseil d’État de 2006, où vous analysez les causes du « déclin de l’art de légiférer » et en appelez au développement d’une « nouvelle culture de la production des normes ».

Nous serions heureux de connaître votre point de vue sur ces matières, l’état des réflexions que mène le Club des juristes et les éventuelles propositions que vous auriez à nous soumettre.

M. Nicolas Molfessis. Je m’intéresse depuis longtemps à la question de la sécurité juridique. Il y a une dizaine d’années, j’ai rédigé un rapport sur les revirements de jurisprudence de la Cour de cassation, après qu’une commission eut formulé l’hypothèse, pour des raisons de sécurité juridique et pour éviter de surprendre les justiciables, d’une modulation de ces revirements dans le temps. Dans un arrêt rendu en assemblée plénière, la Cour de cassation s’est inspirée des conclusions de cette commission. La première chambre civile a suivi, la chambre commerciale pas totalement, et la chambre sociale a désiré ne pas suivre.

Je trouve que c’est une bonne illustration des travaux menés en matière de sécurité juridique : rien n’en ressort de très cohérent et, souvent, on met le désordre là où l’on cherchait à instiller de l’ordre. Il arrive que les institutions répondent de façon erratique aux réflexions dont elles sont l’objet.

Cet épisode est à l’origine de la mise en place, au sein du Club des juristes, d’une commission « Insécurité juridique et initiative économique » que je copréside avec M. Henri de Castries. L’objectif est de confronter les points de vue des juristes et du monde de l’entreprise pour examiner dans quelle mesure l’insécurité juridique est un frein à l’initiative économique et comment essayer d’y porter remède. Les travaux de cette commission n’étant pas achevés, je ne peux évidemment pas vous en livrer les conclusions, mais j’aurai plaisir à faire état des réflexions que nous avons déjà menées.

Depuis plus de vingt ans, les pouvoirs publics et les plus hautes instances dénoncent l’insécurité juridique sous toutes ses formes. Le Conseil d’État a remis un premier rapport à ce sujet en 1991, puis un second en 2006. Les autres rapports officiels se comptent par dizaines. Des commissions officielles ou universitaires ont été mises en place. On a aussi élaboré un droit de la norme, c’est-à-dire un droit portant sur l’art de légiférer, allant de circulaires sur l’élaboration des textes à l’édiction d’objectifs à valeur constitutionnelle – la clarté et l’intelligibilité de la loi –, dans le but de réguler le flux normatif et la qualité rédactionnelle des textes.

Pourtant, en dépit de ces vingt années de réflexion intense – aucun autre sujet juridique n’en a sans doute suscité autant –, en dépit du nombre de structures créées, et en dépit de certains progrès sur lesquels je reviendrai, on déplore toujours l’importance de l’insécurité juridique.

Pourquoi, avec tous ces discours vertueux sur l’élaboration de la norme, le mal continue-t-il de progresser ?

Plusieurs exemples récents montrent qu’il existe toujours un décalage entre les intentions et les réalisations, entre les constats et les pratiques qui s’ensuivent.

C’est le cas des lois de simplification : alors qu’elles partent du constat on ne peut plus vertueux qu’il faut consacrer une partie du travail législatif à améliorer le stock existant, soit en essayant d’améliorer la rédaction des textes, soit, plus radicalement, en retranchant les corps morts, nombre des intervenants que vous avez entendus les ont dénoncées à raison. La quatrième et dernière en date comprend elle aussi des dispositions que l’on plaçait auparavant dans les lois « fourre-tout » : DDOS (diverses dispositions d’ordre social) ou DDOEF (diverses dispositions d’ordre économique et financier), etc. Bien que prévus spécifiquement pour la simplification, ces dispositifs se pervertissent.

Deuxième exemple, celui des ordonnances, dont tous les responsables politiques dénoncent, lorsqu’ils sont dans l’opposition, le caractère antidémocratique. Cette voie de législation bis permet de multiplier au moins par deux le flux normatif. Alors que le Parlement est déjà embouteillé, on continue d’emprunter une voie de délestage qui ne fera qu’ajouter à la saturation. L’utilisation abusive des ordonnances fait l’objet de condamnations unanimes mais, au bout de quelques mois de pouvoir, la pratique l’emporte sur les bonnes intentions. Dans le dispositif des ordonnances, la préparation des textes ne fait l’objet d’aucune discussion publique et, plus généralement, n’est accompagnée de rien de ce qui fait la genèse d’un corpus législatif dans une démocratie évoluée et qui permet aux juristes de comprendre de quoi il retourne.

Le troisième exemple, un peu plus ancien, est celui des lois mémorielles. On ne trouve pas un parlementaire rationnel qui y soit favorable. Une commission conduite par l’ancien président de l’Assemblée nationale a mené une réflexion très féconde sur le sujet. Comme les juristes et les historiens de tous bords, elle a dénoncé les lois mémorielles. À la fin de la dernière législature, le Conseil constitutionnel a censuré une nouvelle proposition de loi relative au génocide arménien, marquant ainsi que l’on ne voulait vraiment plus de lois mémorielles. Or le Président de la République d’alors s’est empressé de dire qu’il déposerait un nouveau texte s’il était élu. Et celui qui a été élu s’est lui aussi empressé d’annoncer qu’il remplacerait le texte censuré. Ces hauts personnages savent très bien que les lois mémorielles sont un dévoiement de la législation et une forme d’instrumentalisation de la loi à des fins purement symboliques, voire électoralistes. Il n’empêche !

Enfin, après l’échec d’un premier dispositif, on a rétabli un système d’études d’impact dont le fonctionnement se révèle nettement plus satisfaisant. Les travers des études d’impact stéréotypées demeurent cependant. Il y a, là aussi, du travail à faire.

Nous sommes donc partis de l’idée qu’il fallait travailler sur les causes profondes de la situation. Pour que le Parlement puisse s’exprimer sur des sujets symboliques à portée recognitive sans passer par des lois mémorielles, par exemple, la voie des résolutions parlementaires a été mise en place. On prend ainsi en compte le fait que la vie d’un parlementaire ou de toute personne au pouvoir est aussi une vie faite de concessions, de réponses à des groupes d’intérêt et à des groupes de pression. On est toujours très vertueux lorsque l’on réfléchit à la façon la plus vertueuse d’agir ; lorsque l’on a les mains dans le cambouis, c’est autre chose ! Il est essentiel d’intégrer cette dimension pratique à la réflexion : comment éviter le dévoiement ou le contournement des remèdes ?

La vertu s’apprend par l’incitation et par la récompense, mais aussi par la contrainte. Une des meilleures manières de faire progresser les mentalités est d’empêcher les dévoiements. S’agissant notamment des études d’impact ou de la publication dans un délai donné des textes d’application, des mesures coercitives sont souhaitables pour changer les comportements et la culture en matière de législation.

Nos réflexions ont porté à la fois sur l’identification des dysfonctionnements et sur la manière d’y remédier.

Premier « nœud » que nous essayons de démêler, celui des amendements. Si, à l’évidence, les amendements parlementaires soulèvent des difficultés importantes au regard de la sécurité juridique, il est complexe de trouver une solution car il est évidemment hors de question de priver les parlementaires de ce droit fondamental ou d’essayer de le limiter. On s’accorde à reconnaître les problèmes : la procédure dans son ensemble échappe aux études d’impact ; le délai de dépôt des amendements permet à certains d’entre eux d’échapper à toute discussion réelle en commission ; enfin la voie de l’amendement est instrumentalisée pour faire passer « hors de la vue » du Conseil d’État des dispositions dont on craint qu’elles puissent faire l’objet d’un avis défavorable – on l’a encore vu avec l’action de groupe simplifiée introduite dans le projet de loi relatif à la consommation.

Je sais que vous travaillez comme nous à résoudre ce problème. La loi de finances pour 2014 a montré de façon symptomatique que les dispositions introduites par amendement s’exposent davantage à une censure du Conseil constitutionnel.

Un autre sujet de réflexion est la rétroactivité des textes. L’insécurité juridique tient non seulement à la multiplication des textes mais à leur insertion dans le temps. Sont concernés les textes fiscaux, les lois de validation et les lois interprétatives, tous dispositifs ayant vocation à avoir une portée rétroactive sous couvert parfois d’application immédiate. Nous nous préoccupons en particulier de la « petite rétroactivité » fiscale, unanimement dénoncée par les milieux économiques, qui consiste à remettre à la loi de finances votée en fin d’année le sort d’opérations accomplies dans l’année écoulée.

Nous étudions également un sujet qui n’est peut-être pas au centre de vos préoccupations, celui de l’application des règles et de la hiérarchie des normes. Il arrive que des justiciables ou des organisations essaient de choisir leur juge et que des dispositions votées par le Parlement soient écartées par un juge d’instance en application de la Convention européenne des droits de l’homme ou de conventions de l’Organisation internationale du travail. Face à cette source d’insécurité juridique importante, nous réfléchissons à l’hypothèse d’un filtre permettant de laisser à chacune des juridictions suprêmes – Cour de cassation et Conseil d’État – le soin de statuer sur les questions de conventionnalité, pour parvenir à une sécurité juridique comparable à celle à laquelle on est parvenu en matière de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Nous réfléchissons également à l’organisation des cours suprêmes. Une Cour de cassation mature ne devrait pas avoir à juger entre 20 000 et 30 000 pourvois par an, mais rendre entre 100 et 500 décisions et être ainsi capable d’assumer réellement son devoir d’unification du droit sur l’ensemble du territoire.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Comment imaginez-vous le « filtre » en matière d’application des conventions ?

M. Nicolas Molfessis. Dans certains domaines, notamment s’agissant de législation sociale à portée très forte, des associations ou des syndicats choisissent des juridictions dont ils estiment, à tort ou à raison, qu’elles leur seront favorables. Nous avons examiné, par exemple, une décision du tribunal de Longjumeau par laquelle le juge écarte la loi applicable ; le procès suivra ensuite son cours ; s’il y a appel et pourvoi en cassation, le délai se mesurera en années pour savoir ce qu’il en est de la législation concernée. Nous estimons que c’est catastrophique pour la sécurité juridique. Si notre législation est contraire à une convention internationale et doit être écartée à son profit, la question doit relever du juge suprême de chaque ordre, c’est-à-dire de la Cour de cassation ou du Conseil d’État.

Dans le cas d’espèce, le juge de Longjumeau pourra se voir poser la question par le justiciable mais il devra, si la demande est sérieuse, la renvoyer devant la cour compétente dans son ordre pour que celle-ci statue avant toute décision sur le fond. Le mécanisme permettrait de « vider » la question de la conventionnalité en quelques mois, comme on « vide » la question de la constitutionnalité en quelques mois en matière de QPC. Il suppose au moins une modification législative.

M. le rapporteur. Une modification d’ordre très général ou une modification qui n’affecterait que les codes concernés ?

M. Nicolas Molfessis. Peut-être faudrait-il même plus qu’une modification législative. Il ne s’agit pour l’instant que d’une piste. En tout état de cause, il faut réguler le problème de l’insécurité juridique en mettant en place des « rouages » juridiques vertueux.

M. Régis Juanico. Les amendements parlementaires peuvent en effet soulever des questions de sécurité juridique. Certains contribuent aussi au caractère bavard de la loi. Pourtant, le droit d’amendement des parlementaires, qui découle de la Constitution, est très encadré et, dans les faits, très limité : principe de spécialité budgétaire, article 40 de la Constitution, avis du Conseil d’État, censure du Conseil constitutionnel, sans parler de l’incompatibilité européenne que telle ou telle bureaucratie gouvernementale oppose parfois à nos amendements. C’est peut-être ce qui explique que certains parlementaires contribuent à faire bavarder les textes, ou déposent des amendements qui consistent seulement à demander au Gouvernement la remise d’un rapport – il s’agit, on le sait, d’éviter de tomber sous le coup de l’article 40, mais on peut se demander ce que vient faire une demande de rapport dans un texte législatif !

L’amélioration des processus de sécurisation juridique dépend aussi des moyens et de l’expertise dont les assemblées disposent pour mieux travailler en amont et éviter que les amendements soient examinés à la dernière minute, sans préparation et sans véritable débat.

Vous avez évoqué le caractère parfois « stéréotypé » des études d’impact. Quelles propositions concrètes feriez-vous pour améliorer la procédure ? Au Royaume-Uni, par exemple, il existe des comités extérieurs et indépendants pour examiner les textes en préparation.

M. Nicolas Molfessis. S’agissant des amendements, il faut trouver un équilibre entre la conservation pleine et entière du droit d’amendement et la régulation de son usage de manière à éviter les excès.

Nous suivons à cet effet trois pistes.

Premièrement, empêcher l’insertion par voie d’amendement de dispositions radicalement nouvelles. On éviterait ainsi d’introduire, dans la loi relative à la consommation, des dispositions concernant les fichiers positifs – lesquelles ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il s’agissait d’un amendement gouvernemental.

M. Nicolas Molfessis. Vous avez raison. Mon propos porte sur la procédure d’amendement en général.

Cette première orientation n’est pas sans défauts. Sa base constitutionnelle est problématique : comment faire le départ entre les amendements qui seraient autorisés et ceux qui ne le seraient pas ? Elle rend par ailleurs délicate la préparation de dispositions législatives nouvelles.

La deuxième piste serait d’interdire le dépôt de certains amendements une fois passé un certain délai, et en tout cas interdire le dépôt jusqu’au jour de la discussion en séance publique. La logique voudrait que les amendements – du moins les plus importants – puissent toujours être débattus en commission et que chaque parlementaire dispose de plusieurs jours pour préparer leur discussion.

La troisième piste serait de rendre aux lois de financement de la sécurité sociale leur objet, en permettant un vrai débat parlementaire sur l’évolution de la sécurité sociale et sur ses comptes. Il s’agit d’éviter la dispersion des débats en centralisant la discussion selon l’objet des textes à un moment clé de l’année. Cette forme de concentration du travail parlementaire rejoint celle que vous avez évoquée en matière fiscale, monsieur Juanico.

M. le rapporteur. Quelles seraient les bases juridiques d’une telle démarche ?

M. Nicolas Molfessis. L’article 34 de la Constitution.

M. le rapporteur. Faudra-t-il modifier le règlement des assemblées ?

M. Nicolas Molfessis. On peut s’appuyer sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale de 1996, mais j’ignore, à ce stade, si cela nécessite une modification.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le délai de dépôt des amendements est fixé par une loi organique et par les règlements des assemblées. En revanche, interdire l’introduction par voie d’amendement de dispositifs « radicalement nouveaux » me semble relever de la Constitution.

M. Nicolas Molfessis. Les articles 39 et 44 de la Constitution sont insuffisants pour fonder un dispositif allant en ce sens. Je n’ai pas la réponse à votre question.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il s’agit, en somme, de définir a priori le cavalier législatif sans attendre la décision du Conseil constitutionnel.

M. Nicolas Molfessis. Exactement.

M. le rapporteur. Selon vous, l’amendement « pigeons », qui a imprimé un changement à 180 degrés au projet de loi de finances pour 2014, est-il « radicalement nouveau » ?

M. Nicolas Molfessis. Oui.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il est radicalement nouveau d’un point de vue politique, mais pas du point de vue du champ d’application de la loi.

M. Nicolas Molfessis. Je pense que la définition du « radicalement nouveau » est formelle et non pas substantielle. Sont visés les amendements radicalement nouveaux par rapport au texte initial. S’ils ne s’y rattachaient pas, ils seraient de toute façon censurés en l’état actuel du droit.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Votre proposition revient à interdire les amendements de suppression. Supprimer un article du projet de loi initial est « radicalement nouveau »…

M. Nicolas Molfessis. Je ne crois pas. Ce qui est radicalement nouveau, c’est l’insertion dans un texte d’un dispositif qui n’était pas prévu par ledit texte et qui le modifie.

M. le rapporteur. Je rejoins l’objection de la présidente : un amendement de suppression est par définition radicalement nouveau.

Mme la présidente Laure de La Raudière. J’en reviens à l’amendement « pigeons », dont la « modification radicale » porte sur une disposition relative aux valeurs mobilières déjà présente dans le projet de loi initial. À mon sens, il ne s’agit pas de quelque chose de radicalement nouveau. Mais, dans l’hypothèse où cela le serait, on interdit tout amendement de suppression.

M. Nicolas Molfessis. J’estime au contraire que, par nature, un amendement de suppression n’est pas radicalement nouveau puisqu’il est directement corrélé au texte et inhérent à la discussion sur celui-ci. Toute discussion législative porte forcément sur des modifications de rédaction ou sur la suppression de dispositions. Exclure les amendements de suppression me semble antinomique. Ce que l’on peut en revanche définir comme radicalement nouveau, c’est l’intégration à un texte de dispositions qui n’étaient nullement prévues initialement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le fichier positif, donc, mais pas l’amendement « pigeons »…

M. Nicolas Molfessis. C’est ensuite une question de jurisprudence constitutionnelle. Le droit sait le faire !

M. le rapporteur. Si nous insistons sur ce sujet, c’est qu’il s’agit d’une de nos pistes de réflexion.

M. Nicolas Molfessis. Nous avons les mêmes préoccupations : comment trouver un critère opératoire, soit temporel, soit substantiel, pour refuser des amendements ? Modifier le délai de dépôt est simple, fixer des critères de contenu est beaucoup plus compliqué !

S’agissant maintenant des études d’impact, notre réflexion rejoint la vôtre : est-il opportun de recourir à un organisme extérieur qui assiste ou contrôle la rédaction législative, et, si oui, à quelles fins ? On peut penser qu’il est difficile pour les parlementaires d’être à la fois ceux qui écrivent les textes et ceux qui sont chargés d’évaluer ex ante ou ex post le travail qu’ils ont effectué. Sans doute certaines commissions d’évaluation ont-elles bien fonctionné, mais elles n’ont pas toujours donné pleinement satisfaction. Ne faut-il pas, dès lors, « externaliser » ce mécanisme de contrôle du travail parlementaire en le confiant à une autre instance ? Nous sommes en train de nous demander, par exemple, si le Conseil économique, social et environnemental (CESE) souvent considéré comme très poussiéreux,…

M. Régis Juanico. Et sous-utilisé !

M. Nicolas Molfessis. ...ne pourrait pas être utilisé en soutien du travail parlementaire dans différentes hypothèses, conjointement avec l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) pour les études d’impact car celles-ci réclament une logistique dont le Conseil ne dispose pas nécessairement.

Bref, comme dans le système bruxellois, il serait logique que l’étude d’impact soit validée à un moment donné par un organisme extérieur. Dans l’état de nos réflexions, l’étude d’impact n’échappe pas à l’instance qui prépare le texte mais elle est validée par un organisme extérieur qui l’accepte ou non selon sa qualité, en fonction de critères qu’il faudrait, là aussi, discuter.

Dans cette approche, il faut se garder de monter une usine à gaz en donnant à cette autorité extérieure le soin de faire tout ce qui revient jusqu’à présent à ceux qui font les textes. Pour nous, il doit s’agir d’un organisme de contrôle.

Dans le prolongement de cette réflexion, il faut envisager la possibilité d’étendre les études d’impact aux propositions de loi et aux amendements. Il n’y a pas de raison que la procédure ne soit pas similaire quelle que soit l’origine de la disposition législative.

M. le rapporteur. Comment déterminer les amendements que l’on soumettra à une étude d’impact et à une contre-expertise indépendante ?

M. Nicolas Molfessis. Bien entendu, tous les amendements ne doivent pas être soumis à la procédure. Cela n’aurait aucun sens de faire une étude d’impact sur un amendement rédactionnel ! Le commencement de la vertu serait d’instaurer des délais impératifs de dépôt qui laissent le temps de procéder, le cas échéant, à des études d’impact préalables. Mais je ne sais pas si une telle proposition est très réaliste… Toujours est-il que les amendements de dernière minute sont ceux auxquels il faut penser en premier si l’on veut essayer de réguler la procédure.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous réfléchissons aussi aux évaluations ex post et aux dispositifs qui pourraient être utilisés comme des « lois à durée déterminée » ou correspondre à des expérimentations dans certains domaines. Quelle obligation d’évaluation ex post instaurer ? Faut-il supprimer automatiquement la loi si l’évaluation est négative ? Faut-il prévoir dans la plupart des textes des clauses de révision ou de caducité (« sunset clauses ») pour s’assurer que le Parlement, s’il veut maintenir le dispositif, redébatte de la question ?

M. Nicolas Molfessis. Nous n’avons pas abordé ce sujet. Le droit français connaît des lois expérimentales depuis quelques années déjà, soit pour des raisons politiques – par exemple la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse, qui nécessitait que l’on acclimate notre droit et notre société à cette nouvelle législation –, soit pour des raisons techniques.

Ce que l’on peut constater, c’est que l’on n’a pas toujours effectué les expérimentations passées avec l’attention et le sérieux que réclamait la question. Il est vrai qu’une expérimentation législative n’est pas forcément simple à mener : quel type d’organisme peut-il procéder à l’évaluation, sur quels critères, et à partir de quand considère-t-on qu’une loi a satisfait ou non aux objectifs qui lui étaient assignés ? La première loi de bioéthique, par exemple, devait constituer une législation expérimentale pour cinq ans, mais le Parlement, trop occupé, a mis dix ans avant d’y revenir. Il faut veiller à ne pas créer des mécanismes complexes qui se surajoutent aux mécanismes existants et rendent le travail des parlementaires infaisable. Vous aviez mis en place un Office parlementaire d’évaluation de la législation où ceux qui faisaient la loi étaient aussi ceux qui l’évaluaient, et qui n’a eu presque aucune activité pendant des années.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il a été supprimé depuis.

M. Nicolas Molfessis. On le voit, les expériences d’évaluation législative ne sont pas forcément probantes. Mon impression est que la mise en place d’un mécanisme systématique de lois expérimentales ajouterait à la complexité de la machine législative. La procédure est propre à certaines législations et doit leur être réservée.

Je sais que vous réfléchissez aussi, comme nous, aux principes de « one in, one out » ou de « one in, two out ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. En valeur de charge administrative, pas en nombre de textes.

M. Nicolas Molfessis. Nous nous interrogeons sur le caractère réaliste de cette proposition. Elle semble fonctionner dans certaines législations, notamment au Royaume-Uni, mais qu’en serait-il chez nous ? Nous sommes en train de faire des tests pour déterminer dans quelle mesure un tel mécanisme pourrait vider la législation en valeur.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Pensez-vous qu’il faille rendre public l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi ? Cela serait-il bénéfique à la sécurité juridique et à la simplification législative ?

M. Nicolas Molfessis. La publicité des avis du Conseil d’État aurait une vertu pédagogique évidente. Certains avis sont d’ailleurs diffusés. Mais j’ai aussi entendu les contre-arguments invoqués devant vous : selon certains, la publicité changerait la méthode de rédaction des avis et leur enlèverait une partie de leur utilité. Je ne sais pas si c’est vrai.

M. le rapporteur. Pour le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, il y a en effet des avantages et des inconvénients. Mais, pour lui, les avantages l’emportent sans doute sur les inconvénients.

M. Nicolas Molfessis. Il est difficile de penser que la qualité des avis se trouverait affaiblie par leur publicité. Doit-on s’attendre à ce que l’euphémisme investisse les avis et en réduise la portée ? En règle générale, je crois que la publicité améliore la qualité du droit et de la justice. Lorsque l’on sait que l’on sera entendu ou lu, on apporte plus de soin à sa réflexion.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci pour votre contribution, monsieur le professeur.

Séance du jeudi 17 avril 2014

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de représentants de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) : M. Nick Malyshev, responsable de la division de la politique de la réglementation ; Mme Céline Kauffmann, responsable adjointe de la division de la politique de la réglementation ; M. Daniel Trnka, responsable du travail sur la simplification, division de la politique de la réglementation.

M. Thierry Mandon, président. Je vous prie tout d’abord d’excuser Mme Laure de La Raudière, présidente de notre mission d’information, qui ne peut être présente ce matin.

Depuis deux ans, à la demande du Président de la République et de M. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, la France développe un programme systématique de simplification législative articulé en deux volets. Le premier volet, géré par l’exécutif, concerne principalement la simplification du stock existant de normes applicables aux entreprises. Le deuxième a été engagé par le président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, qui a chargé la mission d’information présidée par Mme de La Raudière, et dont je suis le rapporteur, de mener une réflexion sur la rationalisation du flux législatif et sur la simplification de la loi.

C’est dans le cadre de cette mission sur le « mieux légiférer » que nous vous entendons aujourd’hui. Nous rendrons nos conclusions au président de l’Assemblée nationale d’ici à l’été.

Cette audition revêt pour nous un intérêt tout particulier, dans la mesure où l’OCDE connaît les meilleures pratiques européennes et où elle insiste depuis longtemps sur la nécessité de faire ce travail de simplification.

Mme Céline Kauffmann responsable adjointe de la division de la politique de la réglementation (OCDE). Nous vous remercions de nous offrir cette occasion de faire connaître le travail de l’OCDE et d’exposer les informations que nous avons collectées dans plusieurs pays.

Ce travail reflète la réflexion que les trente-quatre pays de l’Organisation – et même un peu au-delà – mènent au sein du Comité de la politique de la réglementation, organe qui consacre ses deux sessions annuelles aux moyens d’améliorer la réglementation. Il est à l’origine de la recommandation en douze points du Conseil de l’OCDE concernant la politique et la gouvernance réglementaires, publiée en 2012.

Avant cette recommandation, nous avions effectué les revues intitulées Mieux légiférer en Europe et consacrées à quinze pays de l’Union européenne, dont, en 2010, une revue de la France qui faisait suite à celle de 2004. Nous savons cependant qu’il s’est passé beaucoup de choses depuis cette période.

Le travail et la raison d’être du Comité de la politique de la réglementation peuvent se résumer en quelques messages clés que l’on retrouve dans la recommandation du Conseil de 2012.

Premièrement, il est possible d’atteindre les objectifs des politiques sociales, économiques et environnementales à un coût moindre en légiférant mieux et en améliorant la qualité du système réglementaire. Le Comité met l’accent sur l’aspect qualitatif du processus de production législative autant que sur son aspect quantitatif.

Deuxièmement, cette amélioration suppose une vision stratégique et, surtout, globale du cycle de la gouvernance réglementaire. Le stock et le flux des textes législatifs et réglementaires sont éminemment liés : on ne peut traiter l’un sans l’autre – ce dont on a déjà largement conscience en France, comme le montre l’annonce faite lundi dernier au sujet du principe « one in, one out ». Ensuite, le cycle de gouvernance réglementaire doit être vu dans son ensemble : une réflexion sur la manière dont les lois produites seront mises en œuvre in fine doit intervenir dès l’amont du processus. Enfin, la qualité de la loi ne s’apprécie pas seulement en termes de légistique, mais aussi en fonction des impacts économiques, sociaux et environnementaux des textes.

Cette approche s’est traduite, dans les pays de l’OCDE, par un certain nombre de bonnes pratiques dans la mise en œuvre de l’architecture institutionnelle et par le recours à différents outils.

Ainsi, la majorité des pays membres ont mis en place, au cœur des instances gouvernementales, un organisme de supervision. Les États-Unis ont été les premiers à le faire. Cette instance a pour mission de surveiller la qualité de la préparation des évaluations d’impact et de fournir des conseils sur leur élaboration. Elle doit en conséquence disposer d’une indépendance technique qui lui confère la force et le pouvoir d’émettre, le cas échéant, un avis négatif et de renvoyer les projets de loi pour lesquels les évaluations d’impact sont insuffisantes. On voit ainsi émerger des autorités de contrôle de la politique réglementaire indépendantes de l’exécutif. C’est le cas, par exemple, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et en République tchèque.

Les analyses d’impact sont un outil essentiel de la gestion réglementaire. Nos études montrent que les trente-quatre pays de l’OCDE les ont très largement adoptées mais qu’elles restent encore souvent un exercice formel. Nous disposons cependant, au vu de l’expérience de certains pays, de principes pour leur donner plus de consistance. D’abord, l’évaluation des impacts doit être proportionnelle à l’importance du projet de loi ou de réglementation. Dans plusieurs pays, par exemple aux États-Unis, on a même fixé des seuils au-delà desquels l’évaluation ex ante de l’impact devient obligatoire.

M. Thierry Mandon, président. Sur quels critères ces seuils sont-ils fixés ?

Mme Céline Kauffmann. Il s’agit du montant de coût et de bénéfice ultime du projet de loi, ce qui suppose d’ailleurs une évaluation préalable à l’éventuelle étude d’impact.

M. Thierry Mandon, président. Sur quelle méthodologie s’appuie-t-on pour mener sur cette évaluation préalable ?

M. Nick Malyshev, responsable de la division de la politique de la réglementation (OCDE). Les ministères recourent à une méthodologie très simple. Si le coût évalué dépasse 100 millions de dollars, il faut passer à une analyse plus détaillée.

M. Thierry Mandon, président. L’OCDE passe-t-elle en revue les méthodologies ?

M. Nick Malyshev. Oui. Nous avons examiné il y a quelque temps celle des États-Unis, où le système, en place depuis trente ans, est éprouvé.

M. Thierry Mandon, président. Le cahier des charges de l’étude d’impact varie-t-il en fonction du montant préalablement estimé ?

M. Nick Malyshev. L’exécutif a obligation de rendre compte annuellement au Congrès des effets observés sur le terrain par rapport aux effets escomptés.

La proportionnalité de l’étude d’impact est également appliquée au Canada, où la procédure dite du « triage » consiste à moduler le degré d’évaluation, après une rapide estimation reposant sur une méthodologie spécifique, selon que leur impact est jugé « bas », « moyen » ou « haut ». Un système similaire existe au Royaume-Uni.

M. Thierry Mandon, président. Dans ces systèmes, quelle est la part d’initiative de l’exécutif et quelle est celle du Parlement ?

M. Nick Malyshev. Au Canada et au Royaume-Uni comme aux États-Unis, l’initiative en la matière appartient entièrement à l’exécutif. Du reste, nous observons que les parlements de plusieurs pays de l’OCDE ne se conforment pas aux principes d’amélioration de la réglementation et que les exécutifs leur font endosser certaines propositions législatives dans le but de se soustraire à cette discipline.

M. Thierry Mandon, président. Combien de pays ?

M. Nick Malyshev. Nous avons beaucoup d’exemples qui montrent que les organes législatifs font de l’évaluation ex post, souvent au moyen d’une structure d’audit, mais sont peu actifs en matière d’évaluation ex ante.

M. Thierry Mandon, président. Bref, les parlements ne font quasiment pas d’évaluation ex ante…

M. Nick Malyshev. Il existe tout de même quelques structures indépendantes et professionnelles qui examinent les propositions ex ante. Le meilleur exemple est peut-être le Congressional Budget Office (Bureau du budget du Congrès américain), dont la mission est d’examiner l’impact des décisions budgétaires et, à l’occasion, l’impact économique de différents projets de loi soumis à la procédure législative. Une structure similaire existe au Canada mais, là aussi, elle n’examine que très ponctuellement les projets non budgétaires. Plus récemment, au sein de l’Union européenne, le Parlement européen s’est doté d’une unité des études d’impact ex ante. Nous n’observons aucune démarche similaire du côté du Conseil, ce qui est dommage.

M. Régis Juanico. Pour vous, quels sont les « bons élèves » de l’OCDE, à la fois en matière d’évaluation ex ante et ex post et en matière de contrôle du flux et du stock normatifs ?

M. Nick Malyshev. Il y a une tendance forte en faveur de l’amélioration de la réglementation et de la simplification administrative dans tous les pays de l’OCDE.

Avant que M. Daniel Trnka ne vous expose plus en détail la progression des pratiques, je voudrais me placer sur un plan un peu plus théorique. Alors que la France se préoccupe aujourd’hui de réduire les formalités administratives pour les entreprises, s’agit-il de mesures en faveur des entreprises ou de mesures destinées à faciliter le fonctionnement des marchés ? Les politiques menées dans la plupart des pays de l’OCDE sont surtout tournées vers les entreprises, ce qui est pour nous quelque peu préoccupant. En effet, si la simplification réglementaire a lieu dans un environnement où aucune réforme ne rend les marchés plus concurrentiels, le risque est de renforcer uniquement les capacités des entreprises à augmenter leurs profits. Ce n’est que dans un contexte concurrentiel que l’allègement des charges peut aboutir à une hausse de l’emploi, à une amélioration de la qualité des produits et à une baisse des prix. L’Australie, par exemple, a mis l’accent sur le renforcement de la concurrence bien avant les initiatives européennes en matière de simplification réglementaire. Elle a, en conséquence, créé une boîte à outils pour l’évaluation de l’impact des projets de texte sur la compétitivité. L’OCDE s’est inspirée de ces réformes pour son Manuel pour l’évaluation de la concurrence, dont l’application permettrait notamment de réduire considérablement le stock normatif.

Mais la cartographie réalisée par M. Daniel Trnka montre qu’il y a aussi des exemples à suivre en Europe.

M. Daniel Trnka, responsable du travail sur la simplification, division de la politique de la réglementation (OCDE). On peut citer plusieurs pays.

À l’évidence, le Royaume-Uni est un pionnier en Europe pour ce qui est de l’évaluation ex ante des coûts et bénéfices afférents aux nouvelles normes. C’est ce pays qui a introduit le principe aujourd’hui célèbre du « one in, one out »¸ devenu « one in, two out »¸ en vertu duquel tout coût induit par une nouvelle réglementation doit être compensé par une réduction d’une ou deux fois le même montant par ailleurs.

Nous trouvons également intéressante l’initiative intitulée Red Tape Challenge, qui associe la publication sur Internet de la législation propre à chaque domaine et l’invitation faite à tous les acteurs – citoyens et entreprises – de donner leur avis sur les normes qu’ils trouvent les plus pesantes ou les plus exaspérantes.

M. Thierry Mandon, président. Est-ce que cela fonctionne vraiment ?

M. Daniel Trnka. Cela fonctionne à condition que les parties prenantes fournissent un grand nombre de contributions intéressantes. Ce qui est révolutionnaire, c’est que le gouvernement a l’obligation de répondre à ces contributions et de faire un rapport sur les propositions concrètes qui lui sont soumises.

M. Nick Malyshev. Reste à savoir jusqu’où peut aller une initiative qui se fonde sur la doléance : par exemple, beaucoup d’entreprises se plaignent des contraintes environnementales, peu sont à même d’offrir des solutions ! En outre, les ministères et les agences gouvernementales ne doivent pas prendre en compte le seul coût que la réglementation fait subir aux entreprises, mais aussi le bénéfice qu’elle apporte à la société. Il faut donc compléter le dispositif par une méthodologie pour essayer de voir dans quelle mesure le stock normatif correspond à l’intérêt général.

M. Daniel Trnka. Autres pays pionniers en la matière, le Danemark et les Pays-Bas ont atteint leur objectif de réduire de 25 % les charges administratives. Pour autant, lorsque l’on interroge les entrepreneurs, ils n’ont pas l’impression que cela a produit des effets sur leur activité quotidienne : pour eux, le bilan est plutôt neutre. C’est pourquoi ces pays se tournent vers des méthodes plus qualitatives et cherchent à travailler directement avec les acteurs. Ainsi, au Danemark, dans le cadre du projet « Chasseurs de charges » (« Burden Hunters »), des groupes de fonctionnaires quittent leurs bureaux pour aller parler aux agriculteurs, aux chauffeurs routiers, etc. Ils les suivent dans leurs tâches pour constater l’impact de la réglementation sur leur vie quotidienne. Puis ils travaillent avec eux à des propositions de simplification. Les approches de ce type sont sans doute plus efficaces.

M. Thierry Mandon, président. Le gouvernement français est en train de mettre en place un dispositif comparable. Une dizaine de groupes de travail ont été constitués pour se consacrer à des moments clés de la vie des entreprises : création, embauche, export, etc. Composés d’administrations et d’entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, ils identifient les points de complexité – pas toujours législatifs, du reste – et dessinent la stratégie de simplification.

M. Daniel Trnka. Je voudrais aussi mentionner l’Italie, où l’actuel Premier ministre met en place un dispositif de « guillotine réglementaire » : on fixe une date butoir au-delà de laquelle une norme donnée sera supprimée si le ministère n’a pas entretemps justifié son existence. La démarche est intéressante mais assez radicale.

Au-delà des coûts administratifs, l’Allemagne, pour sa part, met l’accent sur la mesure des coûts de conformité – compliance costs. Un organisme indépendant de contrôle, le Normenkontrollrat, évalue toute nouvelle loi au regard de ces coûts.

M. Nick Malyshev. Le lien entre l’organe institutionnel et les outils de simplification est important. Beaucoup de pays se focalisent trop sur les outils, et pas assez sur le dispositif institutionnel. Le Regulatory Policy Committee en Grande-Bretagne et le Normenkontrollrat en Allemagne sont placés auprès du Premier ministre et ont une autorité suffisamment forte pour superviser les efforts de tous les ministères et de toutes les agences en matière normative. Je crois qu’il faut associer étroitement les deux aspects.

M. Thierry Mandon, président. Notre mission d’information a surtout pour objet la production et qualité de la loi. À cet égard, pourriez-vous revenir sur la question de la transposition des directives européennes en droit national ? Hormis la méthode britannique, qui est par définition la plus simple, quelles sont les méthodes des États membres ?

Mme Céline Kauffmann. Nous n’avons pas consacré d’étude comparative approfondie aux méthodes de transposition.

M. Nick Malyshev. C’est cependant un des thèmes de la revue que nous avons menée dans quinze États de l’Union européenne.

Mme Céline Kauffmann. Cette revue, effectuée dans les années 2009-2010, concernait les pays qui constituaient auparavant l’Europe des quinze. Chacun a fait l’objet d’un rapport. Nous avons ensuite fait un exercice de synthèse et examiné dans ce cadre les questions de transposition. Il s’agissait surtout de déterminer la « performance » des États : transposent-ils systématiquement les textes européens ? Le font-ils avec retard ? Quels sont les facteurs de blocage ?

M. Nick Malyshev. Cette étude montre que les difficultés de transposition tiennent principalement à deux facteurs.

En amont, de nombreux pays ont du mal à négocier la version finale des directives au niveau du Conseil. Une explication possible est que les politiques chargés des négociations ne sont pas suffisamment en relation avec les personnes qui seront responsables de la transposition. Lorsque la directive arrive dans le cadre national, elle provoque souvent la surprise, signe d’une préparation insuffisante. Une des recommandations de l’OCDE est que les États membres utilisent davantage les études d’impact menées au niveau de l’Union sur les textes européens. Alors que la Commission alloue des moyens considérables au développement de ces travaux, nous n’avons pas l’impression que les pays s’en servent comme point d’appui pour analyser l’impact local des directives.

Nous remarquons également qu’il y a souvent peu de rapports entre les études d’impact menées au niveau de la Commission européenne et ce qui émerge à l’autre bout du processus. Il n’existe pas vraiment d’approche globale. D’ailleurs, nous suggérons depuis longtemps à la Commission de permettre à l’OCDE de réaliser un rapport sur le « mieux légiférer » au sein des institutions européennes. Les études que nous avons menées à ce sujet dans les différents pays nous ont apporté une bonne connaissance du sujet mais nous n’avons pas encore eu l’occasion d’analyser la question au niveau de l’Union.

Je vous renvoie à notre document de synthèse paru en 2012, Politique réglementaire et gouvernance : Soutenir la croissance économique et servir l’intérêt général, en particulier à son annexe, qui contient les éléments les plus intéressants.

M. Daniel Trnka. Vous avez mentionné la transposition des directives au Royaume-Uni, Monsieur le rapporteur. Il est pourtant difficile de trouver des exemples de bonnes pratiques. Les textes de transposition sont généralement dispensés de l’obligation d’étude d’impact. C’est regrettable car les États disposent d’une certaine latitude pour transposer les directives. Certains pays choisissent automatiquement l’application la plus stricte sans pouvoir justifier par une évaluation préalable si ce choix est le plus efficace. Lorsque, par exemple, une directive établit une nouvelle obligation d’information, il conviendrait de réfléchir à la façon de s’y conformer la plus simple – à travers le guichet unique, par exemple – pour les entreprises et les citoyens.

Un autre travers très répandu est la « surtransposition » – « gold-plating » –, qui consiste à ajouter des dispositions non requises par la directive et à en accuser l’Union européenne.

M. Thierry Mandon, président. La France ne s’en prive pas !

M. Daniel Trnka. Le recours aux études d’impact permettrait de mieux mettre en évidence cette pratique.

M. Thierry Mandon, président. Cette audition très riche nous sera précieuse car nous souhaitons donner à notre réflexion une dimension comparative forte. Si vous le voulez bien, nous viendrons dans vos bureaux au moment de la parution de notre rapport pour présenter la synthèse des outils que le Gouvernement met en place en matière de simplification. La France engage – tardivement, certes – un travail considérable dans ce domaine et nous serons heureux de répondre à vos questions sur cette nouvelle politique.

Mme Céline Kauffmann. Vous serez les bienvenus.

Séance du mercredi 30 avril 2014

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général et de M. Simon Bertoux, conseiller référendaire, chargé de mission.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous vous remercions, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, d’avoir accepté d’être auditionné par la mission d’information sur la simplification législative. Comme vous le savez, celle-ci entend faire porter ses travaux davantage sur la rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement, en étroite collaboration avec notre rapporteur, M. Thierry Mandon, qui copréside avec M. Guillaume Poitrinal le conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative en nous inspirant des exemples étrangers. Nos concitoyens estiment en effet à juste titre que l’on édicte toujours plus de lois, quelquefois bavardes, et que l’on crée ainsi une société de plus en plus complexe. Nous souhaitons donc rendre la loi plus lisible tout en en rationalisant le flux.

Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes inspirés d’exemples étrangers après avoir effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye. L’étude des bonnes pratiques adoptées par nos voisins nourrit notre réflexion qui porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, tels que la méthode de transposition des directives européennes.

Monsieur le Premier président, pourriez-vous nous rappeler de façon synthétique les actions de la Cour des comptes en matière d’évaluation ex post puis nous répondre sur quelques points particuliers ? Pensez-vous notamment qu’il soit opportun de systématiser l’insertion, dans certains types de lois, de clauses de révision prévoyant que le Parlement procède à une évaluation du dispositif voté dans un délai déterminé, comme on l’a fait en matière de bioéthique, ce qui conduirait le législateur à arrêter d’une législature à l’autre un programme pluriannuel d’évaluation ? Cela lui permettrait de supprimer les dispositions législatives qui n’auraient pas atteint l’objectif recherché. Pensez-vous que le Parlement et la Cour de comptes pourraient renforcer leurs liens et leur collaboration dans le cadre d’un travail d’évaluation ex post plus méthodique, au-delà de ce qui se fait par exemple déjà au sein de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances ? Si oui, selon quelles modalités – institutionnelles, notamment ? Pensez-vous que des membres de la Cour des comptes pourraient participer à un travail d’évaluation ex ante de l’impact des projets de loi, des propositions de loi et des amendements substantiels dans le cadre d’un pôle d’expertise qui pourrait être sollicité par les présidents des deux assemblées parlementaires ?

Je vous cède à présent la parole pour un exposé liminaire au terme duquel nous vous poserons quelques questions complémentaires.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je vous remercie de m’avoir invité à exprimer la position de la Cour des comptes sur le sujet sensible de la simplification législative. Je suis, pour ce faire, accompagné de M. Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes, et de M. Simon Bertoux, conseiller référendaire et chargé de mission.

La Cour des comptes, qui assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, partage votre préoccupation de rendre la législation plus simple et plus accessible. Elle est donc déterminée à prendre toute sa part, dans la limite de ses compétences, pour contribuer à cette entreprise.

Je ne m’exprimerai naturellement pas sur l’amélioration de la procédure législative elle-même, qui relève de vous seuls, sauf pour souligner qu’une application plus stricte des articles 34 et 37 de la Constitution contribuerait à une clarification et à une simplification. Cela donnerait en effet au Parlement davantage de temps pour examiner les textes qui relèvent véritablement de sa compétence. Je concentrerai mon intervention sur les moyens de mieux évaluer ex ante et ex post l’effet des lois, dans un esprit de simplification.

Je commencerai par aborder tout ce qui précède la discussion et l’adoption des lois. Votre mission a déjà eu l’occasion de s’intéresser au dispositif actuel d’études d’impact des projets de loi. Force est de constater que ce dispositif, encore jeune, est de très inégale qualité selon les textes, et, en moyenne, insuffisamment étayé sur le plan quantitatif. Cela ne résulte pas obligatoirement d’une volonté de rétention de l’information par les services car l’expertise peut ne pas exister et, lorsqu’elle existe, il arrive fréquemment qu’elle ne soit pas mobilisée en raison de l’urgence à examiner les textes déposés. Votre Règlement pourrait prévoir que les propositions de loi soient, elles aussi, assorties d’études d’impact, même s’il serait plus difficile au Parlement de les produire qu’au Gouvernement.

Avant de revenir sur l’importance cruciale de ce travail en amont, soulignons que les missions de la Cour des comptes et ses procédures, qui impliquent une série d’examens collégiaux et une contradiction écrite, nécessairement assez longs, ne lui permettent pas de réagir vite, comme peut le faire le Conseil d’État. Il n’apparaît donc pas possible d’envisager de lui faire jouer un rôle en amont de l’adoption des textes, ni de façon systématique ni même sur demande. En revanche, les travaux déjà réalisés par les juridictions financières pourraient être davantage exploités car ils ont souvent un rapport direct avec des initiatives législatives qui vous sont soumises. Vous pouvez donc nous saisir de demandes d’auditions sur ces travaux.

S’agissant de l’évaluation ex post des dispositifs publics, les travaux existants de la Cour identifient fréquemment la complexité normative comme une cause des difficultés rencontrées dans l’action publique. Des dispositifs plus simples, plus accessibles et appliqués de façon plus homogène par les administrations, sont mieux compris et mieux acceptés par les citoyens. Cette légitimité renforcée ainsi que l’allégement du travail administratif qui accompagne la simplification sont autant de gages d’efficacité et d’efficience de l’action publique.

J’en prendrai brièvement quelques exemples, issus de nos travaux les plus récents, pour vous convaincre que d’importants progrès sont possibles. J’aborderai successivement trois thèmes : la protection sociale, la fiscalité et la gestion publique.

Dans le domaine de la protection sociale, la sédimentation de nombreux dispositifs d’inspirations différentes, chacun obéissant à des critères et à des règles de calcul variables, forme un paysage d’une excessive complexité. Cette complexité des règles peut viser un objectif légitime, celui d’éviter autant que possible les effets d’aubaine. Mais, en réalité, celui-ci est rarement atteint : la Cour relève fréquemment que l’action publique est insuffisamment ciblée. Et le prix de la complexité est élevé : un moindre accès aux droits des citoyens, une perte de légitimité de l’action publique et, pour les administrations, des surcoûts et de l’inefficacité. Ce prix de la complexité n’apparaît pas immédiatement, en partie parce que les services qui conçoivent la règle – l’administration centrale, le plus souvent – sont rarement ceux qui l’appliquent concrètement sur le terrain – les services déconcentrés et les collectivités territoriales.

Je citerai quelques exemples concrets tirés des derniers rapports annuels de la Cour sur la sécurité sociale : la Cour a ainsi critiqué en 2008 la réglementation applicable au calcul des indemnités journalières ; en 2010, la complexité des différents régimes d’invalidité ; en 2011, la gestion des forfaits et exonérations pour les patients à l’hôpital, qui forme un ensemble excessivement complexe et qui laisse des restes à charge parfois très importants pour certains patients. Dans notre rapport public thématique de janvier 2013 consacré au fonctionnement du marché du travail, nous recommandions aussi de simplifier l’ensemble des dispositifs d’incitation à l’activité, qui repose actuellement sur la prime pour l’emploi, le revenu de solidarité active (RSA) activité et les possibilités de cumul entre indemnisation chômage et activité partielle. Sur ce dernier point, la Cour relevait que la complexité des règles était à l’origine de nombreux indus et d’une charge de travail disproportionnée pour les services de Pôle emploi. Une simplification devrait être engagée, à la suite de l’accord national interprofessionnel du 22 mars dernier relatif à l’indemnisation du chômage.

Je pourrais aussi mentionner d’autres sujets, comme les différentes formes de visas et de titres de séjour pour les étrangers, la cartographie des zones prioritaires en matière de politique de la ville ou de logement, ou les nombreux dispositifs de soutien à la création d’entreprises qui entraînent une illisibilité et une dispersion des efforts, comme la Cour l’a relevé dans un rapport d’évaluation remis à votre comité d’évaluation et de contrôle en février 2013.

J’en viens à une deuxième série d’exemples qui concernent la fiscalité. La Cour formule de nombreuses propositions pour simplifier et maîtriser le coût des niches fiscales et sociales, car beaucoup reste encore à faire pour évaluer leurs effets, simplifier leurs règles d’application et maîtriser leur coût. La Cour critiquait dans son rapport d’évaluation des relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises, publié en février 2012, la complexité et l’instabilité de la règle fiscale. Le code général des impôts, auquel s’ajoutent 40 000 pages d’instructions fiscales, avec d’innombrables renvois, un vocabulaire parfois désuet et une rédaction souvent obscure, sont devenus inintelligibles aux yeux mêmes de l’administration. Cela est donc pire encore pour les citoyens.

Dans son rapport public annuel pour 2014, la Cour prenait l’exemple de l’accumulation de dispositifs fiscaux bénéficiant aux personnes handicapées, qui forment un ensemble incohérent et insuffisamment connu de ses bénéficiaires potentiels. En outre, l’hétérogénéité d’application de la règle sur le territoire par les diverses administrations impliquées – conséquence directe de la complexité – pose un problème d’égalité et d’accès au droit. La Cour a notamment relevé qu’une demande d’indemnisation recevait un avis défavorable dans 9 % des cas à Rennes et dans 54 % des cas à Épinal. Autre anomalie : la perte de vision d’un œil peut entraîner une incapacité de 30 % dans le barème d’invalidité pour les accidents du travail mais de 42 % dans le système de l’allocation adulte handicapé (AAH) et de 65 % dans le régime des pensions militaires d’invalidité. Compte tenu d’une telle complexité et de telles injustices, la Cour a formulé des propositions de simplification et de mise en cohérence.

De même, en matière de gestion publique, la prolifération de régimes de primes inutilement variés et complexes entraîne d’importants coûts de gestion. Le fait de ne pas avoir simplifié ces régimes avant d’engager des projets a priori utiles et bénéfiques comme l’Opérateur national de paie ou le système Louvois du ministère de la Défense, est la cause principale de l’échec de ces projets. Nous avions relevé, dans notre rapport consacré à l’organisation territoriale de l’État de juillet 2013, que les instructions et circulaires envoyées par les administrations centrales sont beaucoup trop nombreuses et bavardes : les préfets ont ainsi reçu 637 circulaires en 2012, représentant des milliers de pages, sans qu’aucune priorisation ne soit établie. Le cas d’une circulaire de vingt-sept pages adressée aux préfets par le directeur de cabinet du ministre de l’agriculture sur les prescriptions relatives aux poulaillers n’est pas exceptionnel.

Les parlementaires pourraient donc se saisir davantage encore de nos travaux, qu’ils soient publics ou non, car la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale permet à vos commissions permanentes et à vos commissions d’enquête d’avoir accès à tous nos travaux définitifs. Nos présidents de chambre et nos magistrats sont à votre disposition pour être auditionnés et vous apporter toutes précisions lorsque vous examinez un texte portant sur un sujet sur lequel la Cour a déjà formulé des constats. Nous sommes aussi à votre disposition au moment de l’examen de la loi de règlement, à travers les notes d’exécution budgétaire que nous vous livrons et qui sont une mine d’informations pour vous aider à remettre en question certains dispositifs, en tirant toutes les conséquences de l’évaluation de leur performance.

Nos travaux peuvent aussi nourrir l’initiative parlementaire elle-même. Ainsi le rapport établi à la demande de votre commission des finances sur les comptes bancaires inactifs et contrats d’assurance-vie en déshérence a-t-il donné lieu à une proposition de loi que votre Assemblée a adoptée en première lecture et qui se trouve actuellement en navette. Je me réjouirais – et avec moi, l’ensemble des magistrats et rapporteurs de la Cour – que cet exemple puisse se répéter. En effet, lorsque nous travaillons à votre demande, nous veillons tout particulièrement à répondre à vos attentes. Et tout en restant à notre place, nous pouvons formuler des propositions concrètes et opérationnelles afin de vous aider à exercer votre double rôle de législateur et de contrôleur de l’action du Gouvernement et de l’administration.

Votre mission souhaitant renforcer le suivi ex post des lois, j’ai vu que figurait parmi les pistes évoquées celle de faire intervenir la Cour de manière bien plus systématique. Cette proposition m’apparaît conforme à l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008 qui confie à la Cour des comptes une mission d’assistance au Parlement en matière d’évaluation des politiques publiques. Il ne peut cependant s’agir à nos yeux d’instaurer un suivi systématique de l’effet des lois car toutes ne nécessitent pas un suivi sous forme d’évaluation par la Cour – qui plus est, elle ne disposerait pas des moyens de le faire. Cela étant, certaines lois pouvant le nécessiter tout particulièrement, des progrès peuvent être accomplis afin de conférer toute leur portée aux simplifications votées par le Parlement. L’exemple des lois dites « Warsmann » de 2011 et 2012 en atteste : certains pans entiers de ces lois n’ont toujours pas reçu leurs textes d’application, s’agissant notamment des mesures de simplification de certains régimes d’installation de production d’énergies renouvelables comme les éoliennes ou la géothermie. Ces évolutions répondent à une préoccupation exprimée par la Cour dans son rapport de juillet 2013 consacré aux énergies renouvelables.

Dès lors, et puisque le cadre juridique actuel le permet, je ne verrais que des avantages à ce que plusieurs textes par an soient soumis, à votre initiative, à des évaluations ex post de la Cour. Ce ne sera pas la première fois que celle-ci effectue pour le Parlement des évaluations de dispositifs créés par la loi, qu’il s’agisse du dossier médical personnalisé ou du crédit impôt recherche. Parmi les commandes qui sont passées chaque année par le Parlement, la Cour peut être saisie plus souvent de ce type d’enquêtes via le comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale – au-delà des prérogatives de la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances que nous nous efforçons d’assister sur plusieurs sujets.

Je veux insister sur une condition essentielle pour que ces évaluations soient efficaces et utiles. La Cour en a déjà fait l’expérience : évaluer une réforme qui n’a pas été conçue dès l’origine dans la perspective d’être, un jour, évaluée, est une tâche lourde, difficile et souvent improductive. Il faut identifier les objectifs visés, qui ne sont pas toujours clairement formulés, trouver les données quantitatives et qualitatives permettant de voir si ces objectifs sont atteints et inciter les administrations elles-mêmes à évaluer l’impact des règles dont elles ont proposé l’adoption. Cela représente un travail important qui n’aboutit pas toujours, faute de données disponibles. Autrement dit, si l’on se contente de renforcer l’évaluation ex post, la Cour sera à même de livrer un nombre réduit de travaux. Si, au contraire, le législateur et l’administration conçoivent des dispositifs de qualité, qui identifient des objectifs clairs et prévoient la collecte de données afin de vérifier dans quelle mesure ils sont atteints, la Cour sera en mesure de vous livrer des évaluations ex post plus utiles et plus nombreuses. Dès lors, l’enrichissement des études d’impact mérite toute votre attention. C’est à mes yeux un sujet de débat à part entière, au même titre que l’examen d’amendements. C’est une occasion pour les parlementaires de formuler des exigences accrues quant à la qualité du travail préparatoire au dépôt de projets de loi, afin d’impliquer les administrations dans le suivi et l’évaluation des réformes.

Tels sont les quelques mots que je souhaitais vous dire en introduction. Je suis à présent disposé à répondre à vos questions.

M. Régis Juanico. Quelles pistes permettraient, selon vous, d’améliorer la qualité des études d’impact qui, en l’état actuel, ne produisent pas tous les effets attendus ? Serait-il envisageable, comme nous l’avons vu au Royaume-Uni, de faire intervenir un comité d’experts indépendant qui apporterait son regard sur la rédaction des textes de loi ? Par ailleurs, j’ai bien compris que l’évaluation ex post des textes ne devait pas être systématique sous peine de noyer ce travail et d’en compromettre la qualité : dès lors quel rôle la Cour des comptes pourrait-elle jouer pour nous assister ? S’il importe qu’une fois un texte adopté, le rapporteur qui en a accompagné l’examen se voie chargé, quelques années plus tard, d’en assurer le suivi et l’évaluation, l’exercice d’une telle mission suppose qu’il dispose de moyens suffisants. Il importe également que la loi prévoie bien, d’une part, les objectifs qui en sont attendus – de telle sorte que l’on puisse bien vérifier par la suite s’ils ont été atteints – et d’autre part, les moyens de collecter les données nécessaires à son évaluation. S’agissant enfin de la procédure d’examen des amendements parlementaires, les principaux d’entre eux, et notamment ceux qui ont un impact financier ou social important, devraient-ils également faire l’objet d’études d’impact, étant entendu que nos amendements sont déjà soumis au contrôle de la commission des Finances et du Conseil constitutionnel ? Si oui, qui pourrait prendre en charge l’élaboration de telles études ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Vous avez raison : le travail effectué en amont est essentiel, notre capacité à évaluer l’impact d’une loi étant d’autant plus grande que celle-ci est claire dans ses objectifs. L’une des grandes difficultés rencontrées dans notre pays est que nous n’avons pas la culture de l’évaluation que ce soit ex ante ou ex post, ou tout du moins est-elle récente. S’agissant des études d’impact, le Secrétariat général du Gouvernement a pris plusieurs initiatives, notamment celle de se doter d’un réseau interministériel d’évaluateurs, ce qui n’a d’ailleurs malheureusement pas bien fonctionné. Il existe donc des marges de progression même si plusieurs textes votés insistent déjà sur l’intérêt de ces études. De fait, celles-ci ne correspondent le plus souvent aujourd’hui qu’à un exposé des motifs quelque peu enrichi du projet de loi.

Vous avez aussi évoqué l’exemple du Royaume-Uni et m’avez interrogé sur la pertinence de créer un comité indépendant : je suis toujours surpris de voir les parlementaires réfléchir systématiquement à l’intérêt de créer des autorités administratives indépendantes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous ne sommes pas obligés d’en créer une nouvelle : nous pourrions recourir à une autorité qui existe déjà …

M. le Premier président de la Cour des comptes. C’est ce que je souhaitais vous dire : l’exemple du Royaume-Uni n’est pas pertinent car ce pays n’est pas doté d’un Conseil d’État, à la différence de la France où ce conseil est systématiquement saisi pour avis des projets de loi. Or il pourrait parfaitement se prononcer pour avis sur la qualité des études d’impact. Et pourquoi ne pas mobiliser les nombreux hauts fonctionnaires existant dans les inspections et autres organes de contrôle pour les faire contribuer à l’élaboration de ces études ? Toutes les forces sont là pour effectuer ce travail. Quant à vous, vous n’avez pas besoin d’un comité indépendant puisque vous avez la faculté de mener des auditions et d’organiser des débats contradictoires. Vous le pouvez, mais c’est souvent la volonté qui manque.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous n’avons quelquefois pas le temps…

M. le Premier président de la Cour des comptes. Il faut le prendre, le temps ! C’est une question de volonté. Il s’agit de considérer votre fonction de contrôle comme tout aussi importante que votre fonction de législateur. Et que cette dernière consiste aussi à s’intéresser aux études d’impact et à la définition des objectifs de tout texte de loi. C’est donc une question d’organisation du travail et non pas de moyens. Tout n’est pas qu’une question de moyens : il faut aussi mobiliser les expertises existantes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce qui nous a paru intéressant dans l’exemple anglais, c’est que les membres de leur comité d’évaluation disposent d’une liberté de parole complète. En France, le fait que le rapporteur appartienne à la majorité lui ôte une part de cette liberté dans la mesure où il ne souhaite pas mettre en difficulté le Gouvernement. Avant l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pourquoi ne pas confier à une autre entité – qui peut très bien déjà exister – le soin de vérifier que l’étude d’impact élaborée par le Gouvernement est cohérente, et d’évaluer la nécessité de légiférer ainsi que la complexité éventuelle du texte envisagé par rapport au droit existant ? En effet, le rapporteur ne dispose quelquefois que de quinze jours pour évaluer un texte. Et même si la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a le pouvoir de renvoyer le texte, en pratique, elle ne le fait pas et ne le fera pas demain non plus – surtout s’il s’agit d’une loi hautement politique.

M. Régis Juanico.  Quant à l’avis du Conseil d’État, il n’est que juridique.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Voilà qui illustre bien que le problème culturel se trouve aussi chez vous. Peut-être les méthodes de travail du Parlement pourraient-elles évoluer, de même que ses relations avec le Gouvernement afin d’assurer la qualité du travail parlementaire. Si vous créez une entité nouvelle, elle n’aura jamais systématiquement compétence sur tout. Il vous revient donc d’apprécier, en fonction du sujet, les personnalités indépendantes à auditionner afin de vous apporter une contre-expertise par rapport à l’étude d’impact que vous livre le Gouvernement. Le président de chaque commission dispose de cette faculté, de même que le rapporteur. Vous n’entendez donc pas que des personnes soumises au Gouvernement.

Si le Conseil d’État qui, lui aussi, est indépendant, peut exprimer un avis juridique, il peut également s’assurer de la qualité des études d’impact. Cela nécessite que le Gouvernement ne la lui transmette pas au dernier moment comme il le fait parfois. Prendre huit jours supplémentaires de consultation peut faire gagner du temps à tous : cela peut permettre d’améliorer la qualité de la loi et notre capacité de l’évaluer. Quoi qu’il en soit, j’ai peine à imaginer ce que pourrait donner la création d’une entité nouvelle en France puisque, à la différence du Royaume-Uni, nous disposons d’un Conseil d’État et de nombreux experts dans nos administrations sans compter nos universitaires, qui font autorité sur de nombreux sujets. Ainsi, l’indépendance de la Cour des comptes n’est nullement remise en cause par le fait que nous consultions des groupes d’experts et des autorités pouvant avoir un avis sur certaines questions. Au contraire : le fait que nous les auditionnions avant de délibérer confère d’autant plus de crédit à nos travaux, dont vous pouvez d’ailleurs prendre connaissance. Et nous pouvons nous-mêmes contribuer à ce que votre information soit la plus complète possible.

Mme Cécile Untermaier. Mon collègue a bien exposé la question des études d’impact, telle qu’elle se pose à nous actuellement. Et je vous entends bien, monsieur le Premier président, quant à la nécessité de présenter dans ces études des objectifs et des critères d’évaluation. Il conviendrait également d’y mentionner les charges administratives que chaque projet de loi implique sur les services – point sur lequel ces études demeurent totalement silencieuses de sorte que les députés sont impuissants à réagir sur cette question. Si nos auditions peuvent nous permettre d’apprécier l’opportunité d’un dispositif, il nous est en revanche beaucoup plus difficile d’évaluer si les estimations quantitatives exprimées dans les études d’impact sont fondées ou pas, d’autant que nous n’avons pas la maîtrise de l’administration.

Je viens d’ailleurs d’en vivre une expérience très concrète : étant actuellement rapporteure d’un projet de loi, je dispose d’une étude d’impact dans laquelle sont mentionnées des prévisions de coûts manifestement sous-estimées. Or, que puis-je faire d’autre que de le dénoncer dans mon rapport sinon effectuer mes propres calculs ? Ne conviendrait-il pas que nous ayons recours à une autorité indépendante lorsqu’une étude d’impact comporte manifestement des insuffisances – que ce soit sur le plan quantitatif des coûts ou sur le plan qualitatif des effets potentiels d’une mesure sur les charges administratives ? Car lorsque l’on se tourne vers le ministère concerné pour l’interroger, on n’est pas entendu, la priorité étant accordée au dispositif législatif à examiner en séance publique. Si la difficulté n’est pas insurmontable, je pense comme vous que sa résolution suppose une réorganisation du travail parlementaire – mais pas seulement, car nous n’avons pas la maîtrise de l’administration. Et si nous pouvons auditionner des experts, nous ne pouvons nullement leur commander d’études.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, nous disposons d’une administration de qualité qui, lorsqu’elle le peut, fournit les informations requises de façon très loyale. Il n’est cependant pas toujours simple d’évaluer l’impact d’un dispositif, surtout s’il s’agit de mesures fiscales, si bien que l’administration peut parfois se tromper de bonne foi. De même, le fait que l’exécutif ne fournisse pas toutes les informations requises ne signifie pas qu’il est de mauvaise foi. C’est donc dans le dialogue avec l’exécutif et dans votre capacité à organiser des auditions que réside la solution. Car enfin, qui vote la loi, sinon l’Assemblée nationale et le Sénat ? Puisque vous reconnaissez vous-mêmes que les textes prévoient déjà certaines mesures en ce sens, appliquons-les avant d’en adopter d’autres.

Mme Cécile Untermaier. Il y a tout de même un principe de réalité : sans doute une réorganisation de notre travail est-elle nécessaire. Mais ne nous berçons pas d’illusions ! Car nous sommes chargés, sur des projets de loi importants, de rapports à rédiger dans les quinze jours. Que peut alors faire le rapporteur s’il constate des insuffisances dans l’étude d’impact du projet de loi qu’il étudie, sinon le signaler dans son rapport ? Nous devons donc effectuer tout un travail en amont de l’examen des projets de loi qui ne passe peut-être pas par le recours à une autorité indépendante, mais qui suppose néanmoins que l’on dispose d’un temps suffisant pour pouvoir débattre non pas de la loi elle-même mais de son étude d’impact. Peut-être conviendrait-il de distinguer l’examen de cette étude de celui du texte législatif et de ne débattre de ce dernier qu’une fois la première validée. Le rythme infernal auquel nous sommes soumis représente pour nous une extrême difficulté : nous légiférons dans la précipitation et il n’est pas possible de faire remonter l’analyse jusqu’aux études d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il manque donc une étape : celle de la validation de l’étude d’impact avant le travail sur la loi. Mais dans ce cas, il faudrait faire en sorte qu’un projet de loi ne puisse pas être inscrit à l’ordre du jour tant que son étude d’impact n’a pas été validée. En effet, il n’existe aujourd’hui aucun système vertueux pour améliorer les études d’impact et l’évaluation a posteriori.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Tout projet de loi ne méritant pas une étude d’impact, il convient d’opérer un tri et de définir des priorités. De plus, un projet de loi ne vient pas de nulle part : le Gouvernement l’a d’abord examiné et fait étudier. La question posée n’est donc pas tant celle de la présence ou de la constitution d’une autorité indépendante que celle de la gestion du temps d’examen des textes et de l’organisation de vos travaux. Vous semblez en effet manquer de temps pour pouvoir apprécier la qualité du travail qui vous est soumis : or, si vous recourez à une autorité indépendante pour le faire mais que celle-ci est confrontée aux mêmes délais que vous, elle ne pourra, elle aussi, que conclure au caractère insuffisant des études d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous pourrions décider qu’un texte de loi ne peut être examiné tant que son étude d’impact n’a pas été validée …

M. le Premier président de la Cour des comptes. Mais vous en avez déjà la possibilité ! Vous semblez estimer qu’il vous faut recueillir un autre avis que le vôtre et qu’il vous faut pour cela saisir une autre autorité. Permettez-moi de vous dire que vous pouvez faire usage des compétences et des pouvoirs qui sont les vôtres !

Mme la présidente Laure de La Raudière. Chiche à la majorité !

M. Régis Juanico.  Il conviendrait également de mieux utiliser le temps de la navette parlementaire, d’autant que les textes peuvent être substantiellement modifiés en première lecture par amendements, soit à l’initiative d’un parlementaire, soit à celle du Gouvernement. L’étude d’impact pourrait donc être réactualisée au fil de l’examen du projet de loi. Un problème se pose également lorsqu’arrive en discussion, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, un amendement gouvernemental ayant un impact de plusieurs millions d’euros sur nos finances publiques – comme cela s’est déjà produit pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il nous faudrait dans ces cas-là disposer, dans des délais très courts, d’éclaircissements – ce qui ne nécessite pas forcément le recours à une autorité indépendante.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Cela n’est pas toujours possible et l’administration fiscale peut se tromper de bonne foi ; toutes les estimations ne sont pas certaines ; nous commençons à avoir de l’expérience en la matière mais cela nous est plus facile puisque nous intervenons ex post. En outre, le temps de la navette parlementaire vous permet de demander des précisions qui vous seront apportées ensuite dans le débat.

Vous avez abordé la question du temps – sujet qui m’est sensible eu égard à mes fonctions tant antérieures qu’actuelles. Mais regardez combien de temps vous perdez dans la procédure budgétaire : vous consacrez des mois à l’examen de la loi de finances initiale alors que vous ne disposez que de très peu de marges de manœuvre pour la modifier. En revanche, vous « exécutez » la loi de règlement alors que c’est souvent à partir de l’exécution d’une loi de finances ou d’une politique publique que l’on peut se rendre compte de dysfonctionnements, de failles ou d’insuffisances. Cela rejoint d’ailleurs le travail d’évaluation de la performance, de l’efficacité et de l’efficience. Dans tous les pays du monde, les parlementaires consacrent beaucoup plus de temps à l’exécution budgétaire qu’aux lois de finances initiales – qui sont d’ailleurs souvent des lois d’affichage. En France, nous faisons l’inverse, raison pour laquelle je parlais d’un problème culturel. Et, là encore, il est des textes que l’on ne respecte pas, et notamment les articles 34 et 37 de la Constitution. Vous dénonciez tout à l’heure les lois bavardes mais j’ai souvenir que c’était déjà le cas lorsque j’étais à votre place. Reste que personne ne prend la responsabilité de « bloquer » les dispositions qui ne relèvent pas de l’article 34 : le Gouvernement ne le fait pas davantage que les parlementaires ; quant au Conseil constitutionnel, dès lors que le Gouvernement et le Parlement ne le font pas, il ne souhaite pas le faire non plus.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Si l’article 41 de la Constitution permet de faire respecter la distinction entre les domaines législatif et réglementaire, il n’est cependant pas utilisé. Serait-il bénéfique de le faire appliquer avec la même rigueur que celle avec laquelle le président de la commission des Finances applique l’article 40 ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Il convient d’appliquer la règle avec intelligence. De même, vous avez par exemple toujours la possibilité de demander à un gouvernement d’accompagner son texte législatif de ses projets de décrets d’application.

Mme Cécile Untermaier.  Depuis deux ans que je siège dans cette assemblée, jamais je n’ai pu obtenir le projet de décret d’application !

M. le Premier président de la Cour des comptes. Le problème est culturel, tant pour le Parlement que pour le Gouvernement. Mais mieux légiférer – puisque c’est là votre objectif – c’est peut-être aussi moins légiférer. C’est donc aussi à vous de vous mettre en mesure de respecter cet objectif, tant dans l’intérêt du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif. On peut d’ailleurs parfois dépasser la contrainte du temps en s’organisant mieux. Je reconnais qu’au niveau individuel, il est difficile pour un député de faire évoluer la situation. C’est pourquoi l’initiative doit être collective.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est précisément l’objet de cette mission dont la création a été demandée par le président de l’Assemblée nationale. Celui-ci souhaitant être éclairé sur le sujet, il pourrait décider d’appliquer, avec intelligence et doigté, certaines dispositions de notre Règlement qui ne le sont pas complètement aujourd’hui. Tout cela est éminemment politique …

M. le Premier président de la Cour des comptes. Sans être naïf, il me semble que certaines pratiques peuvent changer – dans l’intérêt du Parlement comme du Gouvernement. Tout le monde a intérêt à ce que les conditions de travail du législateur s’améliorent. Je le vois d’ailleurs bien en tant que président du Haut conseil des finances publiques : lorsque nous recevons des documents au dernier moment, nous ne sommes pas dans des conditions idéales pour travailler. Et je sais parfaitement que l’on peut en dire autant pour vous. Le temps parlementaire est néanmoins plus long et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la navette que de permettre d’améliorer et de corriger certaines dispositions.

Il me semble en tout cas que compte tenu de son organisation en sections, le Conseil d’État dispose de spécialistes dans tous les domaines, capables d’exprimer un avis pertinent sur la qualité des études d’impact – qui peuvent ensuite être complétées. Cela étant, si l’on est parfois insatisfait des incertitudes pesant sur les données qui nous sont fournies, c’est parce qu’il est difficile d’obtenir des certitudes sur tous les sujets.

Mme Cécile Untermaier.  Vous avez raison d’évoquer le Conseil d’État dont les conseillers de très haut niveau constituent une ressource très précieuse. Son avis sur les projets de loi n’est cependant pas transmis aux parlementaires mais est réservé au Gouvernement.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je n’ai pas qualité pour vous répondre : c’est au vice-président du Conseil d’État et au Gouvernement de le faire. Je peux néanmoins comprendre que ce dernier ne souhaite pas que les avis du Conseil d’État soient systématiquement publiés car cela pourrait avoir des effets pervers et notamment conduire le Conseil à retenir des arguments ou à s’y prendre différemment ; je ne suis donc pas sûr que l’on y gagnerait en efficacité et en transparence. Vous pourriez en revanche proposer une disposition législative visant à ce qu’il exprime un avis sur la qualité des études d’impact. Et rien ne vous empêcherait alors de prévoir que cet avis soit systématiquement rendu public car il serait d’une nature différente de l’avis rendu sur le texte lui-même. Une telle distinction serait donc utile. Ensuite, selon les sujets, de nombreuses personnes font autorité dans notre pays : il faut pouvoir les consulter et les auditionner.

M. Régis Juanico. Cécile Untermaier me demandait en aparté dans quelle mesure la Cour des comptes pourrait intervenir ex ante. Mais la Cour réalise déjà une somme considérable de travaux. En outre, nous entretenons des échanges réguliers et un dialogue constructif avec elle, que ce soit dans le cadre de la commission des Finances ou du comité d’évaluation et de contrôle. Enfin, les parlementaires et les magistrats de la Cour des comptes rédigent parfois des rapports sur les mêmes sujets. C’est pourquoi, dès lors qu’un thème particulier est abordé dans un projet de loi, les parlementaires pourraient être éclairés, dans l’étude d’impact ou un autre document, sur les préconisations de la Cour en la matière, plutôt que de la faire intervenir systématiquement sur tous les projets de loi.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les travaux de la Cour des comptes sont déjà utilisés pour éclairer les travaux des parlementaires.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Nous ne pouvons intervenir systématiquement ex ante sauf s’il se trouve que nous avons déjà rédigé des travaux sur l’un des sujets abordés dans le projet de loi que vous avez à examiner. Une disposition législative prévoit d’ailleurs désormais la possibilité que les travaux terminés de la Cour vous soient communiqués et je suis tout à fait disposé à ce que nos magistrats viennent vous les présenter.

L’évaluation ex post, en revanche, relève pleinement de nos missions constitutionnelles. C’est bien sûr à nous qu’il revient de définir nos priorités d’études, conformément aux principes d’indépendance et de liberté de programmation de la Cour des comptes. Mais dès lors que vous nous sollicitez suffisamment en amont, il me paraît tout à fait possible de faire appel à nous dans ce cadre.

Mme Cécile Untermaier.  Les critères objectifs d’évaluation de la loi n’étant presque jamais mentionnés dans les études d’impact, vous paraîtrait-il envisageable que nous puissions auditionner des magistrats de la Cour sur ce point ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Oui, s’il s’agit d’un sujet sur lequel nous avons travaillé.

Mme Cécile Untermaier.  Puisque vous serez chargé, à un moment ou un autre, d’évaluer la loi, peut-être serait-il intéressant que la Cour des comptes puisse faire valoir l’importance de tels critères dans l’étude d’impact.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Nos évaluations ne sont pas systématiques …

Mme Cécile Untermaier. Je ne vous parle pas d’intervenir systématiquement puisque comme vous le disiez très justement, nous n’avons pas les mêmes exigences, en termes d’études d’impact, selon les projets de loi.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Si une loi est votée, c’est parce qu’on la considère comme utile et comme source d’améliorations. Il me paraît par conséquent pertinent de contraindre le Gouvernement à rappeler les objectifs de tout projet de loi et à les accompagner d’une étude d’impact. Et comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, la réalisation d’un tel travail facilite d’autant l’évaluation ex post de la loi. Nous constatons d’ailleurs souvent, dans le cadre de notre évaluation des politiques publiques, que l’action publique n’est pas ciblée, qu’elle entraîne des effets d’aubaine et que les objectifs fixés au départ ont été oubliés par la suite ou n’ont pas été définis de façon suffisamment claire pour permettre une action efficace. D’où la nécessité d’objectifs clairs et quantifiables, autant que possible.

Vous avez vous-mêmes voté des textes prévoyant que le Gouvernement vous doit, au bout de six mois, des informations sur l’application de la loi. Et vous confiez également le suivi des textes à leur rapporteur.

Le rapport annuel sur l’application des dispositions fiscales, dont je me souviens du fait de mes fonctions antérieures de rapporteur général du budget, et qui est de nouveau établi après ne pas l’avoir été pendant plusieurs années, constitue un travail très utile, non seulement pour les parlementaires, auxquels il permet de voir les suites apportées aux dispositions qu’ils votent, mais aussi pour l’administration. Car le fait qu’elle connaisse l’existence de ce rapport peut l’encourager à publier les textes d’application de ces dispositions. J’avais d’ailleurs observé que nombre de ces textes étaient publiés juste avant la parution de ce rapport et qu’il fallait plus de temps à l’administration pour produire les textes d’application de dispositions législatives adoptées à l’initiative de parlementaires.

Vous pouvez donc vous organiser au sein de vos commissions afin d’assurer un suivi de l’application des lois. Non seulement c’est utile mais c’est aussi valorisant pour les parlementaires qui s’en chargent.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La commission des Affaires économiques assure effectivement ce suivi mais son contrôle porte uniquement sur la publication des textes réglementaires d’application de la loi et non sur la question de savoir si les objectifs de celle-ci ont été atteints ou pas. Les choses doivent d’ailleurs se faire en deux temps : le contrôle de la publication des décrets doit être effectué rapidement – dans les douze à dix-huit mois – tandis qu’il faut parfois attendre trois ou quatre ans avant d’en venir à l’évaluation des objectifs. Cela étant, je suis d’accord avec vous pour dire que nous ne consacrons pas suffisamment de temps parlementaire au contrôle de l’application des lois.

Messieurs, nous vous remercions pour cette audition.

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La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et de M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comme vous le savez, messieurs, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires.

Nous réfléchissons aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative » en nous inspirant des exemples étrangers. De janvier à mars, nous avons effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Monsieur Conso, nous avons souhaité vous entendre car le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) joue un rôle important dans le chantier de la simplification engagé par le Gouvernement. Nous souhaiterions savoir comment les missions du SGMAP s'articulent concrètement avec celles du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), du Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par le rapporteur de la mission d’information, M. Thierry Mandon, et du Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Quel est précisément le rôle du service d'évaluation des politiques publiques et d'appui aux administrations au sein de la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique ?

Nous serions également heureux de connaître votre point de vue sur les problématiques de régulation du flux normatif : au-delà de sa contribution au travail de réduction du stock normatif, le SGMAP aurait-il des propositions à faire pour rationaliser le flux normatif ?

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire que je vous demanderai de limiter, si vous le voulez bien, à une quinzaine de minutes, avant que Mme Cécile Untermaier et moi-même ne vous posions des questions.

M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP). Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique a pour mission de piloter et d’accompagner les actions de modernisation de l’action publique, dont fait partie la simplification, dans un cadre notamment d’écoute des usagers – via des associations représentatives des entreprises ou des particuliers ou des sites internet comme « faire-simple.gouv.fr », qui permet de faire de la co-construction avec les usagers. Nous appuyons également les transformations opérationnelles, en termes de processus et d’impact du numérique sur les systèmes d’information et le développement des services en ligne ou, plus généralement, le développement de l’innovation publique. Ces savoir-faire sont accolés aux compétences en matière de simplification réglementaire et juridique du Secrétariat général du Gouvernement (SGG). C’est dans ce cadre, visant à accélérer le choc de simplification notamment pour les entreprises, qu’a été créée la mission « simplification » constituée du SGMAP et du secrétariat du Gouvernement (SGG), que je co-pilote avec Mme Célia Vérot, directrice, adjointe au secrétaire général du Gouvernement. Ce choix innovant, consistant à joindre toutes ces compétences au sein de la mission « simplification », vise à répondre à l’objectif de simplification dans l’élaboration des textes comme dans leur mise en œuvre et à respecter, tout au long du processus, les enjeux de transformation, d’utilisation des systèmes d’information et d’écoute des usagers. Pour que les entreprises ou nos concitoyens puissent constater dans leur vie quotidienne les effets des mesures prises, il faut non seulement qu’elles aient été pertinentes mais également que leur application soit effective, ce qui implique qu’aient été pris en compte tous les changements nécessaires, notamment des systèmes d’information.

Au sein du SGMAP, le service d’évaluation des politiques publiques et d’appui aux administrations pilote et accompagne les évaluations des politiques publiques lancées dans le cadre des différents comités interministériels pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), tout en conseillant les ministères dans leurs projets de transformation, qu’il s’agisse de leur réorganisation ou de l’optimisation des processus. Le service dont j’ai la charge s’occupe plus particulièrement de l’amélioration de la relation de l’administration à l’usager par l’écoute, la simplification et l’innovation publique.

Je parlerai à double titre : en tant que chef du service innovation et services aux usagers au SGMAP et en tant que co-pilote de la mission « simplification ». Vous avez auditionné M. Serge Lasvignes, le Secrétaire général du Gouvernement : je partage ses analyses sur la nécessité de renforcer l’efficacité globale du dispositif des études d’impact dans le cadre de l’élaboration de la norme.

Les études d’impact sont habituellement centrées sur l’évaluation quantitative, c'est-à-dire la charge induite par la norme future sur les administrations, les collectivités locales et les entreprises, en clair, son impact sur l’économie, c’est-à-dire la méthode du Standard cost model. Ce qu’il conviendrait d’approfondir, c’est l’évaluation qualitative, à savoir l’impact de la future norme sur l’organisation des entreprises. À cette fin, dans le cadre du pacte de compétitivité, nous avons développé, depuis un an, le « test PME ». Une dizaine de tests a déjà été réalisée et la méthode est désormais rodée. L’objectif de ces tests est de réaliser une étude qualitative de l’impact de textes, jusqu’à présent réglementaires, sur la conduite des affaires de quelques entreprises. Chacun des tests que nous avons menés – par exemple sur les obligations en matière de tri, sur la sécurité des transporteurs de fonds ou sur les indications géographiques du type Laguiole – a permis d’observer des éléments qualitatifs que la simple évaluation théorique ne faisait pas ressortir : il a ainsi été possible d’affiner les projets de textes réglementaires et de prévoir la mise en place dès le début de mesures d’accompagnement permettant d’atteindre les objectifs assignés.

Ces tests ayant commencé de faire leurs preuves, il serait désormais possible de les rendre plus systématiques et plus obligatoires dans le cadre des études d’impact – c’est prévu –, voire de les étendre aux textes législatifs. Nous nous appuyons à l’heure actuelle sur le réseau des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), dans le cadre de leurs contacts avec les entreprises.

Mme Laure de La Raudière. Le test PME a-t-il fait l’objet d’une circulaire ?

M. Nicolas Conso. Il me semble qu’il est indiqué dans la circulaire relative à la réalisation des études d’impact que les administrations doivent se poser la question de la réalisation d’un test PME. Nous souhaitons rendre ce dispositif plus obligatoire.

Le conseil de la simplification, s’appuyant sur des exemples étrangers et le travail réalisé dans le cadre de la mission « simplification », a proposé le 14 avril dernier d’introduire de l’externalité dans le processus de l’étude d’impact en invitant des chefs d’entreprises et des experts à poser leur regard sur la qualité des études d’impact. Un tel regard permettrait de renforcer un dispositif actuellement conduit par les différents ministères et animé par le secrétariat général du Gouvernement. L’idée a été reprise par le Gouvernement – je vous renvoie à la communication que le Premier ministre a faite ce matin en conseil des ministres sur la mise en œuvre du choc de simplification. Il conviendra évidemment d’augmenter les moyens globaux actuellement consacrés à la réalisation des études d’impact : dans le cas contraire, il ne sera pas possible d’améliorer leur qualité. Le processus prévu devra être suffisamment robuste pour pouvoir répondre dans les délais proposés, à savoir 21 jours, voire 7 dans certains cas.

Il faudra également approfondir l’analyse des conditions de mise en œuvre de la future norme et de son impact sur les systèmes d’information en termes de coût, de projet et de délai. La prise en compte des systèmes d’information existants est un des éléments clés de la réussite de la mise en œuvre des mesures. Du reste, la prise en compte de l’impact des possibilités du numérique dans la réalisation de l’objectif assigné par le texte est aujourd'hui insuffisante. Dans le cadre de la mission « simplification » SGG-SGMAP, nous avons récemment rendu systématique un avis en ce sens de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC) sur le volet « système d’information » des études d’impact. La mise en application de mesures telles que le compte pénibilité ou la garantie universelle des loyers revêt des enjeux énormes en termes de système d’information.

Mme Laure de La Raudière. Et d’acceptation.

M. Nicolas Conso. Prendre en compte les possibilités du numérique dans la mise en œuvre de ces mesures permettrait à la fois de penser autrement les textes et de prévoir leurs conséquences éventuelles en termes d’investissement et de système d’information. Il conviendrait d’ailleurs de prendre en considération le numérique dès l’élaboration du texte. La DISIC pouvant difficilement agir en amont, compte tenu de sa faible importance numérique – elle est composée d’une quinzaine de personnes –, c’est toute la chaîne qui doit prendre en compte les aspects relatifs aux systèmes d’information au sein des ministères, dès l’élaboration du projet. Ce que j’ai dit pour les systèmes d’information vaut également pour l’organisation administrative : les administrations prévoient-elles toujours le projet de transformation et les investissements dans la gestion du changement nécessaires à l’application de la mesure ? La partie « capacité d’investissement » dans la gestion du changement et l’accompagnement de la transition est souvent le parent pauvre des études d’impact, ce qui explique les délais de mise en œuvre des mesures.

S’agissant du « mieux légiférer », il conviendrait, sur des sujets compliqués, dont il est difficile de mesurer ex ante toutes les conséquences, de développer, dans un cadre dérogatoire, la capacité d’expérimentation d’une nouvelle mesure en boucle courte, avec une évaluation au bout de six mois ou un an. Ce droit à l’erreur permettrait de tester une réforme avant de l’adopter définitivement et de la généraliser. Cette innovation – appelée en anglais « right to change » – a été préconisée, il y a quelques mois, par un groupe d’experts, mandatés par la Commission européenne, sur le développement de l’innovation publique : elle repose sur l’idée qu’on a le droit de tester sur un an ou dix-huit mois une réforme avant de la diffuser.

On peut citer l’exemple de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation du certificat de projet. Il a aussi été possible d’expérimenter dans deux départements – la Loire-Atlantique et la Seine-et-Marne – le dossier de demande simplifié des aides sociales. Il s’agit de vérifier si le taux très faible de recours aux aides sociales n’aurait pas pour origine la très grande complexité des dossiers et une mauvaise information des usagers. C’est pourquoi il a été proposé d’inverser la démarche : tout d’abord, demander aux personnes leur situation sociale et financière ; ensuite, identifier les aides auxquelles elles peuvent prétendre ; enfin, instaurer un dossier de demande unique des aides auxquelles elles ont droit – revenu de solidarité active, aide au logement ou couverture maladie universelle. À cette fin, il a été créé pour les personnes concernées – quelque 2 000 – un régime réglementaire dérogatoire permettant notamment d’harmoniser les périodes de calcul des revenus – elles sont différentes selon les aides. Une fois la démarche évaluée dans un cadre expérimental donné, il est possible d’envisager sa généralisation ou d’y renoncer. Prévoir de telles expérimentations dans le cadre des projets de loi permettrait d’expérimenter des mesures plus audacieuses et de légiférer en toute connaissance de cause, le législateur pouvant s’appuyer sur les enseignements du terrain. Les études d’impact ex ante portant sur de grandes réformes atteignent très vite leurs limites si elles n’ont pas subi l’épreuve du terrain. Toutes les hypothèses qui n’ont pas été expérimentées sont en effet fragiles par nature. D’ailleurs, la possibilité d’effectuer des tests en boucle courte est un des vecteurs majeurs du développement de l’économie numérique.

M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification ». Je suis tout d’abord chef d’entreprise, et c’est à ce titre que j’ai contribué au rapport de M. Thierry Mandon sur la simplification.

Comme M. Nicolas Conso l’a souligné, les entreprises attendent de la mission « simplification » co-pilotée par le SGMAP et le SGG, que la France s’inspire des meilleures expériences étrangères – je me suis rendu dans les mêmes pays que votre mission d’information. Les entreprises souhaitent notamment pouvoir devenir acteurs du test PME : c’est un point capital à leurs yeux. Si les entreprises avaient été davantage impliquées dans la réforme ayant abouti à la création du compte pénibilité, elles auraient proposé des modifications importantes au texte.

Les entreprises cherchent à retrouver confiance dans les textes législatifs : elles ne veulent plus subir les nouvelles mesures comme autant de sanctions ou de charges administratives supplémentaires. Si les études d’impact des projets de loi pouvaient s’appuyer sur des tests PME, les entreprises se montreraient plus actives dans l’application des textes car elles auraient davantage confiance. Pour cela, il faudrait que, à l’exemple des dispositifs étrangers que vous connaissez comme moi, un système de feux tricolores permette de valider, modifier ou refuser les mesures en fonction des tests effectués. Tel est le sens de la première des cinquante propositions du Conseil de la simplification. Les entreprises sont toutefois conscientes que cette mesure n’est pas facile à mettre en place en France à l’heure actuelle.

Mme Cécile Untermaier. Je note avec intérêt que des études d’impact sont réalisées en matière réglementaire. S’agissant des textes législatifs, le SGMAP ne pourrait-il pas devenir l’autorité qui, en fonction de certains critères, donnerait son feu vert aux projets de loi, puisque votre travail consiste à veiller à ce que les textes réglementaires envisagés n’ajoutent aucune charge aux particuliers ou aux entreprises ? La formule des tests PME me paraît excellente. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes prévoit également des expérimentations : le législateur n’est pas fermé à la question de l’expérimentation.

Les projets de loi étant déposés en grand nombre sur le bureau de l’Assemblée nationale, comment éviter que ces nouveaux textes ne deviennent une source de complication supplémentaire pour la vie de nos concitoyens et des entreprises ? Le Gouvernement devant prendre en compte cette préoccupation, le SGMAP pourrait devenir l’instance chargée de valider ou non un texte en termes de simplification à partir du moment où l’étude d’impact révélerait une augmentation de la charge pesant sur les entreprises ou les citoyens. Dans quelle mesure pouvez-vous participer à la fabrication de la loi et veiller à sa simplification ?

M. Nicolas Conso. C’est le Secrétaire général du Gouvernement qui est chargé de vérifier la qualité des études d’impact élaborées par les ministères. Quant au SGMAP, il apporte son expertise dans le domaine qui est le sien.

Mme Cécile Untermaier. Je connais les compétences du Secrétariat général du Gouvernement en matière d’études d’impact. Toutefois, puisque le SGMAP a une mission de simplification, ne pourrait-il pas rendre un avis distinct de celui du Secrétariat général du Gouvernement sur les projets de loi en matière de simplification ? C’est une suggestion.

M. Nicolas Conso. Nous prévoyons plutôt de renforcer la qualité de notre expertise en recourant au regard extérieur de chefs d’entreprises et d’experts réunis au sein d’un groupe dédié à cette mission.

Mme Laure de La Raudière. Qui hébergera ce groupe ?

M. Nicolas Conso. Ce groupe sera une émanation du Conseil de la simplification pour les entreprises appuyé par la mission « simplification » du SGG et du SGMAP – je le répète : nous avons voulu que le regard porté par cette mission sur les études d’impact rassemble les compétences du SGG et celles, plus spécifiques, du SGMAP en termes de systèmes d’information, de transformation et de numérisation.

Nous travaillons actuellement à l’organisation du groupe en mobilisant notamment les expertises au sein de l’administration – l’Institut national de la statistique et des études économiques et le ministère des Finances ont des capacités d’analyse et de contre-expertise très utiles à la réalisation des études d’impact.

Mme Cécile Untermaier. Trop souvent le législateur ne connaît pas les sources des informations qu’il reçoit dans le cadre des études d’impact. Savoir que le projet de loi a été passé au tamis de la mission « simplification » ou du groupe d’experts le rassurerait.

M. Nicolas Conso. Tel est l’esprit dans lequel ce groupe est constitué : le législateur saura qu’il a analysé l’étude d’impact et donné son avis.

Mme Laure de La Raudière. Toutefois, ce groupe sera logé au sein des services du Premier ministre au sens large.

Le fait de disposer d’un avis externe sur les études d’impact, dont la qualité nous satisfait rarement, permettrait d’enclencher un cercle vertueux. Monsieur Huot, deux options existent : soit demander à un autre service du Gouvernement de donner son feu vert de manière beaucoup plus formelle en s’appuyant sur un plus grand nombre de personnalités extérieures, soit confier la mission d’évaluation des études d’impact au Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui est indépendant du Gouvernement. Quelle option aurait votre préférence ?

M. Gérard Huot. J’ai rencontré à ce propos de nombreux acteurs britanniques, allemands ou néerlandais : l’important est de confier aux dirigeants d’entreprises l’appréciation finale de la charge qu’entraîne pour elles un projet de loi ou de décret. Au Royaume-Uni, il existe un groupe d’experts et de chefs d’entreprises indépendant, mais qui est en relation directe avec le ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences – Department of Business, Innovation and Skills (BIS). Le législateur britannique tient compte de l’avis de ces experts et chefs d’entreprises indépendants.

Mme Laure de La Raudière. L’avis du groupe doit être rendu public.

M. Gérard Huot. J’y suis favorable. La transparence amène la confiance.

J’ai siégé au conseil économique, social et environnemental régional d’Île-de-France, où les procédures prennent un peu de temps. Or, nous avons besoin de réactivité ; les Britanniques et les Allemands font preuve d’une grande réactivité dans l’analyse des textes.

Je le répète : il serait profitable à la compréhension et à la perception des textes législatifs qu’un groupe de chefs d’entreprises indépendants puisse donner son avis en toute transparence.

M. Nicolas Conso. Ce groupe serait une émanation du Conseil de la simplification pour les entreprises qui est indépendant des services du Premier ministre – il est coprésidé par MM. Mandon et Poitrinal.

Mme Laure de La Raudière. C’est la publicité de l’avis avant sa transmission au législateur qui garantira l’indépendance réelle du groupe.

Par ailleurs, adopter, lorsque c’est possible, des lois à durée déterminée vous semblerait-il utile ? Les avis sont partagés : adopter une loi pour trois ou quatre ans risque en effet de créer de l’instabilité législative. De plus, c’est au Gouvernement d’afficher sa politique : il peut toujours proposer de supprimer une loi.

M. Nicolas Conso. Je n’ai pas d’avis précis sur la question. Je peux toutefois affirmer, à la suite de nos échanges avec les entreprises, que celles-ci sont très sensibles à la visibilité de l’environnement réglementaire et normatif. Toute incertitude en la matière crée un frein au développement.

Il est préférable, en matière d’expérimentation d’un dispositif, de procéder à des tests délimités qui permettent d’éviter toute incertitude juridique.

Mme Cécile Untermaier. D’autant que tester le projet grandeur nature pourrait présenter un coût important. Examiner tous les paramètres dans le cadre d’une expérimentation rapide et conclusive serait en revanche utile.

M. Gérard Huot. Les chefs d’entreprises – j’ai évoqué la question notamment avec des dirigeants d’entreprises britanniques – sont très partagés sur les textes à durée limitée en raison du risque d’instabilité qu’ils comportent, et ce, en dépit du profit qu’il peut y avoir à tester la validité d’un dispositif grandeur nature. Il est très difficile de vous répondre car la question ne fait pas consensus chez les chefs d’entreprises.

Mme Laure de La Raudière. En cas de mesures impliquant de lourds investissements, une loi à durée limitée aura pour conséquence de bloquer les investissements le temps de l’expérimentation : en effet, pour investir, les acteurs économiques attendront de connaître la norme définitive. Il serait en revanche intéressant de négocier avec les partenaires sociaux des dispositifs expérimentaux en matière sociale : par exemple, geler durant trois ans les effets de seuil inscrits dans le droit du travail permettrait de vérifier leur impact sur la création d’emplois. J’ai fait plusieurs fois cette proposition : même lorsque j’étais dans la majorité, elle n’a jamais été reprise.

M. Nicolas Conso. Expérimenter la suppression des effets de seuil est une bonne idée : le tout est que l’expérimentation se fasse à durée limitée sur un sous-périmètre. Elle pourrait par exemple être testée sur des entreprises volontaires avec l’accord des partenaires sociaux. Cela permettrait de contourner l’obstacle représenté par des sujets sur lesquels les positions sont figées et pour lesquels, passer directement à une généralisation, c’est comme vaincre l’Himalaya !

M. Gérard Huot. Les entreprises aimeraient qu’il soit procédé à de telles expérimentations, notamment sur les effets de seuil. Elles souhaiteraient également qu’il leur soit possible de retourner à la situation antérieure si, après être passées à plus de cinquante salariés, elles reviennent à un effectif de quarante-huit l’année suivante.

Il convient également de traiter la question de la médecine du travail, compte tenu de la baisse actuelle du nombre de médecins du travail, qui fait peser d’énormes contraintes sur les entreprises. Il serait bienvenu de tester, pour certains types de métiers, la possibilité de se tourner vers la médecine de ville : nous y travaillons actuellement dans le cadre de la mission « simplification ».

Mme Laure de La Raudière. Je vous remercie, messieurs.

Séance du jeudi 15 mai 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des Affaires européennes (SGAE), accompagné de Mmes Liza Bellulo, conseillère juridique, Véronique Fourquet adjointe à la conseillère juridique, Juliette Clavière, responsable du département Parlement National, Parlement européen, collectivités locales.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous prie d’excuser M. Thierry Mandon, rapporteur de notre mission d’information, qui est retenu.

Monsieur le secrétaire général, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation dans le cadre de la mission d’information sur la simplification législative que j’ai l’honneur de présider. Nous avons souhaité vous auditionner dans le cadre de nos travaux visant à réfléchir aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative. Nous souhaitons nous inspirer des exemples étrangers et nous nous sommes ainsi rendus à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye. L’étude des bonnes pratiques adoptées par nos voisins nourrit notre réflexion qui porte, en particulier, sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post plus méthodique et plus systématique qu’elle ne l’est dans notre culture administrative et politique. De manière générale, nous étudions les différents aspects de la procédure législative comme la méthode de transposition des directives européennes. Monsieur le secrétaire général, je vous laisse la parole pour un exposé liminaire.

M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes (SGAE). Madame la présidente, nous contribuons volontiers à vos réflexions, car une grande partie des missions du SGAE sont consacrées aux travaux de transposition, tâche obligatoire qui, bien réalisée, contribue à l’enrichissement de notre droit et à celui de nos voisins.

Certes, le droit de l’Union européenne constitue une source importante des normes législatives, mais plutôt à hauteur de 20 % de nos lois que de 80 %, contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Cette part de 20 % est calculée à partir de quelle référence ? Le nombre de textes ? Le nombre d’articles ? Cette question est importante, car certains partis, dans le cadre de la campagne pour les élections du Parlement européen, affirment que les trois quarts de nos lois découlent de normes européennes.

M. Philippe Léglise-Costa. Un cinquième des lois adoptées sont notifiées au titre des transpositions.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Lorsqu’une loi transpose quatre directives, comment s’opère le décompte ?

M. Philippe Léglise-Costa. Une seule loi est comptée comme la transposition de quatre directives. En sens inverse, une directive peut être transposée par quatre lois différentes.

Mme Cécile Untermaier. Pourriez-vous préciser ce point ?

Mme Véronique Fourquet (SGAE). La transposition d’une directive donne lieu à la notification des mesures nationales d’exécution – un article de loi ou un texte législatif entier – à la Commission européenne ; nous recensons le nombre de lois prises pour transposer les directives, et qui ont donc été officiellement communiquées, et nous les rapportons au total de lois adoptées dans une année. Au cours des deux dernières années, cette proportion atteignait à peine 20 %, alors même que l’on compte les textes pouvant ne comporter qu’un seul article de transposition.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il conviendrait de prendre également en considération les normes réglementaires, afin d’évaluer la charge administrative totale découlant du droit de l’Union et qui a un impact dans la vie quotidienne des Français. En tout état de cause, il est intéressant de connaître ce chiffre, car il permet d’établir que ce n’est pas exclusivement l’Union européenne qui nourrit le travail du Parlement français.

M. Philippe Léglise-Costa. J’ai mentionné ce taux pour souligner qu’il était très surévalué dans le débat public, cette exagération recouvrant une connotation positive il y a vingt ans, mais négative aujourd’hui. Il est vrai qu’une grande partie des textes européens – dans un rapport de 20 à 80 % – sont transposés par le biais d’une norme réglementaire.

La transposition constitue, aux termes des traités, une obligation pour les États membres, consacrée par notre droit constitutionnel. Elle permet d’assurer l’uniformité de l’application des textes européens – si nos partenaires mettent en œuvre des mesures comparables aux nôtres –, ce qui répond à notre intérêt politique ou économique et permet de protéger nos concitoyens.

Les règles communautaires de transposition sont de plus en plus strictes, les conséquences d’une non-transposition s’avérant de plus en plus rapides et de plus en plus onéreuses. Nous risquons désormais une condamnation pécuniaire dès le premier arrêt en manquement – et non plus seulement en cas d’arrêt constatant un manquement sur manquement. Pour la France, l’amende atteindrait au moins 10 millions d’euros avec une pénalité minimale de 36 000 euros par jour de retard jusqu’à la mise en conformité. Les délais de transposition – prévus par le texte des directives – sont dorénavant impératifs, si bien que nous les prenons en compte dans notre organisation administrative et dans la négociation de la directive elle-même. En effet, nous avons intérêt à anticiper les exigences – temporelles et de fond – de la transposition dès la phase de négociation. Les discussions sur les délais de transposition sont difficiles, même si nous avons développé une coopération avec les parlementaires européens pour les sensibiliser aux contraintes de nos procédures internes. Le Parlement européen souhaite souvent réduire les délais de transposition – avec la bonne intention de voir le droit européen rapidement traduit dans les faits –, ce qui peut créer des risques pour les États membres.

La transposition est un exercice contraignant qui rend nécessaires l’adoption de lois, l’amendement de textes législatifs, voire la révision de nos codes. En France, nous sommes particulièrement exigeants ; contrairement à d’autres États et conformément à notre tradition légistique ancienne, nous intégrons le droit de l’Union en protégeant la structure, l’intelligibilité et l’adaptation aux besoins de notre droit interne. Cela nous conduit souvent à ne pas effectuer de transposition « sèche » – méthode qui revient à incorporer tel quel le texte une fois traduit –, et à revoir l’ensemble de notre dispositif pour que le droit européen s’y intègre mieux ; pour ce faire, nous pouvons être amenés à modifier plusieurs textes de loi ou à transposer une directive selon divers véhicules juridiques. Ainsi, nous sommes toujours en discussion avec la Commission européenne au sujet de la transposition de la directive « Services », car la France n’a pas adopté une loi « Services », mais a intégré la directive dans une quarantaine de textes. Cela permet une assimilation plus complète et plus respectueuse de nos traditions, mais exige en même temps un travail plus important du Parlement et du Gouvernement.

De la même manière, nous ne procédons pas à l’adoption d’ordonnances systématiques – décrets-lois ou leggine que pratiquent les Italiens – et nous efforçons de travailler avec le Parlement pour déterminer le véhicule le plus pertinent : soit la loi ordinaire, soit les lois portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE), soit l’ordonnance si le Parlement y consent pour un texte particulièrement technique édictant des règles directement transposables. Ce processus conduit parfois la Commission à s’interroger sur la réalité de la transposition et il arrive d’ailleurs que la transposition ne soit pas nécessaire quand notre droit offre déjà les garanties nécessaires. Cette faculté relève des prérogatives des États membres, car le traité ne pose qu’une obligation de résultat, mais elle nourrit les interrogations de certains commissaires, notamment Mme Viviane Reding.

En dépit de ces spécificités, le Gouvernement, l’administration et le Parlement ont amélioré leur efficacité de manière remarquable ces dernières années ; ainsi, parmi les vingt-huit États membres, la France se situe en cinquième position en termes de performance de transposition, alors qu’elle n’était que onzième il y a trois ans et dix-septième il y a sept ans. Cette progression n’est pas due à un recul des autres États – qui s’améliorent également –, mais bien à un effort important consenti par notre pays. Les derniers États membres intègrent presque systématiquement le droit de l’Union tel quel, car ils ont complètement refondé leur droit, mais cette méthode ne leur est pas exclusive, et le Royaume-Uni, l’Allemagne ou l’Italie ont également créé des mécanismes de transposition accélérés, ce qui ne donne que plus de relief à notre performance.

Notre déficit de transposition ne dépasse pas 0,6 %, alors que le taux à ne pas dépasser est fixé à 1 %. Là aussi, un effort considérable a été effectué depuis quinze ans, puisqu’il atteignait 7,1 % en 1997 et 4,1 % en 2004. Le durcissement des règles européennes a bien entendu constitué un puissant stimulus pour l’amélioration de notre performance. L’amélioration s’avère comparable s’agissant du nombre moyen de mois de retard, puisque celui-ci est passé de 4,5 en 2011, à 3,6 en 2012 et à 2,7 en 2013. Depuis trois ans, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’a jamais été saisie pour non-transposition d’une directive par la France. En outre, nous n’accusons un retard supérieur à deux ans pour aucune directive.

M. Régis Juanico. Qui peut saisir la CJUE ?

M. Philippe Léglise-Costa. En l’occurrence, c’est la Commission qui le fait. La France est particulièrement observée car la langue de notre droit reste parlée par la totalité des administrateurs de la Commission. En outre, son caractère centralisé et transparent facilite cette surveillance. Ainsi, tout défaut de délai ou de qualité est facilement visible, ce qui n’est pas le cas pour tous les États membres.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Réalisez-vous un travail de comparaison avec les transpositions opérées par d’autres pays européens ? Il est important de vérifier que les règles édictées par l’Union européenne sont appliquées de façon similaire dans tous les pays, afin qu’aucune distorsion de concurrence ne se crée à l’intérieur du marché unique.

M. Philippe Léglise-Costa. Ce travail relève de la Commission.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La France peut-elle saisir la CJUE si elle constate qu’un autre État transpose mal ou ne transpose pas une directive ?

M. Philippe Léglise-Costa. Les États peuvent saisir la Cour, mais cela s’apparenterait à la bombe atomique : attaquer un autre État sur un tel sujet nous exposerait en retour à de nombreux contentieux. Les acteurs économiques et de la société civile intéressés par la transposition d’un texte font montre d’une grande vigilance en la matière.

Mme Cécile Untermaier. Si le délai de transposition est dépassé, la directive s’applique directement, et il ne peut donc y avoir de distorsion de concurrence.

M. Philippe Léglise-Costa. En effet, la responsabilité de l’État est engagée quant à la réalité de l’application du droit communautaire, qui est donc directement opposable. La Commission peut poursuivre les États devant la CJUE, laquelle peut instruire des plaintes si des intérêts ont été lésés en raison de l’absence de transposition. En outre, la Cour agit directement en cas de manquement. Il est de notre intérêt de nous assurer de la conformité de notre situation et de celle d’autres États au regard des exigences de transposition. Même s’il peut apparaître comme une contrainte, il est préférable que le dispositif de suivi des transpositions soit strict.

Afin d’améliorer nos performances et d’éviter l’effet de stigmatisation et les mises en demeure qui conduisent à des sanctions financières, le SGAE a mis en place des dispositifs qui concernent la coopération avec le Parlement et avec le Gouvernement et l’administration. Notre objectif principal est d’accroître notre capacité d’anticipation sur le plan politique, dès la diffusion d’une proposition d’acte par la Commission européenne, – qui débouche presque toujours sur l’adoption d’un texte –, voire encore plus en amont lors de la parution de livres verts ou blancs si c’est possible, en établissant des fiches d’impact simplifiées. Ces fiches servent à détecter l’impact qu’un projet de texte pourrait avoir sur la législation française et, ainsi, à informer le Parlement, qui peut dès lors s’exprimer s’il le décide. Le SGAE s’efforce également d’anticiper la transposition législative dans la phase de négociation grâce à l’élaboration d’une fiche d’impact stratégique, qui permet d’identifier les besoins en termes de transposition et de disposer d’une première idée de l’impact de celle-ci. Les négociateurs français intègrent ainsi cette dimension, notamment si un problème majeur – de fond ou de délai – est identifié.

Au sein du comité de liaison, le SGAE analyse les besoins législatifs de transposition, identifie les véhicules juridiques nécessaires et établit un calendrier avec le secrétariat général du Gouvernement (SGG) et les représentants des commissions des Affaires européennes du Parlement et des cabinets ministériels concernés. Par ailleurs, nous incitons les ministères à faire en sorte que la personne chargée de la négociation suive également la transposition. Ce principe s’applique de plus en plus – par exemple pour les directives sur la qualification professionnelle et la commande publique –, même s’il peut s’avérer compliqué à mettre en œuvre, puisque les rotations dans les carrières des agents peuvent être plus rapides que le temps long de la transposition, ce qui induit des pertes de temps liées à l’oubli de l’intention du législateur ou de la façon dont la France a défendu ses intérêts au cours de la négociation.

Nous avons également installé un groupe de haut niveau, présidé par le secrétaire général du Gouvernement et le secrétaire général des Affaires européennes, qui rassemble les cabinets ministériels, les directeurs des affaires juridiques des ministères, et qui se réunit désormais chaque trimestre. Cela permet de maintenir la mobilisation des ministères, de rappeler les calendriers fixés par les directives et d’échanger sur les performances des États membres en matière de transposition sur lesquelles la Commission fait le point en avril et en octobre.

Le guide de légistique comprend plusieurs chapitres consacrés à la transposition et un guide des bonnes pratiques pour la transposition des directives européennes a été élaboré à destination de l’administration.

Nous mettons également en place un plan de transposition pour les textes les plus complexes pouvant engendrer d’importants retards ; des équipes de projets interministérielles sont chargées d’assurer la cohérence des travaux pour l’intégration de ces directives.

Nous avons défini certains axes d’amélioration qui nous restent à explorer, certains concernant notre travail interne, d’autres touchant à notre action au sein des instances de l’Union.

En France, nous menons, comme vous, mesdames et messieurs les députés, une réflexion visant à éviter les surtranspositions. Cela répond à une volonté exprimée par le Président de la République et le Premier ministre, car les surtranspositions ont un coût matériel et politique croissant. En effet, le rejet des contraintes nées de la législation européenne doit nous inciter à ne pas en créer de nous-mêmes ; au titre de la compétitivité, nous devons également veiller à ne pas nous surcharger d’obligations.

L’intégration profonde d’un texte européen dans notre droit ne constitue pas une surtransposition : elle ne crée pas de contraintes supplémentaires, elle est simplement une façon d’adapter le texte européen à notre propre droit. Il nous arrive également de refonder un dispositif législatif, administratif ou de surveillance à l’occasion de la transposition d’un texte européen ; nous saisissons ainsi l’opportunité de mettre à jour notre droit sans qu’il s’agisse d’une surtransposition. Cela peut, en revanche, conduire à retarder la transposition de textes que la France avait beaucoup portés, tel que le paquet consacré à la sécurité maritime qui a nécessité une période de quatre ans. En revanche, il y a surtransposition lorsque nous créons une norme dont la teneur dépasse l’exigence posée par une directive, mais cela est permis par le principe de l’harmonisation minimale. Il est possible d’éviter les surtranspositions grâce aux ordonnances – si le Parlement y consent –, aux DDADUE ou à l’examen attentif de ce qui relève de l’harmonisation minimale ou maximale.

Au sein de l’Union européenne, nous sommes engagés dans un exercice de simplification, d’allègement des charges, de réduction des délais et d’amélioration de la flexibilité. Le droit européen s’est lui-même stratifié – ce dont la Commission est consciente –, et nous veillons à ce que les textes européens imposent le moins de charges possible et qu’ils soient lisibles, simples, solides et cohérents entre eux. Cela nous amène à revoir des dispositifs de préparation et de négociation des textes où nous essayons, de l’étude d’impact à l’évaluation de leur application, d’améliorer les normes et de faciliter ainsi notre tâche de transposition. Les études d’impact de la Commission européenne se révèlent souvent de qualité médiocre ; lorsque nous travaillons à les parfaire, le résultat final correspond davantage à nos besoins et prend mieux en compte les contraintes de l’État et des collectivités locales. Nous essayons donc de renforcer le processus d’élaboration et d’examen des études d’impact, de manière que les textes européens soient plus pertinents. Les efforts que nous déployons en France doivent donc être accompagnés de progrès dans le processus européen, cette exigence constituant l’une des orientations majeures de travail pour les institutions européennes après l’élection du nouveau Parlement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne pourrait-on pas transposer les directives en deux temps ? On les traduirait directement, « mot à mot », dans nos lois sous la forme d’ordonnances, avant d’ouvrir un débat politique sur l’opportunité de surtransposer et sur les moyens d’intégrer les textes dans le droit interne.

M. Régis Juanico. Monsieur le secrétaire général, les fiches d’impact évaluent-elles les seules conséquences juridiques ou mesurent-elles également les effets économiques, sociaux ou sociétaux des dispositions de transposition ?

Le SGAE conduit-il un travail d’harmonisation des fiches d’impact avec les autres pays européens ? Veillez-vous à connaître les évaluations menées par nos partenaires sur les transpositions du droit européen dans leur droit national ?

Une directive européenne de 2001 comporte des mesures sur le droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise ; elle n’a pas encore été transposée, mais trois articles du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire vont intégrer ces dispositions dans notre droit. Quelles ont été, depuis 2001, les conséquences juridiques et financières de cette non-transposition sur le droit d’information préalable ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les trois articles du projet de loi constituent-ils une transposition stricto sensu de la directive européenne ?

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le secrétaire général, vous nous avez expliqué que la fiche d’impact stratégique se situait très en amont dans la négociation et qu’elle n’alimentait que partiellement l’étude d’impact de la Commission. Comment pourrions-nous améliorer cette étude dont vous avez souligné la médiocrité et dont la qualité constituerait un atout pour la rédaction de la loi ?

Mon expérience de transposition d’une directive européenne m’a permis de constater que le texte était très bien écrit, mais qu’il posait certaines questions d’interprétation. En outre, nous, parlementaires, devons faire preuve d’une grande discipline pour ne pas surtransposer le texte. En revanche, il est important que le Parlement, contrairement au système italien, se saisisse et débatte de la directive.

M. Philippe Léglise-Costa. Le système allemand, dit de la « double corbeille », consiste à transposer rapidement le texte européen afin de répondre aux obligations de délai dans un premier temps, avant que l’administration et le Parlement national n’étudient les moyens d’intégrer profondément la directive dans l’ordre juridique interne. La performance en matière de rapidité de transposition n’est atteinte que parce que le texte est plaqué dans le droit national, ce qui peut créer des contradictions et donc une obligation d’adapter très rapidement le droit interne pour que les opérateurs ne pâtissent pas d’une insécurité juridique. Les avantages diplomatiques, politiques, voire financiers, de ce modèle nous obligent à ne pas le rejeter d’emblée, mais celui-ci peut néanmoins engendrer des difficultés dans le droit interne. En France, comme dans quelques autres États membres, l’importation de cette méthode entraînerait davantage de problèmes qu’ailleurs, car nous tenons à la structure de notre droit, à son intelligibilité et à la stabilité de ses piliers.

C’est après l’élaboration d’une proposition d’acte européen et de l’étude d’impact que la Commission lui rattache que nous établissons une fiche d’impact. Dans sa version simplifiée – produite très rapidement –, la fiche étudie l’insertion du texte dans notre ordre juridique en recensant les normes qui régissent cette matière et en étudiant les évolutions que celles-ci devront subir. La fiche d’impact stratégique, dont la confection réclame davantage de temps et de ressources administratives, développe les points de la première fiche et dresse un premier tableau de concordance entre chaque disposition de la future directive et le véhicule juridique qui serait choisi en droit interne ; elle analyse également l’impact budgétaire, économique, financier, social, technique ou administratif, de la directive, ainsi que celui touchant les collectivités locales – impact longtemps sous-estimé alors que ces dernières sont souvent amenées à supporter le coût, parfois financier, de la mise en œuvre du texte européen – et les entreprises, qui sont consultées à cette occasion. Cette fiche permet aux négociateurs de défendre au mieux nos intérêts et nos propositions.

Nous avons observé les pratiques des autres États membres, notamment leurs choix en matière de véhicule juridique utilisé pour la transposition, d’organisation administrative et d’évaluation de l’impact économique du texte, tâche qui s’avère complexe. Le Royaume-Uni a ainsi développé un système de consultation des entreprises dont nous pourrions tirer quelques enseignements.

Mme Liza Bellulo (SGAE). Il ne semble pas, monsieur Juanico, qu’il existe de contentieux sur la transposition de la directive 2001/23 à laquelle vous faites allusion – mais nous allons vérifier ce point. Le champ d’application de la directive est assez étroit et l’on peut penser qu’elle ne s’applique qu’en cas de désavantage substantiel pour les salariés et ne concerne pas a priori les établissements publics administratifs et les contrats de droit public. Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est allé au-delà de ce que prévoit la directive 2001/23 en l’absence de représentant du personnel ; en outre, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a également ajouté des délais de réponse pour les représentants des salariés. Si vous souhaitez des éléments plus précis, nous vous les fournirons en lien avec le ministère concerné.

M. Philippe Léglise-Costa. S’agissant des études d’impact, nous nous efforçons d’améliorer notre capacité d’anticipation et d’identifier, dans le processus de décision interne à la Commission européenne, le moment où un acte se trouve en cours d’élaboration. La publication de textes préalables – livres verts, livres blancs et consultations – nous permet de savoir quand la Commission réalise une étude d’impact. Les directions générales compétentes sont chargées de rédiger l’étude, celle-ci faisant l’objet d’une évaluation – souvent approfondie et orientée vers les objectifs politiques du texte – opérée par un Impact Assessment Board (IAB) ou « bureau d’analyse d’impact ». Ce processus ne permet que rarement d’aboutir à une étude d’impact totalement étayée. Dans cette phase préliminaire, nous faisons valoir notre compréhension de l’impact qu’aura le futur acte européen en France et nous incitons les différents acteurs, notamment les entreprises, à relayer ces considérations pour défendre leurs intérêts économiques. Le mieux serait d’améliorer le processus interne d’élaboration des études d’impact, ce qui augmenterait la qualité de celles-ci. Nous souhaitons porter ce sujet auprès du prochain président de la Commission européenne, afin que la procédure intègre des phases de consultations ouvertes, qui nous permettraient d’intervenir de manière plus formelle.

Mme Cécile Untermaier. Il est important de développer, très en amont, la consultation des personnes auxquelles le dispositif s’appliquera. Des efforts sont menés en France et, à l’échelle européenne, il existe un site Internet qui permet aux citoyens de s’exprimer, mais ceux-ci n’utilisent pas beaucoup cette possibilité.

M. Philippe Léglise-Costa. Vous avez raison, madame la députée, l’Union européenne ne cible pas suffisamment les publics ou les autorités concernés par le texte. Nous demandons à la Commission de procéder en amont de l’étude d’impact à des consultations réelles et, en aval, nous travaillons au Conseil et avec le Parlement européen pour mettre en place une évaluation approfondie de l’étude, qui n’existe pas formellement aujourd’hui. En effet, un travail superficiel est mené dans les instances préparatoires au Conseil, et les moyens administratifs et politiques mobilisés par le Parlement pour examiner les études d’impact ne sont pas suffisamment ouverts. Nous plaidons donc pour que l’évaluation des études associe les États et l’ensemble des parties prenantes, afin que la Commission ait à répondre de la qualité de ses études d’impact et soit incitée à en accroître la qualité. En outre, cela nous permettrait de faire valoir, avant la négociation, les points qui pourraient nous poser des difficultés. L’amélioration de cette phase fondamentale de l’élaboration des textes européens constitue, à nos yeux, une priorité.

Le Gouvernement, l’administration et le Parlement peuvent travailler ensemble pour distinguer les dispositions d’harmonisation maximale de celles d’harmonisation minimale et ainsi identifier le périmètre de nos obligations de transposition et choisir les véhicules juridiques les plus appropriés – loi, DDADUE ou ordonnance ; pour finir, il convient que cette discipline se traduise dans les textes et dans le processus de transposition.

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La mission d’information procède ensuite à l’audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, accompagné de M. Christian Le Roux, directeur de cabinet.

Mme la présidente Laure de la Raudière. Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir accepté notre invitation. Notre mission d’information porte sur la rationalisation du flux normatif davantage que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires, laquelle fait, parallèlement, l’objet d’autres travaux, le rapporteur de notre mission, Thierry Mandon, étant d’ailleurs coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous nous sommes rendus à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye afin de nous instruire de l’expérience de ces pays pour mieux légiférer. Certains ont institué des comités consultatifs indépendants, composés de représentants de la société civile et chargés d’évaluer la qualité des études d’impact remises par les administrations. Ces comités rendent leur avis dans un délai très bref, allant de dix à trente jours. Cette évaluation se conclut par la publication d’un avis que les gouvernements sont libres de suivre ou non, à charge pour eux d’assumer les conséquences politiques et médiatiques de leur choix. Nous avons jugé l’idée intéressante. Certaines des personnes que nous avons auditionnées ne partagent pas cet avis, considérant que c’est au Parlement qu’il appartient d’évaluer les études d’impact et que celui-ci devrait être totalement indépendant du pouvoir exécutif, comme le veut d’ailleurs notre Constitution. Reste que, dans les faits, il est rare qu’un projet de loi soit rejeté : dans la logique de nos institutions, la majorité soutient les projets gouvernementaux. D’autres personnes que nous avons entendues ont suggéré que l’entité chargée de rendre un avis sur les études d’impact puisse être le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Nous avons donc tenu, monsieur le président, à vous auditionner. Vous nous direz si l’organisation et les procédures internes du CESE lui permettraient de rendre en dix à trente jours un avis indépendant sur les études d’impact et s’il dispose des moyens ainsi que des compétences internes pour ce faire. Faudrait-il y associer une institution comme l’INSEE ou d’autres, ayant des compétences particulières dans le domaine économique et l’analyse des données chiffrées ?

M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. Lors des contacts préparatoires à cette audition, il m’avait été demandé également quel regard je portais sur la complexité administrative en tant qu’ancien médiateur de la République. Je commencerai donc par là.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous puissions aller vers une simplification de notre société. Je pense au contraire que celle-ci va devenir de plus en plus complexe. J’avais été frappé, lorsque j’étais médiateur de la République, de constater que le législateur – je l’avais été – ne s’assurait jamais de la capacité de l’administration à appliquer les textes, si bien que la déconnexion est aujourd’hui totale entre l’inflation législative et la capacité de « digestion » des acteurs administratifs. Une des premières leçons que j’ai retirées est qu’une étude d’impact doit évaluer si l’administration aura ou non la capacité d’appliquer la loi. Au moment où, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), était engagée une vaste réorganisation de l’administration, il devenait flagrant que plus le législateur, dans un souci légitime d’intérêt général, produisait des textes en abondance, plus leur application devenait source d’inégalités. Ainsi l’inflation de la législation relative au séjour des étrangers avait-elle atteint un niveau tel que, dans certaines sous-préfectures, on avouait être dans l’incapacité de suivre l’évolution des textes, ce qui, par la force des choses, entraînait une grande instabilité juridique et des contentieux.

J’ai toujours été frappé de voir qu’un industriel analyse en permanence les contentieux dont son produit peut faire l’objet afin d’en améliorer la qualité – c’est même son souci constant – alors que pour l’administration, sans doute parce qu’elle considère que la législation vise à donner un cadre collectif, jamais l’étude des contentieux individuels ne sert à améliorer les dispositions. Dans une société de plus en plus complexe, la simplification administrative passe pourtant par une analyse permanente des contraintes, des contrôles et des contentieux. Le Médiateur de la République, ou maintenant le Défenseur des droits, occupe une fonction privilégiée pour observer ce qui, dans l’application de la loi, pose des problèmes sur le terrain. Des juges administratifs m’ont dit appliquer la loi tout en ayant conscience qu’elle n’était pas toujours juste, dans le même temps que des fonctionnaires peuvent y déroger, ce qui ne peut qu’entraîner une instabilité juridique. Pour améliorer les textes législatifs, on ne peut faire l’économie d’une analyse des contentieux.

Deuxième élément, qui faisait l’objet d’un travail que nous avions commencé avec Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, et que j’avais demandé à Didier Migaud, son successeur, de bien vouloir poursuivre : il faut tenir compte du souci, bien normal, des fonctionnaires de ne prendre aucun risque pour leur carrière au travers de l’interprétation d’un texte, toujours incertaine. Lorsqu’un fonctionnaire fait parfois seulement preuve de bon sens en dérogeant à une disposition, cela peut se retourner contre lui si un contentieux doit en naître. L’excès de rigueur dont font parfois preuve certains d’entre eux tient probablement au sentiment de fragilité qu’ils peuvent ressentir quant à leur notation et leur carrière future lorsqu’ils interprètent un texte.

Troisième élément : la relation entre le politique et le droit. Aucun juge n’a jamais demandé que le droit prime sur la politique. Or, aujourd’hui, par exemple dans le texte concernant l’énergie éolienne, ce n’est pas le préfet, mais le juge qui, in fine, décide d’accorder ou non le permis. D’où des problèmes de jurisprudence. Soit on se place dans le système anglo-saxon d’une soft law, où c’est la jurisprudence ultérieure qui assied la lecture de la loi, soit on se place dans le système français où c’est au travers de la gestion des contentieux que se précisent la lecture de la loi et la volonté politique, quelquefois même au détriment de celle-ci.

En matière de simplification administrative, importe aussi la bataille du temps. L’instabilité juridique et les divergences d’interprétation d’un même texte sont source de contentieux. Or, lorsqu’un citoyen ou une entreprise sont obligés de bloquer des capitaux pendant quatre à cinq ans, qui est la durée moyenne d’un contentieux en France contre un an au Royaume-Uni, il en résulte une perte de compétitivité. Au moment où on se lance dans la transition énergétique et l’isolation à grande échelle des bâtiments, la difficulté de préciser certains points sur ce sujet laisse des possibilités d’interprétation au niveau local, qui risque d’entraîner une redoutable instabilité néfaste à la compétitivité.

Dernier élément : nous entrons dans une économie de l’innovation, où le futur prévaut sur le passé et où c’est la capacité d’analyse de la demande qui fait la qualité de l’offre. Or toutes les dispositions législatives et les normes emprisonnent dans le passé, empêchant de regarder vers le futur et entravant l’innovation. C’est ainsi que, en respectant les normes, on crée des maisons de retraite où le séjour coûte 2 200 euros par mois alors que le montant mensuel moyen des pensions est de 900 euros !

Accepte-t-on de laisser place à une certaine initiative dans l’application de la loi ? Le comportement des fonctionnaires pourrait en être différent. Peuvent-ils prendre un risque sans pénaliser leur carrière ? Leur reconnaît-on un droit à l’interprétation des textes et, partant, un droit à l’erreur ? Accepte-t-on le droit à l’expérimentation tout en sachant que, d’un autre côté, il peut entraîner une rupture d’égalité par rapport à la loi ? Dans la législation récente sur les schémas éoliens, une politique d’intérêt général s’est trouvée livrée aux intérêts privés. Ce sont en effet les promoteurs qui achètent les terrains et rétribuent les collectivités locales ; ce sont eux qui obtiennent les permis qu’ils négocient ensuite, privant les élus de la capacité de peser sur l’aménagement de leur territoire.

Le sujet dont vous vous êtes emparés va bien au-delà de la simplification administrative. Le législateur est-il capable de laisser aux acteurs une certaine liberté d’innovation ? Aujourd’hui, alors que les marchés publics font l’objet de suspicions et de tricheries, leurs procédures continuent de prédéterminer une solution du passé alors que des solutions innovantes peuvent parfois mieux répondre à des intérêts généraux.

Il faudrait un profond changement culturel, avec des textes et des normes fixant des objectifs, tout en offrant une latitude d’interprétation, dans certaines limites bien sûr – c’est le principe de l’expérimentation. Le sujet est toutefois complexe. Les défenseurs de l’environnement, par exemple, nous demandent de nous garder d’une simplification excessive, qui pourrait faire courir un risque pour la préservation des milieux naturels ou de la biodiversité.

Dans une économie de l’innovation, les initiatives de terrain, comme l’écopartage, des sites comme « CouchSurfing » ou « BlaBlaCar » soulèvent de nouveaux problèmes de caractère politique, hors du champ normatif. Au lieu d’adhérer au futur, cherchera-t-on à défendre le passé ? L’heure est importante et le sujet stratégique. La contrainte normative constituera-t-elle une entrave à l’avenir ou, au contraire, permettra-t-elle de libérer les initiatives ? La force de l’Allemagne réside dans le respect des process, celle de l’Angleterre dans l’obsession du résultat, celle de la France dans l’imagination, la créativité et l’innovation. Adapterons-nous les procédures, de façon que l’administration puisse mettre à profit son intelligence pour imaginer comment on peut faire, là où aujourd’hui, sous le poids des normes, elle explique comment on ne peut pas faire ? Actuellement, un fonctionnaire a intérêt à ne prendre aucun risque. Il faut réfléchir sur son droit à l’erreur.

Je ne crois absolument pas, je l’ai dit, à une simplification de la société future. Elle sera au contraire de plus en plus diverse, de plus en plus complexe, avec toujours plus de domaines à défricher. Or, plus elle sera complexe, plus les accès devront être simples. Nos concitoyens continuent de penser que la loi est faite pour protéger le faible, tout en percevant que, aujourd’hui, son application est si absconse que celui qui a du temps, de l’argent et la connaissance des procédures est mieux protégé que celui qui n’a rien. Alors que l’esprit de la Révolution française était de mettre à bas les privilèges, la complexité actuelle aboutit à en rétablir et crée des inégalités. N’entend-on pas souvent dire qu’on se donne aujourd’hui plus de chances en violant la loi qu’en la respectant ?

Simplifier, c’est mener un combat pour l’égalité d’accès au droit. La révolution numérique offre à tous un égal accès à l’administration et garantit une égale qualité de la réponse, ce qui devrait prévenir les contentieux. Cela suppose de mutualiser les pôles d’intelligence et d’accompagner les citoyens. Il faut un lieu unique, clairement identifié, où, sans résoudre leurs problèmes, on puisse les orienter vers un pôle d’intelligence capable de les accompagner sur un chemin administratif de plus en plus touffu. On pourrait utilement s’inspirer de l’exemple des maisons des services publics créées en Espagne, où c’est tout un ensemble de démarches administratives que l’on peut effectuer en un même lieu.

Dans la société de parcours qui est appelée à devenir la nôtre, les barrières que créent, par exemple, les frontières administratives départementales créent de la complexité. Ainsi, les textes applicables à l’enfance handicapée varient d’un département à l’autre, si bien que des parents qui déménagent peuvent soudain avoir affaire à d’autres règles et se retrouver face à un contentieux à gérer.

Si l’on considère que la loi vise à protéger le confort de la collectivité, alors il ne faut rien changer. Si l’on pense au contraire qu’elle doit favoriser le bien-être des individus, rendre leur parcours à la fois plus simple et plus sûr, et non les contraindre, c’est toute la culture de son élaboration et de son application qu’il faut inverser et un nouvel accompagnement qu’il faut mettre au point pour aider les citoyens à surmonter les obstacles administratifs. Ce n’est pas à l’individu de faire les frais de la complexité administrative, mais à l’administration de faire son affaire, elle, de la complexité des textes et des procédures. C’est un élément majeur du sentiment d’équité par rapport à la loi et l’administration.

Au moment où le discrédit politique et syndical a atteint un niveau dangereux pour le système démocratique lui-même, au moment où l’on prend conscience que la complexité est telle que seuls quelques privilégiés peuvent en surmonter l’obstacle, si nous n’y prenons garde, le risque est que l’on perde confiance dans la force du droit et que l’on revendique le droit à la force. Paradoxalement, plus la loi sera appliquée de manière complexe, plus les ruptures d’égalité seront nombreuses et plus se nourrira la violence contre le système. On l’a vu avec la révolte des jeunes entrepreneurs ou encore les vives réactions de certains élus locaux.

Comme le montrait bien une étude américaine sur l’économie de l’innovation, l’avenir n’appartient ni aux plus anciens ni aux plus puissants, mais aux plus réactifs. La complexité administrative fait perdre la bataille du temps. Chaque fois qu’un texte doit être adopté, on allonge le temps entre la prise d’une décision et son exécution. Simplifier, c’est aussi aller voir sur le terrain comment la loi est appliquée, comment les contentieux sont gérés afin d’éviter que la contestation de la légitimité de l’élu – qui la tient de l’élection – ne vienne à légitimer les contestations. Certaines minorités utilisent aujourd’hui le contentieux pour remettre en question un intérêt général au nom d’un droit ou d’un intérêt particulier.

Ce sujet politique majeur dépasse le cadre de votre travail sur la simplification législative. Il y va de la relation entre le juge et le politique, et sans doute aussi des relations entre majorité et opposition. De ce point de vue, les alternances, où l’obsession est de remettre en cause ce qu’a pu faire la majorité précédente, sont dramatiques : derrière l’instabilité qui en résulte, il est difficile pour le citoyen de percevoir la notion d’intérêt général. Il faudrait que les enjeux politiques l’emportent sur les stratégies de conquête du pouvoir et les postures politiciennes. Si dans l’esprit de nos concitoyens, la loi n’est faite que pour contraindre et non pour organiser la vie collective, le risque est que des mouvements contestataires ne deviennent perçus comme plus légitimes que la représentation issue d’une élection.

J’en viens plus précisément au Conseil économique, social et environnemental. Avec Pierre Rosanvallon notamment, qui a développé avec Jacques Attali, la notion du temps long, nous nous sommes beaucoup interrogés sur les relations entre la société civile et le Parlement, sur les moyens de restaurer le rôle du législateur, du politique, du syndicalisme dans la conduite du changement. Le CESE doit-il être systématiquement consulté et avoir même, comme le suggérait Jacques Attali, le droit de demander au Parlement de réviser un texte quand l’application pourrait s’en révéler néfaste pour les générations futures, voire un droit de veto ?

Aujourd’hui, par exemple, en l’absence de décisions politiques au niveau européen, certains secteurs économiques sont condamnés. Si l’Union européenne ne prend pas de décisions dans le domaine de l’énergie, tant pour la croissance que pour le tissu industriel, dans quinze ans, toute industrie grosse consommatrice d’énergie aura disparu en Europe. De même, si elle ne fait rien concernant la fusée Ariane 6 d’ici à la fin de l’année, dans quinze ans, les Européens ne lanceront plus aucun satellite. Ce champ aura été totalement abandonné aux Américains, avec, pour conséquence, un espace de déploiement du numérique entièrement américanisé.

Une institution comme le CESE doit-elle avoir un pouvoir d’interpellation, voire un droit de veto, si elle estime qu’un travail législatif risque de nuire aux générations futures ?

Mme la présidente Laure de la Raudière. Il serait logique et préférable que cette interpellation ait lieu avant l’adoption des textes.

M. Jean-Paul Delevoye. En effet, c’est tout l’enjeu de l’étude d’impact ex ante. Il appartiendrait ensuite au législateur de prendre sa décision. À titre personnel, et comme je le pensais déjà lorsque j’étais médiateur de la République, je ne suis pas favorable à ce qu’un conseil ait un pouvoir décisionnel. Son pouvoir doit demeurer d’influence. C’est le pouvoir parlementaire qu’il faut renforcer.

Le CESE pourrait parfaitement se saisir des études d’impact afin d’évaluer toutes les conséquences, positives ou négatives, des projets de loi. Il lui faudrait simplement revoir ses procédures, y compris le processus de désignation de ses personnalités associées, afin de pouvoir mobiliser avec plus de souplesse des experts. Quand, en matière de fiscalité par exemple, il faut analyser les thèses diamétralement opposées de Thomas Piketty et d’Étienne Wasmer, nous ne disposons pas nécessairement des compétences en interne pour trancher sur de tels sujets. De même, pour traiter de la protection des données personnelles à l’ère de l’open data, il faut faire appel à de l’expertise.

Nous sommes tout à fait ouverts pour réfléchir à ce que pourraient être les liens entre le Parlement et la société civile, en lien avec le Comité économique et social européen et les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux avec lesquels nous sommes en relation.

D’ores et déjà, pour l’élaboration de ses avis, le CESE met en place des plates-formes collaboratives sur lesquelles nos concitoyens peuvent s’exprimer. Si la décision politique est solitaire, son élaboration doit être collective. Plus nos concitoyens auront les moyens d’appréhender les enjeux, de se les approprier et de contribuer à la réflexion, plus on pourra les rapprocher du politique, ce qui est aujourd’hui un enjeu majeur.

M. Régis Juanico. Je remercie Jean-Paul Delevoye pour l’acuité et la précision de son analyse des blocages de notre société. Nourries de son expérience de médiateur de la République et aujourd’hui de président du CESE, ses analyses sont du plus haut intérêt pour nous. Elles nous permettent notamment de prendre du recul par rapport au travail législatif que nous effectuons au quotidien, souvent « le nez dans le guidon ».

Comment raccourcir le temps législatif ? Il peut s’écouler aujourd’hui beaucoup de temps entre la prise d’une décision et son application sur le terrain. Comment pourrait-on mieux évaluer ex ante les études d’impact ? Mais, au-delà, comme une loi vit sur le terrain, il faut analyser bien davantage qu’on ne le fait aujourd’hui ses conséquences sur le plan juridique et sur le plan pratique. Je ne crois pas nécessaire de créer un énième organisme. Demandons-nous plutôt lequel, parmi ceux qui existent, il serait judicieux de mobiliser et à quel moment du processus législatif ce serait le plus opportun, au service du Parlement, dans le respect des prérogatives de ce dernier.

Les avis du CESE sont très utiles. Il nous faut apprendre à intégrer le regard de l’ensemble des composantes de la société civile que le CESE peut recueillir au travers de ses avis, comme celui qu’il a rendu sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, en cours d’examen.

Quel sort réserver par ailleurs aux nombreux rapports de la Cour des comptes ? Comment associer la haute juridiction à l’évaluation ex post ? Comment mobiliser d’autres outils statistiques que ceux des ministères – aujourd’hui les études d’impact sont élaborées par les services ministériels ? Quel rôle voyez-vous pour chacun des acteurs et comment l’ensemble pourrait-il s’articuler, de façon à améliorer le travail législatif ?

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie à mon tour, monsieur Delevoye, pour votre exposé particulièrement intéressant. Il est une phrase de la professeure honoraire au Collège de France, Mireille Delmas-Marty, que j’aime à citer : « Il faut faire la pédagogie de la complexité, et non la démagogie de la simplicité. » J’ai retrouvé ce souci dans vos propos.

J’en suis d’accord avec vous, une loi devrait être faite d’abord pour ceux à qui elle s’applique. Pour ne pas se tromper, il faudrait associer davantage les citoyens ou les chefs d’entreprise à son élaboration, selon les sujets traités. Il appartient aussi aux députés d’associer par tous moyens les citoyens dans leur circonscription. Ainsi ai-je mis en place dans la mienne des ateliers législatifs citoyens, de façon à informer, mais aussi à faire remonter des « amendements citoyens ». Avec le non-cumul des mandats, c’est un dispositif qui pourrait être sinon imposé, du moins fortement conseillé aux parlementaires. J’aimerais connaître votre avis sur le sujet.

Je voudrais ensuite insister sur ce « confort » du fonctionnaire que vous avez évoqué. J’ai le cas, dans ma circonscription, d’un jeune majeur ballotté entre les conseils généraux de deux départements, avec impossibilité de trouver une solution, chacun se renvoyant la balle et nul ne se hasardant à prendre le moindre risque. Il faut en effet changer de culture et convaincre les administrations, comme les élus, que le premier impératif est de se soucier de ce que vit la personne en situation de difficulté.

Le système judiciaire devrait pouvoir interpeller le Gouvernement ou le Parlement devant les dysfonctionnements du dispositif législatif ou réglementaire, dont les contentieux sont un révélateur.

Nous aurions tout intérêt à ce que le CESE soit le plus possible associé aux études d’impact en amont de la loi et, pourquoi pas, à l’évaluation ex post.

M. Jean-Paul Delevoye. Rétablir la confiance dans le politique et restaurer son crédit passe par une autre gestion du temps. Le citoyen a le sentiment que les fonctionnements institutionnels restent dans une logique dominant/dominé : « Je décide, vous obéissez. » Or nous entrons dans une société horizontalisée où il veut être coproducteur du futur. La respiration démocratique ne peut plus se limiter à « je fais une loi, vous l’appliquez ». Je me demande si la réhabilitation du politique ne passe pas par une respiration démocratique à quatre temps.

Pour tout sujet, il faut dans un premier temps se demander quel enjeu justifie qu’on légifère. La Suède a mis sept ou huit ans à préparer sa réforme des retraites. Ce temps de maturation dans les esprits, indispensable pour qu’un débat autour d’enjeux fondamentaux soit accepté, n’a bien sûr rien à voir avec le rythme électoral. C’est par cette pédagogie de l’enjeu qu’il faudrait aborder des sujets comme le vieillissement, la place du travail dans la société, l’adaptation de la fiscalité… Cela devrait également conduire à adopter de nouveaux comportements politiques – c’est certes quelque peu utopique –, notamment dans les relations entre opposition et majorité.

Le second temps a trait à l’organisation des débats. Dans notre société, les excès des médias et les postures politiciennes tuent les débats. On ne souffre pas d’un excès de politique, mais d’un excès d’attitude politicienne. Les politiques apparaissent davantage comme des stratèges dans la conquête du pouvoir que comme des porteurs de projets de société. Or le débat est indispensable, nos concitoyens en ont besoin. Le CESE offre précisément des espaces de débat, de participation, grâce à ses plates-formes collaboratives. Si les enjeux n’ont pas eu le temps de mûrir dans l’esprit des citoyens, le débat lui-même est rejeté ou ne peut être canalisé. Et si une décision est prise sans débat préalable, elle risque d’être contestée. Nous devons réfléchir à ces temps de la respiration démocratique. Mais il serait ici trop long de développer ce sujet.

Dans la société complexe qui est la nôtre, l’expert, loin d’apporter des certitudes, introduit au contraire de l’incertitude. La place de l’expert dans l’élaboration d’une décision politique est devenue à la fois déterminante et déstabilisante. Ainsi, sur le sujet de la fiscalité et des inégalités, Thomas Piketty et Étienne Wasmer défendent-ils chacun de leur côté des thèses opposées. Qui a tort ? Qui a raison ? La confrontation de leurs points de vue mériterait d’avoir lieu dans un lieu indépendant, à l’écart du pouvoir, qui pourrait être le CESE, avant que le politique n’arbitre dans un débat dont l’opinion comprendrait qu’il a été nourri de diverses expertises. Il en va de même pour tous les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la science. La décision ne peut pas être prise sous le coup de l’émotion. Trêve des lois émotionnelles ! Il faut des lois fondées sur des convictions collectives, qui demandent du temps pour se forger. Or vous vous interdisez souvent ce temps d’élaboration, pourtant indispensable, comme on le voit sur le sujet de la transition énergétique.

Quel serait donc le temps de l’expertise compatible avec le temps législatif ? Tout le débat sur la réduction de la dépense publique, par exemple, va peser sur la politique de santé, l’accès aux soins et exiger que soit de nouveau expertisée la prise en charge respective des dépenses par le régime général, les assurances complémentaires, les mutuelles. Toutes ces décisions ne doivent pas être prises dans l’urgence, car cela emporte des conséquences majeures : il y va des transferts intergénérationnels ou des pactes collectifs. Tout cela mérite un débat en un lieu à distance du pouvoir, qui pourrait être le CESE, après quoi il appartiendrait au politique d’en retirer ce qu’il estimerait nécessaire pour forger sa conviction et décider. Plus la décision sera élaborée de manière collective, mieux elle sera appliquée et acceptée, moins elle risquera d’être remise en question. Le temps pris pour préparer une décision politique n’est jamais perdu : c’est, entre autres, ce qui évite qu’elle ne soit ensuite contestée.

Permettez-moi de dire un mot sur les statistiques. Elles devraient être élaborées par des instances indépendantes. Aujourd’hui, certaines études d’impact sont réalisées par des inspections dépendant directement des ministères. Pourquoi ne pas imaginer un organisme dépendant de la représentation nationale ? Le citoyen n’acceptera bientôt plus que les corps de contrôle ne soient pas indépendants du pouvoir qu’ils sont censés contrôler, au risque de conflits d’intérêts. En revanche, si le pouvoir parlementaire peut s’appuyer sur des organes indépendants, y compris de lui-même, ayant du crédit, garantissant la transparence et permettant le débat, l’opinion et la démocratie y gagneront en stabilité. Une démocratie en crise ne fonctionne pas de la même façon qu’une démocratie en bonne santé, quand il faut exiger des sacrifices alors qu’auparavant on pouvait promettre des récompenses. Si l’on n’y prend garde, dans une démocratie en crise, les réflexes du peuple peuvent être suicidaires : plus il faudrait penser monde, plus on pensera village ; plus il faudrait penser moyen terme, plus on pensera court terme ; plus il faudrait penser autrui, plus on pensera chacun pour soi. Et s’ensuivront, à notre corps défendant, des dérives émotionnelles et populistes.

Pour stabiliser l’opinion, il faut laisser le temps aux enjeux de mûrir dans les esprits et, pour éviter les heurts dans le débat lui-même, s’appuyer sur des expertises indépendantes et des données chiffrées, même si elles sont inconfortables pour les détenteurs du pouvoir ou remettent en question vos propres convictions. Mais cela, les gouvernements, quels qu’ils soient, ont du mal à l’accepter. Pensons aux débats sur l’éducation et l’échec scolaire, sur la santé… Cette indépendance de l’expertise est pourtant indispensable pour garantir la transparence et obtenir l’adhésion de l’opinion. Aucune décision ne sera durable si elle suscite sa méfiance.

La simplification que vous appelez de vos vœux n’est pas simple affaire de confort pour le citoyen. Il ne s’agit pas de permettre de « consommer plus facilement de la République ». Elle appelle un réveil des consciences et de la citoyenneté. Nous sommes disposés à nous investir sur ce sujet.

Un dernier mot sur les études d’impact ex ante et ex post. Le CESE a déjà un pouvoir d’évaluation : ainsi a-t-il évalué Pôle emploi. Vis-à-vis du Parlement, son pouvoir doit se limiter à l’interpellation, afin de le nourrir des réflexions de la société civile. Il ne doit en aucun cas avoir pouvoir de décision ni de veto. Le Parlement doit conserver son plein et entier pouvoir de décision – lequel devrait même être renforcé.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Dans cette discussion se juxtaposent des réflexions d’ordre général passionnantes que l’on aurait envie de prolonger, ce que ne permet hélas pas le temps qui nous est imparti, et des éléments plus opérationnels qui pour le coup mériteraient d’être précisés.

Notre objectif est d’améliorer la « fabrique » de la loi. Qu’attendons-nous de cette amélioration ? Une loi de meilleure qualité, c’est une loi opportune – la première question sur tout sujet est de savoir s’il faut ou non légiférer –, une loi claire, y compris sur le plan sémantique – au Royaume-Uni, afin de mieux légiférer, on fait désormais appel à des linguistes chargés de transcrire les textes de loi en un anglais compréhensible de tous –, une loi applicable, une loi efficace.

Nous pensons comme vous que les motivations de la décision publique doivent être transparentes. Lorsqu’un gouvernement, un pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, prend une décision, il le fait sur la base d’éléments d’information, d’appréciations, de données dont il n’y a aucune raison qu’elles demeurent secrètes. Le Parlement doit être le garant de cette transparence : c’est un devoir absolu, qui n’ôtera rien aux oppositions qui existent. D’une certaine manière, ce devoir devrait être étendu à nos propres moyens de créer du droit – propositions de loi, voire amendements substantiels…

Comment pouvons-nous faire en sorte que les études d’impact soient beaucoup plus fournies qu’elles ne le sont et qu’elles soient contre-évaluées de façon indépendante ? Elles comportent aujourd’hui différents chapitres que l’on essaie de renforcer, notamment, à côté de l’impact économique, l’impact social – sociétal même, devrais-je dire –, qui est aujourd’hui le plus négligé. C’est sur cet aspect que le CESE peut jouer un rôle dans le processus législatif. Si ce n’est sans doute pas de sa compétence stricto sensu, cela répond en tout cas à sa raison d’être.

Concrètement, le CESE dispose-t-il des moyens d’évaluer les études d’impact dans des délais raisonnables ? Que pourrait-il apporter sur ce point ? Pourrait-il également évaluer l’applicabilité et l’application d’un texte ? Très souvent, une loi est pervertie par ses décrets d’application, que ceux-ci ne sortent pas ou soient inadaptés. Le CESE dispose-t-il des moyens techniques de procéder à cette évaluation ?

Mme la présidente Laure de la Raudière. À côté des motifs conduisant à légiférer, il faudrait aussi évaluer les objectifs attendus d’une loi. Le CESE en aurait-il les moyens ?

Mme Cécile Untermaier. J’ajouterais, pour ma part, l’évaluation a posteriori des critères d’efficacité des dispositifs mis en place.

M. Jean-Paul Delevoye. Avant cette audition, j’ai pu réunir l’ensemble des premiers présidents de section du CESE pour connaître leur avis. Chacun au sein de l’institution ressent la pertinence de la responsabilité nouvelle qui pourrait nous incomber.

Pour ce qui est des délais, nous savons déjà nous adapter quand nous sommes saisis en urgence par le Gouvernement. Très souvent d’ailleurs, des décisions sont prises sinon dans l’urgence, du moins très rapidement – or la rapidité est rarement gage de qualité ! Si l’étude d’impact vise à être un élément de stabilisation d’un texte de loi, vous ne pourrez pas faire l’économie d’une réflexion sur le droit de déposer des amendements de dernière minute à l’incidence parfois considérable – en matière fiscale, certains peuvent dénaturer totalement un dispositif. Le chantier que vous avez ouvert peut être gros de conséquences : l’impact des décisions qui seront les vôtres mériterait lui-même d’être analysé !

Il me paraît tout à fait possible que le CESE rende un avis en trente jours – pas en dix jours en revanche. Nous allons nous préparer à cet exercice nouveau. Il faudra que nous nous adaptions pour la mobilisation des experts, mais il existe aujourd’hui, dans toutes les composantes de la société civile, des capacités d’analyse croisée tout à fait intéressantes. Je croyais connaître la société française lorsque j’étais président de l’Association des maires de France ; je l’ai découverte en réalité dans mes fonctions de médiateur de la République ; je croyais en avoir fait le tour alors et je la découvre de nouveau, sous d’autres angles, dans mes fonctions de président du CESE. C’est là pour moi une école de formation permanente.

Ces missions nouvelles, notamment celles de contre-évaluation des études d’impact, conduiront sans doute le CESE lui-même à évoluer : il faut y réfléchir.

Alors que des postures politiciennes rendaient explosif le débat sur les relations inter-cultuelles et l’identité nationale, au CESE, instance où chacun a appris à débattre, y compris en confrontant des points de vue diamétralement opposés, nous avons pu, au contraire, étudier la situation et formuler des propositions. Un thème aussi lourd que celui de l’immigration qui va devenir le sujet politique de l’Europe dans les dix prochaines années, est l’exemple même de celui qui pourrait être analysé en étude d’impact au CESE préalablement à la tenue du débat politique.

Mme la présidente Laure de la Raudière. Monsieur le président, nous vous remercions.

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* *

La mission d’information procède enfin à l’audition de de représentants du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) : M. Bernard Gaud, président du MEDEF Rhône-Alpes et président de la commission « Simplification » du MEDEF accompagné de Mme Dorothée Pineau, directrice générale adjointe du MEDEF en charge du dossier simplification, et de Mme Joëlle Simon, directrice des affaires juridiques, rapporteure de la commission « Simplification » du MEDEF.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre mission de simplification législative s’intéresse davantage à la rationalisation des flux normatifs qu’à la simplification du stock des normes législatives et réglementaires. Dans ce cadre, la mission examine la nécessité de renforcer l’évaluation ex ante, de rendre plus méthodique l’évaluation ex post ainsi que, d’une manière plus générale, la nécessité de repenser différents aspects de la procédure législative, notamment en matière de transposition des directives européennes.

Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de la culture normative, en nous inspirant des exemples étrangers. Nous nous sommes rendus à Bruxelles, à Londres, Berlin et La Haye, où nous avons notamment rencontré des représentants d’organisations patronales. Nous avons pu constater que, aussi bien au Royaume-Uni qu’en Allemagne, les chefs d’entreprise étaient particulièrement impliqués dans le processus d’élaboration des normes, au sein de conseils indépendants chargés d’évaluer la qualité des études d’impact.

Compte tenu de l’impact de la production normative sur le quotidien des entreprises, vous avez souhaité être entendu par la mission. Faut-il, selon vous, charger un organe indépendant de contrôler la qualité des études d’impact, assortissant non seulement les projets de textes réglementaires concernant les entreprises, mais aussi tous les projets de loi, qu’ils concernent ou non les entreprises ? Quel pourrait être cet organe ? Pensez-vous que cela puisse être le Conseil économique, social et environnemental ? Faut-il rendre les études d’impact obligatoires pour les propositions de loi et les amendements qui seraient qualifiés par la commission saisie au fond de « substantiels » ?

M. Bernard Gaud, président du MEDEF Rhône-Alpes et président de la commission « Simplification » du MEDEF. Si le MEDEF a sollicité cette audition, c’est que son président Pierre Gattaz a fait de la simplification de l’environnement législatif et réglementaire des entreprises l’un de ses principaux chevaux de bataille. Nous travaillons activement avec la « mission Simplification » dont nous saluons les objectifs et la méthode.

Notre propos n’est pas partisan et nos analyses concernent des faits récurrents. Voilà des décennies que nous considérons qu’il faut agir sur le stock comme sur le flux de normes.

Nos objectifs sont les suivants : réduire le nombre et la taille des textes, améliorer leur qualité, c’est-à-dire leur lisibilité, leur accessibilité, leur pertinence, mais aussi leur évaluation. Mes interventions porteront surtout sur les textes concernant les entreprises, mais elles auront néanmoins une portée générale.

Je commencerai par les constats. Sans revenir sur l’inflation du nombre de textes, j’insisterai ici sur l’allongement substantiel de leur longueur, qu’illustre un exemple récent : le projet de loi sur la consommation comportait à l’origine soixante-treize articles ; la loi promulguée le 17 mars 2014 en comporte cent soixante et un.

Les « cavaliers législatifs », largement utilisés en matière budgétaire depuis des décennies, se multiplient aujourd’hui dans l’ensemble des textes : ainsi la loi sur la consommation comporte-t-elle des dispositions sur les relations interentreprises, alors que ce n’est pas le sujet de la loi.

En tant qu’industriel de l’agroalimentaire, je suis particulièrement sensible enfin au phénomène de surtransposition des directives communautaires. Je salue donc l’engagement pris par le Gouvernement de lutter contre cette surtransposition et le MEDEF veillera à ce qu’il soit respecté.

Il découle de ce qui précède une instabilité et une insécurité juridiques qui sont, avant le coût du travail, le premier frein à l’investissement étranger en France. La loi sur la consommation en offre encore un exemple particulièrement frappant en s’appliquant à des faits survenus ou à des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur. De même, la loi du 20 janvier 2014 crée un compte personnel de prévention de la pénibilité alors qu’il existait déjà, depuis 2010, un dispositif de prévention de la pénibilité. Cette usine à gaz, que nous dénonçons vigoureusement, va se traduire pour nos entreprises par une complexité et des coûts administratifs accrus. Enfin, on ne dénombre pas moins de quatre réformes du droit des offres publiques d’achat (OPA) en cinq ans, ce qui est préjudiciable à la place financière de Paris.

Nous dénonçons également la piètre qualité des études d’impact, qui ne sont le plus souvent que des plaidoyers pro domo : j’en veux encore pour preuve la loi sur les retraites, qui ne s’est accompagnée d’aucune étude précise sur l’impact économique, social et juridique du dispositif pénibilité sur les régimes de retraites, alors qu’il s’agit d’une véritable bombe à retardement.

Par ailleurs, ni les propositions de loi ni les ordonnances ne sont soumises à l’obligation d’être accompagnées d’une étude d’impact, et les propositions de loi ne sont toujours pas soumises à l’avis du Conseil d’État, alors que la récente censure de la loi « Florange » par le Conseil constitutionnel a montré la nécessité de telles procédures.

Dans le même esprit, la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail et la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance ont été examinées selon la procédure accélérée : pourquoi une telle urgence, qui nous semble contraire à la sérénité dans laquelle devraient être abordés les textes, ce qui n’a pas empêché M. Jean-Marie Le Guen de déclarer hier que la procédure accélérée serait davantage utilisée ?

Nous constatons en outre que les délais de consultation sur les projets de textes sont de plus en plus courts. C’est ainsi que le projet d’ordonnance portant réforme du droit des entreprises en difficulté a été envoyé à la veille de Noël, avec un retour attendu pour les premiers jours de janvier.

Cela nous amène à dénoncer une concertation en trompe-l’œil, l’avis des parties prenantes n’étant souvent pris que pour la forme. Ce fut le cas pour la réforme des OPA de 2014 qui faisait suite aux réformes de 2008, 2009, 2010 et 2012 : bien que l’ensemble des acteurs consultés s’y soient opposés, leurs revendications n’ont pas été entendues. Je dirai, non sans taquinerie, que cela peut être imputable à une certaine méconnaissance de l’économie et des réalités de l’entreprise par nombre des parlementaires…

Nous critiquons également les lois d’habilitation, qui sont souvent prétexte à adopter des dispositions sans rapport avec la simplification législative. Ainsi la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises comportait-elle des dispositions sur le Grand Paris...

De même, les textes à portée symbolique, adoptés sous le coup de l’émotion et dictés avant tout par un souci de communication ne contribuent pas à la clarification du droit. J’ai peu de chances d’être entendu, mais ne serait-il pas envisageable de cesser de baptiser les lois du nom de leur concepteur : cela épargnerait à certains la tentation d’en rédiger…

En matière de normes fiscales, le ministère du Budget ne semble plus guère en maîtriser l’initiative, la fiscalité étant de plus en plus instrumentalisée à des fins d’affichage politique par des décideurs qui privilégient la logique de court terme au détriment de réformes structurantes. Je rappelle ici que, depuis 1998, ce sont quatre-vingt-treize taxes qui ont été créées.

Ce constat appelle des réponses de bon sens : du temps plutôt que de l’urgence ; de la concision plutôt que du délayage ; du pragmatisme plutôt que du dogmatisme, de la frugalité plutôt que de la boulimie législative et réglementaire. C’est dans ce sens que vont nos propositions.

Nous proposons d’abord des réformes structurelles, dont certaines exigeraient une réforme constitutionnelle. Nous préconisons le retour à des sessions parlementaires brèves : comme à l’époque du général de Gaulle, une session de quinze jours consacrée au budget et deux sessions de quinze jours consacrées aux autres textes.

Nous suggérons de rendre obligatoires les études d’impact sur les propositions de loi dès lors qu’elles sont inscrites à l’ordre du jour, ainsi que sur les amendements emportant une modification substantielle du texte législatif en discussion. Il importe de revenir à la règle jurisprudentielle édictée par le Conseil constitutionnel et selon laquelle le droit d’amendement trouve des limites dans son ampleur. Vous savez très bien combien cela fait rire d’entendre que sur un texte ont été déposés mille ou trois mille amendements. Il en va de la crédibilité du politique.

Même si nous savons que ce n’est pas simple, nous recommandons ainsi, pour davantage de transparence, que soit systématiquement rendu public l’avis du Conseil d’État.

Nous sommes favorables à la mise en place d’un organe indépendant, à géométrie variable, chargé d’évaluer les études d’impact. Ne commençons pas par créer quelque chose de fixe et d’inscrit dans le marbre. Comme on le fait dans les entreprises, créons des groupes de projet sur des sujets particuliers. Pourquoi ne pas utiliser la « mission Simplification » ?

Nous insistons sur la nécessité de limiter les cavaliers législatifs.

Nous proposons de développer la soft law, ou droit souple, dont le code AFEP-MEDEF sur la gouvernance des entreprises offre un bel exemple. Cela permettrait de désengorger l’appareil législatif.

Nous préconisons également, comme cela se pratique à l’étranger, d’évaluer systématiquement l’impact des lois sur les PME. À titre d’exemple, l’instauration de la taxe « Écofolio » oblige un entrepreneur à remplir un formulaire qui comporte vingt-sept questions portant sur la nature du papier, la qualité de l’impression, etc.

Dans la même optique, nous sommes favorables au développement des expérimentations, géographiques ou temporelles.

Afin de faciliter le travail des juristes d’entreprise, nous recommandons de présenter avec la loi les décrets d’application nécessaires à sa mise en œuvre. Les dispositions de la loi sur la consommation concernant les actions de groupe ne peuvent par exemple s’appliquer sans les décrets, puisqu’elles ont un effet rétroactif.

Nous préconisons l’application de la règle du one in, one out, en l’interprétant de manière moins quantitative que qualitative et en cherchant à compenser de manière équitable pour les entreprises les coûts induits par la loi.

Pourquoi également – et je le demande avec humour sur le ton de la provocation – ne pas créer, pour les administrateurs des assemblées, un concours du meilleur réducteur de textes ? Pourquoi ne pas valoriser celui qui réduit le plus de textes ?

En matière fiscale, un seul exemple suffira à illustrer mon propos : la loi de finances pour 2014 a fiscalisé l’avantage que constitue pour les salariés le paiement par l’employeur d’une complémentaire santé. Or le fait que la loi n’ait été publiée qu’à la toute fin de l’année a contraint les entreprises à corriger en janvier toutes les feuilles de paie du mois de décembre. Pourquoi, dès lors, ne pas anticiper le vote des lois de finances au 31 octobre, afin de permettre son application au 1er janvier de l’année suivante ?

Nous avons d’ailleurs noté avec une grande satisfaction que, parmi les cinquante propositions récentes du Conseil de la simplification pour les entreprises, figurait l’interdiction de la rétroactivité de la norme fiscale, qui correspond à une très forte demande des entreprises.

Je conclurai par une citation de Gandhi : « La politique moderne fait de la loi un fétiche, simplement parce que c’est la loi. »

Mme Cécile Untermaier. Nombre des propositions que vous faites sont au cœur de notre réflexion. Nous pensons comme vous qu’un amendement peut déséquilibrer un dispositif et qu’une loi doit être concise. Pourquoi, en effet, nommer une loi du nom du politique qui l’a portée ?

Comme vous, je considère qu’il est important de renforcer les procédures de consultation en amont du travail législatif. Je m’interroge sur les modalités de cette consultation. Pensez-vous qu’elle puisse passer par Internet, ce qui permettrait d’atteindre une multitude d’entreprises ?

M. Bernard Gaud. En tant que représentant du MEDEF, je recommande évidemment la concertation avec les organisations patronales. Je répète que nous avons souvent le sentiment que nous ne sommes consultés que pour la forme et dans l’urgence. Il peut sembler étrange que nous demandions du temps quand, par ailleurs, les entreprises insistent sur la nécessité d’agir vite. Mais l’on va d’autant plus vite que l’on a défini une stratégie et des objectifs clairs. Nous compatissons évidemment à l’effondrement d’une usine au Bangladesh, mais fallait-il pour autant adopter immédiatement une loi « à chaud » ?

Mme Cécile Untermaier. Nous dénonçons en effet les lois inspirées par des faits divers. Nous essayons bien évidemment de nous en écarter.

M. Régis Juanico. Vous mettez en cause la connaissance qu’ont les parlementaires du monde de l’entreprise. Si certaines catégories de la population sont surreprésentées parmi nous – ce ne sont d’ailleurs pas tant les fonctionnaires que les avocats ou les professions libérales –, cela ne nous empêche pas d’être, chaque semaine, en contact sur le terrain avec des chefs d’entreprise et des salariés, que nous aidons à démêler certains problèmes, comme ceux que rencontre par exemple, à l’exportation, une entreprise stéphanoise de ma circonscription qui fabrique les composants de la navette spatiale indienne. Quant aux membres du Gouvernement, ces deux dernières années, une quinzaine d’entre eux se sont déplacés pour visiter des petites et moyennes entreprises (PME) innovantes dans la Loire : HEF, Cardial, Clextral, Olivo, autant de leaders mondiaux ou européens dans leurs secteurs. Nul besoin donc que nous fassions chaque été des stages d’immersion ! Et le fait que notre rapporteur Thierry Mandon soit également le co-président du Conseil de la simplification pour les entreprises témoigne de notre ouverture au monde de l’entreprise.

Nous partageons certaines des propositions que vous faites en matière de simplification législative, notamment concernant le calendrier des lois de finances. Nous consacrons beaucoup trop de temps à l’examen du projet de loi de finances initiale, qui est avant tout un texte d’affichage, et pas assez à celui de la loi de règlement. De surcroît, la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat alourdit la procédure. Il serait souhaitable en effet de ne pas attendre le 31 décembre pour produire des règles lisibles par les acteurs concernés.

Je note en revanche que c’est souvent lorsque le législateur accorde de nouveaux droits aux salariés que vous parlez d’usine à gaz… Le compte personnel de prévention de la pénibilité n’existait pas sous cette forme avant le vote de la loi. Le législateur s’est d’ailleurs donné un an pour achever sa mise en œuvre, conscient des difficultés que cela impliquait. Nous souhaitons que le compte puisse être effectif au 1er janvier 2015, sans que cela alourdisse de manière trop significative les charges administratives pesant sur les très petites entreprises (TPE) et les PME.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Si les décrets d’application étaient fournis avec les textes ou si nous pouvions en débattre, cela nous permettrait de recueillir les remarques des acteurs de terrain non seulement sur les objectifs, mais aussi sur la mise en œuvre des lois. Cela contribuerait sans doute à apaiser nos débats et cela éviterait que les uns ou les autres veuillent à toute force préciser certains éléments dans la loi.

Je prends ici l’exemple de l’article 20 de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013, qui porte sur les interceptions de sécurité. Sa rédaction relativement floue a suscité beaucoup de débats, notamment sur les dérives d’un État sécuritaire, qui n’auraient probablement pas eu lieu si nous avions disposé des décrets d’application, qui clarifiaient les choses.

Au-delà de cette piste et de celles que vous avez évoquées par ailleurs, comment pensez-vous que l’on puisse améliorer l’évaluation ex post de la norme ?

Mme Cécile Untermaier. Je partage ce qu’a dit Laure de La Raudière sur les décrets d’application. J’ajoute qu’il est nécessaire que l’étude d’impact porte non seulement sur la loi, mais aussi sur ses décrets d’application.

M. Régis Juanico. Je ne partage pas l’avis de M. Gaud sur le calendrier parlementaire. Nous devons dès à présent réfléchir à ce que sera l’Assemblée nationale du non-cumul des mandats. Aujourd’hui, les mandats exécutifs locaux, qui pèsent très lourd dans un agenda, empêchent les députés d’exercer pleinement leurs fonctions de contrôle et d’évaluation, qui sont des fonctions au moins aussi importantes que celles de législateur. Nous aurons donc à mieux organiser notre travail hebdomadaire, ce qui ne passe pas forcément pas le raccourcissement de nos sessions. Cela étant, nous nous accordons tous sur l’encombrement législatif – trop de textes, trop bavards.

Enfin, le code AFEP-MEDEF rencontre selon moi ses limites dans le simple fait que certains ne se sentent malheureusement pas tenus par les engagements qu’il implique. Il est donc parfois nécessaire de recourir à la loi.

M. Bernard Gaud. Nous ne remettons pas en cause le compte pénibilité, pas plus que la taxe « Écofolio » ; nous souhaitons simplement que leur mise en œuvre soit la plus simple possible.

M. Régis Juanico. Je vous rejoins. Une mission a certes été confiée à Michel de Virville sur la mise en œuvre de ce compte, mais force est de constater que, après le vote de la loi, les parlementaires les plus investis sur ce projet n’ont pas été associés au « service après-vente ».

M. Bernard Gaud. L’évaluation ex post fait naturellement partie de la logique normale de fonctionnement d’une institution. Nous pensons qu’il faut réfléchir à la notion de droit transitoire et à ces « clauses de grand-père », qui permettent aux dispositions légales antérieures de s’appliquer un temps après le vote de la nouvelle loi.

Sans la généraliser, nous pensons également que, pour certains textes dictés par la conjoncture, la notion de durée limitée contenue dans une clause de revoyure pourrait être une bonne chose.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous vous remercions, monsieur le président, pour vos remarques et vos propositions.

Séance du jeudi 22 mai 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État, accompagné de M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, et de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Madame, messieurs, soyez les bienvenus. Notre mission d’information s’intéresse davantage à la rationalisation du flux normatif qu’à la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement par le biais, notamment, du Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par M. Thierry Mandon, rapporteur de notre mission d’information, et M. Guillaume Poitrinal. Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant des exemples étrangers que nous avons pu étudier, en particulier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Notre réflexion porte notamment sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Lors de nos travaux, le rôle du Conseil d’État dans la fabrique de la loi a été évoqué à plusieurs reprises. Aussi avons-nous souhaité, monsieur le Président, recueillir votre avis sur plusieurs questions : quels sont la nature et le degré du contrôle que le Conseil d’État exerce aujourd’hui sur les études d’impact assortissant les projets de loi, ainsi que sur les fiches d’impact assortissant certains textes réglementaires ? Le Conseil d’État peut-il, de votre point de vue, rendre un avis public sur la qualité de ces études et fiches d’impact ? Quels avantages et inconvénients verriez-vous à ce que les avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de loi soient eux aussi rendus publics ? Quel pourrait être le rôle du Conseil d’État dans les transpositions des directives, en particulier lorsqu’elles passent par des lois d’habilitation, afin de permettre à la représentation nationale de s’assurer que l’ordonnance prise en application de ces lois ne « surtranspose » pas ?

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État. Je vous remercie de m’avoir invité à présenter l’apport du Conseil d’État à l’œuvre de simplification et de sécurisation de notre droit, dans un contexte marqué par le constat ancien, convergent et préoccupant de l’inflation, de l’instabilité et de la dégradation de la qualité de la norme. Les travaux de votre mission d’information se concentrant sur la rationalisation du flux normatif, j’insisterai sur la contribution du Conseil d’État à la maîtrise de ce problème et, en particulier, sur le contrôle qu’il exerce quant au caractère complet et suffisant des études d’impact qui doivent assortir les projets de loi qui lui sont soumis, à lui comme au Parlement, avant d’examiner les moyens d’améliorer l’effectivité de ce dispositif. M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, ainsi que Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études, qui m’accompagnent, apporteront à nos débats leur expertise et pourront répondre à vos questions.

Les projets de loi doivent désormais être assortis d’une évaluation préalable, en application des dispositions mêmes de notre Constitution, au respect desquelles veillent avec attention les formations administratives du Conseil d’État. Si l’évaluation ex ante des effets économiques et sociaux des projets de loi a été instituée dès 1995 comme le vecteur d’une gestion des flux et d’une simplification anticipée du stock des normes, elle n’est devenue une règle réellement contraignante et – comme l’avait préconisé le rapport du Conseil d’État de 2006 sur la sécurité juridique – une exigence constitutionnelle pour le Gouvernement que depuis l’entrée en vigueur de la révision du 23 juillet 2008. Désormais, en application des articles 39, 47 et 47-1 de la Constitution et des lois organiques prises pour leur application – en particulier la loi organique du 15 avril 2009 –, sont soumis à une telle obligation les projets de loi organique, ordinaire et de programmation mais aussi, selon des modalités particulières, les projets de loi d’habilitation en application de l’article 38 de la Constitution, les projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation d’un traité ou d’un accord international et, enfin, les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Sont donc exclus du périmètre de cette obligation constitutionnelle, notamment, les projets de loi de ratification d’une ordonnance et, bien entendu, les projets d’acte réglementaire. S’agissant de ces derniers, une obligation de bonne administration résultant de simples circulaires du Premier ministre prévoit d’assortir d’une fiche d’impact les projets de normes qui concernent les entreprises, les collectivités territoriales et, depuis la circulaire du 17 juillet 2013, le public.

Les formations administratives du Conseil d’État ont donné leur pleine portée aux obligations découlant des articles 39, 47 et 47-1 de la Constitution, en précisant leur champ d’application et leur contenu, et en exerçant un contrôle attentif des évaluations préalables fournies par le Gouvernement.

Le champ d’application de l’obligation constitutionnelle a été précisé dès 2009. S’agissant des projets de loi autorisant la ratification d’un traité, le Conseil d’État estime que les études d’impact doivent être jointes au projet de texte qui lui est transmis, même si l’article 11 de la loi organique ne le précise pas expressément, et que l’analyse des « effets sur l’ordre juridique français » doit porter, s’il y a lieu, sur l’articulation des normes nouvelles avec les engagements internationaux de la France en vigueur. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, le Conseil d’État a demandé, en 2013, un complément d’analyse sur la combinaison d’un projet d’accord entre l’Union européenne et la Corée avec, d’une part, la convention de l’UNESCO relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles et, d’autre part, l’accord sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ainsi que l’accord général sur le commerce des services.

S’agissant des projets de loi ayant pour objet la ratification d’une ordonnance, le Conseil d’État vérifie qu’ils ne comportent pas de dispositions nouvelles et, le cas échéant, il rappelle que celles-ci doivent satisfaire aux obligations constitutionnelles, à moins qu’elles ne portent que sur la rectification d’erreurs matérielles ou sur des corrections formelles.

Pour ce qui concerne enfin les projets de loi de programmation ne portant pas sur les finances publiques, le Conseil d’État a précisé qu’ils entrent pleinement dans le champ d’application de l’article 8 de la loi organique, tout en indiquant que les obligations incombant au Gouvernement ne peuvent être de même nature, selon que les dispositions sont normatives ou de pure programmation. En tout état de cause, doit être analysée la cohérence des objectifs et des moyens retenus par le projet de loi de programmation avec, d’une part, « les prévisions de la loi de programmation des finances publiques » en vigueur et, d’autre part, « l’économie générale de la législation récemment adoptée dans le même domaine ».

Ayant précisé la portée des obligations inscrites au troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État veille à ce que le contenu des études d’impact soit apprécié à l’aune de l’importance et de la complexité des projets soumis.

Il vérifie, d’une part, la complétude de ces études et s’assure notamment qu’elles comportent le résultat des consultations préalablement ou concomitamment menées, l’ensemble des éléments nécessaires à l’examen du bien-fondé juridique du projet, comme l’exposé des motifs d’intérêt général justifiant une dérogation au principe d’égalité ou la création d’une formalité administrative supplémentaire, ou encore les éléments expliquant la méthode de calcul utilisée. D’autre part, le Conseil d’État examine le caractère suffisant des études d’impact, notamment en ce qui concerne les objectifs de la réforme envisagée, les raisons des choix retenus, les effets des règles proposées sur l’ordonnancement juridique, les formalités et les procédures administratives et, plus largement, les impacts économiques et sociaux. En particulier, les effets économiques et financiers des projets de loi de finances doivent être chiffrés et, le cas échéant, la finalité d’une nouvelle imposition doit être précisément identifiée – point essentiel pour le contrôle de constitutionnalité ultérieur –, soit qu’elle poursuive un objectif de rendement budgétaire, soit qu’elle cherche à dissuader ou, au contraire, à encourager certains comportements.

Selon le degré de gravité des insuffisances relevées, le Conseil d’État invite le Gouvernement à procéder à une régularisation adaptée et proportionnée. Même si l’étude d’impact est pleinement conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’État peut estimer qu’elle pourrait être « utilement complétée avant son dépôt devant le Parlement », afin que ce dernier soit éclairé au mieux. Lorsqu’une étude d’impact est globalement conforme, sans l’être parfaitement, le Conseil d’État indique qu’elle devra être complétée « par des informations de nature à permettre d’apprécier correctement l’incidence de certains aspects du projet de texte examiné », et il précise naturellement lesquelles. Enfin, lorsque l’étude d’impact n’est pas conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’État indique nettement au Gouvernement la nécessité de procéder à une régularisation avant le dépôt du projet de loi ; il n’est nullement exclu qu’il puisse rejeter le projet de texte dont il est saisi, en raison du caractère totalement lacunaire ou indigent de l’étude d’impact. À ce jour, ce cas de figure ne s’est néanmoins présenté qu’une fois, dès 2009, avec les dispositions d’un projet de loi de ratification de l’ordonnance relative à certaines installations classées pour la protection de l’environnement. Le Conseil avait donné un avis favorable au seul article de ratification, rejetant toutes les autres dispositions, qui n’étaient assorties d’aucune étude d’impact.

Si une omission grave est constatée dans l’étude d’impact, le Gouvernement peut bien entendu procéder de lui-même, à la suite des premières observations orales du Conseil et dans le cadre du travail avec le rapporteur, à une saisine rectificative et déposer une nouvelle version de l’étude : cela se produit assez régulièrement.

L’ensemble de ce dispositif peut encore gagner en effectivité, et être complété par de nouvelles mesures concourant à la qualité et à l’accessibilité du droit.

Le contenu des études d’impact peut encore être sensiblement enrichi et les outils constitutionnels de contrôle de leur qualité pourraient être davantage utilisés, voire élargis.

Comme je l’ai indiqué, le Conseil d’État examine avec une attention particulière, en tant que conseiller du Gouvernement, la conformité des études d’impact aux exigences constitutionnelles. En outre, lorsque lui est soumis un projet de décret, il intègre naturellement dans son analyse les éléments figurant dans les fiches d’impact qui, le cas échéant, lui sont transmises par le Gouvernement, duquel il n’a par ailleurs pas les moyens juridiques de les exiger.

L’enrichissement des études d’impact, lorsqu’il se révèle nécessaire, doit cependant être proportionné à l’importance et à la complexité des projets de réforme. Davantage de consultations d’experts, d’organismes publics, d’associations ou, d’une manière générale, du public seraient souhaitables afin de garantir le caractère objectif et exhaustif des études. En particulier, l’évaluation devrait être découplée de l’impulsion politique et administrative : l’évaluateur ne peut être l’auteur ou l’inspirateur direct de la réforme. À ce titre, le rôle de la Commission consultative d’évaluation des normes, créée en 2007 et devenue le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), a été renforcé. Ce dernier est désormais consulté sur l’impact financier et technique des projets de texte créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, que ces textes soient de nature législative ou réglementaire. Dans ce dernier cas, si l’avis est défavorable, le Gouvernement doit transmettre un projet modifié ou un complément d’information en vue d’une seconde délibération. En outre, le CNEN peut être consulté sur l’impact financier et technique résultant d’une proposition de loi, ou même s’autosaisir lorsque ces impacts peuvent découler d’activités de normalisation ou de certification.

Si le Conseil d’État n’est pas le seul gardien des exigences constitutionnelles, le Parlement dispose, quant à lui, d’un pouvoir spécifique de blocage d’un projet de loi non conforme. Le quatrième alinéa de l’article 39 de la Constitution prévoit à ce titre que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, il revient au Conseil constitutionnel, saisi par le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre, de trancher dans un délai de huit jours. Cette procédure, qui intervient très en amont du cycle d’élaboration des lois, permet de purger très tôt les textes de tout vice de procédure. Jusqu’à présent, la Conférence des présidents n’a jamais fait usage de ce pouvoir ; mais si la Constitution devait être modifiée à ce sujet – ce qui ne paraît pas absolument indispensable –, on pourrait envisager d’élargir la saisine du Conseil constitutionnel à un nombre minimal de parlementaires.

Enfin, l’obligation de produire des études d’impact ne s’impose pas, en l’état actuel du droit constitutionnel, aux propositions de loi. Or l’avis du Conseil d’État, lorsqu’il est saisi d’un texte de cette nature en qualité de conseiller du Parlement, serait d’autant plus éclairé qu’il disposerait d’évaluations préalables. La question mérite à tout le moins d’être posée, compte tenu du nombre croissant des initiatives parlementaires.

En complément des études d’impact, d’autres dispositifs permettent, en amont comme en aval, de promouvoir la simplification et, d’une manière plus générale, la sécurisation des normes juridiques. En amont, une attention particulière doit être apportée à la fixation des dates d’entrée en vigueur des normes nouvelles et, le cas échéant, à la définition de mesures transitoires lorsque sont apportés des changements significatifs au droit existant. Par son activité contentieuse, le Conseil d’État contribue à cet objectif de sécurité juridique, notamment pour les textes réglementaires : il veille en effet à ce que les autorités administratives édictent « les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ». Il s’en préoccupe aussi, de manière systématique, dans l’exercice de son activité consultative.

En aval, le stock des normes existantes doit être rendu plus lisible et plus accessible et, le cas échéant, il doit être rationalisé. À cet égard, les formations de jugement du Conseil d’État veillent à ce que des imperfections ou des malfaçons rédactionnelles entachant des mesures réglementaires ne soient pas de nature à les rendre inintelligibles et, partant, à nuire à la bonne application des lois. Lorsqu’il relève une telle imperfection, le Conseil cherche à ne pas ajouter au manque de clarté un nouveau degré d’insécurité juridique qui pourrait résulter d’une annulation contentieuse ; c’est pourquoi il limite l’effet de son annulation aux seuls termes erronés lorsqu’ils sont divisibles du règlement ; en l’absence de doute sur la juste portée de dispositions erronées, il ne les annule pas mais les rectifie lui-même « afin de donner le meilleur effet à sa décision », selon les termes d’une décision du 4 décembre 2013 relative à l’association « France nature environnement ».

En outre, toujours en aval du processus normatif, les procédures de rescrit ou de pré-décision permettent de pallier la malfaçon de certaines règles, de simplifier les démarches administratives en renseignant les opérateurs sur la législation applicable à un projet, de cristalliser le droit applicable et, partant, de sécuriser la réalisation de projets, comme l’a illustré l’une de nos études adoptée le 14 novembre 2013. Alors que le rescrit social et le « rescrit AMF » – Autorité des marchés financiers – peuvent être améliorés, cette étude envisage l’extension de cette procédure aux impositions qui n’y sont pas soumises et, en outre, lorsqu’existent des risques de sanctions administratives dans le domaine du droit du travail, de la concurrence ou de la consommation. L’étude propose également la création d’un certificat de projet, qui a vu le jour avec l’ordonnance du 20 mars 2014 ; elle a aussi ouvert la voie à une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, laquelle a également procédé de l’ordonnance n° 2014-355, datée du même jour.

Enfin, la poursuite des travaux de codification assure une rationalisation périodique du stock des normes en vigueur, dont certaines peuvent et doivent, à cette occasion, être simplifiées, voire supprimées en raison de leur obsolescence, de leur rigidité ou de leur inutilité, pour être remplacées, le cas échéant, par des orientations de droit souple. L’actuel projet de codification de la procédure administrative non contentieuse doit ainsi permettre non seulement d’améliorer la lisibilité et l’accessibilité des normes régissant les relations entre le public et les administrations, mais aussi de simplifier le régime d’abrogation et de retrait des actes individuels. Des magistrats administratifs et des membres du Conseil d’État œuvrent à ce chantier. À l’heure actuelle, l’Union européenne et la France participent l’une et l’autre à la codification des règles qui régissent les relations entre l’administration et le public ; j’évoquais précisément ces questions lors d’un colloque organisé lundi à Bruxelles par l’Ombudsman européen – le médiateur de l’Union – Mme Emily O’Reilly.

Si la simplification de la norme demeure un objectif global, qui doit inspirer l’ensemble de la procédure d’élaboration, d’adoption et d’application des lois, votre mission d’information a raison d’insister sur l’importance des instruments ex ante susceptibles d’encadrer l’élaboration des normes nouvelles. C’est en effet une réponse pratique à l’intensité de la production normative, mais également une contrainte juridique exigeante, désormais consacrée par notre Constitution.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci pour cet exposé très intéressant, qui m’a permis de découvrir le travail du Conseil d’État sur les études d’impact. Que pensez-vous d’une éventuelle publication de vos avis sur les projets de loi et les études d’impact ?

M. Jean-Marc Sauvé. La publication des avis du Conseil sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret est une question éminemment politique : elle relève donc de l’appréciation du Gouvernement et du Parlement.

En tout état de cause, la capacité d’expertise du Conseil d’État, notamment en matière d’études d’impact, doit être pleinement mobilisée. Depuis le 1er septembre 2009, date d’entrée en vigueur des dispositions visées de la révision du 23 juillet 2008, une partie de notre rapport public relatif à notre activité consultative est consacrée à l’application de l’article 39 de la Constitution, s’agissant des études d’impact. Le Conseil ne s’est donc jamais désengagé sur ce point.

Quant à la publicité des avis sur les seules études d’impact, la question mériterait sans doute un traitement particulier. Votre mission d’information s’est interrogée sur l’éventuelle création d’une autorité indépendante dévolue à l’évaluation des études d’impact. Cette seule tâche ne me paraît pas justifier la création d’une autorité mais on peut imaginer, sous réserve du pouvoir d’appréciation du Gouvernement et du Parlement, de rendre publique la partie de l’avis du Conseil consacrée à la complétude et au caractère suffisant de l’étude d’impact. En amont de la délibération du Conseil d’État, la présence d’une capacité d’expertise en ce domaine, par exemple auprès du Secrétariat général du Gouvernement, serait néanmoins très utile : elle pourrait associer des personnes issues du secteur public, de la société civile et du secteur privé ; la délibération du Conseil d’État s’en trouverait enrichie.

On lit souvent dans la presse que tel ou tel texte, qui n’est pas sorti bien qu’ayant fait l’objet d’engagements politiques fermes et réitérés, est « au Conseil d’État » – sous-entendu en attente. En réalité, le Conseil rend ses avis dans un délai de deux mois pour 90 % des projets de décret, et d’un mois pour 90 % des projets de loi. Le problème est que, dans notre pays, la production normative, à tous les niveaux de son élaboration – Gouvernement, Conseil d’État et Parlement – est marquée du sceau de l’urgence. Celle-ci est parfois nécessaire mais il arrive aussi qu’elle soit excessive. Lorsque le Conseil d’État ne dispose, comme ce fut notamment le cas en 2012 et en 2013, que d’un délai moyen de vingt-quatre ou vingt-huit jours pour l’examen des projets de loi, il pare au plus pressé : il vérifie la conformité du projet de loi à la Constitution – et le corrige s’il y a lieu –, au droit européen et aux engagements internationaux de la France, et améliore, au besoin, sa cohérence interne et sa clarté, ce qui est déjà beaucoup. Le temps que nous consacrons aux études d’impact est donc réel mais insuffisant : avec plus de temps, des progrès seraient possibles sur ce point.

M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration. Il arrive fréquemment que le texte soumis au Conseil d’État ne soit pas totalement stabilisé, si bien que l’étude d’impact a vocation à évoluer avec les travaux du Gouvernement et les nôtres. Se pose donc, à notre niveau, la question des saisines rectificatives au regard de l’obligation d’étude d’impact. Nous ne rejetons pas un projet de loi au seul motif que son étude d’impact est insuffisante mais nous demandons alors au Gouvernement de la compléter avant le dépôt du texte au Parlement ; cela dit, nous ne contrôlons pas le travail de rectification ou de précision qui peut être fait par la suite – d’où l’éventuelle imperfection des études qui vous parviennent. Il arrive aussi que des contraintes d’agenda conduisent le Gouvernement à regrouper, au sein d’un projet de loi au titre faussement unificateur, des mesures fort disparates. Dans ces conditions, l’étude d’impact, globale, ne peut être que superficielle puisqu’elle devrait porter sur chacune des dispositions en particulier ; il nous arrive donc de demander au Gouvernement de compléter l’étude sur l’une ou l’autre d’entre elles.

M. Régis Juanico. De fait, on constate que la qualité de l’étude d’impact dépend du temps disponible en amont. Sans doute pourrez-vous préciser la manière d’associer le comité d’experts que vous suggérez. Quoi qu’il en soit, le législateur manque de précisions, par exemple sur les impacts économiques et sociaux. Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, que nous venons d’examiner en première lecture, en a donné un exemple. Dans l’étude assortie, l’impact du texte en termes de créations d’emplois se situe dans une fourchette de 100 000 à 200 000 dans les trois à cinq ans.

De plus, depuis son dépôt au Conseil d’État, jusqu’à son vote au Parlement, le texte subit des modifications qui peuvent être substantielles – le nombre d’articles du projet de loi relatif à la consommation, par exemple, a quasiment doublé à l’issue du débat parlementaire. Comment réactualiser l’étude d’impact ? Sur les amendements, le législateur est assez démuni de ce point de vue.

Je ne pense pas non plus qu’il y ait lieu de créer une nouvelle autorité ; mais l’on pourrait s’inspirer davantage des rapports de la Cour des comptes ou du Comité d’évaluation et de contrôle – qui vient justement de publier un rapport en vue du projet de loi sur la transition énergétique –, ou des avis du Conseil économique, social et environnemental, ces avis étant tout particulièrement utiles pour connaître les points de vue des forces économiques ou des syndicats : autant d’expertises susceptibles d’enrichir les études d’impact par d’autres regards que celui du ministère concerné.

M. Jean-Marc Sauvé. Le problème que pose l’instabilité des textes est en effet majeur.

Depuis deux ou trois décennies, l’élaboration de la loi a été bouleversée ; elle s’apparente désormais, pour emprunter une métaphore artistique, à un « work in progress »… Aujourd’hui, il est fréquent qu’un projet de loi de dix pages en fasse quarante ou cinquante au terme des travaux parlementaires, quand une augmentation d’un tiers représentait un cas extrême dans les années 80. Une telle évolution, cependant, n’est pas propre à notre pays : dans une conférence récente, Lord Neuberger of Abbotsbury, président de la Cour suprême du Royaume-Uni, se désolait de l’inflation législative, de l’efficacité très relative des mécanismes d’évaluation préalables et de la croissance incontrôlée des textes à l’occasion des débats parlementaires.

L’étude d’impact doit être complétée et actualisée pendant toute la phase d’élaboration du texte par le Gouvernement, et ce de la façon la plus rigoureuse possible avec les textes composites qu’évoquait Bernard Pêcheur. D’une façon générale, les textes incluent de plus en plus de dispositions adventices, qui justifieraient des évaluations spécifiques.

Beaucoup plus délicate est la question de la mesure des conséquences des dispositions introduites au cours de la discussion parlementaire. Tant qu’elles restent dans le cœur de cible du texte, l’étude d’impact peut demeurer pertinente ; mais la question qui se pose est celle du suivi de l’étude lorsque les amendements modifient le périmètre, le profil ou le volume du texte. La responsabilité du pouvoir exécutif et du Conseil d’État me semble s’arrêter à ce niveau ; il appartient donc aux assemblées parlementaires de prendre le relais, peut-être à travers une nouvelle procédure. Une fois rappelé le principe de séparation des pouvoirs, donc des services du Parlement et du Gouvernement, il n’est pas interdit d’envisager une coopération qui permettrait au Parlement de solliciter les moyens d’expertise de l’exécutif ; en tout état de cause, c’est au Parlement qu’incombe la responsabilité d’étudier l’impact des normes qu’il propose.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La commission parlementaire saisie au fond peut-elle demander une analyse de l’étude d’impact des amendements qu’elle qualifierait de « substantiels » au Conseil d’État ou à d’autres organes, tels que le Conseil de la simplification pour les entreprises ou le CNEN ?

M. Jean-Marc Sauvé. Il me semblerait en effet pertinent que, sur des amendements substantiels, le Parlement puisse faire appel à des expertises gouvernementales. La création, auprès du Premier ministre, d’une commission chargée de vérifier et de valider les études d’impact serait une piste.

Il a fallu modifier la Constitution pour habiliter le Conseil à émettre un avis sur les propositions de loi et il faudrait la modifier encore pour qu’il puisse en faire de même sur les amendements parlementaires. La capacité d’étude du Conseil d’État ne peut, en l’état actuel de la Constitution, être mobilisée que par le Gouvernement. Lorsque, sur le projet de création d’un parquet européen, les commissions des Affaires européennes des deux assemblées parlementaires ont voulu la mobiliser, elles ont saisi le Premier ministre, qui a repris cette demande à son compte pour nous l’adresser. La procédure est donc indirecte, même si elle ne constitue pas un obstacle insurmontable.

M. Bernard Pêcheur. Sur le projet de loi organique relatif aux lois de finances (LOLF), la demande d’avis nous avait été adressée par le Gouvernement, mais ce sont MM. Alain Lambert et Didier Migaud qui l’avaient formulée – et cet avis leur avait été communiqué en décembre 2000.

M. Jean-Marc Sauvé. La LOLF, promulguée le 1er août 2001, est issue d’une proposition de loi de MM. Didier Migaud et Alain Lambert qui soulevait des questions constitutionnelles très lourdes ; le Gouvernement les a soumises au Conseil, qui les a défrichées, contribuant par là à sécuriser un processus qui, s’agissant d’une loi organique, s’est naturellement achevé devant le Conseil constitutionnel, en juillet 2001, avec une décision favorable.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Pour les propositions de loi, le président d’une des deux assemblées, lui-même saisi par l’auteur du texte, peut vous saisir d’une demande d’avis. Depuis que cette procédure existe, elle n’a été appliquée qu’à neuf textes, dont deux depuis le début de la présente législature. Bien que sans doute très utile, elle est donc peu utilisée : ne pensez-vous pas – bien que ce point nous regarde d’abord – qu’elle pourrait l’être plus systématiquement pour les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour, même si je mesure la charge de travail que cela représenterait pour votre institution ?

À ce stade, l’avis ne porte que sur les propositions de loi elles-mêmes ; mais si les assemblées décidaient de les assortir d’études d’impact – y compris, d’ailleurs, en sollicitant des compétences extérieures pour ce faire –, y aurait-il un intérêt à ce que vous les examiniez aussi ?

Si le Gouvernement et le Parlement décidaient de rendre vos avis publics, cette publicité devrait-elle, à votre sens, s’étendre à ce qui a trait aux études d’impact ?

La précipitation dans la mise en œuvre de certains textes peut contribuer à leur insécurité juridique, voire à leur inefficience. J’en veux pour preuve le compte de prévention de la pénibilité, mesure à laquelle je suis favorable mais dont la mise en œuvre partout et pour tous me semble incertaine à la date prévue, le 1er janvier 2015, même si le Gouvernement continue les concertations sur ce point. Ces dates de mise en œuvre générale font-elles l’objet d’une évaluation spécifique ? Ne pourrait-on mieux renseigner les études d’impact sur cet aspect ?

Il ne me vient pas à l’esprit d’exemple concret sur les dispositifs transitoires. Comment mieux sécuriser la procédure législative sur ce point ?

M. Jean-Marc Sauvé. Le Conseil d’État a été peu saisi sur les propositions de loi, mais la réforme de 2008 n’a pas été sans effets. Sous la IIIe République, le Parlement pouvait saisir le Conseil d’État de demandes d’avis sur les textes d’origine parlementaire ; mais il ne l’a fait qu’une seule fois en soixante-cinq ans.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 31 juillet 2009, nous avons été saisis par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat de plus d’une dizaine de propositions de loi au total ; en 2013, nous avons examiné cinq propositions de loi du Sénat relatives à la fin de vie, la proposition de loi dite « Florange », une demande d’avis du Gouvernement – mais inspirée par la proposition de loi de M. François Brottes – sur les tarifs de l’énergie et une autre proposition de loi encore. C’est peu au regard de l’initiative parlementaire, mais significatif au regard des sujets concernés ; aussi considérons-nous ce début comme intéressant. On pourrait développer cette consultation, sans doute, mais le constituant a fait preuve de sagesse en la soumettant à un accord entre le président de l’assemblée parlementaire concernée et l’auteur de la proposition de loi. Le Conseil d’État est cependant disponible pour répondre aux demandes des parlementaires.

M. le rapporteur. Les cinq propositions de loi sénatoriales que vous avez mentionnées ont-elles été inscrites à l’ordre du jour ?

M. Jean-Marc Sauvé. Non, mais le sujet, décliné par ces cinq textes émanant de divers groupes politiques, était d’un intérêt général tel que la consultation pourra être utile à des travaux futurs, à l’initiative du Gouvernement ou du Parlement, sur ces textes ou sur d’autres.

À l’évidence, l’absence d’étude d’impact sur les propositions de loi est une lacune : nous rencontrons, avec les propositions de loi, la même difficulté qu’avec les projets de loi qui triplent ou quadruplent de volume au cours du débat parlementaire. Il serait utile que le Conseil d’État puisse se prononcer sur une telle étude, mais, au vu de ses ressources, il n’est évidemment pas en mesure de la réaliser. Au demeurant, c’est bien à l’auteur d’un texte qu’il appartient de préciser ses objectifs, les moyens qu’il entend mettre en œuvre pour les atteindre et l’utilité – ou le coût – du texte qu’il présente.

S’agissant de la publicité des avis du Conseil, j’ai fait une ouverture sur la partie relative aux études d’impact ; pour le reste de l’avis, c’est aux autorités politiques qu’il revient d’en décider en pesant les avantages et les inconvénients, tous deux non négligeables.

Quant à la question des mesures transitoires, nous y sommes très attentifs, aussi bien sur les textes réglementaires que sur les projets de loi ; mais nous n’avons jamais été saisis, à ma connaissance, d’études d’impact à ce point précises qu’elles permettraient – par exemple sur le compte de prévention de la pénibilité – d’éclairer utilement la réflexion du Gouvernement. Nous posons donc cette question de manière adéquate, mais encore faut-il que les dossiers soient suffisamment documentés pour que le Gouvernement puisse s’appuyer sur eux et que nous soyons en mesure, de notre côté, de nous prononcer sur eux.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les mesures transitoires, quand elles se révèlent nécessaires, ne devraient-elles pas être analysées dans les études d’impact ?

Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études. Le Conseil d’État recommande que les études d’impact précisent l’effet des nouvelles mesures sur les projets en cours, tels que les projets d’entreprise, et prévoient – sans préjudice du principe d’égalité devant la loi – des dispositions spécifiques pour que ces projets, formés dans un contexte législatif donné, ne soient pas soumis aux mesures nouvelles. Cette recommandation figure dans l’étude de 2013 relative au rescrit ; elle implique, bien entendu, que la loi prévoie expressément l’exclusion des projets en cours – lorsqu’ils ont atteint un certain stade d’instruction – du dispositif nouveau afin de leur garantir une stabilité législative et que les études d’impact y consacrent une rubrique.

M. Jean-Marc Sauvé. Cette question doit être mieux documentée, afin de donner au Parlement les moyens de décider s’il y a lieu, ou non, de soumettre les projets en cours aux normes nouvelles – et si oui, à quel stade de leur élaboration.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent. Au plan juridique, les mesures qui consistent à différer, à la suite d’une demande, l’entrée en vigueur de telle ou telle disposition sont des mesures transitoires ; mais, plus généralement, il s’agit d’étudier le cas des dossiers n’ayant pas fait l’objet de demande formelle mais déjà connus, par exemple dans le cadre du rescrit ou de la pré-décision.

M. le rapporteur. La date de mise en œuvre ne devrait-elle pas être explicitement justifiée dans les études d’impact ? Il n’est pas rare que l’on découvre, après coup, que la nécessité d’adapter tel ou tel logiciel a été sous-estimée, par exemple…

M. Bernard Pêcheur. Les formations consultatives du Conseil d’État ont souvent l’occasion de se pencher sur ce sujet, non seulement pour les projets de loi, mais aussi pour les projets de décret. Le président Odent avait coutume de dire que le plus difficile, dans un projet de décret, est moins le dispositif lui-même que les dispositions transitoires. Souvent, les projets de texte nous parviennent après une année d’élaboration et à l’issue des arbitrages interministériels, avec la date d’entrée en vigueur envisagée un an plus tôt. D’office, en vertu du principe de bonne administration, nous corrigeons cette date, après avoir signalé au Gouvernement qu’elle était irréaliste.

Quant aux projets de loi, monsieur le rapporteur, l’article 8 de la loi organique implique que les études d’impact prennent position sur la date de mise en œuvre, puisqu’il dispose qu’elles « exposent avec précision […] la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires » – dont certains conditionnent l’entrée en vigueur de la loi – et « l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées » sur chaque catégorie d’administration publique et de personne physique et morale. Cela dit, elles restent assez faibles sur cet aspect, car elles font souvent prévaloir le volontarisme politique et peuvent parfois être rédigées ex post.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture prévoit une vingtaine d’ordonnances, dont les projets nous seront transmis d’ici à l’examen en deuxième lecture, ce qui est une réelle avancée. Les ordonnances font-elles l’objet d’études d’impact ? Pouvons-nous solliciter un avis du Conseil d’État par l’intermédiaire du Gouvernement, afin de nous assurer que ces dispositions ne « surtransposent » pas les directives européennes ? Les ordonnances, devenues très courantes, posent problème au regard de l’éclairage de la représentation nationale sur la portée de ce qu’elle vote.

M. Jean-Marc Sauvé. Aucune disposition juridique ne prévoit d’étude d’impact pour les ordonnances, la loi du 15 avril 2009 ne portant que sur les projets de loi. Rien ne nous permet donc d’imposer aux administrations de rendre compte des raisons pour lesquelles telle option a été choisie plutôt que telle autre. Nous pouvons nous montrer plus pressants mais n’avons de chance d’être convaincants que si les administrations se laissent convaincre… Il y a certainement là une difficulté qu’il serait peut-être opportun de régler. Alors que la voie de la législation déléguée, c’est-à-dire par ordonnances, est de plus en plus privilégiée, on comprend mal que les ordonnances, au motif qu’il s’agit d’actes réglementaires, échappent aux règles d’élaboration contraignantes qui s’imposent aux projets de loi.

M. Bernard Pêcheur. Les projets de loi d’habilitation sont soumis à l’obligation d’une étude d’impact mais cette obligation est allégée puisqu’elle ne comporte, et pour cause, ni comparaison coûts/avantages, ni évaluation sur l’emploi public, ni liste des textes d’application. Ensuite, il y a un « trou noir » car l’ordonnance qui traduit en droit positif l’habilitation est dispensée d’étude d’impact ; c’est là un angle mort qui mériterait d’être couvert.

M. Jean-Marc Sauvé. Un nombre croissant de directives sont transposées par voie d’ordonnance. Dans ces conditions, il serait utile de préciser quelles sont les dispositions qui constituent respectivement des transpositions directes ou des mesures complémentaires, et, pour les premières, si elles impliquent une transposition a minima ou, au contraire, une « surtransposition ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous aimerions pouvoir recueillir votre avis sur les ordonnances. Il y a des projets de loi dont de nombreux articles renvoient à des ordonnances. Vingt-six ordonnances dans le cadre d’un projet de loi de trente-cinq articles, ce n’est pas acceptable car cela peut déséquilibrer l’ensemble du texte, quel qu’ait été le travail parlementaire. Faut-il modifier la Constitution pour vous donner ce rôle, sachant que votre avis devrait intervenir avant le projet de loi de ratification des ordonnances ? Sur les ratifications, force est de constater que notre assemblée s’apparente à une chambre d’enregistrement…

M. Jean-Marc Sauvé. La loi organique ne prévoit pas d’étude d’impact pour les projets de loi de ratification des ordonnances : c’est là un angle mort. Cependant, la question de l’impact doit être posée bien en amont du projet de loi de ratification, en l’occurrence au stade du projet de loi d’habilitation et surtout au stade de l’ordonnance. Reste à définir le niveau normatif adéquat pour introduire l’obligation d’une étude d’impact pour les ordonnances. Je ne pense pas, a priori, qu’une modification de l’article 38 de la Constitution soit nécessaire.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent. L’article 11 de la loi organique énumère les exceptions à l’article 8. On pourrait, dans ce cadre, subordonner la dispense d’étude d’impact sur les projets de loi de ratification au fait que l’ordonnance elle-même ait été assortie d’une telle étude.

M. Jean-Marc Sauvé. Le Parlement, en tout cas, doit être éclairé sur les effets des dispositions législatives adoptées par voie d’ordonnance. Le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, dit « HPST », développait deux niveaux normatifs : d’une part, les grandes options adoptées par le Parlement ; de l’autre, la coordination, la réécriture et la mise en œuvre des textes, déléguées au Gouvernement dans le cadre d’une habilitation. Beaucoup de projets de loi qui nous sont soumis obéissent à cette architecture.

M. Bernard Pêcheur. Imposer l’élaboration d’une étude d’impact complète au stade du projet de loi d’habilitation aurait un effet bloquant et heurterait l’article 38 de la Constitution. Cela constituerait également une contrainte pour le Gouvernement, alors même que le recours à cette procédure suppose qu’il a besoin de marges de manœuvre, et que ses partis ne sont pas encore arrêtés. En revanche, l’évaluation doit être assurée en aval.

M. le rapporteur. D’où l’importance du débat sur les projets de loi de ratification.

M. Régis Juanico. La qualité et la précision de l’étude d’impact ne sont pas sans effets sur la discussion parlementaire.

Par exemple, le périmètre de l’économie sociale et solidaire est défini dans les premiers articles du projet de loi qui lui est consacré ; cela a des incidences économiques et fiscales, puisque l’agrément, octroyé aux entreprises qui entrent dans ce périmètre, donne accès à un certain nombre de dispositifs et de financements publics. Les 220 000 structures historiques du secteur sont connues, mais l’« inclusivité » de la loi permet à beaucoup d’autres entreprises, des sociétés commerciales de droit commun, de se reconnaître dans les critères énumérés, critères que la discussion parlementaire a d’ailleurs quelque peu restreints. Au vu de ces critères, indique l’étude d’impact, ce sont environ 5 000 entreprises qui pourraient être incluses dans le périmètre, en plus des structures historiques ; mais rien n’est dit sur les sources de ce chiffre, ni sur ses modalités de calcul ; aussi l’opposition n’a-t-elle pas manqué de s’interroger sur sa crédibilité, ce qui est normal.

Comment rendre plus fiables et plus précis les travaux d’évaluation préalables ? Quels acteurs pourrait-on associer, notamment pour évaluer les impacts économiques ?

M. Jean-Marc Sauvé. C’est là une vaste question. Le Conseil d’État se prononce sur le fait de savoir si les études d’impact sont ou non suffisantes. Vous posez la question de la crédibilité des informations qui y figurent, lesquelles ont une incidence sur le débat parlementaire. Il semble que les administrations procèdent souvent à des évaluations sommaires ; certains chiffres donnent le sentiment d’avoir été, non pas inventés, mais estimés « au doigt mouillé » ; d’où l’intérêt d’une structure d’évaluation des études d’impact placée auprès du Premier ministre, structure qui pourrait au besoin compléter ou préciser ces chiffres, en s’appuyant sur le gisement de compétences qu’offre l’appareil d’État – l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les administrations économiques, les inspections générales ou les contrôles généraux. Cela dit, monsieur Juanico, la question que vous posez n’est pas seulement technique ; elle est aussi politique, car le supplément d’instruction porterait un éclairage sur tel ou tel aspect du projet de loi. Mais nous devons cet éclairage à nos concitoyens et aux acteurs économiques et sociaux.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre objectif, tous partis confondus, est de réconcilier la politique et les Français : assumer nos choix politiques avec un devoir de transparence et de clarté y contribuera. Je suis sûre que mes collègues de la majorité, ici présents, partagent ce point de vue.

Madame, messieurs, je vous remercie.

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La mission d’information procède ensuite à l’audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, accompagné de M. Alain Bayet, secrétaire général.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue.

Notre mission d’information entend faire porter ses travaux sur la rationalisation du « flux » normatif plutôt que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires. Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant d’exemples étrangers ; de janvier à mars, nous avons ainsi effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

À Berlin, nous avons constaté que le bureau fédéral allemand des statistiques, Destatis, jouait un rôle important dans l’évaluation ex ante et ex post des normes. Cet organisme public est tenu par la loi d’apporter son expertise non seulement à l’évaluation ex ante de l’impact des projets de loi, mais aussi à celle des amendements déposés en cours de procédure législative par le Gouvernement et par les parlementaires. En son sein, une équipe d’environ 80 personnes est dédiée à l’analyse de l’impact des réformes envisagées. Cette équipe définit également les règles méthodologiques et techniques que doivent respecter les ministères fédéraux pour l’élaboration des études d’impact, et est tenue de répondre aux sollicitations du Conseil national de contrôle des normes (Nationaler Normenkontrollrat, NKR), comité indépendant composé de représentants de la société civile et chargé de contrôler la qualité des projets d’études d’impact réalisées par les ministères. En outre, Destatis est dorénavant chargé d’effectuer une première évaluation ex post de l’impact des lois adoptées, lesquelles, depuis le 1er janvier 2013, comportent systématiquement une clause de révision dans un délai maximal de cinq ans lorsqu’elles créent une charge administrative supérieure à 1 million d’euros.

En France, l’INSEE joue-t-il un rôle, et si oui lequel, dans la réalisation des études d’impact accompagnant les projets de loi ou des fiches d’impact relatives à certains textes réglementaires ? Comment l’INSEE collabore-t-il avec les ministères chargés de préparer les projets de loi ou de décret ?

L’INSEE pourrait-il jouer dans la procédure législative un rôle comparable à celui du bureau fédéral allemand des statistiques ? Pensez-vous, notamment, qu’il pourrait être saisi par le Gouvernement ou par le Parlement afin d’évaluer l’impact de certains amendements ? Dans l’affirmative, à quelles conditions – délais, moyens techniques, humains et financiers – et suivant quelles modalités cela pourrait-il être envisagé ? L’INSEE pourrait-il être appelé à fournir des données dans le cadre d’une évaluation ex post des textes qui serait prévue par une clause de révision introduite dans certains projets de loi ?

M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). À ce jour, l’INSEE ne joue aucun rôle en matière d’études d’impact. S’il était appelé à en jouer un, ce serait plutôt pour fournir des données pour des évaluations a posteriori. Une réflexion sur ce sujet est cependant en cours au sein du Gouvernement et j’ai récemment rencontré le Secrétaire général du Gouvernement pour examiner cette question.

Pour commencer, il convient de préciser le cadre d’une éventuelle intervention, car le champ des études d’impact est très vaste.

Il faut d’abord définir la nature des textes concernés : s’agirait-il de textes de portée nationale ou de portée locale, de textes d’origine gouvernementale – projets de lois et décrets – ou d’origine parlementaire – propositions de loi et amendements ? J’ai cru comprendre que le NKR, l’autorité indépendante sous l’autorité de laquelle Destatis travaille, était chargé d’évaluer tous les textes de portée fédérale en Allemagne, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou parlementaire ; en revanche, j’ignore si sa compétence s’arrête au domaine législatif ou s’il est également tenu d’examiner les textes d’ordre réglementaire.

Ensuite, on peut se contenter de mesurer le coût administratif des dispositions pour les ménages et les entreprises ou examiner leurs effets dans d’autres domaines, par exemple financier, social ou économique. Le champ de l’intervention peut donc être plus ou moins large, étant entendu qu’il ne faudrait pas se contenter d’une analyse superficielle ou d’une évaluation de pure forme. Pour ce que j’ai compris, la tâche de notre homologue allemand est cantonnée à la mesure de ce qu’on appelle les « Bürokratie Kosten », c’est-à-dire la charge administrative suscitée par les obligations déclaratives nouvelles.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Pas seulement…

M. Jean-Luc Tavernier. Monsieur le rapporteur, voici mes sources : le texte de loi qui met en place le NKR et une conversation que j’ai eue la semaine dernière avec le directeur général de Destatis, au cours de laquelle celui-ci m’a confirmé ce que je viens de vous dire. C’est un point qui me semble fondamental.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce qui nous intéresse surtout, monsieur le directeur général, c’est de savoir ce que l’INSEE serait capable de faire, dans quelles conditions, et avec quel bénéfice.

M. Jean-Luc Tavernier. J’entends bien, madame la présidente, mais comme mon audition découle en partie de votre déplacement à Berlin, il me semble nécessaire de faire la comparaison avec Destatis sur chaque point de mon exposé.

Il y aurait aux dires de mon homologue plus de 100 personnes qui, partagées entre Wiesbaden et Bonn, s’adonneraient à temps plein à cette tâche. Ce chiffre est très impressionnant ; il est motivé par le fait que, dans bien des cas, Destatis envoie des questionnaires ad hoc aux entreprises ou aux ménages afin de quantifier le coût, en temps et en équivalent monétaire, du respect de la nouvelle obligation déclarative en cours de discussion.

Cette question est de la plus haute importance, car il serait d’intérêt général de rationaliser le flux normatif, de légiférer en étant mieux informé et de faire en sorte qu’une étude d’impact soit, non pas un document formel ou superficiel, mais le fruit d’un véritable travail d’évaluation, susceptible d’apporter des informations nouvelles, d’améliorer la rédaction et l’application du texte et d’éviter qu’un certain nombre d’erreurs ne soient commises. Le comité de direction considère par conséquent que si l’INSEE était sollicité, il se devrait de répondre à une telle demande.

L’INSEE pourrait alors s’acquitter d’une tâche équivalente à celle que Destatis accomplit en Allemagne, c’est-à-dire mesurer la charge administrative de toute nouvelle disposition, et aussi, parce qu’il dispose d’une compétence économique que n’ont pas nécessairement ses homologues européens, s’engager sur le terrain de l’expertise et évaluer les effets économiques des mesures. Il s’agit cependant de deux activités bien différentes.

Dans cette dernière hypothèse, il conviendrait de préciser ce que l’on entend par « INSEE ». Il existe en effet aujourd’hui de quinze à vingt services statistiques ministériels, sur lesquels l’INSEE exerce un magistère d’influence, mais pas d’autorité fonctionnelle. Or, dans bien des cas, les capacités d’expertise sur les sujets techniques, comme l’équipement, se trouvent plutôt dans les services statistiques ministériels qu’à l’INSEE proprement dit.

Se pose ensuite la question de la gouvernance. L’INSEE est une administration centrale comme une autre : elle n’est pas indépendante en droit – bien qu’elle le soit en pratique. Pour remplir un tel rôle, il faudrait concevoir un système de gouvernance qui lui garantisse une indépendance relative. On est là dans un domaine nouveau, qui n’est couvert ni par des textes de portée européenne ni par la tutelle de l’Autorité de la statistique publique. Destatis est une émanation du ministère allemand de l’Intérieur, mais qui, sur ces questions, travaille sous le contrôle d’une autorité administrative, le NKR, dont l’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif est garantie par la loi. Suivant cet exemple, l’indépendance de l’administration française chargée de cette mission pourrait procéder de l’indépendance de l’autorité administrative sous l’autorité de laquelle elle agirait.

Évidemment, la question des moyens ne peut être éludée. Je mentirais si je vous disais qu’il y a 100 personnes inoccupées à l’INSEE ! À l’heure actuelle, je ne dispose donc d’aucun moyen pour remplir cette mission.

Toutefois, tout dépend de ce que l’on veut faire.

Si l’objectif est d’évaluer aussi exhaustivement et précisément que possible les coûts administratifs occasionnés par toute obligation déclarative nouvelle, comme le fait Destatis, il faut des moyens, car cela suppose, si l’on veut travailler sérieusement, que l’on procède par questionnaires.

S’il s’agissait de procéder à une évaluation économique ex nihilo de chacune des dispositions contenues dans les projets de lois, les propositions de lois, les amendements ou les décrets, il faudrait aussi des moyens considérables qui, de surcroît, risqueraient de faire doublon avec ce qui existe déjà dans les administrations. Pour ma part, je considère que l’intérêt général commanderait que les ministères, pour les projets de loi et les décrets, et les commissions parlementaires, pour les propositions de loi et les amendements, soient à la manœuvre et que l’on prévoie qu’aucun texte ne puisse être proposé sans qu’il soit accompagné d’une étude d’impact rédigée par celui qui en est à l’origine.

Une troisième possibilité serait de procéder, sous le contrôle d’une autorité indépendante, à une contre-expertise, qui consisterait à vérifier la cohérence et la qualité de l’étude d’impact, à vérifier que le document n’est pas que de pure forme et à publier un avis ; l’INSEE pourrait y apporter son concours, avec des moyens à préciser – cela dépendra du volume de travail à réaliser, mais on peut imaginer de mobiliser à cette fin l’inspection générale ou le département des études d’économiques de l’INSEE. Cette contre-expertise pourrait s’appliquer aux textes du Gouvernement comme à ceux issus du Parlement, étant entendu que, dans ce dernier cas, ce sont les commissions à l’origine des amendements ou des propositions de loi qui seraient chargées de l’évaluation initiale.

Pour résumer, il convient de bien distinguer la mesure du coût administratif des nouvelles dispositions, qui suppose des moyens dédiés si l’on veut la faire sérieusement, et l’évaluation des effets, notamment économiques, des textes légaux ou réglementaires, pour laquelle il me semble nécessaire de responsabiliser les porteurs de textes. Il serait en revanche parfaitement concevable que, sous la tutelle d’une autorité administrative indépendante, des services comme ceux de l’INSEE, munis d’un gouvernance appropriée, apportent leur concours à une contre-expertise qui, in fine, validerait ou non l’étude soumise par le ministère ou la commission parlementaire à l’origine du texte.

M. Régis Juanico. Il est pour nous primordial d’améliorer la qualité des études d’impact, qui dépend aussi du temps imparti aux services concernés pour évaluer ex ante les effets des dispositifs prévus dans les textes de loi. Or de nombreux organismes peuvent y concourir, à commencer par la Cour des comptes ou par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, dont les travaux pourraient contribuer à enrichir l’étude d’impact.

Pour ne prendre que ce seul exemple, l’évaluation de l’impact économique du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire était lacunaire et manquait cruellement de précision. Évaluer les créations d’emplois induites à un nombre compris entre 100 000 et 200 000 d’ici trois à cinq ans n’a pas contribué à nourrir une discussion argumentée lors des débats parlementaires. De même, le nombre de sociétés commerciales de droit commun susceptibles d’être concernées par la définition inclusive de l’économie sociale et solidaire a été évalué à 5 000, mais sans qu’aucune indication ne soit donnée sur la méthode de calcul qui a permis d’aboutir à ce résultat.

Il manque donc des chiffres précis et des méthodologies rigoureuses. Or c’est souvent sur les données de l’étude d’impact que majorité et opposition fondent leur argumentation et proposent des modifications au projet de loi. Pensez-vous qu’il soit possible de mobiliser des outils statistiques et économiques afin de renforcer la crédibilité de ces documents ?

M. Jean-Luc Tavernier. Monsieur le député, vous avez pris cet exemple, mais vous auriez pu en prendre bien d’autres, et sous toutes les législatures !

Plusieurs problèmes se posent.

D’abord, il serait bon de prendre un peu de temps avant de légiférer. Dans bien des pays, l’habitude a été prise de procéder à une consultation préalable plus ou moins formelle, par exemple dans le cadre d’un Livre blanc ; cela évite de légiférer dans l’urgence. Je connais bien des cas où une telle procédure aurait été profitable !

Ensuite, il faut à tout prix éviter que l’étude d’impact ne soit un exercice purement formel. Par exemple, l’étude d’impact sur l’instauration d’une taxe sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), dans le dernier projet de loi de finances, ne contenait pas d’informations sur la charge administrative du dispositif et ses conséquences économiques, ni aucun élément de comparaison internationale ; en revanche, les conséquences sur l’égalité entre les hommes et les femmes étaient renseignées !

M. Serge Lasvignes a toutefois raison de vous mettre en garde contre une approche trop scientiste. Il est inévitable de prendre des décisions qui ne sont pas totalement quantifiables et prévisibles ; en politique, on fait aussi un pari sur l’avenir. Il est parfois délicat de concilier la volonté politique avec une étude d’impact factuelle et impartiale.

Il reste que les professionnels du chiffre que nous sommes ont souvent l’occasion de relever dans les études d’impact l’absence d’informations qui auraient pourtant été utiles, voire des incohérences dans certaines estimations. Je ne doute pas que la situation puisse être améliorée, à condition toutefois que l’on se dote d’une gouvernance adaptée et que les producteurs de textes cessent de considérer la rédaction des études d’impact comme un exercice purement formel. On pourrait par exemple mettre en place un contrôleur qui vérifierait la valeur des études et rejetterait celles qui ne seraient pas assez documentées. Les marges d’amélioration sont considérables : on est loin des meilleurs standards internationaux !

M. le rapporteur. L’intervention de l’INSEE peut être envisagée à plusieurs étapes du processus.

En premier lieu, l’INSEE pourrait participer à la production des études d’impact des projets de loi. Les études d’impact actuelles sont de qualité inégale – c’est un euphémisme ! Si le Gouvernement le décidait, ou si nous élevions notre niveau d’exigence, vous pourriez contribuer à améliorer ce produit.

Ensuite, on pourrait envisager que l’Assemblée nationale et le Sénat produisent eux aussi des études d’impact sur les propositions de loi, à l’instar de ce qui se fait sur les projets de loi. L’INSEE pourrait alors faire partie d’un pool de ressources que le Parlement mobiliserait à cette fin.

Enfin, on pourrait faire procéder à la contre-expertise de toutes les études d’impact, quelle que soit leur provenance, par un organisme « indépendant », étant entendu que ce travail n’aurait pas vocation à se substituer à l’étude d’impact initiale, mais consisterait à apprécier si celle-ci a été faite correctement.

Pour l’heure, les propositions de loi ne sont pas soumises à des études d’impact ; quant au conseil indépendant chargé du contrôle de la qualité des études d’impact, sa création a été décidée, mais les modalités de son intervention ne sont pas encore précisées.

Si un tel système était mis en place, vous pourriez participer soit à la production des études d’impact, soit au dispositif d’évaluation. Quelle activité privilégieriez-vous ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne vous êtes-vous pas positionné d’emblée du côté de l’évaluation des études d’impact ?

M. Jean-Luc Tavernier. Il peut arriver, mais très rarement, que l’INSEE soit sollicité par des services de l’État pour les aider à produire une étude d’impact. De même, je comprends que l’Assemblée nationale et le Sénat soient tentés de demander à l’INSEE des informations utiles pour l’élaboration des textes. Le problème, c’est que l’on ne peut pas être à la fois juge et partie. En outre, il faudrait éviter de créer des doublons, avec une administration qui concevrait le texte et une autre qui en ferait l’étude d’impact.

Ce que je trouverais le plus naturel, c’est que le producteur du texte se donne les moyens de réaliser sa propre étude d’impact – quoi de plus normal que de réfléchir aux conséquences de son propre texte ! – et que l’INSEE, grâce à son indépendance de fait et à un mode de gouvernance qui lui conférera une indépendance de droit, contribue à l’évaluation de cette étude, en identifiant les points à améliorer ou à compléter, et en faisant des propositions en ce sens : on pourrait ne pas s’en tenir à un simple avis.

M. le rapporteur. Certes, mais ce serait encore autre chose ; dans les exemples étrangers que nous avons étudiés, l’intervention de l’autorité indépendante se borne à une évaluation du travail, avec quelques recommandations : elle ne formule aucune suggestion précise et n’effectue aucun travail de réécriture.

M. Jean-Luc Tavernier. Que l’autorité indépendante refuse d’intervenir sur le document, voilà qui est compréhensible. Mais nous, nous pourrions signaler l’existence d’études ou de statistiques qui permettraient de l’améliorer : nous n’allons pas faire de la rétention d’informations !

En outre, dans bien des cas, la capacité d’expertise se trouvera non pas à l’INSEE même, mais dans les services statistiques ministériels. Par exemple, en matière d’équipement et d’environnement, le Service de l’observation et des statistiques (SOeS) en sait infiniment plus que nous ! Il faut avoir ces aspects en tête pour mettre en place un système de gouvernance approprié. Si le directeur général de l’INSEE exerce sur les services statistiques ministériels un magistère d’influence plutôt qu’une autorité fonctionnelle, nous nous réunissons régulièrement ; peut-être pourrions-nous discuter de la manière dont chacun apporterait son concours à une telle mission et envisager l’INSEE comme une sorte de vaisseau amiral du système statistique public.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il serait en effet préférable que l’INSEE intervienne au stade de l’évaluation des études d’impact, de manière à responsabiliser les services chargés de leur production.

Monsieur le directeur général, je vous remercie.

Séance du jeudi 5 juin 2014

La mission d’information procède à l’audition de M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre mission d’information sur la simplification législative reprend ses travaux par l’audition de M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que je remercie d’avoir accepté notre invitation.

Comme vous le savez, monsieur le président, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du « flux » normatif que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires.

Nous réfléchissons donc aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative » en nous inspirant des exemples étrangers que nous avons notamment pu étudier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Notre réflexion porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Nous avons souhaité vous entendre car les questions liées à la « fabrique de la loi » concernent autant le Sénat que l’Assemblée nationale. Les enjeux relatifs à l’évaluation ex post préoccupent en particulier la commission que vous présidez.

Pourriez-vous nous rappeler brièvement quels sont la nature et le degré du contrôle que votre commission exerce sur l’application des lois ? S’agit-il d’un suivi de la publication des décrets d’application ou d’une évaluation de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs adoptés au regard de ce qui en était attendu a priori ? En outre, quelle appréciation portez-vous sur l’application des lois votées ? À votre sens, l’obligation faite au Gouvernement de remettre des rapports sur certaines lois est-elle correctement appliquée ? Et l’exploitation de ces rapports est-elle optimale ? D’une manière plus générale, auriez-vous des propositions à formuler pour améliorer l’évaluation ex post ?

M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Merci de me recevoir. Il s’agit d’un moment important car il faut établir des liens entre nos deux assemblées sur ce sujet en particulier. Le contrôle de l’exécutif doit être optimisé grâce à une collaboration plus formelle entre nous.

La qualité de la loi, son effectivité et son efficacité constituent un enjeu démocratique majeur : les citoyens exigent de plus en plus d’avoir un droit de regard sur ce que font les responsables politiques et témoignent d’un grand scepticisme sur l’efficacité de la loi. Or quand une telle distance se crée, c’est la démocratie elle-même qui est mise en question.

L’environnement juridique est de plus en plus complexe et nos concitoyens s’y retrouvent difficilement. La simplification de la législation répond donc à un vrai besoin qui, au-delà des parlementaires que nous sommes, est largement partagé, au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) notamment, laquelle a engagé un travail important dans ce domaine. Je pourrai à cet égard vous remettre les actes d’un colloque que j’ai organisé en décembre dernier au nom de ma commission au Sénat en partenariat avec cette institution sur le rôle des parlements dans l’évaluation et la qualité de la législation.

Le Parlement n’est pas le seul responsable de l’inflation législative. Dans notre système institutionnel, l’essentiel des lois provient de l’exécutif et le Parlement a toute légitimité à vouloir mettre son empreinte en amendant les textes. Au-delà de la responsabilité première de l’exécutif, cette inflation résulte des demandes de la société, des groupes de pression, des associations, qui exigent souvent que nous légiférions, même dans le détail, sur certaines de leurs préoccupations. Or si le Parlement n’est pas associé avant le dépôt des projets de loi, il a tendance à doubler le nombre d’articles par l’adoption légitime d’un certain nombre d’amendements.

Votre mission d’information est nécessaire. Il convient en effet de voir comment, au cours de la procédure législative, évaluer l’impact d’une future loi afin de s’assurer qu’elle pourra s’appliquer convenablement et, en aval, comment contrôler efficacement la publication des décrets d’application, sachant qu’il s’agit d’une prérogative du Gouvernement et que nous ne saurions, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs, nous immiscer dans l’exercice du pouvoir réglementaire. Il y a lieu également d’examiner comment s’assurer, après un certain temps, que la loi répond aux objectifs assignés par le législateur.

La commission que je préside a été créée en 2011 sans aucun modèle. Il nous a fallu inventer. Nous avons tout de suite été confrontés au principe de séparation des pouvoirs. Certes ce dernier est le garant de notre prérogative de contrôle mais nous constatons que nous ne sommes pas dans un système de contrôle du type de celui des États-Unis d’autant que nous n’avons pas les mêmes moyens qu’eux et que nous sommes tributaires en la matière des moyens de celui que nous contrôlons, à savoir l’exécutif, tant pour les études d’impact que pour les évaluations. Sans demander beaucoup plus de moyens financiers – parce que ce n’est pas l’époque –, il faut renforcer les moyens humains et matériels du contrôle de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Deux facteurs récents ont conforté la légitimité de nos questionnements : d’une part, la révision constitutionnelle, qui a affirmé que nous avions autant un rôle de contrôle que de production de la loi ; d’autre part, une prise de conscience accrue par les gouvernements – tant ceux de la fin de la précédente législature que de l’actuelle législature –, de la nécessité de s’atteler à la qualité de la loi et de se doter d’outils performants pour bien mettre en œuvre les politiques publiques.

Le constituant de 2008 a consacré l’étude d’impact comme l’instrument permettant au Parlement de saisir l’effet concret des dispositions qu’il s’apprête à adopter. Mais si cet outil ne peut qu’être approuvé, il a vite montré ses limites. D’abord, ces études se révèlent d’une qualité fort inégale, comme l’a admis le secrétaire général du Gouvernement (SGG) lors de ses auditions devant ma commission : si certaines tendent à mesurer de façon effective l’effet des mesures proposées, sur la base notamment de projections statistiques et de critères quantitatifs précis, d’autres ressemblent plutôt à un exposé des motifs sans réelle valeur prédictive. Ensuite, les assemblées sont mal armées pour vérifier si l’impact est évalué de manière réaliste ou appropriée par les services en charge du texte. De ce fait, les commissions législatives accordent à ces études un intérêt assez restreint, la fiabilité de l’instrument leur paraissant parfois sujette à caution. Encore une fois, faute de moyens propres d’évaluation, le Parlement est plus ou moins obligé de s’en remettre à l’exécutif pour évaluer les mesures que celui-ci lui propose de voter. Enfin, dans leur forme actuelle, les études d’impact comportent une lacune importante : elles n’établissent pas de critères précis permettant de dire ex post si la loi remplit les objectifs qui lui ont été assignés. Il ne faut pas « magnifier » une version statique de l’étude d’impact : des changements politiques ou sociaux peuvent avoir des effets imprévisibles, différents de ceux envisagés dans l’étude d’impact.

Nous allons continuer à publier, en l’améliorant, notre rapport annuel – le prochain sortira dans deux semaines. Au-delà de l’évaluation statistique très précise relative aux décrets d’application des lois, ma commission a décidé depuis son origine d’évaluer la mise en œuvre de certaines lois, en nommant à chaque fois deux rapporteurs, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition. Sont examinés les décrets, mais aussi les circulaires d’application : au-delà des décrets ne correspondant pas complètement à ce qu’a voulu le législateur, on a vu en effet parfois certaines d’entre elles corriger ceux-ci. Nous avons ainsi examiné la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette évaluation a permis de souligner notamment qu’on n’arriverait pas à permettre l’accessibilité des personnes handicapées à tous les lieux publics en 2015 et conduit le Gouvernement à nommer l’une de nos rapporteures parlementaire en mission pour faire des recommandations législatives. Nous avons fait de même avec la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (dite « DALO ») ou sur certains points précis comme l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans le Pacifique et le désert algérien. Ce dernier dispositif, bien que consensuel et très vite mis en place, s’est traduit par un très faible nombre de dossiers éligibles, bien moins important que ce qui avait été envisagé lors de l’élaboration du texte : nous avons donc fait des propositions en la matière, dont certaines ont été retenues.

J’ai cité ces exemples car ils illustrent notre volonté de faire porter le contrôle sur des sujets disparates. Notre action rejoint celle de la commission chargée de l’évaluation des politiques publiques de votre assemblée, le contrôle de l’application de la loi étant indissociable de cette évaluation. Je trouve d’ailleurs dommage que, dans les débats théoriques, l’on dissocie les deux exercices.

S’il est légitime de veiller au « rendement normatif », il convient aussi de voir comment nos concitoyens perçoivent la loi. La loi galvaudée ou incomprise crée une distance entre le législateur et les citoyens et notre crédibilité s’amoindrit. La loi peut être simple mais les moyens pour l’appliquer peuvent faire défaut : faute d’impact concret de la loi dans la vie de nos concitoyens, il se crée une distance entre la première et les seconds.

Quel poids pouvons-nous et devons-nous exercer sur l’écriture des décrets d’application ? Dans différents forums, beaucoup de sénateurs, notamment élus locaux, ont exprimé le souhait de pouvoir quasiment écrire les décrets avec le Gouvernement au motif qu’ils savent mieux que lui la véritable intention du législateur et qu’ils devraient avoir un regard sur la mise en application de la loi au niveau réglementaire. Mais si une collaboration en amont avec l’exécutif est opportune – plus informelle que formelle au demeurant –, cette aspiration à une écriture commune des décrets s’oppose au principe de séparation des pouvoirs.

En revanche, il appartient au Parlement de vérifier que les décrets d’application sont bien publiés en temps utile et correspondent aux intentions du législateur. Sur ce point, je voudrais vous faire part d’un point de satisfaction : alors que notre commission a commencé à travailler à la suite des élections sénatoriales de septembre 2011, le taux de publication des décrets d’application des lois dans les six mois après leur promulgation est passé de 10 % en 2003 à environ 28 % en 2008-2009 et 20 % en 2009-2010, puis à 64 % en 2010-2011, 67 % en 2011-2012, pour atteindre environ 80 % en 2012-2013. Il y a eu en effet une prise de conscience en 2011. J’ai travaillé à l’époque en bonne intelligence avec le ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Patrick Ollier, qui, en Conseil des ministres, appelait, par le biais de petites notes, l’attention de ses collègues sur les décrets en retard, dont certains ne nécessitaient pas moins de treize signatures. Ce volontarisme politique, appuyé par une mobilisation sans précédent du secrétariat général du Gouvernement (SGG), a été payant. Nous avons en effet nous-mêmes demandé des comptes, convoqué plusieurs fois le SGG et interpellé le Gouvernement.

Cela dit, je ne crois pas que l’on puisse reconnaître aux parlementaires un droit de saisine des juridictions administratives, soit dans le cadre d’une action en manquement, quand les décrets d’application n’ont pas été publiés, soit pour former un recours contre eux quand ils ne paraissent pas satisfaisants. Nous nous placerions alors en effet sur le même rang que les associations ayant un intérêt à agir. Mais je rappelle que si le fait de ne pas transposer une directive européenne donne lieu à une sanction, il n’en va pas de même quand un décret n’est pas publié…

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est en effet une piste intéressante. À partir du moment où on peut imaginer qu’il y ait une sanction, cela pourrait jouer sur la qualité de la rédaction du texte. J’ai en tête un décret qui n’a pas été pris depuis 2009 car on n’était pas en mesure de le faire : on a créé un dispositif législatif pour satisfaire des exigences politiques sans regarder comment l’appliquer, la loi n’étant pas en l’occurrence la bonne solution. Si une sanction avait existé, peut-être aurait-on davantage réfléchi en amont à la façon dont le décret devait être pris et aurait-on, ce faisant, amélioré la qualité de la loi.

M. David Assouline. Quant aux rapports faits par le Gouvernement sur l’application d’une loi, ils sont de l’aveu même du Secrétaire général du Gouvernement, de contenu très inégal – s’apparentant parfois à une sorte d’exposé des motifs –, voire parfois même pas transmis au Parlement, ce qui explique que nos commissions n’utilisent pas pleinement ces outils dont il faudrait pourtant faire un meilleur usage, même s’ils sont, là encore, élaborés par l’exécutif.

À cet égard, je pense que le contrôle de l’exécutif ne doit pas être le fait d’une seule commission mais de l’ensemble des commissions permanentes. D’ailleurs, ma commission travaille en étroite coopération avec elles, ce qui est nécessaire, car nous n’aurions pas les moyens humains pour produire tous les rapports de la commission que je préside. Quand nous décidons d’étudier tel sujet ou telle loi, nous le faisons en concertation avec la commission compétente et son président, qui mobilise en général une personne de son équipe administrative. En outre, notre rapport annuel est réalisé à partir de rapports préalablement établis par chaque président de commission permanente dans son domaine de compétences. Ceux-ci, qui sont quantitatifs et, de plus en plus, qualitatifs, sont préalablement débattus et adoptés par la commission concernée. La déconcentration du travail permet ainsi de répartir intelligemment la charge en tenant compte des compétences de chacun.

Nous disposons également d’une base de données appelée « Apleg », à laquelle chaque commission a accès. À cet égard, mon premier rapport sur l’application des lois avait suscité une polémique avec le Gouvernement, qui disposait de chiffres beaucoup plus optimistes que les nôtres. Cela tenait notamment à des différences d’évaluation entre nos bases respectives. Depuis, celles-ci ont été harmonisées, ce qui permet d’éviter ce type d’incident.

Mme Cécile Untermaier. Que pensez-vous de l’idée de publier l’étude d’impact bien avant le dépôt du projet de loi pour les textes importants, de manière à permettre au législateur d’avoir plus de temps pour travailler et de faire au besoin des recommandations au moment de l’élaboration de celui-ci ?

Par ailleurs, si on ne peut imaginer une sanction du pouvoir législatif envers le pouvoir exécutif, ne devrions-nous pas envisager un dispositif avisant le citoyen de l’absence de publication d’un décret d’application ?

M. Régis Juanico, rapporteur. Je retiens de votre intervention que le Parlement dispose d’outils et de moyens, relativement complémentaires, sur le contrôle de l’application des lois et leur évaluation. Il existe d’ailleurs d’autres organismes d’évaluation, comme la Cour des comptes, avec laquelle nous devons travailler de façon complémentaire, ce qui est de plus en plus le cas.

Plutôt que de créer inutilement d’autres outils, travaillons avec ceux qui existent déjà : la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois permet un suivi des premiers mois – cruciaux – de la mise en œuvre de la loi ; à l’Assemblée nationale, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) intervient deux à trois ans après la mise en œuvre de la loi, soit en amont du travail législatif, pour enrichir une étude d’impact ou le travail de préparation du texte. Peut-être devrions-nous renforcer la coordination de nos outils de contrôle respectifs entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

Avez-vous réfléchi à la façon d’améliorer l’élaboration des études d’impact et d’y associer des organismes extérieurs à l’exécutif et au législatif ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comment expliquez-vous que certains décrets – environ 20 % – ne soient pas publiés ? Cela résulte-t-il d’une défaillance de l’étude d’impact ou d’amendements significatifs des parlementaires dont les effets n’ont pas été évalués ? Avez-vous fait une analyse qualitative des décrets qui ne sont pas pris ?

M. David Assouline. Dans certains pays, il y a deux débats : l’un sur l’opportunité de la loi, l’autre sur son contenu. Compte tenu de l’embouteillage constant de l’ordre du jour des assemblées parlementaires, il n’est déjà pas facile d’élaborer la loi. Je suis donc favorable à ce que des documents d’évaluation ayant servi à l’exécutif pour engager la rédaction du texte nous soient transmis le plus tôt possible, avant le dépôt du projet de loi. Je soumettrai en tout cas cette idée au ministre chargé des relations avec le Parlement et au Secrétaire général du Gouvernement lors de leur audition par notre commission – que j’organise traditionnellement avant la publication de mon rapport. Eux-mêmes se seront réunis préalablement dans le cadre du comité interministériel d’application de la loi (CIAL).

L’exécutif pourra toujours nous rétorquer que ni nos propositions de loi ni nos amendements ne sont assortis d’étude d’impact. Nous devons prendre nos responsabilités en la matière et mieux mesurer l’effet de notre propre production législative, ce qui renvoie encore une fois à la question des moyens. À moyens constants, c’est impossible. Il faudrait dès lors assumer devant les citoyens le fait que le Parlement n’a pas suffisamment de moyens alors qu’ils ont l’impression qu’il en a trop et qu’il y a des gaspillages. Cela suppose d’arrêter tous les discours démagogiques et de distinguer la question des moyens personnels de chaque parlementaire de celle des moyens collectifs permettant au Parlement d’assumer son rôle. Nous sommes à cet égard très loin du compte. Je rappelle que les membres du Congrès américain disposent d’une dizaine de collaborateurs très qualifiés pour effectuer des missions de contrôle et qu’ils peuvent commander des études à des organismes indépendants.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que la volonté de rationaliser la production législative et d’éviter la loi bavarde ne soit vécue comme une contrainte excessive par les parlementaires, ce qui réduirait le débat démocratique et notre liberté de légiférer. Il convient donc de trouver un juste milieu.

Lorsqu’un décret n’est pas publié ou qu’il n’est pas conforme à la volonté du législateur, nos commissions parlementaires pourraient jouer un rôle d’alerte. Les semaines de contrôle, voire d’initiative parlementaire, pourraient permettre d’interpeller le Gouvernement en la matière.

M. le rapporteur. Il conviendrait aussi d’avoir une meilleure coordination entre l’ordre du jour du Sénat et celui de l’Assemblée nationale lors des semaines de contrôle.

M. David Assouline. Il est vrai que les deux chambres se livrent parfois aux mêmes contrôles. Dans la mesure où l’on a peu de moyens, autant les rationaliser. Au cours du colloque de l’OCDE que j’évoquais, j’ai d’ailleurs plaidé pour qu’il y ait une coordination régulière entre nos deux assemblées sur le bilan des lois évaluées, les rapports réalisés, le programme de travail. Cela pourrait ainsi se faire entre ma commission et votre comité chargé de l’évaluation des politiques publiques.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les présidents de commission des deux chambres devraient aussi se réunir plus régulièrement.

M. David Assouline. Ma commission veille à ne pas procéder à des évaluations similaires déjà conduites par une commission permanente.

Pour améliorer les études d’impact, il faudrait demander au Gouvernement qu’il définisse des indicateurs et des normes à cet effet. Mais la solution idéale serait évidemment que les assemblées aient les moyens de produire leurs propres études en la matière.

Plusieurs raisons expliquent l’absence de publication de certains décrets : le caractère « fourre-tout » de certains textes qui impliquent un important travail interministériel ; des changements de contexte politique ou social qui peuvent conduire à renoncer à une mesure ; à une époque, la simple réticence de l’exécutif à l’égard de dispositions qu’il n’a pas souhaitées ; le fait, aussi, que certains décrets soient considérés comme secondaires dans l’ordre des priorités gouvernementales.

Nous avons également à régler le problème des lois bavardes, qui rendent compliquée l’élaboration des décrets d’application, d’autant qu’un texte peut doubler de volume lors de l’examen en commission, puis en séance plénière et ce, alors même que sa version initiale peut comporter une centaine d’articles – souvent parce que sa présentation en a été différée, comme cela semble être le cas du projet de texte sur la création.

Je répète que s’il n’y a pas en amont une collaboration entre le Parlement et l’exécutif, on ne pourra pas nous empêcher de modifier et d’enrichir les textes qui nous sont proposés, sinon le Parlement n’aurait aucun rôle et serait une simple chambre d’enregistrement. Or la loi doit avant tout être lisible, précise et simple. Si nos concitoyens sont censés ne pas ignorer la loi, on fait tout, aujourd’hui, pour qu’ils ne la comprennent pas. Cela ne peut plus durer. À cet égard, la règle selon laquelle il convient de supprimer une norme quand on en crée une est utile. Je rappelle que, selon nos informations, les maires auraient, chaque année, à tenir compte de 80 000 pages de circulaires. Dans ces conditions, beaucoup ne le font pas. Cela explique d’ailleurs que certains maires ne se soient pas représentés lors des dernières élections municipales.

Mme la présidente Laure de La Raudière. En fait, vous préconisez la coproduction législative proposée par Jean-François Copé quand il était président du groupe UMP, avec un travail en amont évitant de rajouter trop d’articles lors du débat parlementaire.

M. David Assouline. À ceci près que cette coproduction était entre le groupe UMP, majoritaire, et le Gouvernement, alors que je suis partisan d’une coproduction entre le Parlement et ce dernier.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je n’y crois pas car dès qu’on débat très en amont de dispositions susceptibles de figurer dans la loi, on fait état de clivages pouvant exister sur un sujet et il est alors compliqué d’obtenir une association réelle et constructive, sauf sur les sujets consensuels.

M. David Assouline. Je ne parle pas tant du débat que des éléments d’appréciation des mesures envisagées.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je comprends mieux.

Mme Cécile Untermaier. On aurait intérêt, encore une fois, pour les textes importants, à disposer de l’étude d’impact bien avant, pour permettre au député qui entend mener un travail de terrain d’avoir le temps d’en apprécier le contenu. J’ai en effet beaucoup de difficultés à organiser des ateliers législatifs citoyens, dans lesquels le projet de loi est examiné en amont afin de permettre aux citoyens de proposer des amendements. Si on adoptait une telle mesure et si tous les députés faisaient cela, la loi et le travail parlementaire seraient sans doute mieux perçus.

M. David Assouline. Certes, mais plus les travaux préparatoires sont longs et donnent lieu à concertation, plus les citoyens nous reprochent un manque d’efficacité. Le temps législatif s’est modifié avec le quinquennat et nous sommes élus pour agir vite, de manière à ce que nos concitoyens voient concrètement dans leur vie la traduction des choix politiques qu’ils ont faits. Or les procédures actuelles de « fabrication » de la loi leur paraissent déjà longues.

Quel que soit le Gouvernement, ce problème, qui est lié à un monde plus rapide et où l’instantanéité est devenue quasiment la règle, se posera de plus en plus. Pourtant, le travail législatif, parce qu’il tient compte de certaines exigences démocratiques, ne peut pas s’accélérer au-delà de certaines limites. Ainsi, les mêmes citoyens qui nous reprochent de ne pas assez les consulter peuvent également déplorer qu’on ne prenne pas de mesures assez vite. La question est de savoir comment concilier ces deux exigences.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie. Il serait bon en effet de travailler davantage avec le Sénat sur ces sujets – et de façon plus formelle.

Séance du mardi 1er juillet 2014

La mission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Warsmann, député.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le Président de l’Assemblée nationale nous a confié une mission d’information sur la simplification législative et nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous fassiez part de votre expérience à plusieurs titres.

En premier lieu, en tant qu’auteur de quatre lois de simplification du droit, dont deux ont été transmises pour avis au Conseil d’État, que pensez-vous de la saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi ? Faudrait-il la rendre obligatoire pour toutes les propositions de loi ayant une perspective sérieuse d’inscription ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je ne pense que du bien de la saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi. Celle-ci a permis de mettre à égalité le Parlement et le Gouvernement, surtout depuis que l’on a trouvé un équilibre en matière de publicité de l’avis rendu par le Conseil d’État.

Quand le Gouvernement a une idée de projet de loi, il demande un avis au Conseil d’État. Celui-ci lui remet son avis sans le publier. Le Gouvernement peut supprimer certains articles de son projet si l’avis du Conseil d’État est incendiaire, et il n’a pas à transmettre cet avis. Il n’en va pas de même pour les parlementaires : dès que nous déposons une proposition de loi, celle-ci est rendue publique. Si l’avis rendu par le Conseil d’État est défavorable à plusieurs articles d’une proposition de loi, son auteur s’en trouve très affaibli. Pour rétablir un équilibre, on a émis l’idée que l’auteur de la proposition de loi rendrait public l’avis du Conseil d’État, sauf sur les dispositions dont il propose lui-même la suppression. L’auteur peut donc décider de retirer certains articles pour tenir compte de l’avis du Conseil d’État, sans risquer pour autant de s’affaiblir.

Cette saisine constitue un grand progrès : souvenez-vous de ma proposition concernant les marchés publics, visant à remonter le seuil de dispense d’obligation de publicité et de mise en concurrence. Le Conseil d’État ayant précédemment annulé le décret qui relevait ce seuil, le Gouvernement ne voulait plus en entendre parler. Mais j’ai plaidé ma cause en assemblée générale et malgré l’opposition du rapporteur de la section, le vote nous fut favorable. Ainsi, les parlementaires peuvent s’adresser aux conseillers d’État pour plaider leur cause.

L’initiative parlementaire et l’initiative gouvernementale se trouvent donc rééquilibrées. L’état de nos finances publiques est suffisamment désastreux pour nous dissuader de créer une autre force de conseil, exploitons celles qui existent.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Cela ne vaut que pour les propositions qui sont susceptibles d’être adoptées. Or elles sont déjà déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale avant que l’on ne saisisse le Conseil d’État.

M. Jean-Luc Warsmann. Vous avez raison. Il me semble malgré tout que l’équilibre auquel nous sommes parvenus est satisfaisant. Dès que la proposition est susceptible d’être inscrite à l’ordre du jour, son auteur, s’il le souhaite, peut s’adresser au Conseil d’État. Il rendra publique la partie de l’avis portant sur les dispositions qu’il entend maintenir.

Mme Cécile Untermaier. L’inscription d’une proposition à l’ordre du jour ne devrait-elle pas obligatoirement être précédée d’une demande de saisine du Conseil d’État ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je n’y verrais aucun inconvénient, à partir du moment où l’auteur de la proposition de loi ne rend pas publiques les parties qu’il ne maintient pas. L’échange juridique et intellectuel que permet la saisine est toujours profitable, et chacun peut ensuite faire valoir ses arguments.

Mme la présidente Laure de La Raudière. J’aimerais avoir votre point de vue sur les avis du Conseil d’État portant sur les projets de loi. En effet, plusieurs personnes nous ont suggéré de rendre publique l’intégralité de cet avis. Mais d’autres nous ont déconseillé de le faire, au motif que cela limiterait le pouvoir du Gouvernement. Selon eux, il suffirait de ne rendre publique que la partie de l’avis du Conseil d’État sur l’étude d’impact.

M. Jean-Luc Warsmann. Si l’on veut que le Conseil d’État joue son rôle de conseiller auprès du Gouvernement, il faut que le Gouvernement se sente libre quand il sollicite son avis. Or ce ne serait pas le cas si on l’obligeait à rendre cet avis public. Donc, autant que le Gouvernement garde cet avis pour lui.

Mais venons-en aux études d’impact, qui faisaient partie des recommandations du rapport du comité « Balladur » de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Le Gouvernement n’en voulait pas, mais elles ont été rétablies ici à marche forcée. Je ne vais pas porter d’appréciation sur les décisions du Conseil constitutionnel. Je dirai simplement que celui-ci, dans sa grande sagesse, touche rarement dans ses décisions à des questions dont l’impact politique est important.

Tout ce qui peut renforcer les études d’impact est positif. Néanmoins, gardons à l’esprit que nos institutions doivent permettre au Gouvernement, quel qu’il soit, de diriger le pays avec rapidité et efficacité. L’intérêt de ces études n’est pas de provoquer une confrontation entre la droite et la gauche, mais d’amener l’exécutif à faire état du « rapport qualité-prix » de la modification législative qu’il propose, et surtout à démontrer en quoi la solution qu’il préconise est la meilleure.

Il ne faut donc pas alourdir le système. J’aurais été marri que, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à délimitation des régions, le Sénat bloque pendant une semaine une réforme d’un gouvernement que, par ailleurs, je ne soutiens pas.

Mme Cécile Untermaier. Je suis d’accord avec vous : la transparence n’est pas toujours nécessaire. Pour autant, il me semble insuffisant de ne rendre publique que la partie de l’avis du Conseil d’État portant sur l’étude d’impact. Cela remettrait en cause, selon moi, le nécessaire équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement.

J’approuve le fait qu’il ne faut pas publier l’avis négatif portant sur des dispositions retirées par le Gouvernement. Sous cette réserve, qui me paraît effectivement sage parce qu’elle mettrait l’intéressé en position de faiblesse, je considère que l’on pourrait publier l’intégralité de l’avis du Conseil d’État – étude d’impact et projet de loi.

M. Jean-Luc Warsmann. Pour avoir « planché » devant le Conseil d’État, je précise qu’il est possible de faire évoluer l’avis du Conseil d’État. Et je vais vous en donner un exemple, qui me vaut, toutes les semaines, des courriels de satisfaction de la part de nos concitoyens : la prise en charge partielle du coût des fuites d’eau par les distributeurs, qui figure dans la troisième loi de simplification du 17 mai 2011. S’il n’y avait pas eu d’échange avec le Conseil d’État, je pense que j’aurais été « renvoyé dans mes cordes ».

M. Régis Juanico, rapporteur. Nous nous demandons, au sein de notre mission, comment faire contrexpertiser l’étude d’impact. Cet avis, différent de celui du Conseil d’État, porterait sur la qualité de l’étude d’impact. Il pourrait venir d’un organisme indépendant extérieur – Conseil de la simplification pour les entreprises, Conseil économique, social et environnemental, Conseil national d’évaluation des normes – qui varierait suivant les thématiques abordées par les textes de loi. Y voyez-vous un facteur de ralentissement, ou un facteur d’enrichissement de la qualité des études d’impact ?

M. Jean-Luc Warsmann. Je n’ai pas de solution à vous proposer. Lorsque j’étais président de la commission des Lois, au cours de la précédente législature, j’ai fait appel à des professionnels de mon territoire, par exemple des experts-compables, plutôt qu’à ceux du CESE – pour lesquels j’ai d’ailleurs le plus grand respect. Sans doute faudrait-il inciter nos collègues à s’adresser aux praticiens de leur département. C’est très commode et leur expertise est désintéressée.

Mme la présidente Laure de La Raudière. En tant que rapporteur, à la fois du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, qui a conduit à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, quelles sont les pistes d’amélioration de la procédure législative que vous alors expertisées et défendues, y compris contre l’avis du Gouvernement ? Quelle appréciation portez-vous sur celles qui ont été mises en application ? Quelles sont celles que vous auriez aimé mettre en place, sans y être toutefois parvenu ?

M. Jean-Luc Warsmann. On ne va pas refaire le débat, mais je regrette vraiment d’avoir dû céder sur les résolutions de l’article 34-1 de la Constitution ! Je trouve en effet qu’un Parlement se discrédite quand il « bavarde ».

Cela dit, nous avons progressé sur les études d’impact. En revanche, nous n’avons pas avancé sur les amendements du Gouvernement. Or l’expérience montre que tous les gouvernements ont tendance à en abuser. Faut-il interdire totalement au Gouvernement de déposer un amendement de dernière minute ? Si je le suggérais, je serais en contradiction avec l’idée que j’ai défendue devant vous il y a quelques instants et qui est qu’un gouvernement doit avoir la possibilité d’agir. Il n’en reste pas moins que je trouve désastreux que l’on puisse déposer des amendements de dernière minute pour se dispenser d’une étude d’impact – comme le permet notre législation. C’est particulièrement caricatural en matière fiscale.

Le sujet a été abordé au cours de la dernière législature et il a été décidé que le Gouvernement devait conserver une marge de manœuvre. Maintenant, je pense que ce n’est pas satisfaisant, vu l’abus qu’en font les gouvernements de toutes tendances. Cela ne va pas dans l’intérêt du pays. Peut-être faudrait-il au moins prévoir un délai ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne peut-on pas aligner les délais de dépôt des amendements du Gouvernement sur ceux applicables aux parlementaires ?

M. Jean-Luc Warsmann. Certains amendements méritent une étude d’impact. On pourrait peut-être utiliser ce biais.

Je reconnais au Gouvernement la liberté de proposer un amendement modifiant substantiellement un point de législation. Mais son devoir est tout de même d’expliquer au Parlement pourquoi. Or on peut considérer qu’il y a là des abus. Dans ces conditions, pourquoi ne pas imposer une étude d’impact ? Bien sûr, cela implique que quelqu’un puisse être saisi en cas de différend entre les parties prenantes. En la matière, notre réglementation est vraiment inadaptée.

Mme Cécile Untermaier. On pourrait prendre en compte le fait que l’amendement bouleverse l’économie du projet de loi. Mais qui décidera qu’il bouleverse l’économie du projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. Cela n’est pas infaisable, il existe les groupes, une opposition dont les droits ont été renforcés …On pourrait imposer une étude d’impact et, en cas de recours, accorder un délai de 24 heures à telle ou telle institution pour se prononcer sur cette étude. Cela obligerait indirectement le Gouvernement à respecter un certain délai de dépôt. Ce serait peut-être le moyen de rééquilibrer les choses. Selon moi, il faut travailler dans cette direction.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je me permets d’insister : ne serait-il pas sage d’imposer les mêmes délais aux parlementaires et au Gouvernement pour déposer leurs amendements ? Cela permettrait aux parlementaires et au rapporteur d’évaluer l’amendement du Gouvernement dans des délais raisonnables, de demander au Gouvernement une étude d’impact et d’éviter que l’on découvre au dernier moment un amendement du Gouvernement, ce qui est aussi gênant pour la majorité que pour l’opposition. Ce n’est pas du bon travail parlementaire.

M. Jean-Luc Warsmann. Je ne souhaite pas que ce délai soit le même pour le Gouvernement et pour les parlementaires. Le Gouvernement émane du suffrage universel, il doit avoir les moyens de diriger le pays. En revanche, il me semble normal qu’il justifie, en l’occurrence, ses prises de position.

Cela dit, je pense que c’est d’abord un problème de méthode. En tant que membre de la majorité et président de la commission des Lois, j’ai assisté à un certain nombre de réunions avec le ministre et avec le rapporteur, destinées à aborder les sujets de divergence ; ceux qui n’étaient pas tranchés la veille auraient très bien pu l’être trois jours auparavant. Il me semble que si l’exécutif laisse couler les choses, c’est surtout par « confort ». Si la règle était différente, le Gouvernement s’y prendrait autrement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne pourrait-on pas l’obliger à déposer ses amendements au plus tard 48 heures avant la discussion du texte ? L’important est qu’il puisse étudier les amendements des parlementaires, éventuellement faire évoluer sa position et déposer lui-même un amendement.

M. Jean-Luc Warsmann. Encore une fois, il ne me semble pas pertinent d’aligner les délais du Gouvernement sur ceux des parlementaires. Nos citoyens, et c’est consubstantiel à la Ve République, votent pour un Président et lui donnent une majorité. À partir de là, le Gouvernement doit avoir les moyens d’agir. On n’imaginerait pas que le pouvoir exécutif, dans un pays comme la France, soumis à de fortes pressions nationales, européennes et internationales, n’ait pas les commandes. Lui demander, s’il prend une initiative de dernier moment, de la justifier, je suis d’accord. La lui interdire, je suis contre.

Mme Cécile Untermaier. Je crains même que ce soit vécu comme un argument de confort du Parlement et donc impopulaire. Nous devons donc nous résigner à légiférer avec ce dispositif, malgré les difficultés qu’il entraîne. Pour ma part, je vous rejoins tout à fait, dans la mesure où ces amendements seraient solidement argumentés – par un exposé des motifs qui pourrait s’apparenter à une étude d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous nous sommes interrogés également sur les amendements substantiels des députés. Comment rendre plus opérationnelle la procédure de saisine – prévue dans notre Règlement – du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, pour analyser l’impact d’un amendement ?

M. Jean-Luc Warsmann. D’abord, il faut conserver ce qui est une liberté parlementaire. Souvenez-vous de ce que nous avons vécu il y a quelques années : le Gouvernement avait proposé un projet de loi sur les juridictions financières, puis l’avait laissé en déshérence. Je l’ai repris sous forme d’amendement parlementaire mais paradoxalement, le Gouvernement s’est opposé à son propre texte en donnant un avis défavorable à mon amendement.

Ensuite, pourrait-on imaginer, par exemple, que le rapporteur « déclenche » une « mini étude d’impact » sur un amendement ? Il faudrait toutefois que l’auteur soit d’accord. Imaginez qu’un parlementaire de la majorité dépose un amendement « substantiel » et que le rapporteur, issu lui aussi de la majorité, déclenche une procédure qui se retourne contre lui. Le droit d’amendement de ce parlementaire serait quasiment réduit à néant.

Mme Cécile Untermaier. Dans cette hypothèse qui pourrait aider le député ou le rapporteur à réaliser une étude d’impact ?

M. Jean-Luc Warsmann. Le CEC ne pose aucun problème.

Dans notre pays, il est arrivé – par exemple, lorsque les banlieues « brûlaient » – que l’on ait besoin que le législateur vote très vite un texte. Le législateur doit donc pouvoir le faire, tout en amendant assez librement le texte en question. Il ne faut toucher ni à cette rapidité, ni à cette liberté.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Beaucoup de textes sont examinés en urgence, sans qu’il y ait nécessairement urgence du point de vue du fonctionnement du pays. Peut-être pourrait-on qualifier les cas d’urgence ?

M. Jean-Luc Warsmann. Si je puis me permettre, on est ici dans la politique et pas dans le droit. Un dialogue doit s’instaurer entre le Gouvernement et sa majorité ; et si le Gouvernement piétine sa majorité parlementaire, c’est à celle-ci de réagir. En revanche, j’estime légitime que le Gouvernement dispose des commandes, parce qu’il a gagné les élections, qu’il a le pouvoir et qu’il a souvent besoin que les textes soient rapidement votés.

Dans le même ordre d’idées, il est juridiquement possible de s’opposer à une étude d’impact lorsqu’on la considère insuffisante. Pourtant, lorsque j’étais président de la commission des Lois, je n’ai pas utilisé cette « arme atomique ». Je me suis contenté d’interpeller à plusieurs reprises un ministre de la majorité pour lui faire remarquer telle ou telle lacune. Ainsi, le fait majoritaire de la Ve République permet aux parlementaires et aux responsables parlementaires de la majorité d’engager un dialogue avec le Gouvernement pour l’amener à revoir sa copie, sans avoir besoin d’utiliser d’arme juridique. C’est ce dialogue qu’il convient de développer.

Mme Cécile Untermaier. Ne trouvez-vous pas que nous manquons de temps ? Nous prenons en même temps connaissance du projet et de l’étude d’impact. Pourrait-imaginer que l’étude d’impact soit communiquée avant le dépôt du projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. J’ai combattu l’idée d’une étude d’impact réalisée a posteriori. Le système actuel, poussé à l’absurde, est le suivant : un ministre est nommé ; il donne l’ordre à son administration centrale de préparer un texte ; une fois que le texte est prêt et arbitré, il lui demande de rédiger l’étude d’impact. Pour éviter une telle dérive, on a exigé que le Conseil d’État reçoive l’étude d’impact en amont lorsqu’il est saisi de l’avant-projet de loi. Toutes les études d’impact sont-elles rédigées avant les projets de loi ? Je n’en sais rien – j’aurais peur d’être naïf en vous répondant positivement –, mais c’était en tout cas l’objectif poursuivi.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous avons commencé à réfléchir sur la procédure d’urgence, qui suppose et l’inscription rapide d’un projet à l’ordre du jour, et une seule lecture dans chaque assemblée. Or on peut vouloir inscrire rapidement un texte à l’ordre du jour, sans nécessairement se contenter d’une seule lecture. De toutes les façons, si l’on veut qu’un texte soit rapidement adopté, il est toujours possible d’obtenir un vote conforme.

M. Jean-Luc Warsmann. Non. Le Gouvernement actuel ne sait plus faire. Et dans six mois, il le saura encore moins.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est à voir avec sa majorité.

M. Jean-Luc Warsmann. Cela suppose que le Gouvernement ait la majorité dans les deux chambres.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est un problème politique.

M. Jean-Luc Warsmann. Pour moi, le problème n’est pas d’ordre politique. Il vient de ce que la seconde chambre, qui est le Sénat, et qui n’est pas issue du suffrage universel, ne devrait pas avoir le pouvoir de bloquer un texte que le Gouvernement souhaiterait voir adopté rapidement.

Souvenez-vous de la fois où Raymond Barre, qui connaissait des démêlés avec le RPR, n’arrivait pas à faire voter son budget ! Sous la Ve République, cela peut paraître surprenant. Pourtant, cela a existé hier et peut donc se reproduire demain. Les cas d’opposition du Sénat sont légion.

Je considère qu’il faut laisser au Gouvernement, dans un pays démocratique et moderne comme le nôtre, dans l’environnement national et international que l’on connaît, les moyens d’agir et de faire voter des lois, et de les faire voter rapidement. Cela ne me choque pas du tout. Mais nous sommes là en dehors du champ de la simplification.

Quel est l’objet de la simplification ? Éviter que la machine administrative ne fonctionne hors du contrôle du pouvoir politique et parlementaire. Sous l’ancienne législature, à la commission des Lois, nous disions volontiers que nous avions l’impression d’être comme Pénélope : en complexifiant la loi 364 jours par an, et en votant une loi de simplification le 365e jour. J’avoue avoir été un peu choqué d’entendre les élus de la nouvelle majorité critiquer ce qu’avait fait l’ancienne majorité en matière de simplification : l’adversaire n’est pas la droite ou la gauche, mais la machine administrative.

Je me permets de rappeler l’exemple de la simplification du bulletin de paye. La commission des Lois a dû batailler pour éviter que la réforme ne soit vidée de sa substance. Notre adversaire était la commission des Affaires sociales, dont le rapporteur expliqua à la tribune que le texte remettrait en cause un certain nombre de droits ! Au bout d’un moment, les instances chargées de collaborer avec un certain nombre de partenaires entrent en osmose avec ces derniers et se font leur porte-parole. Voilà pourquoi j’avais défendu l’idée que la simplification devrait être conduite par la commission des Lois, ou par une commission spéciale, en tout cas par une instance extérieure au domaine visé. Sinon, aucune remise en cause n’est possible.

M. le rapporteur. Je souhaiterais avoir votre avis concernant de la transposition des directives européennes. Quelles sont les bonnes pratiques en la matière ? On préconise souvent de recourir aux ordonnances, à condition d’avoir communication de l’avis du Conseil d’État sur le projet d’ordonnance et d’une étude d’impact sur ce dernier, pour identifier, notamment, les surtranspositions. Sans doute avez-vous eu à transposer un certain nombre de directives européennes. Comment vous y êtes-vous pris ?

M. Jean-Luc Warsmann. Aujourd’hui, nous n’avons aucun outil au Parlement pour identifier une surtransposition. Certes, une surtransposition peut être d’intérêt général français. Si les pouvoirs publics français estiment que, dans un domaine particulier, l’accord qui a été conclu avec nos partenaires à Bruxelles ne va pas assez loin mais que dans trois ou cinq ans on pourra améliorer les règles européennes, une surtransposition peut permettre d’anticiper ce moment et, par exemple, de donner trois ou cinq ans d’avance à notre économie. Dans un tel cas, la surtransposition est positive. Mais, dans la pratique, je n’ai jamais assisté à un débat où de tels arguments avaient été avancés. J’ai plutôt l’impression que nous ne contrôlons pas suffisamment la situation, au point que nous laissons passer des concepts étrangers au droit français, lesquels entraînent de gros problèmes de transposition.

L’exemple le plus caricatural est la transposition « par appartement ». Celle-ci ne répond à aucun plan global, le Gouvernement se contentant de rédiger quelques amendements qu’il « confie » à certains députés de la majorité.

Par ailleurs, je ne suis pas un fervent partisan des ordonnances, même si vous avez compris que ma réaction première n’était pas de retirer des pouvoirs à l’exécutif. Selon moi, il faut laisser à l’exécutif une certaine liberté d’action – amendement, proposition ou projet de loi ou ordonnance – tout en nous dotant d’un mécanisme, qui n’existe pas aujourd’hui, pour permettre au Parlement d’évaluer la transposition et d’identifier une éventuelle surtransposition. Ce serait évidemment servir l’intérêt général.

J’ai travaillé sur des lois de simplification et j’ai remarqué que, dans le domaine agricole, nous étions systématiquement en situation de surtransposition. Je pense, par exemple, aux seuils d’autorisation pour les poulaillers. Si ces seuils correspondent à l’intérêt général, pourquoi le Gouvernement n’intervient-il pas lui-même, au niveau européen, au moment de la négociation des directives plutôt que de nous amener à voter, au niveau français, dans tel ou tel sens ? Dans ce cas, nous nuisons à notre compétitivité sans, en plus, en être informés.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous ne savons pas apprécier s’il y a ou non surtransposition. Or nous aurions besoin d’être mieux informés, car les directives sont transposées par des lois.

Mme Cécile Untermaier. J’ai été rapporteure d’une loi transposant une directive européenne. J’observe qu’il est possible, grâce à un renvoi systématique, de comparer la directive et le projet de loi et d’identifier une éventuelle surtransposition.

M. Jean-Luc Warsmann. C’est l’exception. La plupart du temps, malheureusement, cela se passe ainsi : un collègue dépose un amendement inspiré par le Gouvernement et destiné, par exemple, à soumettre à l’étude d’impact les poulaillers de plus de 50 000 volailles ; le ministre se lève et se déclare favorable. L’amendement est donc voté, bien que le Parlement ne dispose d’aucun élément d’appréciation, et que les parties prenantes – professionnelles ou autres – n’aient pas pu s’exprimer à son sujet puisqu’il s’agit d’un amendement parlementaire.

Quand nous avons cherché une solution aux difficultés en matière de marchés publics, les autorités françaises nous ont expliqué qu’il n’était pas possible de remonter le seuil de 4 000 euros, qui relevait du droit européen. Sans notre volonté politique et la matière grise des services de l’Assemblée, nous n’aurions jamais pu tenir tête au Gouvernement et rien n’aurait changé.

Au cours de la précédente législature, j’ai reçu un responsable de service britannique, dont le travail consiste précisément à toiletter le droit applicable dans son pays, et à rechercher toutes les marges de manœuvre possible par rapport au droit européen ; ensuite, le politique tranche. Cela existe aussi aux Pays-Bas, mais pas chez nous. Voilà pourquoi, en tant que députés, nous sommes régulièrement interpellés par des professionnels qui remarquent que leurs concurrents d’autres pays de l’Union européenne disposent de marges de manœuvre supérieures aux leurs.

Contrairement à ce qu’affirment certains démagogues, une directive qui intervient dans le domaine juridique est une bonne nouvelle pour l’Europe, qui souffre plutôt des différences que des homogénéités de traitement. Mais deux difficultés se posent alors : la première est de transposer cette directive telle quelle, et pas au-delà ; la seconde est d’abroger l’ancien dispositif interne, ce qui n’est jamais fait.

L’exemple du mille-feuille, qui est souvent donné, correspond à la réalité. On peut dire que sur 100 dispositions, 40 dispositions qui relèvent du droit européen viennent s’ajouter à 60 dispositions relevant déjà du droit français. Or une directive devrait être l’occasion, pour le Parlement, de toiletter le droit et de retirer les anciennes dispositions de droit interne, ou du moins de débattre de la nécessité de maintenir d’anciennes obligations. Les parlementaires devraient être conscients que tel ou tel secteur économique va devoir continuer à respecter ces obligations. C’est un vrai problème, le résoudre serait très bénéfique pour notre économie.

Mme Cécile Untermaier. Il arrive assez régulièrement qu’une loi, dans laquelle on a eu le soin de limiter la charge administrative, se trouve vidée de son sens par des dispositions réglementaires excessives. Comment l’éviter, tout en respectant bien sûr la liberté réglementaire du Gouvernement ?

M. Jean-Luc Warsmann. Premièrement, depuis 2003-2004, le rapporteur doit donner un avis sur les textes d’application, six mois ou un an après. C’est donc un avis qualitatif.

Deuxièmement, je ne peux pas m’empêcher de remarquer que, depuis 2012, toutes les lois qui ont été votées se sont traduites par un accroissement de la charge publique ou des charges des entreprises. Pourtant, le Président de la République et l’actuel Premier ministre disent avoir compris la situation ! La démarche est un peu schizophrénique. On nous parle du pacte de compétitivité, mais le texte relatif aux stages fait que les entreprises n’en accordent plus aux jeunes. Quant à l’accord sur les 24 heures, il a désorganisé certains secteurs ; dans mon département, le Conseil général rencontre des problèmes de ramassage scolaire.

Ne jetons pas la pierre au Gouvernement, mais regardons nous nous-mêmes. Encore une fois, tous les textes examinés depuis deux ans en commission des Lois ont entraîné de nouvelles dépenses, ne serait-ce que la création d’une Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il serait temps de stopper cette évolution.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que la création d’une Haute autorité sur la transparence rend la situation encore plus complexe. Mais je crois qu’on ne peut pas en nier l’utilité.

M. Jean-Luc Warsmann. Cela m’a valu quelques inimitiés dans mon propre camp, mais je ne vous donnerai pas raison : aujourd’hui, aucune loi n’est légitime quand elle alourdit les charges publiques. Devant l’état de notre pays, la chute des emplois, la perte de compétitivité dans tous les départements, et l’augmentation de la misère, il m’arrive d’être en colère. Dimanche dernier, à la fin de ma permanence, je me suis élevé contre l’actuelle majorité qui organise l’appauvrissement généralisé du pays. Franchement, il faut vraiment serrer la vis !

Mme la présidente Laure de La Raudière. On s’éloigne du sujet. Cela dit, je trouve essentiel d’identifier les coûts avant de prendre les décisions que l’on pourra, par la suite, assumer.

M. Jean-Luc Warsmann. Le problème est que l’on ne s’interroge pas. Ce n’est pas la Haute autorité ni son prix que je conteste, c’est le fait que l’on ne se soit pas posé la question de savoir combien cela allait coûter et si l’on n’aurait pas pu atteindre le même objectif sans se lancer dans cette dépense supplémentaire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Cela relève de l’étude d’impact !

M. Jean-Luc Warsmann. Cela ne nuit pas à l’objectif politique. Mais il faut s’interroger sur la manière d’atteindre l’objectif que l’on s’est fixé. Or ce n’est pas, aujourd’hui, la manière de faire du Parlement français.

Mme Laure de La Raudière. Comment s’y prendre ? Je ne vois que l’étude d’impact, qui permet d’évaluer a priori les coûts et l’efficacité de chacun des dispositifs par rapport à l’objectif recherché.

M. Jean-Luc Warsmann. Aujourd’hui, on oblige le Gouvernement à faire et à présenter une étude d’impact, qu’il doit si possible rédiger avant d’avoir rédigé son texte. Mais on n’oblige pas le Parlement à passer du temps dessus. Peut-être pourriez-vous faire des suggestions dans ce sens ?

M. le rapporteur. L’une de nos propositions est d’obliger le rapporteur à présenter l’étude d’impact dans le cadre l’intervention qu’il prononce en introduction de la discussion générale.

Mme Cécile Untermaier. L’étude d’impact accompagne bien le projet de loi, mais on discute immédiatement du projet de loi sans prendre le temps d’examiner l’étude d’impact. L’étude d’impact ne pourrait-elle pas être produite avant même le projet de loi ?

M. Jean-Luc Warsmann. À mon avis, il suffirait de réserver une heure ou deux à un débat sur l’étude d’impact en commission.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il faudrait tout de même que ce soit assez encadré et que le rapporteur ne se contente pas de lire l’exposé des motifs de la loi. Il devrait indiquer les différents scénarios examinés par le Gouvernement et justifier le choix qui a été fait.

M. Jean-Luc Warsmann. Le débat démocratique y gagnerait : cela nous permettrait de dépasser l’affrontement un peu caricatural entre la majorité et l’opposition et obligerait à avoir un débat sur le rapport « qualité-prix » de la mesure.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur le président.

Séance du mercredi 9 juillet 2014

La mission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation.

Comme vous le savez, notre mission d’information sur la simplification législative, voulue par le Président de l’Assemblée nationale et qui arrive désormais au terme de ses travaux, s’intéresse davantage au « flux » normatif qu’au « stock » des normes législatives et réglementaires, auquel le Gouvernement s’attelle en étroite collaboration avec le Conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative », en nous inspirant notamment des exemples étrangers que nous avons pu étudier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Nos travaux nous ont conduits à explorer plusieurs pistes qui nous semblent susceptibles de contribuer à améliorer la fabrique de la loi et au sujet desquelles nous souhaiterions recueillir le point de vue du Gouvernement.

Quel regard portez-vous, tout d’abord, sur la mise en place d’un dispositif de contrexpertise des études d’impact accompagnant les projets de loi ?

Bon nombre des personnes que nous avons entendues et des pratiques que nous avons pu observer chez nos voisins ont montré l’utilité qu’il y aurait à confier l’évaluation de la qualité des études d’impact à un organisme indépendant, composé de représentants de la société civile et chargé, en s’appuyant sur des experts issus des secteurs privé et public, notamment des universités, de l’INSEE, des administrations économiques, des corps d’inspection et des contrôles généraux, de rendre un avis public prenant notamment en compte l’évolution estimée des charges administratives résultant de la mesure envisagée, l’avis sur les études d’impact qui accompagne les projets de loi étant rendu public lors de la présentation de ces derniers en conseil des ministres. Cette mesure serait de nature à produire un changement de l’attitude des administrations envers les études d’impact, une amélioration de la qualité de ces dernières en amont de cette évaluation et un éclairage supplémentaire pour les parlementaires.

Quel pourrait être cet organisme de contrexpertise ? Faut-il désigner plusieurs organismes de contrexpertise en fonction de leur champ de compétence ? Faut-il au contraire fusionner plusieurs organismes existants et créer une unique autorité administrative indépendante, chargée de la simplification, notamment de l’évaluation de la qualité de l’étude d’impact accompagnant tout texte législatif ou réglementaire, qu’il concerne ou non les entreprises ? Je précise que nous ne souhaitons pas créer une nouvelle structure, mais plutôt rationaliser l’existant ou utiliser les forces déjà présentes dans l’administration.

Quels inconvénients verriez-vous à ce que l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi soit publié, sinon intégralement, du moins pour sa partie qui porte sur les études d’impact jointes aux projets de loi ?

Auriez-vous des objections à ce qu’un délai de dépôt soit applicable aux amendements du Gouvernement ? Même si ce délai était plus court que celui qui s’applique aux parlementaires, il permettrait au moins de mieux respecter le travail de ces derniers sur les amendements du Gouvernement et de mieux en analyser les conséquences.

Si la procédure accélérée devait être réformée, quelle évolution vous paraîtrait-elle envisageable ?

D’une façon plus générale, quels aspects de la procédure législative vous sembleraient-ils pouvoir être modifiés ?

Nous sommes certains qu’en votre qualité d’ancien parlementaire très expérimenté, vous comprendrez parfaitement toutes ces interrogations, qui pour certaines ont dû être les vôtres lorsque vous siégiez parmi nous.

Je rappelle que les auditions font l’objet d’un compte rendu et d’une retransmission en direct sur le canal interne et sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre. Bien qu’elle ne soit peut-être pas être très accessible au grand public, l’interrogation que vous soulevez, madame la présidente, est très utile, car la question de l’intelligibilité des lois et du travail parlementaire peut être l’une des raisons pour lesquelles nos concitoyens doutent de l’action politique en général, et de celle des parlementaires en particulier – il faudrait, à cet égard, dresser la liste de tout ce qui peut poser question. De fait, nos concitoyens s’interrogent sur la rapidité, l’intelligibilité et l’efficacité du travail parlementaire – mais je m’abstiendrai de poursuivre cette interrogation sur le terrain des considérations proprement politiques

La réflexion sur l’activité parlementaire est marquée par l’histoire glorieuse nos prédécesseurs de l’époque épique de la IIIe République, qui ont écrit des lois fondatrices, intelligibles et d’application simple qui n’ont presque jamais été touchées depuis lors. Tout en vivant avec ce mythe, nous constatons que les réflexes parlementaires de cette époque ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Les lois dont nous avons aujourd’hui à traiter ne portent plus seulement sur le fonctionnement de la République, les droits et les libertés – même si ces éléments fondamentaux sont toujours améliorables –, mais elles répondent à la complexité des États du XXIe siècle, où prévalent l’État providence et une forte intervention économique de l’État. L’action législative devient donc beaucoup plus complexe et la lecture des principes républicains de l’époque mythique que je viens d’évoquer n’est peut-être pas pleinement adaptée : il nous faut nous projeter dans l’avenir et dans une comparaison internationale qui nous paraît parfois très dérangeante, car nous y rencontrons des pratiques du droit plus pragmatiques et moins principielles que celles de la tradition juridique française.

La simplification est un élément décisif pour gagner en clarté, en lisibilité, en efficacité et en rapidité. La problématique du « choc de simplification » est une vision transversale de l’action publique, qui ne touche pas seulement à l’action législative. Il est donc tout à fait bien venu d’ajouter ce volet à l’action engagée notamment par votre ancien rapporteur, M. Thierry Mandon, qui était spécialiste de cette problématique et poursuivra son action au niveau du Gouvernement.

Ce n’est du reste pas la première fois qu’on parle de la simplification législative, qui est une sorte de « serpent de mer » : depuis 1991, date du premier rapport du Conseil d’État dénonçant la mauvaise qualité de nos lois, nous ne sommes pas parvenus à progresser en ce sens, malgré des discours tenus en toute bonne foi.

Je précise à ce propos que nous ne devons en aucun cas, et malgré des polémiques récentes, assimiler la simplification du droit à la dérégulation. Évitons cet amalgame.

Si nous avons eu longtemps une approche quantitative de la simplification, consistant à abroger des dispositions anciennes, à codifier et à raboter, il nous faut aujourd’hui nous acheminer vers une approche plus qualitative. Mieux légiférer, ce n’est pas – ou, du moins, pas seulement – moins légiférer. Mieux légiférer, c’est adapter le contenu des lois aux attentes de nos compatriotes, aux nécessités et aux contraintes des acteurs de terrain.

L’écriture de la loi restera toujours quelque chose de compliqué, car nous ne pouvons pas avoir des lois trop simplistes, même si une demande s’exprime parfois pour des lois relevant davantage de la simple proclamation que de l’action sur le droit et sur le fonctionnement de la société.

Écrire la loi est par ailleurs, et doit rester, une œuvre éminemment politique. L’intelligibilité et l’accessibilité des lois sont des exigences fondamentales, dont le respect est contrôlé par le Conseil constitutionnel, mais la mission la plus essentielle du législateur est d’exprimer la volonté générale. C’est pourquoi je suis opposé à la mise en place de toute autorité qui pourrait avoir un droit de veto réduisant l’initiative du Parlement ou du Gouvernement sous prétexte de simplification : ce serait la porte ouverte à la technocratie.

On sent bien cependant qu’une grande partie des difficultés se concentrent sur un certain nombre de lois – on dit souvent que 80 % des difficultés sont générées par 20 % des lois : exacte ou non, cette affirmation me semble assez juste.

Pour en venir à des aspects plus concrets, je tiens d’abord à souligner que nous devons rendre à la loi son véritable périmètre. Nous devons revenir à l’esprit de l’article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi doit fixer des règles générales et déterminer des principes et des objectifs. Elle n’est pas là pour tout prévoir, pour se substituer aux décrets et aux circulaires. Elle ne doit pas être non plus un recueil de déclarations de bonnes intentions ou de souhaits politiques, comme c’est le cas pour certaines parties, voire pour la totalité, de certaines lois déclamatives.

Nos lois sont trop bavardes : tantôt elles se perdent en précisions, tantôt elles ne sont pas assez normatives. Pour illustrer ce constat, rappelons que, sur la treizième législature, 400 dispositions ont été insérées dans diverses lois pour demander au Gouvernement la remise d’un rapport au Parlement. Les responsabilités sont, du reste, partagées à cet égard et je pourrais citer de nombreux articles de projets de loi dont le caractère normatif est contestable. Nous devons donc avoir une action conjointe pour mieux protéger le domaine de la loi. Pourquoi ne pas utiliser davantage à cette fin l’article 41 de la Constitution, qui permet au Gouvernement ou au président d’une assemblée de contester la nature législative d’une disposition ? Une telle démarche, qui est à notre portée, serait tout à fait souhaitable de la part du Gouvernement et pourrait être une action résolue de la part de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Dans le même esprit, pourquoi ne pas envisager des missions parlementaires consacrées à certains de nos codes devenus parfois très volumineux. L’Assemblée nationale pourrait, plus encore que le Gouvernement, missionner des équipes de parlementaires de sensibilités différentes pour travailler sans hâte, sur deux ou trois ans, à repérer les articles qui ne sont pas de nature législative. Ce travail d’épuration de notre codification nous permettrait d’identifier les dispositions qui doivent être basculées dans le domaine réglementaire, voire abrogées. C’est là un élément très important de la simplification de la loi. Au-delà des aspects polémiques, une telle simplification permettrait par exemple de rendre le code du travail plus maniable.

De même, dans le domaine de la santé publique et de la sécurité sociale, sont entrées au fil des ans dans la loi et dans les codes des dispositions technico-corporatistes ou purement techniques qui ont permis de consolider l’existence d’une profession ou de défendre une activité. Ce phénomène, nocif pour la lisibilité et pour l’action législative, est source de blocage pour l’évolution de notre société. Ainsi, le fait que l’affectation de certains actes médicaux ou paramédicaux à certaines professions soit inscrite dans le code de la santé publique n’apporte pas plus de protection que des dispositions prises par décret – sans parler des règles ordinales qui régissent ce secteur. On pourrait donc alléger le code et donner en même temps une plus grande fluidité aux organisations professionnelles. Sans doute pourrait-on appliquer la même démarche, par exemple, au code rural et de la pêche maritime ou au code général des impôts, car on a peu à peu fait entrer dans l’ensemble des codes des dispositions de défiance, de blocage et de fossilisation de la réalité.

Nous devons tenir compte aussi de l’évolution qu’induira pour le Parlement l’application de la loi sur le non-cumul des mandats. Peut-être les parlementaires seront-ils désormais plus actifs et animés d’une plus grande envie de se distinguer et de s’affirmer dans un travail parlementaire qu’ils voudront moins collectif, marquant davantage l’action législative de leur personnalité propre. Cette énergie positive serait détournée de manière négative si chacun voulait inscrire dans la loi un amendement pour faire reconnaître son rôle. En revanche, il serait très souhaitable qu’elle s’exprime par un plus grand investissement dans l’évaluation ex post des lois, qui est un chantier crucial pour la qualité de la loi et l’action de l’État. Ce travail d’évaluation est un champ considérable de l’action parlementaire.

Mon expérience parlementaire me conduit à penser qu’il s’agit là d’un retournement car, même si l’évaluation fonctionne déjà depuis plusieurs années, avec notamment la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) et la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), l’action du parlementaire reste pour l’essentiel tournée vers le vote de la loi. Ce passage d’une démarche de production législative à une démarche d’évaluation serait beaucoup plus productif et, loin de limiter l’innovation, il ne pourrait que favoriser le changement du cadre juridique, économique et social. La lisibilité de la loi et de l’action publique en serait renforcée, car les déclarations d’intention, fréquentes même lorsque la loi est normative, cèderaient le pas à l’évaluation et à l’affichage de l’action législative, bien plus lisibles pour nos concitoyens – on indiquerait alors, par exemple, quels sont les objectifs fixés à une politique d’aide aux entreprises, les critères appliqués et les raisons du succès ou de l’échec.

Les grilles d’évaluation pourraient en outre faire l’objet d’une harmonisation qui, tout en évitant la dispersion d’actions individuelles, serait de nature politique, et non pas technocratique. La majorité actuelle pourrait indiquer, par exemple, que les priorités qu’elle souhaite donner à l’action publique sont la compétitivité, la solidarité et l’emploi, tandis qu’une autre majorité pourrait privilégier l’allégement de la fiscalité. Fondée sur des critères plus collectifs, la politique d’évaluation prendrait ainsi un caractère très politique.

En matière de politique de santé, par exemple, l’objectif peut être pour certains le progrès scientifique, et pour d’autres à la lutte contre les inégalités de santé. Ordonner et définir collectivement ces critères permettrait d’obtenir des évaluations qui ne seraient pas poussées individuellement par un député, mais s’inscriraient dans une grille de lecture politique limitant la dispersion. En effet, on évalue toujours sur la base de critères, jamais dans l’absolu.

J’en viens aux études d’impact, qui apparaissent aujourd’hui comme un exercice imposé et prennent parfois la forme d’un « exposé des motifs bis », alors qu’elles devraient permettre au Gouvernement de s’assurer que la réforme qu’il veut mettre en œuvre est opportune et au Parlement d’être correctement informé sur la portée sociale, économique, budgétaire ou environnementale des textes qu’on lui demande d’adopter.

L’une des causes de cette défaillance est que le ministère porteur d’un texte est aussi celui qui rédige l’étude d’impact. D’un point de vue scientifique, il est problématique de demander à quelqu’un de juger de l’opportunité de l’action qu’il veut mener. Circonstance aggravante, cette étude est parfois établie, non pas avant l’engagement de la réforme, mais alors que des annonces ont déjà été faites et que des concertations ont déjà été menées.

Quel que soit le domaine, si l’on interroge un ministère sur la pertinence d’une loi alors qu’il a déjà donné suite à la demande du ministre de faire cette loi, il est vraisemblable que l’administration confirmera à son ministre qu’après mûre réflexion, elle juge cette loi très opportune ! En termes de fonctionnement des organisations et de sociologie des administrations, il y a là un véritable conflit d’intérêts. Il est en effet peu probable qu’un ministère se déjuge en décidant, après un travail intense, qu’il n’y a finalement pas lieu de légiférer. Les études d’impact sont donc, dans certains cas, détournées de leur but premier : au lieu d’être une aide à la décision, elles sont un outil d’autojustification.

Le Gouvernement a déjà donné des directives pour rappeler que l’étude d’impact devait être la première étape de toute réforme et qu’elle n’était pas une formalité à laquelle on se plie de bonne ou de mauvaise grâce. Il serait désormais souhaitable que les arbitrages interministériels soient faits sur la base non pas d’un projet de texte déjà « ficelé », mais d’une étude d’impact objective, chiffrée et précise. Cette méthode est d’ailleurs celle qui a été retenue pour la préparation du projet de loi de finances pour 2015.

Faut-il aller plus loin en demandant, comme il me semble que votre mission l’envisage, à un organe indépendant de valider les études d’impact avant qu’elles ne soient soumises au Parlement ?

De nombreux pays d’Europe disposent d’instances spécialement chargées d’évaluer la qualité des études d’impact. Il s’agit, en règle générale, de structures légères, composées d’une dizaine de membres et placées auprès du Premier ministre, comme vous l’avez constaté, je crois, dans d’autres pays.

Nous venons de faire un premier pas dans cette direction en créant deux organes chargés d’évaluer l’impact des normes nouvelles dans les secteurs où la simplification est particulièrement nécessaire : il s’agit du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités locales et du Conseil de la simplification pour les entreprises. Au demeurant, ces organismes sont compétents pour les normes techniques ou économiques, alors que celles dont il est question à propos des études d’impact sont essentiellement des normes juridiques ou administratives.

Nous pourrions, à terme, réfléchir à une structure unique chargée de valider toutes les études d’impact et qui, à l’instar d’une revue scientifique, validerait moins le contenu de l’étude d’impact que sa méthodologie. De fait, créer un organisme qui referait le travail du ministère concerné contribuerait à une prolifération bureaucratique rapide.

Cette structure pourrait être rattachée aux deux assemblées ou être placée à la fois auprès du Gouvernement et du Parlement, car la qualité des études d’impact est pour nous tous un enjeu collectif. Cela pourrait se faire avec assez peu de moyens, au titre d’un redéploiement, et cet investissement limité serait très largement compensé par ce que l’on gagnerait en simplification de la procédure.

Vous m’avez également interrogé sur la possibilité de mieux évaluer l’impact des propositions de loi. Nous sommes bien évidemment prêts à dialoguer avec vous sur ce point et il serait à tout le moins utile que le président de l’Assemblée nationale puisse saisir le Conseil d’État sur toutes les propositions de loi inscrites à votre ordre du jour.

Enfin, je sais que vous avez auditionné en avril dernier M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, et qu’il a évoqué devant vous la procédure budgétaire. J’ai eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec lui lorsque je l’ai rencontré pour préparer la présentation que je dois faire de son budget devant l’Assemblée nationale et je souscris pleinement aux propos qu’il a tenus devant votre mission : nous passons des mois à débattre du budget initial et à peine quelques jours pour examiner l’exécution du budget, qui retrace pourtant une réalité concrète. Si le Parlement passait davantage de temps sur la loi de règlement, il serait mieux armé pour garantir l’efficacité de l’action publique et contrôler le Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La loi de règlement est débattue en deux heures par cinq députés …

M. le secrétaire d’État. Toute notre culture est ainsi faite et il faut faire notre autocritique – c’est l’ancien parlementaire qui parle. Il est beaucoup plus facile pour nous de faire de grandes théories générales après avoir survolé un sujet que de contester une réalité concrète. Cependant, tout est perfectible et le temps parlementaire qui sera libéré par la fin du cumul devrait nous permettre d’engager ce travail d’une façon très positive. Cette décision relève toutefois de l’organisation des assemblées et elle doit être expliquée aux médias pour valoriser le travail réalisé. Aujourd’hui, en effet, on valorise plus volontiers dans le travail parlementaire les théories générales et les discours qui seront encore valables dans six mois ou un an et qui n’ont pas de lien direct avec la réalité concrète. On ignore le parlementaire qui travaille sur un projet de budget, tandis qu’on se représente comme particulièrement actif celui qui répète la même idée dans la salle des Quatre Colonnes au fil des années de son mandat – c’est là du reste une critique que je reprends largement à mon compte. Un effort considérable est nécessaire de la part de tous pour trouver un autre mode de fonctionnement.

Quant au dépôt tardif des amendements Gouvernement, contre lequel j’ai souvent eu l’occasion de protester dans l’hémicycle, il s’explique soit par le fait que le Gouvernement a mal fait son travail, soit par les nécessités de l’urgence. Au-delà de la complexité, du caractère proliférant et peu lisible de notre législation, la lenteur du travail est un problème majeur dans une société moderne. Il n’est pas possible que des engagements précis pris par le Président de la République le 14 janvier ne soient effectifs que huit mois plus tard. La vie économique a besoin de beaucoup plus de réactivité.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le délai de dépôt des amendements est ordinairement fixé pour les parlementaires au quatrième jour précédant la discussion du texte. Ne pourrait-on envisager que les amendements du Gouvernement soient déposés deux jours avant cette discussion pour permettre aux parlementaires de les examiner ?

M. le secrétaire d’État. Je comprends votre demande mais, compte tenu des vives protestations qui s’élèvent lorsque le Gouvernement dépose tardivement ses amendements, on peut penser qu’il a des raisons de le faire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce phénomène n’est pas récent.

M. le secrétaire d’État. Il n’est pas mauvais qu’il y ait cette sanction. Cependant, bien que je comprenne votre proposition, j’y suis assez réticent.

La notion d’urgence des textes de loi a complètement vieilli. Si une écriture subtile et bien dosée peut se justifier pour certains textes touchant au code civil ou aux libertés individuelles, certaines questions, comme le terrorisme, vont nous contraindre à légiférer le plus rapidement possible. Ainsi, comme nous l’avons évoqué ce matin en conseil des ministres, il n’est pas impossible qu’un texte sur le terrorisme qui serait déposé rapidement et qui serait examiné au mois d’octobre doive être réécrit dans quelques mois au vu des évolutions de la situation. Notre société, comme les virus, mute sans arrêt. Je ne pense d’ailleurs pas que quiconque propose qu’un texte portant sur le terrorisme soit soumis à deux lectures dans le cadre d’une navette parlementaire.

Une grande réactivité s’impose aussi dans le domaine économique et social. Le traitement des questions internationales, notamment de la transposition de textes européens, devrait lui aussi être plus rapide. Une réflexion globale – qui, sans être tout à fait dans l’objet de votre mission, est néanmoins collatérale – me semble donc s’imposer sur la rapidité de l’action parlementaire - mais cela ne justifie pas nécessairement le dépôt tardif des amendements du Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Êtes-vous favorable à la publication de tout ou partie de l’avis du Conseil d’État ?

M. le secrétaire d’État. J’y suis assez réticent, car cette mesure aurait de nombreuses conséquences, comme celle de faire évoluer le rôle du Conseil d’État dans un sens qui l’apparenterait à celui du Conseil constitutionnel, alors que sa fonction reste de conseiller le Gouvernement. Je ne suis pas convaincu que ce serait très utile.

Du reste, il n’y a pas de secret et le travail du Conseil d’État est publié dans son rapport annuel. Cependant, le rôle de cette institution n’est pas de censurer le Gouvernement et de fournir des armes à certains parlementaires. Je suis donc, je le répète, réticent à la publication que vous proposez.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Y compris pour la partie de l’avis portant sur les études d’impact ?

M. le secrétaire d’État. Le problème est le même. Le Conseil d’État pourrait critiquer l’étude d’impact, par exemple dans le cas où nous ne créerions pas l’organisme que nous avons évoqué tout à l’heure. Cela pourrait aussi remettre en cause une disposition, comme on l’a vu voilà une semaine : le Conseil constitutionnel vient de montrer qu’il pouvait statuer rapidement à la demande du Bureau du Sénat mais, compte tenu du calendrier parlementaire, si une assemblée soulevait tous les problèmes liés aux études d’impact, aucune loi ne verrait plus le jour.

M. Régis Juanico, rapporteur. Un volet de nos propositions porte sur l’enrichissement de l’étude d’impact. Nous convenons tous en effet que ces études d’impact sont parfois assez pauvres et apportent peu d’informations au législateur en amont de la procédure législative. Nous proposons que l’étude d’impact soit toujours instruite par le ministère compétent, qui est le mieux placé pour cela, mais qu’elle soit enrichie par exemple de tests sur les conséquences de la loi pour les petites et moyennes entreprises (PME), pour les collectivités locales et pour nos concitoyens, ainsi que d’indicateurs permettant d’en évaluer les coûts et bénéfices économiques et les conséquences sociétales.

Il importe de bien évaluer à l’avance les conséquences des mesures transitoires inscrites dans la loi, notamment des dates d’entrée en vigueur. Ainsi, alors que le compte pénibilité qui figure dans la loi que nous avons votée récemment sur les retraites devait entrer en vigueur au 1er janvier 2015, nous ne disposions pas d’une étude d’impact précise et complète permettant d’évaluer le travail nécessaire pour élaborer un tel compte qui soit simple d’utilisation pour les salariés comme pour les entreprises. Nous devons donc enrichir l’étude d’impact et disposer dès le stade de cette étude d’indicateurs permettant de savoir comment et sur quels critères la loi sera évaluée ex post. Une contrexpertise, portant sur la qualité de l’étude d’impact, doit également être réalisée par un organisme indépendant.

Nous devons encore réfléchir quelques semaines à la configuration de cette autorité, pour laquelle nous pensons plutôt à réunir des entités existantes autour du Conseil de la simplification des entreprises – M. Thierry Mandon a du reste fait récemment des propositions en ce sens.

Il faut par ailleurs préciser quel sera le contrôle du Parlement sur la qualité des études d’impact. Faut-il élargir à un nombre minimal de parlementaires – qu’il s’agisse de la majorité absolue des députés ou des sénateurs ou d’une majorité qualifiée des groupes parlementaires – la possibilité offerte à la Conférence des présidents des chambres de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un texte de loi si la qualité de l’étude d’impact est insuffisante ?

En outre, si une étude d’impact doit être réalisée pour toutes les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour, peut-on vraiment concilier les délais fixés à cette fin par le Conseil d’État et l’ordre du jour du Parlement, fixé au moins un mois à l’avance ? Peut-on disposer d’un critère pour définir que seules certaines propositions de loi feront l’objet d’une étude d’impact, notamment celles dont il est presque certain qu’elles auront une suite législative ?

Pour ce qui est de la procédure budgétaire, je souscris pleinement à votre opinion : on consacre beaucoup trop de temps à la loi de finances initiale alors que la commission des finances disposerait de tout le temps nécessaire, entre avril et juin, pour examiner précisément la loi de règlement et pour réaliser, sous un format bipartisan associant majorité et opposition et sur trois ou quatre thèmes sélectionnés, un travail précis d’évaluation de l’exécution budgétaire de l’année antérieure, en lien avec la modernisation de l’action publique menée par le Gouvernement.

Nous formulons en outre des propositions visant à rendre l’évaluation ex post plus systématique, avec des rendez-vous tous les trois ans après l’entrée en vigueur des textes de loi, dans une configuration associant la majorité et l’opposition et appliquant des indicateurs précis permettant d’améliorer ou de modifier la loi en cours de route.

M. le secrétaire d’État. On ne peut pas totalement exclure de la vie parlementaire la volonté de l’opposition, quelle qu’elle soit, de s’opposer formellement au vote de la loi. Si donc on ouvre des droits très larges, ces droits deviendront de plus en plus systématiquement utilisés et, partant, deviendront des barrières à l’action – on sait par exemple que les motions de procédure défendues à l’Assemblée nationale, comme les questions préalables ou les motions de renvoi en commission, sont rarement à prendre au pied de la lettre et n’ont parfois guère de rapport avec leur intitulé.

Il faut aussi faire le distinguo entre des lois très structurantes et lourdes, qui appellent de toute évidence des études d’impact fortes, et des lois de réaction, de réorientation d’une politique ou de complément. Une solution intermédiaire pourrait être que les présidents des assemblées puissent, pour certaines lois, demander des études d’impact renforcées. Ce pourrait être le cas par exemple pour la loi de santé publique annoncée depuis un an ou un an et demi par le Gouvernement, dont on voit déjà circuler certains éléments et pour laquelle le calendrier parlementaire se dessine, avec une présentation en conseil des ministres en septembre et un examen par votre assemblée en janvier. En revanche, on ne demandera peut-être pas les mêmes études d’impact à la loi sur le terrorisme qui a été présentée en conseil des ministres ce matin et sera examinée en commission à la fin du mois de juillet par votre assemblée.

Par ailleurs, une loi peut-elle tout prévoir ? Ainsi, s’il est légitime, pour des raisons politiques, d’avoir fait un test pour les PME, qui envoie un message, pourquoi ne pas choisir plutôt de faire porter ce test sur les salariés ?

M. le rapporteur. Les salariés travaillent dans les PME !

M. le secrétaire d’État. Si demain une loi propose d’inscrire en priorité absolue des contraintes nouvelles sur la santé au travail, il n’est pas certain que le test PME passera très facilement. Le législateur doit-il pour autant renoncer au texte sous prétexte que le test PME serait négatif ?

Pour en revenir à la pénibilité, la difficulté à laquelle a été confronté le Gouvernement a été de savoir comment, dans certains secteurs, les circulaires devraient être appliquées concrètement. Était-il possible de présenter ces analyses avant la loi ? Même si la rédaction appropriée des circulaires n’a pas encore été trouvée, le texte existe. Quel aurait été l’apport de l’étude d’impact ?

M. le rapporteur. Quand on peut s’en dispenser, mieux vaut éviter d’inscrire dans le marbre de la loi des dates d’entrée en vigueur, dont certaines peuvent susciter de grandes espérances qui ne seront pas suivies d’effet – on pourrait citer aussi à cet égard la loi de 2005 prévoyant l’accessibilité des bâtiments publics aux personnes handicapées. Par ailleurs, les études d’impact peuvent être réactualisées au fil des débats, lors de la navette parlementaire.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Pour la pénibilité, la question était aussi de savoir comment appliquer cette notion dans certains métiers. De fait, l’application du texte tel quel conduirait à classer au titre des métiers pénibles les personnes exerçant plusieurs métiers dans la même journée et dont une partie seulement de l’activité relève de cette catégorie, alors que le coût de cette situation pour l’entreprise aura été mal évalué dans l’étude d’impact initiale. Le test PME nous aurait donc permis de décider à partir d’une connaissance de l’impact réel des mesures adoptées et d’assumer pleinement nos votes.

M. le secrétaire d’État. Ont été inscrites dans la loi des choses qui n’auraient jamais dû l’être, tant pour leur calendrier que par la manière dont les informations seraient recueillies. Sans doute fallait-il adopter une écriture moins rigide et renvoyer certaines questions au décret ou à l’arrêté. La notion de pénibilité n’existant nulle part ailleurs que dans notre pays, nous essuyons les plâtres.

M. le rapporteur. Après la promulgation de la loi, une mission a été confiée à M. Michel de Virville qui a travaillé, en lien avec les partenaires sociaux, à assurer l’applicabilité et la mise en œuvre la plus simple possible du dispositif. Peut-être cette mission aurait-elle pu être déclenchée lors du vote du texte et intégrée aux études d’impact qui l’accompagnaient. Sans doute aurait-il fallu pour cela un contrôle du Parlement sur des dispositions difficiles à mettre en œuvre.

M. le secrétaire d’État. On observe souvent que, face à la diversité des situations, des lois bonnes à 80 % provoquent un frottement, une irritation.

Par ailleurs, nous n’avons pas évoqué les « sunset clauses », qui méritent plus ample réflexion.

M. le rapporteur. Nous étudions une proposition prévoyant, dans le cadre d’une évaluation ex post plus méthodique, ces clauses de révision. Il est également prévu que la création d’un texte s’accompagne de la suppression d’un autre, selon le principe du « one in, one out ».

Pour la transposition de directives européennes, le recours à l’ordonnance est toujours possible, mais l’ordonnance devrait s’accompagner d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État qui serait transmis au Parlement lorsque celui-ci est amené à la ratifier.

M. le secrétaire d’État. Tout à fait.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Des amendements « substantiels » des parlementaires ou du Gouvernement viennent parfois modifier l’équilibre d’un projet de loi et de son étude d’impact. Il serait alors logique que de tels amendements s’accompagnent d’un exposé des motifs beaucoup plus détaillé qu’actuellement.

M. le secrétaire d’État. C’est certes légitime, mais il faut veiller à ce que les parlementaires aient la capacité de structurer leur travail.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Si l’on ne remédie pas à la situation que je viens d’évoquer, on continuera comme par le passé.

M. le secrétaire d’État. Vous avez raison et je retire mes remarques. Il faut sans doute être beaucoup plus procédural que nous ne le fûmes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le ministre, je vous remercie.

1 () Voir notamment : Conseil d’État, Rapport public 1991, « De la sécurité juridique » et 2006, « Sécurité juridique et complexité du droit » ; OCDE, « Mieux légiférer en Europe : France », 2010 ; rapport d’information n° 317 (session 2010-2011) sur les normes applicables aux collectivités territoriales, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, par le sénateur Claude Belot ; rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, établi par MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, et remis au Premier ministre le 26 mars 2013.

2 () Audition de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes, le 10 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

3 () Selon le rapport sur la compétitivité mondiale 2013-2014 établie par le Forum économique mondial, le poids des normes législatives et réglementaires place la France au 130e rang, parmi les 148 pays étudiés. Selon une étude menée en 2011 par la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP), 57 % des entrepreneurs consultés considéraient que l’impact de la réglementation nationale en vigueur sur leur activité était négatif, tandis que seuls 14 % d’entre eux le jugeaient positif. Dans l’ordre de ce qui leur semblait alors prioritaire pour une simplification, les chefs d’entreprise citaient plus particulièrement le droit du travail et de la protection sociale (80 %), la fiscalité (58 %), les dispositifs d’aides publiques aux entreprises (36 %), le droit des marchés publics (34 %), le droit pénal (14 %), le droit de l’environnement (13%) et le droit commercial (10 %) (M. Laurent, « Simplifier l’environnement réglementaire des entreprises : une urgence pour la croissance française », CCIP, 17 mars 2011, p. 89). En 2006, le Conseil d’État soulignait déjà que « l’excellence des infrastructures de transport, de communication et d’énergie, ainsi que le fort potentiel scientifique et technique de la France, reconnus par l’OCDE et par la Banque mondiale, ne peuvent faire oublier que nombre d’entreprises candidates à une implantation en France sont parfois découragées par la lourdeur des procédures administratives et surtout par l’instabilité du droit. […] Le coût de la complexité des normes et des procédures est évalué, pour les pays de l’OCDE, à une somme représentant, en 2000, entre trois et quatre points de PIB selon les pays » (Conseil d’État, Rapport public annuel 2006 : Sécurité juridique et complexité du droit, La Documentation française, p. 277).

4 () Il s’agit des lois : n° 2013-569 du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction ; n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens ; n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

À ces textes définitivement adoptés et promulgués, il faut ajouter les projets de loi, en cours d’examen, relatifs : à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ; à la simplification de la vie des entreprises.

5 () Décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 instituant le conseil de la simplification pour les entreprises. La composition de ce conseil a été fixée par arrêtés du Premier ministre en dates des 20 janvier et 28 février 2014.

6 () Audition de M. Thierry Mandon, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification, mercredi 9 juillet 2014.

7 () Voir le tableau figurant en annexe n° 2.

8 () Les comptes-rendus de l’ensemble des auditions auxquelles la mission a procédé à l’Assemblée nationale et dont votre rapporteur citent des extraits tout au long du rapport figurent en annexe n° 16.

9 () La Semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales, n° 19, 10 mai 2010, act. 381.

10 () Article 39 de la Constitution tel que modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, et loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

11 () « L’État en France : servir une nation ouverte sur le monde », Rapport de la mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État, mai 1994, pp. 28-29.

12 () Idem.

13 () Article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

14 () Conseil constitutionnel, décision n°  2009-579 DC du 9 avril 2009, considérant n° 16.

15 () Article 34, II, 7° de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (« LOLF »).

16 () Article LO 111-3, V, du code de la sécurité sociale.

17 () En application du dernier alinéa de l’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009, les projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation d’un traité ou accord international doivent être accompagnés « de documents précisant les objectifs poursuivis par les traités ou accords, estimant leurs conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, analysant leurs effets sur l’ordre juridique français et présentant l’historique des négociations, l’état des signatures et des ratifications, ainsi que, le cas échéant, les réserves ou déclarations interprétatives exprimées par la France ».

18 () Il faut cependant noter que les projets de loi de règlement doivent être assortis de nombreux documents en application de l’article 54 de la LOLF, parmi lesquels les annexes explicatives présentant les recettes et les dépenses effectives du budget de l’État ainsi que le montant définitif des crédits ouverts et des dépenses constatées, par programme ou par dotation, les rapports annuels de performances, ou encore l’avis du Haut Conseil des finances publiques.

19 () Il convient de souligner que cette possibilité de refus d’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour d’une assemblée ne concerne ni les projets de loi de finances ni les projets de loi de financement de la sécurité sociale.

20 () Conseil constitutionnel, décision n° 2014-12 FNR du 1er juillet 2014, considérant n° 6.

21 () Rapport d’information n° 2094 fait au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur les critères de contrôle des études d’impact accompagnant les projets de loi, par MM. Claude Goasguen et Jean Mallot, députés.

22 () En outre, en application de l’article 2 du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif, tout projet de décret créant ou renouvelant une telle commission doit être accompagné d’une étude d’impact « permettant notamment de vérifier que la mission impartie à la commission répond à une nécessité et n’est pas susceptible d’être assurée par une commission existante ».

23 () Article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales.

24 () Voir le modèle de fiche d’impact en annexe n° 3.

25 () Idem.

26 () Ce rapport est consultable au lien suivant : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000199/0000.pdf

27 () Rémi Bouchez, Premier rapport d’activité du commissaire à la simplification, remis au Premier ministre en mars 2012, p. 23.

28 () Mécanisme dit « DCEV » et mis en œuvre par une circulaire du Premier ministre du 23 mai 2011.

29 () Ce guide est consultable au lien suivant : http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de-legistique

30 () Cet extranet est accessible au lien suivant : http://extraqual.pm.ader.gouv.fr/index.html

31 () Voir notamment les circulaires :

- n° 5598/SG du Premier ministre du 23 août 2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d’égalité entre les femmes et les hommes ;

- n° 5602/SG du Premier ministre du 4 septembre 2012 relative à la prise en compte du handicap dans les projets de loi.

32 () Les lignes directrices (« Impact Assessment Guidelines ») des études d’impact de la Commission européenne sont consultables au lien suivant : http://ec.europa.eu/smart-regulation/impact/commission_guidelines/commission_guidelines_en.htm

33 () Voir les indications fournies dans le manuel méthodologique d’élaboration des études d’impact établi par le bureau du ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences (« BIS ») chargé de l’amélioration de la réglementation (« Better Regulation Executive » - BRE), qui est consultable au lien suivant : https://www.gov.uk/government/publications/better-regulation-framework-manual

34 () En Allemagne, le recours à la méthode des « coûts standards » pour la mesure des charges administratives est une obligation légale qui résulte de l’article 2, alinéa 3, de la loi du 14 août 2006 qui a créé le conseil national de contrôle des normes (« NKR »).

35 () Rapport 2012 du bureau de mesure de l’Agence pour la simplification administrative (ASA), p. 8.

36 () Voir les tableaux n° 1 et n° 2 figurant en annexe n° 4.

37 () Voir le tableau n° 3 figurant en annexe n° 4, ainsi que le lien suivant :

https://www.destatis.de/DE/ZahlenFakten/Indikatoren/Buerokratiekosten/Ergebnisse/Buerokratiekostenindex/Buerokratiekostenindex.html

38 () Ces charges doivent en principe faire l’objet d’un chiffrage très précis. Par exemple, pour l’estimation du coût des obligations de formation de salariés ou d’agents, les administrations sont invitées à calculer non seulement le nombre de salariés ou d’agents concernés pour chaque entité, le nombre d’entités concernées et la fréquence annuelle des formations, mais aussi le coût des formations diminué d’aides éventuelles, les frais annexes de transport, de logement, de restauration et le salaire versé au salarié/à l’agent en formation.

39 () Voir le tableau n° 1 figurant en annexe n° 5.

40 () À titre d’exemple, pour le calcul des charges administratives pesant sur les particuliers, la méthode française de quantification repose sur la multiplication suivante :

Temps nécessaire (en heures) pour se renseigner, réunir les documents requis, remplir les formulaires, déposer son dossier, le compléter et retirer la décision ou le document faisant l’objet de la demande OU temps libéré par la suppression d’une obligation

X nombre de particuliers concernés

X salaire moyen horaire net (par heure) tel qu’établi par l’INSEE (à savoir 14,9 euros / heure)

41 () À titre d’exemple, pour l’estimation de l’imputation forfaitaire de frais généraux (location des bâtiments, électricité, téléphone, connexion Internet, etc.), le tableur fourni aux administrations applique automatiquement une majoration de 25 %, conformément aux recommandations du « standard cost model ».

42 () Pour l’estimation du coût lié à l’accomplissement d’obligations réglementaires, les administrations françaises sont invitées à s’inspirer des estimations faites par l’Agence belge pour la simplification administrative (ASA). Voir le tableau n° 3 figurant en annexe n° 5.

43 () Pour l’estimation de la durée nécessaire à l’accomplissement d’obligations réglementaires, les administrations françaises sont invitées à s’inspirer des durées approximatives pour la réalisation de tâches administratives qui ont été calculées par nos voisins allemands et qui figurent dans l’édition d’octobre 2012 des « Lignes directrices pour l’identification et la présentation des coûts de conformité dans les projets de loi du gouvernement fédéral allemand », qui a été établie par la Chancellerie fédérale, le Conseil national de contrôle des normes et le Bureau fédéral des statistiques (« Destatis ») et qui est consultable en langue anglaise au lien suivant :

http://www.bundesregierung.de/Content/DE/_Anlagen/Buerokratieabbau/2013-01-02-erfuellungsaufwand.pdf?__blob=publicationFile&v=2

Voir le tableau n° 4 figurant en annexe n° 5.

44 () Rapport n° 1579 fait au nom de la commission des Lois sur la proposition de loi organique n° 1405, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements, par le député Olivier Dussopt, p. 28.

45 () Le tableau des consultations préalables obligatoires établi par notre collègue Olivier Dussopt dans son rapport n° 1579 est reproduit en annexe n° 6.

46 () Audition de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification, le 20 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16. Adde : Rémi Bouchez, Premier rapport d’activité du commissaire à la simplification, remis au Premier ministre en mars 2012, p. 29.

47 () Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la simplification, sur BFM Business le 26 juin 2014, au sujet du rôle du Conseil de la simplification pour les entreprises. Cet entretien est consultable au lien suivant : http://discours.vie-publique.fr/notices/143001435.html

48 () Conseil d’État, Rapport public 2010, p. 86.

49 () Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

50 () Conseil d’État, Rapport public 2010, p. 99.

51 () Devenu la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011.

52 () Devenu la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010.

53 () Devenu la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011.

54 () Conseil d’État, Rapport public 2011, pp. 96-97.

55 () Conseil d’État, Rapport public 2012, p. 135.

56 () Il s’agissait notamment du projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique et d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (devenu la loi n° 2013-711 du 5 août 2013).

57 () Il s’agissait de deux projets de loi de finances rectificative pour 2011 et du projet de loi de finances pour 2012 (devenu la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011).

58 () Il s’agissait du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines (devenu la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012).

59 () Il s’agissait du projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs (devenu la loi n° 2011-939 du 10 août 2011).

60 () Il s’agissait de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ainsi que des projets de loi :

- portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport (devenu la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013) ;

- portant réforme bancaire et financière (devenu la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires) ;

- portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (devenu la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013) ;

- autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (devenu la loi n° 2012-1171 du 22 octobre 2012) ;

- portant création du contrat de génération (devenu la loi n° 2013-185 du 1er mars 2013).

61 () Conseil d’État, Rapport public 2013, p. 181.

62 () Ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009 relative à l’enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l’environnement.

63 () Devenu la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

64 () Devenu la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010.

65 () Devenu la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Voir notamment le compte-rendu n° 70 de la séance de la commission des Affaires sociales du mardi 20 juillet 2010, qui est consultable au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-soc/09-10/c0910070.asp

66 () Devenu la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013. Voir notamment le compte-rendu intégral de la première séance du samedi 2 février 2013, qui est consultable au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130127.asp

67 () Il s’agit des saisines relatives :

- à la loi n° 2010-145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux (Conseil constitutionnel, décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, considérants n° 3 à 5) ;

- à la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (Conseil constitutionnel, décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, considérants n° 4, n° 7 et n° 8) ;

- à la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, considérants n°2 à n° 4) ;

- à la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, considérants n° 2 à n° 4) ;

- à la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-683 DC du 16 janvier 2014, considérants n° 2 à n° 6) ;

- à la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, considérants n°7, 9, 11, 12, 14 à 16 et 48) ;

- à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (Conseil constitutionnel, décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, considérants n° 45 à n° 48) ;

- à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Conseil constitutionnel, décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014, considérants n° 49 à n° 53).

68 () Il s’agit des saisines relatives :

- à la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, considérants n° 2 à n° 4) ;

- à la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (Conseil constitutionnel, décision n° 2013-683 DC du 16 janvier 2014, considérants n° 2 à n° 6).

69 () Cette décision a été actée par la circulaire n° 5630/SG du Premier ministre du 9 janvier 2013 relative à la modernisation de l’action publique.

70 () Sur les « ateliers législatifs citoyens », voir la contribution de notre collègue Cécile Untermaier, annexée au présent rapport. 

71 () Étude d’impact jointe au projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, juillet 2013, p. 21 et p. 26.

72 () Voir, en annexe n° 7, les tableaux établis par le bureau « BRE » dans le cadre du programme « one-in, two-out ». Les derniers rapports semestriels du « BRE » sont en outre consultables aux liens suivants :

- rapport de juillet 2013 pour le premier semestre de l’année précédente :

https://www.gov.uk/government/publications/one-in-two-out-sixth-statement-of-new-regulation-july-to-december-2013 ;

- rapport de décembre 2013 pour le second semestre de l’année précédente :

https://www.gov.uk/government/publications/bis-sixth-statement-of-new-regulation-regulations-covering-july-to-december-2013

- rapport de juillet 2014 pour le premier semestre de l’année précédente :

https://www.gov.uk/government/publications/bis-eighth-statement-of-new-regulation-regulations-covering-july-to-december-2014

73 () Ces lignes directrices (« Impact Assessment Guidelines ») pour l’élaboration des études d’impact sont consultables au lien suivant :

http://ec.europa.eu/smart-regulation/impact/commission_guidelines/commission_guidelines_en.htm.

74 () Sur la place de l’« IAB » dans le processus d’élaboration des études d’impact de la Commission européenne et sur les statistiques relatives à ses activités, voir les documents figurant en annexe n° 8.

75 () Ce rapport peut être consulté au lien suivant : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2011-0159+0+DOC+XML+V0//FR&language=fr.

76 () Ces « premières évaluations » sont consultables au lien suivant :

http://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/documents.html?word=&documentType=STUDIES&id=&body=IMPA&dateStart=&dateEnd=&action=submit

77 () CJUE, 6 septembre 2011, « Karl Heinz Bablok et autres contre Freistaat Bayern » (affaire n° C-442/09).

78 () Composé d’une cinquantaine de personnes et bénéficiant d’un budget annuel d’environ 3,5 millions de livres sterling (soit environ 4,13 millions d’euros), le « BRE » est une unité de soutien à la mise en œuvre des programmes d’amélioration de la réglementation qui se concentre sur l’évaluation ex ante. Formellement créé il y a une dizaine d’années, le « BRE » a commencé d’être constitué de façon informelle en 1992, sous le gouvernement de M. John Major.

Initialement rattaché aux services du Premier ministre (« Cabinet Office »), ce service est placé depuis 2009 auprès du ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences (BIS), afin de regrouper auprès de ce ministère toutes les structures qui travaillaient sur les questions liées aux entreprises. Malgré ce rattachement, le « BRE » a une vocation interministérielle et travaille aux côtés des ministres et rédacteurs des projets de texte pour leur assurer une assistance pratique, au sujet de l’échange de bonnes pratiques ou des alternatives à la règlementation notamment.

C’est ce service qui a défini les règles d’élaboration des études d’impact et qui apporte un soutien méthodologique et technique aux ministères porteurs de projets de textes lorsqu’ils élaborent de telles études.

Chaque ministère dispose d’une unité d’amélioration de la réglementation composée de trois à six personnes. Et au sein de chaque ministère, un secrétaire d’État chargé de la gouvernance normative est identifié.

C’est également vers ce service que le « RPC » peut se tourner lorsqu’il rencontre des difficultés méthodologiques ou techniques au cours de l’examen de la qualité d’une étude d’impact.

C’est une unité centrale influente et dynamique qui dispose d’un réseau et de ressources importantes et qui regroupe les éléments essentiels du « mieux légiférer » : soutien aux analyses d’impact, au programme « one-in, two-out », ou encore à l’utilisation d’alternatives à la réglementation.

79 () Le « RPC » détermine si le projet de texte crée des charges administratives (dans quel cas, c’est un « in ») ou s’il en supprime (dans quel cas, c’est un « out »). Il vérifie que le poids de la charge administrative créée ou supprimée a bien été calculé conformément aux principes méthodologiques communément adoptés. Le président du « RPC », M. Michael Gibbons, a fait valoir l’utilité d’un regard indépendant sur le chiffrage fait par le Gouvernement de ce qu’il présente comme des créations ou des suppressions de charges administratives, car les ministères ont, selon lui, tendance à surestimer les suppressions de charges (« OUTs »). Cette vérification a permis au « RPC » d’estimer à environ 475 millions de livres sterling (soit environ 575 millions d’euros) la différence entre la réduction de la charge administrative annoncée par le Gouvernement (qui prétend avoir réduit cette charge de 836 millions de livres sterling entre 2011 et 2013, grâce au « one-in, one-out ») et la réduction réelle de cette charge depuis 2011.

80 () Ce manuel méthodologique est consultable au lien suivant :

https://www.gov.uk/government/publications/better-regulation-framework-manual.

81 () Cet avis est fourni en annexe n° 9.

82 () Voir les documents figurant en annexe n° 9.

83 () Le « BRU » constitue l’unité gouvernementale chargée de la mise en œuvre opérationnelle du programme de « réduction de la bureaucratie » (« Bürokratieaabau ») qui a été engagé par le Gouvernement allemand et dont le pilotage a été confié, le 17 décembre 2013, à M. Helge Braun, ministre d’État auprès de la Chancelière. M. Helge Braun a essentiellement pour tâche d’impulser et de coordonner au niveau interministériel les initiatives prises en matière de réduction du stock et du flux normatif. Pour ce faire, il s’appuie sur un comité de « secrétaires d’État pour la réduction de la bureaucratie » au sein duquel chaque ministère désigne entre trois et cinq représentants. Ce comité est un organe moteur au sein du gouvernement fédéral et se réunit six à huit fois par an. Il n’a pas de budget officiel.

Le « BRU » conseille le ministre d’État chargé de la simplification ainsi que les autres ministres, et il soutient l’action du comité des secrétaires d’État pour la réduction de la bureaucratie dans son rôle de pilotage.

Dépourvu de budget officiel (mais avec des dépenses annuelles d’environ 20 000 €), le « BRU » est composé de douze chargés de mission, dont six ont un poste permanent au sein de la Chancellerie fédérale.

Chaque ministère dispose par ailleurs d’une cellule dont la taille varie selon son importance (deux à trois personnes en général) et qui est chargée de la simplification et de l’amélioration de la réglementation dans son champ de compétences.

Le « BRU » se réunit chaque semaine avec le ministre d’État chargé de la simplification pour assurer un suivi du programme de réduction de la bureaucratie. C’est lui qui, tous les trois à quatre mois, organise des rencontres interministérielles pour faire part aux ministères de propositions (qu’il ne peut pas leur imposer cependant) et pour assurer le suivi des initiatives en cours.

De même qu’au Royaume-Uni, le bureau « Better Regulation Executive » (BRE) apporte un soutien méthodologique et technique aux ministères lors de l’élaboration des études d’impact, de même le « BRU » contrôle la méthode d’analyse d’impact et de calcul des coûts retenue par les ministères fédéraux.

84 () Article 8 de la loi du 14 août 2006 portant création du « NKR ».

85 () Une réglementation peut en effet induire des coûts de mise en conformité : par exemple, la réglementation relative à la réduction des gaz à effet de serre engendre des coûts « bureaucratiques », liés à l’obligation faite aux entreprises d’informer les autorités sur le volume de gaz émis, mais aussi des coûts de mise en conformité et de fonctionnement, résultant notamment de l’acquisition et de l’entretien de filtres à même de réduire les émissions.

86 () Cet avis est consultable au lien suivant :

http://www.normenkontrollrat.bund.de/Webs/NKR/Content/DE/Artikel_u_Textbausteine/stellungnahme_mtsg_2.html?nn=826450

87 () Voir le schéma p. 73.

88 () Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

89 () Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le 30 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

90 () Voir les arrêtés du Premier ministre des 20 janvier et 28 février 2014 portant nominations au conseil de la simplification pour les entreprises.

91 () Décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 instituant le conseil de la simplification pour les entreprises, article 2.

92 () Ce site est consultable au lien suivant : http://www.faire-simple.gouv.fr/.

93 () Le dossier des 50 mesures de simplification présentées le 14 avril 2014 est consultable sur le site du Conseil de la simplification pour les entreprises (« http://www.simplifier-entreprise.fr/ ») au lien suivant :

http://www.simplifier-entreprise.fr/wp-content/uploads/2014/04/DP_50-mesures-de-simplification-pour-les-entreprises.pdf

94 () Conseil d’État, Rapport public 2012, p. 133.

95 () Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

96 () Audition de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes, le 10 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

97 () Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le 30 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

98 () Audition de M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application de lois, le 5 juin 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

99 () Audition de M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement, le 19 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

100 () Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

101 () Voir les graphiques figurant en annexe n° 10.

102 () Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

103 () En ce sens aussi : Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’État. Voir le compte-rendu en annexe n° 16 de l’audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014.

104 () L’article L. 112-6 du code de justice administrative dispose que les avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de lois du pays de la Nouvelle-Calédonie sont « transmis au président du gouvernement, au président du congrès, au haut-commissaire et au Conseil constitutionnel ». Et l’article R. 123-4 du même code précise que « les avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de lois du pays sont adressés aux autorités mentionnées au dernier alinéa de l’article 100 de la loi organique [n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie] ainsi qu’au Premier ministre, au ministre chargé de l’outre-mer et aux autres ministres intéressés ».

S’agissant des projets et propositions de loi en général, l’article R. 123-11 du code de justice administrative ajoute que « le secrétaire de chaque section ou commission certifie les expéditions des avis émis par cette formation et les notifie aux administrations intéressées » et que « les avis émis sur des propositions de loi sont notifiés au président de l’assemblée qui a saisi le Conseil d’État ».

105 () Une Ve République plus démocratique, Rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, p. 40.

106 () Audition de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre, le 9 juillet 2014. Voir le compte rendu en annexe n° 16.

107 () Article 15 de la résolution du 2 juin 2009 tendant à modifier le Règlement du Sénat pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat.

108 () Conseil constitutionnel, décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, considérant n° 18.

109 () Rappelons que, pour leur dépôt en commission comme en séance publique, les amendements du Gouvernement et de la commission saisie au fond ne sont soumis à aucun délai de dépôt, tandis que les amendements des députés doivent avoir été déposés (sauf décision contraire du président de la commission ou de la Conférence des présidents) au plus tard à 17 heures le troisième jour ouvrable précédant la date de début de la discussion du texte en commission ou en séance publique (articles 86 et 99 du Règlement de l’Assemblée nationale).

110 () En application de l’article 146-2 du Règlement de l’Assemblée nationale, le CEC est composé de :

- 19 membres de droit (Président de l’Assemblée nationale, qui le préside ; présidents des groupes, présidents des commissions permanentes ; rapporteur général de la commission des Finances ; président de la commission des Affaires européennes ; premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; présidente de la Délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes) ;

- 16 membres désignés par leur groupe.

111 () Voir le compte-rendu intégral de la séance unique du vendredi 14 décembre 2012, qui est consultable au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130099.asp

112 () Voir le compte-rendu intégrale de la première séance du jeudi 13 décembre 2012, qui est consultable au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130096.asp

113 () Voir le compte-rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 13 décembre 2012, qui est consultable au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130097.asp#INTER_5

114 () Article 8 de la loi du 14 août 2006 portant création du « NKR ».

115 () Rapport de la mission d’évaluation des conséquences de la dépénalisation du stationnement, 25 juillet 2013.

116 () Avis n° 1435 fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi n° 1395 de finances pour 2014, t. XII, Relations avec les collectivités territoriales, par le député Olivier Dussopt, p. 42.

117 () Audition de M. Jean-Luc Warsmann, député, ancien président de la commission des Lois, le 1er juillet 2014. Voir le compte rendu en annexe n° 16.

118 () Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 22 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

119 () Ce texte prévoit que « les règlements des assemblées peuvent déterminer les conditions dans lesquelles des amendements des membres du Parlement, à la demande de leur auteur, ou des amendements de la commission saisie au fond peuvent faire l’objet d'une évaluation préalable communiquée à l’assemblée avant leur discussion en séance ».

120 () Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, le 15 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

121 () Audition de M. Jean-Luc Warsmann, député, ancien président de la commission des Lois, le 1er juillet 2014. Voir le compte rendu en annexe n° 16.

122 () Audition de M. Alain Lambert, président du conseil national d’évaluation des normes (CCEN) et auteur, avec M Jean-Claude Boulard, du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), le 30 janvier 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

123 () Voir le graphique montrant l’évolution du nombre de procédures accélérées par session de la XIe à la XIVe législature, figurant en annexe n° 11.

124 () Conseil d’État, Rapport public 2011, p. 94.

125 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 42.

126 () Ibidem, p. 8.

127 () Il s’agit des décrets n° 2012-1056 du 18 septembre 2012 et n° 2012-1445 du 24 décembre 2012.

128 () Conseil d’État, Rapport public 2013, p. 178.

129 () Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le 30 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

130 () Idem.

131 () Audition de M. Alain Lambert, président du conseil national d’évaluation des normes (CCEN) et auteur, avec M Jean-Claude Boulard, du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (mars 2013), le 30 janvier 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

132 () La synthèse de ce rapport est consultable au lien suivant : http://www.juanico.fr/wp-content/uploads/2008/08/Projet-de-loi-de-r%C3%A9glement.pdf

133 () Voir le tableau de synthèse de ces scénarios de réforme, figurant en annexe n° 12.

134 () Audition de M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement, le 19 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

135 () Ce terme désigne les mesures législatives et réglementaires nationales qui, sous couvert d’être prises pour la transposition de directives européennes, vont au-delà des exigences de ces dernières. Cette pratique est connue en anglais sous le nom de « gold-plating ».

136 () Voir, en annexe n° 16, le compte-rendu de l’audition, le 1er juillet 2014, de notre collègue Jean-Luc Warsmann, qui s’est exprimé ainsi : « j’ai travaillé sur des lois de simplification et j’ai remarqué que, dans le domaine agricole, nous étions systématiquement en situation de surtransposition. Je pense, par exemple, aux seuils d’autorisation pour les poulaillers. Si ces seuils correspondent à l’intérêt général, pourquoi le Gouvernement n’intervient-il pas lui-même, au niveau européen, au moment de la négociation des directives plutôt que de nous amener à voter, au niveau français, dans tel ou tel sens ? Dans ce cas, nous nuisons à notre compétitivité sans, en plus, en être informés ».

137 () Yves Bertoncini, « L’UE et ses normes : prison des peuples ou cages à poules ? », Notre Europe, Institut Jacques Delors, Policy paper n° 112, 16 mai 2014, p. 1.

138 () Ibidem, p. 13. Voir le tableau n° 1 figurant en annexe n° 13.

139 () SGAE, Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes, p. 9.

140 () Ibidem, p. 11.

141 () Yves Bertoncini, « L’UE et ses normes : prison des peuples ou cages à poules ? », Notre Europe, Institut Jacques Delors, Policy paper n° 112, 16 mai 2014, p. 1. Voir le tableau n° 2 figurant en annexe n° 13.

142 () Ibidem, p. 1.

143 () Voir le tableau n° 3 figurant en annexe n° 13.

144 () Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

145 () Rapport n° 3787 fait au nom de la commissions de Lois sur la proposition de loi (n° 3706) relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, par le député Étienne Blanc, pp. 288 et s. 

146 () Ibidem, pp. 416 et s.

147 () Th. Dreier, professeur à l’Université de Karlsruhe, « La situation en Allemagne de la transposition de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information », Propriétés intellectuelles, avril 2005, n° 15, pp. 124 et s.

148 () C. Zolynski, Méthode de transposition des directives communautaires : étude à partir de l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins, 2007, éd. Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, pp. 328-340.

149 () Ibidem, p. 328.

150 () Ibidem, p. 331.

151 () Ibidem, p. 329.

152 () Ibidem, p. 330.

153 () Ibidem, p. 339.

154 () Sous la présente législature, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale fournit des contributions dans le cadre des consultations publiques de la Commission européenne. Les contributions prennent la forme d’un rapport d’information adopté par la Commission (ex : rapport d’information n° 1664 de M. Arnaud Leroy sur la consultation de la Commission européenne relative aux déchets marins, 18 décembre 2013).

155 () En France, la procédure d’examen de la conformité au principe de subsidiarité d’un projet de texte européen est fixée par l’article 88-6 de la Constitution. Cette disposition prévoit que l’Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité. L’avis est adressé par le président de l’assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le Gouvernement en est informé. Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l’Union européenne par le Gouvernement. À ces fins, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités d’initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée. À la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit.

156 () Le Conseil européen désigne le sommet des chefs d’État ou chefs de gouvernement des vingt-huit États membres de l’Union européenne, sous la tutelle d’un président chargé de faciliter l’apparition d'un compromis. Au moins deux Conseils européens se déroulent chaque année (juillet et décembre), à la fin de chaque présidence tournante du Conseil des ministres européens.

Le Conseil des ministres européens (ou Conseil de l’Union européenne) est l’organe institutionnel exécutif. Il décide des actes législatifs et budgétaires au sein de l’Union européenne. Il partage sa compétence avec le Parlement européen dans les domaines soumis à la codécision. Ceux qui y siègent sont les ministres des États membres de l’Union européenne en lien avec l’ordre du jour de chaque réunion (ministres des finances, ou ministres de la santé, etc.). Le Conseil de l’Union européenne élabore le projet de budget avec le Parlement et l’adopte avec l’accord de celui-ci, mais décide seul des recettes.

157 () Audition de M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement, le 19 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

158 () Voir les documents figurant en annexe n° 14.

159 () L’OCDE a en effet publié en 2004 un rapport sur la réforme de la réglementation en France, et, en 2010, un rapport sur le mieux légiférer en France, qui a été produit dans le cadre d’un vaste de travail d’analyse de la politique réglementaire adoptée dans 15 pays membres de l’Union européenne.

Ce dernier rapport est consultable au lien suivant : http://www.oecd.org/france/45249654.pdf

160 () Audition de représentants de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), le 17 avril 2014. Voir le compte-rendu figurant en annexe n° 16.

161 () Voir l’édition d’août-septembre 2014 au lien suivant : http://www.bmwi.de/BMWi/Redaktion/PDF/E/eu-mittelstandsmonitor-sortiert,property=pdf,bereich=bmwi2012,sprache=de,rwb=true.pdf

162 () Audition de M. Jean-Luc Warsmann, député, ancien président de la commission des Lois, le 1er juillet 2014. Voir le compte rendu en annexe n° 16.

163 () Audition de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, auprès du Premier ministre, le 9 juillet 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

164 () Audition de M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le 5 juin 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

165 () Il s’agit des lois n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, et n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

166 () Loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005.

167 () Loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche ; loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

168 () Rapport d’information n° 1728 sur l’évaluation de l’adéquation entre l’offre et les besoins de formation professionnelle, déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et présenté par les députés Jeanine Dubié et Pierre Morange.

169 () Rapport d’information n° 1951 sur l’évaluation du paquet « énergie-climat » de 2008 en France, déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et présenté par les députés Jean-Jacques Guillet et François de Rugy.

170 () Ce site est consultable au lien suivant : http://www.comitesuivilegislatif.be/indexF.html.

Ce système des « requêtes » a fait suite à des initiatives populaires comme le « G 1000 », groupe de mille citoyens ayant pris l’initiative de délibérer sur les difficultés pratiques rencontrées dans le cadre de l’application des normes (voir http://www.g1000.org/fr/manifeste.php).

Peuvent introduire une requête : les personnes physiques, les personnes morales de droit privé ou public, les services administratifs chargés de l’application d’une loi et les autorités publiques chargées de contrôler l’application d’une loi. Jusqu’au début de l’année, le comité parlementaire chargé du suivi législatif n’a été saisi que d’environ 80 requêtes, toutes déposées par des personnes physiques.

Pour être recevable, la requête doit porter sur une loi en vigueur depuis au moins trois ans et être assortie d’un résumé du point de vue de l’administration de la loi en cause – administration qui devra donc avoir été préalablement interrogée sur les difficultés d’application, les lacunes, incohérences, erreurs, contradictions, obsolescences ou ambiguïtés dénoncées.

171 () Voir le Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 9 : « Il a également préconisé une meilleure coordination de l’Assemblée et du Sénat sur le contrôle de l’application des lois et l’évaluation des politiques publiques - notamment avec le comité d’évaluation des politiques publiques de l’Assemblée- pour éviter les doublons, mieux répartir le travail de contrôle et favoriser le partage d’expérience ».

172 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014.

173 () Ibidem, p. 27.

174 () Ibidem, p. 8.

175 () Voir le graphique figurant en annexe n° 15.

176 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 36.

177 () Ibidem, p. 38.

178 () Audition de M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement, le 19 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

179 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 8.

180 () Idem.

181 () Voir le compte-rendu de la séance de la commission au lien suivant :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20140616/applois.html

182 () Conseil d’État, 9 juillet 2014, requête n° 345253.

183 () Idem.

184 () Idem.

185 () Conseil d’État, 23 novembre 2011, requête n° 341258. Voir également le commentaire qui en est fait par le professeur Pierre Brunet à l’Actualité juridique du droit administratif (AJDA), 2012, n° 14. Voir aussi les conclusions de M. Jean Massot sur l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État du 2 février 1987, « Joxe et Bollon » (Revue française de droit administratif – RFDA, 1987, p. 176 : « représentant de la nation tout entière, [le parlementaire] fait partie d’un cercle d’intérêt trop vaste pour que son action ne se confonde pas avec l’action populaire ») et celles de M. Didier Casas sur l’arrêt du Conseil d’État du 29 octobre 2004, « Sueur et autres » (RFDA, 2004, p. 1103).

186 () Éric Sagalovitsch, « Pour la reconnaissance d’un intérêt à agir du Parlement devant le Conseil d’État », AJDA, 2008, p. 321.

187 () Élise Carpentier, « L’intérêt à agir du Parlement et des parlementaires devant le Conseil d’État », AJDA, 2008, p. 777.

188 () Audition de M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le 5 juin 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

189 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 47.

190 () M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, a relevé que, sur les 30 lois qui ont été promulguées entre le 1er octobre 2012 et le 30 septembre 2013 et qui nécessitaient la publication de mesures réglementaires d’application, les commissions permanentes du Sénat n’avaient comptabilisé, au 9 avril 2014, que deux rapports transmis par le Gouvernement dans le délai de six mois requis par l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004. Sur les 14 rapports déposés durant cette période au titre de l’article 67, les délais de transmission se sont échelonnés entre 7 et 15 mois après la promulgation de la loi.

191 () Rapport d’information n° 623 (session 2013-2014) sur l’application des lois – session parlementaire 2012-2013, fait, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par le sénateur David Assouline, 17 juin 2014, p. 51.

192 () Ibidem, p. 9.

193 () Audition de M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement, et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement, le 19 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

194 () Audition de M. Rémi Bouchez, ancien commissaire à la simplification, le 20 février 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

195 () Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, le 15 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

196 () Audition de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes, le 10 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

197 () Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, le 15 mai 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

198 () Audition de M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le 5 juin 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

199 () Idem.

200 () Audition de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes, le 10 avril 2014. Voir le compte-rendu en annexe n° 16.

201 () – Membres présents lors de la réunion du 7 octobre 2014 : M. Daniel Fasquelle, M. Philippe Gosselin, M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Cécile Untermaier.

– Membres excusés lors de la réunion du 7 octobre 2014 : M. François de Rugy, M. Michel Zumkeller.

202 () A ce jour, j’ai organisé 11 ALC sur, chronologiquement, le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (le 13 juillet 2012), le projet de loi portant création d’emplois d’avenir (le 7 septembre 2012), les lois relatives à la tarification progressive de l’énergie et à la mobilisation du foncier public en faveur du logement (le 27 septembre 2012), le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) et le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (le 4 octobre 2012), le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (le 16 novembre 2012). Un Atelier a été consacré au devenir de notre démocratie (le 14 mars 2013), d’autres au travail dominical (le 17 mai 2013), au débat sur la fin de vie (le 8 juillet 2013), au projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes (le 15 novembre 2013), à la mission d’information parlementaire sur l’insécurité sur tout le territoire (le 13 décembre 2013), au projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire (le 13 janvier 2014), au projet de loi de transposition de la directive européenne relative au droit à l’information dans le cadre d’une procédure pénale (le 10 avril 2014), le dernier Atelier ayant été dédié au projet de loi relatif à l’adaptation de la société à son vieillissement (le 10 juillet 2014).

203 () Par exemple Benoît Hamon pour l’Atelier législatif citoyen sur l’économie sociale et solidaire. Nous avons également eu le plaisir d’accueillir Daniel Vaillant lors de l’atelier consacré à la sécurité sur l’ensemble du territoire.

204 () Dont certains ont d’ailleurs aboutis. Ainsi par exemple un amendement au projet de loi sur l’économie sociale et solidaire et qui portait sur la validation des acquis de l’expérience pour les bénévoles associatifs.

205 () Par exemple une proposition de loi relative au travail dominical que j’ai déposée en octobre 2013 auprès du Groupe.

206 () http://Atelier-legislatif-citoyen-4.fr/

207 () Article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

208 () Les avis rendus par le Conseil d’État sur un projet de loi ne figurent pas dans les documents rendant compte de l’étude d’impact, en application du premier alinéa de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

209 () Entre en vigueur à compter de la première réunion de l’assemblée de Guyane suivant sa première élection, prévue en mars 2015 (article 21 de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 modifiée).

210 () Entre en vigueur à compter de la première réunion de l’assemblée de Martinique suivant sa première élection, prévue en mars 2015 (article 21 de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 modifiée).


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