Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 47ème jour de séance, 121ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 16 DÉCEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    FISCALITÉ DE L'EAU 1

    AGRICULTURE DE MONTAGNE 2

    CNRS 2

    RETRAITES 3

    RELÈVEMENT DES MINIMA SOCIAUX DANS LES DOM 3

    POLITIQUE DE LA VILLE 4

    IEDOM 5

    COLLÈGES 5

    AÉROPORT D'ORLY 6

    RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN 6

    AVENIR DE LA PRODUCTION NATIONALE D'ALLUMETTES 7

    ACCÈS AUX SOINS 7

CAISSES D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE (procédure d'examen simplifiée) 9

    ARTICLE UNIQUE 14

    APRÈS L'ARTICLE UNIQUE 15

LOI DE FINANCES POUR 1999 (nouvelle lecture) 15

La séance est ouverte à quinze heures.


QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

FISCALITÉ DE L'EAU

M. Robert Galley - En mars 1998, une conférence internationale a montré l'efficacité du système français de gestion de l'eau, et le projet de directive européenne s'en inspire. Or Mme la ministre de l'environnement a proposé le 22 juillet de fiscaliser les redevances perçues par les agences de l'eau, provoquant une indignation générale : la taxe générale sur les activités polluantes est rejetée par les collectivités locales et les associations d'usagers. Vendredi dernier, à Orléans, la ministre a annoncé que le système du financement actuel serait maintenu, mais que la taxe générale -"impôt écologique"- serait versée à un compte spécial du Trésor. Alors, pouvez-vous me dire clairement, Madame la ministre, si le système actuel de financement des agences de l'eau sera préservé, et me confirmer que l'impôt écologique projeté n'alourdira ni la facture des particuliers ni la pression fiscale sur les agriculteurs, les industriels et les usagers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Le 20 mai dernier, j'ai présenté au conseil des ministres les grandes lignes d'une réforme de l'eau, en commençant par réaffirmer mon attachement au système des agences de l'eau, avec gestion par bassins versants, programme pluriannuel de travaux, et concertation permanente avec les usagers. La mise en place d'une TGAP correspond à la volonté de mieux appliquer le principe pollueur-payeur, en empêchant le pollueur de revendiquer un "retour" à hauteur de sa contribution et en le dissuadant de faire preuve d'une indifférence délétère face à la ressource en eau. La TGAP, première étape d'une fiscalité écologique, servira à financer notamment des travaux d'intérêt collectif, une meilleure connaissance de la ressource, la police de l'eau -et, le cas échéant, à diminuer la fiscalité pesant sur le travail ou certains prélèvements dont le caractère antisocial est manifeste. Il y aura donc à la fois une redevance, dans un cadre fixé tous les cinq ans par le Parlement, et une fiscalité écologique qui n'amputera pas les moyens d'intervention des agences (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

AGRICULTURE DE MONTAGNE

M. Patrick Ollier - Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs des Alpes bloquent les routes pour rappeler la nécessité d'aides spécifiques. En effet, il faudrait 50 millions de francs pour l'aide aux bâtiments d'élevage si l'on veut éliminer les files d'attente. Il faudrait majorer tout de suite de 5 % l'indemnité compensatrice de handicap naturel pour les produits laitiers -et comme vous arrivez de Bruxelles, vous nous apporterez peut-être de bonnes nouvelles quant au relèvement du plafond, qui devrait être porté de 180 à 250 euros. Enfin, il faudrait rétablir une ligne spécifique pour le matériel agricole. Comme mon collègue Michel Bouvard, président du groupe des élus de montagne, je souhaite qu'un groupe de travail spécifique réfléchisse aux problèmes que posera la réforme de la PAC et des fonds structurels.

Pourriez-vous rassurer les agriculteurs de montagne, Monsieur le ministre, vous qui apercevez, depuis les fenêtres de votre permanence, les cimes enneigées du Pic du Midi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Je suis en effet, comme élu de la montagne, particulièrement sensible à certaines questions, mais c'est le ministre qui va vous répondre. C'est vrai, les agriculteurs de montagne sont inquiets, moins d'ailleurs vis-à-vis du Gouvernement que vis-à-vis de la Commission de Bruxelles et des réformes de la PAC. J'ai rencontré tout récemment les agriculteurs savoyards.

L'aide aux bâtiments d'élevage sera abondée par redéploiement, en vue d'éviter toute file d'attente en 1999. De même, un effort sera fait pour l'aide à la mécanisation spécifique. S'agissant de l'ICHN, un retard de 18 % a été pris en ce qui concerne les vaches laitières : j'ai déjà obtenu 5 % et j'ai demandé au commissaire Fischler de procéder à un rattrapage rapide du reste. Quant au groupe de travail, il a déjà été mis en place, et va se mettre au travail.

L'avenir de l'agriculture de montagne tient surtout à la PAC -et notamment à l'inclusion dans celle-ci de la ligne de développement rural, mais aussi à la loi d'orientation agricole en cours d'examen, qui reconnaît le rôle social et territorial de l'agriculture de montagne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

CNRS

M. Pierre Lasbordes - La réunion extraordinaire du comité central de la recherche scientifique a rassemblé lundi quelque 800 chercheurs. Les objectifs annoncés par le Gouvernement -meilleure ouverture sur le monde de l'entreprise, sur l'enseignement et sur l'étranger- ne sont pas contestés par les chercheurs, non plus que la volonté du pouvoir politique de contribuer à définir les axes de la recherche et de veiller à ce qu'elle réponde à la demande sociale. Mais la méthode employée, qui ôte, par décret, aux organismes de recherche, la majeure partie de leur autonomie en matière de politique scientifique, et leur retire leur mission d'évaluation et de prospective, ne peut être acceptée.

L'absence de concertation voue à l'échec toute tentative de réforme. Envisagez-vous, Monsieur le ministre, de satisfaire le voeu des chercheurs qui souhaitent un débat parlementaire en vue d'une loi-cadre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Cette question va me permettre de clarifier les choses. Je n'envisage pas de changer quoi que ce soit à la capacité d'évaluation et au fonctionnement du comité national du CNRS. Mais je souhaite veiller -comme mes prédécesseurs ont déjà cherché à le faire-, à ce que le transfert des connaissances se fassent mieux en direction de l'industrie et de l'enseignement et que les jeunes soient autonomes et responsables. Rappelez-vous que cet organisme a été très actif en 1968, mais n'a pas changé une virgule à ses statuts ou à son comportement ; qu'il a été très actif lors du colloque Chevènement, mais n'a rien changé non plus, et pas davantage après le colloque Fillon. Je ne voudrais pas que les révolutionnaires du statu quo l'emportent une fois de plus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

RETRAITES

M. Nicolas Forissier - Depuis quelques mois, le Gouvernement nous a gratifiés d'une série de rapports sur les retraites : trois rapports du conseil d'analyse économique et un du commissariat général du plan, lequel confirme, chiffres à l'appui, que nos régimes de retraite sont menacés de faillite à court terme. La charge que l'Etat supporte au titre des régimes de retraite des fonctionnaires passera ainsi de 172 milliards en 1998 à 325 milliards en 2020. Les régimes spéciaux et les régimes de retraite des cadres sont également menacés. En 2015, 102 milliards supplémentaires seront nécessaires pour maintenir à flot notre système de retraite.

Cela dit, la prise de conscience du Gouvernement et de la majorité est un peu tardive. Elle traduit même une certaine irresponsabilité puisque la gauche a nié pendant des années l'existence de tout problème et bloqué toute adaptation des régimes de retraite. Ainsi avez-vous repoussé la réforme du régime général proposée par M. Balladur en 1993, puis refusé l'évolution des régimes spéciaux suggérée par M. Juppé, en jetant même de l'huile sur le feu. Vous avez refusé pendant trop longtemps d'instituer un complément de retraite par capitalisation, même si vous masquez aujourd'hui votre retournement par des mots.

Bref, vous avez joué aux pompiers pyromanes et vous êtes maintenant acculés à des décisions difficiles.

D'autre part, la méthode suivie par le Gouvernement semble peu respectueuse des droits du Parlement puisque c'est une fois achevée la discussion sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale que nous avons appris, par la presse, que les menaces qui pèsent sur nos régimes de retraite sont plus graves que nous ne le pensions, à en juger par les conclusions du rapport Charpin.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre et selon quel calendrier, pour sauver nos régimes de retraite ? Comment espère-t-il éviter la paupérisation d'un nombre croissant de retraités, qui subissent des prélèvements en hausse sans profiter du retour de la croissance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation - En effet, notre système de retraite sera confronté à un choc démographique de 2005 à 2040 et devra être adapté pour préserver l'égalité entre les générations.

C'est pourquoi le Gouvernement a confié une mission d'analyse au commissariat général du plan, en y associant les syndicats représentatifs des salariés, les gestionnaires des régimes de retraite et des représentants de retraités.

Les propositions faites à la suite de ces travaux, qui ont lieu dans la plus grande transparence, comme en témoigne la relation qu'en a faite la presse, reposent sur différentes hypothèses, notamment quant à l'évolution du chômage. Parmi ces hypothèses, certaines aboutissent à la nécessité pour l'Etat d'augmenter notablement sa contribution à l'équilibre des régimes de retraite des fonctionnaires à partir de 2015. Mais, je le répète, ce ne sont là que des hypothèses de travail.

Nous disposerons du rapport définitif du commissariat général du plan à la fin du premier trimestre de 1999 et j'espère que ses conclusions seront aussi largement partagées que possible. C'est sur ces bases que le Gouvernement ouvrira le dialogue avec les partenaires sociaux.

J'observe que ceux qui nous pressent aujourd'hui sont les mêmes qui, en 1991, négligeant tout souci pédagogique, ont voulu forcer le cours des réformes sans obtenir de résultat. Sur le principe, on ne réformera pas les régimes de retraite contre les fonctionnaires (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

RELÈVEMENT DES MINIMA SOCIAUX DANS LES DOM

Mme Huguette Bello - Le Premier ministre a annoncé hier matin une augmentation de 3 % des minima sociaux en faveur des allocataires du RMI et des chômeurs de longue durée en fin de droit avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 1998.

Qu'en sera-t-il dans les DOM où le taux de RMI est inférieur de 20 % à celui appliqué sur le reste du territoire national, la différence étant affectée à la créance de proratisation, qui sert à financer le logement social ?

L'augmentation annoncée sera-t-elle bien versée dans les DOM dans les délais et au taux annoncés par le Premier ministre ? Sera-t-elle appliquée en valeur absolue et non en pourcentage ?

Tournant résolument le dos à des pratiques systématiques d'ostracisme et de discrimination à l'égard des populations des DOM, nous souhaitons que cette mesure soit conforme à l'engagement qu'avait pris François Mitterrand de réaliser l'égalité sociale dans ces départements (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Il n'est question ni d'ostracisme, ni de distribution inégalitaire. L'augmentation des minima sociaux -RMI, ASS- sera de 3 % avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 1998. Comme dans le reste du territoire, elle sera versée dans les DOM avant la fin du mois de décembre. Elle s'appliquera aussi bien aux 80 % du RMI qui sont directement versés aux allocataires qu'aux 20 % qui alimentent la créance de proratisation, destinée à faciliter l'insertion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

POLITIQUE DE LA VILLE

M. Pierre Cohen - La mort du jeune Habib à Toulouse a réveillé la colère. Rien ne justifie une telle violence ; rien ne justifie la mort d'un jeune, fût-il en train de voler une voiture. Il faut que justice soit faite et je ne doute pas qu'il en sera ainsi.

Cela dit, au cours des événements, une majorité de jeunes a traduit sa colère car elle a le sentiment d'être victime du chômage et exclue de la cité, cependant qu'une minorité agissante cherche à faire de certains quartiers une zone de non-droit.

C'est à ceux-ci qu'il faut opposer une volonté politique de rétablir des lieux où la sécurité se conjugue avec une présence accrue de services publics, une augmentation des moyens des travailleurs sociaux et le renforcement des liens sociaux.

Le 2 décembre, Monsieur le ministre, vous avez annoncé au comité interministériel de la ville les mesures que vous envisagiez de prendre pour atteindre vos objectifs. Comment comptez-vous faire des habitants les acteurs de la politique de la ville ? De quels moyens disposez-vous pour appliquer vos propositions ?

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville - La mort d'un jeune homme est un drame pour nous tous. La loi de la République s'applique à tous et il n'est pas supportable qu'un adolescent soit tué pour un vol de voiture.

M. Robert Pandraud - Personne ne l'obligeait à voler une voiture !

M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville - Nul n'a jamais souhaité appliquer la peine de mort pour un vol de voiture, Monsieur Pandraud ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Cela dit, cet événement nous rappelle la situation préoccupante de nombreux quartiers populaires habités par la partie la plus fragile de la population. Une partie des jeunes est totalement désespérée (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Certains d'entre eux s'enfoncent dans une délinquance violente que nous devons résolument combattre. Ce n'est pas chose facile et la police comme les enseignants mesurent quotidiennement la difficulté de cette mission (Nouvelles interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le nécessaire retour à l'ordre ne doit pas consister à poser un couvercle sur la marmite. Il faut donner à chacun la possibilité de jouer la partie, montrer à tous les habitants que la République ne les abandonne pas.

C'est pourquoi le Premier ministre a décidé de relancer vigoureusement la politique de la ville. Il s'agit, d'abord, d'appliquer dès 1999 le budget important que vous avez voté. Ensuite, il faut que tous les acteurs -Etat, collectivités locales, associations, entreprises- interviennent de manière cohérente. Enfin, il faut agir à court terme -en particulier montrer aux jeunes que le dynamisme de la loi sur les emplois-jeunes s'applique à tous- mais aussi à long terme pour faire reconnaître les inégalités qui existent dans certains quartiers ou dans certaines villes (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), quels que soient les cris poussés par un certain nombre d'élus irresponsables ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) La situation dans certains quartiers, l'opposition entre jeunes et adultes, le racisme rampant sont des défis à relever, faute de quoi ils empoisonneront notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

IEDOM

M. Léo Andy - La mise en place de l'euro en janvier prochain et l'entrée en vigueur du système européen de banque centrale conduisent à la disparition de l'IEDOM en tant qu'instrument de réescompte. Les difficultés des entreprises domiennes s'en trouveront aggravées, en l'absence d'un dispositif alternatif de prêts bonifiés.

Hier, vous avez indiqué que l'IEDOM bénéficiera des refinancements du SEBC, et donc des taux faibles existant actuellement. Or nous n'avons aucune certitude sur la pérennité de ces taux. De plus, il serait question de transformer l'IEDOM en une société de droit privé filiale de la Banque de France, ce qui précariserait le statut de son personnel et soulève donc sa légitime inquiétude. Cette réforme introduirait une discrimination entre les DOM et la métropole, puisque les fonctions de l'IEDOM deviendraient identiques à celles de toutes les succursales de la Banque de France. Rassurez, je vous prie, les acteurs économiques de l'outre-mer, ainsi que les agents de cet institut, qui demandent l'intégration pure et simple de l'IEDOM à la Banque de France (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La mise en place de l'euro conduira à changer le statut de l'IEDOM, que le système européen de banque centrale ne connaît pas. Aussi a-t-il été décidé de faire de l'IEDOM une filiale de la Banque de France.

La banque centrale n'a pas retenu parmi ses outils les réescomptes à taux privilégié. Aussi des instruments de compensation sont-ils à l'étude. Les taux de refinancement, pour le moment, sont faibles, mais il faut être prévoyant. Nous travaillons donc avec les élus et les investisseurs outre-mer pour trouver une solution.

Quant au statut, l'IEDOM conserve des missions différentes de celles de la Banque de France, ce qui justifie un traitement spécifique sous la forme d'une filiale. L'emploi n'en souffrira pas. Je recevrai demain l'intersyndicale pour en parler. Les agents des autres filiales de la Banque de France ont un statut qui leur convient parfaitement. Il devrait en être de même pour l'IEDOM.

Vous le voyez, l'essentiel consiste en une adaptation juridique. Je ferai état de vos préoccupations en rencontrant les organisations syndicales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

COLLÈGES

M. Jean-Pierre Baeumler - Madame la ministre déléguée, le grand débat sur le collège que vous venez d'annoncer était attendu, tant les collèges jouent un rôle clé dans notre système éducatif. Or le collège unique est réputé "maillon faible du système scolaire". De fait, il laisse au bord du chemin de 10 à 15 % des élèves, qui quittent prématurément et sans qualification le système éducatif. Ces échecs traduisent notamment la prise en compte insuffisante de la diversité des motivations et des aptitudes des élèves. Ils expliquent aussi le découragement qui gagne certaines équipes enseignantes.

Ce débat sur l'avenir des collèges devrait mobiliser tous les partenaires, et prendre en compte leurs attentes. Il devra aboutir rapidement à des décisions concrètes. Comptez-vous associer la représentation nationale à cette réflexion ? Vous avez annoncé la création de groupes de travail départementaux sur les petits collèges ruraux. Qu'en attendez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire - L'avenir du collège intéresse toute la société, et donc la représentation nationale. Il est devenu beaucoup plus difficile aujourd'hui d'élever les adolescents. C'est au collège que se noue l'avenir du lien social, puisque tous les enfants y sont accueillis. C'est au collège que les enseignants sont les plus durement confrontés à la montée de l'agressivité et de la violence.

Aussi, tous les partenaires du collège se sont-ils réunis en début de semaine pour travailler ensemble de façon concrète à l'identification et à la solution de ces problèmes. Ce travail s'appuie sur un bilan des mesures prises dans les années précédentes. Il débouchera sur des dispositions applicables aux deux prochaines rentrées. Des groupes de travail départementaux sur les collèges ruraux seront mis en place, en liaison avec les conseils généraux et les préfets, pour définir un schéma maîtrisé des collèges ruraux, en particulier grâce à la reconstruction des internats, qui pourront accueillir des classes transplantées et des élèves issus des quartiers urbains (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

AÉROPORT D'ORLY

M. Jean-Jacques Filleul - Depuis un an, l'avenir de la plate-forme aéroportuaire d'Orly est en débat. Vous avez activement contribué à la concertation. La table ronde de ce lundi en représente une étape importante. Quelles y ont été vos propositions, et quel est le calendrier des négociations ? Vous savez combien nous sommes attachés au développement de l'aéroport d'Orly (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - La zone d'Orly était entrée en déclin depuis quelques années.

Quatre mille emplois ont ainsi disparu entre 1990 et 1997, des compagnies aériennes sont parties, le produit de la taxe professionnelle a diminué, les liaisons avec Roissy et Paris sont mauvaises. Or de nombreuses villes françaises et européennes souhaitent être reliées à Orly. 50 000 demandes de créneaux sont en attente.

Le Gouvernement est décidé à bâtir une nouvelle stratégie pour la zone d'Orly, en synergie avec Roissy. La concertation se développe. A la table ronde de lundi dernier, 19 propositions ont été présentées, parmi lesquelles la défense de l'emploi public, la création d'une agence de développement économique, la réalisation d'un tramway entre Villejuif et Vélizy... Au cours de la table ronde, le président Spinetta a fait connaître sa volonté d'investir pour favoriser la maintenance industrielle sur le site d'Orly. Il s'agit là d'un fait nouveau. Un syndicaliste a demandé une étude d'impact pour mesurer les conséquences de toutes les propositions ainsi formulées. J'ai accepté cette demande.

Ainsi la concertation va se poursuivre, de telle sorte que nous puissions présenter en février ou mars les décisions opportunes. Qu'il s'agisse de l'objectif, qui est le développement, du contenu, à savoir ne pas en rester à la vision d'un aéroport de seconde zone, ou de la méthode, c'est-à-dire la concertation, les décisions du Gouvernement serviront l'emploi et le progrès dans le transport aérien (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN

M. François Rochebloine - Le 7 décembre 1988, un terrible séisme frappait l'Arménie tuant des dizaines de milliers de personnes et faisant des dégâts importants en particulier dans la ville de Leninakan, aujourd'hui Gumri.

La France a été l'un des premiers pays à apporter de l'aide tandis que, partout dans le monde, la diaspora arménienne se mobilisait.

Aujourd'hui, si beaucoup reste à faire, la France peut être fière de ses efforts et en particulier de la construction de l'école française de Gumri qui accueille 1 500 élèves. En outre, notre pays a été l'un des premiers à reconnaître l'indépendance de l'Arménie après les élections de septembre 1991.

Le 29 mai dernier, l'Assemblée adoptait à l'unanimité une proposition de loi déposée par Didier Migaud et le groupe socialiste et reconnaissait le génocide de 1916. Quand le Gouvernement va-t-il inscrire cette proposition à l'ordre du jour du Sénat ? (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Lorsque cette proposition de loi a été adoptée, M. Masseret a dit combien le Gouvernement était sensible au souvenir des déportations et des massacres commis en 1915 et en 1916. Il a rendu hommage aux victimes, dont les nombreuses personnes d'origine arménienne vivant sur notre sol se rappellent vivement.

Le Gouvernement a pris acte de l'intention politique de l'Assemblée. La France veut aider à garantir la stabilité de cette région du Caucase grâce à la réconciliation entre les peuples. Elle joue d'ailleurs un rôle important dans les règlements des crises affectant cette zone puisqu'elle assure, conjointement avec les Etats-Unis et la Russie, la présidence du groupe de Minsk. Le Gouvernement entend persévérer dans cet effort.

Le texte adopté par l'Assemblée a été transmis au Sénat qui peut, conformément à l'article 48, 3ème alinéa, de notre Constitution et à l'article 29, 3ème alinéa, de son Règlement, l'inscrire à son ordre du jour complémentaire.

Je sais, Monsieur Rochebloine, vous qui avez présidé sous la précédente législature le groupe d'amitié France-Arménie aujourd'hui présidé par Jean-Paul Bret, votre attachement à la cause arménienne.

Le Sénat peut décider de reprendre ce texte. Je crois que la position de la Haute Assemblée n'est pas encore tranchée. La position du Gouvernement reste constante (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

AVENIR DE LA PRODUCTION NATIONALE D'ALLUMETTES

M. Patrice Carvalho - Les salariés de la Seita manifestaient il y a quelques jours. Depuis la privatisation du groupe en 1995, deux sites ont été fermés, à Châteauroux et à Périgueux, et, aujourd'hui la production nationale d'allumettes semble menacée.

La Seita est-elle déficitaire ? Bien au contraire, elle a réalisé un bénéfice de 1,2 milliard en 1997. Mais la logique de la privatisation est en oeuvre.

En ce qui concerne la production d'allumettes, la concurrence est vive et résulte principalement de l'activité d'une entreprise suédoise produisant en Europe de l'Est.

J'ai ici deux boîtes d'allumettes (M. Carvalho les brandit). L'une a été produite à Saintines et l'autre en République tchèque. Pourtant toutes deux portent la mention made in France. En effet, la Seita fait transiter les boîtes qu'elle produit en République tchèque, où la main-d'oeuvre est moins coûteuse, par Saintines afin d'obtenir ce label et de les réexporter en Italie et en Allemagne. Voilà, Monsieur le ministre, ce que donne une privatisation !

Si l'usine de Saintines est vendue, le marché national sera entièrement aux mains de la concurrence étrangère.

Il faudrait au contraire que la Seita utilise une partie de ses profits pour diversifier ses productions. Le marché des produits d'allumage s'étend. Il faut s'en saisir avant qu'il ne nous échappe.

Quelles dispositions comptez-vous prendre, Monsieur le ministre, pour que la France puisse faire face à ce type de logique dévastatrice ?

M. Jacques Myard - OMC !

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - La privatisation de la Seita a été décidée en 1995 et c'est à partir de cette date que l'on a rompu avec la tradition biséculaire de bonne insertion des manufactures de la Seita dans leur environnement local.

Il est important que la France dispose d'une entreprise performante dans le secteur du tabac où la concurrence internationale est particulièrement vive et alors que le marché français est particulièrement convoité.

C'est pourquoi le Gouvernement veille à ce que cette entreprise reste compétitive sur notre marché national et à l'exportation.

En ce qui concerne l'usine d'allumettes que vous avez évoquée, il se trouve que la concurrence du briquet... (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) fragilise beaucoup ses débouchés. Ceux, qui ont décidé la privatisation de 1995, devraient être moins sarcastiques sur une question qui provoque de véritables drames sociaux !

Le Gouvernement est très préoccupé par ces problèmes. En ce qui concerne le pays de Morlaix, une concertation a été engagée avec les élus et les syndicats. Une contre-expertise sera faite à la demande des syndicats. Nous lui attachons une grande importance.

Le comité interministériel d'aménagement du territoire réuni hier sous la présidence du Premier ministre a en outre décidé diverses mesures en faveur de ce bassin d'emploi particulièrement fragilisé.

Voilà comment le Gouvernement entend faire prévaloir une logique sociale et d'aménagement du territoire sur la logique marchande ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

ACCÈS AUX SOINS

Mme Jacqueline Fraysse - Madame le ministre de la solidarité, Monsieur le secrétaire d'Etat à la santé, comme beaucoup de mes collègues, j'ai été alertée sur les difficultés d'accès aux soins rencontrés par de nombreux usagers en cette fin d'année.

Il y a bien sûr des mouvements sociaux dans certains hôpitaux, tels celui de Nanterre et celui de Montluçon, où la grève dure depuis 70 jours.

Plus généralement, l'accès aux soins est difficile car faute de crédits, des examens ou des interventions sont retardés dans de nombreux établissements afin de pouvoir être pris en charge sur le budget de 1999.

De même, les quotas ayant été atteints, des patients ne seraient accueillis dans le secteur libéral qu'en cas d'urgence.

M. Alfred Recours - Il est scandaleux de dire cela !

Mme Jacqueline Fraysse - Les enveloppes fixées s'avérant insuffisantes, les médecins doivent reporter les soins s'ils ne veulent pas dépasser les objectifs de dépenses. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, et ces exemples le confirment, les moyens dégagés sont insuffisants pour couvrir les besoins. On ne peut pas utiliser des systèmes de quotas dans le secteur de la santé ! Il est donc impératif de trouver des sources de financement nouvelles pour l'assurance maladie. Les richesses nécessaires existent !

Tel sera l'objet du débat prévu pour le prochain semestre dont tout confirme l'urgence et auquel nous participerons de manière constructive. Mais, dès aujourd'hui, quelles mesures entend prendre le Gouvernement afin qu'aucun examen, ni aucun soin, ne soit repoussé à plus tard faute de moyens (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Aucun soin, aucune consultation, aucune prise en charge de malade n'est aujourd'hui impossible faute de moyens. Je m'étonne de vous voir vous faire l'écho de ce qui est -mais un syndicat peut agir ainsi- un chantage et une prise en otage des malades ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives protestations sur les bancs du groupe communiste, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Ni à l'hôpital, ni dans la médecine de ville, il n'existe de quota comme vous, qui êtes médecin, le savez bien (Protestations sur les bancs du groupe communiste). Il n'y a aucun quota à l'entrée à l'hôpital public en France ni aucun rationnement des soins, ni à l'hôpital, ni en ville, Madame la députée.

Ceux qui s'en plaignent sont ceux qui l'organisent à leur propre fin. Cela me paraît médicalement et moralement discutable !

M. Alfred Recours - Absolument !

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Nous avons demandé l'avis du conseil de l'ordre sur cette question. La clause de sauvegarde n'est en rien un rationnement des soins. Vous le savez, seules deux possibilités nous étaient offertes. Soit nous acceptions d'augmenter indéfiniment les cotisations et alors ce sont les malades qui paient (Vives protestations sur les bancs du groupe communiste). Vous savez bien qu'il en est ainsi. Soit nous demandions aux médecins de maîtriser les dépenses, c'est ce que nous avons fait. On peut aussi adopter une autre méthode et diminuer les remboursements aux patients. Nous avons choisi de ne pas le faire, avec votre soutien.

Si l'année prochaine, nous pouvons arriver à l'équilibre des comptes ("Avec des si !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR), tout sera possible en collaboration avec les médecins que nous invitons à revenir aux conventions nécessaires.

Dans les hôpitaux, il n'y a ni liste d'attente, ni quota, ni refus de prendre en charge les malades -le prétendre, c'est faire de la désinformation ! Il n'y a aucune mesure susceptible de contraindre les généralistes et les spécialistes à ne pas prendre en charge un malade... (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe communiste) lesquels sont tous remboursés. Que les braillards qui ont plus mal organisé la protection sociale s'en rappellent !

Je dénonce la triste mise en scène de certains, tel ce praticien marseillais qui prétendait sur les ondes ne recevoir une patiente que par pure générosité car son quota était atteint. C'est scandaleux ! On peut trouver injustes certaines mesures qui figurent dans la loi que vous avez votée...

Plusieurs députés UDF et DL - Pas nous !

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - ...mais on n'a pas le droit de faire pression sur les malades ! (Vives protestations sur les bancs du groupe communiste, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15, sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


DÉCLARATION D'URGENCE

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence du projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.

Acte est donné de cette communication.


CAISSES D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE (procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant prorogation des mandats des membres des conseils consultatifs et des conseils d'orientation et de surveillance des caisses d'épargne et de prévoyance.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ce texte étant examiné en procédure simplifiée, mon discours sera lui-même simplifié, d'autant que l'Assemblée est déjà très bien informée.

Ce projet est lié à la future réforme des caisses d'épargne, et se situe dans un contexte de modernisation de notre secteur financier. Nous rediscuterons de ce dernier sujet en janvier, à la demande de M. Brard, soit en commission des finances, soit en séance publique.

Aujourd'hui je rappellerai simplement que le paysage financier a beaucoup évolué depuis 18 mois : nous avons mis fin aux privatisations systématiques -je pense en particulier à la CNP, que le Gouvernement a conservée dans le secteur public-, préparé le passage à l'euro et mis en place des instruments de gestion favorisant l'investissement et l'innovation.

Le futur projet concernant les caisses d'épargne visera à donner une assise juridique nouvelle à ce réseau qui, aujourd'hui, n'a ni propriétaire, ni véritable statut. Il n'est pas question d'en faire une banque privée, mais de lui fournir les moyens de discuter d'égal à égal avec ses partenaires et de s'associer avec eux. Le Gouvernement a opté pour le statut coopératif, qui permettra aux caisses d'épargne de tisser les alliances nécessaires en France et à l'étranger. A cette occasion seront réaffirmées leurs missions d'intérêt général, qui n'ont d'ailleurs jamais été précisées par écrit. En outre, la réforme des caisses d'épargne permettra à ce réseau de devenir un véritable groupe au service de l'intérêt général.

Le texte présenté aujourd'hui vise simplement à prolonger la durée des COS, les conseils d'orientation et de surveillance qui sont les organes de direction des caisses. Vous aviez déjà, en novembre 1997, accepté une première prorogation des mandats des membres des COS. Mais l'adoption de la réforme a été ralentie par rapport au calendrier prévu : la mission confiée à notre excellent collègue Douyère a duré six mois, puis une large concertation a suivi et, enfin, l'agenda parlementaire chargé n'a pas permis de faire examiner le texte adopté par le conseil des ministres le 2 décembre dernier.

Il sera discuté par l'Assemblée en février et définitivement adopté vers l'été, ou, au plus tard, à la rentrée de l'automne 1999.

C'est pourquoi nous vous demandons cinq mois de prolongation des mandats. Ce n'est pas une manoeuvre dilatoire, puisque le texte de la réforme est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée. Simplement il nous semblerait déraisonnable de procéder à une campagne pour l'élection de nouveaux COS alors même que la réforme du statut des caisses se prépare (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Rodet, rapporteur de la commission des finances - Du fait même de sa brièveté, ce texte est susceptible d'interprétations diverses. Aussi convient-il d'en préciser le contour exact, pour éviter tout contresens, sur un sujet aussi sensible que l'avenir des caisses d'épargne.

Déjà, le DDOFF de 1997 avait prorogé les mandats des membres des conseils consultatifs et des conseils de surveillance des caisses d'épargne jusqu'au 1er mars 1999 dans la perspective d'une réforme du réseau dans le second semestre de l'année 1998. Or le Gouvernement a souhaité que l'élaboration du projet de loi soit précédée par de larges concertations. Notre collègue M. Douyère a été chargé d'une mission temporaire et a rendu le 8 avril 1998 un rapport d'orientation. Le calendrier initialement arrêté par la loi du 10 novembre 1997 est apparu ainsi beaucoup trop "serré" et le conseil des ministres, en adoptant le 2 décembre le projet de loi de réforme, a déposé également le présent projet de loi prorogeant à nouveau de cinq mois les conseils consultatifs et les conseils de surveillance.

Le texte définitif du projet de loi portant réforme du réseau ne pouvant être adopté avant la fin de la présente session, la date du 1er août 1999 a été choisie à la suite de discussions avec les responsables du réseau et en tenant compte des contraintes du calendrier parlementaire.

Ce délai paraît réaliste, d'autant plus que le Gouvernement vient de déclarer l'urgence sur le texte de la réforme. Une date plus lointaine risquerait de porter un grave préjudice au groupe des caisses d'épargne, qui a impérativement besoin d'un nouveau statut pour résister à la concurrence des autres établissements et engager sa modernisation, avec pour double objectif d'assurer la sécurité de l'épargne populaire et de contribuer activement au financement du logement social.

La méthode choisie s'inspire donc très largement des deux réformes précédentes, en 1983 et en 1991, qui, à l'issue d'une procédure concertée, ont permis au réseau de se structurer, de nouer des solidarités nouvelles et de maintenir ainsi son unité. Le présent projet de loi ne concerne ni les directoires des 34 caisses d'épargne, reconduits l'an dernier pour cinq ans, ni l'organe central, appelé centre national des caisses d'épargne et de prévoyance, le CENCEP, qui est constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt économique détenu à 65 % par le réseau et à 35 % par la Caisse des dépôts et compensations. Le mandat de ces instances ne dépend pas en effet du Parlement, mais du fonctionnement même du GIE.

Le présent projet introduit une disposition nouvelle par rapport à 1997 en stipulant que les dispositions relatives à la limite d'âge ne seront pas opposables aux administrateurs concernés. Les statuts types des caisses d'épargne annexés au décret du 23 octobre 1991 fixent cette limite à 68 ans pour les membres des COS. En revanche, il n'est prévu aucune limite pour les membres des conseils consultatifs. Le présent projet n'introduit toutefois, et à dessein, aucune dérogation à la loi du 1er juillet 1983, qui prévoit que la perte de la qualité au titre de laquelle ils ont été élus met fin aux mandats des administrateurs concernés.

La commission des finances s'est réunie à deux reprises et a décidé aujourd'hui même d'accepter un amendement de M. Brard, faisant passer le délai de prorogation de cinq mois à huit mois, c'est-à-dire fixant la date butoir non plus au 1er août 1999 mais au 1er novembre 1999. Dans un premier temps, M. Brard voulait même prolonger les mandats jusqu'à 2001, mais cet amendement n'a pas été accepté.

Votre commission vous propose donc de porter la date de prorogation au 1er novembre 1999 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Louis Idiart - Le sujet de ce projet de loi n'est ni neutre ni mince. En octobre 1997, la prorogation de ces mandats jusqu'au 1er mars 1999 avait un sens car elle avait une perspective, aujourd'hui elle a même un contenu.

Le rapport de Raymond Douyère sur l'avenir des caisses d'épargne a de nombreux mérites. Il a permis d'engager un large débat au sein de l'établissement. Tous les avis se sont exprimés. Le Gouvernement a présenté un projet de loi pour doter les caisses d'un statut coopératif.

Cette réforme a plusieurs objectifs. Il s'agit de renforcer les missions d'intérêt général des caisses. Le Gouvernement s'est ainsi engagé à refuser toute banalisation du livret A. Il est nécessaire d'assurer la pérennité des missions à l'égard de l'épargne populaire et du développement économique local. Le statut coopératif est conforme à cette vocation d'économie sociale.

Le monde bancaire se concentre au nom de la compétitivité dans une économie ouverte. Il est de notre devoir de tenir compte de ces réalités, tout en garantissant que les valeurs que défendent les caisses d'épargne ne soient pas reléguées au second plan.

Leurs missions sont fondamentales : proximité de la collecte de l'épargne et de l'investissement qui en découle, pérennité du financement du logement social et de l'économie locale.

Ce débat aura lieu prochainement dans notre assemblée. En attendant, la proposition du Gouvernement correspond à la voix de la sagesse. Un débat a eu lieu en commission sur la pertinence de la date limite retenue, le 1er août 1999. Est-ce suffisant ? Nous ne pouvons pas reporter indéfiniment la réforme. Mais nous devons aussi tenir compte des inquiétudes et des propositions venant des bancs de nos amis communistes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Christian Cabal - Il y a un excellent rapport, un excellent texte, mais y a-t-il un excellent ministre ? (Sourires) Vous prorogez, prorogez -et ce qu'il en reste, c'est l'incapacité du Gouvernement à mettre en oeuvre les réformes qu'il annonce, faute d'une perspective suffisante sur la difficulté de certaines réformes, ou pour cause de prévisions irréalistes quant à la croissance, ou par incapacité à tenir le calendrier parlementaire. Votre action est parfois précipitée -ainsi lorsque vous prélevez 5 milliards sur les fonds propres des caisses d'épargne dans le cadre du budget. Mais votre principal problème, et je vous plains, c'est la contradiction entre l'idéologie qui a inspiré vos promesses électorales et les réalités dont vous devez bien sûr tenir compte. Voilà la vraie raison du retard pris.

Or ces difficultés étaient prévisibles. Le 10 novembre 1997, lors du vote sur la prorogation des mandats des conseillers consultatifs et des COS, nous avions relevé que l'échéance du 1er mars 1999 ne serait sans doute pas suffisante. Vous nous avez répondu que la réforme des caisses d'épargne serait votée avant l'été 1998. C'était présomptueux ! Le 8 avril, est arrivé en effet l'excellent rapport de M. Douyère, qui a jeté la consternation parmi vos fidèles -et ce n'est que le 2 décembre qu'a été adopté en conseil des ministres le projet de réforme, à vrai dire une réformette bancale créant un statut dérogatoire et faisant l'union de tous pour la dénoncer. Vous avez donc compris que le calendrier ne pouvait être tenu, et vous nous proposez aujourd'hui de prolonger le délai jusqu'au 1er août 1999. Cela ne suffira sans doute pas, et de nombreux amendements visent à le prolonger davantage. Non que nous souhaitions repousser la réforme, mais il faut éviter la précipitation. Vous avez, lors du débat budgétaire, cru trouver l'échappatoire de l'annonce d'un débat -mais celui-ci ne saurait se réduire à un examen en commission. On veut nous refaire le coup du Pacs : de longues discussions à l'intérieur du PS ou de la gauche plurielle, et la représentation nationale mise devant le fait accompli... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Il faudrait conclure.

M. Christian Cabal - Il y en a assez de ces "missions" entre le Gouvernement et le parti socialiste. Nous voulons une vraie discussion en commission, avec des auditions...

M. le Rapporteur - Cette véhémence me rappelle Léon Daudet.

M. Christian Cabal - Je regrette qu'une telle discussion approfondie n'ait pas lieu.

M. Jean-Pierre Brard - Ce projet doit ouvrir la voie à une concertation étendue. M. Cabal a parlé des courants du parti socialiste -moi, je ne sais pas de quoi il s'agit (Sourires). La différence entre M. Cabal et nous, c'est que notre exigence est permanente, quels que soient les gouvernements. Et la différence entre le Premier ministre qui se tenait droit dans ses bottes et celui d'aujourd'hui, c'est que celui-ci a accepté certains de vos amendements, ce qui eut été miracle auparavant -cela soit dit sans offenser M. Douste-Blazy (Sourires).

Le débat n'a pas été demandé par M. Brard, mais par tout mon groupe, et vous vous étiez engagé à ce qu'il ait lieu en séance plénière, Monsieur le ministre : cela n'exclut pas un débat préalable en commission, mais ce qui est dit ici reste pour l'histoire, gravé dan le marbre du Journal officiel.

On ne peut examiner le présent texte sans avoir à l'esprit celui qui viendra ensuite. Nous aurons à débattre de l'avenir du secteur bancaire et financier, et nous attachons beaucoup d'importance aux caisses d'épargne, qui participent à l'aménagement du territoire, et ne sont pas seulement le banquier des personnes les plus modestes. Du statut coopératif, nous aurons l'occasion de reparler. Tradition de la gauche, sans doute, mais il peut y avoir des perversions. Ainsi, le Crédit agricole : sur combien d'agriculteurs ruinés a-t-il construit sa puissance ? Et n'a-t-il pas, tel Gargantua, englouti les caisses d'épargne italiennes ? Si c'est ce modèle-là qu'on nous propose, il y aura matière à discussion !

Dans l'immédiat, pour laisser du temps au débat de fond, nous proposerons de reporter l'échéance d'août à novembre -alors, en effet, nous serons en session, et pourrons voter un nouveau délai si cela se révèle nécessaire.

M. Aloyse Warhouver - Ce projet doit nous permettre de gagner du temps pour mieux préparer la réforme des caisses d'épargne. Je formulerai donc quelques observations préalables à ce débat de fond.

La prorogation des mandats des conseillers consultatifs et des COS nécessite quelques précisions. Le 22 octobre 1997, Monsieur le ministre, vous m'aviez indiqué que la première prorogation se faisait "en dehors" des conditions d'âge. Or les directoires ont estimé que vos précisions ne faisaient pas obstacle à l'application des règles statutaires des caisses, notamment relatives à la limite d'âge. D'autres ont introduit de nouvelles limites portant à 68 ans la démission d'office des conseils. D'où l'amendement que je défendrai imposant aux caisses d'épargne de modifier leurs statuts en fonction des dispositions législatives que nous allons prendre.

Je saisis cette occasion pour rappeler une revendication majeure que les associations de retraités ont exprimée lors d'une récente manifestation à Paris.

Les retraités estiment que l'interdiction qui leur est faite de siéger dans des organismes sociaux, des conseils d'administration ou de surveillance, relève d'une forme d'exclusion et de discrimination peu admissible et contraire au futur article premier de la réforme qui préconise l'application des principes de solidarité et la lutte contre les exclusions. Nous sommes interpellés, à chaque assemblée générale, sur ces limites d'âge que le Parlement ne s'applique pas. Admettre que les personnes âgées ont les facultés mentales nécessaires pour voter mais pas pour "être élues" est injurieux.

Dans les caisses d'épargne ou dans les organismes gérant la Sécurité sociale ou encore les caisses de retraite, la présence des personnes âgées, qui sont souvent les premières concernées, doit être un signe de démocratie bien comprise.

Il importera à l'avenir soit de réserver des sièges aux associations de retraités, soit de supprimer la limite d'âge ou, à défaut, de l'imposer à toutes les assemblées issues du suffrage universel.

S'agissant du projet de loi relatif à l'épargne, que nous pourrons améliorer d'ici au 1er août 1999, l'architecture retenue, c'est-à-dire le statut coopératif, me paraît bien adapté, même si la structure reste fortement pyramidale.

Mais c'est surtout l'esprit mutualiste que nous devrons y introduire si nous voulons redonner une morale à cette institution.

Je me permets d'ouvrir quelques pistes. L'épargne populaire ne peut pas être sous contrôle direct ou indirect de "hauts fonctionnaires" et il faudra dresser une liste d'incompatibilités. D'autre part, les écarts de salaires entre la moyenne des salariés et ceux des directoires ne peuvent rester aussi faramineux qu'ils le sont actuellement, soit de 1 à 10 ou même de 1 à 15. En période de partage du travail et de création d'emplois, mieux valent quinze emplois supplémentaires qu'un membre du directoire percevant la rémunération de quinze salariés.

Enfin, l'ancrage local des caisses d'épargne est battu en brèche puisque certains directoires se hâtent de fermer les caisses en milieu rural pour multiplier les guichets en ville, dont les sociétaires ne représentent guère "l'épargne populaire"...

Ma dernière observation concerne le transfert des compétences du CENCEP, notamment du contrôle exercé par les censeurs. Comment espérer que la caisse nationale exercera un contrôle "moral" sur les caisses régionales dont elle est l'émanation ?

Bref, oui à la compétition que vous souhaitez mais dans un cadre et avec un esprit qui ne soient pas uniquement ceux du "tout-financier".

M. Gilbert Gantier - Le présent projet tend à proroger de six mois, soit jusqu'au 1er août 1999, le mandat de l'équipe dirigeante des caisses d'épargne. Mais il ne peut se comprendre sans son autre volet, à savoir la loi sur l'épargne et la sécurité financière.

Le présent texte s'analyse, en fait, comme un report de la réforme des caisses d'épargne, après le climat troublé qu'a fait naître la ponction de 5 milliards sur les caisses d'épargne opérée par la loi de finances pour 1999. La contestation a même gagné les rangs de la majorité, à propos d'une disposition pour le moins discutable.

Mais cette prorogation des mandats que vous justifiez, Monsieur le ministre, par la volonté de faciliter la transition des caisses d'épargne vers leur statut futur, est tout de même responsable de la lenteur d'une réforme, pourtant urgente. En effet, ces caisses devront s'adapter à un environnement financier et bancaire plus concurrentiel qu'aujourd'hui. Pourquoi différer encore cette réforme ?

Le retard est aisément mesurable, puisque le texte qui nous sera soumis en mars prochain a déjà fait l'objet d'un rapport l'année dernière et d'un avant-projet durant l'été. Il est donc prêt, dans ses grandes lignes, depuis de nombreux mois : cette attente inexplicable résulte sans doute de mesures d'approche qui, d'emblée, annoncent un texte suspect.

Or, puisqu'il s'agit de l'avenir des caisses d'épargne dont les produits sont très populaires, ce texte aurait été tout à fait d'actualité au moment où le projet de loi de finances pour 1999 ponctionne 5 milliards sur ces établissements.

En effet, l'engouement des Français pour les produits d'épargne du type livret A a permis de gonfler les fonds propres des caisses d'épargne. Cette abondance est évidemment tentante pour le Gouvernement qui, dans son futur projet de loi, propose de ponctionner bien davantage : au total, il récupérera 23 milliards et, comme toujours, les épargnants n'y retrouveront pas leur compte.

Cela dit, nous ne contestons pas la nécessité de la réforme, mais seulement la méthode.

L'objectif est l'abandon du statut particulier des caisses d'épargne, qui seront désormais assujetties à la loi de 1947 sur les sociétés coopératives, à la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, et à la loi bancaire de 1984. Or les caisses d'épargne occupent une place originale dans le paysage bancaire français avec près de 30 millions de clients et le projet du Gouvernement, au demeurant fort complexe, rend leur avenir incertain.

En effet, la banalisation de leur statut ouvre à nouveau le débat sur les avantages dont elles bénéficient. Qu'adviendra-t-il du monopole de distribution des livrets A, partagé avec La Poste ? Quelle incidence aura l'introduction d'actionnaires dans le système des caisses d'épargne ?

Le capital des caisses d'épargne, fixé à 18 milliards, sera constitué en quatre ans, par cession de parts sociales et par émission de certificats coopératifs : il s'agit donc bien d'une modification complète des structures des caisses, dont l'efficacité n'est pas évidente.

Ne peut-on craindre que le Gouvernement n'en profite pour prélever son tribut ? Les caisses d'épargne disposaient jusqu'à présent de 65 milliards de fonds propres. 15 milliards serviront à renflouer la caisse de retraite des caisses d'épargne. 5 milliards seront ponctionnés l'année prochaine, 18 milliards le seront au cours des quatre prochaines années. Il restera alors 27 milliards aux caisses.

En conclusion, la date de dépôt de ce projet ne laissera pas aux parlementaires une latitude suffisante pour en examiner les implications fort complexes qui bouleverseront le paysage bancaire et financier français. C'est pourquoi le groupe Démocratie Libérale n'avalisera pas cette prorogation.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances - J'ai été quelque peu surpris des propos de M. Cabal, qui semble avoir mis en cause les travaux de la commission. Si il y avait assisté, il aurait constaté que j'ai largement donné la parole à ceux qui la demandaient, cependant que le rapporteur répondait aux questions qui lui étaient posées. J'ai également transmis au ministre les demandes formulées par certains groupes.

Bref, vous ne pouvez prétendre que le débat fut seulement interne à la majorité. Cela dit, la condition sine qua non pour s'exprimer, sur quelque banc que l'on siège, est d'être présent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Je remercie M. Idiart de l'analyse qu'il a faite de ce projet, reprenant les propos du rapporteur M. Rodet. Notre ambition est bien de faire avancer cette affaire des caisses d'épargne avec les précautions et après les débats qui s'imposent. Ce souci semble être partagé par M. Brard. Si l'Assemblée le veut, le Gouvernement est prêt à siéger le samedi et le dimanche !

Cela dit, le statut coopératif envisagé me semble être la bonne solution mais ce sera un des éléments soumis à la discussion. Le débat sur le secteur financier que vous avez sollicité, Monsieur Brard, sera utile pour tous, Gouvernement et parlementaires.

Le "carambolage" qui s'est produit en 1997, Monsieur Warhouver, entre les limites d'âge définies à titre interne et les dispositions législatives, ne se reproduira pas car, cette fois, le projet prévoit que ceux qui seront atteints par la limite d'âge pendant la période visée pourront se maintenir.

M. Cabal s'est exprimé avec une agressivité que nous ne lui connaissions pas mais dont nous ne saurions nous plaindre car elle a rendu la discussion plus vivante. Selon lui, tout cela traduirait l'incapacité du Gouvernement à mettre en oeuvre la réforme. Je comprends votre énervement, Monsieur Cabal. Vous aviez cru pouvoir empêcher le Pacs d'être voté mais, en dépit de votre opposition, il l'a été. Quoi que vous fassiez, la caravane passe : les réformes entreprises par le Gouvernement et soutenues par sa majorité sont menées à leur terme.

Nous pouvons vous écouter, tenir compte de vos objections et nous le faisons en effet, mais au bout du compte les projets du Gouvernement aboutissent. Cela saute particulièrement aux yeux dans le domaine dont je m'occupe, et c'est ce qui sans doute vous irrite. Souvenez-vous : le gouvernement précédent, engagé dans une opération concernant Thomson, a dû l'arrêter, la faire capoter en déclarant que Thomson Multimedia ne valait qu'un franc, alors que ce gouvernement-ci, pour Thomson-CSF comme pour Thomson Multimedia, est arrivé à bonne fin, non pas pour un franc mais pour plusieurs milliards.

Il en va de même pour la privatisation du CIC, imposée par Bruxelles et pour laquelle le gouvernement précédent a échoué lamentablement, alors que celui-ci l'a parfaitement réussie, au point que les syndicats ont publié un communiqué de satisfaction. C'est qu'il a mené la concertation jusqu'au bout. Nous appliquons la même méthode à l'Aérospatiale.

Ne confondons pas concertation et retard. C'est un point qui différencie peut-être la droite de la gauche. Les réformes ne s'imposent pas au pas de charge ; il faut savoir au préalable écouter, débattre, éventuellement modifier son projet initial. Cette démarche prend du temps, parfois plus qu'il n'était prévu, mais il y a tout à y gagner. Que le texte relatif aux caisses d'épargne soit examiné en février et non pas en novembre n'est pas un inconvénient, bien au contraire, si la négociation et le projet lui-même en ont profité. M. Gantier et vous-même invoquez l'urgence de la réforme, mais vous déposez un amendement tendant à la retarder. Il est également contradictoire de crier à l'urgence, mais de n'avoir rien fait dans la période précédente, alors que les caisses d'épargne existent depuis deux siècles. De fait, à mon arrivée au ministère des finances, je n'ai pas trouvé le moindre dossier sur ce sujet.

Si le projet est adopté au cours de 1999 et qu'en 2000 les caisses d'épargne disposent d'un statut plus moderne et plus efficace, nous aurons fait du bon travail.

Monsieur Gantier, vous vous inquiétez des 5 milliards inscrits dans la loi de finances. Je ne peux pas croire que vous ne l'avez pas bien lue. En 1984, le Gouvernement a doté les caisses d'épargne de 3 milliards. Aujourd'hui où nous procédons à une remise à plat, les caisses d'épargne rendent à l'Etat ces 3 milliards, augmentés de l'inflation. Il n'y a là aucun mystère. Certains, comme M. Douyère, souhaitaient y ajouter des intérêts. le Gouvernement a préféré s'en tenir à l'inflation.

Vous avez ajouté à ces 5 milliards 18 milliards pour aboutir à 23 milliards. Mais ces 18 milliards n'ont rien à voir, ils représentent la collecte réalisée auprès des coopérateurs, qui voudront siéger aux conseils des caisses d'épargne. Le Gouvernement a décidé d'affecter cette somme au fonds de réserve des retraites qui en a bien besoin depuis longtemps.

Si j'ai bien compris, M. Gantier voudrait banaliser le livret A. C'est un débat que nous pourrons avoir. Le Gouvernement estime que le livret A doit rester un produit exclusif des caisses d'épargne, en contrepartie du financement du logement social (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - En application de l'article 91-9 du Règlement, j'appelle dans le texte du Gouvernement l'article unique du projet.

ARTICLE UNIQUE

M. Christian Cabal - Notre amendement 1 tend à aider le Gouvernement. Pour tenir une date certaine, mieux vaut reporter une fois pour toutes la prorogation des mandats. J'avais proposé, avant la dernière réunion de la commission, la date du 1er août 2001. Mais la solution commune proposée par le rapporteur me satisfait, et je retire l'amendement.

Monsieur le président Bonrepaux, je n'ai pas critiqué le fonctionnement de la commission des finances. J'admire la façon dont vous la présidez. J'ai simplement souhaité que nous ayons de larges débats sur le fond. Je vous présente mes excuses si je me suis mal exprimé.

L'amendement 1 est retiré.

M. Germain Gengenwin - Notre amendement 5 tend à porter la date limite au 1er décembre 1999, celle du 1er août paraissant un peu juste, car le projet de réforme effectuera plusieurs navettes.

M. Christian Cuvilliez - Je considère que notre amendement 1 rectifié a été défendu par le rapporteur.

M. le Rapporteur - Avis défavorable à l'amendement 5. La date du 1er novembre 1999, proposée par nos collègues communistes, paraît de nature à recueillir le consensus.

M. le Ministre - Le Gouvernement est d'accord pour passer de cinq à huit mois. Quand M. Gengenwin a déposé son amendement, il ignorait que le Gouvernement avait demandé l'urgence, ce qui évitera des navettes. Je lui suggère donc de le retirer.

L'amendement 5 est retiré.

M. Yves Deniaud - Le Gouvernement confirme-t-il son souhait que les mandats du directoire et du conseil de surveillance du CNECEP soient prolongés de la même façon ?

M. le Ministre - Cette question dépend des statuts des caisses d'épargne et non pas de la loi. Elle peut se régler en assemblée générale des caisses d'épargne. Le Gouvernement ne s'opposera pas aux décisions que les caisses d'épargne pourraient prendre. Il souhaite toutefois aller vite.

L'amendement 1 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article unique modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE UNIQUE

M. Aloyse Warhouver - Cet amendement 2 vise à graver dans le marbre des statuts, pour parler comme M. Brard, les dispositions du présent projet.

Si vous nous dites, Monsieur le ministre, qu'il sera désormais fait obligation aux caisses d'appliquer les dispositions législatives sans opposer leurs statuts, je le retirerai.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas accepté cet amendement, estimant le problème réglé.

M. le Ministre - Je confirme à M. Warhouver que le décret d'application sera modifié.

M. Aloyse Warhouver - Je retire donc l'amendement 2.

Mon amendement 3 tend à prévenir les effets néfastes de restructurations conduites à la sauvette. De nombreux guichets ferment en zone rurale alors que les ouvertures se multiplient en ville.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas accepté cet amendement.

Le nouveau statut réaffirme les missions d'intérêt général des caisses d'épargne. En outre, la diffusion du sociétariat aux collectivités locales qui est prévue permettra aux communautés de communes de garantir la présence de guichets dans les zones les plus fragiles du territoire.

M. le Ministre - Je partage l'avis du rapporteur. M. Warhouver souhaitait appeler notre attention, et il y est parvenu.

M. Aloyse Warhouver - Je retire donc mon amendement.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.


LOI DE FINANCES POUR 1999 (nouvelle lecture)

M. le Président - J'ai reçu de Monsieur le Premier ministre une lettre m'informant que la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 1999, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte.

L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de finances pour 1999.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - La commission paritaire réunie sur ce texte la semaine dernière n'a pas pu trouver un accord, et pour cause. Les projets adoptés par l'Assemblée nationale et par le Sénat sont différents. Alors que l'Assemblée avait amélioré ce projet, en particulier en matière de justice sociale, le Sénat l'a profondément modifié, conformément à une autre conception de l'action publique.

Votre assemblée avait réaffecté 5 milliards de crédits, en particulier au profit des ménages, par des allégements d'impôts supplémentaires, tels la suppression de la TVA sur les achats de terrains à bâtir, le doublement du crédit d'impôt au titre des travaux dans l'habitation principale ou encore la baisse des droits de succession pour le conjoint survivant.

Elle avait en outre, à l'initiative de Jean-Pierre Brard, adopté une série de mesures de lutte contre la fraude fiscale, en autorisant notamment l'utilisation par les administrations financières du numéro d'inscription au répertoire national.

Elle avait également amélioré le pacte de croissance et de solidarité, en accroissant les moyens accordés aux collectivités territoriales et la péréquation à destination des plus pauvres d'entre elles, la croissance de l'enveloppe normée y étant bien plus dynamique que dans le pacte de stabilité mis en place par le précédent gouvernement. En outre, 900 millions supplémentaires hors enveloppe ont été affectés aux collectivités connaissant des charges particulières au regard de leurs ressources.

Ainsi, par rapport à ce que prévoyait le plan de M. Juppé, c'est 3 milliards de plus qui seront alloués aux collectivités locales en 2000 et près de 4,5 milliards en 2001.

Votre assemblée avait également réalisé des ajustements importants au profit des budgets prioritaires, notamment celui de l'enseignement scolaire afin d'affecter plus de 14 000 personnes supplémentaires dans les lycées et de renforcer les moyens dans les zones d'enseignement prioritaire.

Au terme de la première lecture, le projet avait donc été amélioré.

Au contraire, l'examen du texte par le Sénat a débouché sur un "budget alternatif" traduisant une toute autre vision de l'action publique.

Le Sénat a réduit les crédits de 26 milliards, en faisant porter les ajustements sur les dépenses sociales et sur les budgets privilégiés par le Gouvernement. Ainsi le budget de l'emploi a été réduit de près de 11 milliards, celui de l'éducation nationale de plus de 5, celui de la santé et de la solidarité de 2,4.

En matière fiscale, et au bénéfice des revenus élevés et des gros patrimoines, le Sénat a supprimé l'abaissement du plafond du quotient familial, relancé la baisse de l'impôt sur le revenu initiée par le gouvernement Juppé, renoncé aux mesures de lutte contre la fraude fiscale à l'impôt de solidarité sur la fortune. Concernant les grandes entreprises, il a relevé à 50 % le taux de l'avoir fiscal pour les placements financiers, que vous aviez abaissé, et supprimé la limitation de l'exonération des dividendes versés par les filiales aux sociétés-mères que vous aviez adoptée.

Le débat au Sénat n'a cependant pas été inutile, car il a permis de nourrir le débat républicain et de mettre en lumière deux conceptions opposées de l'action publique -une conception de droite rétrograde et vénérant le marché...

M. Alain Tourret - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie - Vous déraisonnez !

M. le Secrétaire d'Etat - ...et une conception de gauche, progressiste et sociale.

M. Pierre Méhaignerie - Cessez de nous faire la leçon, nous ne sommes pas en maternelle !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement est toujours prêt à améliorer ce projet.

L'aménagement de la taxe sur les locaux à usage de bureaux en Ile-de-France avait suscité de nombreux débats. Pour tenir compte des observations qui ont été faites, le Gouvernement présentera un amendement tendant à atténuer l'impact de l'extension de cette taxe aux locaux commerciaux et de stockage, en particulier pour les plus petits d'entre eux.

S'agissant du dispositif Besson, de nombreux parlementaires souhaitaient assurer le succès du dispositif en l'aménageant. Il est exclu d'admettre le bénéfice de ce dispositif à vocation sociale pour les membres de la famille du bailleur. En revanche, les modalités de sortie du dispositif après neuf ans en cas d'investissement dans le neuf pourraient être précisées.

En ce qui concerne la Corse, l'amendement présenté par M. Charasse au Sénat et adopté par la Haute Assemblée apporte un très utile complément au travail effectué par l'Assemblée en première lecture. Votre commission propose d'apporter de nouvelles améliorations à ce dispositif...

M. Jean-Jacques Jegou - La sagesse du Gouvernement progresse au fil des lectures !

M. le Secrétaire d'Etat - Le Gouvernement s'efforce de toujours prendre en compte le plus largement possible les préoccupations des parlementaires. Il soutiendra donc fermement l'initiative de votre commission.

Enfin, s'agissant de l'abattement de 10 % sur les pensions, je rends hommage à l'opiniâtreté de la majorité, qui entend reprendre en deuxième lecture le débat que nous avons eu en première lecture de ce projet et également du collectif budgétaire. En vérité, la divergence ne porte que sur le calendrier. Le Gouvernement estime que cette disposition, qui n'a pas d'impact sur l'équilibre en 1999 et ne concernera que l'impôt dû en 2000 par les retraités, aurait davantage sa place dans la première partie du budget 2000, une fois le rapport Charpin connu. Je suis toutefois prêt à entendre les arguments de la majorité ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

En ce qui concerne l'élargissement des critères d'éligibilité au FCTVA, le Gouvernement avait déjà accepté en première lecture l'extension aux investissements réalisés par les collectivités locales sur des biens appartenant à l'Etat ou à des propriétaires privés, dans le cadre de la lutte contre les risques naturels, ce qui répondait à une revendication ancienne des élus locaux. Il a, en outre, accepté devant le Sénat deux nouveaux cas d'éligibilité pour les travaux réalisés par certains syndicats mixte et pour les travaux de réhabilitation réalisés sur des biens de section.

M. Christian Cuvilliez - Très bien !

M. le Secrétaire d'Etat - On le voit, les préoccupations des collectivités locales ont été largement prises en compte.

Enfin, le Sénat a supprimé la réforme du financement de l'aviation civile que vous aviez votée. Le Gouvernement vous proposera de rétablir ce dispositif en améliorant la péréquation en faveur des petits aérodromes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Comme c'est l'usage, ce projet de loi de finances acquiert un surcroît d'embonpoint en cours de discussion, passant de 83 articles dans sa version initiale à 127 à l'issue de la première lecture par l'Assemblée. Le Sénat a adopté conformes 71 de ces articles ; il a adopté 30 articles nouveaux ; 86 articles restent donc en discussion.

Le 10 décembre, la commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à un accord. C'était inévitable, dans la mesure où l'Assemblée et le Sénat s'inscrivent dans des logiques politiques différentes. Comme l'an dernier, le Sénat a souhaité construire un budget alternatif. Se fixant pour norme la stabilisation, dès 1999, du poids de la dette publique dans le PIB, il a été conduit à réduire le déficit de près de 16 milliards.

Compte tenu de l'ensemble des votes du Sénat, le montant des recettes nettes serait réduit de 12,1 milliards pour le budget général et de 500 millions pour les comptes d'affectation spéciale. Pour atteindre son objectif de réduction du déficit, le Sénat a donc été conduit à procéder à 28 milliards de réductions de crédits.

On peut s'interroger sur la pertinence de tels choix, d'autant que le Sénat a repris à son compte le discours sur les incertitudes qui pourraient affecter la croissance économique en 1999.

M. Philippe Auberger - Ce n'est pas qu'un discours...

M. le Rapporteur général - Chacun se souvient des conséquences regrettables qu'a eues sur notre économie, en 1995-1996, l'ajustement budgétaire à marche forcée du précédent gouvernement. Le gouvernement actuel, approuvé par l'Assemblée, a fait le choix de construire, grâce à une augmentation maîtrisée de la dépense publique et à un effort réel de redéploiement, un budget favorable à la croissance, à l'emploi et à la solidarité, tout en réduisant le déficit -se mettant ainsi en position de stabiliser le poids de la dette en 2000- comme le montant des prélèvements obligatoires.

Dans sa logique de budget alternatif, le Sénat a adopté, contre l'avis du Gouvernement, plusieurs amendements de réduction de crédits, remettant ainsi en question des orientations politiques fondamentales comme l'emploi des jeunes ou les 35 heures.

L'Assemblée ne peut évidemment souscrire à une vision mécanique de la réduction de la dépense publique, qui va à l'encontre d'une gestion responsable et efficace des deniers publics.

Le Sénat a, enfin, voulu afficher, parfois à contre-temps, le masque de la vertu budgétaire. Ainsi, au motif que l'allocation de parent isolé serait "largement détournée de son objectif" et que la condition d'isolement serait difficile à vérifier, il a réduit de 212 millions la contribution de l'Etat au financement de cette prestation. Or la réalité de l'isolement a toujours été l'objet prioritaire des contrôles. La réduction inopportune des crédits mettrait en difficulté la totalité des bénéficiaires sans nuire aux inévitables fraudeurs.

Dans le même esprit, le Sénat a estimé que l'amélioration des contrôles liés au versement du RMI permettrait de réduire de 1,32 milliard le financement de cette prestation. Mme Péry a montré que cette mesure était désormais inopportune car les contrôles ont gagné en efficacité.

Enfin, estimant que le dispositif de l'épargne-logement est aujourd'hui détourné de son objectif, le Sénat a adopté un amendement réduisant de 2,1 milliards les crédits destinés au financement par l'Etat des primes versées aux épargnants. Cette mesure ne peut avoir qu'un caractère "d'appel" vis-à-vis du Gouvernement, en l'absence de modification corollaire du régime juridique de l'épargne-logement. En outre, elle porte sur ces crédits évaluatifs et n'aura donc aucun impact sur les dépenses effectives.

On touche là la limite de construction d'un budget alternatif. Réduire, de façon indicative, des crédits évaluatifs, comme ceux des primes d'épargne-logement, ou aussi évaluatifs, comme ceux du RMI, montre que cette méthode est artificielle et inopérante. Et si l'on a pu dire que les réductions opérées par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances ne font qu'anticiper les futures annulations du collectif de fin d'année, personne ne dispose à ce jour d'éléments permettant d'affirmer que le budget 1999 comporte des "marges de manoeuvre" cachées. L'Assemblée préfère donc une approche prudente : il sera toujours temps de constater, éventuellement dans le cadre d'une gestion maîtrisée, une évolution plus modérée des dépenses et l'apparition d'un volant de crédits non utilisés. Une réduction ex ante et arbitraire des crédits risquerait au contraire de rendre nécessaires des ouvertures complémentaires en collectif, voire par décret d'avance, ce qui s'écarterait fâcheusement du principe de l'autorisation parlementaire préalable.

Alors que les signes d'un ralentissement mondial se confirment, justifiant ainsi les scénarios prudents...

M. Christian Cabal - Prudents ?

M. le Rapporteur général - ...qui entourent le cadrage macro-économique de ce projet, les dernières semaines ont été marquées par une décision importante, l'abaissement coordonné de leurs taux directeurs par les onze banques centrales des pays de la "zone euro" ainsi que par la Banque centrale du Danemark. Cette décision bienvenue ne marque pas seulement un assouplissement bienvenu de la politique monétaire, motivé par une inflation très basse, elle a aussi une forte signification en termes de politique économique, car l'impulsion est venue clairement des banques centrales nationales, au premier chef de la Bundesbank et de la Banque de France. J'y vois le gage d'une plus grande attention prêtée aux conditions économiques de chaque pays et au pilotage du cycle économique. Le système européen de banques centrales accepte ainsi de prendre sa part de la politique de croissance et de soutien à l'activité économique dans la zone euro.

Cette orientation heureuse devra être confirmée. Les gouvernements ne doivent pas en tirer parti pour réduire leurs efforts de convergence budgétaire ou s'exonérer de maîtriser l'évolution des finances publiques. Mais de nouvelles marges de manoeuvre s'ouvrent enfin, pour des politiques budgétaires moins bridées par le pacte de stabilité, plus imaginatives, plus soucieuses de croissance et d'emploi.

Dans ce contexte, votre commission des finances s'est efforcée de reconstruire le budget de croissance, d'emploi et de solidarité que l'Assemblée avait adopté en première lecture. Nous y reviendrons dans le cadre de l'examen des amendements. A ce stade, je n'évoquerai donc que trois dossiers.

En ce qui concerne l'abattement de 10 % dont bénéficient les retraités, pourquoi reporter à demain ce qui peut être fait dès aujourd'hui. La deuxième partie est souvent utilisée pour annoncer des mesures pour l'année suivante. Celle-ci est très attendue des intéressés.

Pour les baisses ciblées de TVA, nous ne saurions nous satisfaire de quelques avancées. L'Assemblée a clairement marqué, en première lecture, son souci de voir les orientations européennes définies l'an dernier se concrétiser par des décisions permettant de réduire la TVA sur des activités porteuses d'emplois, travaux d'entretien et de rénovation de l'habitat d'abord, fourniture de repas ensuite. Nous voudrions être assurés qu'au-delà des courriers adressés à la Commission européenne, le Gouvernement déploie toute son énergie pour faire aboutir ces dossiers. Les résultats de la dernière réunion ne nous satisfaisant pas, nous souhaitons que le Gouvernement fasse des travaux sa première priorité pour la réduction ciblée de la TVA.

S'agissant du financement des collectivités locales, nous serons attentifs à ce que toujours le contrat de croissance et de solidarité représente un plus par rapport au pacte de stabilité. Nous avons besoin sur ce point d'être davantage convaincus qu'en première lecture et nous sommes sûrs, Monsieur le ministre, que vous ne resterez pas insensible à notre appel.

Comme l'an passé, la commission s'est livrée à l'exercice de reconstruction du budget dans le respect de l'esprit de notre système bicaméral. Ainsi, exception faite des amendements relatifs aux crédits, nous avons été attentifs aux propositions du Sénat, pour peu qu'elles soient constructives, et nous avons retenu, au moins dans leur inspiration, nombre des modifications qu'il a apportées.

Pour autant, ce texte ne résulte pas de ces compromis réducteurs qui sont la marque de l'hésitation plutôt que de la volonté. Nos choix s'inscrivent pleinement dans la démarche de responsabilité qui vise à répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Sous réserve des quelque 125 amendements qu'elle vous propose qui, pour l'essentiel reprennent des textes longuement débattus en première lecture, la commission des finances vous demande d'adopter en nouvelle lecture le projet de loi de finances pour 1999 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Pierre Méhaignerie - Ce projet de budget ne nous semble pas en cohérence avec vos choix européens.

La compétitivité des économies va se jouer sur celle des systèmes publics. Or à partir d'une situation budgétaire très favorable, les 70 milliards de recettes supplémentaires sont consacrés pour l'essentiel à l'augmentation des dépenses publiques, ce qui ne se fait dans aucun autre Etat européen, pas même en Italie.

L'approche du Sénat nous paraît plus eurocompatible car elle limite la croissance des dépenses publiques, oblige l'Etat à rechercher des gains de productivité, permet de s'adapter plus rapidement à un changement de conjoncture et réduit les prélèvements fiscaux -encore que l'UDF, pour sa part, préférerait la baisse des charges sociales avec répercussion partielle sur les salaires.

Les dépenses publiques ne sont pas maîtrisées, à la différence de ce que font nos partenaires européens. Quand on regarde l'évolution des petits salaires dans le secteur privé, on est en droit de s'interroger sur l'efficacité de la gestion de la dépense publique.

D'autre part, l'hypothèse de croissance retenue est aléatoire et peut conduire très vite à des annulations de crédits.

Les choix d'allégements de taxe professionnelle n'ont pas fait l'objet de simulations et ils conduiront à des effets pervers. Mieux aurait valu poursuivre la baisse des charges sociales, ce qui n'a pas été fait.

Si la croissance se situe non pas à 2,7 %, mais entre 2 et 2,3 %, que ferez-vous ? Laisserez-vous courir le déficit ? Augmenterez-vous les impôts ? Réduirez-vous les investissements, déjà sacrifiés ?

Encore une fois, il aurait mieux valu baisser les charges sociales : n'est-il pas inquiétant qu'avec un taux de chômage supérieur à 10 %, des secteurs entiers ont du mal à recruter parce que les salariés ne sont pas à la hauteur de la dureté du travail ?

Votre discours prônant la croissance et l'emploi par la dépense publique est archaïque. J'aimerais que vous répondiez à quelques questions précises.

Les dispositions exonérant de TVA les achats de terrains à bâtir ont abouti à une confusion complète : toutes les ventes sont bloquées. Or, à l'exception de ceux achetant des terrains nus et chers, la quasi-totalité des accédants à la propriété vont s'estimer trompés.

Deuxième question, le relèvement du seuil de chiffre d'affaires pour le régime fiscal des micro- entreprises va entraîner des distorsions de concurrence et encourager le travail au noir. Comment entendez-vous lutter contre ces risques ?

Sur l'imposition des retraités, la majorité s'est rendue à nos arguments ("C'est faux !" sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur général - Pas du tout ! C'était notre position dès le début !

M. Pierre Méhaignerie - Nous sommes heureux que vous ayez repris mot pour mot notre amendement. Mais j'aimerais connaître la position du Gouvernement, pour éviter que l'Assemblée soit à nouveau soumise, vendredi vers 17 ou 18 heures, à une deuxième délibération annulant les voeux du Parlement.

En conclusion, nous regrettons que cette période de haute conjoncture n'ait pas été mise à profit pour préparer l'avenir. Nous voterons contre ce budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Alain Tourret - Les radicaux de gauche ont voté en première lecture ce budget, dont ils approuvent les orientations : réduction de 0,2 % des prélèvements obligatoires, réduction de 0,7 % du déficit budgétaire, diminution des impôts de 17 milliards, accroissement des dépenses pour l'emploi de 16 milliards. Surtout ce budget va permettre de réduire de 20 milliards les prélèvements sur les revenus du travail et d'augmenter de 28 milliards les prélèvements sur les revenus du capital.

Nous approuvons aussi la création d'une nouvelle tranche de l'ISF au taux de 1,8 % pour les 800 patrimoines dépassant 100 millions.

Ces orientations sont liées évidemment à la croissance réelle en 1999. Vous avez annoncé 2,7 % avec des arguments forts, mais vos dernières déclarations sont plus modestes. Le Premier ministre a également reconnu que cet objectif serait difficile à atteindre.

Le Medef, lui, joue les Cassandre en annonçant 2 à 2,3 % de croissance. Or, si la croissance faiblit, la France va se retrouver en porte-à-faux avec les engagements qu'elle doit prendre dans le cadre du pacte de stabilité. Quels moyens comptez-vous utiliser pour maintenir l'équilibre budgétaire à moyen terme ? Sera-t-il possible d'y parvenir sans réduire les dépenses de l'Etat ?

Nous vous interrogeons aussi sur l'incidence d'une inflation quasi nulle. Les prix à la consommation n'ont augmenté que de 0,2 % en un an et la déréglementation va faire encore baisser le prix de certains services. Si on en arrive à la déflation, quels seront les réflexes des ménages ? Réagiront-ils par l'attentisme dans la consommation, comme certains le craignent ? Actuellement, leur pouvoir est en augmentation et leur moral excellent -les fonctionnaires notamment ont bénéficié d'un accord très généreux.

Notre confiance vous est acquise, Monsieur le ministre. Nous attendons vos réponses.

C'est également avec une parfaite franchise que nous devons vous entretenir d'un autre sujet, l'utilisation à des fins fiscales du numéro d'inscription au répertoire national, dit NIR. C'est l'objet d'un amendement adopté le 17 novembre, rejeté par le Sénat, et réintroduit par notre commission. Nous souhaitons autant que notre collègue Brard combattre la fraude fiscale mais cette mesure, qui permettra à l'administration fiscale de transmettre des informations aux organismes de sécurité sociale, a suscité une vive émotion à la CNIL. Son président, M. Fauvet, a fait valoir qu'elle faciliterait les transferts d'informations à l'insu des intéressés, y compris au bénéfice d'organismes tiers-déclarants, comme les banques et les compagnies d'assurances. Elle accentuera le caractère exorbitant des prérogatives de l'administration fiscale. Le risque de fichage de nos concitoyens deviendrait alors réalité -voyez l'éditorial de M. Hutin dans Ouest France. Le retour au NIR accentuera l'automatisation des décisions fiscales, alors que les services du Trésor ne font pas de vérification avant d'émettre un avis à tiers détenteur. La lutte contre la fraude fiscale est impérative, mais elle ne passe pas par l'interconnexion des fichiers.

M. Jean-Pierre Brard - Me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Alain Tourret - Non !

M. le Rapporteur général - C'est dommage.

M. Jean-Pierre Brard - Ce refus vaut argument.

M. Alain Tourret - Il y aura tout à l'heure un orateur du groupe communiste.

Nous n'accepterons jamais que le souci de l'efficacité l'emporte sur la défense des libertés.

M. Jean-Pierre Brard - La liberté des voleurs et des fraudeurs ! Il faut mettre ses actes en accord avec les convictions qu'on affiche !

M. le Président - Je vous en prie.

M. Alain Tourret - J'ai salué vos qualités de rapporteur. Mais, je le répète, les députés radicaux ne peuvent accepter que l'efficacité l'emporte sur la défense des libertés. Le moyen proposé, certes utile pour l'administration, entraînera des empiétements intolérables pour les libertés.

M. Jean-Jacques Jegou - Très bien !

M. Alain Tourret - Les symboles ont souvent plus de poids que la réalité. Vous nous direz sans doute, Monsieur le ministre, que le texte est sans danger, qu'aucune interconnexion n'est possible. Mais le soupçon est déjà dans les esprits, on nous accuse de vouloir ficher les citoyens et quadriller la société. Ce soupçon nous est insupportable.

M. Jean-Pierre Brard - Soupçon d'honnêteté !

M. Alain Tourret - Nous voterons ce budget, car il est bon. Mais nous déférerons l'article 70 septies au Conseil constitutionnel si la sagesse ne l'emportait pas et s'il n'était pas retiré.

M. le Rapporteur général - Quel tissu d'inexactitudes !

M. Philippe Auberger - Il n'est pas cohérent de voter et de déférer ensuite au Conseil.

M. François d'Aubert - Le Sénat s'est livré à un travail minutieux de reconstruction budgétaire, mais vous voulez à présent refaire votre budget bancal et illusoire, reposant sur des hypothèses économiques fantaisistes. Il est vrai qu'à propos des 2,7 % de croissance, on entend parler non plus de "prévision" mais "d'objectif". Même le Premier ministre ne croit plus aux 2,7 % -seul le ministre des finances peut-être ? On attend avec intérêt les prévisions de l'INSEE qui sortiront après-demain (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Le glissement sémantique de ces derniers jours atteste bien votre manque de confiance dans vos propos. Que valent en effet vos prévisions de recettes et de dépenses avec une croissance qui sera au mieux de 2 %, et une inflation qui sera plus proche de zéro que des 1,3 % annoncés ? Ce dernier chiffre sert surtout à camoufler la hausse des dépenses.

M. Philippe Auberger - Absolument !

M. François d'Aubert - Quatre éléments sont particulièrement inquiétants pour 1999 : la conjoncture internationale n'est pas favorable, suite à la crise asiatique et russe : baisse des exportations et ralentissement de la demande externe ; le moral des industriels est à la baisse et leurs investissements, qui avaient progressé de 9 % en 1998, risquent de stagner l'an prochain ; l'investissement immobilier, suite à l'abandon du système Périssol, risque de ralentir nettement à la fin 1999 ; enfin, s'il est vrai que la consommation intérieure fait preuve aujourd'hui d'un véritable dynamisme, les Français se laisseront-ils abuser longtemps par les chiffres de l'emploi ? Si on compte 94 000 chômeurs de moins depuis le 1er janvier 1998, ce résultat n'est pas mirobolant si l'on sait que 110 000 emplois-jeunes ont été créés -en Allemagne, il y a eu 400 000 chômeurs de moins sans création d'emplois publics.

La confiance des Français pourrait donc ne pas durer. On risque d'assister à un effet de richesse négatif, à des anticipations négatives du fait du yoyo boursier. La demande intérieure ne restera pas toujours à l'abri, de toute façon, des turbulences mondiales. Que ferez-vous si l'élan ne répondait pas à votre attente ? Faudra-t-il un collectif dès le début de l'année ? Ne vaudrait-il pas mieux récrire le budget tout de suite ?

Le ministre des finances est convaincu que l'augmentation de la dépense publique doit être le moteur de la croissance : c'est du keynésianisme mécanique.

M. Philippe Auberger - Et attardé !

M. François d'Aubert - Est-il pertinent, en économie ouverte, de faire l'inverse de nos partenaires européens ? A force de jouer l'exception française, dans tous les domaines, la France ne risque-t-elle pas de cumuler les inconvénients d'un chômage élevé, de la rigidité économique, de la bureaucratisation ?

Sans doute vous défendrez-vous d'être un adepte enthousiaste de l'augmentation de la dépense publique. Mais jugeons sur pièces. Dans ce budget, la dépense augmente officiellement de 1 %, ce qui est trop, surtout qu'il s'agit de nouvelles dépenses structurelles, comme la subvention des 35 heures ou aux emplois-jeunes. Nous les traînerons pendant des années comme des boulets budgétaires.

M. Christian Cuvilliez - Non, des leviers !

M. François d'Aubert - Baisser la dépense, le Gouvernement sait pourtant le faire ! Saluons l'effort de redéploiement qui correspond à une trentaine de milliards. Mais cet effort a été gâté par l'invention de nouvelles dépenses. C'est un des points qui nous séparent...

M. le Secrétaire d'Etat - Il y en a beaucoup d'autres !

M. François d'Aubert - C'est l'un des principaux.

1999 sera donc synonyme de dépenses. Mais selon certaines indiscrétions, vous voudriez continuer dans la même voie pendant plusieurs années. On parle d'une augmentation de 1 % par an jusqu'en 2002. La baisse des déficits publics passeraient ainsi au second plan, contrairement à ce qu'envisagent nos partenaires. Cela risque de nous coûter cher en taux d'intérêt et en chômage -car avec l'euro, les ajustements ne pourront plus se faire par le taux de change.

La baisse des prélèvements obligatoires est aussi nécessaire, car si la croissance artificiellement dopée par la dépense publique n'est pas au rendez-vous, il ne restera qu'un moyen pour réaliser l'ajustement budgétaire : augmenter les impôts, comme vous le faites depuis dix-huit mois.

D'autre part, contrairement aux affirmations de M. Strauss-Kahn, le Gouvernement n'hésite pas à augmenter la pression fiscale sur les ménages. Certes, le poids relatif des prélèvements obligatoires dans le PIB devrait passer, selon vos prévisions, de 46,1 % en 1997 à 45,7 % en 1999, mais cette baisse n'est qu'apparente : le poids relatif des impôts, taxes et cotisations se réduit mécaniquement en période de forte croissance.

Vous menez une politique d'augmentation de la pression fiscale tous azimuts, qui crée un véritable ras-le-bol devant l'impôt (Exclamations sur les bancs du groupe communiste).

Ainsi, de 1997 à 1998, la CSG a plus que doublé, passant de 3,4 % à 7,5 %, son poids dépassant ainsi celui de l'impôt sur le revenu. Nous avons maintenant deux impôts sur le revenu et bientôt trois avec une taxe d'habitation dans l'assiette de laquelle votre majorité voudrait intégrer le revenu ! Qui n'a pas reçu dans sa permanence des contribuables exonérés d'impôt sur le revenu qui s'étonnaient d'avoir à payer quand même la CSG ?

A ce ras-le-bol, s'ajoute la menace d'une inquisition fiscale sous la forme d'un amendement contraire aux libertés publiques (Protestations sur les bancs du groupe communiste). Certes, il faut lutter contre la fraude fiscale mais il existe d'autres moyens pour ce faire que de porter atteinte à la vie privée des gens en croisant des fichiers.

M. le Président de la commission - Lesquels ?

M. François d'Aubert - Est-ce bien le rôle des parlementaires que de reprendre ainsi des idées que le ministère des finances caresse depuis longtemps ?

M. Jean-Pierre Brard - La lutte contre la fraude fiscale n'a jamais été votre tasse de thé !

M. François d'Aubert - Oh ! Si, mais pas en portant atteinte aux libertés. C'est pourquoi le groupe DL votera contre cet amendement devenu article et le déférera au Conseil constitutionnel s'il est adopté.

Quant à la taxe professionnelle, sa réforme aura des effets incertains sur l'emploi. Elle favorisera surtout les banques et les assurances, mais très peu l'industrie : 24 % en moins pour l'industrie agroalimentaire, 23 % pour l'industrie et les biens intermédiaires.

Bref, ce budget va à contre-courant de la politique de nos partenaires européens. Il gâche l'occasion que le rendement assez exceptionnel de la fiscalité en 1998 offrait de réduire les impôts et les dépenses. Mais vous êtes en quelque sorte des malades de la dépense. Cela se voit dans votre budget. J'espère que cela ne transparaîtra pas trop dans la programmation qui doit être remise à Bruxelles au début de l'année prochaine.

Compte tenu de ces observations, le groupe Démocratie Libérale votera contre ce projet.

M. Gilbert Gantier - Très bien !

M. Christian Cuvilliez - Cette deuxième lecture du projet de loi de finances intervient alors que des incertitudes subsistent quant aux conséquences de la crise actuelle. La banque mondiale, inquiète des conséquences déflationnistes des politiques budgétaires restrictives préconisées par le FMI, n'exclut pas l'éventualité d'une récession mondiale en 1999. Tous les instituts économiques estiment que l'impact de la crise financière internationale sera plus fort que prévu. Selon l'association des économistes d'entreprises, la croissance pourrait n'être que de 2,1 % en 1999.

Pourtant, le Gouvernement entend garder le cap de 2,7 % et nous partageons cet objectif.

M. Philippe Auberger - C'est le cap de Bonne Espérance !

M. Christian Cuvilliez - Et de bonne volonté. Il importe d'agir au plan européen.

Au sommet de Postdam, la conception allemande du pacte de stabilité en matière de politique monétaire l'a emporté sur les espérances françaises d'un infléchissement social de ce pacte.

Si l'on peut aujourd'hui parler de pacte européen pour l'emploi, ce qui était inconcevable il y a quelques mois encore, force est de constater la prééminence de la logique du pacte monétaire qui donne la priorité à la défense des intérêts financiers.

Et la baisse des taux à laquelle la BCE s'est résolue ne signifie nullement un changement de cap de la politique monétaire mais témoigne d'une inquiétude devant la dégradation des perspectives de croissance en 1999.

Une contradiction forte marque d'ailleurs la politique monétaire de la BCE : d'un côté, elle souhaite éviter une guerre ouverte avec le dollar qui nuirait à nos exportations ; de l'autre, elle veut attirer le maximum de capitaux disponibles sur les places européennes, ce qui implique une maîtrise des dépenses sociales et des budgets.

La portée de la baisse des taux serait encore plus limitée, si elle avait pour contrepartie le respect encore plus strict du pacte de stabilité.

Une autre logique serait nécessaire : une politique budgétaire et monétaire expansive, une relance sélective du crédit, des mesures propres à encourager le dynamisme de l'économie réelle. S'agissant du crédit, il faudrait renforcer l'épargne spécialisée grâce à une rémunération correcte des épargnants, à la baisse nécessaire des taux pour les organismes HLM pouvant être obtenue par le biais d'une bonification par l'Etat et par les collectivités publiques des prêts consentis. Les moyens nécessaires à une telle relance des prêts bonifiés pourraient être obtenus en mettant à contribution les actifs et les revenus financiers.

Relancer l'investissement productif et les dépenses suppose de remettre en cause la priorité donnée aux placements financiers.

Il faut donc mener à son terme la réforme de la taxe professionnelle, en élargissant son assiette aux actifs financiers.

Pour ce qui est des recettes de cette loi de finances, de nouveaux progrès dans le rééquilibrage entre fiscalité directe et indirecte pourraient être financés. Le soutien ainsi apporté à la consommation populaire constituerait un signal politique fort.

Nous apprécions les baisses de TVA, mais pourquoi ne pas prendre des mesures plus structurelles ? Abaisser la TVA sur un certain volume de consommation de gaz et d'électricité, sur l'utilisation des installations sportives, sur les lunettes et sur les prothèses auditives, créerait de nombreux emplois.

Confirmer la disposition adoptée par le Sénat concernant le chocolat satisferait une demande ancienne et justifiée en faveur de la consommation populaire.

S'employer à faire évoluer la directive européenne pour rendre possible une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, sur les abonnements aux réseaux de chaleur, ou encore aux dépenses d'obsèques qui ajoutent aux peines de coeur des survivants des difficultés matérielles injustifiées.

D'autre part, pour que les collectivités se mobilisent au service de l'emploi, il conviendrait qu'elles bénéficient de la taxe professionnelle versée par France Télécom. Cela dit, nous mesurons à quel point le budget adopté par la majorité de gauche en première lecture peut être différent des options défendues par la droite.

Le texte qui nous revient du Sénat confirme l'impasse que constitue la traque dogmatique de la dépense qui laisse un champ toujours plus vaste à l'initiative privée et au marché.

Le Sénat a notamment souhaité alléger le régime fiscal et social des stock options, qui permet à des cadres supérieurs ou à des dirigeants d'entreprise de réaliser des plus-values boursières qui atteignent chaque année plusieurs dizaines de milliards !

Quelque 27 milliards de réduction des dépenses nous sont par ailleurs proposés. Mais comment les défenseurs de ce contre-budget pourraient-ils rendre crédible leur proposition de tailler dans les dépenses du RMI ?

Comment faire admettre aux lycéens, aux enseignants, qu'il serait légitime de supprimer des postes de professeurs ou de personnel ATOS, dont le nombre est déjà insuffisant, si l'on veut préparer correctement l'avenir de la jeunesse et du pays ?

Ce contre-budget éclaire la politique que la droite ne manquerait d'imposer au pays si elle revenait aux affaires. Heureusement, le Sénat n'est pas l'Assemblée !

Quelles que soient nos critiques, nos observations, nos appréhensions, cela nous conforte dans notre choix d'être partie prenante d'une majorité de gauche pour satisfaire l'attente de nos concitoyens.

Et c'est parce qu'il y va de la réussite de l'action entreprise depuis 1997 que nous insistons sur la nécessité de rompre avec les dogmes libéraux.

Nous apprécions, Monsieur le ministre, votre engagement relatif à la tenue d'un débat sur l'avenir du secteur financier, mais nous souhaitons que ce débat, loin de se limiter à un exercice de style, contribue à une élaboration plus collective de la politique gouvernementale, associant toutes les composantes de la majorité. Ainsi pour les caisses d'épargne, dont nous voulons préserver le caractère original.

Nous souhaitons que le Gouvernement soit plus à l'écoute du mouvement social, notamment des chômeurs et des précaires. La revalorisation des minima sociaux, que le Premier ministre a fini par accepter, répond en partie à cette attente. Mais comme disait le leader du mouvement M. Hoareaux, cette revalorisation ne représente que 2,40 F par jour. Il est possible de faire davantage encore, puisque les recettes fiscales de l'exercice 1998 sont supérieures aux prévisions et à l'apogée d'un cycle.

Une revalorisation plus significative des minima sociaux, et aussi du SMIC, que nous proposons à hauteur de 4 % au 1er janvier, permettrait de soutenir la demande des ménages et d'atteindre le cap des 2,7 % de croissance.

Vous venez d'annoncer une ouverture importante en faveur des retraités, qui ne comprendraient pas que l'on diffère l'application de la disposition relative au plafond des 10 %, proposée par la commission et adoptée par l'Assemblée.

Répondre à l'attente des plus démunis conduit à conserver la disposition adoptée par le Sénat sur le foncier bâti pour les titulaires du RMI.

Si l'amendement au collectif budgétaire permet de régler pour les journalistes le problème de la suppression des abattements pour frais professionnels, d'autres professions, non pas les épépineuses de groseilles dont parle la droite, mais les VRP par exemple, devraient bénéficier du même dispositif. Certains ministères devraient disposer de crédits supplémentaires, à commencer par l'Éducation nationale. La réunion du CNRS du 2 décembre a montré les difficultés auxquelles doit faire face la recherche publique française.

La nécessité d'atteindre l'objectif de 2,7 % de croissance justifie d'améliorer le budget pour 1999. C'est dans cet esprit constructif que nous abordons la discussion des amendements en deuxième lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Philippe Auberger - Le projet de loi de finances pour 1999 n'est pas encore voté qu'il est déjà caduc. Plus personne en effet, pas même le Gouvernement, ne se risque à soutenir que les hypothèses retenues, soit 2,7 % de croissance et 1,1 % d'inflation pourront être respectées. Hier, le Premier ministre a admis lui-même que les prévisions pour 1999 seraient plus difficiles à atteindre que celles pour 1998. Lui aussi n'y croit plus. Les prévisions seront donc nécessairement revues à la baisse, comme nous l'avions annoncé dès l'ouverture de la discussion budgétaire. Le ministre de l'économie avait alors qualifié nos mises en garde de "sornettes" ; on voit aujourd'hui qu'il aurait dû se montrer moins arrogant, car il s'agit d'un véritable infléchissement de l'activité comme des prix, qui doit conduire à réviser en baisse d'un point de croissance du PIB.

Quand ces prévisions vont-elles être revues, et dans quelles proportions ? Le ministre de l'économie a admis qu'il faudrait le faire dans les premiers mois de 1999. Cet attentisme porte préjudice à la crédibilité du Gouvernement, comme en témoigne la perte de confiance enregistrée par les sondages et les enquêtes d'opinion.

Quelles seront les conséquences de ces révisions sur l'équilibre de notre loi de finances ? Le niveau des recettes diminuera, et à dépenses inchangées, les prévisions relatives au déficit ne pourront pas être tenues. Or déjà l'objectif affiché de réduction du déficit est très faible, et nous place parmi les plus mauvais élèves de la zone euro. Notre retard va encore s'aggraver.

Si, pour tenir compte de la dégradation du solde, on décide de réduire les dépenses, il faudra revenir sur les arbitrages budgétaires. N'aurait-il pas mieux valu, comme nous le suggérions, créer un fonds d'action conjoncturelle ? Le Gouvernement ne pourra pas tergiverser bien longtemps.

Limiter l'ensemble des déficits publics à 2,3 % du PIB est devenu un objectif inatteignable. Cet objectif reposait sur l'hypothèse que les comptes de la Sécurité sociale seraient à l'équilibre en 1999. Pour y parvenir, la masse salariale soumise à cotisations devrait augmenter de 4,3 %. Qui pourrait escompter une telle hausse ? L'évolution se situera plutôt entre 3 % et 3,5 %. C'est dire l'ampleur des révisions nécessaires. Il manquera à la Sécurité sociale peut-être une quinzaine de milliards.

La dégradation de la situation économique rendra un peu plus caduque la prévision du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires. Les décisions prises à la fin de 1997 ont conduit à les porter à 46,3 % du PIB. Or quoiqu'en 1998, les plus-values fiscales soient nettement supérieures aux estimations, les prélèvements obligatoires ne diminueront pas, au contraire. La fiscalité locale ne se réduit pas non plus.

L'an prochain, la révision à la baisse d'un point du PIB entraînera une hausse du niveau global des prélèvements supérieure aux prévisions. Pour la troisième année consécutive, la promesse de réduire les prélèvements obligatoires ne sera pas tenue. Une fois de plus, l'Etat socialiste se révèle hyper-fiscaliste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les Français supportent cette situation de plus en plus mal.

M. Gérard Fuchs - Vous n'avez donc pas de mémoire ?

M. Philippe Auberger - En outre, ce projet de budget a été élaboré hors de toute prévision triennale de l'évolution des finances publiques. Je le déplore à nouveau. Le ministre de l'économie, la semaine dernière, s'est étonné que je lui demande pourquoi il ne voulait pas soumettre dès maintenant ces prévisions triennales au Parlement. La presse a jugé sa réponse bien alambiquée. Il a invoqué la volonté du Gouvernement de se coordonner avec l'Allemagne et le retard pris par ce pays du fait des élections législatives. La vérité est que ces prévisions triennales gênent le Gouvernement. En effet, soit ce dernier poursuit une politique de croissance forte des dépenses publiques, et alors il ne pourra pas réduire le déficit budgétaire dans les proportions imposées par le pacte de stabilité, ni diminuer les prélèvements obligatoires ; ou alors il veut maintenir le déficit budgétaire, et donc l'endettement, au niveau prévu et il ne parviendra pas à augmenter les dépenses publiques comme il le souhaite. Cet arbitrage gouvernemental est difficile à rendre. C'est pourquoi la réunion gouvernementale, jeudi dernier, n'en a pas débattu. C'est dire la légèreté des choix qui ont été faits ! J'ai interrogé le ministre de l'économie à ce sujet mais, bien entendu, je n'ai pas obtenu de réponse. Il est vrai que compte tenu de l'approche de certaines échéances électorales, le chef du Gouvernement préfère sans doute différer les choix difficiles.

Pourtant, une chose est certaine : il faudra bien que le Gouvernement se décide et tranche entre des objectifs qui ne sont ni compatibles les uns avec les autres, ni "eurocompatibles" !

Ce projet s'appuie sur des hypothèses irréalistes et ne donne pas les moyens de respecter les contraintes de l'euro. Pour concilier ces objectifs contradictoires, il faudrait réussir la quadrature du cercle ce qui, même pour un gouvernement socialiste, est une chose difficile ! C'est pourquoi le groupe RPR votera contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Louis Idiart - Plutôt que de m'exprimer à la tribune, je le ferai de mon banc, humblement, n'étant pas, à la différence de M. Auberger qui vient de nous faire la leçon, de ces économistes très brillants tant qu'ils n'ont pas à prendre de décisions.

Les brillants développements de M. Auberger, quand il était rapporteur général du budget, n'ont pas empêché que la politique conduite par lui et ses amis les ont conduits directement dans le mur ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Il est vrai que l'on est bien plus à l'aise dans l'opposition. Je vous souhaite de profiter longtemps de ce confort ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF)

Nous avons voté en première lecture un texte satisfaisant sur l'essentiel, même si quelques améliorations restent possibles, puisqu'il maîtrise les dépenses, baisse les prélèvements et soutient la consommation, comme nous nous y étions engagés devant les électeurs. Nous le soutenons parce qu'il baisse la TVA et la taxe professionnelle ; parce qu'il supprime certains droits d'enregistrement et simplifie certaines formalités administratives ; parce qu'il augmente l'ISF et moralise la vie économique, notamment grâce aux différents amendements adoptés sur le rapport de notre collègue Jean-Pierre Brard.

Dans ce domaine, il fallait des actes et pas simplement des déclarations d'intention, même si je sais que, là aussi, les brillants professeurs d'économie trouvent toujours des motifs indiscutables, aujourd'hui, la liberté ou, hier, la préservation du dynamisme de l'économie, pour repousser les décisions.

Enfin, le texte avait été amélioré par l'amendement de notre collègue de Courson que nous avons voté et que le Sénat a modifié d'une manière satisfaisante.

Nous étions donc parvenus à un texte équilibré. Le Sénat l'a totalement démoli en première lecture !

A lire le projet qu'il a adopté, j'ai l'impression de vivre un cauchemar dans lequel je serais ramené aux années du gouvernement Juppé !

M. Philippe Auberger - C'étaient de bonnes années !

M. Jean-Louis Idiart - Nous souhaitons soutenir l'activité et le Sénat a diminué de 18 milliards les budgets de l'emploi, de l'éducation nationale et de la santé, remettant en cause toutes les dispositions qui permettaient le financement des 35 heures et des emplois-jeunes.

C'est le retour à l'obscurantisme : la droite est décidément incorrigible.

Nous sommes donc aujourd'hui réunis pour reconstruire le budget et pour redonner des perspectives à notre pays, en l'améliorant encore.

Je suis donc heureux, Monsieur le ministre, que vous soyez revenu sur votre position en ce qui concerne l'abattement pour frais professionnels des retraités. Cela montre que ce gouvernement, à la différence de certains de ses prédécesseurs, n'est pas sourd. J'espère que nous adopterons les dispositions souhaitées dès ce soir.

M. le rapporteur général a évoqué la baisse de la TVA. Il vous faudra sur ce sujet être très persuasif à Bruxelles, Monsieur le ministre, car il est nécessaire de baisser les prélèvements indirects.

En ce qui concerne les dotations aux collectivités locales, nous sommes enfin sortis du pacte de régression de M. Juppé. Il faudra toutefois aller plus loin car le dispositif actuel risque de pénaliser certaines collectivités, ce qui n'est pas du tout son but. Nous serons très fermes sur ce point.

Ces précisions étant apportées, nous vous soutenons bien évidemment, Monsieur le ministre, tout en espérant que la nuit sera fructueuse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christiane Taubira-Delannon - Economiste, je profite pour ma part du privilège de pouvoir monter à la tribune. Il est vrai que nos résultats ne risquent pas de nous en faire interdire l'accès, mais peut-être sommes-nous des boucs émissaires trop faciles. Je connais la réputation qui nous est parfois faite d'être plus talentueux pour expliquer nos échecs que pour prévoir l'avenir. Il est vrai que l'économie n'est pas une science exacte.

M. Jean-Louis Idiart - Il y a de bons économistes.

Mme Christiane Taubira-Delannon - Je suis sûre, Monsieur Idiart, que vous ne vous en preniez qu'aux économistes de droite.

Le ministre de l'économie s'efforce de rassurer ceux qu'inquiète l'avenir de l'institut d'émission des départements d'outre-mer, l'IEDOM.

Son adaptation constituant une contrainte inéluctable issue du traité de Maastricht, nous devons réfléchir sur ses modalités et son accompagnement. L'alternative était soit la "filialisation", néologisme barbare signifiant que l'IEDOM devenait une filiale de la Banque de France, soit l'intégration à cette dernière.

En effet, le traité de Maastricht prévoit que les Etats participant à la monnaie unique ne peuvent avoir qu'une seule banque centrale.

Cette évolution n'est d'ailleurs pas entièrement négative puisqu'elle permet de lier l'IEDOM au système européen des banques centrales même si j'ai tendance, a priori, à regretter tout renforcement de la centralisation.

Cette contrainte date donc de 1992. Les gouvernements successifs auraient donc eu largement le temps de mener une concertation large sur ce sujet. Bien entendu vous n'êtes pas, Monsieur le ministre, comptable de la période 1992-1997 mais qu'a-t-il été fait depuis 1997 pour préparer le personnel à cette évolution ?

Celui-ci refuse aujourd'hui la filialisation, dont il a été informé alors que la décision avait déjà été prise. Il ne souhaite en effet pas être placé dans une situation différente de celle du reste du personnel de la Banque de France.

Il est vrai que le statut des personnels de la Banque de France serait, d'après des informations dont je ne suis pas sûre de la précision, particulièrement avantageux. Ses salariés seraient notamment payés 16 mois et demi par an et bénéficieraient d'une prime en mars et d'un régime de retraite particulièrement favorable.

Il est toujours gênant de défendre un tel statut quand on connaît la situation de beaucoup de nos concitoyens.

Je crois pourtant que la question n'est pas là et que la véritable injustice serait d'établir une inégalité entre plus de 18 000 personnes soumises au statut national et environ 500 autres "tropicalisées" par un statut spécifique.

En ce qui concerne l'IEDOM, les raisons fortes qui avaient conduit à sa création ont-elles disparu ? Qu'adviendra-t-il de certaines missions spécifiques comme le réescompte, qui demeure indispensable en raison de l'architecture financière de nos sociétés ? Que deviendront les garanties, facteurs de justice car chez nous l'appareil productif et le patrimoine professionnel sont encore en cours de constitution ? Quid, enfin, des mandats administratifs et du schéma de compensations, toutes dispositions qui n'ont fait l'objet d'aucune concertation ?

Construction audacieuse et ambition magistrale, l'Union européenne peut-elle admettre que l'on mette en son nom les gens en situation de précarité ? Elle a déjà montré qu'elle pouvait accepter des statuts dérogatoires.

Afin de rassurer chacun, je souhaite, Monsieur le ministre, que vous répondiez précisément à mes questions en ce qui concerne la procédure juridique -projet de loi, même s'il est sans doute trop tard, ou décret, ce qui laisserait place au pouvoir discrétionnaire du Gouvernement-, le calendrier, la méthode apte à apaiser le personnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

M. Cochet remplace M. Paecht au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE DE M. Yves COCHET

vice-président

M. le Secrétaire d'Etat - Dans son commentaire excellent sur ce qui reste du travail de l'Assemblée après que le Sénat s'est acharné dessus, le rapporteur général a souhaité que parmi les réductions de TVA les travaux d'entretien soient la première priorité. Le Gouvernement partage entièrement cette conviction.

Nous avons récemment écrit au commissaire européen qui nous a fait à ce propos une réponse plus ouverte que sur d'autres sujets. Le conseil des ministres de l'économie du 1er décembre a accepté des réductions expérimentales sur un certain nombre de services à forte densité de main-d'oeuvre, conformément aux demandes de la France. Même s'il faut prendre garde à ne pas rompre l'équilibre avec les services rendus par les associations, qui méritent toute notre considération, les efforts engagés en 1998 seront poursuivis l'an prochain.

M. Méhaignerie a vu dans la baisse des dépenses le seul critère d'efficacité budgétaire. Comment lui, qui fut un pionnier du RMI, peut-il se satisfaire des coupes opérées par le Sénat dans des budgets d'avenir comme l'Éducation nationale et la recherche ou dans les crédits du RMI ?

M. Pierre Méhaignerie - Il y a d'autres marges de productivité !

M. le Secrétaire d'Etat - Peut-être, mais les tailles opérées par le Sénat ne sont pas acceptables quand on veut sincèrement le progrès et la justice, et M. Cuvilliez a dit des choses fortes à ce propos.

M. Méhaignerie a aussi évoqué la conjoncture, comme MM. d'Aubert et Auberger. Il faut raison garder de ne pas extrapoler à partir des dernières informations.

La consommation des ménages a progressé de 3,7 % en un an, en grande partie en raison du dynamisme des entreprises, qui ont créé 303 000 emplois, et de la politique économique du Gouvernement, avec notamment le remplacement des cotisations sociales par la CSG sur le patrimoine, qui a offert 1 % de pouvoir d'achat aux salariés.

Des nouvelles encourageantes viennent aussi du logement, avec une reprise des mises en chantier. Elles sont plus préoccupantes du côté des entreprises qui, au troisième trimestre, ont puisé dans leurs stocks pour répondre à la demande. Elles ont ainsi exprimé leurs inquiétudes face à la conjoncture internationale, mais elles ne pourront éternellement procéder de la sorte. L'enquête de l'INSEE montre de bonnes performances pour l'investissement en 1998 mais un certain attentisme pour 1999. Notons toutefois que l'enquête de conjoncture de la Banque de France indique une augmentation de la production industrielle, signe que les entreprises surmontent le choc psychologique de la rentrée.

Comme l'a dit avec sagesse -et non avec suffisance- le ministre de l'économie, il faudra donc attendre d'être bien engagés dans 1999 pour mesurer la situation exacte, notamment en ce qui concerne l'investissement productif.

La suppression de la TVA sur les terrains à bâtir et son remplacement par des droits de mutation, adoptée à l'initiative de l'extrême gauche de cet hémicycle, a été d'application immédiate. L'idée n'avait été mûrie ni par le Gouvernement ni par la commission des finances. Nous avons beaucoup travaillé avec les professionnels. Une instruction a été publiée et le débat au Sénat a encore permis d'affiner le dispositif. Il permettra à la fois de soutenir l'activité du bâtiment et d'encourager l'accession à la propriété de nombreux ménages.

M. Pierre Méhaignerie - La plupart des accessions à la propriété se font dans le cadre de lotissements communaux. Quel sera le bénéfice pour un candidat à la construction dont le terrain à bâtir vaut 10 F et l'aménagement 300 F ?

M. le Secrétaire d'Etat - Pour les cas particuliers des communes rurales où le prix du foncier est faible et le coût de l'aménagement important, sur la suggestion du Sénat nous avons accepté que les communes qui procèdent aux aménagements aient le choix entre l'ancien système de TVA et le nouveau système de droits de mutation.

M. Pierre Méhaignerie - Le gain sera donc nul et l'accédant déçu.

M. Philippe Auberger - Absolument !

M. le Secrétaire d'Etat - Il s'agit de cas particuliers...

M. Pierre Méhaignerie - 80 % !

M. le Secrétaire d'Etat - Non.

Deuxième point, le régime fiscal des micro-entreprises. Vous craignez que le relèvement du seuil n'entraîne des distorsions de concurrence. Mais lorsque les prestations d'artisanat ou de commerce étaient taxées à 20,6 %, il y avait un travail au noir considérable. En abaissant le taux de TVA, nous luttons contre le travail clandestin. Tout seuil peut inciter à des fraudes, mais nous ferons en sorte d'éviter les dérapages en procédant à des contrôles.

En ce qui concerne l'abattement dont bénéficient les retraités, je vous précise qu'il n'y a pas eu de débat de fond entre le Gouvernement, la majorité et l'opposition sur l'opportunité de stopper le processus de baisse du plafond enclenché par le gouvernement Juppé. Le Gouvernement pensait qu'il valait mieux le faire à l'occasion de la prochaine loi de finances, mais puisque la majorité insiste pour fixer ce plafond dès cette année à 20 000 F, le Gouvernement saura être attentif aux améliorations proposées.

Monsieur Tourret, vos propos me satisfont presque totalement. Vous vous êtes inquiété du risque d'inflation zéro. Mais je voudrais réveiller vos souvenirs d'étudiant en économie. Pendant les années 50, il y a eu à la fois croissance économique et stabilité des prix ; puis, dans les années 60-70, croissance et inflation ; à partir des années 80, nous avons subi la "stagflation", c'est-à-dire la stagnation accompagnée d'inflation ; enfin, dans les années 90, il y a eu peu de croissance et peu d'inflation. Maintenant nous connaissons à la fois la croissance et la stabilité des prix, cela n'a rien d'inquiétant, au contraire, cela donne un pouvoir d'achat supplémentaire aux ménages.

L'idée d'utiliser le NIR à des fins fiscales ne sort pas d'un chapeau, elle a été longuement mûrie. M. de Courson, dont nous connaissons l'imagination créatrice dans le domaine fiscal, avait déjà évoqué cette possibilité dans un rapport remis en 1995. M. Jean-Pierre Brard l'a fait figurer parmi les nombreuses propositions qu'il a émises, à la suite d'une mission qui lui a été confiée par la commission des finances au sujet de la lutte contre la fraude fiscale. Il a bien expliqué que lutter contre cette fraude était un acte citoyen.

Son amendement a été voté à l'unanimité par l'Assemblée en première lecture, il a été longuement examiné par le Sénat.

Vous craignez que cela ne multiplie les contrôles fiscaux. En fait, le but est plutôt de simplifier les formalités des employeurs. Je précise que ni les banques, ni les compagnies d'assurances ne peuvent utiliser ce numéro. Les contribuables ont d'ailleurs déjà des numéros, simplement ils diffèrent d'une administration à l'autre.

Tous les pays voisins, qui sont des démocraties, pratiquent ce système et l'OCDE l'a recommandé. Vous avez fait état des objections de la CNIL. Mais quand vous aurez voté cet article, le décret d'application sera soumis au Conseil d'Etat, puis à la CNIL, qui pourra recommander certaines mesures de protection dont le Gouvernement tiendra le plus grand compte.

Je vous rappelle que la CNIL a déjà autorisé des fichiers autrement plus délicats.

M. d'Aubert a beaucoup parlé de conjoncture. Il a traité le Gouvernement de keynésien attardé : pour ma part, je préfère l'équilibre dynamique de ce budget au dogmatisme libéral qui considère toute dépense publique comme satanique par essence.

En ce qui concerne la CSG, je rappelle qu'elle a été fortement majorée entre 1993 et 1997 (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). La contrepartie de la hausse de la CSG sur le patrimoine, c'est la baisse des cotisations des salariés et donc des gains de pouvoir d'achat justifiés.

Monsieur Cuvilliez, je voudrais vous rassurer sur les conclusions du sommet européen de Vienne : il a décidé la mise en oeuvre d'un pacte européen pour l'emploi et c'est le résultat direct des initiatives prises par la France après juin 1997. L'Europe sociale progressera à nouveau.

Vous vous êtes plaint d'être peu écouté : c'est vrai que le Sénat vous a peu écouté (Rires), qu'il s'agisse du massacre des dispositions sur la réduction du temps de travail, des emplois-jeunes, des crédits pour le RMI et l'API, des postes d'enseignants, etc.

M. Christian Cuvilliez - Ce n'est plus une maison de retraite, c'est une volière de vautours !

M. le Secrétaire d'Etat - Sur les minima sociaux, je souligne que le relèvement de 3 % a un caractère rétroactif et entraînera le paiement, avant Noël, d'une somme de 875 F pour les titulaires de l'ASS et les érémistes célibataires, de 1 837 F pour les couples avec deux enfants et de 2 536 F pour les couples avec quatre enfants. Le Gouvernement a donc montré sa volonté de justice sociale.

Les réunions avec les VRP ont permis de constater que la plupart déclarent leurs frais professionnels réels et que le barème kilométrique pour leurs déplacements est particulièrement avantageux pour eux.

A M. Auberger, je puis seulement dire que répétition n'est pas raison. le Gouvernement n'est nullement embarrassé par des prévisions triennales. En revanche, je me souviens que les dernières prévisions élaborées par le gouvernement Juppé ont tellement effrayé certains qu'une dissolution en est résultée...

Nous nous concertons avec l'Allemagne pour élaborer ces prévisions triennales et début 1999 vous saurez tout sur ces projections.

Monsieur Idiart, je vous remercie de votre soutien particulièrement constructif. Vous avez attiré l'attention sur certaines collectivités locales qui seraient pénalisées par la réforme de la taxe professionnelle. Le Gouvernement a entendu le message puisque nous avons exclu de la baisse de la compensation de la taxe professionnelle les communes éligibles à la DSU, les communes bourgs-centres et le département de l'Essonne, sinistré à cet égard.

Mme Taubira-Delannon est revenue sur l'IEDOM et a exposé avec beaucoup de clarté la nécessité de fournir aux entreprises d'outre-mer des conditions de crédit plus avantageuses que celles qu'offrent les banques privées. Le Gouvernement y travaille, car nous sommes attachés à l'investissement outre-mer.

Vous avez ensuite évoqué le statut des personnels. Une réunion est prévue aujourd'hui même entre les syndicats de l'IEDOM et le ministère des finances pour examiner le statut du personnel et lui donner des garanties. Cette question, qui intéresse beaucoup les DOM, a été abordée mardi par le Premier ministre avec les élus, et elle est prise très au sérieux par le Gouvernement.

Je crois avoir répondu ainsi à tous les intervenants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 30.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER



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