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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 janvier 2002
(Séance de 18 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

puis de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi de M. Bernard Charles relative à la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie - n° 3450, de la proposition de loi de M. Alain Néri instituant une « Journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d'Algérie, des combats en Tunisie et au Maroc et de tous leurs drames » - n° 3064, et de la proposition de loi de M. Alain Bocquet tendant à instituer une journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combattants du Maroc et Tunisie - n° 2286 (Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteure)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Marie-Hélène Aubert, les propositions de loi de M. Bernard Charles relative à la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie - n° 3450, de M. Alain Néri instituant une « Journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d'Algérie, des combats en Tunisie et au Maroc et de tous leurs drames » - n° 3064, et de M. Alain Bocquet tendant à instituer une journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combattants du Maroc et Tunisie - n° 2286.

La rapporteure a relevé que l'officialisation de la journée du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires des combats en Afrique du Nord constituait un sujet grave qui méritait assurément un large débat.

Une première étape a été accomplie dans la voie de cette reconnaissance par le vote de la loi relative à la substitution, à l'expression « aux opérations en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc », adoptée à l'unanimité par le Parlement en octobre 1999. La poursuite de la reconnaissance des souffrances endurées par les victimes est la voie logique qui s'impose aujourd'hui aux parlementaires. Le but n'est pas ici de raviver les polémiques ; il est d'honorer et de remplir un devoir de mémoire et de justice. La dimension pédagogique de cette reconnaissance doit permettre de poser les bases d'un avenir de paix et de coopération entre les peuples français et algérien.

Certaines objections ont été formulées à l'encontre de cette initiative.

La première d'entre elles tient au choix de la date du 19 mars. Il convient de rappeler que le 19 mars 1962 est la date de l'entrée en vigueur, après sept ans de terribles combats, du cessez-le-feu en Algérie, conformément aux accords d'Evian signés le 18 mars et approuvés massivement par référendum le 8 avril 1962. Le choix de cette date n'a pas pour vocation de nier la poursuite des combats après le 19 mars, ni d'opérer un tri entre les victimes, pas plus que cette journée ne célèbre la fin des combats. Celle-ci doit être envisagée comme une journée du souvenir et du recueillement qui rende hommage à toutes les victimes, y compris les rapatriés et harkis. Des mesures ont d'ailleurs été prises en faveur de ces derniers, même si on peut déplorer leur caractère tardif. Il convient de rappeler que les exactions intervenues après le 19 mars 1962 résultent d'une part de l'action de l'OAS et d'autre part des agissements de l'armée de libération nationale algérienne. On ne saurait occulter non plus la responsabilité de la France.

La deuxième objection à l'adoption de cette proposition de loi est qu'il n'y aurait pas lieu de célébrer une défaite. Ce n'est pas l'objet de ce texte, lequel ne vise pas non plus à fêter une victoire. Son but est simplement de rendre hommage à un geste politique fort, un acte de décolonisation majeur approuvé démocratiquement par les Français. La proposition de loi ne vise pas à trancher la question de savoir si l'armée française a été ou non victorieuse, mais de célébrer l'acte par lequel il a été mis fin à un conflit dont l'issue ne pouvait être que politique.

La troisième objection est que l'on raviverait par cette initiative des passions déjà exacerbées. Tout d'abord, il est possible de traiter de cette question dignement. D'autre part, il est nécessaire de lutter contre l'oubli Or, aujourd'hui, le constat est que les différentes communautés célèbrent chacune la fin du conflit à diverses dates conduisant, à l'encontre de toute cohésion nationale, à un émiettement du souvenir. La République s'honorerait en unifiant cette célébration à la date du 19 mars, la plus légitime, la seule à s'imposer. D'aucuns ont proposé le 16 octobre, date anniversaire de l'inhumation du soldat inconnu d'Afrique de Nord au cimetière national de Notre-Dame-de-Lorette, dans le Pas-de-Calais. Un tel choix aurait l'inconvénient de n'avoir aucun rapport avec le conflit lui-même. D'autres ont proposé un « memorial day » à l'américaine, suggérant que le 11 novembre soit l'occasion de rendre hommage à tout soldat tombé pour la France. Outre qu'une telle option, d'origine anglo-saxonne, serait peu conforme à la tradition française, il serait dommage de ne plus faire de différence entre le 8 mai et le 11 novembre et de ne pas commémorer le conflit algérien, en niant ainsi sa spécificité.

En conclusion, la présente proposition de loi veut faire du 19 mars une journée symbolique qui n'exclurait personne, par le choix de la seule date ayant une véritable signification historique. On peut se rappeler que le général de Gaulle, agacé d'être toujours désigné comme « l'homme du 18 juin », aimait à rappeler qu'il était également celui du 19 mars. Cette anecdote démontre le caractère transpartisan de cette affaire. Aucune des composantes politiques de notre assemblée ne peut prétendre, à elle seule, avoir fait preuve à l'époque de lucidité et de clairvoyance ; toutes ont donc le devoir de regarder en face cette histoire qui est la leur et celle de tous les Français.

Un examen objectif et exhaustif de cette guerre s'impose à présent. La parution de nombreux livres et documents incitent à la réflexion. L'émotion provoquée par la publication du livre du général Aussaresses ou les incidents ayant marqué le match France-Algérie ont ravivé ces souvenirs douloureux. On ne peut continuer à faire comme si rien ne s'était passé.

Enfin, à ceux qui objectent que l'instauration de cette journée nationale n'est pas de la compétence du Parlement, il convient de rappeler que celui-ci peut légitimement exercer une telle responsabilité comme il n'a pas hésité à en assumer une autre en votant les pouvoirs spéciaux en mars 1956.

La reconnaissance de la journée du 19 mars constitue un devoir de mémoire permettant d'assumer le passé et de construire l'avenir en adressant un signal fort au peuple algérien dans une _uvre commune de mémoire et de vérité.

Après l'exposé de la rapporteure, M. Alain Néri a fait les observations suivantes :

- La multiplicité des textes animés d'une même volonté de faire du 19 mars une journée du souvenir et émanant de plusieurs composantes de l'Assemblée nationale démontre le caractère largement partagé de cette revendication. Il faut rappeler que leur examen fait suite à la reconnaissance par la représentation nationale de l'existence de l'état de guerre en Algérie. L'hypocrisie sur ce sujet a fort heureusement été levée grâce à la loi promulguée le 18 octobre 1999.

- Il convient de s'opposer fermement à toute initiative visant à mettre en place une forme de « mémorial day » à l'américaine. Chaque génération d'anciens combattants a droit à l'hommage de la Nation. Le 11 novembre permet de rendre hommage aux combattants de la guerre de 1914-1918 et le 8 mai à ceux de la guerre de 1939-1945. Au nom du devoir de mémoire les combattants de la troisième génération du feu méritent assurément un traitement identique. Il ne faut pas que la guerre d'Algérie, qui fut longtemps une guerre sans nom, devienne une guerre sans date commémorative. Une telle situation constituerait une injustice intolérable.

- Le choix de la date du souvenir pour les anciens combattants d'Afrique du Nord doit faire l'objet d'un large consensus et doit avoir un fondement historique incontestable. La seule date qui semble aujourd'hui recueillir l'assentiment du monde combattant est le 19 mars. C'est en effet le 19 mars 1962 que le cessez-le-feu a été mis en place en Algérie. Il faut signaler que cette date ne marque pas à proprement parler la fin de la guerre d'Algérie ; d'autres événements très douloureux ont eu lieu après cette date. Cependant le 19 mars apparaît comme la date la plus opportune pour rendre hommage à toutes les victimes de cette guerre en raison de sa double et indissociable signification. Pour les soldats et leurs familles, le 19 mars 1962 a été vécu comme la fin de combats cruels et le début d'une période de difficile réintégration dans la vie civile. Pour les rapatriés, cette date a signifié l'abandon de leur terre natale. Quant aux Harkis, cette date a été le point de départ d'un choix qui s'est avéré lourd de conséquences. On doit d'ailleurs déplorer très vivement les conditions désastreuses dans lesquelles ces personnes ont été par la suite accueillies en France. Elles ont été les victimes de discriminations inacceptables. Cet hommage de la Nation concerne au demeurant plusieurs générations : les parents des soldats et les enfants des anciens supplétifs de l'armée française. Au cours des dernières années, la deuxième génération de Harkis a justement rappelé aux pouvoirs publics le rôle joué par leurs parents aux côtés de l'armée française ; ils se battent légitiment pour que leur sort et celui de leurs parents encore en vie, jusqu'à présent peu enviable, s'améliore dans notre pays.

- Etant donné l'importance du sujet et la nécessité d'obtenir sur cette question un très large consensus, il est utile que soit prévu un vote solennel qui permettra à chacun de prendre position en toute conscience. Une telle démarche permettra de s'assurer que la Représentation nationale s'est prononcée de façon très large en faveur de cette date. Si une telle majorité n'était pas obtenue, cela signifierait que le travail n'est pas achevé sur cette question et que le cheminement du texte dans la procédure parlementaire ne peut se dérouler dans de bonnes conditions.

M. Maxime Gremetz a fait les remarques suivantes :

- Le fait que le 10 juin 1999, l'Assemblée nationale se soit prononcée de manière consensuelle pour la reconnaissance de la guerre d'Algérie a constitué une avancée extrêmement importante. Il fallait en effet reconnaître que les autorités françaises avaient décidé de s'engager dans une guerre en Algérie et d'y envoyer des soldats du contingent avec les conséquences importantes qu'une telle décision impliquait. Il faut se souvenir qu'au début des hostilités, le parti communiste qui, dès le départ, s'était prononcé contre cette guerre, se trouvait très isolé.

- Le fait que le 19 mars 1962 n'ait pas marqué la fin de la guerre d'Algérie ne pose pas de problème. De la même manière, le 11 novembre correspond à la commémoration de l'armistice et non pas à la fin de la première guerre mondiale. Le 19 mars 1962 a incontestablement constitué un moment historique fort, légitimé par la volonté populaire. La consultation référendaire du 8 avril 1962 a montré que la majorité des Français souhaitaient la fin de cette guerre. Célébrer cette date, c'est également rendre hommage au courage politique du général de Gaulle qui a placé la France sur la voie du désengagement en Algérie.

- Un sondage d'opinion très récent démontre qu'une grande majorité des Français (88 %) souhaiterait aujourd'hui que le 19 mars soit reconnu comme une journée du souvenir. Par ailleurs, plus de 20 000 conseils municipaux et la majorité des conseils généraux ont voté des résolutions en faveur du 19 mars. L'institution d'une telle journée donnerait en outre l'occasion aux jeunes générations, qui souvent l'ignorent, de connaître et de comprendre ce qu'a été la guerre d'Algérie. Un travail de sensibilisation devrait être accompli à cette occasion dans les écoles, les collèges et les lycées.

- S'agissant des modalités de vote de la proposition de loi, il n'y a aucune raison valable d'exiger une majorité qualifiée. La majorité simple de l'Assemblée nationale suffit en droit. En cas d'adoption de ce texte, même avec une majorité restreinte, le monde combattant ne comprendrait nullement que la navette parlementaire ne se poursuive pas jusqu'à son terme.

M. Jean-Paul Durieux a réaffirmé la volonté du groupe socialiste de voir aboutir le vote de la proposition de loi inscrite à l'ordre du jour du mardi 15 janvier 2002.

Les trois textes présentés par les groupes RCV, communiste et socialiste marquent tous la volonté d'assumer une partie douloureuse de notre histoire. Il était en effet anormal que cette période, qui va de la « Toussaint sanglante » de 1954 au cessez-le-feu de 1962, ne laisse aucune trace officielle dans la mémoire nationale. Il y a là un devoir de la Nation envers l'histoire et l'ensemble des victimes. Quarante ans après les faits, le moment est venu, hors de toute passion, d'officialiser une journée de souvenir et de recueillement qui permettra à la communauté nationale de prendre en charge cette part de son histoire et de manifester ainsi son respect à l'ensemble des acteurs et des victimes.

Aujourd'hui encore, cette période laisse vivace un sentiment mêlé de remords, de honte et de gâchis et maintient indéniablement présente une indicible douleur. Le sujet demeure extrêmement sensible et les mots utilisés pour évoquer les événements doivent être empreints de mesure et de respect. Il s'agit, avant tout, de faire acte de concorde, de réconciliation et d'unité nationale.

Le choix de la date du 19 mars est un choix responsable. Il aurait été beaucoup plus facile de retenir n'importe quelle date, sans réel rapport avec la guerre d'Algérie. Le 19 mars s'imposait néanmoins comme l'événement majeur qui, à terme, annonçait la fin des hostilités. Ce choix soulève beaucoup de passions. Cela démontre sa valeur symbolique et la nécessité de le défendre. Le 19 mars ne marque ni la fin de la guerre, ni la fin des souffrances. Cette journée ne sera donc pas une date de célébration et de réjouissances mais un rendez-vous du souvenir et du recueillement. Le choix du 19 mars n'efface pas non plus les événements et les souffrances postérieurs : ni le drame des Harkis, ni celui des Français rapatriés d'Algérie ne peuvent être oubliés.

En adoptant cette proposition de loi, la représentation nationale a, dans un esprit de concorde, l'occasion d'écrire une page d'histoire. Elle doit prendre toute la dimension de cet honneur en privilégiant un débat de qualité, sur un sujet qui le mérite.

Le président Jean Le Garrec, après avoir indiqué qu'il avait vécu la guerre d'Algérie en tant que rappelé du contingent, a déclaré partager pleinement les propos tenus par M. Jean-Paul Durieux et a repris à son compte les termes de remords, honte et gâchis pour décrire les sentiments qui, aujourd'hui encore, animent les acteurs et les victimes de cette guerre. Cette journée du 19 mars n'a donc pas vocation à célébrer une victoire ou une défaite mais simplement à marquer un temps de souvenir.

La poursuite sereine d'un travail de mémoire ne peut se réaliser que dans un climat de concorde nationale. Pour être complet, ce travail devra remonter, au-delà de la guerre d'Algérie, jusqu'à la conquête de 1830. En effet, seule l'analyse d'un processus historique long permet de comprendre la spécificité et la violence des événements d'Algérie.

En réponse aux intervenants, la rapporteure, a souhaité que les débats en séance publique prolongent ceux de la commission, dans un esprit de concorde et d'union nationale. L'objectif premier du texte est bien de tendre au consensus le plus large et de rassembler le plus grand nombre de parlementaires autour de cette manifestation du souvenir. Il convient ainsi de prouver la détermination des parlementaires à aboutir à la promulgation d'une loi en mettant en avant la volonté de dignité et de concorde des auteurs des différentes propositions de loi. La décision de procéder à un votre solennel renforce l'importance, la gravité et la valeur symbolique qui doit entourer l'adoption d'un tel texte.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi de M. Bernard Charles (n° 3450).

Article premier : Institution d'une journée nationale du souvenir

La commission a adopté un amendement de précision rédactionnelle de la rapporteure.

Elle a ensuite examiné un amendement de la rapporteure substituant aux termes de « morts civils et militaires » le terme de « victimes », de portée plus générale.

M. Alain Néri, tout en jugeant l'utilisation du mot « victimes » effectivement plus adaptée, a souhaité que l'on conserve la précision relative à leur caractère civil ou militaire afin de montrer que l'ensemble des personnes ayant souffert des conflits d'Afrique du Nord est concerné.

Après que la rapporteure a donné son accord, la commission a adopté l'amendement ainsi rectifié.

La commission a ensuite adopté un amendement supprimant la mention de la période 1952-1962 comme définissant les bornes des conflits en Afrique du Nord et substituant, en cohérence avec la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, aux mots « du Maroc et de Tunisie », les mots « en Tunisie et au Maroc ».

La commission a adopté l'article premier de la proposition de loi ainsi modifié.

Article 2 : Choix et qualité de la journée nationale du souvenir

La commission a adopté un amendement de la rapporteure de simplification rédactionnelle puis l'article 2 ainsi modifié.

Titre : Proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie

Un amendement de la rapporteure visant à supprimer, après les mots « victimes », les mots « civiles et militaires » est devenu sans objet compte tenu de la rédaction retenue à l'article premier.

La commission a ensuite adopté un amendement de cohérence rédactionnelle de la rapporteure.

Elle a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi rédigée.


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