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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 66

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 septembre 1999
(Séance de 15 heures )

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Audition, en présence de la presse, de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail - n° 1786 rectifié (M. Gaëtan Gorce, rapporteur)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail - n° 1786 rectifié.

Mme Martine Aubry, après avoir relevé que le présent projet de loi s'appuie sur les résultats des négociations qui se sont développées après le vote de la loi du 13 juin 1998, a présenté la deuxième loi sur la réduction négociée du temps de travail comme un outil pour réussir les 35 heures. La démarche engagée constitue par ailleurs - les chiffres le montrent - une piste sérieuse et opératoire pour résorber le chômage.

Le bilan de l'application de la première loi apparaît à ce jour particulièrement positif puisque pas moins de 15 000 accords ont été signés, créant ou préservant environ 120 000 emplois. 27 % des salariés des entreprises de plus de vingt salariés sont actuellement couverts par un accord. On dénombre aujourd'hui 101 accords de branche couvrant au total 8 millions de salariés.

Plusieurs conclusions peuvent être tirées des négociations qui ont été menées à la suite de la première loi :

- Il faut faire confiance à la négociation collective et à la maturité des chefs d'entreprise comme des organisations syndicales. Il est incontestable que le dialogue social a été notablement relancé. Il convient de se réjouir de ce que, dans neuf cas sur dix, l'ensemble des organisations syndicales présentes dans l'entreprise ont signé l'accord de réduction du temps de travail. Lorsque ces accords ont donné lieu à des consultations des salariés, les résultats obtenus ont atteint de très bons scores (plus de 80 % en général).

- La préparation des accords négociés, qui se présentent comme des accords « sur mesure », requiert du temps : six à neuf mois sont en règle générale nécessaires pour négocier un accord. En outre, il s'écoule en moyenne trois mois entre la signature d'un accord et la réalisation des embauches prévues. Ces délais sont indispensables pour favoriser la signature d'accords de qualité. La précipitation aboutirait vraisemblablement à une dégradation de cette qualité. Cette réalité plaide pour l'instauration d'une période d'adaptation permettant aux entreprises de s'adapter le mieux possible à la nouvelle donne des 35 heures.

- La méthode retenue a permis de trouver des solutions équilibrées et adaptées à la situation de chaque entreprise. C'est ainsi que l'adhésion de toutes les catégories de salariés a pu être obtenue. Les accords voient de cette manière leur pérennité assurée, notamment parce que leurs souhaits ont été pris en compte pour la gestion de leur temps.

- Les cadres doivent et veulent aujourd'hui bénéficier de la réduction de leur temps de travail. L'analyse des accords montre que 58 % des cadres couverts par des conventions bénéficient des dispositions applicables aux autres salariés ; 42 % se voient appliquer des dispositions qui leur sont propres.

- Il faut se féliciter du caractère globalement équilibré du financement de la réduction du temps de travail, le bouclage financier des accords étant assuré grâce aux gains de productivité et grâce à la modération salariale. Ces résultats correspondent aux hypothèses les plus favorables retenues dans les études établies au moment du vote de la première loi par les experts et les économistes de l'OFCE ou de la Banque de France.

- Des termes des accords signés à ce jour il ressort que 80 % des salariés n'ont pas connu de baisse de salaire et que les salariés payés au SMIC ont vu leur rémunération maintenue.

Présentant le contenu de la seconde loi, Mme Martine Aubry a souligné les points suivants :

- La seconde loi a pour but de faciliter la conclusion d'accords qui ne lèsent aucune des parties, tout en ménageant la souplesse indispensable à la réussite des négociations et en accordant des garanties aux salariés. Ces garanties leur sont accordées notamment lorsqu'ils sont couverts par un accord prévoyant une forme de modulation des horaires. Des délais de prévenance doivent par exemple être respectés. Par ailleurs, le contingent d'heures supplémentaires se voit réduit en cas de modulation. De nouveaux espaces de négociation sont ouverts par le projet ; ainsi la bonification des heures supplémentaires peut, dans certains cas, être réalisée soit sous forme de compensation financière soit sous forme de repos.

- Il faut relever qu'un effort de simplification a été entrepris puisque les trois systèmes de modulation du temps de travail existant sont fondus en un régime unique. L'analyse des accords signés à ce jour montre d'ailleurs que les systèmes de modulations qui ont été négociés peuvent être qualifiés de raisonnables : seules 5 % des entreprises concernées maintiennent une durée du travail supérieure à 42 heures sur plus de dix semaines.

- Il faut rappeler que la loi du 13 juin 1998 avait permis l'émergence de nouveaux droits favorisant le temps partiel choisi. Le présent projet comporte, quant à lui, dans son article 6, une définition du temps partiel mise en cohérence avec une directive communautaire. Il met par ailleurs en place un meilleur encadrement des heures complémentaires et prévoit que les salariés peuvent refuser d'effectuer ces heures sous certaines conditions. De même, ils peuvent refuser une modification de la répartition des horaires pour des raisons familiales impérieuses. En outre, la disparition de la formule actuelle du temps partiel annuel donne lieu à l'établissement de deux cadres juridiques adaptés qui sont l'intermittence et le temps partiel modulé. Le fil conducteur du projet de loi consiste, d'une manière générale, à permettre une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée.

- La seconde loi doit apporter des solutions originales et pragmatiques aux problèmes rencontrés lors des négociations des accords issus de la première loi. S'agissant des cadres tout d'abord, la réduction du temps de travail doit leur être appliquée de manière cohérente et compatible avec la réalité de leur travail. On peut distinguer trois catégories de cadres, les cadres suivant un horaire collectif qui seront soumis au droit commun, les cadres dirigeants dont l'horaire ne peut être ni prédéterminé ni décompté et qui ne seront pas soumis aux dispositions sur la durée du travail, enfin une troisième catégorie intermédiaire, celle des cadres qui pourront bénéficier de conventions de forfait. Le projet de loi renvoie à la négociation le soin de déterminer dans quelle catégorie les différents cadres peuvent être intégrés. En ce qui concerne les formules de forfaits sous forme de jours, elles permettent de mettre fin aux hypocrisies du passé et de régler les contentieux multiples déjà existants en matière de décompte des horaires effectués. Un plafond de 217 jours travaillés est fixé dans le projet, sachant que la négociation peut bien entendu permettre de diminuer le nombre maximal de ces jours. Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, les cadres travaillent en moyenne 230 à 235 jours par an.

- En ce qui concerne la formation, elle ne devra pas être sacrifiée malgré une diminution de la durée de présence dans l'entreprise. Le présent projet prévoit la possibilité d'accorder aux salariés de nouvelles opportunités de développement personnel ou professionnel qui ne sont pas forcément liées à l'obtention d'un diplôme. Les accords peuvent consacrer un droit à la formation en jours, effectuée pour partie sur le temps de travail, pour partie sur le temps libéré. Tel est l'objet du co-investissement. Il ne s'agit toutefois que d'un premier volet d'un dispositif beaucoup plus large qui sera présenté dans le cadre d'un prochain projet de loi actuellement préparé par Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle qui s'inscrira dans l'objectif de faciliter les voies d'accès à la formation tout au long de la vie.

- Le présent projet prend en compte la spécificité des PME. Il propose d'insérer dans le code du travail la formule de réduction du temps de travail en jours sur le mois, formule qui a connu un certain succès dans les accords déjà négociés. Des mesures favorisant les groupements d'employeurs sont en outre prévues et des modalités spécifiques de négociation sont mises en place dans les petites structures grâce au système du mandatement et à la possibilité de négociation reconnue dans certains cas aux délégués du personnel. D'une manière générale, la seconde loi pourrait être l'occasion, pour le secteur de l'artisanat et du commerce, de modifier l'image de la profession auprès des jeunes, en leur offrant de meilleures conditions de travail plus attractives qu'actuellement.

- En ce qui concerne les salaires, le présent projet consolide le résultat des négociations, qui ont très fréquemment prévu une compensation financière intégrale. Pour les salariés payés au SMIC réduisant leur durée de travail, à temps plein ou à temps partiel, le maintien du pouvoir d'achat est garanti selon un système décrit à l'article 16. On peut relever que le SMIC horaire actuel continuera de s'appliquer. Le principe « à travail égal, salaire égal » sera pleinement respecté pour les salariés nouvellement embauchés, à temps plein ou à temps partiel ayant réduit leur temps de travail.

- La généralisation des 35 heures va de pair avec un système d'allégement structurel des cotisations sociales patronales qui doit permettre d'assurer un financement équilibré du passage à la nouvelle durée légale du travail. Il s'agit d'un nouveau mode de financement de la protection sociale dans notre pays, non plus basé uniquement sur le salaire mais également sur les profits des entreprises et les activités polluantes. Ce système doit entraîner par lui-même un effet favorable sur l'emploi. Il présente la caractéristique de ne pas faire peser la charge sur les ménages mais sur les entreprises et il n'implique pas de « trappe à bas salaires », comme le fait la ristourne dégressive actuelle qui a tendance à tirer la grille des revenus les plus faibles vers le bas. Il n'a en revanche pas été jugé possible de fixer dans la loi une contrepartie en nombre d'emplois créés pour l'octroi de l'aide. Ces créations d'emplois varieront en effet certainement selon les situations des différents secteurs d'activité. Par ailleurs, il a été décidé de faire confiance à la négociation, qui devra permettre de définir des conditions favorables à l'emploi.

Pour conclure, Mme Martine Aubry a insisté sur le fait que le projet de loi, qui répond à un véritable projet de société, permettra de répondre à un objectif premier qui est le développement de l'emploi. Les résultats de la loi du 13 juin 1998 sont tout à fait prometteurs. Il est essentiel de préserver la dynamique en cours.

Après l'exposé de la ministre, le président Jean Le Garrec a rappelé que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales avait déjà beaucoup travaillé en amont de la présentation du présent projet, à travers notamment l'élaboration de deux rapports d'information au cours du premier semestre 1999. La commission participera activement au travail pédagogique d'explication d'un texte qui semble parfois complexe et contribuera à son amélioration. Il ne s'agit pas de « durcir » le projet de loi mais de trouver un équilibre satisfaisant entre trois objectifs essentiels : les intérêts des salariés, l'efficacité de la politique de l'emploi et le développement économique des entreprises. S'agissant plus particulièrement de la baisse des cotisations patronales, il est important que le Gouvernement explicite dès à présent les mécanismes de compensation qui vont jouer au profit des organismes de protection sociale.

La seconde loi sur les 35 heures représente un projet d'avenir global pour la société française. Elle permettra de consolider la relance sans précédent du dialogue social qui s'est opérée depuis le vote de la première loi. Il faut insister sur le fait qu'à ce jour, ce sont 50 000 salariés qui ont déjà participé aux négociations. Cette deuxième loi permettra, aussi, de faire évoluer la réflexion sur le rapport au travail et aux entreprises. Cette réflexion essentielle, qui s'était interrompue au cours des quinze dernières années, du fait notamment du phénomène du chômage et des difficultés économiques, est en train de reprendre et trouve une formidable impulsion grâce au projet de société lié aux 35 heures.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, après avoir considéré que les craintes de l'opposition concernant l'application de la première loi sur les 35 heures s'avéraient fondées, a fait les observations suivantes :

- La période d'expérimentation n'a pas été assez longue puisqu'il a fallu, en général, plus de six mois de négociations pour aboutir à des accords. Il est donc trop tôt pour pouvoir en tirer aujourd'hui des conclusions définitives. Si les bénéfices apparaissent toujours au début de la négociation des accords, les inconvénients ne manquent pas d'apparaître avec le temps, au fur et à mesure de leur application. C'est après la noce que les difficultés commencent.

- En ce qui concerne l'emploi, bon nombre d'éléments d'appréciation manquent cruellement à ce stade. On ignore toujours l'impact réel des effets d'aubaine, les incidences en termes de créations réelles d'emplois des accords qui ont permis l'embauche de salariés travaillant auparavant dans l'entreprise par intérim, l'impact des 35 heures sur les emplois de service et de proximité, enfin, leurs conséquences sur d'éventuelles délocalisations d'emplois.

- On peut noter néanmoins certains aspects positifs du processus engagé par le Gouvernement, et notamment le fait que l'actuelle majorité se soit apparemment convertie à la nécessité de réduire les charges sociales patronales. Il faut également se réjouir que soit mis fin à une tradition culturelle selon laquelle les cadres sont taillables et corvéables à merci et que le recours aux groupements d'employeurs soit facilité.

M. Maxime Gremetz, après avoir rappelé que la gauche plurielle s'était fixée comme objectifs, de libérer le temps des salariés (pour la citoyenneté notamment), de lutter contre le chômage, et d'améliorer les conditions de travail des salariés, a estimé que le texte présenté était invotable en l'état par le groupe communiste qui sera donc amené à proposer un nombre conséquent d'amendements. Plusieurs points, pour ne citer que les principaux, posent en effet problème :

- Le fait que la deuxième loi ne comporte pas d'obligations en termes de créations d'emplois ne peut que favoriser les effets d'aubaine au bénéfice des chefs d'entreprise et au détriment des salariés. Il conviendrait de conditionner l'attribution des aides à l'engagement de procéder à 6 % d'embauches en contrepartie des 10 % de réduction du temps de travail.

- Il est anormal que l'UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce) soit mise à contribution à hauteur de 40 milliards de francs pour le financement des 35 heures.

- Le groupe communiste souhaite que la réduction du temps de travail s'applique également dans le secteur public et dans les fonctions publiques.

- Le recours aux heures supplémentaires doit être rendu dissuasif. Il faut demeurer vigilant quant au décompte de la durée effective du temps de travail pouvant être réalisé au cours des négociations. S'agissant des cadres, il faut s'efforcer de contrôler plus strictement les horaires effectués, trop d'heures effectuées étant encore non payées.

- En ce qui concerne le SMIC, il est indispensable de relever le taux horaire de 11,4 % dès le 1er janvier 2000.

- La définition du temps partiel n'est pas acceptable.

- Dans le domaine de la formation professionnelle, l'article 10 du projet devrait être modifié, le temps libéré pour les salariés ne devant pas leur servir à se former. Il faut combattre les thèses du patronat qui cherche à développer toutes les formes possibles du co-investissement.

- Il importe de s'assurer que les accords signés le soient par les syndicats représentant réellement la majorité des salariés. Ce souci, qui trouve une traduction à l'article 11 du projet, a néanmoins semblé contredit par le fait que, pendant l'été, des accords signés par des syndicats minoritaires, dans les secteurs de la banque et de la chimie par exemple, ont néanmoins obtenu leur extension.

- L'article 15 relatif au licenciement pour refus de se voir appliquer une réduction du temps de travail constitue une régression.

- La deuxième loi pourrait permettre le cumul par une entreprise du recours à la modulation et aux heures supplémentaires.

M. Denis Jacquat a souligné les difficultés particulières posées par la réduction du temps de travail dans le domaine médico-social. Il a souhaité savoir si un moratoire était prévu, de sorte que les accords conclus avant le 30 juin 1999 mais dont l'application est bloquée par la procédure d'agrément ministériel obtiennent cependant des aides maximales. Comment, en pratique, appliquera-t-on la réduction du temps de travail à l'aide ménagère et dans les hôpitaux ?

De façon générale, la mise en _uvre de la réduction du temps de travail passera-t-elle par une modification du taux de salaire horaire du travail à domicile ? L'application de la loi posera incontestablement difficulté dans le secteur de l'aide à domicile, des aides à la personne ; aujourd'hui, ces activités reposent sur un dispositif horaire excluant toute mensualisation. On risque de porter atteinte aux trésoreries des associations au c_ur de ces activités.

Enfin, le passage à 35 heures dans les établissements médico-sociaux suppose une réflexion sur la tarification pratiquée par les établissements accueillant des personnes âgées, qui souffre déjà d'importantes disparités. La tarification devrait être homogénéisée au niveau national.

M. Yves Cochet, après avoir rappelé que le processus de mise en place de la réduction du temps de travail constituait sans doute la réforme la plus importante de l'actuelle législature, a précisé les conditions nécessaires à son plein effet :

- Tout d'abord, on voit mal comment la réduction du temps de travail pourrait ne pas être étendue à la fonction publique.

- Deuxièmement, il faut mieux inciter plus les petites et moyennes entreprises à passer aux 35 heures. A cet égard, le délai d'adaptation jusqu'en 2004 pour les entreprises de moins de vingt salariés apparaît trop long.

- En troisième lieu, il faut inciter au passage à la semaine de quatre jours. Celle-ci constitue en effet un saut qualitatif important par rapport à la seule possibilité de disposer d'une demi journée par semaine.

Il a ensuite exposé les améliorations pouvant être apportées au projet de loi en soulignant que l'objectif premier du texte devait être la création d'emplois :

- Il conviendrait d'opérer une distinction en matière de taxation des heures supplémentaires entre les entreprises qui ont négocié les 35 heures avant l'entrée en vigueur de la deuxième loi et les autres. La taxation uniforme de 10 % pendant la période d'adaptation apparaît en l'état comme une « prime à l'immobilisme ».

- La détermination du contingent d'heures supplémentaires devrait relever de la seule loi et non simplement du décret, et ce, afin d'apporter des garanties suffisantes aux salariés.

- La réduction du temps de travail devrait s'appliquer aux cadres dans les mêmes proportions - 10 % - que pour les autres salariés, même si, pour cela, des modalités particulières doivent être adoptées.

M. Yves Rome, après avoir souligné le caractère plus qu'honorable du bilan quantitatif de la réduction du temps de travail en terme de création d'emplois, s'est félicité de la relance de la négociation collective, laquelle a d'ores et déjà affecté une entreprise de plus de vingt salariés sur deux. Il a ensuite souligné les points suivants :

- Il faut insister sur le caractère positif des diverses dispositions inscrites dans le projet de loi telles que la confirmation du système du mandatement ou la volonté d'intégrer les cadres dans le champ de la réduction du temps de travail.

- On peut noter l'ouverture de nouveaux espaces de négociation qui favorisent la démocratisation du monde du travail et, plus généralement, l'émergence d'un projet de société plus humain.

- Il faut souhaiter que les organisations syndicales puissent participer à l'évaluation et au contrôle des accords signés au sein des entreprises.

M. Hervé Morin a tout d'abord considéré que le bilan quantitatif présenté par la ministre était trop flatteur car il opérait un amalgame entre des créations d'emplois de nature très diverse, certaines étant consécutives à la « loi Robien », d'autres correspondant à l'intégration d'intérimaires, d'autres encore découlant de l'effet d'aubaine créé par la loi. Il a ensuite insisté sur les points suivants :

- La reprise du dialogue social est positive ainsi que la baisse des cotisations patronales.

- Il faut être conscient - et l'exemple de la métallurgie allemande le montre - que la réduction du temps de travail n'est pas en elle-même créatrice d'emplois.

- Il convient de déplorer que cette nouvelle loi, sous couvert de création d'emplois, accentue à nouveau les prélèvements sur les entreprises par le biais de l'écotaxe notamment. Il faut regretter également que l'UNEDIC ait à supporter le coût des 35 heures.

- L'accueil réservé à la réduction du temps de travail risque d'être mitigé parmi ceux pour lesquels elle sera synonyme de travail de nuit ou le week-end. Pour les salariés situés au bas de l'échelle salariale, les espoirs vont avant tout vers la perspective d'une amélioration de leurs rémunérations et non vers une diminution de leur temps de travail.

- On peut relever que le projet met fin au SMIC en instituant une allocation différentielle en cas de passage de 39 à 35 heures. Celle-ci ne bénéficierait pas aux salariés travaillant déjà 35 heures ou moins, ce qui irait à l'encontre du principe jurisprudentiel « à travail égal, salaire égal ».

- Il faut déplorer que la démarche retenue soit à la fois collective et obligatoire alors qu'il aurait été plus judicieux, d'une part, de mettre l'accent sur la réduction individuelle du temps de travail en harmonie avec les préoccupations de chacun et, d'autre part, de renforcer les formules telles que les congés sabbatiques ou d'autres systèmes permettant de concilier la vie professionnelle avec la vie privée.

- Cette réforme des 35 heures aura indéniablement pour conséquence d'obliger les salariés à travailler au-delà de 60 ans, ce qui sera nécessaire pour équilibrer à terme les régimes de retraite.

- Il faut enfin relever que la deuxième loi ne permet pas de remettre à plat les rôles respectifs des différentes institutions représentations du personnel.

En réponse aux intervenants, Mme Martine Aubry a donné les indications suivantes :

- Dès le début de la semaine à venir, un bilan global intégrant les accords signés très récemment sera disponible afin de permettre aux parlementaires d'apprécier à leur juste valeur les effets positifs de la réduction du temps de travail sur l'emploi. Il convient d'ores et déjà de souligner que 27 % des salariés appartenant à des entreprises en comptant plus de vingt sont aujourd'hui couverts par un accord d'entreprise.

- Des études montrent de façon incontestable que les effets d'aubaine sont en réalité extrêmement réduits, y compris dans les secteurs porteurs en matière de création d'emplois. Il apparaît clairement que la signature d'accords sur la réduction du temps de travail entraîne un décollage de l'emploi dans les entreprises et les secteurs qui sont passés aux 35 heures par rapport à ceux ayant les mêmes caractéristiques, restés à leurs horaires antérieurs.

- S'il est souhaitable d'inciter les entreprises à aller au-delà des 35 heures pour parvenir aux 32 heures hebdomadaires ou à la semaine de quatre jours, il ne faut pas généraliser une telle organisation du travail. Il est préférable de laisser à chaque entreprise une possibilité de choix, tenant compte de ses besoins et aspirations.

- Il n'y a pas de raison que la répartition traditionnelle entre la loi et le règlement soit modifiée en ce qui concerne le contingent annuel des heures supplémentaires.

- Il faut être prudent sur le sujet du décompte des heures effectuées par les cadres. Certains d'entre eux refusent d'ailleurs que leur travail soit contrôlé. Il ne s'agit donc pas d'imposer un décompte journalier strict du travail des cadres.

- Il est inexact de parler d'un accroissement des charges pesant sur les entreprises à cause des 35 heures. Il est, en effet, réalisé un transfert de charges des entreprises de main-d'_uvre vers les entreprises capitalistiques, des grandes entreprises vers les PME. Alors que l'écotaxe sera prochainement imposée au niveau européen, la France a choisi une redistribution de son poids entre les entreprises et non une surtaxation, à la différence des systèmes mis en _uvre chez certains de nos partenaires européens.

- La réflexion sur la réduction individuelle de la durée du travail mérite d'être poursuivie parallèlement à celle sur les réductions collectives.

M. Yves Nicolin a estimé qu'il y avait une contradiction entre l'objectif de promotion de la négociation mis en avant par la seconde loi et la remise en cause d'accords déjà signés à cause des nouvelles obligations contenues dans cette même loi.

M. Gérard Terrier a plaidé pour que soient prévues des mesures d'accompagnement destinées à favoriser le temps partiel choisi.

M. François Goulard a évoqué la différence de traitement entre un salarié ayant un seul employeur et un autre en ayant plusieurs, en prenant l'exemple d'une femme de ménage ayant plusieurs employeurs et qui devrait continuer à travailler 39 heures pour être payée au SMIC comme elle l'était auparavant.

M. Alain Néri a jugé indispensable d'apporter des précisions au texte notamment en matière de durée effective du temps de travail. Certaines entreprises ont ainsi remis en cause l'intégration dans le temps de travail effectif des temps de pause ou de douche ou tenté de supprimer certains jours fériés.

Mme Odile Saugues a estimé nécessaire de prévoir une protection particulière pour les salariés ayant contribué à la négociation des accords, une fois le travail du comité de suivi effectué.

M. Yann Galut, après avoir souhaité qu'une contrepartie soit imposée en termes d'embauches dans les accords, que le contingent d'heures supplémentaires et le maximum hebdomadaire soient diminués et que le texte soit renforcé en ce qui concerne le recours au travail à temps partiel, a considéré qu'il fallait également prêter une attention particulière à la durée du travail des cadres dirigeants des petites entreprises.

- La mise en place de comités de suivi est une garantie essentielle. La question de la protection de ses membres sera examinée, mais il faut garder à l'esprit que ceux-ci sont souvent des délégués syndicaux et bénéficient à ce titre déjà d'une protection contre le licenciement.


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