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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 67

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 septembre 1999
(Séance de 10 heures 15)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

- Auditions, en présence de la presse, sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail - n° 1786 rectifié (M. Gaëtan Gorce, rapporteur)

 

· M. Jean-Marc Icard - CFE-CGC

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· M. Jean Delmas - UPA

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Marc Icard, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération française des cadres (CFE-CGC), sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

M. Jean-Marc Icard a fait référence, en préalable, à une étude de l'APEC relative aux rapports des cadres avec leur entreprise qui a donné lieu dans la presse à des titres surprenants, titres selon lesquels les cadres divorceraient de l'entreprise. On est en réalité dans la phase de conciliation et le divorce pourra être évité si trois conditions sont remplies :

- si le statut des cadres est redéfini. Aujourd'hui on ne sait plus qui est cadre ;

- si leurs fonctions sont redéfinies, les cadres participant de moins en moins aux décisions stratégiques ;

- si les cadres ne sont pas marginalisés dans la mise en place de la réduction du temps de travail. En effet, il leur incombera de réfléchir à une nouvelle organisation du travail dans l'entreprise. Comment pourraient-ils obtenir l'adhésion des salariés, s'ils ne sont pas eux-mêmes motivés ?

Alors que les contraintes qu'ils ont à assumer augmentent, notamment en raison des nouvelles technologies qui accroissent leurs astreintes, les cadres bénéficient de moins en moins d'assistance et de secrétariat. Ils redoutent de surcroît que la réduction du temps de travail ne s'applique pas à eux et que leur charge de travail ne soit pas diminuée mais, au contraire, augmente.

La CFE-CGC est déçue par le projet de loi.

Tout d'abord, la complexité extrême du régime des heures supplémentaires qui peut donner lieu à des interprétations multiples sera une source de contentieux importante. Il faut le simplifier. Par ailleurs, la contribution de 10 % si l'horaire collectif excède les 35 heures devrait être affectée au fonds paritaire pour l'emploi de l'UNEDIC sans qu'il soit nécessaire d'en créer un nouveau à cet effet.

En second lieu, le régime spécifique des cadres donne lieu à un marché de dupes. La CFE-CGC avait proposé de distinguer entre trois catégories de cadres :

- la première catégorie est constituée des cadres intégrés dans l'équipe de travail. Elle recoupe d'ailleurs celle retenue par le projet de loi et ne soulève pas de difficulté. Ces cadres se verront appliquer les horaires collectifs de l'entreprise avec des systèmes de contrôle variables et une rémunération des heures supplémentaires semblable à celle des autres salariés.

- la deuxième catégorie regroupe les cadres effectuant, de par leurs fonctions, un nombre récurrent d'heures supplémentaires. Une forfaitisation annuelle ou mensuelle et une prise en compte des heures supplémentaires leur seraient tout à fait adaptées. Il faut toutefois souligner qu'un contentieux important est prévisible dans la mesure où de nombreux cadres pensent à tort qu'ils sont d'ores et déjà forfaitisés alors qu'ils devraient être rémunérés pour leurs heures supplémentaires. La réforme devrait donc conduire pour eux à l'établissement de forfaits et une augmentation de salaire qui posera des difficultés aux entreprises.

- La troisième catégorie est constituée des cadres dirigeants. La loi ou la négociation devra en poser la définition exacte. Un cadre dirigeant est-il un cadre nommé par le conseil d'administration ou bien le responsable d'une équipe ? Ce n'est pas du tout la même chose.

A l'encontre des propositions de la CFE-CGC, le projet de loi prévoit la réduction du temps de travail des cadres de la deuxième catégorie par la conclusion de forfaits en jours travaillés dont le nombre ne peut dépasser 217 jours par an et ne contraint plus au respect des maxima journalier et hebdomadaire. Le plafond de 217 jours conduit à une inégalité de traitement entre les cadres et les autres salariés puisqu'elle ne représente qu'une baisse de 5 % du temps de travail. Une fixation à 207-210 jours serait acceptable sous condition de blocage des horaires annuels et journaliers. Sans ce garde-fou, on pourra obliger les cadres à travailler 6 jours sur 7 et 15 heures sur 24. Le cadre est responsable de la gestion de son temps de travail mais une durée minimale de repos entre deux jours de travail doit être respectée ainsi qu'une durée annuelle maximale. Ce régime, après signature d'un accord de branche, pourrait être ouvert à d'autres catégories de salariés, notamment aux commerciaux.

M. Hervé Morin a posé des questions sur :

- l'évolution du sentiment des salariés à l'égard du projet de loi, les cadres paraissant en général plus favorables à la mise en place de la réduction du temps de travail que les salariés situés en bas de l'échelle professionnelle ;

- les effets du projet sur l'emploi. D'après une enquête récente, il semble qu'un tiers seulement des directeurs des ressources humaines prévoit des créations d'emplois ;

- la représentativité des instances représentatives en général dont ce projet de loi pourrait être l'occasion d'une réforme afin de favoriser des négociations décentralisées tant au niveau des entreprises que des branches ;

- la représentativité de la CFE-CGC.

M. Germain Gengenwin s'est demandé si les cadres, qui sont soumis à une obligation de résultat et non d'horaire, ne risquaient pas d'être les victimes de ce projet, en particulier par l'augmentation de leur stress.

M. Yves Rome a posé des questions sur le rôle que pourrait jouer le compte épargne-temps et la place qu'il convient de donner à la formation dans le projet de loi.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Marc Icard a apporté les précisions suivantes :

- La loi doit fixer des règles minimales et laisser à la négociation les points qu'elle peut régler sans difficultés.

- Il convient en effet de ne pas oublier l'objectif de créations d'emplois.

- Pour résoudre les problèmes d'organisation posés aux PME par la réduction du temps de travail des cadres, il convient d'encourager les groupements locaux d'employeurs qui permettent des recrutements partiels de cadres par plusieurs PME, solution préférable au multisalariat.

- L'intervention de consultants extérieurs débouche sur un audit de la situation et sur des propositions. Aux cadres de se les approprier pour en faire des projets.

- L'établissement des forfaits, dont le caractère contractuel est confirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation, nécessite une négociation collective.

- Il est indispensable pour les cadres autres que les mandataires sociaux ou ceux nommés par le conseil d'administration de délimiter clairement des maxima horaires, journaliers et annuels. C'est une divergence sérieuse avec le projet de loi.

- Les cadres ne demandent pas les 35 heures mais une réduction de leur temps de travail.

- Le projet de loi ne paraît pas être le cadre idéal pour procéder à une réforme des instances représentatives.

- La CFE-CGC comprend 180 000 adhérents, chiffre remarquable si l'on tient compte du faible taux de syndicalisation des cadres.

- Concernant le compte épargne-temps, les cadres souhaitent un plafonnement du nombre de jours de récupération pouvant donner lieu à un abondement de ce compte épargne.

- Le stress auquel sont soumis les cadres est une constante de leur fonction. Il peut être toutefois notablement réduit par une meilleure organisation du travail comportant une redistribution des tâches qui ne sont manifestement pas de leur ressort et la réintroduction de postes de secrétaires et d'assistants.

En réponse aux intervenants, M. Jean Delmas, président de l'UPA, a rappelé que la position de son organisation est essentiellement pragmatique ce qui le conduit à tenter d'adapter sur le terrain les règles existantes même en cas de désaccord avec celles-ci. L'UPA sera très attentive au sort réservé dans le cadre du nouveau projet de loi aux accords passés sous l'empire de la première, lesquels doivent être absolument conservés.

M. Dominique Perrot, secrétaire général de la section artisanale de la Confédération générale de l'alimentation en détail (CGAD), a indiqué que le secteur des métiers de bouche dont il a la charge et qui regroupe 900 000 salariés autour du commerce, de la restauration et de l'hôtellerie est celui qui connaît le plus de difficultés dans l'application de la réduction du temps de travail.

Les trois obstacles majeurs au bon déroulement des négociations sont, d'une part, la très forte proportion d'entreprises ne comptant qu'un ou deux salariés, environ 70 %, d'autre part, l'usage qui fixe à 48 voire 50 heures la durée hebdomadaire du travail impliquant donc un fort contingent d'heures supplémentaires intéressant pour la feuille de paye et enfin la pénurie de main-d'_uvre. Les entreprises de ce secteur ne peuvent donc passer aux 35 heures et bénéficier des allégements de charges sociales dont elles ont le plus grand besoin, alors même qu'elles sont favorables à la diminution des heures supplémentaires qui leur coûtent cher.

Devant cette impossibilité pratique de mettre en _uvre les 35 heures dans cette branche d'activité, l'UPA se tourne vers les pouvoirs publics afin de dégager des solutions.

M. Robert Buguet, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), a tout d'abord tenu à préciser que dans la branche du bâtiment, il n'avait pas constaté sur le terrain de réaction d'effroi à l'annonce de la réduction du temps de travail mais au contraire le réflexe responsable de chercher des solutions adaptées. Aussi quoiqu'en désaccord avec Mme Martine Aubry et notamment sur la distinction opérée entre petites et grandes entreprises, la CAPEB constate qu'il existe des solutions avec les partenaires sociaux. On ne peut que se féliciter de la signature de 3 000 accords dans le bâtiment et de l'accueil très favorable recueilli par ceux-ci sur le terrain.

La réduction du temps de travail a permis d'ouvrir de nouveaux espaces au dialogue social et de révolutionner l'organisation des entreprises, notamment par l'introduction de la modulation des horaires et de formes d'annualisation. Toutefois l'élaboration de ces solutions, le travail d'explication demandent du temps. Il apparaît donc nécessaire de donner un délai supplémentaire aux partenaires sociaux afin d'accomplir les tâches d'application et d'adaptation des nouvelles règles.

Quant à la création d'emplois, si le moteur principal en est la croissance, la mise en place d'une nouvelle organisation du travail grâce à la réduction du temps de travail en amplifie la tendance. Le secteur du bâtiment est perpétuellement à la recherche de compétences et à cet égard l'insertion des jeunes qu'il réalise doit s'accompagner d'une refonte de la formation professionnelle aujourd'hui inadaptée. Les groupements locaux d'employeurs constituent une solution intéressante mais qui demande à être simplifiée et qui pose par ailleurs un problème de responsabilité.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a rappelé qu'elle avait été parmi les initiateurs de la « loi Robien » mais qu'elle se situait en opposition totale avec les deux lois sur les 35 heures en raison de leur caractère général et autoritaire. Il faut souligner le phénomène profond que constitue le manque de main d'_uvre dans tous les secteurs et l'absurdité qu'il y a en conséquence à vouloir limiter l'emploi des personnes compétentes. Il convient également de noter que cette réforme entraînera inévitablement une augmentation du coût du travail qui ne pourra pas toujours être contrebalancée par une augmentation de la productivité, notamment dans le secteur des services.

M. Thierry Mariani, faisant état d'une enquête auprès des entreprises de sa circonscription, a observé que les 35 heures étaient applicables dans les entreprises de 15 à 20 salariés mais posaient des problèmes considérables quand l'effectif se limitait à 1 ou 2 salariés : on voit bien que dans ce cas le surcroît de travail sera effectué par l'artisan chef d'entreprise lui-même.

M. Germain Gengenwin a souligné l'accueil favorable accordé aux 35 heures par les entreprises du bâtiment mais s'est inquiété, compte tenu de la proportion de salariés au SMIC dans ce secteur, des risques de développement du travail clandestin rendus encore plus forts par la conjoncture favorable dans ce secteur.

M. Hervé Morin a posé des questions sur :

- le risque de travail clandestin ;

- les éventuels effets sur l'emploi du seuil de 20 salariés pour les entreprises qui en sont proches ;

- la responsabilité des branches professionnelles en matière de formation ;

- les difficultés de mise en _uvre de la réduction du temps de travail au sein des petites entreprises qui ne disposent ni d'interlocuteur syndical, ni de conseil ni d'avantages indirects en nature à distribuer.

En réponse aux intervenants, M. Jean Delmas a plaidé pour la prise en compte d'une véritable « exception artisanale » et donc l'élaboration d'une loi sur mesure en faveur des artisans.

M. Robert Buguet a indiqué qu'il existe des moyens d'éviter que le temps libéré par la réduction du temps de travail ne se transforme en travail clandestin, à savoir le taux réduit de 5,5 % sur les travaux d'entretien et une meilleure utilisation des moyens répressifs dont disposent les pouvoirs publics. Il a également souligné les graves carences qui affectent la formation professionnelle.

M. Armand Arianer, vice-président de l'UPA, a rappelé que le secteur des services était opposé aux 35 heures pour la simple raison que son application entraînerait la disparition des petites entreprises. Il ne faut pas en effet oublier que l'installation de nouvelles entreprises sur un marché local concurrentiel se traduit par une baisse de la rentabilité des entreprises existantes.


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