ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES
COMPTE RENDU N° 68
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 8 septembre 1999
(Séance de 15 heures)
Présidence de M. Jean Le Garrec, président,
puis de Mme Odette Grzegrzulka, secrétaire
SOMMAIRE
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- Suite des auditions, en présence de la presse, sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail - n° 1786 rectifié (M. Gaëtan Gorce, rapporteur)
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· M. Ernest-Antoine Seillière - MEDEF
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· M. Jean-François Veysset - CGPME
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· M. Michel Jalmain - CFDT
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M. Yves Nicolin s'est interrogé sur les informations dont bénéficie M. Ernest-Antoine Seillière pour affirmer que les 35 heures isoleront la France au niveau économique mondial alors que Mme Martine Aubry a indiqué que les investissements étrangers en France n'avaient pas reculé depuis le vote de la première loi. Il a également souhaité savoir sur quels points les accords conclus sur la base de la première loi étaient remis en cause par la première loi et si le MEDEF constatait comme lui que des entreprises se situant juste au-dessus du seuil de 20 salariés envisageaient de réduire leur effectif en dessous de 20 salariés avant 2000.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, après avoir fait observer qu'il était très difficile de faire le bilan des 35 heures dans un sens ou dans l'autre à ce stade et avec si peu de recul, a posé les questions suivantes :
- Quels éléments des accords signés dans le cadre de la première loi doivent, selon le MEDEF, figurer dans la seconde loi ?
- Quelle est la réalité de la relance du dialogue social qu'ont entraînée les négociations sur les 35 heures ?
- En quoi les 120 000 emplois créés annoncés par la ministre ne sont-ils pas des créations nettes d'emplois ?
M. Yves Rome a rappelé que le projet de seconde loi privilégiait la négociation, tant en ce qui concerne les allégements de charges prévus à l'article 11 du projet de loi que par une large prise en compte des accords issus de la première loi. La réduction du temps de travail, qui s'inscrit dans un processus engagé depuis plus d'un siècle et auquel aspire la société française y compris les cadres, favorisera la croissance et l'emploi grâce à une meilleure organisation interne du travail dans les entreprises.
Mme Marie-Thérèse Boisseau a rappelé que la « loi Robien » visait déjà la création d'emplois et l'approfondissement du dialogue social par l'aménagement et la réduction du temps de travail, alors que la loi sur les 35 heures a un caractère généralisé et autoritaire sans pour autant poursuivre un véritable objectif de réduction du chômage. En tout état de cause, il est indispensable que les accords déjà négociés dans le cadre de la première loi soient respectés et qu'il soit laissé un certain temps aux entreprises pour s'adapter aux 35 heures, en retardant l'application de la seconde loi d'un an.
M. Yves Cochet a fait les observations suivantes :
- La « loi Madelin » du 11 février 1994 excluait aussi de manière autoritaire des salariés du champ du droit du travail et donc que toute loi traitant de sujets socio-économiques est par nature autoritaire.
- La loi sur les 35 heures est une loi contre le chômage - terme absent de la déclaration du président du MEDEF - , qui s'appuie sur les entreprises car celles-ci ont aussi un intérêt à embaucher pour réduire le nombre de chômeurs.
- En fait le MEDEF refuse le code du travail que, du reste, le texte du projet de loi s'efforce de simplifier, par exemple en ce qui concerne la modulation, tout en accordant des protections indispensables aux salariés.
- C'est faire un procès d'intention au Gouvernement que de vouloir lui imputer la volonté de détruire les entreprises françaises. Il va de soi qu'une meilleure organisation du travail augmente la productivité humaine des salariés, ce qui est favorable à l'activité des entreprises.
M. Maxime Gremetz a demandé que le MEDEF lui fournisse un chiffrage du gain pour les entreprises des mesures suivantes :
La commission a ensuite entendu M. Jean-François Veysset, vice-président de la commission sociale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).
M. Jean-François Veysset a observé que le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, loin de compenser les effets profondément nocifs de la première loi du 13 juin 1998 abaissant obligatoirement et uniformément la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, l'aggrave encore.
Ce second projet modifie le dispositif légal relatif au temps de travail dans un sens d'extrême complexité et de grande rigidité. Par là même, loin de respecter et même de se nourrir des résultats du dialogue social engagé depuis, et même avant, la première loi dans les branches professionnelles, il bafoue les accords qui ont été signés.
Ces dispositions, par ailleurs, méconnaissent la diversité des entreprises et de ce fait, nient, dans certains cas, les aspirations des salariés.
Cette double caractéristique, lourdeur et complexité d'une part, extrême rigidité et caractère restrictif d'autre part, se manifeste sur plusieurs points :
- Premier exemple. Le régime des heures supplémentaires. Ce régime comprend deux périodes de transition, l'une concernant la « rémunération » des heures supplémentaires, l'autre concernant le seuil d'application du contingent d'heures supplémentaires libre, périodes qui sont de durée différente : un an pour la première, deux ans pour la seconde. Il comprend trois modes possibles de « rémunération » des heures supplémentaires et quatre taux de rémunération. Le contingent d'heures supplémentaires libre serait fixé à 130 heures, ce qui est contraire aux besoins de beaucoup d'entreprises, notamment des PME, et aux durées prévues par nombre d'accords de branche. Surtout, dans le régime définitif, le moyen normal de « rémunération » du salarié pratiquant les heures supplémentaires sera le repos compensateur, sauf accord spécifique, ce qui aboutira souvent de facto à empêcher le recours aux heures supplémentaires, le chef d'entreprise ne pouvant pas payer réellement le salarié.
La CGPME continue à considérer à cet égard que la majoration de salaire de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires au-delà de 35 heures doit être le moyen normal de rémunération des salariés en la matière.
- Deuxième exemple, les possibilités d'aménagement du temps de travail et notamment le recours à l'annualisation. Le recours à l'annualisation du temps de travail est tout d'abord conditionné par la signature d'un accord collectif. Ensuite, dans ce cadre, la durée hebdomadaire du travail ne peut varier qu'à la seule condition que, sur un an, elle n'excède pas en moyenne 35 heures par semaine travaillée et, en tout état de cause, une durée annuelle de 1 600 heures, ce qui aboutit dans ce cas à réduire encore la durée du travail effectif. Ce passage obligé par la mécanique de l'accord privera de cette possibilité fondamentale d'aménagement du temps de travail, toutes les entreprises qui, pour des raisons liées notamment à l'absence de représentation syndicale, ne sont pas sous l'empire d'un accord spécifique. L'annualisation devrait être ouverte, sur la base du volontariat à toutes les entreprises, avec des garde-fous dans le cadre hebdomadaire et journalier, et donc permettre à l'ensemble des entreprises qui le voudraient de calculer les 35 heures en moyenne annuelle avec une durée annuelle de référence d'au moins 1 645 heures (35 x 47 semaines). On respecterait ainsi les dispositions de différents accords de branche dont celui du bâtiment-travaux publics.
- Troisième exemple, l'allégement de cotisations patronales de sécurité sociale. Il représente, selon les pouvoirs publics, un enjeu correspondant à 110 milliards de francs en année pleine. Or, le nouvel allégement dégressif portant sur les salaires inférieurs à 1,8 fois le SMIC n'est ouvert qu'aux entreprises qui, d'une part, ont une durée collective du travail fixée au plus soit à 35 heures hebdomadaires, soit à 1 600 heures sur l'année et d'autre part, ont fixé la durée collective du travail ainsi requise au terme d'une mécanique extrêmement lourde. Ce dispositif aboutit à exclure du bénéfice du nouvel allégement de cotisations patronales toutes les entreprises travaillant, même légèrement, au-delà de 35 heures et bien sûr toutes celles qui, pour des raisons variées ne sont pas sous l'empire d'un accord souvent spécifique et devant répondre à des conditions drastiques. On notera enfin que le système particulier prévu pour certaines entreprises de moins de 11 salariés doit être relativisé car l'accès direct à l'allégement reste très restrictif. Il ne s'applique en effet qu'aux entreprises ayant une durée collective du travail fixée au plus soit à 35 heures hebdomadaires, soit à 1 600 heures sur l'année, horaire pratiquement inapplicable dans ces petites entreprises.
Ces exemples illustrent les graves défauts du texte qui est proposé aujourd'hui. Il aboutirait, s'il était adopté en l'état, à une législation lourde, paralysante, coûteuse et dont l'effet sur l'emploi serait très faible pour ne pas dire négatif.
Il doit donc être impérativement amendé, tout à la fois pour tenir compte de ces réalités et pour respecter l'intégralité des dispositions des accords conclus au niveau des branches professionnelles.
Après l'exposé de M. Jean-François Veysset, le rapporteur a souligné la nécessité d'être attentif à la situation des petites entreprises. En matière d'heures supplémentaires, la période d'adaptation devrait éviter qu'elles soient pénalisées mais il faut rappeler qu'à terme l'objectif est bien que la création d'emplois se substitue au recours aux heures supplémentaires. La fixation de la durée annuelle du travail à 1 600 heures n'induit pas une réduction supplémentaire du temps de travail car elle prend en compte les jours fériés. Les allégements de charges sont subordonnés à la signature d'un accord avec les syndicats majoritaires mais dans des conditions qui laissent une large place à la négociation. La réduction du temps de travail, condition de ces allégements, permet de lier l'aide à la création d'emplois. D'ailleurs il en résultera une baisse du coût du travail, l'objectif du projet étant non seulement de parvenir à la création d'emplois par la baisse du temps de travail mais aussi par celle des charges.
En réponse au rapporteur, M. Jean-François Veysset a précisé que les PME connaissaient dans certains secteurs une pénurie de main-d'_uvre qui les empêchera d'être prêtes, même à l'issue de la période d'adaptation, compte tenu du temps nécessaire à la formation des salariés.
Sur l'annualisation, il faut rappeler que des conventions collectives retiennent des nombres variables de jours fériés et que dans certains secteurs seul le ler mai est un jour férié chômé.
En outre, il ne devrait pas y avoir pour les allégements de charges de différence de traitement entre les entreprises appliquant la réduction du temps de travail qu'elles aient elles-mêmes conclu un accord ou pas.
Seule la différence entre les abaissements de charges jusqu'à l,3 SMIC et 1,8 compense en réalité la réduction du temps de travail. Il restera donc un différentiel bien plus important pour les entreprises.
M. Georges Tissié (CGPME) a souligné que l'article 2 renverse un principe fondamental du droit du travail selon lequel le mode normal de paiement des heures supplémentaires s'effectue sous la forme d'une majoration du salaire. Ce n'est qu'en 1993 qu'a été introduite la possibilité dérogatoire d'attribuer en contrepartie des heures supplémentaires des repos compensateurs. Désormais le repos compensateur sera le mode normal, le paiement n'intervenant qu'à titre dérogatoire.
M. Germain Gengenwin a indiqué que compte tenu de la complexité du projet de loi bien mise en évidence par la CGPME, il serait positif de relever le seuil de 20 à 50 salariés. Par ailleurs, on peut penser que les négociations déboucheront sur des blocages des salaires, qui finalement pénaliseront les salariés. Enfin, la réduction du temps de travail apparaît tout à fait inapplicable aux cadres des PME.
M. Yves Cochet a précisé les points suivants :
- la traduction en repos compensateur ne s'applique pas aux heures supplémentaires elles-mêmes mais est limitée à leur majoration, ce qui est une incitation à la création d'emplois ;
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souhaité connaître l'appréciation de la CGPME sur l'approbation formulée par la CAPEB quant aux effets positifs de la mise en _uvre de la réduction du temps de travail sur le développement du dialogue social et la réorganisation du travail dans les petites entreprises.
M. Dominique Dord a souligné le paradoxe résidant dans une application possible de la loi pour les moyennes et grosses entreprises mais sans embauche réelle tandis qu'elle sera extrêmement difficile à mettre en _uvre dans les petites entreprises dont on attend pourtant de fortes créations d'emplois. A cet égard, il serait intéressant de connaître la position de la CGPME sur l'absence de tout critère d'embauche pour l'attribution des aides.
Puis il a posé des questions sur :
- l'amputation du pouvoir d'achat des salariés résultant de l'anticipation des entreprises bénéficiant de délais supplémentaires pour le passage aux 35 heures ;
- les conséquences financières pour les entreprises des modalités relatives au SMIC.
M. Jean Valleix a formulé les remarques et posé les questions suivantes :
- Peu de pays, même dans l'ancien bloc communiste, ont fait preuve d'un dirigisme aussi lourd que la France. On peut se demander d'ailleurs s'il existe d'autres pays à avoir adopté une législation comparable en matière de réduction du temps de travail.
- Seule la croissance peut susciter le plein emploi, encore faut-il que la main-d'_uvre ne soit pas réduite du fait d'une limitation exagérée de la durée légale du travail.
- On peut s'interroger sur l'évolution des salaires quand 14 % de la population active est aujourd'hui rémunérée au SMIC contre 8 % auparavant.
En réponse, M. Jean-François Veysset a apporté les précisions suivantes :
- L'optimisme manifesté par la CAPEB quant à l'application de cette première loi tient sans doute à la baisse de la TVA de 20,6 % à 5,5 % dont bénéficie son secteur d'activité et qui compense largement ses effets négatifs.
- L'annualisation a permis, en particulier par la conversion des CDD en CDI, de lutter efficacement contre la précarité de l'emploi.
- Même si la baisse de la pénétration syndicale tant chez les salariés que chez les représentants des entreprises est à déplorer, on peut constater que le dialogue s'est considérablement développé en France depuis l'adoption des lois Auroux.
- Deux années de délai supplémentaire ne permettront pas de résoudre les problèmes d'application de la réduction du temps de travail pour les petites entreprises. Malgré toutes les études qui ont pu être faites sur le temps partagé, il apparaît comme impossible de « découper les salariés ». Il aurait sans doute mieux valu pouvoir concilier les souhaits de ceux qui demandent à travailler davantage et de ceux qui veulent réduire leur temps de travail.
- Le mécanisme mis en place pour les heures supplémentaires présente un risque certain que le travail dissimulé se développe puisque les entreprises ne pourront plus disposer de la souplesse horaire indispensable lors des périodes de pointe.
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Il s'est également inquiété des obstacles opposés aux entreprises qui souhaitent recourir aux heures supplémentaires en raison de la pénurie de personnel qualifié sur le marché du travail.
M. Hervé Morin a posé les questions suivantes :
- Comment se déroulent les négociations sur le plan local au sein des grandes entreprises publiques telles qu'EDF ou La poste ?
- Quelle est la position de la CFDT à l'égard des 35 heures au sein de la fonction publique ?
M. Yves Cochet s'est interrogé sur l'éventuel effet pervers sur la création d'emplois en 2 000 que constitue le taux relativement bas - 10 % - de la contribution des entreprises n'ayant pas réduit la durée du temps de travail. Ces 10 % étant en quelque sorte enlevés aux salariés pour être versés à un fonds, il ne serait pas inconcevable que les entreprises paient pour elles-mêmes une autre contribution.
Il a par ailleurs indiqué qu'il n'est pas à ses yeux anormal que pour une question aussi importante que les 35 heures, il y ait une consultation des salariés par référendum.
En réponse aux intervenants, M. Michel Jalmain a fourni les indications suivantes :
- La plupart des accords de branche, où la CFDT apparaît très souvent en qualité de signataire, rentreront dans le cadre de la seconde loi et les rares clauses rejetées devront être renégociées.
- En ce qui concerne l'emploi, il faut faire confiance aux partenaires sociaux pour inventer les formules favorables à celui-ci comme ils l'ont fait à la suite de la première loi. Il convient par ailleurs de rappeler que le nombre d'emplois créés doit figurer dans l'accord. Il serait d'ailleurs utile de prévoir dans la loi que les aides de l'Etat sont suspendues si ce nombre n'est pas respecté.
- Des espaces de négociations sont ouverts notamment pour l'emploi, la formation, les cadres et l'organisation du travail.
- C'est à terme seulement qu'en qualité de gestionnaire de l'Unedic, les partenaires sociaux pourraient examiner les effets de la loi sur les dépenses de l'UNEDIC. Nul doute qu'ils prendraient alors leurs responsabilités.
- Les négociations collectives sur le plan local se déroulent tout à fait normalement au sein des services publics.
- La CFDT est tout à fait favorable à la réduction du temps de travail dans l'ensemble des fonctions publiques.
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