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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 Février 2000

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen de la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy relative à la participation et à la croissance pour tous - n° 2105 (M. Jacques Barrot, rapporteur)

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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jacques Barrot, la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy relative à la participation et à la croissance pour tous (n° 2105).

M. Jacques Barrot, rapporteur, a souligné l'actualité du sujet abordé par la proposition de loi déposée par M. Philippe Douste-Blazy, les membres du groupe UDF et plusieurs autres députés des groupes RPR et Démocratie libérale.

Cette initiative permet de poser la question du renouveau et de l'accroissement de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié et d'affirmer les principes devant en guider la réforme.

Les objectifs visés sont de trois ordres :

- partager plus équitablement les fruits de la croissance car la richesse créée aujourd'hui par l'entreprise profite moins à ses salariés qu'à ses actionnaires ;

- associer plus étroitement les salariés au destin de leur entreprise dans une communauté objective d'intérêts qui témoigne d'un « affectio societatis » ;

- renforcer et stabiliser le capital de l'entreprise, face notamment à la part importante des fonds d'investissements étrangers dans le capital des entreprises françaises qui représente 36 % de leur capitalisation boursière.

La conjoncture se prête particulièrement à la relance de l'épargne salariale qui connaît, depuis la fin des années 80, un essor remarquable. Cette évolution s'apprécie notamment au travers de la diffusion des plans d'épargne d'entreprise (PEE) : 8 700 entreprises étaient dotées en 1997 d'un tel plan. En 1998, 35 milliards de francs ont été distribués à 4,4 millions de salariés.

Les attentes en matière d'actionnariat salarié sont extrêmement fortes et l'on peut regretter qu'aujourd'hui seulement 700 000 salariés soient actionnaires de leur entreprise et détiennent à peine 2 % de la capitalisation boursière, le principal vecteur de cet actionnariat résidant dans les privatisations plus que dans les mécanismes traditionnels favorisant leur mise en place.

Il y a donc à la fois une forte légitimité et une opportunité à saisir, opportunité qui correspond à une attente, pour consolider cette tendance et encourager une diffusion plus large des mécanismes de l'épargne salariale.

M. Jacques Barrot, rapporteur, a ensuite présenté le dispositif de la proposition de loi.

Les premiers articles ont pour objet d'encourager la diffusion de l'épargne salariale dans les petites et moyennes entreprises.

Les deux premiers articles encouragent les entreprises de moins de cinquante salariés à développer les mécanismes d'intéressement en les autorisant à constituer, en franchise d'impôts, une provision pour investissement égale à 25 % des sommes versées dans la même année, à ce titre.

Pour résoudre les difficultés liées à la petite taille de ces entreprises et pour sécuriser l'épargne ainsi constituée, l'article 3 autorise la création de plans d'épargne salariale inter-entreprises.

L'article 4 étend l'obligation de négocier la mise en place d'un mécanisme d'épargne salariale à toutes les entreprises dans lesquelles des délégués du personnel sont présents.

Pour prendre en compte l'évolution de mobilité des salariés, l'article 5 permet de transférer les sommes investies dans un plan d'épargne d'entreprise vers un autre plan en cas de changement d'entreprise par le salarié.

Il est ensuite proposé, aux articles 6 à 9, d'assurer la transparence et la démocratisation des plans d'options de souscriptions ou d'achats d'actions, plus couramment appelés « stock options ».

A cette fin, il est proposé de créer une obligation d'information nominative, chiffrée et étendue, variable selon la taille de l'entreprise. Cette information devra figurer dans le rapport annuel de gestion établi à chaque clôture d'exercice. Afin d'inciter à la démocratisation de la distribution des options, l'article 7 prévoit une modification des règles de prélèvement sur la décote lorsque cette formule est étendue à plus de 50 % des salariés de l'entreprise.

La proposition de loi vise également à favoriser le développement de l'actionnariat salarié en réservant aux salariés une part des actions émises lors des augmentations de capital.

L'article 10 prévoit ainsi que 5 % des actions nouvellement émises devront obligatoirement être offertes aux salariés à un prix inférieur à 50 % du prix d'émission. Cette offre serait obligatoire pour les sociétés cotées. Pour les sociétés non cotées, cet avantage serait laissé à la discrétion de l'assemblée générale. En contrepartie de l'avantage ainsi consenti, la proposition pose diverses conditions : achat des actions dans un délai d'un mois après la décision d'augmentation du capital, caractère nominatif de ces actions et incessibilité de celles-ci pendant trois ans sans créer de contraintes trop fortes pour les salariés.

Pour encourager la souscription des actions, l'article 11 exonère les plus-values retirées de la cession des actions de l'imposition à l'impôt sur le revenu.

Par ailleurs, dans les cas d'augmentation de capital, la proposition de loi permet aux salariés de débloquer leur épargne salariale de manière anticipée pour souscrire des actions de l'entreprise (articles 12 et 13).

La proposition permet également d'encourager la représentation des actionnaires salariés au sein des organes de gestion, sans la rendre obligatoire, en multipliant les occasions du « rendez-vous », à chaque fois que la part du capital social détenue par les salariés augmente de 2,5 % au moins (articles 14 et 15). Ce rendez-vous permet d'examiner en assemblée générale extraordinaire la question de la participation des salariés dans les organes de gestion.

Enfin, les articles 16 et 17 rétablissent le dispositif d'avantage fiscal au bénéfice des salariés lors de la reprise d'une entreprise par ceux-ci (RES) qui n'existe plus depuis le 1er janvier 1997. Il leur serait à nouveau possible de déduire de leurs revenus imposables les intérêts des emprunts contractés pour financer leur souscription.

Enfin la proposition de loi traite, en complément de l'épargne salariale, de la question de l'épargne-retraite, à travers la création, à l'article 18, de fonds de prévoyance retraite, gérés par des personnes morales et ayant pour objet d'instaurer un complément de retraite par capitalisation. Ces fonds seront constitués sous la forme de sociétés anonymes d'assurance, de sociétés d'assurance mutuelle, d'institutions de prévoyance ou d'organismes mutualistes. Le régime juridique et les conditions d'agrément seront fonction de la forme que prend le fonds.

L'article 19 définit les catégories de salariés ayant vocation à en bénéficier ainsi que leurs conditions de création et de souscription. La souscription peut résulter d'un accord collectif d'entreprise ou d'un accord de branche, professionnel ou interprofessionnel, national, régional ou local. Lorsque les conditions de conclusion d'un accord collectif ne sont pas réunies, ou si un tel accord n'a pu être conclu dans un délai de six mois à compter du début de la négociation, le plan de prévoyance retraite peut être conclu unilatéralement par l'employeur. Ce délai de six mois paraît d'ailleurs insuffisant, compte tenu des réalités du dialogue social. Un délai d'un an serait préférable.

L'article 20 prévoit les modalités d'alimentation du fonds de prévoyance retraite. Les versements annuels du salarié ne peuvent être supérieurs à un montant égal à 10 % du plafond de la sécurité sociale, ceux de l'employeur ne pouvant excéder le montant des versements du salarié. Par ailleurs, ce dernier a la possibilité de racheter « hors salaire » les années pendant lesquelles il n'aurait pu cotiser au fonds. En cas de rupture du contrat de travail, les avantages auxquels ouvrent les fonds de prévoyance retraite sont garantis au salarié, dont les droits sont intégralement maintenus. Ces droits peuvent être transférés à un autre plan de prévoyance retraite géré dans tout Etat membre de la Communauté européenne.

L'article 21 détermine les droits ouverts au salarié au moment de la retraite ou du décès. Le plan de prévoyance retraite ouvre droit au versement d'une rente viagère à compter de la cessation définitive d'activité, cette rente pouvant être reversée au conjoint survivant.

L'article 22 prévoit la déductibilité de l'assiette de l'impôt sur le revenu des versements respectifs du salarié et de l'employeur au fonds, ce qui constitue un mécanisme avantageux pour le salarié et neutre fiscalement pour l'employeur.

L'article 23 étend aux versements de l'employeur sur le plan de prévoyance retraite du salarié la déductibilité de l'assiette des cotisations sociales applicable aux versements de l'employeur au régime de retraite complémentaire du salarié. Afin de ne pas pénaliser les régimes de retraite par répartition, la proposition de loi prévoit un plafonnement de cette exonération à hauteur de 85 % du plafond de la sécurité sociale.

L'article 24 dispose que les rentes viagères servies au titre des plans sont soumises à l'impôt sur le revenu, en application des règles de droit commun des pensions, tandis que l'article 25 prévoit l'assujettissement des fonds de prévoyance retraite à l'impôt sur les sociétés.

L'article 26 impose la constitution, dès la mise en place d'un plan de prévoyance retraite, d'un comité de surveillance chargé de définir des orientations de gestion et d'émettre, au moins deux fois par an, un avis sur la gestion du plan. Les adhérents d'un plan sont régulièrement informés par les souscripteurs et par le comité de surveillance du fonds, ce qui représente une garantie importante.

L'article 27 concerne le mode d'exercice du contrôle de l'Etat sur les fonds, ainsi que la nature des investissements que les fonds sont autorisés à faire. Il prévoit notamment que les sommes recueillies par les fonds de prévoyance retraite doivent être investies à hauteur d'au moins 60 % dans des instruments financiers définis à l'article 1er de la loi du 7 juillet 1996 de modernisation des activités financières (actions, titres de créance, parts d'organismes de placement collectifs, instruments financiers à terme).

Enfin, l'article 28 gage la proposition de loi.

Après l'exposé du rapporteur, le président Jean Le Garrec a souligné le caractère ambitieux de cette proposition de loi qui traite de la participation mais également de la question des retraites. Elle soulève un certain nombre de problèmes techniquement difficiles qui participent d'un véritable débat de fond sur la répartition entre le capital et le travail.

M. Pascal Terrasse a constaté que ce texte regroupait des dispositions hétérogènes car il mêlait fonds de pension, épargne salariale, régulation financière et « stock options ». Le rapport sur l'épargne salariale réalisé par MM. Balligand et de Foucauld à la demande du Premier ministre doit déboucher sur un projet de loi qui sera discuté au Parlement très prochainement. Il serait donc préférable d'attendre les propositions du Gouvernement sur ce sujet.

Il y a effectivement un véritable problème de l'actionnariat en France : l'épargne dont le taux est très important puisqu'il représente 12 % du PIB bénéficie très peu aux entreprises puisque placée essentiellement en obligations, elle sert surtout à financer la dette de l'Etat et le logement. De ce fait, les capitaux étrangers représentent près de 40 % de la capitalisation des entreprises françaises.

Or promouvoir et réorienter l'épargne à long terme implique une double exigence : exigence financière d'une part qui doit consister dans une prise de risque limitée pour le salarié associée à un bon rendement et de faibles coûts de gestion ; exigence démocratique d'autre part. Cette dernière suppose une orientation des placements vers les entreprises prenant en compte les préoccupations écologiques, implique que l'objectif social ne soit pas perdu de vue et que ceci s'opère dans un sens favorable à l'emploi. Le développement de l'actionnariat populaire nécessite en effet de remettre en cause la corrélation qui existe aujourd'hui entre licenciements et cours des actions. En fin de compte, il faut aborder le problème de l'épargne salariale avec la plus grande prudence.

M. Alfred Recours a indiqué que cette proposition de loi présentait au moins deux mérites : à titre anecdotique l'absence d'utilisation de l'anglicisme « stock options » et sur le fond celui de répertorier l'ensemble des sujets liés au développement de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié : participation, intéressement, plan d'épargne en actions, management des entreprises, rachat d'entreprises par les salariés, épargne retraite et fonds de pension par capitalisation. Elle a toutefois l'inconvénient de son mérite car à trop embrasser l'ensemble des sujets elle n'en étreint aucun. Il faudrait avoir plus de temps qu'une matinée pour débattre au fond de ces sujets qui intéressent les Français mais suscitent aussi leur indignation quand ils apprennent les sommes perçues lors de son départ d'Elf par M. Jérôme Jaffré ou les licenciements chez Valeo simultanément avec l'attribution d'options sur actions à ses dirigeants.

En outre la discussion des sujets abordés par la proposition de loi ne peut avoir lieu sans être replacée dans une problématique plus large. Le rapport de MM. Balligand et de Foucauld indique que le flux annuel d'épargne salariale en France s'élève à 45 milliards de francs et que celle-ci bénéficie de 20 milliards de francs d'exonérations de charges sociales et de 5 milliards de francs d'exonérations fiscales. Augmenter ce flux pose le problème du financement de la sécurité sociale car il en résulte nécessairement une baisse des recettes de la protection sociale obligatoire mais aussi celui des choix fiscaux à opérer dans le cadre actuel de préparation d'une baisse des impôts. On peut préférer la suppression de la taxe d'habitation ou de la redevance audiovisuelle à la création d'avantages fiscaux supplémentaires pour l'épargne.

La proposition de loi cite comme référence le système de la Préfon-retraite des fonctionnaires. Il faut bien voir que si l'Etat a accordé un avantage fiscal aux versements à la Préfon, c'est dans le seul but d'éviter d'avoir à d'abonder en tant qu'employeur cette épargne des fonctionnaires. Vouloir aligner l'ensemble du secteur privé sur la Préfon-retraite impliquerait, en réalité, une dépense supplémentaire pour l'Etat. Il se pose par ailleurs un problème d'imposition sur le revenu car l'exonération fiscale dont bénéficie la Préfon avantage les hauts revenus.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Gaëtan Gorce rapporteur d'information sur l'application de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail et M. Jean Rouger rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane - n° 2116.


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