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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 mai 2000
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi de M. Edouard Balladur sur l'épargne salariale et la participation - n° 2099 (Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteuse)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, la proposition de loi de M. Edouard Balladur sur l'épargne salariale et la participation - n° 2099.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteuse, a rappelé que la participation fut initialement conçue par le général de Gaulle comme une « troisième voie » selon une conception originale notamment développée par le général dans son discours du 4 janvier 1948 aux mineurs de Saint-Etienne. Selon lui, la participation devait répondre à trois objectifs : garantir la dignité de l'homme au travail ; substituer à la lutte des classes des relations de coopération entre employeurs et salariés ; consolider enfin la croissance en permettant à tous de bénéficier de ses fruits. Elle devait prendre trois formes : participation aux résultats de l'entreprise mais également à son capital et à sa gestion. Il s'agissait de mettre en place l'un des piliers d'un nouveau contrat social.

Il apparaît aujourd'hui d'autant plus nécessaire de renforcer les mécanismes de la participation et de l'intéressement que ceux-ci possèdent de véritables potentiels d'expansion encore inexploités. En effet, ces outils, qui se sont fortement développés au cours des années récentes, n'ont pas encore produit tous leurs effets escomptés. Selon une enquête patrimoine de 1998, 22 % des salariés seulement déclarent posséder de l'épargne salariale. Au total, en 1997, 5,5 millions de personnes étaient couvertes soit par le système de la participation, soit par celui de l'intéressement, pour des versements qui se sont élevés à près de 35 milliards de francs. Quant aux plans d'épargne d'entreprise, ils ont représenté 19,3 milliards de francs en 1997.

La proposition de loi répond à un triple objectif. Le premier revêt une dimension sociale essentielle. Les salariés aspirent légitimement à être mieux associés au fonctionnement de leur entreprise ; leur participation aux résultats de l'entreprise leur apparaît comme une récompense adéquate aux efforts accomplis. Le deuxième objet de la proposition est de contribuer au financement des retraites, car seule une épargne de long terme peut constituer en France le complément indispensable aux actuels mécanismes de retraite par répartition. Enfin, la proposition repose sur des motivations d'ordre économique. Elle vise à permettre un meilleur fonctionnement des entreprises qui verront ainsi se renforcer leurs fonds propres. Elle peut favoriser une plus grande stabilité de l'actionnariat des entreprises, ce qui constitue un atout non négligeable à l'heure de la mondialisation. L'actionnariat salarié, que la proposition cherche à développer, est de nature à soutenir les entreprises naissantes - appelées également les « jeunes pousses » ou « start up » - qui pourront de cette façon attirer un personnel de qualité sensible aux perspectives de plus-values ultérieures.

La rapporteuse a ensuite présenté le dispositif de la proposition de loi.

L'article 1er tend à encourager la participation dans les entreprises de moins de cinquante salariés en mettant en place une disposition fiscale favorable, mais limitée dans le temps (jusqu'à la fin de 2004). Il ne s'agit donc pas de rendre la participation obligatoire dans toutes les entreprises mais bien de créer une incitation à l'établissement d'un tel système, qui doit, à terme, bénéficier à un maximum de salariés.

Les articles 2 à 9 visent à développer des mécanismes de retraite par capitalisation complémentaire des systèmes par répartition. Chaque entreprise appliquant la participation devrait créer un plan d'épargne d'entreprise pour la retraite, alimenté par des sommes issues de la participation, de l'intéressement, de l'épargne volontaire du salarié ou par un abondement de l'entreprise. A terme, l'objectif est de permettre l'émergence de véritables fonds de pension à la française, étant précisé que les sommes concernées ne pourraient être investies pour plus de 25 % dans des titres émis par l'entreprise elle-même. Selon le système envisagé, le déblocage de l'épargne ne pourrait intervenir qu'en cas de départ à la retraite ou d'invalidité.

Si les revenus et plus-values tirés du plan bénéficient d'une exonération d'impôt sur le revenu, en revanche, la CSG (contribution sociale généralisée) et la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) s'appliquent dans les conditions de droit commun. Les versements effectués volontairement par le salarié sont, par ailleurs, déductibles du revenu imposable et les sommes provenant de l'intéressement sont exonérées d'impôt sur le revenu. Enfin, la proposition de loi règle, dans son article 9, la question du départ du salarié de l'entreprise au sein de laquelle il était couvert par un plan. Une alternative est laissée au choix du salarié qui peut, au moment de son départ, opter entre le maintien du plan dans l'entreprise qu'il quitte ou au contraire le transfert des sommes déjà épargnées vers le plan de l'entreprise d'accueil sachant que cette dernière ne peut alors s'y opposer.

Un autre grand volet de la proposition de loi - les articles 10 à 12 - concerne le développement de l'actionnariat salarié. Celui-ci ne représente en France que 3 % du capital des entreprises, à comparer avec le pourcentage de 15 % enregistré aux Etats-Unis. Il est prévu qu'en cas d'augmentation de capital, 5 % de cette augmentation soit proposée aux salariés de l'entreprise, avec un rabais de 50 %, et dans la limite de 100 000 francs par personne. Cette formule bénéficierait d'une exonération d'impôt sur le revenu pour les gains nets tirés de la cession de ces actions. Par ailleurs, le prélèvement social de 1 % au profit de la CNAV ne s'appliquerait pas.

La proposition de loi vise par ailleurs à généraliser l'accès aux stock-options et à accroître la transparence en matière d'attribution de ces options ; tel est l'objet des articles 13 à 15. Chaque salarié aurait ainsi droit à une attribution égale à 10 % de son salaire annuel brut. La proposition de loi prévoit dans son article 15 que les attributions les plus importantes devraient être rendues publiques ; mais il faut relever à ce sujet que cette préoccupation légitime a été déjà prise en compte grâce à l'adoption d'amendements au moment de l'examen récent en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.

Un dernier objectif poursuivi par la proposition de loi consiste à renforcer la présence des salariés actionnaires au sein des conseils d'administration, ce que prévoit l'article 16.

En conclusion, la rapporteuse, après avoir jugé l'ensemble des mesures contenues dans la proposition à la fois ambitieuses, réalistes et cohérentes, a estimé que ces dispositions répondaient à un véritable besoin de la société comme de l'économie françaises.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteuse.

M. Pascal Terrasse a estimé que, par rapport aux précédentes propositions de loi relatives à l'épargne salariale, celle-ci était plus lisible et ne mélangeait pas les problèmes des stock-options, de la retraite et de l'actionnariat. Toutefois, il paraîtrait plus judicieux, pour se prononcer sur cette question, d'attendre le projet de loi dont le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a annoncé le dépôt pour le mois de juin.

Il est vrai, comme l'a souligné la rapporteuse, que la participation représente un élément décisif de la pensée du général de Gaulle. Toutefois force est de constater qu'à l'époque du général, l'actionnariat prenait une forme fort différente de celle qui la caractérise aujourd'hui. Dans l'ancien système capitaliste paternaliste, une seule famille pouvait par exemple posséder une entreprise. Aujourd'hui, les capitaux sont particulièrement mobiles, ce qui tend à rendre la conception gaullienne de la participation assez obsolète.

Par ailleurs, l'actionnariat salarié comme les plans d'épargne d'entreprise existent déjà en droit et dans les faits. La véritable question qui se pose aujourd'hui est celle de la place des actionnaires dans les entreprises. Dans un système capitaliste mondialisé, s'il est vrai que le capital de grandes sociétés françaises est détenu par des étrangers, l'inverse se vérifie également. L'adoption de la proposition de loi n'y changerait rien.

Enfin, le système d'actionnariat salarié proposé risquerait d'avoir des répercussions néfastes sur le financement de la protection sociale, car les entreprises pourraient avoir davantage intérêt à encourager le salaire différé qu'à accroître les salaires des personnels.

M. Bernard Perrut a estimé que la proposition de loi répondait à une attente forte et présentait le grand mérite de placer le salarié au c_ur du débat. Il apparaît aujourd'hui d'autant plus indispensable d'associer les salariés aux fruits de la croissance que la conjoncture s'y prête.

M. Alfred Recours, se référant au discours du général de Gaulle en 1948, a fait observer que celui-ci n'évoquait nullement le financement des retraites parmi les objectifs de la participation. Il est vrai qu'à cette époque, le système de retraite par répartition venait tout juste d'être instauré ; les problématiques étaient donc radicalement différentes des enjeux actuels. L'introduction, dans la proposition, de cette dimension liée aux difficultés de financement des retraites illustre la noyade de l'idéal gaulliste dans un « magma libéralo-centriste ».

Le texte comporte des éléments sur des sujets très variés qui touchent tant à l'épargne salariale qu'à la participation, à l'actionnariat salarié et aux retraites. Il ressemble à un « salmigondis » alors que la question des stock-options a été examinée lors du récent examen en première lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, que le problème des retraites a déjà fait l'objet, avec la mise en place du fonds de réserve, de dispositions spécifiques, et qu'un projet de loi sur l'épargne salariale est annoncé pour être examiné par l'Assemblée nationale dès l'automne. En définitive, cette proposition de loi semble mélanger divers thèmes au gré des multiples transformations des textes fondateurs. C'est pourquoi il est permis de se demander si elle ne répond pas, pour l'opposition, à une pure opportunité politique.

M. Patrice Martin-Lalande a tout d'abord évoqué une récente mission effectuée dans la Silicon Valley qui a mis en lumière le rôle décisif que la participation aux résultats de l'ensemble des salariés a pu jouer dans le dynamisme de la croissance économique aux Etats-Unis. La proposition de loi présentée par l'ensemble des groupes de l'opposition apparaît comme un texte d'élargissement et de démocratisation des mécanismes de la participation et de l'épargne salariale. Cette proposition tire les conséquences de l'expérience acquise en la matière de façon réaliste et adaptée au système économique français. Dans le cadre d'une conjoncture économique aujourd'hui favorable, elle poursuit l'objectif légitime de créer une nouvelle dynamique et de faire bénéficier de la croissance un plus grand nombre de salariés.

Si le texte avait été trop précis, on lui aurait probablement reproché d'être incomplet ; la proposition de loi présentée aujourd'hui est considérée par certains membres de la majorité comme trop large, mais cet argument ne semble pas une raison suffisante pour la rejeter. L'examen de ce texte apparaît en fait tout à fait utile à un moment où les propositions du Gouvernement en la matière demeurent encore très floues.

M. Georges Colombier a rappelé sa longue expérience de salarié et de responsable syndical pour souligner tout le prix qu'il accorde à la question de la participation des salariés. Favoriser le dialogue social et améliorer la considération des salariés au sein de l'entreprise constitue un progrès nécessaire mais non suffisant. En proposant de partager les fruits de la croissance et en permettant à l'entreprise de se développer grâce aux efforts de tous, la proposition de loi va dans le bon sens. Il faut de plus se féliciter qu'elle incite les entreprises de moins de cinquante salariés à faire bénéficier leur personnel d'un système de participation. Celui-ci n'est obligatoire que pour les entreprises ayant atteint et dépassé le seuil de cinquante salariés. Il est donc très important de mettre en place une incitation forte pour que les entreprises de taille plus réduite soient également le plus possible couvertes par ce mécanisme.

M. Serge Blisko a résumé la position du groupe socialiste par les observations suivantes :

- On peut s'interroger sur l'opportunité du dépôt de la proposition de loi alors que le ministère des finances a d'ores et déjà engagé une concertation avec les partenaires sociaux, sur la base du rapport Balligand-Foucault remis au Premier ministre en janvier, dans le but de déposer un texte en juin pour l'examiner à la rentrée d'octobre. Il semblerait préférable d'attendre la fin de cette concertation avec les organisations syndicales et patronales pour débattre de ce sujet.

- Il est d'ailleurs gênant que, de façon générale, la proposition de loi laisse si peu de place à la négociation sociale dans un domaine où elle est traditionnellement favorisée.

- En ce qui concerne les stock-options, l'objectif de transparence défendu par le texte de la proposition semble avoir été pleinement pris en compte par des amendements adoptés au moment de l'examen en première lecture du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.

- Développer la participation salariale est une bonne chose si et seulement si le mécanisme choisi ne crée pas de discriminations de fait, non seulement entre petites et grandes entreprises, mais également entre secteur privé et secteur public et secteur marchand et « tiers secteur » (les associations ou les mutuelles par exemple).

- De plus, le montant des primes d'intéressement ou des résultats de la participation reste d'après les études les plus récentes aux alentours d'une moyenne de 6.000 francs par salarié, ce qui demeure relativement modeste. Au total, pour parvenir à un dispositif véritablement significatif, il conviendrait de définir un mécanisme plus large et applicable à tous les secteurs de l'économie.

- L'expérience montre que la création de valeur pour l'actionnaire ne rejoint pas nécessairement l'intérêt du salarié. Afin d'éviter des conflits, il conviendrait donc de définir un système d'épargne salariale qui permette de concilier l'intérêt du capital et celui du salarié. En outre, le développement de l'actionnariat dans l'entreprise entraîne forcément une prise de risque qui n'est pas toujours pleinement évaluée par le salarié concerné. Le dispositif choisi devra donc prévoir des mécanismes de sécurité afin d'éviter que les employés soient payés en monnaie de singe.

- Il n'est pas souhaitable de réintroduire, par le biais de l'épargne salariale, la question du plan d'épargne d'entreprise pour le retraite. La réflexion en la matière n'est manifestement pas encore mûre.

En conclusion, rappelant que la proposition de loi intervient trop tôt par rapport à la concertation engagée par le Gouvernement sur ces mêmes sujets, M. Serge Blisko a demandé, au nom de son groupe, l'application de l'article 94 du Règlement qui permet à la commission de ne pas présenter de conclusions.

Le président Jean Le Garrec a considéré qu'il s'agissait là d'un débat utile impossible à traiter avec légèreté. A cet égard il est regrettable que le texte proposé opère un mélange des genres entre l'épargne salariale, les stock-options et la participation.

La référence à l'approche gaulliste historique de l'organisation de l'entreprise et de la place de l'entreprise dans la société, telle qu'elle fut initialement définie par M. René Capitant, n'est plus réellement opérationnelle aujourd'hui et masque la réalité. Les deux questions qui se posent désormais avec le plus d'acuité portent sur la nature du pouvoir et la place du salarié dans l'entreprise, comme en témoignent les débats actuels entre les partenaires sociaux et le MEDEF. Nous nous sommes donc fortement éloignés des débats en cours il y a quarante ans sur l'organisation de l'entreprise. Le législateur est désormais confronté à des préoccupations auxquelles il serait illusoire de vouloir répondre par la seule extension de la participation.

En réponse aux intervenants, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteuse, a fait les observations suivantes :

- Le souci d'accroître la participation des salariés au sein de l'entreprise est ancien dans la culture gaulliste comme le prouve la succession des textes ayant porté sur cette question et adoptés par l'ancienne majorité. Il convient de citer les ordonnances de 1959, de 1967, la loi de 1970, l'ordonnance de 1986 ou la loi de 1994. La proposition de loi, qui est la troisième à avoir été présentée sur le sujet par l'actuelle opposition durant la présente législature, ne saurait être considérée comme un texte d'opportunité. Elle traduit au contraire une préoccupation ancienne et constante.

- L'extrême fluidité de l'actionnariat, qui peut conduire à des mouvements erratiques aux conséquences dommageables, justifie pleinement le développement de l'actionnariat salarié qui représente incontestablement un facteur de stabilisation de cet actionnariat.

- Reste un point majeur de clivage entre groupes de la majorité et de l'opposition s'agissant des conséquences de l'actionnariat salarié sur le système des retraites. Il est certain que le fonds de réserve pour les retraites ne suffira pas à combler les déficits que l'accroissement de la longévité contribuera à creuser. D'autres modes de financement que la retraite obligatoire et la retraite complémentaire s'avéreront inéluctablement nécessaires. C'est pourquoi la proposition de loi opte pour un plan d'épargne entreprise uniquement dédié à la retraite et libéré seulement au moment du départ à la retraite. On peut regretter que le projet de loi devant être prochainement déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale se contente, d'après les annonces provenant du ministère de l'économie et des finances, de prolonger la durée de l'épargne au sein du plan d'épargne entreprise (dix à quinze ans), ce qui ne permettra manifestement pas de résoudre totalement le problème du financement des retraites.

Le président Jean Le Garrec a soumis à la commission la proposition présentée par M. Serge Blisko de ne pas engager la discussion des articles de la proposition de loi et donc de suspendre les travaux de la commission.

La commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.


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