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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 31 mai 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaires liées aux différentes « pratiques non réglementées de modifications corporelles » (piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers - n° 2333 (M. Jean Rouger, rapporteur)


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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean Rouger, la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de sécurité sanitaires liées aux différentes « pratiques non réglementées de modifications corporelles » : piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers.

M. Jean Rouger, rapporteur, a estimé que le problème posé par les pratiques de marquage du corps pouvait être considéré comme un problème sanitaire mais que ce n'était pas une commission d'enquête qui pourra le résoudre car elle n'aurait pas les capacités techniques d'une telle expertise.

Les pratiques de piercing, tatouage, scarification et d'implant de corps étrangers connaissent un développement sans précédent en France. En 1980, quatre boutiques de tatouage suffisaient à la demande française, aujourd'hui on en dénombre plus de trois cents. Les jeunes sont particulièrement attirés par de telles pratiques qui agissent, pour eux, comme des « marqueurs identitaires ». Ces pratiques permettent aux adolescents d'afficher un signe extérieur de différence. Auparavant, la distinction s'effectuait par le biais de la chevelure et du vêtement. Dans une enquête Médiamétrie réalisée en novembre 1998 auprès d'un échantillon de jeunes entre 11 et 15 ans, un tiers d'entre eux ont répondu envisager se faire, un jour, tatouer ou « piercer ».

Comme l'indique à juste titre l'exposé des motifs de la proposition de résolution, ces pratiques peuvent comporter des dangers dans la mesure où elles se caractérisent par l'incision ou la perforation de la barrière cutanée ou muqueuse. Elles peuvent donc comporter un risque de transmission d'infections bactériennes ou d'infections virales comme les hépatites ou le sida.

A l'heure actuelle, aucune réglementation n'existe en matière d'hygiène et les tatoueurs-perceurs qui souvent font signer à leurs clients une décharge de responsabilité n'assurent pas toujours des conditions de sécurité sanitaire suffisantes.

La réalité et le caractère préoccupant des questions évoquées dans cette proposition de résolution ne peuvent donc pas être niés. Cependant, la création d'une commission d'enquête au sein de l'Assemblée nationale n'est pas la réponse la plus adaptée.

Du reste, le Gouvernement a demandé au Conseil supérieur d'hygiène publique de réaliser une étude épidémiologique qui n'a pas été effectuée jusqu'alors ni en France ni à l'étranger. D'après les informations communiquées par le ministère, les conclusions du Conseil supérieur seraient très prochainement publiées et devraient permettre d'apprécier la nécessité ou non de réglementer au-delà des dispositions du code de la consommation qui font obligation à tout professionnel de ne pas porter atteinte à la santé des personnes.

Cette étude scientifique menée par des experts de santé publique doit être rendue publique le plus rapidement possible afin que cesse toute controverse et que des recommandations soient éventuellement émises.

En conclusion, le rapporteur a demandé le rejet de la proposition de résolution.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Bernard Accoyer a insisté sur le devoir impérieux incombant aux représentants de la Nation en matière de santé publique. De très nombreuses familles sont touchées par un phénomène dangereux dont il convient de prendre aujourd'hui l'exacte mesure. Les jeunes qui ont recours à ces pratiques non réglementées pâtissent souvent d'un véritable déficit d'information. Ils doivent être avertis que certains pratiques effectuées sans aucune précaution peuvent présenter des risques mortels pour eux.

On doit déplorer qu'aucune étude sérieuse n'ait été menée, en liaison par exemple avec les infectiologues, depuis que l'attention des pouvoirs publics a été appelée sur cette grave question pendant l'été 1999. Il n'existe pas non plus d'études sur la transmission des virus due à ces pratiques. Certaines informations scientifiques tout à fait fiables sont cependant disponibles : des travaux scientifiques ont fait le lien entre ces pratiques et la transmission des virus HIV et HIC. Il a été possible d'identifier des transmissions de l'hépatite C suivie de complications entraînant cirrhoses ou cancers du foie, et donc susceptibles de provoquer le décès des personnes concernées.

Si aucune mesure n'est prise et si la commission des affaires culturelles, familiales et sociales refuse sans argument valable de créer une commission d'enquête sur ce sujet, elle prendra une lourde responsabilité. Chacun est aujourd'hui informé des risques que ces pratiques représentent. L'inaction et l'attentisme seraient incompréhensibles pour l'opinion publique. La réalité du danger est d'ailleurs reconnue dans certaines circonstances puisque a été décidée l'éviction pour les dons du sang des personnes ayant subi un piercing ou s'étant fait tatouer au cours des six mois précédents. Le sujet est d'une importance majeure ; il doit rassembler l'ensemble des commissaires quelle que soit leur sensibilité politique.

M. Pierre Hellier, après avoir souligné que la décharge signée par le client était dépourvue de toute valeur, a plaidé pour qu'une commission d'enquête fasse le point sur les conditions d'hygiène des pratiques corporelles en question.

M. Yves Bur a indiqué qu'il ne s'agissait pas de restreindre ces pratiques elles-mêmes mais de faire en sorte qu'elles puissent être réalisées dans des conditions optimales de sécurité sanitaire. Par exemple, il ne saurait être toléré que les opérations aient lieu sans que les instruments et les ustensiles aient été préalablement stérilisés. Trop souvent aujourd'hui, ces actes sont pratiqués par des personnes n'ayant pas la qualification requise, dans des lieux ne permettant qu'une hygiène approximative.

Il serait pour le moins paradoxal d'instaurer un contrôle sur les pratiques médicales effectuées par des professionnels, comme le fait l'article 16 du projet de loi relatif à la modernisation sociale, et de laisser perdurer des pratiques non réglementées qui peuvent contaminer des jeunes gens par le virus HIV ou d'autres. Ces dangers doivent être pris très au sérieux car, par un effet de diffusion, la population tout entière est menacée.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard, après avoir souligné l'importance de ce phénomène de société qui touche notamment les jeunes générations, a relevé qu'un rapport devait être prochainement remis par le conseil supérieur d'hygiène publique. Ce document permettra d'éclairer les membres de la commission sur l'ampleur des problèmes de santé publique posés par ce type de pratiques. C'est la raison pour laquelle il semble opportun d'attendre la remise de ce rapport pour pouvoir organiser au sein de la commission un débat serein dans quelques semaines.

M. Edouard Landrain a considéré que l'argumentation développée par Mme Perrin-Gaillard aurait été valable s'il s'était agi de voter une proposition de loi. En l'occurrence, le débat porte sur l'opportunité de créer une commission d'enquête à l'Assemblée nationale sur cette question difficile. Il convient que les députés aient le courage d'aller au devant des problèmes de société et puissent démontrer à cette occasion leur capacité à anticiper les dangers qu'ils soient écologiques, de santé publique ou d'une autre nature. Le conseil national de l'Ordre des médecins appelle d'ailleurs à une intervention du Parlement sur ce sujet. L'affaire du sang contaminé devrait inciter l'ensemble des membres de la commission à réfléchir au sens de l'action publique et à la nécessité d'intervenir en amont des problèmes et non pas lorsque des drames humains ont eu lieu.

M. Jean-Pierre Foucher a noté que le rapport mentionné par Mme Perrin-Gaillard et le rapporteur - qui aurait d'ailleurs du être rendu public dès le mois de décembre 1999 - doit s'attacher uniquement à évaluer les risques infectieux des pratiques non réglementées. Or, l'objet de la commission d'enquête qu'il est proposé de créer serait d'examiner les conditions de sécurité sanitaire dans lesquelles ces pratiques sont réalisées. Les deux aspects apparaissent donc distincts. En tout état de cause, les deux types d'approches pourraient opportunément se compléter. Il n'y a donc pas lieu de refuser la création de la commission d'enquête. Cela reviendrait de la part des députés à ne pas prendre les responsabilités qui leur reviennent.

M. Jean-Paul Durieux, président, a relevé que chacun était en effet parfaitement conscient de la gravité de la question soulevée et que nul ne songeait à minimiser la nécessité d'une intervention des pouvoirs publics en ce domaine. Davantage que la création d'une commission d'enquête qui n'apparaît pas comme la solution adaptée à la situation, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pourrait opportunément demander au Conseil supérieur de l'hygiène publique de rendre son rapport public dans les délais les plus brefs. Une saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques semble en outre s'imposer sur ce type de question.

M. Bernard Accoyer a rappelé le sort d'ailleurs injuste fait à certains décideurs politiques lors de l'affaire du sang contaminé. Assumer sa part dans l'évaluation et la décision quant aux risques sanitaires présentés par le piercing relève pleinement de la responsabilité du Parlement et l'honorerait.

En réponse aux intervenants, M. Jean Rouger, rapporteur, après avoir fait observer qu'il ne sous-estimait nullement l'importance du problème posé, a considéré que les membres de la commission se devaient de respecter une approche strictement scientifique de ce sujet. Or aucun travail sérieux épidémiologique n'a été mené à ce jour. Seules existent quelques publications dans des revues scientifiques, ce qui signifie qu'une commission d'enquête créée sur cette question n'aurait aucune donnée pour appuyer et même amorcer ses travaux. Le rapport attendu du conseil supérieur d'hygiène publique permettra seul d'évaluer les risques infectieux de telles pratiques. Ces éléments objectifs à caractère scientifique ne seront disponibles que dans quelques semaines. A ce moment, le Parlement aura l'occasion de saisir de nouveau de la question dont personne ne conteste la pertinence.

Contrairement aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté la proposition de résolution sans modification.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé M. Philippe Nauche rapporteur pour le titre premier, chapitre 1er (établissements et institutions de santé) et chapitre 4 (pratique et études médicales) du projet de loi de modernisation sociale (n° 2415), M. Alfred Recours rapporteur pour le titre premier, chapitre 2 (protection sociale) et chapitre 3 (retraites, personnes âgées et handicapées) et M. Gaëtan Gorce rapporteur pour le titre II.

La commission a également nommé M. Jean-Paul Durieux candidat titulaire de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en remplacement de M. Jean Le Garrec. En conséquence, la liste des candidats présentés par la commission est la suivante :

Titulaires

Suppléants

M. Jean-Paul Durieux

M. Marcel Rogemont

M. Didier Mathus

M. Patrick Bloche

M. Michel Françaix

M. Henri Nayrou

M. Patrice Martin-Lalande

M. Olivier de Chazeaux

M. Christian Kert

Mme Roselyne Bachelot-Narquin

M. Christian Cuvilliez

M. Pierre-Christophe Baguet

M. Noël Mamère

M. Laurent Dominati


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