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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 7

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 novembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE


– Compte rendu d'une mission en Israël et dans les Territoires palestiniens


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Mission en Israël et dans les Territoires palestiniens

Le Président Jack Lang a rappelé que la mission de la Commission des Affaires étrangères avait pour objet d'évaluer la situation en Israël et dans les Territoires afin, notamment, d'éclairer la Commission sur une éventuelle ratification de l'accord d'association entre l’Union européenne et Israël.

M. Henri Bertholet a rappelé qu'il était accompagné par Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Jean-Jacques Guillet et Mme Monique Collange.

Cette mission s'est déroulée du 13 au 18 septembre 1998, c'est-à-dire avant la signature du mémorandum de Wye River, à un moment où le processus de paix engagé à Oslo en 1993 paraissait moribond.

Prévue initialement pour le mois de juillet, la mission a été reportée à la demande des autorités israéliennes qui pensaient que le processus de paix pourrait connaître des évolutions positives au cours de l'été. Elle a respecté un strict équilibre en consacrant ses deux premières journées d'entretiens à des interlocuteurs israéliens et les deux dernières à des interlocuteurs palestiniens. Elle a reçu un bon accueil de part et d'autre ; les autorités israéliennes, en particulier, ont facilité son déplacement à Gaza alors que la bande était sous l'effet d'un bouclage. Elle a été reçue notamment par Yasser Arafat, Shimon Péres et le conseiller diplomatique de Benjamin Netanyahou.

M. Henri Bertholet a présenté, en premier lieu, la portée de l'accord de Wye River sans préjuger de son application effective.

Le principe "la paix contre les territoires" sort renforcé des négociations de Wye Plantation. Il est important que les Palestiniens aient obtenu un redéploiement de la part d'un gouvernement qui paraissait idéologiquement hostile à toute concession territoriale. Le mémorandum prévoit un calendrier serré et précis pour chacune de ses dispositions. L'objectif est de conclure un accord de règlement définitif d'ici le 4 mai 1999. Par ailleurs, dans un délai de douze semaines à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, toutes les dispositions du mémorandum devront être mises en place. L'entrée en vigueur de l'accord aurait dû intervenir dix jours après sa signature, soit le 3 novembre 1998, mais Israël a demandé un report de 10 jours ; quoi qu'il en soit, la totalité de ses dispositions devraient être mises en oeuvre d'ici la fin du mois de janvier 1999.

Les accords d'Oslo ne reconnaissaient pas l'objectif de créer à terme un Etat palestinien. Cette ambiguïté n'a pas été levée par le mémorandum de Wye River. Le Premier ministre israélien a même précisé que cette création n'était pas envisageable. Mais Yasser Arafat ne s'est pas privé de la possibilité de jouer un jour la carte d'une proclamation unilatérale de l'Etat palestinien.

Par ailleurs, ni la question de Jérusalem, ni celle des implantations n'ont trouvé de solution. Depuis Oslo, la question de Jérusalem s'est envenimée du fait de la limitation de la population arabe et de l'installation massive de colons juifs. La colonisation de la Cisjordanie s'est également nettement intensifiée depuis l'arrivée au pouvoir de M. Netanyahou. Sur ces points, le mémorandum se borne à exclure toute initiative unilatérale qui pourrait compromettre le climat des négociations en changeant le statut de la bande de Gaza ou de la Cisjordanie. Il n'interdit pas formellement à Israël de poursuivre sa politique à Jérusalem et dans les colonies.

L'aspect le plus concret du mémorandum est qu'il renforcera l'autonomie des Territoires. Jusqu'à présent, les redéploiements et l'autonomie octroyés par Israël ont abouti à la création d'enclaves de taille réduite, dispersées et privées de communications normales avec l'extérieur. L'accord de Taba, précisé par l'accord sur Hébron, prévoyait déjà qu'un deuxième redéploiement devait se réaliser en trois phases tous les six mois à compter du 7 mars 1997 mais il n'en précisait pas l'ampleur. Le mémorandum de Wye River détermine précisément l'ampleur et le rythme du deuxième redéploiement. Par rapport à ce que laissait espérer l'accord de Taba, ce redéploiement est assez faible.

Le mémorandum prévoit également des dispositions à propos de la libre circulation des personnes et des biens, avec l'ouverture de la zone industrielle de Karni et de l'aéroport de Gaza avant le terme de la période intérimaire. Les parties sont également convenues de commencer immédiatement les négociations relatives à la création d'un passage sûr entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Les négociations relatives à la construction d'un port à Gaza devraient également commencer au plus tôt. Enfin, les parties réactiveront les différents comités de coopération économique en vue notamment d'examiner les mesures susceptibles de développer leurs relations économiques.

En contrepartie de ce redéploiement, les Israéliens ont obtenu des garanties supplémentaires de sécurité. Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Benjamin Netanyahou, l'argument de la sécurité a pris une importance particulière. La logique de l'ancien Premier ministre Yitzhak Rabin, "lutter contre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix et faire la paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme", a été abandonnée par son successeur. Le mémorandum prévoit des mesures qui devraient permettre d'améliorer de façon très significative la coopération entre Israël et l'Autorité palestinienne, avec une implication directe des Etats-Unis.

L'accord de Wye River constitue une percée diplomatique qui devrait permettre une relance du processus de paix. Pour l'heure, il paraît essentiel que deux dispositions du mémorandum fassent l'objet d'une application rigoureuse. En premier lieu, la lutte contre le terrorisme ne doit pas être dévoyée. Il ne s'agit pas d'éradiquer toute opposition palestinienne, alors qu'une partie de la population vit le processus de paix dans l'amertume, mais les seuls terroristes. A ce titre, la libération des Palestiniens détenus par Israël est essentielle. En second lieu, le désenclavement des Territoires est vital, faute de quoi le mémorandum ne se traduira, pour les Palestiniens, que par un agrandissement de leurs enclaves autonomes.

Compte tenu de ces éléments, peut-on envisager une ratification de l'accord d'association ?

M. Henri Bertholet a rappelé que cet accord avait été conclu en novembre 1995 dans le contexte quelque peu euphorique qui avait suivi les accords d'Oslo. Cet accord renouvelle et approfondit la coopération instituée par un accord de 1975 en lui ajoutant un volet politique. Les dispositions techniques ont été mises en vigueur par le biais d'un accord intérimaire, seul le volet politique nécessitant une ratification des parlements nationaux.

La même logique a présidé par ailleurs à la conclusion d'un accord intérimaire entre l'Union européenne et l'OLP. L'entrée en vigueur de cet accord est restée théorique car Israël l'ignore délibérément.

Selon Israël, l'accord d'association est dépourvu de tout lien avec le processus de paix ; cependant, il permettra à l'Union européenne de peser sur la politique israélienne, via le dialogue politique. Sa non-ratification est sans effet pratique puisque ses dispositions techniques sont entrées en vigueur par anticipation.

M. Henri Bertholet a estimé qu'il fallait prendre en considération deux aspects. D'une part, il convient que les relations avec Israël se développent sur la base d'un accord qui fasse l'objet d'une même interprétation par les deux parties et soit appliqué loyalement. D'autre part, l'avenir du processus de paix dépend largement du développement de l'économie palestinienne.

Il est vrai que la référence au processus de paix n'est pas explicite dans le texte de l'accord. En revanche, il existe entre les parties une divergence d'interprétation fondamentale à propos de l'article 83 de l'accord d'association.

Cet article prévoit que l'accord s'applique au territoire de l'Etat d'Israël. Or, Israël considère que le territoire douanier d'Israël inclut les territoires occupés, y compris les Territoires autonomes. De ce fait, les produits originaires des territoires doivent, selon lui, être considérés comme des produits israéliens et bénéficier des exemptions douanières de l'accord. Par ailleurs, Israël ignore l'accord intérimaire entre l’Union européenne et l'OLP. Cet accord, signé le 24 février 1997, vise à établir progressivement une zone de libre-échange pour les produits industriels et prévoit une libéralisation accrue pour les produits agricoles. Israël fait obstacle à son application. Les certificats d'origine émis par l'Autorité palestinienne en application de l'accord sont arrachés par les services israéliens qui leur substituent des certificats d'origine israéliens.

Lors de notre mission, une délégation de la Commission européenne tentait vainement de résoudre ce litige qui demeure en souffrance.

Sans doute, la ratification de l'accord pourrait créer un climat de confiance et aider à résoudre ce litige mais elle peut aussi conduire à institutionnaliser un dialogue de sourds. Le mémorandum de Wye River est également un élément nouveau dans la mesure où il prévoit des mesures susceptibles de désenclaver les Territoires. Cependant, cet accord est encore virtuel.

Dans ces conditions, la ratification de l'accord d'association devrait être liée aux progrès réalisés dans l'application de l'accord intérimaire entre l'Union et Israël et, plus généralement, au respect du calendrier prévu par le mémorandum de Wye River dans le domaine économique.

Par ailleurs, M. Henri Bertholet a rappelé qu'un accord de coopération scientifique et technique entre l'Union européenne et Israël était en instance de renouvellement. En mai 1998, le Conseil de l'Union a déclaré qu'il tiendrait compte des progrès enregistrés dans le processus de paix au moment de la conclusion de cet accord. Ce dernier ne sera pas soumis à ratification mais l'article 88-4 de la Constitution offre à l'Assemblée nationale la possibilité de voter une résolution à propos de ce projet.

M. Jean-Jacques Guillet a estimé que deux problèmes se posaient, l'un juridique et l'autre politique.

Le problème juridique est celui de l'interprétation par Israël des accords, en particulier de l'accord intérimaire. Il a noté que la Commission européenne était de plus en plus vigilante sur la question des produits en provenance des territoires occupés.

Le problème politique résulte du fait que notre attitude peut, dans une certaine mesure, favoriser le processus de paix. L'accord d'association avait été négocié dans le contexte, radicalement différent, des accords d'Oslo, que l'accord de Wye River tente de relancer. Le processus de paix ne pourra aboutir qu'après la solution, de manière définitive, de deux problèmes essentiels : celui de l'eau et celui de la liberté du commerce. La paix repose, dans une large mesure, sur la liberté des échanges, qui n'existe pas à l'heure actuelle entre Israël et les "confettis" palestiniens. C'est sur ce terrain que nous pouvons agir en gardant à l'esprit que les relations israélo-palestiniennes se situent dans le contexte plus vaste de la zone euro-méditerranéenne. Les Israéliens doivent se convaincre de la nécessité, pour leur propre sécurité, de résoudre les problèmes commerciaux. Le niveau de vie de la population palestinienne a régressé de 30% depuis 1994. Cela ne peut que peser sur la sécurité d'Israël.

M. Jean-Jacques Guillet a souligné qu'une partie de l'opinion publique israélienne en était consciente.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a évoqué la dimension psychologique de la question : les Palestiniens ont le sentiment que les Israéliens n'ont pas envie de respecter des accords, quels qu'ils soient. Ils ne sont pas favorables à une ratification rapide de l'accord d'association, celui-ci constituant l'une de leurs dernières armes dans l'instauration d'un processus de paix.

Mme Isaac-Sibille s'est montrée favorable à un délai d'observation supplémentaire.

Elle a souligné l'importance de l'accord dans le contexte régional.

M. Pierre Brana s'est interrogé sur la marge de manoeuvre de Yasser Arafat par rapport au Hamas, au Djihad islamique, voire au sein même de sa propre formation.

Il a demandé à M. Bertholet comment était perçue l'attitude de la police palestinienne dans les Territoires.

Il s'est également interrogé sur le report de l'entrée en vigueur de l'accord de Wye River par le gouvernement israélien. Y a-t-il un lien avec le calendrier des élections américaines ?

Enfin, il a interrogé M. Bertholet sur les réactions de la Commission européenne face à l'attitude israélienne qui ignore délibérément les accords euro-palestiniens.

En conclusion, M. Pierre Brana a estimé qu'il était urgent d'attendre, du moins quelques semaines, afin d'observer la réalité de l'application du mémorandum.

M. Roland Blum s'est déclaré globalement en accord avec les conclusions du Rapporteur et a souligné le caractère politiquement délicat du problème. Les difficultés du processus de paix tiennent notamment à la présence d'extrémistes dans les deux camps.

S'agissant de l'accord euro-méditerranéen, les dispositions économiques sont déjà appliquées ; en revanche, la ratification doit permettre la mise en vigueur d'un dialogue politique. Quelle est la teneur de ce dialogue ?

En ce qui concerne l'accord euro-palestinien, on peut s'interroger sur la capacité juridique de l'OLP à conclure un traité international. Dès lors, cette incertitude ne facilite-t-elle pas l'interprétation israélienne de l'article 83 de l'accord d'association ?

M. Paul Dhaille a constaté que les Palestiniens semblaient au pire désespérés et au mieux résignés et ne paraissaient pas convaincus que l'accord de Wye River serait appliqué.

M. Paul Dhaille a relevé que la poussée islamiste dans les Territoires palestiniens, bien que croissante, paraissait contenue. Quel est le risque que Yasser Arafat soit poussé à une proclamation unilatérale d'un Etat palestinien ?

S'agissant de la ratification de l'accord, pourquoi se précipiter dès lors que ses dispositions commerciales sont déjà en vigueur ? Il a demandé quelles étaient les parts respectives de l'Europe et des Etats-Unis dans le commerce extérieur israélien. Il a relevé la trop faible présence de l'Europe dans le processus de paix et rappelé que les Palestiniens doutaient de l'objectivité de "l'arbitre" américain. Peut-on espérer que les Etats-Unis disposeront d'une plus grande marge de manoeuvre à l'égard d'Israël après les dernières élections ? Il faut rappeler en permanence aux Israéliens que l'enjeu du processus de paix n'est rien moins que l'équilibre de l'ensemble du bassin méditerranéen.

M. Charles Ehrmann s'est demandé comment 5 millions d'Israéliens pourraient continuer à maintenir leur Etat dans un région largement arabe, d'autant que l'arrivée des Juifs de Russie a accentué la pression des religieux, notamment à Jérusalem. Il s'est inquiété de la perte de pouvoir d'achat frappant les Palestiniens et de l'avenir de Yasser Arafat face à toutes ces difficultés.

M. Henri Bertholet a estimé qu'il était difficile d'évaluer la marge de manoeuvre dont disposait Yasser Arafat par rapport au Hamas. De nombreux Palestiniens sont désespérés et l'islamisme est devenu l'expression de leur colère. Yasser Arafat a joué de toutes les cartes dont il disposait. Il n'est certainement pas disposé à rester dans l'Histoire comme celui qui aura assuré le maintien de l'ordre dans des territoires enclavés, jouant ainsi le rôle de Pétain après avoir aspiré au destin du Général de Gaulle. Sa politique est très vivement contestée par les Palestiniens de l'extérieur et par la jeunesse des Territoires.

Le processus de paix est une course contre la montre dont la réussite aurait été mieux garantie si ses initiateurs historiques étaient restés au pouvoir suffisamment longtemps. Il doit avancer de manière continue pour que les Palestiniens puissent faire leur deuil de la Palestine mandataire. Si le mémorandum de Wye River ne se traduit pas par des retombées concrètes, il est très probable que Yasser Arafat prendra l'initiative d'une proclamation unilatérale d'un Etat palestinien. Dans cette hypothèse, la communauté internationale - et en particulier l'Europe - se trouverait devant une situation délicate.

Il est également difficile de juger la manière dont la police palestinienne est perçue par les Palestiniens. Il faut observer que l'Autorité palestinienne est placée sous une double contrainte : respecter davantage les droits de l'Homme et lutter avec plus d'efficacité contre le terrorisme.

De 1975 à 1998, la Commission européenne a fermé les yeux sur les importations provenant des territoires occupés. C'est un argument qu'Israël ne manque pas d'invoquer contre les observations récentes de la Commission. Cependant, avant 1996, il n'y avait pas d'autorité palestinienne susceptible de contrôler le territoire douanier et, depuis, un accord commercial a été conclu avec l'OLP. Le Conseil de l'Union soutient les actions de la Commission. Si ce litige persistait, il pourrait conduire à l'interruption de l'application de l'accord intérimaire.

La mise en place d'un dialogue politique régulier entre les Parties constitue une innovation par rapport à l'accord de 1975. Ce dialogue pourra porter sur tous les sujets d'intérêt commun, et notamment la paix, la sécurité et la démocratie. Comme dans tous les autres accords récents conclus par l'Union européenne, il est prévu un dialogue au niveau ministériel et au niveau des hauts fonctionnaires ainsi qu'un dialogue parlementaire, entre le Parlement européen et la Knesset.

L'Union européenne a pu conclure un accord avec l'OLP car le protocole de Paris autorise cette organisation à conclure des accords commerciaux.

La Communauté est le premier fournisseur d'Israël, puisqu'elle lui fournit plus de la moitié de ses importations, contre 18 % seulement pour les Etats-Unis. En revanche, sa position de premier client est moins nette, puisqu'en absorbant quelque 30 % des exportations israéliennes, la Communauté se situe à un niveau comparable à celui des Etats-Unis. Ces échanges sont en progression constante : le taux de couverture israélien est passé de 40-42 % en 1995 à 54 % à la mi-1998.

Beaucoup d'Israéliens estiment, compte tenu de la parité démographique, que la pérennité de l'Etat juif suppose la création d'un Etat palestinien. Shimon Péres a déclaré un jour qu'un Etat binational serait une catastrophe binationale. Inversement, certains intellectuels palestiniens se demandent si un Etat binational, respectant les droits de tous, ne serait pas plus favorable à la cause palestinienne. Selon un récent sondage, il existerait une courte majorité d'Israéliens favorable à un Etat palestinien.

· Accord d'association entre l'Union européenne et Israël

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