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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 décembre 1998
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jack Lang, président

puis de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Eliahou Ben Elissar, ambassadeur d'Israël à Paris


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– Proposition de résolution sur l'accord de coopération scientifique et technique entre la
  Communauté européenne et Israël (n° 1183)



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– Informations relatives à la Commission


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Audition de M. Eliahou Ben Elissar, ambassadeur d'Israël à Paris

La Commission a entendu M. Eliahou Ben Elissar, ambassadeur d'Israël à Paris.

Le Président Jack Lang, après avoir rappelé la brillante carrière d'homme politique et de diplomate du nouvel ambassadeur d'Israël en France, lui a souhaité un bon séjour dans notre pays.

M. Eliahou Ben Elissar a déclaré que l'objectif principal de la politique étrangère d'Israël était d'arriver à la paix. Déjà, des traités de paix ont été conclus avec l'Egypte et la Jordanie et des négociations ont été ouvertes avec les Palestiniens. Lors de la Conférence de Madrid, les gouvernements israéliens successifs ont également négocié avec la Syrie et le Liban.

Sans doute, il ne sera pas facile de régler tous les contentieux. Il ne s'agit pas d'un conflit conventionnel. Chacun est convaincu que le territoire lui appartient en entier. Israël, pour sa part, est prêt à des concessions car il a compris que toutes ses aspirations ne pouvaient être satisfaites. Il n'est pas encore certain que les Palestiniens aient abouti à la même conclusion.

L'accord de Wye River a été signé et ratifié ; il sera respecté par Israël sans aucun préalable, sous la seule réserve de la réciprocité. On peut d'ores et déjà considérer son application comme acquise. En revanche, on ne peut encore faire de pronostics sur le résultat des négociations relatives au statut définitif des territoires.

Si Yasser Arafat proclamait unilatéralement un Etat palestinien, il s'agirait, selon Israël, d'une violation majeure des accords d'Oslo qui ne pourrait rester sans réponse.

S'agissant du Liban, Israël est prêt à évacuer le Sud-Liban immédiatement et sans condition. Le problème est que la Syrie pèse sur la souveraineté du Liban et refuse que cet Etat recouvre sa pleine indépendance à moins de récupérer le Golan. Par ailleurs, il faudra faire en sorte que le Sud-Liban ne soit pas une base arrière pour des forces menaçant Israël.

Israël est également prêt à reprendre immédiatement les négociations avec la Syrie à un niveau et dans un lieu choisis par le Président syrien.

L'Iran demeure une menace pour Israël et également pour le continent européen. Cela tient à sa volonté d'exporter sa révolution mais aussi, grâce à l'aide de la Russie, à ses efforts dans le domaine nucléaire.

M. Eliahou Ben Elissar, en tant que francophile, souhaite vivement qu'un dialogue ouvert et constructif s'instaure entre la France et Israël. Il regretterait que la France soit le dernier Etat à ne pas avoir ratifié l'accord d'association entre l’Union européenne et Israël, la Belgique s'apprêtant à le faire très prochainement.

M. Pierre Brana a interrogé l'Ambassadeur d'Israël sur ce que lui inspirait la déclaration de Yasser Arafat relative à la construction d'un Etat palestinien à la date du 4 mai 1999.

Il lui a également demandé son sentiment sur les critiques de celui-ci quant à la qualité des prisonniers palestiniens libérés, qui seraient surtout des "droit commun", et sur l'accélération du rythme de la colonisation.

M. Charles Ehrmann s'est interrogé sur l'aptitude de Yasser Arafat à mener sa tâche à bien, dans la mesure où il lui semble sur le déclin.

M. Alain Juppé a évoqué les déclarations israéliennes sur l'évacuation immédiate du Sud-Liban. Il a souhaité connaître le type de garantie souhaitée par les Israéliens. Une garantie internationale est-elle envisageable ?

Il a déploré que les négociations se déroulent toujours sur le territoire américain, dès lors qu'il s'agit de conclure des accords. L'Union européenne ne pourrait-elle pas jouer un autre rôle que celui de bailleur de fonds ? Son représentant spécial dans la région n'a-t-il pas une influence positive, de nature à faciliter l'évolution du dialogue ?

M. Georges Hage a souligné combien l'objectif final de la paix constituait une longue marche chaotique, ponctuée de pas en arrière.

Il a rappelé que les accords d'Oslo prévoyaient explicitement que les parties n'agiraient jamais de manière unilatérale. Or, le phénomène de colonisation est en contradiction avec la lettre et plus encore avec l'esprit de ces accords. Nier la colonisation, c'est supprimer le problème par une pétition de principe, en contradiction avec ce que l'on peut constater sur place.

M. Georges Hage a estimé que la stature de Yasser Arafat évoquait des précédents dans notre histoire nationale.

M. Jacques Myard a évoqué le problème de Jérusalem, qui est le noeud gordien de toute solution susceptible d'aboutir à une paix durable.

M. Henri Bertholet a observé que les désaccords avec Israël avaient souvent pour origine une interprétation divergente de certaines expressions. Ainsi, on peut disserter sur la différence de sens entre le mot "colonisation" et celui "d'implantation". Toujours est-il que l'invitation récente faite par M. Sharon aux colons d'investir certaines collines et que les constructions nouvelles en Cisjordanie inclinent à penser que la colonisation se poursuit. De même, s'agissant de l'article 83 de l'accord d'association qui fait référence au territoire d'Israël, l'Union européenne considère qu'il vise uniquement les frontières d'avant 1967.

Par ailleurs, Israël demande que les Palestiniens fassent des concessions à la hauteur des concessions israéliennes. Mais on peut avoir le sentiment que les Palestiniens ont déjà fait un pas considérable en acceptant que leur Etat ne se construise que sur le quart de la Palestine mandataire.

Le Président Yasser Arafat jouit d'une forte légitimité mais il est vivement contesté par une partie des Palestiniens. La paix ne pourrait-elle pas être atteinte plus vite si Israël acceptait la création d'une forme d'Etat palestinien ? Après tout, une proclamation unilatérale d'un Etat palestinien le 4 mai prochain, ne serait pas plus choquante que la proclamation unilatérale de l'Etat d'Israël en 1947.

M. Jean-Bernard Raimond a rappelé que, pendant longtemps, l'Union soviétique avait apporté son soutien aux pays arabes les plus extrémistes. Son effacement, puis celui de la Russie aurait dû être de nature à faciliter le processus de négociations. Cette chance historique a-t-elle été suffisamment exploitée ?

M. Paul Dhaille s'est interrogé sur la poursuite de la colonisation et sur la capacité de Yasser Arafat à contrôler l'ensemble de la mouvance palestinienne.

M. Hervé de Charette s'est enquis de la probabilité d'une initiative israélienne intéressant le Sud-Liban.

Il a abordé le problème du port de Gaza. Ce projet est bouclé tant techniquement que financièrement, depuis plusieurs années, et les assurances nécessaires ont été définies quant au dispositif de sécurité. L'enjeu économique et humanitaire est beaucoup plus important pour les Palestiniens que celui de l'aéroport. L'attitude de blocage des autorités israéliennes sur ce dossier semble tout à fait incompréhensible.

Enfin, M. de Charette a demandé quelles étaient les perspectives de reprise des négociations entre Israël et la Syrie.

M. Eliahou Ben Elissar, Ambassadeur d'Israël à Paris, a répondu aux différents intervenants.

Que M. Arafat déclare "travailler en vue de la création d'un Etat palestinien" est compréhensible. Mais lorsqu'il parle de l'échéance du 4 mai 1999, il évoque la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale. Une telle déclaration serait considérée par Israël comme une violation majeure des accords conclus avec les Palestiniens. Si la création d'un Etat palestinien résultait de la négociation, la réaction serait différente. Rien ne doit se faire sans accord.

En ce qui concerne la libération des prisonniers palestiniens, elle se fera, elle a déjà commencé, mais elle ne saurait concerner les prisonniers "ayant du sang sur les mains", les auteurs d'actes terroristes. L'opinion publique israélienne est extrêmement sensible sur ce sujet.

S'agissant de la colonisation, la politique israélienne est claire : il n'y a pas de nouvelles agglomérations israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. On ne peut pas parler de colonisation dans Jérusalem : on crée des sous-quartiers, mais aucunement des agglomérations nouvelles.

L'Ambassadeur s'est déclaré convaincu de la réalité de l'influence exercée par M. Arafat sur les Palestiniens, y compris sur ceux qui ne sont pas ses partisans, du fait de son charisme, de sa stature politique et morale. L'Ambassadeur a confirmé le diagnostic fait par les meilleurs observateurs israéliens : Arafat exerce un contrôle presque parfait sur les Palestiniens, même s'il est de nature différente selon qu'il s'agit de ses opposants ou de ses partisans. Il peut, dès lors qu'il le souhaite vraiment, convaincre chacun, Hamas compris, de chosir telle ou telle voie.

En ce qui concerne le Sud-Liban, l'Ambassadeur a déclaré ne pas être autorisé à se prononcer sur le caractère acceptable par Israël d'une garantie internationale de sa sécurité contre l'évacuation de la région. On peut cependant penser que le gouvernement israélien n'exclurait aucune éventualité. Il convient de noter le rôle de la France dans le dialogue, unique en son genre, entre la Syrie, le Liban et Israël.

Il n'y a pas de nouvelle initiative en vue sur le Sud-Liban. Beaucoup d'Israéliens - tant parmi les travaillistes qu'au sein du Likoud - sont en faveur d'une évacuation unilatérale de la région. Encore faut-il obtenir l'assurance que le Hezbollah n'en profitera pas pour étendre son activité au Nord d'Israël. Le Hezbollah, prolongeant la politique iranienne avec la connivence de la Syrie, risque en effet de continuer "d'asticoter" Israël.

Certaines expressions sont gênantes. Ainsi la mention dans le rapport de M. Bertholet, de l'Europe, d'Israël et de la Palestine sur le même plan a quelque chose de dérangeant. De même, l'écriture de "Jérusalem-Est" avec un grand "E" comprend-elle l'ensemble du territoire occupé en 1967, y compris le mur des Lamentations ?

La réalité n'est pas discutable ; les territoires sont restés dans le même état que lorsque Isaac Rabin était Premier ministre, aucune agglomération nouvelle n'a été créée. L'établissement de la paix est un long processus qui aboutira car Israéliens et Palestiniens doivent apprendre à cohabiter. Comme le disait Moshe Dayan, les Arabes sont conscients qu'ils ne pourront pas jeter les Israéliens à la mer et ces derniers savent qu'ils ne les repousseront pas dans le désert. Les Israéliens ne veulent ni détruire, ni dominer le peuple palestinien. Désormais il convient de regarder vers l'avenir.

Jérusalem n'est pas le seul noeud gordien de la négociation. Le tracé des frontières dans une région qui en était dépourvue depuis des millénaires, le retour de 4 à 6 millions de réfugiés évoqués par l'Autorité palestinienne, dans une superficie de 850 km2, sont des problèmes dramatiques qui conditionnent l'avenir à long terme de l'Etat d'Israël. La marche vers la paix est chaotique mais les difficultés peuvent être contournées éventuellement par la négociation d'un nouvel accord intérimaire, comme le préconisent certains partisans des accords d'Oslo.

En 1947, la résolution sur le partage de la Palestine avait été acceptée par Israël bien qu'elle ne lui attribuât qu'une toute petite partie du territoire. Les Arabes ont rejeté ce plan et déclaré la guerre à Israël. Il arrive parfois qu'un peuple paye ses fautes historiques. Il serait étrange qu'Israël le fasse pour les erreurs commises par ceux qui projetaient sa destruction. Les Palestiniens ont sans doute accepté de ne contrôler que le quart de la Palestine mandataire mais celle-ci comprenait la Transjordanie, soit 120.000 km2 et Israël a admis que 90.000 km2 fussent attribués à un Etat arabe. Existe-t-il d'autres exemples d'un pays qui paye ceux qu'il a vaincu ? Par ailleurs, ces 25 % s'appliquent à un petit territoire.

Il y a effectivement 150 implantations israéliennes dans les territoires occupés où vivent 170.000 Israéliens. Cependant, Israël ne crée aucune nouvelle agglomération. On ne peut concevoir que les implantations actuelles soient démantelées. Le gouvernement israélien a été élu par la moitié de la population israélienne qui était hostile aux accords d'Oslo. Il a admis la réalité créée par les accords. De ce fait, la totalité de la population est maintenant favorable au processus de paix. Mais on ne peut demander aux Israéliens qu'ils renoncent à leurs maisons.

La contribution de Benjamin Netanyahou au processus de paix est d'avoir rallié une partie de l'opinion aux accords d'Oslo. Le Likoud a pris conscience des réalités créées par Oslo bien avant les élections de 1996. Si le gouvernement réussit la mise en oeuvre du mémorandum de Wye River, les Palestiniens auront engrangé des éléments appréciables. D'ici novembre 2000, beaucoup de choses auront changé.

La présence russe se manifeste en Iran, mais aussi en Syrie. Avec ce pays, les relations sont encore entravées par la question de la dette syrienne à l'égard de l'ex-Union soviétique, qui s'élève à 50 milliards de francs, somme que la Russie n'a pas les moyens d'annuler.

Pour Gaza, le problème, en voie de résolution, était qu'un port avec un tonnage important pourrait permettre la contrebande d'armes en violation des accords d'Oslo. L'aspect économique et humanitaire de la question est secondaire puisqu'il existe un autre port à trente kilomètres, bien desservi, où Israël serait prêt à accorder toutes les facilités douanières nécessaires. Le port constitue davantage un enjeu politique.

L'Ambassadeur a rappelé que l'aéroport, déjà, avait été construit à l'insu des Israéliens, en violation des accords. Israël a fermé les yeux. Le prolongement subreptice de la jetée du port par les Palestiniens a constitué une nouvelle violation et, selon des experts français et hollandais, une erreur technique. On peut espérer que les deux problèmes, celui lié à l'implantation géographique du port et celui de la sécurité, trouveront bientôt une solution. Israël est décidé à faciliter la construction du port de Gaza.

S'agissant de la Syrie, la volonté d'arriver à la paix doit se traduire par l'amorce d'un dialogue. Israël y est prêt. Toutes les questions peuvent être abordées (Golan, ligne du 4 juin 1967, Jérusalem), au niveau que souhaitera la Syrie, mais il faut parler.

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Proposition de résolution sur l'accord de coopération entre la Communauté européenne et Israël

La Commission des Affaires étrangères a examiné, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille, la proposition de résolution de M. Jean-Jacques Guillet et Mme Bernadette Isaac-Sibille sur la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord de coopération scientifique et technique entre la Communauté européenne et l'Etat d'Israël (COM [98] 457 final/n° E 1147) (n° 1183).

Mme Bernadette Isaac-Sibille, après avoir rappelé que cette proposition de résolution était examinée en application de l'article 88-4 de la Constitution, a exposé que son objet était de rappeler la nécessité que l'Union européenne joue un rôle politique au Proche-Orient et que les accords conclus par l'Union avec Israël et les Palestiniens soient correctement appliqués.

Par rapport au texte déposé, elle a proposé deux modifications. L'une, sur le point 1, mentionne la ratification de l'accord de Wye River par la Knesset. La seconde précise que le Gouvernement, lors de la conclusion de l'accord de coopération scientifique et technique, devra "prendre en compte l'application du calendrier" de l'accord de Wye River et non, simplement, "prendre en considération le respect de ce calendrier".

M. Henri Bertholet a considéré que la proposition de résolution s'inscrivait dans l'esprit des conclusions de la mission d'information qu'il avait présidée en septembre dernier. Israël est très attaché au renouvellement de l'accord de coopération scientifique et technique que le Conseil européen a subordonné à la reprise du processus de paix. La résolution manifestera amicalement la volonté de l'Assemblée nationale qu'Israël prenne en considération le sens des accords conclus avec la Communauté.

Après avoir adopté les modifications proposées par le Rapporteur et suivant ses conclusions, la Commission des Affaires étrangères a adopté la proposition de résolution (n° 1183).

Informations relatives à la Commission

Ont été nommés, le mercredi 2 décembre 1998 :

- M. Jean-Claude Lefort, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats-Unis du Mexique, d'autre part (n° 1194) ;

- Mme Louise Moreau, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil (n° 1195) ;

- Mme Louise Moreau, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil (n° 1196) ;

- Mme Bernadette Isaac-Sibille, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan sur la liberté de circulation (n° 1197).

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