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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 3 décembre 1998
(Séance de 10 heures 45)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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– Audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France ..........


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Audition de Mme Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France

Mme Leïla Shahid a souhaité faire le point sur l'application de l'accord de Wye River signé le 23 octobre dernier. Celle-ci a été entamée avec un peu de retard, ne serait-ce que parce qu'il a fallu dix jours au gouvernement israélien pour entériner l'accord. La mise en oeuvre a débuté voilà deux semaines.

Premier point : normalement, 13% supplémentaires du territoire C devraient passer en B, et 14% de B en A ; au terme du processus, 18% des Territoires devraient être placés en catégorie A, c'est-à-dire sous la totale responsabilité palestinienne pour ce qui est de l'autorité civile et de la sécurité. A l'heure actuelle, le changement de statut des Territoires prévu par l'Accord n'est effectif que sur 2% situés au Nord de la Cisjordanie.

Un deuxième point, très positif, est l'ouverture de l'aéroport. Importante à titre symbolique - elle est un signe de souveraineté, en dépit de la présence persistante de la sécurité israélienne - elle est aussi essentielle d'un point de vue économique puisqu'elle permet un commerce direct de la bande de Gaza avec l'extérieur. Or, l'un des problèmes majeurs ces dernières années a été l'impossibilité pour Gaza d'exporter sa production, essentiellement des agrumes et des fleurs. Encore faut-il noter que cet aéroport reste inaccessible aux Palestiniens de Cisjordanie. En effet, un permis doit leur être délivré par l'autorité militaire israélienne pour qu'ils puissent traverser les 100 kilomètres de territoire israélien séparant Cisjordanie et bande de Gaza.

La libération des prisonniers constitue un point noir. Il y a actuellement 3 500 prisonniers politiques dans les prisons israéliennes. 750 d'entre eux devraient être libérés par tiers d'après l' accord de Wye River. Sur le premier tiers, 150 sont en réalité des prisonniers de droit commun. Certains attendent pourtant leur libération depuis les accords d'Oslo. L'annonce par le gouvernement israélien que les deux tiers restants ne compteront que 100 prisonniers politiques, contre 400 détenus de droit commun, provoque donc frustration et colère. Les prisonniers ont d'ailleurs décidé d'entamer une grève de la faim à compter du 11 décembre, veille de la visite du Président Clinton.

A cette première violation majeure de Wye River, s'en ajoute une seconde : l'appel, lancé par M. Sharon incitant les colons à occuper par la force les collines entourant les colonies. La première à s'en plaindre est l'armée israélienne qui n'arrive pas à contenir les colons et n'a pas d'instruction pour les évacuer. En outre, les colons et l'armée encerclent Bethléem.

La pression de la communauté internationale est donc essentielle. De ce point de vue, la tenue de la conférence des pays donateurs et la fermeté de l'engagement du Président Clinton sont très positives. Celui-ci a bien compris le risque qu'il y aurait à lâcher du lest sur l'application d'un accord auquel il a consacré plus de 70 heures de négociations. On ne saurait négliger la difficulté qu'a eu le gouvernement israélien à accepter cet accord : sept membres ont voté pour, cinq contre, quatre ne sont pas venus pour éviter d'avoir à voter contre.

Dans ce contexte, le soutien de 3 milliards de dollars accordé par les pays donateurs (dont 900 millions d'origine américaine, soit trois fois plus qu'en 1993) pour la période de cinq ans à venir est un signe positif. Mais il faut voir sur le terrain si la circulation des biens et des personnes est possible.

L'échéance du 4 mai prochain est essentielle. Le Président Arafat rappelle le droit des Palestiniens à proclamer la création de leur Etat (déjà votée en 1988 en exil). Il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre. Cet acte doit permettre de continuer à négocier sur des questions délicates (colons, réfugiés, eau, frontières, statut de Jérusalem) sans en payer systématiquement le prix en termes de souveraineté.

Ce matin, le gouvernement israélien a annoncé la suspension de la mise en oeuvre de l'accord de Wye River que M. Netanyahou n'a signé que sous pression. Est-elle définitive ? Même temporaire, elle sera utilisée comme une menace récurrente dans les négociations. La période qui vient va être délicate, peut-être même violente. On ne peut qu'espérer que la visite de M. Clinton sera utile, qu'elle apaisera le climat et permettra de retrouver le chemin de Wye River.

M. Valéry Giscard d'Estaing a exposé les deux voies qui se présentent dans la résolution du conflit.

Wye Plantation évoque l'ancienne démarche d'Henry Kissinger, c'est-à-dire le pas à pas progressif, sans avancée forte sur le plan politique mais en présentant l'avantage de maintenir le dialogue et d'aboutir de temps à autre à des progrès.

L'autre approche consiste à poser la question fondamentale du statut final, sur laquelle on bute. Quelles sont les chances d'aboutir sur des points aussi sensibles que la question des réfugiés ou du statut de Jérusalem ? Le débat palestinien tient plus au calendrier qu'au fond. La proclamation d'un Etat palestinien peut-elle intervenir avant ou doit-elle faire partie de l'accord final ? Quelle est la probabilité d'un accord d'ensemble ?

M. Jean-Jacques Guillet s'est inquiété de la viabilité d'un Etat palestinien se présentant sous la forme d'une série de confettis, n'ayant pas la maîtrise de ses frontières et ne jouissant pas d'une pleine souveraineté.

Il a souhaité connaître l'opinion de Mme Leïla Shahid sur le problème du port de Gaza et sur l'attitude israélienne à cet égard.

Il a évoqué les deux quartiers de Jérusalem inclus dans le périmètre jordanien avant 1967 et non intégrés dans le périmètre actuel de la municipalité israélienne. La partie palestinienne pourrait-elle s'accommoder de les considérer, dans le statut final, comme la Jérusalem capitale de l'Etat palestinien ?

Il s'est enfin inquiété d'un éventuel affaiblissement de l'autorité de Yasser Arafat face aux difficultés économiques et politiques.

M. Henri Bertholet a évoqué la position de la Commission des Affaires étrangères sur la ratification de l'accord d'association entre l’Union européenne et Israël. Il a précisé qu'elle n'était animée par aucune hostilité de principe à l'égard d'Israël mais par la volonté d'apporter sa modeste contribution au processus de paix. Israël ne respecte pas la totalité des clauses de l'accord, tel qu'il a été signé.

La position adoptée par la Commission est mal comprise en Israël, y compris parmi les personnalités les plus favorables au processus de paix, qui estiment que l'instauration d'un meilleur climat entre nos deux pays serait de nature à favoriser le message de paix et de reconnaissance des droits des Palestiniens.

Devons-nous faire des concessions envers les Israéliens dans l'espoir d'engager un dialogue plus fécond ou maintenir une position qui, si elle est juste sur le principe, ne crée pas le climat propice à l'évolution de la situation ? Quelle est l'attitude la plus efficace ?

M. Pierre Brana s'est interrogé sur les subtilités entre proclamation ou construction de l'Etat palestinien. Il s'est inquiété des complications imposées par l'administration israélienne à la mise en oeuvre de l'accord commercial entre l’Union européenne et l'autorité palestinienne.

Mme Monique Collange s'est inquiétée d'éventuels agissements des autorités israéliennes susceptibles de compromettre le bon fonctionnement de l'aéroport de Gaza.

Elle a rapporté les propos de l'Ambassadeur d'Israël sur la nécessité d'arrangements, voire même de cohabitation avec les palestiniens, et sur sa crainte que ces derniers ne soient pas parvenus aux mêmes conclusions. Elle a demandé à Mme Leïla Shahid son sentiment sur cette question.

Elle l'a enfin interrogée sur les accusations de torture dans les prisons israéliennes, portées par Amnesty International.

M. Paul Dhaille a demandé des précisions sur les raisons pour lesquelles M. Netanyahou a suspendu l'application de l'accord de Wye River.

M. Jean-Bernard Raimond a souhaité savoir si la Russie était totalement absente ou se manifestait d'une manière ou d'une autre dans le processus de paix.

M. Georges Hage a tenu à manifester son attachement à la cause palestinienne et a interrogé Mme Leïla Shahid sur l'état de la diaspora palestinienne et sur son degré d'organisation.

Mme Leïla Shahid, déléguée de Palestine en France, a répondu aux différents intervenants.

La négociation sur le statut final et la proclamation de l'Etat palestinien sont liées. Les Palestiniens ne souhaitent pas entreprendre la négociation sur le statut final en n'exerçant leur souveraineté que sur 50 % de la bande de Gaza et 5 % de la Cisjordanie. Ils veulent d'abord s'assurer que les Israéliens se retireront. Certains propos tenus par M. Sharon les incitent à la prudence d'autant que l'actuel gouvernement israélien se montre d'une extrême dureté à leur égard.

L'autorité palestinienne s'estime en droit de proclamer l'Etat palestinien le 4 mai 1999 car l'accord d'Oslo expire le 3 mai. Elle désire entre temps continuer de négocier mais considère qu'il est impossible d'arriver à un accord sur le statut final avant cette date. La proclamation de l'Etat palestinien est l'affirmation du droit à l'autodétermination du peuple palestinien, reconnu par 140 pays.

Le Président Arafat rappelle en permanence le droit du peuple palestinien à proclamer son Etat lorsqu'il le souhaitera en vertu de ce principe. L'expression "construction d'un Etat palestinien" a été utilisée par le Président Chirac. L'engagement pris par l'Etat français est d'assurer la viabilité économique et politique de cet Etat palestinien. A peu près tous les Etats européens sont désormais d'accord sur la création de l'Etat palestinien ; des divergences perdurent sur la date de celle-ci. Elle dépend de conditions objectives. Or, le 4 mai 1999 ouvre une période de vide juridique. Le Président Arafat préfèrerait naturellement que cette proclamation se fasse en accord avec Israël, dans le cadre d'une relation de confiance. Cependant il n'a pas uniquement affaire au partenaire israélien, mais également à la population palestinienne. Il est nécessaire de trouver les moyens de protéger des territoires qui s'effritent, transformés progressivement en gruyère.

Le conflit israélo-palestinien est moins militaire qu'économique. Les Territoires autonomes sont dans une dépendance économique totale à l'égard d'Israël. Ils constituent un vivier de main d'oeuvre pour les colonies et un débouché pour les exportations israéliennes. L'ouverture du port de Gaza est vitale pour l'indépendance de l'économie palestinienne. Le port d'Ashdod est saturé et l'agrandir n'est pas une solution. Il est indispensable que le port de Gaza fonctionne, car les marchandises ne peuvent transiter par son aéroport. L’Union européenne a proposé à Israël de résoudre les problèmes de surveillance et de sécurité, mais M. Sharon a refusé.

La viabilité de l'Etat palestinien repose surtout sur la libre circulation des biens et des personnes. Son développement économique requiert des investissements privés et des infrastructures pour que les Palestiniens puissent commercer avec l’Union européenne, la Jordanie et l'Egypte ; la survie des territoires en dépend. La question de la souveraineté ne sera pas facile à résoudre, car Israël ne respecte pas les résolutions de l'ONU. Aussi l'indépendance économique revêt-elle une importance particulière.

Le périmètre urbain de Jérusalem a été multiplié par six par les Israéliens qui sont désormais majoritaires (170 000 colons israéliens contre 150 000 citoyens palestiniens). La proposition Abou Mazen-Beilin visait à mettre la capitale de l'Etat palestinien hors de la vieille ville mais celle-ci reste un symbole politique et religieux pour les Palestiniens. L'opinion publique israélienne évolue ; 77% des Israéliens estiment qu'un Etat palestinien sera créé et 55% souhaitent cette création qui, selon eux, garantirait leur sécurité et permettrait une meilleure intégration d'Israël dans la région.

La santé du Président Arafat est excellente. Sa crédibilité dépend de celle du processus de paix. Il lui faut prouver à son peuple qu'il n'a pas renoncé aux deux tiers de son pays pour rien. Quand Israël ne respecte pas les accords signés en libérant des prisonniers de droit commun en lieu et place de prisonniers politiques, ou en créant de nouvelles colonies, il porte atteinte à la crédibilité de Yasser Arafat. Elle est également entamée lorsque les Etats-Unis ou l'Europe ne réagissent pas au non respect par Israël des accords qu'il a signés. Le Président Arafat ne peut permettre au Hamas de mettre en cause son autorité par la lutte armée. Il est tenu de réprimer les actes terroristes, mais si l'opposition s'exprime en respectant la légalité, il doit dialoguer avec elle.

Il appartient à la France de décider de ratifier ou pas l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne. Aucun Etat n'accepte aisément d'être sanctionné. Néanmoins, si la communauté internationale souhaite éviter que les conflits régionaux ne dégénèrent en lutte armée ou terroriste, elle doit faire respecter les règles qu'elle édicte. Comme le Maroc, la Tunisie et la Syrie il faut qu'Israël respecte les dispositions de l'accord intérimaire signé avec l'Union européenne. Il convient d'être ferme avec les Israéliens comme avec les Palestiniens sur le respect des accords, condition essentielle d'un partenariat solide.

L'annonce par M. Benjamin Netanyahou de la suspension de l'application de l'accord de Wye River a plusieurs causes. Son propre gouvernement est opposé à l'accord et, malgré le retour de M. David Levy, la situation de ce gouvernement reste précaire. Le Président Arafat a affirmé qu'il proclamerait l'Etat palestinien. La tension est forte dans les territoires où des manifestations ont dégénéré. Les familles de prisonniers politiques palestiniens expriment violemment leur frustration comme le prévoyait le Shin Beth. Il faut rester vigilant sur la mise en oeuvre de l'accord de Wye River. Le rôle des tiers est très important car les relations entre Palestiniens et Israéliens sont très difficiles.

La Russie, absente du processus de paix, laisse un vide que l'Union européenne doit combler. Seule "hyperpuissance", les Etats-Unis imposent leurs décisions, ce qui n'est pas sain. Il n'est pas bon que la CIA soit seule garante de la sécurité. Les Palestiniens sont conscients de leur dette envers les Européens qui les aident depuis 1986. Ils se félicitent que l'Union européenne ait refusé de se laisser imposer par les Etats-Unis l'agenda de la réunion quadripartite qui devait se tenir à Washington.

La diaspora palestinienne comme la diaspora juive est très motivée. Elle a su contribuer à l'essor économique des pays arabes qui l'ont accueillie. Elle souhaite mettre son savoir faire et ses moyens au service du futur Etat palestinien, ce qui implique de pouvoir circuler librement.

L'urgence est d'assurer la libre circulation des personnes et des biens. Dans l'accord de Wye River, les dispositions relatives au port, à l'aéroport et au passage entre les différentes parties des territoires palestiniens précèdent celles afférentes au transfert de nouveaux territoires sous autorité palestinienne. Il faut que la Cisjordanie, considérablement plus étendue que la bande de Gaza et économiquement primordiale, puisse bénéficier de l'ouverture de l'aéroport. L'accord conclu avec la Communauté européenne ne sera viable que lorsque le libre passage entre Cisjordanie et bande de Gaza sera assuré.

Il est encore trop tôt pour dire si les contrôles appliqués par les Israéliens aux produits destinés à l'exportation en compromettront la qualité : tout est question de volonté politique.

Mme Leïla Shahid s'est déclarée heureuse de l'affirmation de l'Ambassadeur d'Israël à Paris sur la prise de conscience israélienne de la nécessité de la coexistence, mais le propos semble un peu optimiste. Elle a d'ailleurs observé qu'il refusait jusqu'à présent de parler directement avec elle.

Si 55% des Israéliens sont favorables à la création d'un Etat palestinien, c'est parce qu'ils ne veulent pas d'un Etat binational. La situation interne israélienne évolue de jour en jour du fait de l'immigration. La question de la coexistence est appréciée différemment selon que l'on a ou non connu les années de guerre, que l'on réside en Israël depuis plus ou moins longtemps.

Alors que les Palestiniens étaient presque parvenus à la paix avec la "vieille" population d'Israël, ils ont le sentiment que tout est à recommencer avec les communautés arrivées de fraîche date. Il faut se souvenir que la communauté russe est devenue la plus importante d'Israël. La responsabilité du gouvernement à l'égard d'une telle population est considérable : il lui appartient de la guider.

S'agissant de la torture, Israël est le seul pays à avoir inscrit dans la loi la légitimité du recours à la "pression physique" dans les interrogatoires. Elle est notamment utilisée à l'encontre des milieux islamisants.

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