Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 décembre 1998
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

page


– Audition de Mme Sadako Ogata, haut commissaire aux réfugiés de l'ONU ..........


3

Audition de Mme Sadako Ogata, haut commissaire aux réfugiés de l'ONU

La Commission des Affaires étrangères a entendu Mme Sadako Ogata, haut commissaire aux réfugiés de l'ONU.

Le Président Jack Lang a félicité Mme Sadako Ogata pour sa réélection.

Mme Sadako Ogata a évoqué le cas de M. Vincent Cochetel, retenu en otage depuis 311 jours et a souhaité que tout soit mis en oeuvre pour une libération rapide.

Elle s'est félicitée de poursuivre le dialogue entamé quatre ans auparavant avec la Commission des Affaires étrangères et a exprimé sa gratitude à l'égard de la France pour son engagement international en faveur des questions humanitaires.

Depuis quatre ans, le contexte géopolitique mondial a évolué. La multiplication des guerres régionales et des affrontements internes s'est accentuée avec comme objectif militaire, le déplacement massif de populations accompagné de pillages et de spoliations. L'évolution de ces nouveaux conflits est confuse et leur dénouement n'amène pas toujours une paix durable, ce qui pèse sur l'action humanitaire en faveur des 22 millions de réfugiés, rapatriés ou personnes déplacées. Le HCR, les ONG et leurs partenaires agissent aujourd'hui dans un contexte de guerres civiles violentes et de paix précaires.

La crise au Kosovo, qui a causé le déplacement de 15 % de la population civile de cette province, a été contenue par des accords successifs mais elle n'a pas été résolue. 75 000 déplacés sont retournés chez eux depuis début octobre. Le HCR et ses partenaires ont entrepris un programme de réhabilitation d'urgence, pour permettre à ceux qui sont rentrés d'habiter au moins une pièce de leur maison. Parmi les personnes ayant fui dans des lieux sûrs, rares sont celles qui ont exprimé l'intention d'être rapatriées. Leur souci principal reste la sécurité. Le HCR, tout en donnant son appui à ceux qui décident de rentrer, s'abstient pour l'instant de promouvoir systématiquement le rapatriement des réfugiés. Il demande aux pays d'asile de continuer à les héberger et estime que la promulgation d'une loi d'amnistie est indispensable au rétablissement de la confiance parmi les réfugiés et la population civile.

La paix au Kosovo reste très fragile. Il s'agit d'une trêve aux contours assez précaires. Les vérificateurs de l'OSCE ne sont pas armés. Certes, l'OTAN est autorisée à intervenir si leur sécurité est menacée mais le fera-t-elle dans le cas d'incidents limités et isolés ? Les efforts internationaux pour parvenir rapidement à un règlement politique solide et durable doivent se poursuivre. Tout retard risque d'aggraver la situation.

La paix demeure également fragile en Bosnie-Herzégovine où le rapatriement des minorités bute sur les contentieux concernant la propriété des biens et sur l'insécurité. De nombreux partisans de la purification ethnique sont encore au pouvoir et leurs intérêts sont directement menacés par les accords de Dayton. La communauté internationale doit défendre la paix ; aussi est-il indispensable de conserver la force de stabilisation de l'OTAN. La France, important contributeur à cette force, doit aider le HCR dans cette entreprise.

Si le cadre dans lequel oeuvrent les institutions de la communauté internationale au Kosovo doit être renforcé, il reste un exemple remarquable d'approches pluridisciplinaires et d'efforts conjoints liant action humanitaire, reconstruction et force de dissuasion militaire. L'action humanitaire peut se concentrer sur la protection et l'assistance aux populations civiles victimes du conflit. Ce n'est malheureusement pas le cas en Afghanistan, au Sri Lanka, dans les Républiques du Caucase, voire en Afrique, régions où l'intérêt stratégique des grandes puissances est moindre.

En Afrique, les conséquences humanitaires des conflits sont catastrophiques. La recrudescence des violences contre les civils (mutilations et tueries au Sierra Leone, conflits ethniques dans la région des Grands Lacs, régionalisation de la guerre) interdit toute solution au problème des réfugiés. Il est urgent de renforcer les dispositifs de prévention et de résolution des conflits en Afrique.

Au cours des années 90, l'Afrique de l'Ouest a été le théâtre de mouvements massifs de réfugiés dans les pays voisins. 500 000 réfugiés sierra-leonais constituent un fardeau énorme pour les pays qui leur ont accordé asile malgré leurs ressources limitées. Si la plupart des récents conflits ouest-africains ont donc été endigués ou résolus grâce à l'action des Etats de la sous-région, les progrès ne sont pas identiques partout. La paix est mieux consolidée au Mali qu'en Sierra-Leone. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a joué un rôle politique déterminant dans la résolution des crises au Liberia, en Sierra-Leone et en Guinée-Bissau. Malgré de grandes difficultés, liées à la prépondérance politique et militaire du Nigéria, la CEDEAO a su utiliser le dispositif sécuritaire de l'ECOMOG. Ses interventions au Libéria et en Sierra-Leone, certes controversées, ont pu contenir des affrontements sanglants et endiguer l'exode des populations civiles. Les Etats de la CEDEAO ont démontré une certaine capacité à résoudre "leurs" différends et le HCR a pu les seconder en appuyant les rapatriements qui ont suivi les règlements politiques. La France et ses partenaires doivent les soutenir. Cette approche a cependant des limites liées à l'implication politique, économique et ethnique des Etats de la CEDEAO dans la région qui les pousse à prendre parti.

En Afrique centrale, en revanche, la situation est très préoccupante et les tentatives de trouver des solutions restent insuffisantes. La guerre dans la République démocratique du Congo (RDC), la plus grave que l'Afrique ait connue, le démontre. Mis à part les 260 000 réfugiés burundais en Tanzanie et quelques milliers de réfugiés originaires du Congo, les déplacements forcés sont internes aux pays respectifs et de nouveaux exodes massifs ne sont pas à exclure. La présence dans la sous-région de nombreux groupes rebelles et d'ex-militaires des armées rwandaise et zaïroise défaites dans des guerres précédentes, la proximité des conflits du Soudan, d'Angola et un trafic d'armes florissant constituent d'autres facteurs de risque. Toute solution aux problèmes politiques et humanitaires en Afrique centrale ne peut qu'être régionale ; c'est justement un tel dispositif de résolution des conflits qui manque. L'arrêt des combats est la première priorité.

Les tentatives de la Communauté pour le développement de l'Afrique australe, renforcées par les efforts de la France, de l'ONU et de l'OUA, représentent un pas important. Si ces efforts aboutissent à un cessez-le-feu, il faut que la communauté internationale s'engage immédiatement à le contrôler tout en abordant les problèmes ethniques et sécuritaires. En Afrique centrale, on risque d'être confronté à la situation prévalant au Kivu, il y a quelques années. La poursuite du conflit congolais aggravera sans doute les problèmes humanitaires. Il faut empêcher que les événements de 1994 et de 1996 ne se reproduisent.

L'histoire des crises humanitaires montre que seul l'engagement de la communauté internationale évite le déplacement forcé de populations. Le slogan "l'intervention humanitaire ne peut se substituer à l'action politique" est toujours actuel. On ne semble pas avoir tiré toutes les leçons de la Bosnie et du Rwanda, sauf dans le cas du Kosovo. Trop souvent la seule intervention dont la communauté internationale est capable, reste l'action humanitaire, mais celle-ci ne soigne que les symptômes et peut être inutile voire même dangereuse si elle n'a pas d'appui politique.

Mme Ogata a reconnu que l'on évoquait souvent "l'appui politique" à l'action humanitaire, sans le définir avec précision. Elle a suggéré trois axes de réflexion. Premièrement, il est essentiel d'établir des dispositifs efficaces et accessibles de support sécuritaire aux opérations humanitaires. Deuxièmement, le travail de réhabilitation et de reconstruction devrait inclure des efforts plus déterminés pour promouvoir la coexistence pacifique. Troisièmement, il convient de fournir aux agences humanitaires les ressources dont elles ont besoin. Le HCR a dû faire face cette année à des difficultés financières sans précédent qui l'ont obligé à réduire ses activités dans des domaines vitaux.

La contribution que le HCR reçoit de la Commission européenne - jusqu'à présent un des trois principaux donateurs - n'atteint aujourd'hui que 30 % de son niveau de 1994. Elle pourrait être encore réduite l'année prochaine. La contribution de la Commission européenne au HCR doit devenir plus régulière, prévisible et flexible. Celle de la France a aussi subi une diminution considérable ces dernières années et se situe aujourd'hui seulement au quinzième rang. L'appui moral et politique que la France continue à donner au HCR est essentiel ; sa récente législation en matière d'asile est ouverte et clairvoyante. Il appartient aux parlementaires de demander que l'appui financier de la France au HCR soit ramené à un niveau correspondant à son engagement international.

Le Président Jack Lang s'est engagé à faire part des observations de Mme Sadako Ogata à M. Hubert Védrine lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères. Le pourcentage de la contribution française, ainsi que celui de l’Union européenne, doivent nous inciter à la réflexion et, espérons-le, à l'action.

Le Président Jack Lang a remercié Mme Ogata d'avoir évoqué la situation de M. Vincent Cochetel, sujet qui touche autant les Français qu'il affecte l'institution du HCR, et qui a été évoqué hier par le Président de l'Assemblée nationale devant le Secrétaire général des Nations Unies. Représentant de la région où vit sa famille, le Président Jack Lang a décrit l'angoisse et l'inquiétude de ses proches, qu'il partage. Chacun est attentif à ce cas douloureux qui pose, de manière générale, le problème de la protection des militants des droits de l'Homme, en particulier de ceux qui accomplissent des missions de service public international. Les solutions ne sont peut être pas si simples à imaginer.

M. Pierre Brana a tenu à apporter une petite lueur d'espoir dans la mesure où la participation française dans les organismes internationaux est en nette augmentation dans le budget 1999. Il est permis d'espérer que le HCR en bénéficiera.

Il a abordé le problème du Kosovo. Les grands froids arrivent et la Macédoine a fermé sa frontière ; un grand nombre de personnes réfugiées et déplacées se trouvent dans une situation précaire. A-t-on une idée précise de leur nombre ? Dans le même esprit, a-t-on des chiffres sur le nombre de réfugiés bosniaques, notamment en Allemagne ?

Concernant l'Afrique, il a évoqué ses travaux sur le Rwanda et sa conviction selon laquelle le problème des réfugiés rwandais d'origine tutsie en Ouganda a été à l'origine de l'offensive du FPR d'octobre 90 et des suites tragiques que l'on connaît. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ne devrait-on pas s'alarmer de la présence de réfugiés en Tanzanie ?

De manière générale, existe-t-il un système d'alerte susceptible de signaler ce genre de problème lorsqu'il devient une priorité absolue ?

Le Président Valéry Giscard d’Estaing a demandé à Mme Sadako Ogata s'il était possible d'appréhender l'action en faveur des réfugiés d'une manière globale, prenant en compte l'action du Haut Commissariat, des ONG et des Etats. En Bosnie, par exemple, ces trois types d'intervention coexistent. Peut-on en connaître la répartition ? Celle-ci est-elle facteur d'efficacité ou vaudrait-il mieux avoir recours essentiellement à l'action des Nations Unies, relayée par le Haut Commissariat ?

Les actions en faveur des réfugiés sont menées dans des régions du monde jouissant de niveaux de vie très disparates ; le coût des interventions doit s'en ressentir, notamment au niveau de la reconstruction. Quelle est la politique du HCR ? Est-elle déterminée par le nombre de réfugiés ou par le coût idéal de la réinstallation des populations ? Comment procède-t-on à un arbitrage ?

Soulignant la charge, pour un pays, de l'accueil des réfugiés, il a donné l'exemple de la Tanzanie. Ce pays, assez bien géré, risque d'être politiquement déstabilisé par cette charge qu'il faudrait peut-être prendre en compte dans la répartition de l'aide au développement.

M. François Léotard a souligné l'articulation nécessaire entre action humanitaire et militaire et a évoqué à ce propos l'affaire du Rwanda. A l'époque, la commission d'enquête du HCR avait souligné l'effort déployé par la France afin de créer une zone humanitaire. Cette action a-t-elle été utile ?

Le rang de quinzième contributeur, s'il n'est pas très glorieux, ne doit-il pas être reconsidéré en tenant compte des participations militaires aux opérations humanitaires ? Dans ce domaine, notre pays a toujours contribué massivement et encore aujourd'hui en Macédoine en assurant la protection des observateurs de l'OSCE. Cet aspect ne devrait-il pas être pris en considération ?

En complément de ces observations, le Président Jack Lang a souhaité l'établissement d'un document, dont la nature reste à définir, susceptible de mieux faire ressortir les participations respectives des différents Etats à l'action humanitaire, sans pour autant vouloir distribuer bons et mauvais points aux uns et aux autres. Quelle forme pourrait prendre une telle évaluation ? Document informel à imaginer dans le cadre international ou initiative nationale ? Il faut y réfléchir.

M. Charles Ehrmann a exprimé les craintes que lui inspire, depuis sa jeunesse, la poudrière des Balkans, dans la mesure où elle est à l'origine de la première guerre mondiale et qu'elle continue de diviser l'Europe.

Il a souligné qu'avec 0,45% de son PNB, la France était l'un des meilleurs contributeurs pour l'aide au développement, à l'exception des pays scandinaves, largement devant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Répondant aux intervenants, Mme Sadako Ogata s'est félicitée de la possibilité d'obtenir une augmentation de la contribution française au budget du HCR.

Au Kosovo, toutes les personnes sans foyer sont retournées dans leur village; mais il faut trouver un abri temporaire à 170 000 personnes. Au Montenegro, la frontière a été fermée ; il est difficile d'organiser le retour des 40 000 personnes déplacées. Sur les 20 000 personnes réfugiées en Albanie, très peu souhaitent revenir. En Bosnie, sur les 350 000 personnes réfugiées en Allemagne, 200 000 sont parties. En ce qui concerne les réfugiés burundais, 260 000 vivent en Tanzanie. Le HCR s'efforce d'aider ce pays et de protéger les camps en évitant qu'ils ne servent de bases militaires. La situation reste très problématique en RDC. Le HCR a organisé à Kampala en mai dernier une réunion à laquelle ont participé tous les ministres de l'Intérieur des Etats de la région des Grands Lacs pour organiser la protection des réfugiés et la sécurité des camps.

Le partage des charges entre les pays d'accueil des réfugiés et les pays tiers pose de réels problèmes. Après avoir évalué les besoins d'un pays d'accueil, le HCR lance un appel de fonds. Certains appels ont beaucoup plus de succès que d'autres. La Bosnie, en raison de sa situation géographique et géopolitique, a mobilisé cinq milliards de dollars, soit une somme bien supérieure à celles réunies en faveur de tel ou tel pays africain. Le HCR voudrait que les pays contributeurs aient une approche plus équitable.

Ce sont les pays en voie de développement qui supportent la plus lourde charge, au point que l'on peut craindre qu'ils refusent de plus en plus d'assumer leurs obligations. En outre, l'exemplarité des pays industrialisés n'est pas flagrante. Leurs portes se referment tout doucement.

Lors de la crise du Rwanda, le HCR avait pour principal objectif de sauver le plus de vies possibles. Par la suite, il a fallu gérer des conséquences complexes. On n'a pas été en mesure de séparer dans les camps, les populations civiles des militaires. Par ailleurs, aucune solution n'a été apportée au problème politique.

Le HCR étudie les moyens de séparer civils et militaires dans ce type de situation. Une action spécifique doit être menée pour démilitariser les miliciens afin qu'ils aient un autre avenir que la guerre.

La contribution globale d'un pays est toujours difficile à estimer. Il est vrai que la participation de la France aux opérations de maintien de la paix est forte. Le HCR, cependant, avec 5 000 agents déployés dans le monde, doit faire face à des situations difficiles. Chaque pays doit trouver un équilibre entre les différents éléments de sa contribution. Il serait souhaitable que la participation de la France au budget du HCR augmente.

Mme Sadako Ogata a déclaré ne pas négliger l'assistance bilatérale apportée par la France. Les critères de mesure sont nombreux : actions multilatérales, bilatérales, contributions aux Nations-Unies (et notamment au HCR), opérations sécuritaires, soutien aux ONG. Chacun de ces piliers est nécessaire et aucune forme d'action n'est exclusive des autres. Mais finalement, seul compte le nombre de vies sauvées. Dans quelle mesure aide-t-on ces plus démunis que sont les réfugiés ?

Il existe une disparité de traitement entre eux, qui tient notamment aux intérêts nationaux et aux préoccupations en termes de sécurité. On doit en tout cas davantage centrer l'aide sur les réfugiés, dont le cas n'est pas suffisamment prioritaire.

La question du droit des minorités pose également un vrai problème, particulièrement aigu dans les Balkans. S'agissant du Kosovo, on ne peut négliger le fait que les Albanais constituent 90 % de la population. Il faut trouver une solution pour passer l'hiver ; la recherche d'un règlement politique s'annonce encore plus ardue.

En conclusion, le Président Jack Lang a remercié très chaleureusement Mme Sadako Ogata au nom de tous ses collègues. Il l'a assurée de leur appui amical et continu. Il a réitéré son engagement de plaider sa cause auprès du Ministre des Affaires étrangères, lui-même très sensibilisé à ces questions.

________

· Action humanitaire

· Budget

· HCR


© Assemblée nationale