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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 mars 1999
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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– Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères ..........


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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères.

La Commission a entendu M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères.

A propos du Kosovo, M. Hubert Védrine a rappelé que la co-présidence franco-britannique et les Etats-Unis avaient confié à M. Richard Holbrooke une ultime mission de médiation. L'émissaire américain n'a pas pour mandat de renégocier les accords de Rambouillet, mais de convaincre le Président Milosevic d'accepter la garantie d'une présence militaire internationale au sol, garantie sans laquelle les Kosovars n'accepteront pas d'être désarmés. Cette mission n'a eu aucun résultat jusqu'à présent, et l'on risque de constater d'ici la fin de l'après-midi que cette mission n'a plus d'objet.

Faute de résultat, le Secrétaire général de l'OTAN engagera des consultations susceptibles de conduire à des mesures coercitives afin de prévenir une déflagration sur le terrain. Cette action militaire suscitera sans doute des réactions négatives de la Russie mais elle ne sera pas un motif de rupture avec les Occidentaux, notamment parce que la Russie est elle-même à bout de patience face à l'intransigeance serbe.

Le but de cette action sera de briser la capacité répressive de l'armée yougoslave afin de prévenir le pire au Kosovo. Pour autant, les objectifs politiques ne seront pas remis en cause. Le statut d'autonomie mis au point pour une période intérimaire de trois ans demeure d'actualité.

Le Ministre a souligné qu'aucun des pays de la région n'était intervenu pour mettre en garde contre une action militaire. Il a rappelé que la crise du Kosovo avait fait, depuis le début, l'objet d'une gestion internationale cohérente, d'un pilotage collectif, où ne s'était manifestée aucune divergence de fond entre les pays européens et les Etats-Unis. Cette action diplomatique s'est malheureusement heurtée à l'intransigeance serbe.

S'agissant de l'Union européenne, la situation est à l'évidence moins tragique, quoique difficile.

La Présidence allemande est en effet confrontée à une conjonction de problèmes exceptionnels : outre la négociation sur l'Agenda 2000, très tendue puisqu'elle engage les finances de l'Europe pour six ans, le gouvernement allemand doit tenir compte des élections européennes de juin prochain et de la modification des traités. Il ne faut donc pas se laisser aller à une critique trop facile de la Présidence.

Il n'en demeure pas moins que de nombreuses incertitudes planent sur le Conseil européen de Berlin. Chacune des parties veut en effet aboutir, tout en maintenant ses revendications. S'ajoute à ces difficultés la crise ouverte par la démission de la Commission. Sur ce point, la Présidence a engagé une réflexion et des consultations afin de déterminer si la question pourra être tranchée au début du Conseil européen de Berlin ou si elle nécessitera la réunion d'un Conseil extraordinaire quelques jours plus tard. L'idéal serait de pouvoir désigner un nouveau Président de la Commission, que l'on chargerait d'une réflexion sur cette institution. Il faut une commission recentrée, restaurée, rénovée. L'incertitude porte sur la période intermédiaire entre sa désignation et l'installation de la nouvelle commission.

En ce qui concerne l'Agenda 2000, deux questions sont à l'ordre du jour : la première est celle de la stabilisation des dépenses, la seconde porte sur leur répartition au sein de cette enveloppe stabilisée.

Le Président Jack Lang a souhaité savoir sur quelles bases juridiques pouvait être fondé le recours à la force, à la fois dans le cadre du droit international et dans celui du droit des Nations Unies.

Tout en reconnaissant que la situation était délicate et tendue, M. François Loncle a posé la question de la légalité de ce type d'intervention. Il s'est déclaré profondément convaincu de l'inefficacité et de l'absurdité des raids qui seront en fait décidés par les Etats-Unis. Enfin, il a fait part de son incompréhension quant à la participation de l'UCK aux négociations compte tenu de la nature terroriste de cette organisation.

M. François Léotard a tout d'abord demandé au Ministre comment il envisageait de faire succéder une présence au sol aux frappes aériennes. A quel moment et dans quel esprit le Gouvernement va-t-il engager des forces au sol ? Revenant sur la participation de l'UCK aux négociations, il a fait remarquer qu'il fallait être attentif à une certaine expression populaire représentée par l'UCK. Enfin, il a rappelé qu'avant la guerre du Golfe il y avait eu un débat au Parlement. Il lui semble utile que les parlementaires puissent débattre dans l'hémicycle d'une intervention au Kosovo. Cela permettrait l'expression des principales familles politiques, mais également de clarifier notre position vis-à-vis de l'OTAN et de définir les conditions d'une participation française.

M. Paul Dhaille a interrogé le Ministre sur la place de l'UEO dans cette opération qui a l'air très marquée par les Américains.

M. Pierre Brana a souhaité savoir comment il était envisagé de conduire simultanément des frappes aériennes et une opération au sol. Etant donné que l'armée serbe quadrille l'ensemble du Kosovo, il est évident qu'en cas de frappes aériennes les troupes serbes réagiront contre la population kosovare. Comment intervenir pour éviter des massacres ?

M. Charles Ehrmann s'est demandé si les interventions américaines dans les conflits en Europe n'allaient pas déboucher sur un nouvel isolationnisme.

M. Georges Sarre a souhaité savoir comment le Gouvernement entendait associer le Parlement au suivi de cette situation. Le Gouvernement fera-t-il usage de l'article 132 du Règlement de l'Assemblée nationale ? Quels sont les objectifs des frappes ? Le Président Clinton sera-t-il suivi par le Congrès ? Que se passera-t-il après les bombardements ?

Mme Michèle Alliot-Marie a évoqué la question des suites diplomatiques. La France sera-t-elle dans la meilleure des situations après une intervention et des pertes civiles ?

Mme Marie-Hélène Aubert est revenue sur la nature juridique de cette intervention qu'elle a qualifiée de "déclaration de guerre". Dans ces conditions, comment concrètement et rapidement organiser un débat parlementaire ?

M. Hubert Védrine a relevé qu'aucun des parlementaires qui critiquaient l'option d'un recours à la force ne proposait de solution alternative.

Il a rappelé que cette crise avait fait l'objet, depuis plus d'un an, d'une action diplomatique sans précédent. Tous les membres de l'Union européenne ont été associés à ce processus et la coordination avec les Etats-Unis a été constante et forte, contrairement à ce qui s'était passé lors des crises croate et bosniaque. Un travail important a été fait pour que les Russes restent "à bord".

Le recours à la force n'est condamné par personne. Il est totalement erroné d'y voir une décision américaine. La décision est collective. Tous les pays européens considèrent que la situation au Kosovo est intolérable. Certes, un engrenage de violences s'est enclenché, mais il a pour origine une politique absurde, cruelle et répétitive qui a été maintenue malgré toutes les propositions d'ouverture. L'expression de "communauté internationale", souvent utilisée abusivement, est en l'espèce pertinente. La plupart des pays de la région se demandent même pourquoi l'intervention militaire n'a pas eu lieu plus tôt. On s'est résigné à employer la force après l'épuisement de toutes les autres possibilités. Par exemple, la mission de M. Richard Holbrooke a été envoyée alors que les négociateurs serbes étaient revenus à Paris avec des positions plus dures que celles acceptées à Rambouillet.

M. Georges Sarre a avancé l'idée que l'on était peut-être arrivé à cette impasse parce que les objectifs politiques retenus étaient contradictoires.

M. François Léotard a précisé qu'il rendait hommage à l'action diplomatique de la France et était favorable à des mesures militaires. Ses questions n'avaient d'autre objet qu'une plus grande association du Parlement à la décision.

A propos de la participation de l'UCK à la Conférence de Rambouillet, M. Hubert Védrine a fait valoir qu'il était réaliste, dans ces circonstances, de négocier avec les représentants les plus durs et non pas seulement avec des modérés, tel M. Ibrahim Rugova.

Il a considéré que l'usage de la force avait eu des effets positifs lors des précédentes crises yougoslaves lorsqu'il était combiné avec un travail politique, ce qui est le cas aujourd'hui.

L'action militaire a pour base juridique les résolutions 1199 et 1203 du Conseil de Sécurité adoptées sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. La France a participé aux décisions prises par l'OTAN.

Cette politique fait l'objet d'un accord complet entre le Gouvernement et le Président de la République. Le Premier Ministre indiquera, après avoir consulté le Président de la République de quelle manière le Parlement sera associé aux décisions. Bien entendu, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense sont à la disposition des commissions compétentes.

M. Valéry Giscard d'Estaing a rappelé que l'Europe allait connaître deux échéances cette semaine : l'une provoquée par la démission de la Commission, la seconde constituée par la réunion du Conseil européen à Berlin.

S'agissant de la démission de la Commission, il a observé que le rapport du Comité d'experts indépendants ne mettait en cause qu'un ou deux commissaires sur vingt et qu'il était même plutôt élogieux pour les autres. Il a demandé au Ministre si les autorités françaises avaient été informées de cette situation et si elles avaient donné un avis sur une démission de la Commission. Concernant la désignation d'une nouvelle Commission, il a rappelé que des règles précises existaient et qu'il n'y avait aucun intérêt à différer la nomination du nouveau Président de la Commission européenne. Il a proposé qu'elle intervienne dès à présent et que l'on s'engage à la reconduire à la fin de l'année. Il a considéré que le point important était la relation entre cette situation et la réforme des institutions demandée par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le rapport du Comité des experts ayant surtout dénoncé le très mauvais fonctionnement du système. Il a émis l'idée de constituer un groupe d'experts chargé de proposer des réformes.

Sur l'Agenda 2000, il s'est insurgé contre le fait qu'on laisse accréditer l'idée que la France est le grand bénéficiaire du système alors qu'elle est le deuxième contributeur net (largement devant la Grande-Bretagne et l'Italie). Il a également estimé nécessaire de rendre compatible la réduction de la contribution allemande avec les autres dépenses mais aussi avec la réfaction britannique qui avait été arrachée par Mme Margaret Thatcher. Cette concession n'a jamais eu de caractère définitif et il faut la remettre en question si l'on veut aboutir à un résultat équilibré. Il a demandé au Ministre s'il comptait défendre cette position.

Rappelant que M. Hubert Védrine avait été le premier à réclamer un procès équitable pour M. Öcalan, Mme Laurence Dumont a contesté que les conditions d'équité soient remplies et demandé ce que le Ministre comptait faire.

Evoquant la récente visite à Paris de M. Yasser Arafat et l'éventuelle proclamation unilatérale d'un Etat palestinien, M. Paul Dhaille a demandé comment le Ministre envisageait cette dernière perspective.

Citant les chiffres des contributions allemande et française atteignant respectivement 70 et 6 milliards, M. Charles Ehrmann a jugé que la réforme de la PAC serait difficile.

Concernant la visite de M. Yasser Arafat et le droit des Palestiniens à proclamer un Etat, M. Hubert Védrine a rappelé la position de la France. Les Palestiniens ont le droit de proclamer leur Etat. La France souhaite simplement, s'ils prennent cette décision, qu'elle s'inscrive dans le processus de paix et qu'elle ménage l'avenir des relations avec Israël. Cependant, cette proclamation ne saurait dépendre de la reprise des négociations. Il incombe aux Palestiniens de choisir le moment opportun. Le Président Yasser Arafat n'a pas encore arrêté sa décision.

S'agissant de la Turquie, les questions sont nombreuses et mêlées : droits de l'Homme et démocratie, droits des Kurdes et des autres minorités, conduite à tenir à l'égard du PKK et procès d'Öcalan.

Le PKK est incontestablement une organisation terroriste. Pour autant, l'attitude turque à l'égard des droits des Kurdes est incompréhensible, notamment au regard de l'ouverture de la Turquie sur l'extérieur et de ses liens avec l'Europe. De même, dans le procès d'Öcalan, la Turquie doit respecter toutes les obligations liées à son appartenance au Conseil de l'Europe. La France et ses partenaires utiliseront tous les moyens et démarches appropriés pour qu'il en soit ainsi.

La négociation sur l'Agenda 2000 peut donner lieu à des discussions sans fin sur les chiffres : chacun adopte en effet pour calculer les contributions de chaque Etat des bases de calcul, des monnaies et des méthodes différentes. Il y a par exemple une confusion fréquente entre les masses globales du budget communautaire et les crédits dévolus à la politique agricole commune, ce qui accrédite l'idée d'un taux de retour important pour la France.

La question du chèque britannique est bien posée : les accords antérieurs qui avaient abouti à cette solution n'étaient que le fruit des circonstances. Tous nos partenaires, hormis la Grande-Bretagne, sont à présent d'accord sur ce point et considèrent qu'une rediscussion de la contribution britannique est un élément du paquet global. Il n'y aura pas de solution d'ensemble sans une évolution du Royaume-Uni sur ce point.

La Commission européenne a, par sa démission, voulu anticiper un vote défavorable du Parlement européen perçu comme inévitable après la publication du rapport du Comité d'experts indépendants. Celui-ci pose de toute évidence le problème du fonctionnement d'ensemble de la Commission.

Il est nécessaire aujourd'hui de rebondir sur cette crise par une initiative politique. Cependant, il faut aussi gérer les difficultés liées au calendrier et à l'éventualité d'une présentation du Président de la Commission devant deux Parlements successifs.

La France souhaite que soit confiée au nouveau Président de la Commission une mission de réflexion sur la question de la réforme de cette institution. Elle pourrait notamment s'appuyer sur les propositions françaises et sur celles que vient de faire Tony Blair. La formule d'un groupe d'experts ne semble pas d'actualité.

M. Valéry Giscard d'Estaing a souligné qu'il semblait pour le moins délicat de confier une réflexion nécessairement rapide à un nouveau Président de la Commission, qui sera par nature impliqué dans les évolutions qu'il proposera pour celle-ci. Il serait plus sage de confier cette tâche à des personnalités indépendantes et expérimentées, par exemple à d'anciens commissaires.

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