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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 octobre 1999
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jack Lang, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Son Excellence M. Felix George Rohatyn, ambassadeur des Etats-Unis en France ..........

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La Commission a entendu M. Felix George Rohatyn, ambassadeur des Etats-Unis en France.

Le Président Jack Lang a accueilli M. Felix George Rohatyn, dont la carrière a été dédiée à l'économie et à l'action civique et qui a été nommé, il y a deux ans, par le Président Bill Clinton.

M. Felix George Rohatyn a estimé que le dialogue de politique étrangère entretenu entre la France et les Etats-Unis était traditionnellement ouvert et constructif et a salué l'attribution du prix Nobel de la paix à Médecins sans frontières. La France, l'OTAN et les Etats-Unis ont fait preuve d'un grand degré de coopération au cours de la guerre au Kosovo, et unissent aujourd'hui leurs efforts pour instaurer la paix. Ce sera sans doute plus difficile, et les Etats-Unis soutiennent sans réserve le travail extraordinaire du Haut Représentant de l'ONU, Bernard Kouchner. Ce conflit a eu pour conséquence de créer une forte dynamique politique en vue d'une défense européenne. Les Américains sont partisans d'une Europe forte, intégrée et dotée de nouvelles capacités, qui sera un partenaire et un allié précieux. La fusion entre Aérospatiale et Dasa est un pas important dans cette voie.

L'administration américaine déplore le rejet par le Sénat américain du Traité d'interdiction des essais nucléaires ; mais, comme l'a dit le Président Bill Clinton, le gouvernement ne renoncera pas à lutter pour obtenir la ratification du Traité. L'Amérique ne va pas revenir à un isolationnisme d'avant-guerre. A l'heure actuelle, les principales divergences avec la France portent sur les questions commerciales et, au premier chef, sur l'agriculture.

L'Ambassadeur des Etats-Unis a souhaité aborder un autre sujet, qu'il considère comme une question de politique étrangère très importante : l'avenir du capitalisme, des effets de la mondialisation et de la structure de nos sociétés. Sur ces questions, la France et les Etats-Unis, qui sont les plus anciennes démocraties du monde, ont des opinions bien définies.

En 1976, avant que quiconque ait entendu parler de Microsoft ou d'Internet, Daniel Bell, qui venait de se voir attribuer le prix Tocqueville, écrivait dans "Les contradictions culturelles du capitalisme" : "Le pouvoir économique de la société industrielle avancée réside dans sa haute technologie, dans sa capacité à mobiliser des capitaux et dans la force de ses compétences de gestionnaire". La haute technologie est aujourd'hui le moteur le plus puissant du capitalisme américain : elle assure la plus large part de la croissance économique américaine, elle réduit le taux d'inflation grâce à la concurrence et à la baisse des prix, elle révolutionne la manière de produire et de vendre. La Silicon Valley est devenue un modèle de rassemblement créatif des universités, des pouvoirs publics et du monde des affaires. On ne peut pas dire que cela ait tenu à un niveau exceptionnel de la science et de la technologie américaines - elles n'étaient pas supérieures à la science et à la technologie européennes. L'avantage de l'Amérique a été sa capacité à réunir rapidement le capital et la technologie et à mettre de nouveaux produits sur le marché.

La deuxième force qui a transformé le capitalisme américain a été la mondialisation. L'économie américaine et celle de l'Europe sont de plus en plus imbriquées. Près d'un tiers de la croissance américaine est dû aux échanges commerciaux, à qui l'on doit aussi attribuer une large proportion des nouveaux emplois créés aux Etats-Unis. Les grands secteurs de l'économie, comme l'industrie aéronautique, le cinéma et l'agriculture, sont fortement dépendants des exportations. A la suite de ces évolutions, l'importance d'organisations économiques multinationales et internationales, comme la Banque centrale européenne et l'Organisation mondiale du Travail s'est accrue. Des décisions, qui étaient autrefois purement nationales, ont aujourd'hui des effets à l'échelle du monde. Par exemple, les décisions touchant à la sécurité sanitaire des aliments, prises par les gouvernements européens, affectent les exportations des agriculteurs anglais et américains. La politique agricole américaine affecte les agriculteurs européens. De nombreuses autres réglementations doivent maintenant être envisagées à une échelle internationale et pas seulement nationale.

La troisième force qui a changé le capitalisme américain est l'importance grandissante des investisseurs institutionnels et des fonds de pension sur les marchés américains et, de plus en plus, sur les marchés mondiaux. Cela inclut aussi la participation croissante des employés au capital de leur entreprise. On voit apparaître ce que l'on peut appeler "le capitalisme populaire".

Pour des raisons historiques et culturelles, le capitalisme de type américain a évolué différemment du capitalisme de type européen. Le capitalisme américain ne fonctionnerait pas en Europe, pas plus que le capitalisme européen ne fonctionnerait en Amérique. Mais pour que ces économies travaillent ensemble efficacement, il faut comprendre leurs différences et leurs similitudes, et tirer des enseignements des expériences respectives.

Du côté européen, on attend de l'Etat qu'il joue un rôle relativement important dans l'économie. De manière générale, les Européens considèrent l'implication de l'Etat comme une chose positive. Du côté américain, on a tendance à considérer la puissance publique comme un mal nécessaire. La Constitution américaine a été écrite pour protéger les citoyens contre les abus de leur propre gouvernement. Pour l'Américain moyen, la tâche essentielle de son gouvernement est d'éviter de faire des erreurs et de prélever le minimum d'impôts pour assurer un niveau de service public acceptable.

La tradition et l'Histoire jouent un rôle beaucoup plus large dans la vision du monde des Européens que dans celle des Américains. Pour les Européens, le changement passe bien souvent par des catastrophes : guerres, révolutions ou crises politiques. Les Américains, quant à eux, considèrent le changement d'un _il positif et l'Histoire comme une chose très jeune. Ils croient aux fins heureuses, que ce soit au cinéma ou dans l'Histoire. Le changement et l'innovation font partie intégrante de notre culture.

Cependant, en entrant dans le nouveau siècle, les différences entre capitalisme américain et capitalisme européen deviendront sans doute moins tranchées. Tout d'abord, devrait se renforcer une tendance économique déjà très nette : celle des fusions entre grandes compagnies européennes, ainsi qu'entre grandes compagnies américaines et européennes, pour réaliser des économies d'échelle et ouvrir l'accès aux marchés mondiaux.

Ensuite, l'Europe définit ses propres modalités d'action : qu'il s'agisse de mettre en rapport le capital et la technologie, d'encourager les petites entreprises, de canaliser l'épargne vers de plus amples investissements dans l'économie ou d'accroître la participation du public à l'économie.

Enfin, certaines institutions politiques sont sans doute appelées à prendre une dimension plus internationale, en réponse à la mondialisation économique. Par exemple, on assistera sans doute à une mondialisation accrue des dispositifs de surveillance des marchés financiers et des institutions financières. Ce sera une évolution positive, dans la mesure où elle facilitera les mouvements de capitaux, tout en protégeant le système financier de crises récurrentes.

La culture, c'est évident, est un domaine très particulier. La France, notamment, se sent menacée par ce qu'elle perçoit comme une invasion de la culture et de la langue américaines. Les Américains respectent et comprennent le souci des Français de préserver leur culture et leur identité. Ils ont les mêmes préoccupations pour les leurs. Depuis plus de deux siècles, ils bénéficient de part et d'autre des échanges qui se sont opérés entre les cultures. Désormais, dans un monde dont la dynamique naît de plus en plus de la technologie et du capital, le rôle de la tradition, de la culture et de l'Histoire, comme interprètes du changement, est d'autant plus important. Dans le cadre de l'action pour développer nos échanges culturels, vient de se terminer une extraordinaire rencontre de deux jours à Lyon entre 18 musées régionaux français et américains.

Certes, il y a des distinctions culturelles entre le capitalisme européen et le capitalisme américain, mais dans certains domaines, l'Amérique se rapproche du modèle européen.

L'idée de la sécurité sociale est une invention européenne. Dans la seconde moitié du XXème siècle, en particulier, les Etats-Unis ont évolué vers une protection sociale renforcée. En 1950, les dépenses sociales représentaient moins d'un cinquième du budget fédéral américain. Aujourd'hui, elles en représentent plus de la moitié, et cette proportion ne cesse de croître. Dans la dernière moitié du siècle, les Etats-Unis ont évolué vers une plus large couverture médicale, une protection sociale accrue et des budgets plus importants pour l'éducation, l'environnement et d'autres secteurs significatifs de la vie collective.

Sur le plan des principes, toutefois, les Etats-Unis considèrent la croissance économique et un faible taux de chômage comme le moyen le plus efficace d'instaurer la justice économique. Un taux de chômage réduit, associé à un salaire minimum acceptable, est une puissante forme de protection sociale, et le meilleur moyen de la financer.

Toutefois, chaque pays trouvera son propre équilibre entre le rôle du secteur public et celui du secteur privé. L'Europe ne pourrait fonctionner sans le capitalisme pour créer des richesses et des emplois, et l'Amérique ne pourrait fonctionner sans une forte participation du gouvernement, qui régule d'importants secteurs de l'économie et offre des prestations sociales à ceux qui en ont besoin.

Ce qui amène à la fameuse question : "La mondialisation est-elle synonyme d'américanisation ?" La réponse est non. La mondialisation n'est pas une politique américaine ; c'est un processus induit par l'effondrement du communisme et par la révolution de l'électronique, qui véhicule les idées et les capitaux à la vitesse de la lumière, partout dans le monde. Cela a eu des effets spectaculaires sur chaque pays du monde et sans doute plus sur les Etats-Unis que sur tout autre.

Il y a quinze ans à peine, l'Allemagne et le Japon étaient considérés comme les puissances économiques dominantes dans le monde, et comme des modèles pour le XXIème siècle. L'Amérique chancelait sous le poids de ses énormes déficits budgétaires et commerciaux et des graves difficultés de son secteur privé. L'un après l'autre, les fleurons de l'industrie américaine ont été contraints de licencier leurs hauts dirigeants et de procéder à des restructurations aussi radicales que pénibles, sous la pression de la concurrence allemande et japonaise. Les concurrents allemands et japonais ont acheté certaines des grandes firmes de cinéma et de l'édition parmi les plus symboliques de la culture américaine. On peut affirmer qu'il y a dix ans, personne ne pensait à une hégémonie américaine et que la plupart des Américains envisageaient la mondialisation avec plus de crainte que d'optimisme.

L'Amérique s'est adaptée à la mondialisation, probablement mieux que la plupart des pays. Cela s'explique par de nombreux aspects de son système économique, politique et culturel - mais cela a été très difficile. Toutefois, la performance actuelle peut être considérée comme le résultat de la mondialisation et non sa cause.

Plusieurs pays européens, dotés de systèmes capitalistes très divers - la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suède et l'Espagne - s'adaptent actuellement de manière satisfaisante, malgré des différences significatives de leur structure sociale et de leurs objectifs. La France est l'une des réussites éclatantes de l'adaptation à la mondialisation. Les résultats actuels de sa croissance économique, une balance commerciale positive, des niveaux records d'investissements sur le marché intérieur comme sur les marchés extérieurs et des taux records de la Bourse - tous ces signes sont autant d'indices de succès. La superbe performance des entreprises françaises du secteur privé est la preuve de la compétitivité de la France et de l'excellence de sa technologie. La France est l'un des gagnants de la mondialisation.

L'une des grandes contributions de Daniel Bell est d'avoir su voir que le capitalisme est un moyen et non une fin en soi. Selon ses propres termes, "le marché doit être considéré comme un mécanisme, non comme un instrument de justice".

Quelle est donc la raison d'être du capitalisme ? Le capitalisme crée la croissance économique et les richesses qui permettent à une société de répondre à ses besoins sociaux, et aux individus d'atteindre leurs objectifs personnels. Mais le capitalisme et la création de richesses ne sont pas en soi suffisants. Notre société a besoin d'un ensemble d'objectifs plus élevés pour nous guider et nous inspirer.

Le capitalisme ne sera considéré comme une réussite au cours du prochain siècle que s'il nous aide à instaurer une société qui assure à chacun de ses membres le respect, l'équité et un sentiment d'appartenance à la collectivité.

Cela peut paraître à certains un rêve impossible. Mais ce doit être l'objectif des Européens et des Américains au moment où nous abordons le XXIème siècle. Après tout, tels ont été les objectifs de la guerre d'Indépendance américaine et de la Révolution française.

Le Président Jack Lang a tout d'abord remercié l'Ambassadeur des Etats-Unis pour son exposé et a ensuite salué la présence de M. André Vallini, Président du Groupe d'amitié France Etats-Unis.

Relevant que le capitalisme, outre ses bienfaits, faisait également des victimes et provoquait des inégalités, Mme Yvette Roudy a signalé que circulait actuellement un rapport d'un membre du Congrès, qui n'est d'ailleurs pas traduit en français, sur la liberté de religion dans le monde. Dans ce rapport figurent des attaques contre la mission interministérielle de lutte contre les sectes, structure officielle présidée par M. Alain Vivien, et donc contre la France. Outre le fait que nous n'avons pas la même culture, les sectes peuvent être dangereuses, il existe des preuves, et de telles pratiques peuvent endommager les relations franco-américaines. Mme Yvette Roudy a demandé si l'Ambassadeur des Etats-Unis approuvait ou réfutait le contenu de ce rapport.

Le Président Jack Lang a suggéré à ce sujet la possibilité d'inviter les membres du Congrès à s'exprimer devant la Commission.

M. Jacques Myard a tout d'abord remercié l'Ambassadeur des Etats-Unis pour avoir repris un thème gaulliste en appelant de ses v_ux une Europe forte synonyme de partenaire fiable.

Il s'est ensuite inquiété des risques de dérapage que pouvait induire le monde d'interdépendance où nous nous trouvons. Comme le Titanic, il n'y a plus de compartimentage pour l'économie mondiale et, si une crise survient aux Etats-Unis ou en Europe, les conséquences seront immédiates. Il a regretté la déréglementation forcenée issue du système financier instauré après que les Etats-Unis aient « cassé » Bretton Woods, système qui n'est plus sous le contrôle démocratique des Etats. Etant attaché à la formule "politiques de tous les pays unissez-vous" il a demandé si le politique avait encore barre sur les événements.

S'agissant du problème des sectes, ayant été vice-président de la commission d'enquête sur les sectes, il a déclaré qu'il n'y avait pas de risque de remise en cause des libertés religieuses en Europe mais que certains agissements contraires aux lois et qui aboutissent à des escroqueries et des manipulations mentales nous concernent.

Mme Marie-Hélène Aubert a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis comment capitalisme et développement soutenable ou durable étaient compatibles alors que l'impact des activités économiques sur les ressources naturelles, notre santé et notre qualité de vie est évalué de façon lacunaire, citant pour exemple le b_uf aux hormones. Le mode actuel de production et d'échange provoque des inégalités croissantes dans le monde et à l'intérieur des pays. Sans contester l'économie de marché, elle a plaidé pour l'instauration d'arbitrages au sein de l'ONU et des grandes conventions internationales où se réunissent les gouvernements.

M. François Guillaume a fait remarquer que la tension entre les Etats-Unis et l'Europe s'était accentuée quand l'Europe est devenue une région exportatrice nette en céréales contestant ainsi la domination américaine. Chaque pays s'efforce d'assurer une sécurité alimentaire minimale et les fluctuations des cours ne remettent pas en cause le revenu des producteurs. Mais les Etats-Unis critiquent les aides à l'export et le niveau des prix internes propres au système européen alors qu'eux aussi disposent d'un système « non libéral » avec un filet de sécurité qui assure des revenus minimums.

Malgré les dispositions acceptées par toutes les parties à l'issue des négociations du GATT, les Etats-Unis multiplient les entorses, par exemple au moyen des crédits à l'exportation, de l'aide alimentaire au niveau international, qui leur permet de placer des quantités supplémentaires, et des aides conjoncturelles accordées aux producteurs américains qui ont atteint 20 milliards de dollars en 1998.

Dans ces conditions, peut-on continuer à arrêter des bases claires si les Etats-Unis les remettent en cause par des décisions ponctuelles ? Par ailleurs, la question du dumping monétaire peut revenir à l'ordre du jour en cas de baisse du dollar.

M. Pierre Brana s'est déclaré étonné et déçu que ce grand pays se réclamant de la défense des droits de l'Homme ne s'associe pas à l'interdiction des mines antipersonnel et à la création de la Cour pénale internationale qui répondrait à un besoin de sanction de certains apprentis dictateurs sur la planète. Il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quel était son sentiment sur ces points.

M. Charles Ehrmann a félicité l'Ambassadeur des Etats-Unis pour la qualité de son français, langue dont l'usage disparaît peu à peu au Conseil de l'Europe. Après avoir rappelé le rôle que les Etats-Unis ont joué et joueront en Europe, il a apprécié que ceux-ci aient laissé faire l'euro et qu'ils ne soient pas hostiles à une Europe forte. Mais ils doivent laisser la France, et l'Europe, maintenir l'exception culturelle et économique.

Revenant sur les valeurs communes, M. François Loncle a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quel était son sentiment sur la question de la peine de mort qui oppose philosophiquement et politiquement les Etats-Unis et la France. A cet égard, il a rappelé que cette pratique perdurait même à l'égard de mineurs et de personnes handicapées mentales et que 3 565 condamnés attendaient dans les couloirs de la mort.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a estimé que la mondialisation n'était pas inquiétante mais plutôt la déshumanisation qu'elle engendre. Les nouvelles technologies et la défense du capitalisme qui accompagnent l'économie mondialisée sont en contradiction avec l'objectif poursuivi qui est de permettre à l'homme d'être plus humain. Où sont les droits de l'Homme dans la non application des résolutions de l'ONU en Irak, au Liban et en Palestine ?

M. Lionnel Luca s'est dit étonné d'avoir assisté à un cours d'histoire économique sur les bienfaits du capitalisme et à un satisfecit. Il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis s'il était satisfait de l'épuration ethnique contre les Serbes qui fait actuellement suite à l'épuration ethnique contre les Kosovars. En outre, quelle est la position réelle des Etats-Unis concernant les Balkans vis-à-vis des Etats nouveaux comme l'Albanie et la Bosnie ?

Il a également souhaité savoir quel était la vision de la politique étrangère des Etats-Unis sur l'Islam et les Etats musulmans, s'agissant notamment de la situation en Algérie, au Pakistan, des Taliban afghans, des Kurdes en Turquie, de la dépendance de la Libye vis-à-vis de la Syrie, de l'Indonésie.

M. Paul Dhaille a rappelé qu'aujourd'hui plusieurs questions posaient problème. Sur le plan international, le traité d'interdiction des mines antipersonnel n'a pas été ratifié par les Etats-Unis. S'agissant de la non ratification du TICE, quel discours peut-on tenir au Pakistan et à l'Inde par exemple si les Etats-Unis ne le ratifient pas ? Les questions de la peine de mort et des sectes restent problématiques.

Alors que nos deux pays sont des démocraties qui respectent les droits de l'Homme n'avons-nous pas une conception différente et n'y a-t-il pas là des sujets de conflits importants ?

Mme Béatrice Marre s'est déclarée frappée par l'analyse de l'Ambassadeur des Etats-Unis sur la mondialisation qui n'est pas synonyme d'américanisation. Elle a précisé que les Européens et les Français en l'occurrence attendaient des signes sur ce point. Quelques incertitudes subsistent par rapport aux décisions du Congrès américain qui semple privilégier plus le bilatéralisme que le multilatéralisme. Y a-t-il une marge entre l'analyse de l'Ambassadeur des Etats-Unis et ce que peut faire le Congrès américain ?

Evoquant l'ouverture prochaine des négociations de l'OMC, M. Hervé de Charette a souhaité savoir quel était l'arbitrage possible entre, d'une part, l'Europe qui veut une ouverture maximale de l'ordre du jour et, d'autre part, les Etats-Unis qui veulent se limiter à un nombre réduit de sujets dont les questions agricoles. S'agissant du processus de paix au Proche-Orient, y a-t-il des actions possibles entre la France et les Etats-Unis et si oui lesquelles ?

Mme Odette Trupin s'est interrogé sur l'envahissement de l'anglais sans nier qu'une langue unique constituât un code commode. N'y a-t-il pas un risque de réductionnisme et d'appauvrissement de la pensée humaine ? La sauvegarde de la culture de l'humanité n'est-elle pas un devoir obligatoire ?

Le Président Jack Lang a fait remarquer que c'était aux Européens de prendre des initiatives concrètes pour assurer ce multilinguisme.

Mme Odette Trupin s'est alors demandé si, du fait de l'importance des Etats-Unis dans la mondialisation, ces derniers ne pouvaient pas jouer de leur influence.

M. René André a fait référence au nouveau système américain de défense antimissile dont certains ont dit qu'il allait renforcer l'isolationnisme des Américains en les mettant à l'abri de toute attaque. Est-il possible d'obtenir plus d'informations sur ce point d'autant qu'en inquiétant fortement les Russes, ce système a des conséquences sur les négociations de désarmement stratégique.

Le Président Jack Lang a souhaité revenir sur la situation de « talibanisation » de l'Afghanistan et des régions alentours. La position américaine sur ce point n'est pas toujours d'une clarté absolue. Qu'en est-il d'un effort commun pour endiguer cela et permettre à ces peuples de vivre librement ?

M. Valéry Giscard d'Estaing s'est inquiété des risques d'inflation qui menacent la première puissance économique mondiale. Quelles sont les perspectives raisonnables de croissance économique américaine pour les prochaines années ?

S'agissant de l'Union européenne, il y a aujourd'hui un débat sur la conduite de l'intégration et le rythme de l'élargissement. Pourquoi les Etats-Unis prennent-ils position au lieu de laisser faire l'Europe ?

Sur l'absence de contrôle en Irak ou plus exactement sur le contrôle indirect, notre attitude vis-à-vis de ce pays constitue un point de désaccord avec les Etats-Unis. Y a-t-il une marge d'évolution possible de l'attitude américaine sur l'Irak ou les propositions en cours ont-elles peu de chances d'aboutir ?

Enfin il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quelle était son analyse sur le refus américain de ratifier le TICE. Est-ce parce que ce traité présente des imperfections qu'il faut améliorer ou s'agit-il d'une tendance plus profonde de la politique étrangère des Etats-Unis, c'est-à-dire le retour à une culture de refus de souscrire certains engagements internationaux comme, dans le passé, le Traité de Versailles ou la SDN ?

M. Felix George Rohatyn a répondu aux intervenants.

Les questions liées aux activités des sectes sont délicates, néanmoins, tant la France que les Etats-Unis sont des pays respectueux des droits de l'Homme, ainsi l'Ambassadeur des Etats-Unis espère avec confiance que les tensions seront surmontées et que les discussions en cours entre les gouvernements aboutiront à des résultats positifs.

Il a admis que, dans le système économique et financier actuel, les capitaux ne sont pas soumis à l'autorité des gouvernements. Cependant, ce système, même imparfait, fonctionne bien : ainsi, par exemple, les banques centrales américaines, européennes et japonaises coopèrent étroitement (elles l'ont fait par exemple au moment des crises asiatique et russe) ; les marchés américains sont restés ouverts aux produits asiatiques pendant cette crise, ce qui a d'ailleurs entraîné un déficit de la balance commerciale. Ce système a ses dangers - on l'a vu avec le rôle de la spéculation et des "hedge funds" face auxquels il faut assurer la transparence - mais il est facteur de progrès économique pour l'Amérique latine et l'Asie et permet de répondre aux crises inévitables. En outre, le maintien d'un taux de croissance élevé aux Etats-Unis permet d'aider les pays moins développés à progresser, ce qui est un élément important en vue de la stabilité.

Les Etats-Unis sont bien davantage préoccupés par la protection de l'environnement qu'on ne le croit. Ainsi, le Président Bill Clinton a augmenté de millions d'hectares les surfaces des forêts publiques et privées protégées. Des investissements considérables, à des coûts importants, sont faits dans l'industrie, mais la taille des infrastructures industrielles rend le processus difficile. Néanmoins, développement économique et environnement sont compatibles.

En réponse à M. François Guillaume, l'Ambassadeur des Etats-Unis a observé que les Etats-Unis et la France étaient deux grands pays agricoles et que l'agriculture resterait un sujet de contentieux entre les Etats-Unis et la France. L'objectif américain est la réduction des subventions pour arriver, à terme, à un système ouvert. Cependant, les Etats-Unis connaissent la pire crise depuis vingt ans, et les spécialistes estiment que 20% des exploitants devront cesser leurs activités. Bien que les intérêts des deux pays soient communs, il faudra continuer à négocier pour parvenir à des positions communes.

Les Etats-Unis n'ont pas réussi à faire comprendre au reste du monde leurs positions sur la question de l'interdiction des mines : une seule exception au Traité a été demandée afin de pouvoir protéger les 35 000 soldats américains stationnés en Corée. Par ailleurs, les Etats-Unis sont très actifs dans les opérations de déminage à travers le monde. Le refus de s'asocier à la Cour pénale internationale s'explique par les inquiétudes conçues au sujet des militaires américains participant à des opérations dans de nombreux conflits.

L'intérêt des Etats-Unis est d'avoir une Europe intégrée, prospère, bénéficiant d'une forte croissance économique, formant avec eux une plate-forme de la sécurité du monde. Aussi, le succès de l'euro est-il un motif de satisfaction pour les Etats-Unis. Ceux-ci veulent éviter cependant la duplication ou le découplement des institutions avec celles de l'OTAN. De façon générale, rien de ce qui se fait en Europe n'apparaît hostile aux Etats-Unis, et aucun isolationnisme n'est à craindre de leur part.

Les Etats-Unis forment une démocratie complexe, mais l'une de ses forces fondamentales est sa structure politique et légale, caractérisée par un partage des compétences très clair entre la Fédération et les Etats. La peine de mort relève de la compétence des Etats ; elle a d'ailleurs disparu dans certains d'entre eux. Mais, tant que la Cour Suprême maintient le principe de la légalité de cette condamnation, les Etats pourront l'appliquer, même si cela apparaît choquant à d'autres.

En ce qui concerne les conséquences de la globalisation, les objectifs des Etats-Unis sont la liberté et l'opportunité. Les conditions économiques ont permis d'abaisser le chômage à un niveau très bas : il est passé en dix ans de 15% à 3,5% à Detroit, par exemple. Aussi ne peut-on dire que la technologie conduit systématiquement à une déshumanisation.

La position des Etats-Unis sur l'Irak est différente de celle d'autres pays, car l'appréciation du danger représenté par le Président Saddam Hussein est différente. Néanmoins, l'Amérique a versé suffisamment de sang pour préserver les droits de l'Homme ailleurs pour mériter une meilleure compréhension de ses actes.

La position américaine quant aux pays islamiques a été présentée récemment par le Président Bill Clinton : l'Amérique n'est pas l'ennemie de l'Islam qui est une grande religion ; l'Amérique lutte contre le terrorisme où qu'il se trouve. Au Moyen-Orient, l'Amérique a contribué à faire progresser significativement la paix entre Israël et ses voisins et espère que ses efforts déboucheront sur l'affirmation d'une paix durable cette année.

Quant aux Balkans, les Etats-Unis, qui sont intervenus à la demande des Européens, espèrent évidemment l'arrêt de l'épuration ethnique et soutiennent le travail remarquable accompli par M. Bernard Kouchner.

En réponse à M. Paul Dhaille, M. Felix George Rohatyn ne voit pas de différence fondamentale entre son pays et les pays européens sur la conception des droits de l'Homme ; il existe seulement une différence fondamentale sur la peine de mort. Néanmoins, cela ne devrait pas susciter de difficultés si chaque partie respecte les positions de l'autre.

Le Président Jack Lang a espéré que ces positions pourraient évoluer avec le temps.

L'Ambassadeur des Etats-Unis a rappelé qu'aujourd'hui, la politique économique et la politique étrangère sont indissociables. Alors que les Etats-Unis ont hésité à s'impliquer dans la deuxième guerre mondiale, ils se sont par la suite engagés sur le continent européen avec la création de l'OTAN et le plan Marshall et ont soutenu la construction européenne. Compte tenu des intérêts américains et de l'intégration croissante de l'économie mondiale, cette ligne politique se maintiendra à l'avenir.

L'ordre du jour des prochaines négociations commerciales est aujourd'hui en discussion. Les Etats-Unis souhaitent qu'elles débouchent plus rapidement que les précédentes ; c'est la raison pour laquelle ils proposent que les négociations soient achevées en trois ans et que l'agenda soit limité. Les Européens voudraient à l'inverse que le dialogue soit plus large. D'ici à la conférence de Seattle, les points de vue peuvent se rapprocher.

Sur la question du processus de paix au Proche-Orient, les contacts entre les Etats-Unis et la France sont réguliers. Le Premier ministre Ehud Barak préfère pour le moment des négociations directes. Mais, le moment venu, une initiative franco-américaine sera peut-être opportune.

Les Etats-Unis sont bien entendu favorables à la protection de la langue française. Dans de nombreuses écoles publiques américaines, l'espagnol fait partie du curriculum et cette langue est sans doute mieux implantée aux Etats-Unis que ne l'est la langue anglaise en France. Cela témoigne de ce que les Etats-Unis ne manifestent aucune réticence à l'égard des langues étrangères et comprennent la volonté de la France de protéger la langue française. Il serait utile que le progrès technologique améliore le doublage des films français en anglais.

Le développement d'un système anti-missiles est loin d'être certain. Pour le moment, un seul essai d'interception a réussi. L'objectif d'un tel système serait de protéger le territoire américain contre des missiles qui seraient lancés par des Etats « terroristes » afin que la dissuasion ne repose pas uniquement sur la menace de représailles nucléaires. Son déploiement suppose une révision du traité ABM, hypothèse à laquelle la Russie comme la France, qui a été la première consultée, sont opposées. Le Président Bill Clinton devrait prendre une décision d'ici à la mi-juin.

Très peu de gens pensaient que les Etats-Unis connaîtraient une phase de croissance aussi forte et longue sans inflation car portée par le développement technologique et accompagnée d'une politique budgétaire restrictive et d'une politique monétaire souple. La dette externe a augmenté du fait du déficit commercial mais la dette interne a diminué. Cette croissance est vitale pour le reste du monde. L'économie américaine connaît des vulnérabilités : notamment, le marché financier peut subir un fléchissement brutal. Cependant, grâce aux excédents accumulés, les pouvoirs publics ont les moyens d'en contrecarrer les effets.

Les Etats-Unis établissent un parallèle entre l'élargissement de l'Union européenne qui leur paraît souhaitable et l'élargissement de l'OTAN. Ils sont particulièrement attentifs et favorables au renforcement des capacités européennes de défense. Ils n'ont pas à intervenir dans le débat élargissement - approfondissement.

La France et les Etats-Unis évaluent différemment la menace que représente l'Irak. Ils travaillent ensemble aux Nations Unies pour parvenir à une formule qui permettrait le retour d'inspecteurs en Irak et l'octroi d'un niveau d'aide humanitaire et économique.

Le rejet du Traité d'interdiction des essais nucléaires par le Sénat américain suscite de nombreuses interrogations. A titre personnel, M. Felix George Rohatyn a estimé que la présence américaine dans le monde avait atteint un tel niveau qu'un retour à l'isolationnisme est impossible. Il existe des tendances diverses au Congrès mais, en tout état de cause, les Etats-Unis ne quitteront pas le système international.

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