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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 15 mars 2000

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M.Glafcos Cléridès, Président de la République chypriote

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Audition de M. Glafcos Cléridès, Président de la République chypriote

Le Président Jack Lang a accueilli le Président Glafcos Cléridès, observant que son acceptation de venir s'exprimer devant la Commission des Affaires étrangères conférait à celle-ci un grand honneur. Il a rappelé que M. Glafcos Cléridès avait montré au long de sa vie ses qualités d'homme de courage et d'action. Il a indiqué que les membres de la Commission comme lui-même souhaitaient que Chypre retrouve la paix grâce à la coexistence de ses communautés et que leur solidarité à la République chypriote est acquise. Il a souligné que, quel que soit le respect porté au peuple turc, à son histoire et à sa civilisation, son occupation de la partie nord de l'île est contraire au droit international. Une issue devra être trouvée, et les députés français veulent y contribuer. Le Président Jack Lang a également souhaité que l'engagement pris par l'Union européenne quant à l'intégration de Chypre soit tenu dans les meilleurs délais.

Le Président Glafcos Cléridès a remercié la Commission de lui donner cette occasion de s'exprimer devant l'Assemblée nationale, ajoutant qu'il est particulièrement touché et ému par l'intérêt et l'amitié portés à son pays, regrettant seulement de ne pouvoir s'exprimer en français devant la Commission. Il a rappelé que la France, les Français et la civilisation française occupent une place à part dans le c_ur des Chypriotes, qui leur vouent une solide et sincère amitié. En même temps, le Président a estimé que des marges importantes existent pour développer davantage les relations bilatérales dans tous les domaines.

Le Président Glafcos Cléridès a remercié la France pour son aide et la compréhension dont elle a fait preuve à l'égard de Chypre, depuis les heures difficiles de l'invasion turque de 1974 et jusqu'à aujourd'hui. La France a été alors le seul pays de l'Europe occidentale qui a permis à son industrie d'armement de fournir des armes à la République de Chypre. La France en tant que membre permanent du Conseil de sécurité a toujours, en ce qui concerne la question chypriote, contribué à la recherche d'une solution conforme au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité. En ce qui concerne le rapprochement vers l'Union européenne, la France a, là encore, joué un rôle très important et sa contribution à Helsinki a été déterminante. Chypre espère que la prochaine Présidence française donnera l'élan pour une conclusion rapide des négociations d'adhésion.

Chypre est aujourd'hui un Etat moderne, démocratique, avec une économie florissante et un niveau de vie élevé, comparable à celui de plusieurs pays membres de l'Union européenne, et ce résultat a été atteint malgré l'invasion et l'occupation continue de 37 % du territoire par la Turquie.

Les négociations d'adhésion progressent de manière satisfaisante. La totalité des vingt neuf chapitres de l'acquis communautaire a d'ores et déjà été ouverte à la négociation et la négociation est close sur onze d'entre eux. Le processus d'harmonisation avec l'acquis communautaire avance à un rythme soutenu. Il existe, certes, encore quelques divergences et des lacunes dans certains secteurs mais le Gouvernement est convaincu que Chypre pourra tenir les délais qui ont été formulés. Chypre veut adhérer avec le moins possible de dérogations et des périodes transitoires réduites au minimum indispensable. Son objectif est aussi d'intégrer l'Union économique et monétaire immédiatement après l'adhésion.

A côté de ce processus, le but principal reste la solution du problème de Chypre, et l'adhésion du pays à l'Union ne peut être liée à cette solution, qui ferait à nouveau de Chypre l'otage des intentions turques.

Malgré les efforts de la République de Chypre, la partie turque a persisté dans son attitude d'intransigeance et de violation tant des résolutions des Nations Unies que des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme. La Turquie a refusé la solution fédérale, bicommunautaire et bizonale préconisée par deux accords signés sous l'égide du Secrétaire général de l'ONU, et continue à défendre une solution confédérale et la reconnaissance de deux Etats séparés. Dans cette situation, la préoccupation première du Gouvernement est d'assurer le respect des droits de l'Homme ; la dimension humanitaire de la tragédie chypriote constitue d'ailleurs un défi et une épreuve probatoire pour l'Europe.

Le Président Glafcos Cléridès a estimé que l'adhésion à l'Union sera bénéfique à Chypre et à toutes ses communautés. Elle contribuera en outre à renforcer le rôle de l'Union en Méditerranée orientale.

Une nouvelle initiative émanant du Secrétaire général des Nations Unies était actuellement en cours, mais M. Raouf Denktash, leader de la communauté chypriote turque, a, de nouveau, posé les conditions de la reconnaissance d'un Etat dans la partie nord, reconnaissance que la communauté internationale a déjà refusée. Son attitude est à nouveau contraire aux principes définis par le G8 et le Conseil de sécurité, qui stipulent que les pourparlers doivent être tenus : sans conditions préalables ; toutes les questions devant être sur la table ; avec la volonté politique d'aboutir ; en prenant pleinement en compte les résolutions des Nations Unies. Le troisième tour de ces pourparlers aura lieu à New York le 23 mai 2000.

Les conditions posées par M. Raouf Denktash ne tendent ni à la réunification de Chypre ni à la solution future du problème mais visent seulement à conforter sa position actuelle et à légitimer le statu quo. Aussi est-il difficile de prévoir les chances réelles de surmonter l'impasse car il n'est plus possible pour l'une des parties de coopérer et de progresser dans le cadre des Nations Unies pendant que l'autre demeure immobile. La période actuelle est déterminante pour Chypre : la procédure de négociation ouverte par la communauté internationale notamment au sein du G8, où la contribution du Président Jacques Chirac doit être saluée, constitue une fenêtre d'opportunité. C'est pourquoi la communauté internationale doit, avec l'aide et le soutien de la France, faire pression sur la Turquie et la direction chypriote turque en faveur d'une impulsion décisive aux négociations sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et convaincre la partie turque d'abandonner sa politique stérile.

Il s'est déclaré disposé à travailler dur et sans relâche pour trouver une solution et notamment répondre aux inquiétudes de la communauté chypriote turque à laquelle a été lancée une invitation à participer aux négociations d'adhésion à l'Union européenne . Il a fait valoir qu'en acceptant une fédération bizonale et bicommunautaire, la République de Chypre avait fait des concessions douloureuses. Selon lui, tous les Chypriotes doivent trouver dans l'avenir des raisons d'espérer, avoir la possibilité d'apprendre ou de réapprendre à vivre pacifiquement et bénéficier du respect des droits de l'Homme, de la liberté, de la sécurité et de la prospérité. A l'aube du nouveau millénaire cet espoir passe par la levée des hypothèques qui pèsent sur Chypre.

Le Président Jack Lang a remercié le Président Glafcos Cléridès de son exposé précis et explicite et a présenté la délégation l'accompagnant, M. Ioannis Kasoulidès, ministre des Affaires étrangères, M. Michalis Papapetrou, Porte-parole du Gouvernement, M. Andréas Mavroyiannis, Ambassadeur de la République de Chypre en France et M. Jean-Bernard Devaivre, Ambassadeur de France en République de Chypre.

Frappé par l'existence de la ligne verte, M. Pierre Brana a fait observer que depuis la chute du mur de Berlin, Nicosie était la seule ville au monde à être coupée en deux. Indiquant qu'à diverses reprises, M. Kasoulidès avait demandé à être reçu à Ankara, il a souhaité savoir si des négociations parallèles à celles menées dans le cadre des Nations Unies pourraient se tenir directement avec la Turquie.

Evoquant le pillage organisé des _uvres d'art byzantin, notamment des icônes, à Chypre, alors que l'on connaît parfois les voleurs et le lieu où se trouvent ces oeuvres, il s'est informé de l'action menée par le Gouvernement de la République chypriote pour les récupérer.

M. François Loncle a jugé scandaleux que la candidature de la Turquie à l'Union européenne ait été acceptée sous la pression des Etats-Unis, sans la moindre condition concernant Chypre. Il conviendra de profiter de ces négociations pour contraindre la Turquie à entendre raison sur la question chypriote.

M. Arnaud Montebourg a expliqué qu'il s'était rendu à Chypre dans le cadre de la mission sur le blanchiment de l'argent, et s'est félicité de la qualité de l'accueil fait à la mission par les autorités de la République de Chypre. Il a jugé qu'il y avait un décalage entre la réputation de la République de Chypre et la réalité de la lutte menée contre le blanchiment par les autorités qui souhaitent visiblement se rapprocher des normes définies par le Conseil européen extraordinaire de Tampere en décembre 1999. Il a souhaité savoir quel était l'état du projet de démantèlement du système offshore, sujet sensible qui fait débat au sein même de l'Union.

Le Président Glafcos Cléridès a précisé que le Gouvernement, en liaison avec les autorités religieuses chypriotes, avait entrepris des démarches pour rapatrier les _uvres d'art soit par le canal juridictionnel, soit en les rachetant. Mais les autorités chypriotes disposent d'informations partielles, ne permettant de retrouver qu'une faible partie des _uvres dérobées.

Il n'y a pas de négociations directes avec la Turquie : celle-ci refuse de débattre avec la République de Chypre qu'elle ne reconnaît pas. Cependant, il est possible actuellement de progresser car les relations entre la Grèce et la Turquie se sont améliorées, et la volonté de cette dernière d'adhérer à l'Union européenne peut servir de levier. Des pressions pourraient être exercées sur M. Raouf Denktash pour arriver à une solution bizonale et bicommunautaire. Comme M. François Loncle, il a considéré qu'il fallait faire comprendre à la Turquie qu'elle devait progresser en matière de droits de l'Homme et sur la question chypriote pour pouvoir entrer dans l'Union européenne.

Le Président Glafcos Cléridès a déclaré que son pays avait déjà adopté de nombreuses mesures pour lutter contre la délinquance financière, et que ces efforts commençaient à être reconnus par la communauté internationale. Il a souhaité un accroissement de la coopération avec les Etats étrangers afin de renforcer l'efficacité de ces décisions. Une unité spéciale destinée à la lutte contre le blanchiment a été créée, qui a également pour fonction de suggérer toutes améliorations souhaitables. Cette unité a déjà traité quarante cas suspects et gelé 15 millions de dollars. D'autres mesures vont être adoptées afin d'accroître la transparence des détenteurs de comptes et d'harmoniser la législation chypriote avec l'acquis communautaire. Le Conseil de l'Europe a du reste félicité Chypre pour les mesures adoptées, qu'il a qualifiées de draconiennes. Le gouvernement chypriote est déterminé à continuer de renforcer sa législation contre tous les trafics illégaux.

M. Ioannis Kasoulidès a précisé les mesures de transparence que le gouvernement s'est engagé à prendre : l'interdiction de tout compte bancaire numéroté dont le propriétaire ne serait pas clairement identifié ; l'engagement de transmettre le nom des actionnaires des sociétés titulaires de ces comptes dès lors qu'une demande formelle sera adressée par des autorités judiciaires étrangères.

Le Président Jack Lang a salué l'annonce de ces mesures. Il a évoqué les problèmes de la sécurité maritime et des normes insuffisantes imposées par certains pays dans l'attribution de leur pavillon. Il a souhaité connaître la politique de Chypre en ce domaine, notamment pour renforcer le niveau de qualification des équipages. Il s'est inquiété du devenir de la langue française à Chypre qui semble menacé par une future réforme de l'enseignement.

M. Pierre Lequiller a rappelé qu'il avait regretté que l'Union européenne ait accepté la candidature de la Turquie à la fois pour l'absence de conditions mises à cette candidature et pour des raisons de fond. Il a réclamé un débat parlementaire sur cette question. Il s'est étonné toutefois du silence de Chypre à cette occasion et en demandé la raison. Il a souhaité également connaître l'évolution des relations entre la Grèce et la Turquie.

Le Président Glafcos Cléridès a estimé que l'acceptation de la candidature de la Turquie à l'Union européenne était de nature à améliorer les relations gréco-turques, et par conséquent le climat des négociations sur le devenir de Chypre, à condition que la Turquie reconnaisse que cette question n'est pas encore résolue. L'Union européenne doit faire pression sur la Turquie pour qu'elle participe à une solution, et dès lors rien ne s'opposera à ce que la Turquie rejoigne Chypre dans l'Union. La stabilité de la région en sera d'autant améliorée. Mais cette perspective nécessite un changement d'attitude de la Turquie. L'amélioration des relations entre la Turquie et la Grèce demeurera fragile tant que la question chypriote ne sera pas réglée.

S'agissant de la place de la langue française, il a reconnu que des actions étaient nécessaires. Ainsi, le Conseil des Ministres du 14 janvier dernier a décidé d'augmenter les heures d'enseignement du français à Chypre à partir de la rentrée de septembre 2000. Cependant, l'efficacité de ces mesures dépend avant tout de l'existence de motivations des élèves pour apprendre le français. Les deux pays doivent donc mettre au point des propositions concrètes en vue de développer ces motivations.

Le Président Glafcos Cléridès s'est déclaré très soucieux des questions de sécurité maritime. Le Gouvernement chypriote a pris, dans le cadre de l'harmonisation de sa législation avec celles des autres pays de l'Union européenne, des décisions sévères sur la protection du pavillon chypriote au niveau de la sécurité des bâtiments et de la protection des équipages. Chypre accepte le risque de voir l'importance de sa flotte rétrécir, d'ailleurs celle-ci est déjà passée du troisième au sixième rang mondial. Depuis le 1er janvier 2000, un plan d'action ambitieux a été mis en _uvre, comprenant l'interdiction de l'enregistrement des navires de plus de 23 ans, des contrôles renforcés avant l'enregistrement des navires de plus de 15 ans et la mise en place de commissions mixtes entre les autorités de contrôle chypriote et celles de pays de l'Union européenne. En outre, Chypre a adhéré à l'Organisation maritime internationale et est prête à se soumettre à toutes les conventions internationales sur le sujet.

M. Michel Grégoire, président du groupe d'amitié France-Chypre, s'est félicité de la visite du Président Glafcos Cléridès à l'Assemblée nationale, comme de la venue en France récemment du groupe d'amitié Chypre-France. Les échanges entre les deux pays doivent en effet se développer : les échanges d'étudiants, qui privilégient actuellement les universités anglo-saxonnes, les échanges économiques ensuite, notamment la coopération dans le domaine des réseaux (eau, assainissement), les échanges touristiques car les pays anglo-saxons sont beaucoup plus présents que les pays méditerranéens.

Le Président Glafcos Cléridès a reconnu que la baisse du nombre d'étudiants chypriotes en France était très importante. En effet, certains pays, comme les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou d'autres membres de l'Union européenne proposent des bourses conséquentes et attirent ainsi la grande majorité des étudiants de Chypre, qui étudient presque tous en dehors du pays. Outre l'augmentation de ses bourses par la France, une autre solution réside dans un développement de l'enseignement du français et des relations culturelles entre les deux pays. Si Chypre doit faire des efforts dans ce sens, la France aussi doit se mobiliser pour augmenter sa présence : seulement 30 000 touristes français visitent l'île chaque année, soit moins que les Suisses, or c'est là un facteur de rapprochement entre les deux peuples.

Le Président Jack Lang, après avoir salué la présence de nombreux ambassadeurs des pays de l'Union européenne, a insisté sur l'existence à l'Assemblée nationale, et notamment à la Commission des Affaires étrangères, d'une sympathie réelle et active vis-à-vis de Chypre et d'un sentiment de partage de ses épreuves face à la division, à l'occupation et aux entraves à la paix. Au-delà des clivages politiques, la Commission estime que les droits des peuples et la démocratie doivent toujours primer, ce qui ne signifie pas qu'elle soit hostile au peuple turc, qui est un grand peuple. Ainsi, la France est heureuse lorsque des ponts sont jetés entre la Grèce et le Turquie, exprimant un désir profond de paix et d'amitié entre les peuples.

Le Président Jack Lang s'est félicité que le Conseil européen d'Helsinki ait permis de clarifier la situation de Chypre quant à son adhésion future à l'Union européenne. L'exigence d'une solution préalable à la partition du territoire avant l'adhésion mettait Chypre dans une situation impossible. La solution ne peut être trouvée par Chypre seule, les Nations Unies et l'Union européenne ont une responsabilité majeure à ce sujet ; elles doivent agir pour faire respecter le droit international et trouver une solution respectueuse de l'intégrité territoriale de Chypre.

Il a souligné l'importance des engagements pris par le président Cléridès devant les commissaires dans les domaines de la lutte contre le blanchiment de l'argent et de la sécurité maritime.

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· Blanchiment de l'argent

· Chypre

· Sécurité maritime

· Union européenne


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