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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 16 mars 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jack Lang, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

Le Président Jack Lang a accueilli le ministre des Affaires étrangères, en proposant de commencer par le Kosovo.

M. François Loncle a demandé l'avis du Ministre sur une situation qui paraît mal maîtrisée et avec un avenir mal défini.

M. Jacques Myard a estimé que l'intervention au Kosovo allait devenir l'exemple même de l'intervention mal calculée. L'utilisation de la force n'est justifiée que si elle est au service d'un projet politique, ce qui n'apparaît pas avoir été le cas au Kosovo.

M. Jean-Bernard Raimond s'est interrogé sur le devenir de M. Milosevic dont le maintien au pouvoir représente l'obstacle principal à tout règlement politique.

M. Pierre Brana a exprimé l'espoir que la tendance modérée représentée par M. Rugova finisse par l'emporter et que les prochaines élections locales enclenchent un processus démocratique. Il a demandé si l'élection du nouveau Président croate était positive pour l'avenir de la Bosnie.

M. Hubert Védrine a estimé que les diverses appréciations exprimées dans les questions des commissaires étaient une illustration de la complexité de la question du Kosovo. Si la communauté internationale n'était pas intervenue au Kosovo, la situation actuelle serait encore pire, politiquement et moralement.

Le Ministre a rappelé qu'il n'avait jamais annoncé que l'intervention au Kosovo résoudrait tous les problèmes. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner de la difficulté extrême de la situation actuelle. L'éviction de M. Milosevic ne résoudrait du reste pas tous les problèmes, même sa présence les aggrave. L'enjeu aujourd'hui est d'assurer la sécurité pour toutes les communautés. C'est de coexistence qu'il faut aujourd'hui parler.

Les Alliés ont pu atteindre une partie des objectifs qu'ils s'étaient donnés, à savoir donner un coup d'arrêt à la politique de purification ethnique du Gouvernement serbe, mais ils n'ont pu empêcher, après le conflit, le départ d'une partie de la population serbe du Kosovo et le regroupement de ceux qui restent dans la zone où se trouvent les soldats français. Aujourd'hui les flambées de violence qui visent à remettre en cause la coexistence des communautés sont le fait des extrémistes des deux bords.

Les Kosovars, on ne peut le nier, veulent un Etat indépendant et rien d'autre. Mais les dangers de l'indépendance sont tels que la communauté internationale n'aurait pas les moyens de faire face aux conséquences de celle-ci : rattachement du Kosovo à l'Albanie, déstabilisation du Monténégro et de la Macédoine, risque enfin de partition de la Bosnie-Herzégovine. Les efforts actuels ont le mérite d'arrêter les tueries, mais l'on ne peut dire que le Kosovo se fédère en une nation.

La complexité de la situation est source de problèmes, mais la communauté internationale n'a pas l'intention de céder à la tentation de l'indépendance, qui entraînerait un processus très difficile aux graves conséquences, et en contradiction avec tous les efforts antérieurs.

La meilleure option consiste, en cohérence avec la résolution 1244 des Nations Unies, à donner un contenu plus substantiel à l'autonomie du Kosovo en préparant soigneusement des élections municipales, ce qui implique déjà l'accord des représentants des communautés sur de nombreuses mesures d'organisation nécessaires au bon déroulement des opérations de vote. Le principe de ce scrutin a été décidé en accord entre les Européens, la Russie et les Etats-Unis : l'OSCE est à présent chargée d'un rapport sur les modalités d'organisation de ces élections.

Le Président Jack Lang a ensuite abordé le thème de l'Union européenne. Une évolution peut être constatée en Allemagne à propos de l'élargissement, dont la perspective provoque de plus en plus d'inquiétudes dans la population. Parallèlement, on observe dans certains journaux, à la CDU, au SPD ou chez M. Joschka Fischer, l'affirmation d'une volonté plus forte d'intégration. Ce rapprochement vers la position traditionnelle de la France ne pourrait-il pas être un atout dans le cadre de la Conférence intergouvernementale (CIG) ?

M. Valéry Giscard d'Estaing a d'abord exprimé le souhait que la politique française soit uniformisée entre les différentes branches de l'exécutif préalablement à la présidence française. En effet, le président de séance a un rôle déterminant dans le stade final d'une négociation, or c'est le Président de la République seul qui représente la France au Conseil européen.

Il a ensuite estimé que les propositions de la Commission européenne sur la réforme des institutions, ne sont pas satisfaisantes et font apparaître des risques de blocage. Sur la question clef de la composition de la Commission, cette dernière propose de maintenir à vingt le nombre de commissaires en supprimant le deuxième commissaire des grands pays et en libérant ainsi quatre postes pour les nouveaux membres. En fait, cela revient à s'éloigner d'une solution équilibrée qui consisterait à diminuer le nombre de commissaires au lieu de le consolider. L'on s'est engagé imprudemment au Conseil européen d'Helsinki en faveur de l'Europe élargie. Actuellement, la France pèse à peu près 15 à 16 % du système communautaire ; dans une Europe élargie, elle pèserait encore environ 13 %. Ces chiffres montrent que notre pays doit conserver plus de 10 % des droits de vote et qu'il n'y a aucune raison pour la France, et a fortiori pour l'Allemagne, de sacrifier leur second commissaire, sauf à réaliser une véritable réforme de la Commission en fixant à quinze, voire même douze ou treize le nombre des commissaires, ainsi que l'avaient proposé par le passé la France et d'autres Etats membres. La position française a consisté à lier le nombre de commissaires au nombre de fonctions réellement exercées par la Commission : cette position a t-elle évolué ? Ces propositions ne constituent pas une réforme, mais un trompe-l'_il, car l'égalité voudra que l'on accorde ensuite un commissaire à tous les nouveaux membres. Une négociation moderne devrait porter sur le principe de rotation pour l'attribution des postes de commissaires et sur l'équilibre géographique que l'on veut établir au sein de la commission : la France est-elle déterminée à susciter ce débat ?

En ce qui concerne la question de l'extension du vote à la majorité qualifiée, celle-ci était généralement demandée par les pro-européens, car elle permettait de passer outre aux réticences des petits pays et de lever les blocages. Mais dans une Europe élargie, le risque existe de voir se former des blocs hétéroclites de circonstance. Il est donc nécessaire de travailler sur une liste des domaines susceptibles de faire l'objet d'un vote à majorité qualifiée pour savoir si l'extension qui nous est proposée sera formelle ou non. Il convient de déterminer quelles sont les matières sensibles pour la France : ainsi, il est à craindre que notre pays soit toujours mis en minorité sur la PAC.

La pondération des voix au Conseil est telle qu'il faut actuellement 62 voix sur 82 pour adopter un texte à la majorité qualifiée ; certains envisagent de la remplacer par une majorité simple des populations, or comment faire admettre à un Etat opposé à une mesure une adoption à la simple majorité ? L'idée de prendre en compte une majorité fondée sur le critère démographique peut être retenue, mais il convient de préserver la notion de majorité qualifiée. Sur toutes ces questions, quel est le degré de détermination de la France à défendre ses positions ?

M. Jacques Myard s'est félicité des déclarations du Président Valéry Giscard d'Estaing, qu'il a rapprochées de celles défendues par les souverainistes. Il a estimé que l'élargissement de l'Union européenne se ferait ; dans le cas contraire, l'idée d'Europe serait niée. Or, l'extension du vote à majorité qualifiée, si elle était adoptée, pourrait se retourner contre les intérêts de la France, susceptible d'être mise en minorité sur tous les grands sujets, notamment la politique agricole commune.

Evoquant le rapport sur la politique européenne de sécurité commune (PESC) présenté par M. Alain Barrau à la Délégation pour l'Union européenne, il a estimé que les modalités de prise de décisions internationales définies par le Conseil étaient un méli-mélo abscons et inefficace. Il s'est demandé si les institutions et les procédures européennes étaient adaptées à la conduite d'une politique étrangère rapide et efficace.

Mme Monique Collange s'est interrogée sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne, alors que ce pays n'a pas progressé sur la voie de la démocratie et des droits de l'Homme. Ainsi, lorsque la Fédération des maires des cités unies de France avait tenté de rencontrer des maires kurdes en Turquie, l'un des organisateurs français de la mission avait été refoulé à l'aéroport et trois maires kurdes arrêtés.

Mme Odette Trupin a souhaité que, dans le cadre de l'élargissement de l'Union européenne, l'influence culturelle française dans les pays d'Europe centrale et orientale soit renforcée. Observant un véritable désir d'apprendre le français en Roumanie comme en Pologne et en Slovénie, elle s'est demandé si l'Union européenne ne représentait pas un moyen de relance de la francophonie.

M. Hubert Védrine a fait observer que l'Union européenne vivait un moment décisif, et que des décisions déterminantes pour l'avenir devront être prises dans les mois qui viennent.

S'agissant de l'élargissement, il faut rappeler qu'à la suite de la chute du mur de Berlin, les propositions les plus maximalistes ont été avancées. En 1992, lors du Conseil de Lisbonne, soit avant même l'entrée de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl s'étaient opposés sur la question de l'élargissement. Le Chancelier Kohl avait estimé que l'Union européenne ne devait pas se claquemurer dans sa richesse mais qu'elle devait au contraire s'élargir, avant même de réformer ses institutions. La pression fut très forte, le Chancelier Kohl ayant promis à la Pologne qu'elle entrerait dans l'Union européenne avant l'an 2000 et il avait pris des engagements similaires envers la Hongrie et la Tchécoslovaquie. De 1993 à 1999, aucun dirigeant européen - à l'exception des Français - ne s'est risqué à dire qu'élargissement et réforme des institutions devaient être menés de front. Les Etats-Unis poussaient à l'élargissement. Tous les pays candidats, comme certains Etats membres, évoquaient l'idée de fixer une date d'entrée, au risque de ne pas pouvoir négocier sérieusement. Le simple fait d'affirmer qu'il fallait réformer les institutions provoquait des incidents de séance, la France étant accusée de se protéger égoïstement.

Par rapport à cet état d'esprit, il a été difficile de progresser ; cependant, nous avons obtenu que la candidature des pays soit traitée au cas par cas. Mais, si la prochaine Conférence intergouvernementale connaît des blocages, certains pourraient faire valoir qu'il ne faut pas faire attendre les pays candidats, au motif que l'idée européenne y est de moins en moins populaire, et que les gouvernements qui effectuent des réformes sérieuses voient leur popularité se dégrader. On observe toutefois que le Chancelier Schroeder est moins pressé que le Chancelier Kohl ; son électorat est inquiet de la libre circulation des travailleurs des pays de l'Est et il en est de même en Autriche.

Il n'existe pas sur la réforme des institutions de différence d'approche entre le Président de la République et le Gouvernement. L'existence d'une conférence intergouvernementale chargée de trouver une solution aux « trois reliquats d'Amsterdam » est une chose positive mais cela n'exclut pas un éventuel blocage des négociations. Il ne faudra pas conclure à n'importe quel prix, que ce soit sur la taille et la structure de la Commission ou la repondération des voix. Cette dernière question est d'ailleurs la plus importante. La France ne se considère pas liée par les propositions de la Commission. Un accord final ne se fera que s'il préserve notre influence et accroît l'efficacité des institutions.

En ce qui concerne la PESC, il faut garder à l'esprit que l'Union n'a pas décidé de supprimer toute politique étrangère nationale mais bien d'organiser une partie commune entre ces différentes politiques. Chaque pays conserve le droit et le devoir d'animer une politique étrangère nationale avec énergie et détermination. Pour la partie commune, il importe que des mécanismes soient institués afin de renforcer la coordination.

Il existe, il est vrai, une forte attente d'une action culturelle française en Europe de l'Est et ce sujet mérite à lui seul, toute une audition.

Pour la Turquie, personne n'a cru, en acceptant la candidature de ce pays à l'Union, que le problème kurde serait réglé en deux mois. C'est un processus qui demande du temps. D'ailleurs, l'acceptation de candidature ne signifie pas l'ouverture des négociations. Les maires arrêtés ont été depuis lors libérés.

M. Jacques Myard a interrogé le Ministre sur le contenu du rapport interne des Nations Unies, concernant l'assassinat du Président du Rwanda, M. Habyarimana, rapport dont le contenu a été dévoilé par la presse canadienne.

M. Georges Hage a souhaité des informations sur la situation en Irak.

M. Hubert Védrine a répondu que l'hypothèse évoquée dans le rapport n'était pas nouvelle, et qu'elle l'avait déjà été en parallèle avec celle d'extrémistes hutus, plus généralement reprise par les médias. Par ailleurs, M. Kofi Annan a récemment indiqué au Ministre que la Commission Blix travaille actuellement sur le dossier irakien pour faire évoluer la situation.

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