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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 mars 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jean-Bernard Raimond, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Protocole de Kyoto - convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (no 2183) - rapport


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Protocole de Kyoto

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Marie-Hélène Aubert, le projet de loi autorisant l'approbation du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ensemble deux annexes) (n° 2183).

Mme Marie-Hélène Aubert, rapportrice, a exposé que les tempêtes sur la France, ainsi que d'autres catastrophes climatiques ont montré que le réchauffement de l'atmosphère n'étaient pas qu'une menace théorique. L'effet de serre est un phénomène naturel. Sans la présence des gaz à effet de serre, la température moyenne de la Terre serait de - 18°C. Or grâce au rayonnement qu'ils induisent, cette température moyenne est portée à + 15°C. Cet effet de serre est provoqué naturellement par la vapeur d'eau, les nuages, le dioxyde de carbone, le protoxyde d'azote et les chlorofluocarbones. Cependant il est accentué par les activités humaines. Or le réchauffement climatique a des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques : hausse du niveau des océans et du niveau moyen des températures bouleversant ainsi les écosystèmes et favorisant le développement des maladies tropicales, plus grande amplitude des cycles hydrologiques à l'origine d'accidents climatiques de moins en moins exceptionnels.

Il existe une présomption forte d'un lien entre l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique, fondée sur la logique et des constatations statistiques troublantes. Le respect du principe de précaution impose de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, ce qui aura un impact bénéfique pour la pollution locale.

Pour répondre à ce problème, la Communauté internationale a adopté le protocole de Kyoto qui constitue un progrès réel, même s'il est largement insuffisant. Il convient de souligner le passage de simples déclarations d'intention à de véritables objectifs chiffrés, avec un engagement de réduction globale de 5,2 % à l'horizon 2008-2012. Il s'agit d'un progrès, même si cet objectif est très peu ambitieux : pour stabiliser le réchauffement climatique, une baisse des émissions de 50 % serait nécessaire. Le protocole de Kyoto a un caractère relativement contraignant et normatif du fait de l'individualisation des engagements de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (-7 % pour les Etats-Unis, -8 % pour l'Union européenne...).

Dans la négociation de Kyoto, l'un des points de divergence entre les Etats-Unis et l'Union européenne, tenait aux moyens utilisables pour atteindre les objectifs chiffrés. Les Européens souhaitaient mettre l'accent sur la nécessité de mesures internes prises par chaque acteur pour réduire ses émissions, afin que celles-ci soient réelles et durables. Les Américains étaient favorables au commerce des droits à polluer. Comme souvent, la négociation a débouché sur un compromis, mais celui-ci est, dans le texte du protocole, à l'avantage des « politiques et mesures ».

Cependant, la négociation a débouché sur l'acceptation d'un marché de droits d'émission, alors que ce principe est choquant du point de vue éthique, puisqu'il entérine l'existence d'un droit de polluer. En théorie, les mécanismes de flexibilité comportent un certain nombre d'avantages : ils permettent une dépollution au moindre coût. Ils ont l'avantage d'introduire plus aisément le contrôle de la réalisation des objectifs. Ils révèlent les coûts réels de la dépollution alors que les capacités de maîtrise de l'énergie sont toujours sous-estimées par le marché.

Toutefois les modalités des mécanismes de flexibilité envisagées à Kyoto suscitent les plus vives réserves quant à leur généralisation. Les avantages théoriques de ces mécanismes ne peuvent être atteints que sous des hypothèses très précises qui ne sont pas respectées dans le protocole de Kyoto. Or l'allocation des droits d'émission attribués à chaque pays n'est pas le fruit d'une décision rationnelle mais d'un rapport de force ; ainsi les quotas des anciens pays communistes sont surévalués, ce qui fait craindre la vente de leur part « d'air chaud ». De plus, certains mécanismes nécessitent de procéder à une estimation d'émissions évitées, ce qui est particulièrement difficile. Entre pays du Nord et du Sud, ces mécanismes entraînent en outre le risque que les pays riches se contentent de payer pour éviter tout effort alors qu'ils sont les plus gros pollueurs. Les Européens avaient obtenu à Kyoto que ces mécanismes soient subsidiaires par rapport aux politiques et mesures qui sont la règle. Or, les Européens semblent modifier leur doctrine en la matière alors que se profile la conférence de La Haye.

En outre, de nombreuses questions restent en suspens, concernant le contrôle de la réalisation des objectifs, la place des pays du Sud, notamment de la Chine et de l'Inde, l'absence de prise en compte des émissions du secteur aérien...

La ratification du protocole de Kyoto ne doit être qu'une étape de la lutte contre l'effet de serre. Pays en avance dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la France se doit de montrer l'exemple dans cette voie. Elle a toujours privilégié des plans fondés sur des politiques et mesures volontaristes qui ne doivent pas être considérées comme des contraintes. Le Premier ministre a ainsi pu présenter en janvier dernier le « programme national de lutte contre le changement climatique ». Cette priorité accordée aux mesures nationales est un point très positif. Pour autant, il faudra aller plus loin, tout particulièrement dans la mobilisation et la sensibilisation des opinions publiques, et dans la promotions des énergies renouvelables.

La nécessité de contrôler l'évolution des négociations sur la mise en _uvre du protocole passe par un devoir de suivi du Parlement, souvent mal associé à ce type de négociations. La Commission des Affaires étrangères doit jouer un rôle dans la préparation de la Conférence des Parties de La Haye, par exemple par des auditions de nos négociateurs avant le début de la conférence.

Promouvoir un strict encadrement des mécanismes de flexibilité est une autre priorité dans la perspective de la Conférence de La Haye. L'instauration d'une surveillance des éventuels acquéreurs de permis d'émission est nécessaire, de même qu'une stricte vigilance du côté de l'offre de permis. Il faut insister sur la mise en place de contrôles et de sanctions efficaces.

Mme Marie-Hélène Aubert a conclu en approuvant la nécessité pour la France d'approuver au plus vite le protocole de Kyoto, surtout dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne, pendant laquelle se déroulera la Conférence de La Haye, dont les enjeux sont décisifs pour l'application réelle des engagements du protocole de Kyoto.

M. Jacques Myard a remercié Mme Marie-Hélène Aubert d'avoir exposé un sujet qu'elle connaissait bien, qu'elle a contribué à promouvoir et qui constitue un nouvel axe de développement du droit international justifié contrairement à certaines directives européennes inopérantes. Toutefois celle-ci semble avoir oublié dans son exposé que c'est grâce à la politique nucléaire menée par la France pendant plusieurs décennies et sous divers gouvernements que de bons résultats en matière de rejets polluants ont été obtenus.

M. Pierre Brana a expliqué que la politique d'économie d'énergie avait évolué dans le temps. Dans les années quatre vingts on craignait surtout l'épuisement des réserves énergétiques ; plus tard la pollution et le réchauffement de la planète ont été à l'origine de ces politiques. Selon lui la calorie qui ne pollue pas et qui ne participe pas à l'effet de serre est celle que l'on n'utilise pas. C'est pourquoi le développement des transports en commun notamment ferroviaires constitue une source considérable d'économie d'énergie.

S'il s'est déclaré favorable à l'adoption du protocole de Kyoto, il a regretté que les objectifs fixés aient été insuffisants, qu'aucun contrôle ni pénalité ne soit prévu et que le transport aérien ne soit pas intégré dans cet instrument. Or ce moyen de transport est celui qui dégage le plus de gaz polluant et contribue le plus à l'effet de serre.

Mme Odette Trupin a estimé que si l'on pouvait se féliciter du rôle pilote de la France dans l'élaboration du protocole de Kyoto l'autosatisfaction n'était pas de mise. Il est urgent d'agir car les scientifiques présument qu'un lien entre gaz polluant et effet de serre existe. Elle s'est inquiétée du faible nombre de signataires de conventions limitant l'effet de serre et du refus de la Chine et de l'Inde de les signer. Elle a jugé crucial pour l'avenir de la planète qu'un contrôle soit exercé et a demandé que la France exerce des pressions auprès des non signataires ou des pays qui souhaitent obtenir des permis de polluer.

Répondant à ces interventions, Mme Marie-Hélène Aubert a estimé que M. Myard avait raison de soulever la question du nucléaire. Ce type d'énergie émet peu de gaz à effet de serre, mais a d'autres inconvénients, notamment en raison de ses déchets. Il n'est pas souhaitable qu'elle soit favorisée dans le cadre du mécanisme de développement propre avec les pays du Sud. Dans le cas de la France, il est exact que le recours à l'énergie nucléaire a permis à la production d'électricité d'émettre peu de gaz à effet de serre, bien que la politique d'économies d'énergie soit aussi un facteur d'explication. Cela justifie que l'effort se concentre sur le secteur des transports.

Les économies d'énergie sont, selon elle, un gisement très important de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les gaspillages d'énergie sont considérables, le développement de la climatisation dans les automobiles en est un exemple. Malheureusement, la politique française d'économie d'énergie est devenue beaucoup moins ambitieuse alors que le coût du pétrole baissait après le contre-choc pétrolier de 1986. Un outil envisageable afin de prendre en compte cette question du coût est la taxation. Mais, une telle taxe n'a pas encore pu être mise au point au niveau européen : une taxe plus spécifique sur le kérosène a également échoué.

Répondant à Mme Trupin, Mme Marie-Hélène Aubert a souligné la lenteur de ce type de négociations, alors même qu'elles concernent un phénomène extrêmement préoccupant. Elle a redit que la France est l'un des rares pays à résister à la tentation et à facilité des permis négociables. Les propositions récentes de la Commission européenne montrent au contraire que celle-ci semble évoluer dans le mauvais sens. C'est pourquoi la pression des élus et des opinions publiques est indispensable pour que les gouvernements restent volontaristes.

Conformément aux conclusions de la Rapportrice, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2183).

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