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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 25 avril 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie,
   sur la politique de coopération


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Audition de M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie

La Commission a entendu M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, sur la politique de coopération.

Le Président François Loncle a souligné que cette réunion de la Commission des Affaires étrangères, exceptionnellement ouverte à la presse et aux représentants des organisations non gouvernementales (ONG), constitue la première d'une série qui devrait permettre d'aborder, de façon moins formaliste qu'en séance publique, les principaux thèmes de la politique étrangère de la France. La présente audition est consacrée à la politique de coopération et intervient à un moment particulièrement opportun : la réforme des services de coopération a fêté son premier anniversaire ; le Haut conseil de la coopération présidé par M. Jean-Louis Bianco a remis la semaine dernière son premier rapport public ; les ONG sont particulièrement mobilisées. Ces dernières seront du reste entendues par la Commission au cours d'une prochaine séance qui se tiendra avant l'été.

Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie, M. Charles Josselin a rappelé les trois phases du calendrier en cours, décidé en accord avec M. Hubert Védrine.

Une première phase a été celle des avis : celui du Comité d'aide au développement de l'OCDE, celui du Haut conseil de la coopération internationale et enfin, celui rédigé par certaines ONG regroupées au sein de Coordination SUD ; une deuxième phase est constituée par le présent débat ; une troisième phase sera celle des décisions arrêtées lors de la réunion du prochain Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), le 5 juin prochain. Il est évident que ce Comité prendra en compte les conclusions du débat de ce jour.

Deux ans après l'avoir annoncée, quinze mois après sa mise en _uvre et son rodage, la réforme atteint sa vitesse de croisière pour ce qui est du fonctionnement des mécanismes institutionnels. Le débat, particulièrement intense, se focalise sur quelques questions ; quels objectifs, quelles priorités et bien sûr quels moyens pour notre coopération ? C'est là l'essentiel.

Avant de préciser les objectifs de la coopération, M. Charles Josselin a rappelé quelques éléments du contexte international. Trois faits marquants confirment la portée politique de la réforme engagée.

Tout d'abord, la mondialisation s'impose à tous et exige de tous en contrepartie un effort de solidarité accrue pour éviter que la fracture Nord-Sud ne devienne insupportable. Si elle ne se réduit pas à la question du développement, notre diplomatie doit y accorder une part essentielle car l'inégalité dans le développement est la cause première des tensions. Cette fracture est insupportable pour les sociétés du sud dont les jeunesses vont ressentir plus gravement l'inégalité des chances. Elle deviendrait inévitable si les sociétés du nord, aux évolutions démographiques prévisibles -le vieillissement- ne savaient pas imaginer des dynamiques nouvelles pour assurer la nécessaire circulation des hommes, par des politiques de populations appropriées et le codéveloppement de sociétés encore trop inégales. Si le monde en développement conjugue l'espoir de réels progrès démocratiques -comme le montre la formidable victoire de la démocratie au Sénégal- il présente d'inquiétantes régressions : c'est le vertige devant une Afrique qui meurt du sida, les catastrophes humanitaires en Ethiopie qui se succèdent, les accidents climatiques qui provoquent des hécatombes et mettent en mouvement des milliers de réfugiés, etc.

Ensuite, les guerres de toute sorte, qui affectent en Afrique subsaharienne pas moins d'un pays sur trois, demeurent encore le premier obstacle au développement. La fin de la guerre froide n'a pas modifié cette donne : pour un pays pauvre, une année de conflit -interne ou externe- c'est au moins dix années perdues pour le développement.

Enfin, Seattle et plus récemment Washington, ont montré que la mondialisation et le développement ne sont plus des affaires réservées à la sphère technico-financière. La société civile y fait irruption de manière bruyante, souvent désordonnée, prenant le risque d'un rejet de mécanismes régulateurs au moment où ils sont devenus au contraire des plus nécessaires.

La réforme de notre coopération a une portée politique au c_ur de l'Etat : solidarité accrue, progrès de la démocratie et de la bonne gouvernance, progrès dans la paix, maîtrise de la mondialisation.

Par rapport à ces ambitions, quatre objectifs sont essentiels.

En premier lieu, la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales, devenue avec le Traité de Maastricht une obligation de la coopération européenne. La pauvreté est conçue par la France comme le résultat, non seulement d'une inégalité de revenus, mais aussi d'une inégalité plus choquante d'accès aux droits les plus élémentaires : la formation, la santé, la terre, l'information, le crédit, la justice, etc. Ce qui conduit à traiter le sous-développement autant dans sa dimension institutionnelle qu'économique.

Le second objectif est le développement durable. Il faut aller plus loin qu'une préoccupation environnementale aujourd'hui largement partagée. Pour chaque convention de l'après-Rio notamment -climat, biodiversité, désertification- la France fait pression pour passer des engagements généraux à des outils économiques et juridiques complets. Elle s'efforce de favoriser l'expression des pays en développement, sur ces dossiers qui les concernent autant que les pays du Nord. Cette politique se heurte, il faut le reconnaître, à la méfiance viscérale de la plupart des gouvernements des pays du Sud envers la fixation de normes contraignantes dans ce domaine, même si, en cette matière aussi, une certaine prise de conscience se fait jour.

En troisième lieu, la France _uvre en faveur du renforcement simultané -mieux, du partenariat- de l'Etat et de la société civile. L'un comme l'autre sont indispensables au développement, ce qui élargit la notion d'appui institutionnel à la diffusion des valeurs démocratiques et des supports de la citoyenneté, à la protection des droits de l'Homme, à la décentralisation et au développement local, à la valorisation de l'entreprenariat et au renforcement des capacités de gestion, etc. Mais cela signifie aussi qu'il faut savoir appuyer les Etats dans la maîtrise des fonctions régaliennes ; justice, police, finances publiques sont aussi indispensables au développement, y compris à la lutte contre la pauvreté.

Enfin, le quatrième objectif principal est la mise en place d'une régulation équilibrée d'un monde multipolaire. La communauté internationale doit concevoir des règles nouvelles à vocation universelle. De là, l'attention particulière de la France à défendre les préoccupations des pays du Sud dans les relations internationales, qu'elles concernent les préférences commerciales, la question de la dette, les flux financiers ou le jeu des conditionnalités de l'aide. Les accords UE/ACP en sont une illustration. De là aussi l'insistance pour que le FMI et la Banque Mondiale intègrent mieux les dimensions sociales du développement. Ce discours est enfin mieux entendu.

Le Ministre a ensuite présenté ses cinq priorités.

La première priorité concerne la couverture des besoins de base, santé et éducation. L'approche française est de plus en plus systémique. En matière de santé, elle concerne à la fois la santé primaire en vue d'améliorer la prévention ainsi que les conditions d'accès aux soins et la mise en _uvre de plateaux techniques performants. En matière scolaire, une part importante des moyens est consacrée à l'enseignement de base et singulièrement à la scolarisation des jeunes filles et en même temps le Gouvernement améliore l'offre française de formation des élites, afin que ces dernières aient moins tendance que dans un passé récent à se détourner de la France au profit d'autres pays développés.

Deuxième priorité : pour consolider l'Etat de droit et enraciner la démocratie, la France concentre ses efforts sur l'appui aux processus électoraux, à l'élaboration de cadres juridiques -y compris la remise en ordre des systèmes judiciaires-, et à la décentralisation. Tout cela vise à accroître le degré de légitimité et de compétence des institutions, et ainsi lutter contre la nature précaire du consensus sur lequel s'appuient trop de gouvernements. Pour renforcer la participation des populations dans le développement, un soutien est accordé aux organisations représentatives, associations de jeunes, groupements de femmes, coopératives de producteurs, comités de quartier,....

La troisième priorité relève de la promotion d'économies plus diversifiées et moins vulnérables. Pour relever le défi de leur mutation économique, les pays en développement doivent jouer principalement sur quatre variables : l'effort d'épargne intérieure, l'investissement public d'infrastructures, la progression du rôle du secteur privé et du développement rural. Le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de l'Economie et des Finances et l'Agence française de développement y contribuent, chacun dans son champ de compétences.

La quatrième priorité concerne la gestion rationnelle des ressources naturelles et l'aménagement des territoires. Favoriser la transition d'une exploitation des éco-systèmes à une gestion durable des ressources naturelles constitue un enjeu vital, afin de limiter les processus de dégradation de la qualité des sols et de l'eau, la perte de la biodiversité, le défrichement excessif des forêts ou l'épuisement des richesses halieutiques et en assurer leur pérennité.

Enfin, le cinquième axe prioritaire d'action concerne l'appui aux processus d'intégration et de coopération régionales. Aujourd'hui, la plupart des problèmes traités, notamment dans les domaines du développement économique et de l'environnement, demandent à être abordés dans le cadre d'espaces géographiques cohérents. Le dessin de la zone de solidarité prioritaire en tient compte. Notre appui est poursuivi dans les domaines où nous avons déjà consenti un gros effort, en Afrique notamment : convergence des politiques économiques au sein de la zone franc, réforme fiscalo-douanière, prévoyance sociale, assurances. Il importe d'ailleurs que cette approche régionale ne soit pas le seul fait des initiatives publiques. Notre coopération appuiera de plus en plus les réseaux régionaux de professionnels -qu'il s'agisse des syndicats agricoles ou des entreprises- et les organisations de type associatif.

Le Ministre a développé ensuite ce qu'il a qualifié de "l'un des points les plus délicats de la réforme" : les modes opératoires, c'est-à-dire la façon dont la coopération française s'inscrit justement dans ce jeu international, à commencer bien sûr, par le cadre européen.

Assurer l'efficacité de notre aide en la combinant avec celle des autres bailleurs de fonds, qu'ils soient d'ailleurs bilatéraux ou multilatéraux, fait déjà partie depuis longtemps des modes opérationnels de la coopération française. Le rapport Tavernier a montré que cette coordination devait prendre un tour beaucoup plus volontariste.

La réflexion mérite toutefois d'être approfondie comme le confirment les directives du Premier Ministre annoncées en février 1998. Le Ministre a déclaré partager le constat formulé par de nombreux observateurs, y compris par le commissaire Nielsen, sur la nécessité d'améliorer la coordination entre les concours du Fonds européen de développement et l'aide bilatérale. La non-consommation de neuf milliards d'euros sur les FED précédents est une aberration. L'Union européenne s'est engagée vis à vis des ACP à y remédier.

Mais le multilatéral ne se réduit pas à l'Europe. Notre diplomatie d'influence suppose, pour être efficace, que l'on dispose de bons relais dans les organisations internationales, qu'il s'agisse du système des Nations Unies ou du tandem FMI/Banque Mondiale. C'est une politique menée par nombre de nos partenaires. Force est de constater aujourd'hui que la France a perdu du terrain en ce qui concerne la présence du français et des Français dans ces institutions. La France ne doit pas viser seulement les postes à haute visibilité. C'est une priorité que de pourvoir les niveaux intermédiaires en favorisant les candidatures françaises dans les programmes de recrutement de la Banque Mondiale et d'autres institutions comparables. Avec l'appui de la Mission des fonctionnaires internationaux, M. Charles Josselin a déclaré se battre pour que cet objectif soit désormais poursuivi avec détermination.

Mais l'insertion de notre coopération dans le jeu mondial, c'est aussi notre capacité à utiliser au mieux d'autres effets de levier.

La France a contribué à la doctrine de l'annulation de la dette depuis les décisions prises à Dakar dès 1989. On peut mesurer le chemin parcouru depuis cette date. Aujourd'hui, la France s'est engagée à annuler à titre bilatéral la totalité de ses créances d'aide publique au développement et de ses créances commerciales éligibles au Club de Paris. Cet effort de près de huit milliards d'euros s'ajoutera aux vingt-trois milliards déjà annulés en dix ans. C'est considérable ! L'objectif est que cet allégement contribue à une réduction véritable et durable de la pauvreté.

Autre effet de levier, de loin le plus sensible, le plus compliqué à manier, celui de la conditionnalité de notre coopération au respect des droits de l'Homme. Cette question est une préoccupation constante du gouvernement. Les exemples récents du Niger, de la Guinée Bissao, des Comores et de la Côte d'Ivoire ont confirmé qu'il était possible d'accorder notre action et nos principes. Mais il est vrai que le ministère a engagé une réflexion délicate sur l'efficacité de la sanction que représente l'arrêt de la coopération, notamment dans ses effets sur les populations. Le Ministre s'est dit convaincu qu'il faut aller maintenant vers un système de sanctions graduées et adaptées qui sachent aussi épargner ces populations.

M. Charles Josselin a ensuite évoqué l'évolution du dispositif français de coopération.

Tout d'abord, il a rappelé que la mise en _uvre administrative de la réforme s'est faite sans heurt majeur, grâce à l'engagement de toutes les personnes concernées qui ont fait montre d'une attitude exemplaire. Les dernières questions de personnel sont en passe d'être réglées dans un très grand effort de concertation. Après les administrations centrales, l'esprit de la réforme doit maintenant souffler sur notre réseau extérieur y compris hors de la Zone de solidarité prioritaire.

Dans les formations supérieures, l'audiovisuel et les échanges culturels, priorités affichées dès juin 1997, beaucoup a été fait.

La promotion de notre enseignement supérieur à l'étranger supposait une nouvelle politique des visas, la relance de notre politique de bourses, un dispositif de promotion de notre offre de formation. Aujourd'hui, on constate une augmentation de 25 % des visas étudiants en deux ans ; dix-huit grands salons de promotion ont été organisés par l'Agence Edufrance ; le programme Eiffel de bourses d'excellence aura, quant à lui, permis d'accueillir, en deux exercices budgétaires, 750 nouveaux boursiers en France et il montera en puissance en 2001.

Dans l'audiovisuel extérieur, la France peut se prévaloir de trois résultats : avoir alimenté et fait avancer le débat sur la diversité culturelle dans toutes les instances appropriées, bilatérales et multilatérales ; avoir fait progresser de 20 % par an en moyenne les ventes de programmes français grâce à une politique incitative ; avoir constitué un pôle audiovisuel extérieur autour d'une TV5 rénovée grâce au "plan Stock".

Des efforts ont également été réalisés pour mieux adapter notre réseau extérieur. M. Jean Nemo vient de remettre son rapport sur la modernisation du régime des coopérants et assistants techniques. Les objectifs recherchés sont la constitution d'une expertise publique et privée de haut niveau, plus mobile dans le temps et l'espace, bref une expertise compétitive dans la concurrence actuelle, en particulier vis à vis des bailleurs de fonds. Le Ministre exposera l'architecture du dispositif retenu lors du prochain débat budgétaire, à l'automne.

En deuxième lieu, un "nouveau volontariat" a été créé. Un Centre d'information sur le Volontariat international est en train d'être créé au Ministère des Affaires étrangères et les premiers Volontaires seront recrutés avant la fin de l'année.

En troisième lieu, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, établissement public, gère 270 établissements et dispense son enseignement à 170.000 élèves français et étrangers. Elle a récemment élaboré un nouveau projet pédagogique mettant en valeur l'excellence, l'égalité des chances, l'insertion dans le milieu local. Le Ministère réfléchit aux possibilités d'évolution de l'architecture du réseau et se préoccupe de l'évolution du régime de rémunération des enseignants venant du Ministère de l'Education nationale, car il est marqué d'écarts de traitement injustifiés.

Enfin, M. Charles Josselin a abordé la question des moyens de son Ministère.

Le Comité d'aide au développement de l'OCDE a récemment procédé à un examen de la coopération française. En substance, le rapport du CAD prend acte des efforts accomplis pour mettre en _uvre les conclusions de son précédent rapport, et avance quatre recommandations : veiller à ne pas diminuer le volume de notre aide et, si possible, tenter de l'augmenter ; mieux concentrer notre aide sur la lutte contre la pauvreté et sur les pays les plus pauvres ; mieux utiliser les capacités de la société civile pour la mise en _uvre de notre aide ; mieux tirer parti de nos évaluations.

L'application de la première recommandation -maintenir et si possible augmenter le volume de notre aide- est aussi une préoccupation du Ministère. Les priorités nationales du budget de l'Etat doivent aussi trouver leur traduction dans leur dimension internationale. C'est vrai par exemple de la culture, de l'éducation, de la recherche, mais aussi de toute la sphère de la solidarité : il doit y avoir cohérence entre solidarité nationale à l'intérieur et aide au développement à l'extérieur.

La deuxième recommandation -mieux nous concentrer sur la lutte contre la pauvreté et sur les pays les plus pauvres- rejoint aussi les orientations récentes du gouvernement, de même que la troisième recommandation -mieux mobiliser la société civile-. M. Charles Josselin a tenu personnellement à créer au sein de la nouvelle direction générale une Mission pour la coopération non-gouvernementale, et à la placer directement auprès du directeur général. L'activité de cette mission, avec le soutien du Ministre, a contribué à relancer le dialogue avec la société civile, collectivités territoriales, syndicats et ONG. Ce dialogue a été ponctué au printemps 1999 par les Rencontres nationales tenues à l'Institut du Monde Arabe.

De nouvelles relations contractuelles sont en train de se nouer avec les grandes associations vouées à la coopération internationale. Le nombre de régions désireuses de coopérer dans le cadre des contrats de plan Etat-Région a spectaculairement augmenté : 17 contre 10 pour la précédente période. Enfin, l'entrée en activité du Haut conseil de la coopération internationale est venu couronner tous ces efforts.

En conclusion, M. Charles Josselin a souligné qu'après une année normale d'apprentissage, la réforme va développer toutes ses potentialités : un pilotage politique de la coopération à un niveau interministériel, sous la conduite du Premier Ministre ; un contrôle amélioré du Parlement ; une structuration du dialogue avec la société civile, grâce à la mise en place du Haut conseil de la coopération internationale, venant s'ajouter aux instances déjà existantes ; un Ministère des Affaires étrangères enfin doté pour sa politique de coopération d'une compétence à la fois mondiale et globale.

Désormais, gouvernement, parlementaires et élus locaux et territoriaux, acteurs de la société civile, y compris les migrants, pourront ensemble donner à la coopération l'élan qu'appelle un monde trop inégal mais que tous leurs efforts tendent à rendre plus solidaire.

Le Président François Loncle a remercié le Ministre pour son discours particulièrement dense qui suscitera certainement un débat très intéressant, avant de donner la parole à M. Jean-Louis Bianco, président du Haut conseil de la coopération internationale depuis la création de celui-ci le 26 novembre 1999.

M. Jean-Louis Bianco a remercié le Ministre d'avoir accepté ce débat attendu depuis longtemps, dont on espère qu'il sera suivi d'autres occasions d'apprécier ensemble ce qui va bien et ce qui va moins bien dans l'aide au développement.

Il a d'abord constaté que, pendant des dizaines d'années, des sommes considérables ont été consacrées à l'aide au développement, des annulations de dette ont été consenties, le commerce international et les flux d'investissements privés se sont accrus ; et pourtant, dans la quasi totalité de l'Afrique, le développement n'a pas eu lieu. Au niveau de la planète entière, 1,3 milliard d'êtres humains, soit un cinquième de la population mondiale, vivent dans un état d'extrême pauvreté. Trois raisons expliquent cet échec, qui constituent des fautes majeures : la mondialisation qui produit toujours plus d'inégalités ; les effets déstabilisants, voire dramatiques, des politiques d'ajustement structurel conduites sous la direction du FMI ; le caractère mal ajusté, mal coordonné et peu efficace des politiques internationales de coopération.

Le Haut conseil de la coopération internationale, qui se veut une voix forte de la société civile, a rendu le 18 avril dernier son avis au Premier Ministre. Quatre priorités y sont énoncées :

- démocratiser la coopération en permettant le contrôle du Parlement, y compris -M. Bianco l'a souligné à titre personnel- sur la coopération militaire, et l'association des représentants de la société civile ;

- favoriser, au sein de la zone de solidarité prioritaire, les pays qui respectent les droits de l'Homme : l'aide doit être conditionnée dans un cadre négocié qui pourrait être les « contrats de développement », avec une évaluation en cours de route pouvant déboucher sur des sanctions ;

- renforcer le rôle et les moyens des acteurs non gouvernementaux français, car ils sont plus près du terrain et plus efficaces en ce qui concerne le développement de base ;

- mettre fin à l'érosion de l'aide française, qui a diminué d'un tiers en quatre ans et respecter l'engagement de la France de la porter à 0,7 % du PNB, non compris les territoires d'Outre-mer.

M. Jean-Louis Bianco a estimé qu'en ce moment où l'idée de régulation du système mondial perce et où la société civile se mobilise, la remise en cause des orientations du FMI ne doit pas demeurer purement verbale. Les idées que défend la France depuis longtemps peuvent aujourd'hui gagner, à condition que notre pays sache être présent, afficher ses priorités et les traduire en actes.

M. Jacques Godfrain a observé que ce débat n'ouvre pas une ère nouvelle, soulignant que l'on relève de nombreux éléments positifs dans l'action passée de la France tels que l'aménagement du territoire africain et l'amélioration qualitative et nutritionnelle des productions agricoles grâce à la coopération dans le domaine rural, les progrès de l'Etat de droit (celui-ci s'apprécie aussi à l'existence de règles juridiques et judiciaires régulant les rapports des particuliers ou des sociétés, ou encore au bon déroulement de petites élections locales, moins médiatisées que telle grande élection nationale).

Il a ensuite proposé quelques « pistes » pour poursuivre l'aide au développement. Les ONG devraient être davantage associées à la définition de cette politique, dans le cadre de commissions mixtes, par exemple, et le conseil d'administration chargé de réguler le FAC doit s'ouvrir à ces organisations. Il faut améliorer la relation entre acteurs africains et collectivités locales françaises impliquées dans une coopération décentralisée. Il faut également assurer la transparence des opérations (qui permettra l'évaluation), être attentif aux liens entre coopération et diplomatie, s'assurer que chaque Etat aidé se sent traité comme les autres, être crédible en ce qui concerne la lutte contre la corruption, ou encore appliquer en France les solutions que l'on préconise, comme la diminution de la part du secteur public dans l'économie. Enfin, le drapeau français doit s'imposer davantage, sachant que la France contribue pour un quart au budget consacré au développement par l'Union européenne.

M. Yves Tavernier a adressé deux interrogations au Ministre : la France a-t-elle une politique de coopération clairement définie et cohérente ? Sommes nous satisfaits de notre action dans le cadre de la coopération multilatérale ?

M. Yves Tavernier a rappelé que l'effort de la France en faveur du développement est très important. Notre pays se classe au troisième rang des 22 pays membres du Comité d'aide au développement, au premier rang des pays du G 7 en pourcentage du PNB, au premier rang des contributeurs du FED. Malgré un déclin de l'aide de 40 % en quatre ans, notre pays reste parmi les premiers contributeurs mondiaux, aussi est-il regrettable que ce fait soit peu connu. La première que constitue ce débat a été longtemps attendue, mais la coopération internationale doit devenir un enjeu citoyen, comme elle l'est déjà dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne. Si cette coopération est fortement marquée par notre histoire, le concept d'aide au développement doit être aujourd'hui actualisé et approfondi. Or l'on peut douter du fait que nous disposons des instruments intellectuels et administratifs de conduire cette réflexion et de produire une politique cohérente et efficace.

L'action de l'Etat dans le domaine de la coopération est éclatée entre plusieurs ministères et le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), censé effectuer la coordination et exprimer la volonté politique, ne s'est réuni qu'une seule fois en dix-huit mois. Ce comité, qui n'est aujourd'hui qu'une chambre d'enregistrement, doit se réunir tous les trimestres et devenir une instance de discussion et de préparation des décisions. Malgré l'excellente réforme de 1998, il reste encore bien des progrès à accomplir pour être à la hauteur des enjeux et justifier l'effort demandé aux contribuables français. Enfin, l'ensemble des dépenses concourant à la coopération doit être présenté de manière homogène et cohérente, ce qui serait un progrès démocratique et permettrait au Parlement de jouer son rôle.

La deuxième interrogation concerne les relations entre aide bilatérale et aide multilatérale. M. Yves Tavernier a constaté que, alors que l'aide est apportée à 75 % par l'Union européenne et le canal bilatéral, c'est la Banque Mondiale et les autres institutions de Bretton Woods qui décident où et comment l'argent doit être dépensé. Or la pensée ultra libérale qui inspire ces institutions a conduit à un échec dramatique, qui se traduit par l'aggravation de la situation dans les pays les plus pauvres. Dans ce contexte, la France, s'appuyant sur son modèle d'organisation de la vie économique et sociale, doit défendre le rôle essentiel de l'Etat pour imposer des politiques sociales de répartition et de distribution. Notre approche de l'articulation entre secteur public et privé permettrait de contrer le dogme de la réduction des dépenses publiques, qui a pour effet d'empêcher les pays d'Afrique sub-saharienne d'embaucher instituteurs, infirmières ou administrateurs locaux. La voix de la France, 4ème actionnaire des institutions financières internationales, et la voix de l'Europe doivent absolument se faire entendre face à la pensée unique.

Dans la perspective de la Présidence française, M. Yves Tavernier a présenté les principes d'action suivants : s'exprimer plus fermement sur l'ajustement structurel, annuler la dette des pays les plus pauvres, privilégier l'éducation de base, la formation, la santé notamment, s'interroger sur les raisons pour lesquelles dix milliards d'euros n'ont pas été décaissés sur les fonds européens de développement antérieurs au 8ème FED de 1998.

M. Pierre Lequiller s'est déclaré en accord avec M. Charles Josselin sur les exigences de conditionnalité de notre aide qui s'appliquent non seulement aux processus électoraux mais au fonctionnement de l'administration dans son ensemble. Il a rappelé qu'il avait rédigé en 1996 un rapport sur l'enseignement du français à l'étranger dans lequel il concluait à une nécessaire diversification de cet enseignement. Qu'en est-il devenu depuis lors ?

M. Pierre Brana s'est d'abord déclaré d'accord avec un certain nombre de points traités notamment par MM. Jean-Louis Bianco et Yves Tavernier. Tout en demandant des réunions plus fréquentes du CICID -qui ne s'est réuni qu'une seule fois- et un meilleur contrôle parlementaire, il s'est félicité de la création du Haut conseil de la coopération qui intègre très justement la société civile. Mais d'autres améliorations sont encore possibles. Une résolution du Parlement européen en date du 15 janvier 1999 a proposé la création d'un label social européen et d'un observatoire chargé de sa mise en _uvre. De même, la reconnaissance d'une responsabilité pénale des personnes morales devrait permettre de poursuivre éventuellement les multinationales à l'origine de violations des droits de l'Homme.

M. Pierre Brana a jugé que la réforme de la coopération avait clarifié les responsabilités au sein du Ministère des Affaires étrangères mais qu'il demeurait un manque de lisibilité dans la répartition des tâches entre le Quai d'Orsay et Bercy auquel il faut remédier. Il a dénoncé le manque de transparence et les incohérences en matière d'aides et de garanties publiques à des projets d'exploitations d'hydrocarbures, le peu de cas des règles de conditionnalité et leurs insuffisances également En témoignent les exemples de Elf dans le gazoduc Tchad-Cameroun ou de Total en Birmanie cités dans son rapport sur "Pétrole et éthique". Quelles leçons tire le Gouvernement de ces remarques et propositions ? Que s'est-il passé au Tchad où le Chef de l'Etat tchadien a exigé le changement de notre Ambassadeur ? Est-ce suite au désengagement d'Elf ? M. Brana a estimé que l'Agence française de développement ne pouvait continuer à participer au financement des projets pétroliers dans des Etats qui utilisent ces revenus pour acheter des armes, qui les gèrent de façon opaque sans les budgétiser ou qui gagent la production à venir pour obtenir des prêts.

Constatant que l'aide publique au développement n'en finit pas de se restreindre, M. Brana s'est demandé si l'objectif d'atteindre les 0,7 % de notre PIB -promis en 1992- était toujours d'actualité. Il s'est étonné de trouver la Côte d'Ivoire et le Cameroun, bien connus pour leur corruption, dans les dix premiers pays bénéficiaires de l'aide bilatérale française. Il a souligné que le Gabon, un des pays d'Afrique les plus riches, recevait plus d'aide que le Mali ou le Burkina-Faso qui appartiennent au groupe des pays les moins avancés.

M. Pierre Brana a souhaité que les moyens gradués et persuasifs mis en _uvre en cas de violation des droits de l'homme ne pénalisent pas les populations et concernent d'abord, par exemple, le gel des avoirs des dirigeants. Il s'est interrogé sur ce que comptait faire la France face aux événements du Zimbabwe, un des pays de ZSP, et plus généralement en matière d'aide à l'établissement d'institutions démocratiques dans des Etats en cours de constitution, comme le Timor oriental où d'ailleurs une aide bilatérale serait la bienvenue.

Il a estimé que le retour sur investissements qui bénéficie à des entreprises françaises doit être débattu dans la transparence. Il pense qu'un effort doit être fait pour mieux expliquer la politique géostratégique, les intérêts et les valeurs à défendre de notre pays. De même, il préconise une écoute plus en amont des demandes et des attentes des pays bénéficiaires et pas seulement des gouvernements.

Enfin, il a estimé qu'il serait bon qu'il y ait de temps en temps un débat parlementaire avant les grands rendez-vous des institutions internationales : FMI, Banque Mondiale. Cela contribuerait à améliorer leur transparence et à peser sur leurs choix.

M. Georges Sarre, après avoir félicité le Président François Loncle pour l'organisation de ce débat, a souligné que l'Afrique n'est pas prête à affronter le défi de la mondialisation et qu'elle ne peut s'intégrer au marché mondial sans un traitement spécial et un soutien financier conséquent. Un récent rapport du PNUD a d'ailleurs constaté que la mondialisation a creusé l'écart entre pays riches et pauvres, et que ses bienfaits devaient être partagés. Notre pays doit être un appui aux pays pauvres : il faut inciter à la réforme de l'OMC, faire valoir notre point de vue selon lequel l'ajustement structurel n'est pas une politique de développement, et ainsi contribuer à éradiquer le dangereux consensus de Washington dont Bercy fait parfois son livre de chevet.

Alors que l'Europe doit aider d'autres régions, tels l'Europe centrale et orientale et le Kosovo, la France ne doit pas abandonner l'Afrique. Elle doit surtout renforcer l'efficacité de son aide et promouvoir une stratégie de développement : améliorer la gouvernance, s'attaquer à la corruption, aider certains pays à se doter d'un Etat . Enfin, l'aide devrait être orientée vers les pays les plus pauvres : comment expliquer que l'aide par habitant soit de 328 F au Gabon, pays pétrolier, alors qu'elle n'est que de 40 F au Burkina-Faso ?

La spécificité de notre politique d'aide et de coopération doit être préservée, alors qu'elle a tendance à se diluer de plus en plus dans le « pot commun » de l'aide européenne. Par ailleurs, le Gouvernement doit montrer une grande vigilance en ce qui concerne la gestion de la politique étrangère et de sécurité commune, et y faire jouer le principe de subsidiarité. M. Georges Sarre a enfin demandé au Ministre quels sont les objectifs de la France en Afrique et de quels moyens dispose cette politique.

M. Jacques Myard a estimé que le talent et l'enthousiasme de M. Charles Josselin ne pouvaient pallier la diminution des moyens financiers. La chute de l'aide publique au développement de 0,57 % à 0,33 % est d'autant moins admissible qu'elle coexiste avec l'accroissement des déséquilibres démographiques. Or en dépit de cette régression dramatique, le ministre croit bon de continuer à diluer notre action alors même que nos concurrents savent mieux jouer le multilatéral. Il est nécessaire que la France reprenne sa marge de man_uvre et affirme haut et fort sa spécificité.

M. Maurice Adevah-Poeuf a regretté l'inutilisation d'un montant important des fonds du FED, mais a rappelé néanmoins que le taux d'engagement français des crédits de la coopération n'échappe pas toujours à la critique. Des progrès restent à faire pour une meilleure mise en _uvre des opérations. Il a salué la réforme conduite par le Ministre délégué, soulignant qu'après un an seulement, il est encore tôt pour porter un jugement d'ensemble de cette réforme qui portera certainement ses fruits.

Constatant que la présence des ONG dans l'action en faveur du développement est plus restreinte en France, il s'est demandé comment privilégier la proximité du terrain et le savoir-faire, plutôt que les aspects diplomatiques ou financiers qui ont tendance à prendre le dessus : il a constaté que, sans entrer dans le vieux débat de la nature de l'opérateur, beaucoup d'opérations pouvaient être déléguées, et que l'on a intérêt à le faire rapidement. Il a souhaité que le CICID se réunisse rapidement, et transmette au Premier ministre et au Ministre des Affaires étrangères ses propositions, afin que ces derniers puissent donner aux différents services des instructions cohérentes.

M. Maurice Adevah-Poeuf a dénoncé le fait que, après trente années d'aide massive, le Gabon soit plus endetté, que son économie soit en plus mauvais état et que sa population soit plus misérable, alors que ce pays a la chance de disposer de ressources pétrolières. Il a considéré que l'on ne devait plus accepter de cautionner des positions diplomatiques peu exigeantes, au motif que l'on a des relations dans tel ou tel pays . Le respect des droits de l'Homme est aussi un critère très important, car les Etats qui respectent le moins ces droits sont souvent les plus corrompus. Enfin, il faut rééquilibrer l'aide au profit des pays qui en ont le plus besoin et de ceux qui accomplissent les efforts que nous leur conseillons depuis longtemps et qui n'en sont pas toujours récompensés.

Mme Marie-Hélène Aubert a tout d'abord regretté que ce débat ne se tienne pas dans l'hémicycle. L'aide au développement joue de plus en plus le rôle d'un sparadrap face aux dysfonctionnements occasionnés par le système économique. Depuis peu, tant l'OMC que le FMI ou la Banque Mondiale sont de plus en plus contestés. Le dialogue qui s'installe entre ces institutions et les ONG laisse de côté les Etats, gouvernements et parlements confondus. Les institutions internationales ne doivent pas servir de boucs émissaires : elles sont l'émanation de la communauté internationale ; leurs erreurs sont d'abord les nôtres.

Quatre correctifs devraient donc être apportés à la politique de coopération. Il serait nécessaire tout d'abord de promouvoir une évaluation de la politique de coopération, une évaluation qui serait à la fois quantitative et qualitative. Un tel document n'existe pas aujourd'hui. En deuxième lieu, il conviendrait de s'interroger sur l'application de ce qu'on appelle une politique en faveur du développement durable. L'AFD accorde ainsi des aides à des entreprises qui ne respectent pas les obligations en matière sociale et environnementale, comme certaines entreprises forestières dans le bassin du Congo. Il faudrait ensuite améliorer la transparence en matière de coopération militaire, que ce soit sur les coûts ou sur sa nature. Enfin, il serait nécessaire que tous les projets soutenus par la Coface -dont la liste n'est pas disponible pour les parlementaires- soient respectueux des normes sociales et environnementales.

M. Alain Barrau a constaté que, après les événements de Seattle et de Washington, l'on entre dans une nouvelle phase dans laquelle il sera possible d'aborder même les sujets délicats dans le domaine des Affaires étrangères, de la Coopération et aussi de la Défense. Le dialogue entre les Gouvernements, les Parlements et la société civile doit avoir lieu : à défaut, il aura lieu entre les organisations internationales et les ONG uniquement. Il a proposé que, dès le début de la Présidence française, le Gouvernement convoque le Conseil chargé de l'aide au développement afin d'étudier comment les crédits non consommés du FED pourraient être utilisés. Remarquant que personne n'est intervenu dans le débat pour défendre la cause du libéralisme, il a souhaité que la France soutienne au sein de l'Union européenne l'importance pour certains pays d'instaurer ou de parfaire l'organisation de l'Etat sous ses différents aspects : police, justice, santé publique, éducation. La présence de ces éléments peut constituer un critère. En conclusion, M. Alain Barrau a approuvé l'idée de promouvoir le rôle du CICID, mais a insisté sur la nécessité d'unifier la politique de coopération internationale sous la responsabilité d'un ministre qui la définit, et non de plusieurs ministères ou directions parmi lesquels le Trésor qui a sa propre politique étrangère autonome.

M. Gérard Charasse a rappelé certains problèmes posés par la coopération décentralisée : les difficultés rencontrées sur le terrain et la concentration de nos actions sur les pays de la ZSP. Il a demandé s'il était possible d'améliorer la formation des acteurs du développement et de développer des outils en dehors de la ZSP.

M. Yves Dauge a estimé que si la réforme de la coopération n'était pas contestée dans ses principes, elle n'en était pas pour autant comprise dans ses modalités. Il n'existe pas de bonne réforme sans effort d'explication. Réformer l'Etat n'est pas le détruire : mais il faut convaincre de la cohérence du nouveau système, en travaillant dans la durée. Il est nécessaire de recenser les outils de la coopération et favoriser le niveau opérationnel, comme l'AFD. Une attention particulière doit être portée à l'exploitation des ressources naturelles et l'aménagement du territoire.

M. Kofi Yamgnane a observé qu'après quarante années d'indépendance, on parle encore de la lutte contre la pauvreté, de l'apprentissage de la démocratie et de l'établissement de l'Etat de droit. Il a estimé que les priorités de l'action devaient concerner l'école et l'éducation de façon plus large, la santé mais aussi l'énergie sans laquelle le développement ne peut se produire. La coopération décentralisée s'est imposée depuis quelques années comme l'un des meilleurs cadres d'intervention de l'aide, avec l'avantage d'une action pédagogique pour les citoyens. Il conviendrait de mieux accompagner la volonté des collectivités locales et des ONG de s'engager à travailler dans les pays du Sud, en les encourageant par exemple à travailler en réseau, particulièrement dans le sens Nord-Nord et Sud-Sud, pour gagner en cohérence et mieux se coordonner et échanger l'information. L'on pourrait aussi utiliser le réseau que représentent les immigrés qui vivent en France, et qui restent en relation permanente avec leur pays d'origine.

Mme Odette Trupin a fait remarquer que l'opinion publique française n'était pas convaincue de l'utilité de l'aide au développement et qu'il serait nécessaire de l'informer davantage. Elle a souligné l'importance pour la francophonie d'apparaître aussi comme une valeur de développement à travers l'éducation de base, la formation professionnelle et l'aide aux médias.

Le Président François Loncle a conclu les interventions en soulignant la richesse du débat et la franchise des interventions.

Dans ses réponses aux intervenants le ministre M. Charles Josselin a notamment indiqué :

- la présence de nombreux parlementaires et la qualité des interventions témoignent aux yeux des ONG présentes, l'importance qu'attache à leur travail la représentation nationale ;

- l'ensemble des interventions traduit un consensus sur l'importance d'une régulation publique de la coopération, qui est l'expression de notre tradition de service public. Le rôle des Etats est essentiel et la société civile, même bien organisée au sein de réseaux d'ONG, ne doit pas se substituer aux Etats. La société civile participe cependant à la définition des grandes orientations notamment par sa présence dans les commissions mixtes quinquennales. C'est en outre à elle qu'incombe souvent le suivi et la mise en _uvre des décisions prises.

- les organisations internationales doivent avoir à l'esprit la phrase de Lacordaire : "Dans le rapport du fort au faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère". Il est nécessaire de prévoir un traitement discriminatoire en faveur des pays en voie de développement et c'est ce que nous avons obtenu dans la renégociation de la Convention de Lomé par la mise en _uvre de mesures en faveur de l'intégration régionale. Nous devons faire valoir notre point de vue dans l'aide multilatérale puisque nous avons accepté de continuer à financer le F.E.D. à hauteur de 24,3 % et que l'Union européenne représente la plus forte contribution à l'aide publique au développement. Il est nécessaire -et ce sera un objectif de la Présidence française- que de nouvelles procédures et de nouveaux modes opératoires soient adoptés pour la gestion des crédits afin d'éviter le renouvellement de la situation actuelle où 9,8 milliards d'euros de crédits n'ont pas été utilisés.

- Sur la conditionnalité de l'aide, il est heureux que le Haut Conseil ait évité d'élaborer une liste noire des pays où les droits de l'Homme sont mal respectés. Sur ce point, il convient d'apprécier l'évolution de la situation tout autant que la situation elle-même. La France s'attache au respect des principes démocratiques et ce sera, de nouveau le cas, au Forum de Bamako à l'automne. Dans les discussions avec les autorités locales, il nous arrive d'aller au conflit avec nos interlocuteurs. Quoi qu'il en soit, c'est une préoccupation constante que de leur rappeler notre attachement à la promotion des droits de l'Homme.

- S'agissant de la réforme de la coopération, il faut "fidéliser" les acteurs, quel que soit leur statut, par le biais de contrats de longue durée. L'insécurité est source de démotivation. Nous devons aussi être vigilants car on risquerait de démotiver les administrations locales à trop recourir aux ONG. Mais la mobilité constitue aussi un progrès important quand on constate que les mêmes équipes peuvent par exemple travailler successivement au Kosovo, au Mozambique ou au Venezuela.

- S'agissant de l'aide publique au développement, elle est revenue de 47 milliards en 1994 -année du pic en raison de la dévaluation du Franc CFA- à 33 milliards en 1998 ; on est maintenant à 32 milliards environ. L'aide a donc baissé de 28 % et non de 40 %. Une partie est due à l'amélioration de la situation des pays aidés ; mais la diminution de l'assistance technique y est pour beaucoup. Il faut cependant être vigilant ; dans certains pays lorsque les assistants techniques s'en vont, il n'y a aucun personnel local pour les remplacer ; le simple maintien d'un agent technique dans un établissement scolaire peut suffire à assurer son bon fonctionnement.

- S'agissant des normes sociales et environnementales, il est souvent difficile de faire partager nos préoccupations à des autorités locales qui nous disent que ces normes -si elles avaient existé- nous auraient empêché de nous développer, nous même.

- Il est vrai que certains pays paraissent plus aidés que d'autres ; ce sont souvent ceux qui ont atteint un niveau leur permettant de présenter des projets cohérents qui obtiennent le plus de financements. Par ailleurs, il faut tenir compte de la population aidée mais aussi de la taille du pays : le Gabon, par exemple, bénéficie d'une aide plus importante rendue nécessaire par la contrainte d'équiper un territoire immense.

Le Président François Loncle a conclu en soulignant la qualité du débat et en remerciant le ministre pour les réponses complémentaires qu'il apportera par écrit aux différents intervenants.

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