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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Conventions judiciaire et d'extradition avec l'Uruguay (n° 2171 et 2172) - rapport


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- Convention d'adoption avec le Vietnam (n° 2358) - rapport


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Le Président François Loncle a donné des informations sur l'ordre du jour prévisionnel de la Commission.

Conventions judiciaire et d'extradition avec l'Uruguay

La Commission a poursuivi, sur le rapport de Mme Martine Aurillac, l'examen du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay, signée à Paris le 5 novembre 1996 (n° 2171) et du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay, signée à Paris le 5 novembre 1996 (n° 2172).

Le Président François Loncle a rappelé que la Commission des Affaires étrangères avait interrompu le 22 mars dernier l'examen du rapport concernant ces conventions en raison de l'insuffisance des explications du ministère des Affaires étrangères qui depuis a répondu à la lettre qui lui avait été adressée.

Mme Martine Aurillac a rappelé que la Commission des Affaires étrangères avait commencé à examiner les conventions d'entraide judiciaire et d'extradition avec l'Uruguay dans sa séance du 22 mars 2000. De facture classique, la convention d'entraide judiciaire n'avait posé aucun problème. Par contre, la convention d'extradition avait attiré notre attention en raison de son article 6 qui introduisait pour les signataires une simple faculté de refuser l'extradition de ses ressortissants, alors que la loi de 1927 sur l'extradition et la pratique constante de la France interdisent toute extradition de nos nationaux. Certes, la France a signé quelques conventions, et notamment la convention européenne d'extradition de 1957, ne prévoyant qu'une simple faculté de refuser l'extradition. Mais, cela concerne des pays où la démocratie et l'Etat de droit sont durablement implantés, alors que l'Uruguay est encore une jeune démocratie. Notre commission s'était donc étonnée d'un tel changement de doctrine au détour de cette convention et avait reporté sa décision dans l'attente d'explications en provenance du ministère des affaires étrangères.

Mme Martine Aurillac a alors fait lecture d'un courrier de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, expliquant les raisons de la rédaction choisie pour l'article 6 de la convention. Celui-ci serait le fruit d'un compromis suite à la volonté exprimée par la Partie uruguayenne d'exclure tout refus d'extradition fondée sur une raison de nationalité. Mais le Ministre a assuré que cette convention ne signifiait en aucun cas un changement dans la doctrine traditionnelle de la France. Même si ces explications ne sont pas très convaincantes d'un point de vue juridique, Mme Martine Aurillac a proposé de prendre acte des assurances fournies par le Ministre et d'adopter les deux projets de loi.

M. Roland Blum a souligné que ces problèmes relatifs à l'extradition prennent une dimension particulière dans le cadre européen, comme le montre l'affaire Rezala. Il serait souhaitable d'engager une réflexion sur ce sujet au niveau européen ; la Commission des Affaires étrangères devrait être présente dans ce débat.

M. François Loncle a considéré qu'une telle réflexion était nécessaire et qu'elle allait dans le sens de ce qui avait été annoncé à l'Assemblée nationale mardi 9 mai par le Premier ministre et par la Ministre de la justice, à propos des priorités de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2000.

Mme Bernadette Isaac-Sibille s'est inquiétée de l'apparition de nouveaux problèmes dans des conventions d'extradition signées avec des pays comme l'Uruguay, alors même que les pays de l'Union européenne ne sont pas encore en mesure de résoudre tous les problèmes existant entre eux sur ce sujet.

Mme Martine Aurillac a répondu que cela expliquait les réserves émises par la Commission le 22 mars dernier. Elle a précisé qu'une nouvelle convention européenne d'extradition était en cours de négociation. Celle-ci prévoit l'impossibilité de refuser l'extradition de ses propres ressortissants. Or, il faut souligner que la France refuse cette disposition et bloque en conséquence la conclusion de ces négociations.

M. Guy Lengagne s'est félicité du travail accompli par le Rapporteur et a relevé, comme elle, l'existence d'une brèche sur les modalités de l'extradition des nationaux avec l'Uruguay. Il s'est demandé pourquoi le choix s'était porté sur un pays qui n'avait pas toujours été démocratique pour modifier ces modalités. Il a suggéré qu'une question soit posée sur ce point au Ministre des Affaires étrangères lors d'une prochaine audition afin de clarifier ce problème.

Mme Martine Aurillac a reconnu que la convention ouvre une brèche qui mérite un débat plus large, les explications du ministère des Affaires étrangères ne sont pas tout à fait satisfaisantes. Il a été difficile de retrouver les négociateurs de la convention qui auraient vu un avantage à ce que la France puisse juger des Uruguayens extradés par l'Uruguay.

Le Président François Loncle a fait valoir que l'interruption en commission du débat sur cette convention a été positive. Il a retenu la suggestion de M. Guy Lengagne de questionner le Ministre des Affaires étrangères sur les questions d'extradition et plus généralement a souhaité que la Commission s'informe davantage sur les problèmes qui se posent au sein de l'espace européen et avec les Etats tiers.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 2171 et 2172).

Convention d'adoption avec le Vietnam

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille, le projet de loi, autorisant la ratification de la Convention relative à la coopération en matière d'adoption d'enfants entre la République française et la République socialiste du Vietnam (n° 2358).

Mme Bernadette Isaac-Sibille a souligné l'importance du sujet examiné ce jour par la Commission. Suite à l'arrêt des adoptions avec le Vietnam, des négociations ont été entamées très rapidement pour mettre en place une convention bilatérale. M. Jack Lang, président de la Commission, avait alors accepté que Mme Isaac-Sibille participe à ces négociations, ce qui avait été jugé inopportun par le ministère des Affaires étrangères. En conséquence, le rôle de la Commission des Affaires étrangères se limite à accepter ou refuser la ratification, alors qu'il aurait été souhaitable de pouvoir faire certaines observations en amont.

La rapidité du processus visant à permettre l'entrée en vigueur de cet accord peut étonner : à peine un an devrait séparer le début des négociations de la ratification. Elle indique en fait l'urgence de ce texte dont les conséquences seront des plus concrètes.

La Commission des Affaires étrangères avait examiné en 1998 le projet de loi autorisant la ratification de la convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. Ce texte très important visait à encadrer les adoptions internationales, lesquelles ont connu trop d'abus en contradiction totale avec la Convention internationale sur les droits de l'enfant adoptée en 1989.

Or, le Vietnam n'a pas signé la convention de La Haye, ce qui a conduit la France à suspendre les adoptions en provenance de ce pays au mois d'avril 1999. Sachant que le tiers des adoptions internationales concerne des enfants vietnamiens, trouver une solution était une nécessité absolue. Cette solution, c'est donc la signature d'une convention bilatérale entre la France et le Vietnam, rendue possible par le fait que la non-signature par le Vietnam de la convention de La Haye ne tient apparemment pas à des raisons de fond.

Ainsi la convention sur l'adoption d'enfants entre la France et le Vietnam repose sur les mêmes fondements que la convention de La Haye, à savoir une conception de l'adoption qui met en avant la notion de droits de l'enfant et non celle de droit à l'enfant. Adopter, ce n'est pas donner un enfant à un couple malheureux, c'est procurer des parents à un enfant qui n'en a plus.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a rappelé la place particulière du Vietnam dans l'adoption internationale. En 1993, 446 enfants vietnamiens ont été adoptés en France, soit 16 % des adoptions internationales ; ce chiffre est passé à 1343 en 1998 (35,5 % des adoptions). Dans la mesure où plus de deux adoptions sur trois en France concernent des enfants nés à l'étranger, cela signifie que jusqu'à un quart des enfants adoptés en France sont d'origine vietnamienne.

Il est indispensable de combattre certaines dérives de l'adoption internationale. Certaines personnes, peu scrupuleuses, n'hésitent pas à exploiter financièrement le désir de certains candidats d'obtenir coûte que coûte un enfant dans les délais les plus brefs. Ces pratiques sont non seulement immorales mais elles suscitent également, de la part des intermédiaires, des comportements délictueux : rapts d'enfants, offres d'achats de nouveau-nés aux familles déshéritées, "fabrication" de faux orphelins...

Malheureusement, le Vietnam n'a pas échappé au développement de comportements tout à fait inacceptables en cette matière. Des pratiques inquiétantes ont en effet pu être observées : fraudes dans l'établissement de l'état civil, remise de l'enfant aux adoptants par des intermédiaires avant la remise officielle, négligence de l'avis des familles biologiques, cadeaux divers offerts à certains intervenants officiels pour hâter la procédure, existence de nombreux intermédiaires clandestins dont les tarifs peuvent aller jusqu'à 10 000 dollars.

Cependant, l'application des garanties prévues par la Convention de La Haye ne peut être contrôlée dans les adoptions d'enfants vietnamiens, puisque le Vietnam ne l'a pas signée. Cette carence a tout d'abord conduit à une certaine insécurité juridique pour les enfants adoptés. Pour y remédier, notre collègue Jean-François Mattéi a rédigé une proposition de loi que l'Assemblée a adoptée en première lecture le 28 mars dernier.

Mais aucune solution nationale de ce type n'est possible pour régler l'autre problème mis à jour par l'absence de signature par le Vietnam de la convention de La Haye. En effet, la France n'a aucune influence sur les critères d'adoptabilité, et sur leur respect, par les pays d'origine, car la France est très respectueuse des législations internes. Face à la constatation que des adoptions ne respectaient pas certaines garanties, l'Autorité centrale pour l'adoption internationale n'a donc pu que proposer la suspension des adoptions en provenance du Vietnam le 12 mars 1999. Depuis avril 1999, la Mission de l'adoption internationale n'accorde donc plus de visa pour des enfants vietnamiens.

Le principal intérêt de cette convention bilatérale est de fixer les conditions relatives aux adoptants et aux enfants adoptés nécessaires à la régularité des adoptions. Ces stipulations se retrouvent aux articles 10 et 11, même si on peut regretter que leur place dans la convention ainsi que leur formulation soient moins claires que dans la convention de La Haye.

Sur le fond, l'essentiel des conditions fixées dans la convention de La Haye se retrouve : adoptabilité de l'enfant au regard de sa loi d'origine, expression d'un libre consentement de la part des personnes concernées, absence de paiement ou de contrepartie...

Cette convention étant une convention bilatérale, une procédure de coopération entre les deux parties a pu être prévue, ce qui était, par définition, impossible dans le cadre d'une convention multilatérale.

Parmi les conditions de l'adoption internationale énumérées à l'article 4 de la convention de La Haye, celle tenant à l'obligation de s'assurer du consentement de l'enfant, lorsque celui-ci est requis, ne figure pas dans la convention franco-vietnamienne. Cette absence tiendrait à certaines particularités des adoptions d'enfants vietnamiens, et notamment le faible âge moyen des enfants adoptés. En effet, l'adoption au Vietnam concerne tout d'abord des nouveau-nés : 77 % des enfants adoptés ont moins de six mois. Pour autant, la convention s'applique pour toutes les adoptions, y compris d'enfants plus âgés. Selon l'article premier, elle concerne tous les enfants qui n'ont pas atteint la limite d'âge selon la législation nationale de leur Etat d'origine. Or cette limite est de 15 ans au Vietnam, âge auquel l'enfant est en mesure de formuler un avis depuis déjà longtemps.

En dépit des imperfections -absence de consentement de l'enfant et manque de lisibilité- de cette convention, il est nécessaire d'en autoriser la ratification, en émettant le souhait que les futures conventions bilatérales s'inspirent du cadre de la Convention de La Haye. Une réflexion à laquelle participerait la Commission paraît à cet égard indispensable.

Le Président François Loncle a apprécié la vigilance du Rapporteur sur la nécessité d'accorder une priorité aux intérêts de l'enfant et sa volonté de reprendre le cadre défini par la convention de La Haye pour examiner l'accord de coopération avec le Vietnam. La volonté des négociateurs français de mettre en application la convention de La Haye n'est pas en cause, mais les structures administratives de la République du Vietnam ne sont pas forcément adaptées. On peut relever la rapidité avec laquelle le projet de ratification de cette Convention a été déposé, ce qui témoigne du fait que lorsqu'il y a volonté politique, la procédure de ratification peut être fortement raccourcie.

M. Roland Blum a demandé si d'autres pays d'où des enfants adoptés en France sont originaires n'étaient pas signataires de la convention de La Haye.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a précisé que 17 pays seulement avaient ratifié la convention de La Haye alors que les enfants adoptés en France sont originaires de 70 pays, ce qui risque de multiplier les accords bilatéraux en matière d'adoption. C'est pourquoi il est nécessaire que les négociateurs français utilisent systématiquement le cadre de la convention de La Haye qui a le mérite de la simplicité.

M. Pierre Brana a regretté à son tour que l'accord préalable de l'enfant en âge de l'exprimer ne soit pas une condition préalable à la possibilité de son adoption. Rappelant que l'Assemblée ne peut amender un traité, il a souhaité néanmoins, à l'image de ce qui avait retenu pour la ratification de la Cour pénale internationale, que la Commission des Affaires étrangères demande au Gouvernement de s'assurer de cet accord avant toute adoption d'un adolescent.

Mme Odette Trupin a souligné que cette procédure d'accord préalable permettrait d'éviter le drame que connaissent certaines familles déchirées ayant adopté des enfants qui se considèrent comme pénalisés.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a évoqué le cas qu'on lui a rapporté d'une femme âgée ayant souhaité adopter un enfant de 11 à 15 ans pour l'utiliser comme "tierce personne".

Le Président François Loncle a soutenu la proposition d'attirer l'attention du Gouvernement sur cette question.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2358).

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· Adoption

· Extradition

· Uruguay

· Vietnam


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