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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 mai 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Vaira Vike-Freiberga, présidente de la Lettonie


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Audition de Mme Vaira Vike-Freiberga, présidente de la Lettonie

M. François Loncle, président, s'est déclaré au nom de la Commission très honoré d'accueillir Madame la Présidente de la Lettonie. Il a précisé que Mme Vike-Freiberga parle un français magnifique : son itinéraire universitaire brillant explique cela. Née à Riga, puis réfugiée à Lubeck, elle a fait ses études primaires et secondaires dans des établissements français de Casablanca, et ses études supérieures au Canada, à Toronto et à Montréal où elle a été Professeur d'Université. Mme Vike-Freiberga est une linguiste de réputation internationale. Elle est présidente de la République lettone depuis juin 1999.

La Présidente s'est félicitée d'être la première Présidente de Lettonie à s'adresser aux députés français.

Elle a rappelé que la Lettonie avait été une république parlementaire de 1920 à 1940. La tradition démocratique lettone fut brutalement interrompue en 1940, lorsque la Lettonie a perdu sa souveraineté nationale. 50 ans plus tard, le 4 mai 1990, les députés élus par les forces démocratiques lettones ont adopté la Déclaration sur la restauration de l'indépendance de la Lettonie. Le chemin parcouru dans la décennie suivant l'indépendance, a été difficile et est encore loin d'être achevé. Mais les résultats atteints par la Lettonie et les autres Etats baltes durant ces 10 années sont véritablement dignes d'admiration.

La mise en place progressive d'une société démocratique, le rythme soutenu des réformes, le développement économique basé sur les principes du marché, et les objectifs de la politique étrangère clairement définis, permettent sans aucun doute aux Etats baltes de prétendre au titre du bon élève de la région et de l'Europe entière.

La France est un pays puissant sur le plan européen et mondial. La France est le moteur de la coopération européenne et s'est toujours exprimée en faveur de l'accroissement du poids de l'Europe unifiée vis-à-vis des autres continents. C'est pourquoi elle est pour la Lettonie un partenaire important dont le soutien politique lui est capital dans la poursuite de ses objectifs de la politique étrangère, de même que l'assistance technique lui est utile dans la bonne mise en _uvre des réformes en cours.

Les relations politiques et culturelles franco-lettones ont connu un essor formidable ces dernières années. Il faudrait que les échanges économiques puissent se développer d'une façon aussi intense. Le positionnement de la France et sa présence au niveau des investissements ne correspondent pas au potentiel économique français. La France, 4ème puissance économique mondiale occupe seulement la 40ème position sur la liste des investisseurs étrangers en Lettonie.

L'un des plus grands défis pour l'Union européenne est l'élargissement. Les Etats membres perçoivent de plus en plus l'élargissement de l'Union européenne comme un garant de paix et de stabilité en Europe. Cela se reflète notamment dans les conclusions adoptées par le Conseil européen d'Helsinki l'an dernier sur la poursuite du processus d'élargissement de l'Union européenne. Avec l'élargissement de l'Union européenne jusqu'à 25, 30 pays - ou même plus-, le projet de la Nouvelle Europe de Schuman et de Monet sera réalisé. La Lettonie est prête à apporter sa contribution à l'unification de l'Europe.

Au mois de juillet débutera la présidence française de l'Union européenne avec un programme chargé et positivement ambitieux. La Lettonie suit avec un très grand intérêt le processus de réformes institutionnelles de l'Union européenne et apprécie la possibilité présentée par les Etats membres de soumettre ses propositions dans le domaine de la réforme institutionnelle. Les conclusions de la Conférence intergouvernementale doivent donner réponse à deux problèmes fondamentaux - assurer l'efficacité des institutions de l'Union et garantir aux Etats membres l'égalité de statut.

La Lettonie a conscience de l'importance qu'auront les décisions de la Conférence intergouvernementale sur le processus de l'élargissement et espère qu'à l'issue de la présidence française à Nice, les pays membres de l'Union européenne seront prêts à prendre la décision qui permettra l'adhésion des premiers pays candidats pour la fin 2002. Nous attendons de la présidence française que le dynamisme des négociations soit maintenu au même niveau que lors de la présidence portugaise.

Il est important de maintenir le principe de l'approche individuelle lors des négociations. Regrouper les pays, par motivations politiques, géopolitiques, économiques, de sécurité ou autres, serait non fondé. Chaque pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne doit être évalué selon ses propres mérites et son degré de promptitude. C'est uniquement de cette façon que l'on pourra surmonter la division créée entre les pays candidats de la première et ceux de la deuxième vague. Les trois ans qui se sont écoulés depuis la décision de Luxembourg, ont démontré que les premiers ne restent pas toujours les premiers, et que les derniers ne restent pas toujours les derniers.

L'intégration et l'adhésion à l'Union européenne constituent un objectif stratégique de la politique étrangère lettone. Sa poursuite signifie le renforcement de la souveraineté de la Lettonie et la rend irréversible. Voici quelques mois, le 15 février dernier, l'Union européenne a officiellement ouvert les négociations d'adhésion avec la Lettonie. Cela témoigne d'une nouvelle étape qualitative dans les relations entre la Lettonie et l'Union européenne.

La Lettonie est prête à un déroulement rapide des négociations, elle s'engage à poursuivre ses réformes internes de manière constante et pragmatique, afin d'assurer la réussite du processus des négociations avec l'objectif de les clore avant fin 2003.

Dans notre marche vers l'Union européenne, l'accroissement de la capacité administrative constitue également une tâche importante. La France doit être remerciée pour son soutien dans la formation des fonctionnaires lettons, en leur permettant d'apprendre la langue française d'une part, et d'approfondir leurs connaissances professionnelles de l'autre. Il serait inacceptable qu'une seule langue soit dominante dans l'Union européenne. C'est la diversité linguistique qui doit prévaloir.

La Lettonie est favorable à la mise en place d'une politique de sécurité et de défense européenne commune, et sera prête à participer à sa mise en _uvre. Elle partage l'idée que l'Europe doit être en mesure d'agir afin de résoudre les crises sur ce continent de manière efficace et est prête à prendre part aux structures européennes communes de sécurité et de défense, ainsi qu'à contribuer au règlement des crises en Europe. Néanmoins, elle considère que, tout en développant une identité européenne de sécurité et de défense, il convient de conserver un lien transatlantique solide, d'assurer une coopération étroite entre l'Union européenne et l'OTAN. Soutenant le développement de la capacité européenne de prévention des crises, elle estime que l'OTAN doit rester le garant de la sécurité collective. La Lettonie a des contingents au sein de la SFOR en Bosnie-Herzégovine et de la KFOR au Kosovo, au sein du contingent britannique.

Une Europe de sécurité et de stabilité est impensable sans la sécurité et la stabilité dans la région baltique. La stabilité dans cette région n'est pas réalisable sans une coopération étroite entre la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie. Aussitôt après la restauration de l'indépendance des Etats baltes, le Conseil balte de 1934 a été rétabli. Aujourd'hui, l'Assemblée balte et le Conseil balte des Ministres visent à renforcer le cadre institutionnel de la coopération balte. A l'heure actuelle, la coopération entre les Etats baltes demeure le seul cadre de coopération dans lequel nous sommes les maîtres de l'agenda.

La stabilité et l'intégration européennes sont les objectifs des activités du Conseil des pays riverains de la mer Baltique, créé par les Etats de la mer Baltique. C'est un forum unique puisqu'il comprend des Etats membres de l'Union européenne, des pays candidats à l'Union européenne et la Russie. Le troisième sommet des chefs de gouvernements des Etats du Conseil de la mer Baltique s'est tenu le mois dernier, avec la présence du président de la Commission européenne et de la Présidence de l'Union.

La Lettonie s'est constamment prononcée en faveur de l'idée d'accorder à la France le statut d'observateur au sein du Conseil de la mer Baltique. La Lettonie estime qu'il serait important d'approfondir le dialogue politique entre la France et les Etats baltes, ainsi que de renforcer la présence française dans la région.

La Lettonie suit de près la politique de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie et apprécie hautement la stratégie européenne commune adoptée par le Sommet européen de Cologne. La Lettonie soutient la participation russe dans les projets régionaux, tels que la Dimension nordique, et souhaite que la Russie soit un Etat démocratique, stable, orienté vers les réformes et vers un dialogue politique constructif.

Pour cela, il importe que la Russie manifeste une volonté politique de devenir un partenaire de coopération fiable et actif dans l'Europe et le monde d'aujourd'hui. La décision de la Douma russe sur la ratification du traité START-2 sur la diminution de l'armement stratégique est un pas positif en ce sens, témoignant de la volonté russe de coopérer en matière de sécurité. Dans le cadre du processus de l'unification européenne, et en tant que futur Etat membre de l'Union européenne et de l'OTAN, la Lettonie invite la Russie à traiter les questions bilatérales de façon constructive, en continuant le travail d'élaboration de la base juridique que constituent les traités, ainsi qu'à reprendre le travail de la Commission intergouvernementale, favorisant la coopération transfrontalière et le développement des contacts avec les régions de la Russie.

La Présidente a conclu en rappelant qu'au cours de cette année, la Lettonie aura l'honneur de présider le Conseil de l'Europe. Durant sa présidence, la Lettonie cherchera à renforcer les valeurs communes des Européens dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe et à développer l'idée d'une identité culturelle européenne, et mettra en _uvre son expérience en matière de développement d'une société intégrée.

Observant que l'entrée dans l'Union européenne et la tenue de la CIG ont une grande importance pour Mme Vaira Vike-Freiberga, M. Pierre Lequiller a demandé si une réflexion sur la réforme des institutions était en cours au Parlement letton. Il a interrogé la Présidente sur son sentiment quant à l'organisation d'un pilier européen de l'OTAN, qui deviendrait, à terme, autonome. Enfin, il s'est enquis du sort de la langue française en Lettonie.

M. Pierre Brana s'est interrogé sur l'état des privatisations, notamment dans le domaine de l'énergie. Par ailleurs, la Lettonie envisage-t-elle de ratifier la Convention de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale ?

M. Jacques Myard, revenant d'une visite en Lettonie, a indiqué qu'il n'était point besoin d'y séjourner longtemps pour voir à quel point la Lettonie est un pays européen, que le Pacte Molotov-Ribbentrop avait séparé du reste de l'Europe dans des conditions tragiques. Il a affirmé qu'il soutiendra fortement l'adhésion de la Lettonie dans l'Union européenne, sûr que ce pays contribuera à contrer le "centralisme soviétique" que certains rêvent de voir édifier en Europe. Il a souhaité savoir comment le Gouvernement letton gère les tensions que peut générer l'existence d'une importante minorité de population russophone.

M. Jean-Yves Gateaud a évoqué la question des minorités en soulignant que le respect de la démocratie, des droits de l'Homme semblaient être pour Mme Vaira Vike-Freiberga les fondements de la politique lettonne. Les garanties apportées à ces dernières constituent avec le respect des frontières la condition du maintien de la paix en Europe. Il s'est informé sur les droits politiques des minorités et notamment de la minorité russe. Ont-elles une représentation parlementaire spécifique comme en Roumanie ?

M. Charles Ehrmann a fait part de son admiration quant à la maîtrise de la langue française par Mme Vike-Freiberga alors qu'au Conseil de l'Europe par exemple il est devenu exceptionnel d'entendre quelqu'un s'exprimer en français. Il a souligné l'importance de la construction européenne dans la persistance de la paix en Europe depuis 55 ans, de la même façon la Lettonie doit voir comme un garant de son indépendance l'intégration à l'Europe et à l'OTAN.

La Présidente Vaira Vike-Freiberga a répondu aux intervenants.

S'agissant de la place de la langue française, elle a précisé que la Lettonie n'était hélas pas francophone, les conditions historiques ne l'ayant pas permis. Cependant au temps de l'indépendance il existait un lycée français. Actuellement, l'aide financière pour rétablir l'enseignement du français provient plutôt du Canada.

La formation de structures autonomes de défense, capables d'intervention immédiate est très importante. Mais l'apport du continent américain à la sécurité européenne l'est également, et l'on ne peut envisager sa disparition. L'existence d'un système commun de défense et de sécurité est nécessaire afin de faire face à d'éventuels dangers impérialistes car le désir de conquête fait malheureusement partie de la nature humaine.

Le Parlement letton se consacre principalement aux démarches indispensables pour se préparer à l'accession à l'Union. La préoccupation de la Lettonie est de participer à un système où chaque Etat souverain peut prendre part au débat. Les petits pays d'Europe ont beaucoup souffert dans le passé et cela doit rester un enseignement pour l'avenir. La Lettonie veut pouvoir participer à égalité avec les autres pays aux grands choix européens.

La Convention portant création de la Cour pénale internationale a déjà été ratifiée par la Lettonie, qui a été l'un des premiers pays à le faire.

La privatisation a été réalisée complètement pour les petites et les moyennes entreprises. Elle devrait s'achever cette année pour les grandes, avec le concours de grandes banques étrangères qui sont prêtes à servir d'intermédiaire dans ce processus pour en garantir la transparence et l'équité. Certaines privatisations suscitent des débats : par exemple celle de la Compagnie de production de l'électricité hydro-électrique. D'une part, cette compagnie est le plus important contribuable de l'Etat, et l'on se demande si elle paiera autant d'impôts étant privatisée et d'autre part, les citoyens craignent la hausse des prix de l'électricité, comme cela a été le cas lors d'une privatisation semblable effectuée en Ukraine. Les dernières privatisations concerneront la production de gaz, les voies ferroviaires et le transport maritime.

Plusieurs minorités sont présentes en Lettonie : une minorité de 33 % de Russes, 11 % d'Ukrainiens, des minorités polonaise et autres, arrivées lors de l'occupation soviétique.

Le Gouvernement vient d'adopter un programme d'intégration sociale systématique, à caractère à la fois socio-économique et ethnique. Le système d'éducation scolaire vise à permettre à chaque enfant de s'insérer dans la société et donc d'apprendre la langue lettone, indispensable pour l'accès à la citoyenneté et pour une bonne intégration socio-économique. En même temps, chaque enfant peut étudier la langue de ses ancêtres ; des écoles russes demeurent, ainsi que d'autres, ainsi des écoles tziganes, alors que cette minorité est très peu nombreuse.

Bien que la Lettonie ne souhaite pas l'assimilation de la population russe, les mariages entre russes et lettons s'élèvent à 20 %. Par ailleurs, l'accès à la citoyenneté lettone est plus facile que celui à la nationalité allemande. Chaque citoyen de bonne volonté peut l'obtenir, et 95 % des demandes sont accordées.

La Lettonie est un régime parlementaire classique où il n'existe aucune restriction concernant les partis politiques. Ainsi, certains peuvent tout à fait se réclamer plus particulièrement de telle ou telle minorité. L'un des six partis représentés au Parlement souhaite ainsi la restauration de l'Union soviétique et son chef a participé au Putsch de 1991 ; il ne subit malgré tout aucune entrave.

La Lettonie espère de la partie russe de la bonne volonté, afin d'établir les relations de coopération nécessaires dans les différents domaines transfrontaliers : transports ferroviaires, maritimes. Les relations commerciales sont actuellement favorables aux deux parties. Mme Vaira Vike-Freiberga a estimé que la nature des relations entre la Russie et la Lettonie constitue une épreuve ou un exemple du style de relations qu'aura la Russie avec l'Europe toute entière.

M. François Loncle a remercié Mme Vaira Vike-Freiberga pour la précision de ses réponses extrêmement utiles au moment où la France s'apprête à prendre la Présidence de l'Union européenne.

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· Union européenne : élargissement


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