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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 mai 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Rencontre avec la Commission des Affaires étrangères norvégienne


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Rencontre avec la Commission des Affaires étrangères norvégienne

Le Président François Loncle a précisé que la délégation de la Commission des Affaires étrangères norvégienne était composée de représentants de toutes les forces politiques, et que son Président, M. Steensnes, avait été ministre de l'Education, puis leader de son groupe politique, avant d'accéder à la présidence de cette commission. La Norvège est un pays très apprécié des Français, c'est sans doute pour cela que de nombreux députés, comme la majorité des Français, ont été déçus lorsque, à deux reprises, le peuple norvégien a rejeté par référendum la perspective de l'adhésion à l'Union européenne. Le Président François Loncle a souhaité connaître l'état actuel de la question, alors que l'Europe connaît de nouvelles évolutions géographiques et politiques.

M. Einar Steensnes, président de la Commission des Affaires étrangères norvégienne, a remercié la Commission pour son accueil, qui permet un échange de vues utile aux Norvégiens mais aussi à la France à la veille de sa présidence de l'Union européenne. La Norvège a un intérêt vital à connaître les institutions européennes, c'est pourquoi la Commission a l'habitude de rencontrer les commissions des Affaires étrangères des pays qui vont accéder à la présidence de l'Union. Quels sont les souhaits et les priorités de la Présidence française ?

Le Président François Loncle a indiqué que la Présidence française se déroulait à un "moment-clé" de la construction européenne, car préalable à son élargissement, qui l'amènera d'un ensemble de quinze pays à un ensemble pouvant aller jusqu'à 27 membres. Le Parlement français, sous l'impulsion de la Commission des Affaires étrangères, a obtenu que la loi de ratification du Traité d'Amsterdam comporte un article mentionnant que la réforme de fond des institutions intervienne avant l'élargissement, dans le souci que les dysfonctionnements que l'on observe actuellement ne s'aggravent pas et que les nouveaux pays membres puissent se joindre à une Union européenne aux institutions efficaces. C'est pourquoi la France s'efforcera de faire aboutir la Conférence intergouvernementale sur les trois questions principales (composition de la Commission, pondération des votes au sein du Conseil, extension de la majorité qualifiée), ainsi que sur la question des coopérations renforcées, par lesquelles notre pays vise à donner plus d'élan à l'Europe politique. Nous considérons en effet que l'Europe n'est pas seulement un grand marché, mais aussi une communauté de valeurs qui doit porter un projet politique. La Norvège elle-même a donné l'exemple de la coopération renforcée en s'associant à la Convention de Schengen, ce qui a constitué un pas vers l'Union européenne.

M. Fridtjof Gundersen a souhaité connaître l'influence de la Commission des Affaires étrangères sur la politique étrangère de la France, soulignant que le Président de la République détient un pouvoir très important en ce domaine.

M. Alain Juppé a observé qu'une réponse plutôt négative pourrait être donnée, en considérant que les décisions les plus importantes sont prises à l'Elysée, ou au cabinet du Premier ministre, alors que la Commission des Affaires étrangères joue davantage un rôle d'observation et de contrôle qu'un rôle d'impulsion. La réalité est plus complexe. Les ministres des Affaires étrangères s'attachent à rencontrer régulièrement la Commission et tiennent largement compte de l'opinion de ses membres. Ainsi, l'exemple précédemment cité, à savoir l'exigence d'un lien entre élargissement et réforme institutionnelle préalable a émané du Parlement et a été entérinée par le Gouvernement. La réalité est donc celle d'une influence réciproque.

Le Président François Loncle a ajouté que la Commission, en examinant le budget du ministère des Affaires étrangères, a le devoir de faire en sorte que ce budget soit digne de ce nom, en faisant pression sur le Ministre de l'Economie et des Finances. La Commission porte aussi une vigilance particulière à la question des droits de l'Homme : elle est très souvent interpellée sur des cas de violations de ces droits partout à travers le monde, et elle tente, par l'intermédiaire de son Président, d'intervenir ou d'agir pour que soit pris en compte le respect des principes démocratiques fondamentaux.

M. Fridjtof Gundersen a demandé si des débats avaient eu lieu à l'Assemblée Nationale sur les perspectives de modification des structures de défense européenne.

M. François Loncle a rappelé que contrairement au Sénat, il y a à l'Assemblée nationale une commission spécialement en charge des questions de défense. Bien sûr, la Commission des Affaires étrangères ne s'en désintéresse pas et elle travaille sur de nombreux sujets en partenariat avec la Commission de la Défense nationale et des Forces armées, comme actuellement sur la prévention des conflits et la réforme des Nations Unies. Des débats ont également lieu lors de la discussion sur le budget de la défense et sur les projets de loi de programmation militaire. La Commission est également très attentive au déroulement des crises, surtout lorsque des militaires français sont concernés, comme cela a été le cas pendant la guerre au Kosovo.

M. Pierre Brana s'est interrogé sur l'état du débat entre les partis politiques sur l'Union européenne au moment où des signes de rapprochement sont perceptibles, tels que l'adhésion norvégienne à l'espace Schengen ou l'adoption de la directive européenne sur les contrôles vétérinaires. Quels sont les principaux arguments invoqués pour et contre l'adhésion à l'Union européenne.

M. Einar Steensnes a souligné que la Norvège avait des relations étroites avec l'Union européenne et qu'elle était un pays européen à part entière. L'espace économique européen permet la prise en compte des principaux intérêts économiques norvégiens. Sur le plan culturel et de la recherche, la Norvège participe en outre à de nombreux programmes de coopération. Comme cela a été rappelé, la Norvège fait partie de l'espace Schengen de libre circulation des personnes. Mais pour envisager une étape supplémentaire, c'est-à-dire une adhésion à l'Union européenne, il faudrait un changement radical de l'opinion publique norvégienne, qui a déjà refusé par deux fois une telle adhésion.

La question de l'adhésion a divisé les partis politiques, elle a créé des clivages au sein des familles. Il s'agit donc d'une question sensible, et un nouveau référendum ne peut être envisagé que si une modification essentielle de l'opinion est perceptible. La tendance pour le « Oui » progresse, mais le Premier ministre a estimé que cette question n'était pas d'actualité et ne ferait pas l'objet de débat avant 2005. L'avis des Norvégiens sur l'adhésion dépendra aussi des évolutions au sein de l'Union européenne.

M. Kjell Bondevik, ancien Premier ministre, a énuméré les principaux arguments contre l'adhésion à l'Union européenne : le déficit démocratique, la peur de la supranationalité, les inquiétudes pour l'agriculture et la pêche, en dépit des résultats obtenus lors des négociations de 1994.

En ce qui concerne les évolutions internes à l'Union européenne, il est évident que la réforme des institutions doit précéder l'élargissement. Ainsi, il est probable que tous les Etats membres ne pourront pas avoir un commissaire, notamment parmi les nouveaux membres. Il faut pourtant que ces derniers aient le sentiment d'être membres à part entière. Comment la France voit-elle donc la réforme des institutions au regard de la nécessité de prendre en compte l'influence des nouveaux membres ?

M. Bondevik a également demandé comment la France voyait la place d'une future politique européenne de sécurité et de défense commune par rapport au lien transatlantique. Se dirige-t-on vers une OTAN à deux piliers ou alors vers une défense européenne autonome par rapport aux Etats-Unis ?

M. François Loncle a tout d'abord expliqué qu'il y avait en règle générale en France un certain consensus sur les questions de politique étrangère, et tout spécialement en période de cohabitation.

La réforme des institutions européennes est un débat très difficile, même en ce qui concerne le « reliquat d'Amsterdam » : le problème de la repondération des voix au Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée et le nombre de commissaires. En tout état de cause, il n'y aura pas de pays pénalisés, relégués dans une sorte de « deuxième division européenne » selon la date de leur adhésion. On ne peut cependant pas avoir une Commission européenne pléthorique, des solutions peuvent alors être imaginées : distinction entre des commissaires principaux et des commissaires délégués, nomination de certains commissaires pour une durée plus courte.

L'Europe de la défense a connu une impulsion avec la démarche franco-britannique initiée à Saint-Malo. Cette initiative pourrait conduire l'Europe à disposer, au sein de l'OTAN, d'une certaine autonomie.

M. François Loncle a rappelé que le mandat du Conseil européen de Cologne était d'élaborer une charte des droits fondamentaux, sans indiquer si elle aurait une valeur contraignante. La question sera traitée ultérieurement par le Conseil européen lui-même.

M. René André a observé que la question du nombre de commissaires et de représentants des Etats membres est certes importante, mais mieux vaudrait bien définir les compétences de l'Union européenne et celles des Etats membres. La Présidence française pourra faire des propositions permettant de progresser sur la question de subsidiarité.

Il a souligné que l'on ne pouvait avoir de politique étrangère crédible sans politique de défense commune et a rappelé que, pour la première fois, c'était M. Alain Juppé qui avait évoqué le problème de la co-décision dans l'utilisation de la force nucléaire française. Constatant que les pays baltes souhaitent intégrer l'OTAN, ce qui est difficilement acceptable pour les Russes, il a voulu connaître l'avis de ses collègues norvégiens à ce sujet.

M. Haakon Blankenborg, vice-président de la Commission des Affaires étrangères norvégienne, a expliqué que la Norvège soutenait les initiatives de coopération en matière de défense et de sécurité en Europe, et qu'elle était prête à participer à des opérations concrètes mises en _uvre par l'Union européenne. Il convient de fixer le cadre d'une telle coopération qui peut prendre des formes pragmatiques sans modifier l'autonomie de décision de l'Union européenne. Il a tenu à souligner combien le rôle de la France dans les Balkans avait été apprécié par les Norvégiens, qui ont envoyé 1200 hommes au Kosovo. Pour lui, il y a un lien concret entre élargissement de l'Union européenne et élargissement de l'OTAN. Aussi, la Norvège soutient-elle la demande d'adhésion des pays baltes à ces deux organisations. Grâce à l'espace économique européen, la Norvège a contribué à aider des régions méditerranéennes et cette procédure pourrait être utilisée au profit d'autres zones, notamment les Etats baltes. La volonté de ces Etats d'entrer dans l'OTAN doit être soutenue et appréciée, en fonction de leur situation concrète, mais sans fixer de date, les relations avec la Russie étant une priorité pour l'OTAN. A travers l'Espace économique européen, la Norvège règle un certain nombre de problèmes avec la Russie, mais souhaite un plus grand engagement européen dans la région, qui recèle un nombre important d'armes nucléaires, dernier avatar de la guerre froide.

Evoquant la réforme des institutions, M. Pierre Lequiller, vice-président du Groupe d'amitié France-Norvège, a estimé que le poids des grands pays comme la France et l'Allemagne, ne correspondait pas à leur démographie. Avec le processus d'élargissement, leur poids sera inférieur à leur représentativité actuelle. On a constaté en France un certain nombre de réactions concernant la défense européenne, notamment sur le Kosovo. On estimait que l'intervention était certes une décision politique européenne, mais que les opérations avaient été dirigées par les Etats-Unis. Or, quels que soient les liens d'amitié traditionnels entre les membres de l'Union européenne et les Etats-Unis, une autonomie de la défense européenne est nécessaire. Il convient d'édifier un pilier européen appartenant à l'OTAN, mais autonome. Par ailleurs, M. Pierre Lequiller s'est informé de la position du patronat norvégien par rapport à l'Union européenne.

Le Président Einar Steensnes a précisé que, lors du référendum de 1994, l'organisation patronale norvégienne avait expliqué qu'un refus d'adhérer à l'Union européenne entraînerait une augmentation du chômage et une perte de compétitivité, ce qui était exagéré et inexact. L'absence d'adhésion à l'Union européenne entraîne un contrôle de l'accès de la Norvège au marché, ce qui peut la limiter. Le patronat norvégien aurait dû être plus nuancé.

S'exprimant en tant que représentante du parti conservateur favorable à l'adhésion de la Norvège à l'Union, Mme Siri Sterri a fait valoir qu'un nouveau référendum serait nécessaire si l'opinion publique a évolué. On note des modifications, mais il est trop tôt pour savoir si cette tendance est favorable aux "europhiles". En 1994, on pensait perdre des emplois si on n'adhérait pas à l'Union européenne. L'accord sur l'Espace économique européen a permis d'éviter cet écueil, mais on en voit clairement actuellement les limites. La Norvège s'intéresse à l'Union européenne, notamment en matière de défense européenne.

Evoquant les liens étroits entre le ministre des Affaires étrangères et la Commission des Affaires étrangères en France, elle s'est enquise d'une éventuelle modification d'attitude de l'Union européenne à l'égard de l'Autriche.

Le Président François Loncle a considéré que la démarche de la Norvège vers l'Union était commandée, selon l'expression québécoise, par un référendum gagnant. Il a rappelé que la Commission des Affaires étrangères n'avait pas de liens directs avec le ministre des Affaires étrangères en raison du système de séparation des pouvoirs. Elle agit de manière indépendante et veille à entendre régulièrement le ministre des Affaires étrangères, et à faire en sorte que le budget des Affaires étrangères soit suffisant.

Des débats sur l'Autriche ont eu lieu à plusieurs reprises. Quelle que soit la position commune des Quatorze, leur attitude ne constitue pas une sanction à l'égard du peuple autrichien, mais à l'égard d'une partie du pouvoir autrichien. La Présidence française souhaite arriver à une vision commune sur ce problème.

M. Paul Dhaille a ajouté que l'Union européenne n'était pas seulement un grand marché économique ; c'est pourquoi la participation au pouvoir, dans l'un des Etats membres, d'un parti se réclamant des valeurs d'extrême-droite pose problème. Mais la difficulté est que l'on ne sait au nom de quoi condamner cet Etat. C'est pourquoi cette question amène celle de la rédaction d'une constitution pour l'Union, comportant un ensemble de principes écrits, qui seraient un fondement pour des actions à l'encontre du pays concerné.

M. François Loncle a précisé que l'élaboration d'une constitution n'est pas à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale et ne figure pas dans les priorités de la Présidence française. Cependant, y figure la rédaction d'une Charte européenne des droits fondamentaux, qui devrait aboutir au Conseil européen de Nice en décembre 2000. Y seront notamment inscrits des droit sociaux, et l'ensemble constituera un document "refondateur" pour les pays qui aspirent à nous rejoindre. Répondant ensuite à une demande de précision de M. Kjell Bondevik, il a conclu en indiquant que la question serait tranchée par le Conseil européen qui déciderait sur le caractère contraignant ou non de la Charte.

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· Norvège

· Union européenne


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