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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 juin 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Jacques Delors

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- Informations relatives à la Commission

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Audition de M. Jacques Delors

Le Président François Loncle a exprimé sa satisfaction d'accueillir M. Jacques Delors, Président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, mais surtout en sa qualité d'ancien Président de la Commission européenne, dans un moment où l'Europe s'interroge sur son avenir. Cette interrogation est positive, puisque les Européens se demandent comment éviter de succomber à la routine, à l'immobilisme ou même au blocage. M. Jacques Delors a contribué à relancer le débat européen, avant même Joschka Fischer, dans le but de tracer une perspective aux Européens.

M. Jacques Delors a souhaité effectuer quelques remarques sur l'état de l'Union européenne. Il a d'abord observé qu'être exigeant vis-à-vis de la construction européenne, en fustiger les lenteurs, n'est pas faire acte de pessimisme ou en méconnaître les réussites. La Présidence française, qui, comme toutes les présidences de second semestre, ne durera en pratique que cinq mois, est en fait déjà engagée. On ne peut lui demander l'impossible : elle doit poursuivre les négociations d'élargissement, voire leur donner une impulsion, elle doit jeter les bases de la force militaire de projection, décidée sur une initiative anglo-française, elle doit assurer le suivi du Conseil européen de Lisbonne quant aux orientations économiques et sociales qui y ont été décidées, enfin, mener à bien la Conférence intergouvernementale. La France dans son rôle de présidence ne pourra donc animer le débat lancé avec Joschka Fischer, qui viendra en son temps.

L'état de l'Union européenne appelle les observations suivantes.

Trois facteurs d'optimisme doivent être relevés. Tout d'abord, l'initiative franco-anglaise pour une force de projection destinée à remplir les missions dites de Petersberg, qui devrait permettre de faire face à l'avenir à des crises comme celle de la Bosnie ou du Kosovo. Cette initiative est d'autant plus remarquable que l'on a échappé pour une fois à la question de la relation entre l'Union et l'alliance atlantique, qui a tellement envenimé les négociations précédentes et divisé les Etats membres. On a ensuite pris conscience que l'on devait, face à des crises comme celles des Balkans, ne pas voir agir de nombreux intervenants mais avoir un axe unique d'action pour amener ces pays et régions à instaurer la paix entre eux, comme nous l'avons fait entre nous il y a cinquante ans. Enfin, la résolution du Conseil européen de Lisbonne qui veut amener, par une méthode ouverte de concertation (et non par une directive car il n'y a pas de compétence communautaire), à une meilleure coordination des actions menées dans les domaines économique et social.

Mais trois facteurs d'inquiétude doivent aussi être notés. Le « triangle institutionnel » Commission-Conseil-Parlement européen ne fonctionne pas. On ne laisse plus la Commission user de ses prérogatives, le Conseil des ministres des Affaires générales ne joue ni son rôle de synthèse ni de préparation des décisions du Conseil européen. Ainsi l'ordre du jour du prochain Conseil européen comprendra treize sujets, soit un ordre du jour « démentiel » pour une journée de discussions, et l'on se retrouve alors avec des communiqués qui font frôler la crise car ils ont été préparés par les fonctionnaires et n'ont pas été discutés par les Chefs d'Etat et de Gouvernement. Le Parlement européen quant à lui a du mal à « trouver ses marques ». Autre facteur d'inquiétude : le déséquilibre au sein de l'Union économique et monétaire, qui explique en partie les difficultés de l'euro. M. Jacques Delors a souligné que quand le dollar connaît une évolution qui inquiète les acteurs sur les marchés financiers, le Président de la Réserve fédérale s'exprime, et le secrétaire d'Etat au Trésor américain lui fait écho. Dans le cas de l'euro, la Banque centrale orpheline parle de temps en temps, mais aucune voix politique ne s'exprime. Or, ce déséquilibre ne résulte pas du Traité de Maastricht, qui a précisé les bases de l'Union économique. Enfin, le positionnement de l'Union vis-à-vis de la Méditerranée et du Sud reste insuffisant par rapport à l'effort que nous faisons pour l'est de l'Europe. Ces efforts doivent être rééquilibrés.

M. Jacques Delors a ensuite expliqué le c_ur de sa thèse, à savoir que l'Union a deux projets bien difficiles à concilier. Le premier est l'élargissement, devoir historique incontesté, dont on a gravement sous estimé les conditions et les difficultés, d'où la schizophrénie entre ce que ressentent les négociateurs et ce que disent encore nos responsables politiques. Cette schizophrénie amène une frustration croissante dans les pays candidats, de plus en plus mécontents de nous alors que nous leur apportons 70 % de l'aide qu'ils reçoivent pour moderniser leur économie et leur appareil social. Mais il y a des difficultés à surmonter : celle du nombre (le passage de quinze à trente), l'état préoccupant des économies, l'état de l'administration pas toujours capable d'adapter les législations nationales aux 60 000 pages de droit communautaire, comme l'ont dit certains Premiers ministres eux-mêmes. On pourrait, en outre, au sujet des conceptions de l'Europe future liées à l'hétérogénéité des sociétés issues d'une histoire différente, accumuler les citations de Vaclav Havel, de Kundera ou d'autres. Il n'est pas facile à ces pays, qui doivent retrouver leur patriotisme sans l'idéologie totalitaire, de passer aussi à l'échelon supérieur de l'intégration européenne. Mais leur apport sera une grande richesse pour l'Europe

L'autre projet est d'approfondir la construction européenne. Dans ce domaine, que voulons-nous ? En matière économique et sociale, l'Union européenne est jusqu'à présent fondée sur le triptyque né de l'Acte unique : la compétition qui stimule, la coopération qui renforce, la solidarité qui unit. Sommes nous disposés à appliquer les mêmes principes à une Union de trente pays dans laquelle certains ont un niveau de développement égal à 30% de la moyenne communautaire ? Si ce n'est pas possible, il vaut mieux le dire tout de suite à ces pays, et savoir quelles sont les règles du jeu d'un grand ensemble, même si ses objectifs sont moins ambitieux que ceux du traité de Maastricht ; or personne n'ose le dire. Ensuite, il faut réussir l'Union économique et monétaire. Enfin, les Français - mais plus uniquement eux - sont à présents favorables à une Europe puissance, ce qui implique des convergences déjà difficiles à faire à Quinze, et encore davantage dans une Union élargie. C'est pourquoi M. Jacques Delors a proposé la solution de l'avant-garde ouverte, qui permet de ne pas décevoir les pays frères candidats et de ne pas diluer l'Union.

La France doit réussir la CIG. Elle a fort heureusement évolué depuis six mois en voulant ouvrir la conférence à d'autres sujets que les trois qui constituent le « reliquat d'Amsterdam », n'étant jusqu'à présent pas très favorable à l'idée d'avant garde. Elle a en outre accepté l'idée des coopérations renforcées.

Les coopérations renforcées prévues par le Traité ne marchent pas. Certes, de fait, l'Union économique monétaire et l'espace Schengen peuvent être considérés comme des coopérations renforcées qui n'avouent pas leur nom. Mais pour le reste, le bilan est décevant. Plusieurs raisons expliquent cet échec : l'existence d'un droit de veto pour leur création, le champ restreint des coopérations qui ne peuvent toucher ni la politique extérieure et de sécurité commune, ni ce qui ressort de la compétence exclusive des Etats, ni les questions de citoyenneté, ni l'acquis communautaire. En outre, peuvent participer sans droit de vote les pays qui ont choisi de rester à l'extérieur. Si l'on veut développer ces coopérations renforcées, il sera donc nécessaire d'assouplir leur régime et d'en étendre la portée.

En ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux, son mode de préparation a été jugé très satisfaisant, notamment parce qu'il accordait une place privilégiée aux parlementaires nationaux. Certes, on ne sait pas très bien encore ce que va devenir cette Charte et si elle ne fait pas double emploi avec la Convention européenne des droits de l'Homme. Aura-t-elle une valeur contraignante ? Est-elle destinée à devenir un préambule aux traités ? Sera-t-elle simplement l'incarnation d'un vouloir vivre ensemble ? Ce qui est certain en revanche, c'est que cette charte ne peut modifier les compétences prévues par les traités.

La notion d'avant-garde est le seul moyen de continuer l'intégration politique de l'Europe sans être freiné par l'élargissement. Bien sûr, certains critiquent cette notion au motif qu'elle viendrait trop tard ou qu'il n'y aurait pas de candidat. Mais cette formule - fondée sur sa proposition de fédération d'Etats-nations, présente un double avantage : d'abord rappeler que rien ne se fera sans les nations, qui ne sont pas destinées à disparaître, quoi qu'en disent certains ; ensuite inciter à une clarification des compétences en forçant à préciser ce qui relève exclusivement des Etats. En effet, la Communauté a tendance à gagner en permanence des compétences en expliquant que c'est indispensable à la réalisation du marché unique. Le projet de Fédération des Etats nations est construit sur l'application du principe de subsidiarité, en réduisant au maximum les zones communes qui relèvent à la fois des Etats et de l'Union et qui sont une source de difficultés.

M. Jacques Delors a conclu son intervention en estimant que beaucoup restait encore à faire pour conclure avec succès la Conférence intergouvernementale.

M. Jacques Myard a estimé que M. Jacques Delors venait de prononcer, avec courage et intelligence, un véritable acte de contrition, si on compare les propos tenus à ses déclarations passées. Après avoir rappelé qu'il était un partisan de la construction européenne, M. Myard en a regretté les dérives juridiques qui se sont traduites dans les 60 000 pages de l'acquis communautaire. La rédaction de l'Acte unique est un exemple caricatural de cette volonté d'uniformisation et de ce juridisme à outrance repris ensuite par Maastricht et Amsterdam.

M. Jacques Delors a contesté cette interprétation : il n'a pas eu le sentiment de prononcer un quelconque acte de contrition. Sans l'Acte unique, il n'existerait pas de marché unique, ni de début de politique sociale européenne, ni de solidarité entre régions. Il ne faut pas oublier que 46% du territoire français a bénéficié de cette solidarité. L'Acte unique européen a permis un bond dans la construction européenne. La défense du principe de subsidiarité n'est pas nouvelle pour lui : il tenait déjà ce discours dès 1989 et s'est souvent opposé, en sa qualité de Président de la Commission, à de nombreuses propositions de directive qu'il estimait injustifiées.

La question principale qui se pose aujourd'hui est de définir ce qui relève de la compétence exclusive des Etats membres afin de l'inscrire dans un futur traité. Ce problème n'est pas simple. On le voit à des questions banales comme, par exemple, faut-il prévoir une réglementation européenne sur la propreté des eaux de baignade ?

Mme Odette Trupin a estimé qu'il était tout à fait justifié d'aider les pays d'Europe centrale et orientale au nom de la solidarité européenne. Mais il est anormal d'assister dans le même temps à l'utilisation massive de la langue anglaise dans ces pays, qui permet aux entreprises américaines de s'imposer sur ces marchés, en profitant des aides européennes. Ne faudrait-il pas une exigence linguistique envers les pays aidés par l'Union européenne ?

M. Jacques Delors a souligné que la France souffre tout d'abord du manque d'activisme de la diplomatie française pendant les 40 années de communisme dans les pays d'Europe centrale et orientale, qui explique que nous y sommes moins influents que l'Allemagne ou l'Angleterre par exemple. En outre, la concurrence la plus rude n'est pas tant celle de la langue anglaise que celle des Etats-Unis. L'attraction pour le modèle américain est considérable, elle pourrait expliquer par exemple l'échec du projet de confédération proposé par François Mitterrand.

Dans l'Union européenne, la langue doit rester le reflet de la personnalité de chacun et être utilisée pour les textes officiels et les réunions importantes, quels que soient les coûts d'interprétation qui seront vraisemblablement multipliés par quatre. Mais il faut limiter le nombre des langues de travail, parmi lesquelles doit figurer le français. Pour autant, il est indispensable que les jeunes Français ne parlent pas que le français.

M. Pierre Lequiller a demandé à Jacques Delors comment fonctionnerait l'avant-garde ouverte. Quel lien existerait-il avec les institutions actuelles ? Aboutirait-on à la construction d'une nouvelle Europe avec de nouvelles institutions ?

Le principe de subsidiarité ne peut être appliqué que s'il existe une instance d'arbitrage pour en assurer le respect : les instances existantes sont-elles suffisantes ?

M. Jacques Delors a précisé que le développement anarchique des coopérations renforcées lui ferait craindre le « self service ». Au contraire, dans le cadre de l'avant-garde, ce sont les mêmes pays qui s'engagent à aller plus loin ensemble dans différents domaines. Ainsi, les institutions pour cette avant-garde pourraient être les suivantes : la Commission actuelle qui jouerait le même rôle pour l'Union européenne et pour l'avant-garde, étant donné qu'elle n'est pas composée de membres ayant vocation à représenter leur Etat d'origine, le Conseil serait composé des membres de l'avant-garde, enfin un Parlement spécifique serait institué, composé pour partie de membres des parlements nationaux car l'on a sans doute abandonné trop tôt le lien avec les Parlements nationaux.

M. Jacques Delors s'est montré réticent envers l'idée d'une constitution européenne, qui est d'ailleurs un mot perçu de façon différente dans chaque Etat. La notion de traité international montre mieux que la construction européenne résulte de transferts de souveraineté librement consentis par les Etats. De la même façon, il n'est pas souhaitable que la Cour de justice se transforme en Cour constitutionnelle : c'est une instance parlementaire qui devrait, au niveau européen, avoir le rôle ultime de garant du respect du principe de subsidiarité.

M. Pierre Brana a rappelé que certaines personnalités européennes conduites par le professeur Mireille Delmas Marty proposaient la mise en place d'un parquet européen. Il a par ailleurs demandé à M. Delors quelles étaient selon lui les frontières ultimes de l'Europe.

M. Jacques Delors s'est déclaré opposé à l'idée de Mme Delmas Marty. En revanche, il est nécessaire d'activer Europol qui devrait travailler, dans le domaine de la lutte contre la criminalité internationale, en lien avec un réseau de magistrats à créer, qui serait l'embryon d'Eurojust.

Quant aux frontières de l'Union européenne, elles ne sont pas fixées une fois pour toutes. Il s'est déclaré partisan de l'entrée à terme de l'Ukraine et de la Turquie, ainsi que d'un partenariat très dense avec la Russie ; mais la constitution de cette grande Europe implique la modification des règles de l'OSCE.

M. Charles Ehrmann a fait observer qu'au Conseil de l'Europe on ne s'occupait pas suffisamment de l'Europe du Sud et que l'on n'y utilisait que l'anglais. Il a insisté pour que l'on évite de parler des malheurs de l'Union européenne aujourd'hui car cette Union représente 55 ans de paix. Selon lui la CIG est plus importante que l'élargissement, sans elle l'Union ne serait qu'une zone de libre-échange.

M. Jacques Delors a expliqué qu'il utilisait systématiquement le français dans les enceintes internationales. L'Union européenne ne peut être considérée comme une zone de libre-échange depuis l'Acte unique. Il convient de rester exigeant à l'égard de la construction européenne même si elle a permis d'établir la paix en Europe.

M. Paul Dhaille s'est étonné que l'on justifie l'élargissement par des arguments d'ordre affectif tel "qu'ouvrir les bras à certains pays" sans donner des arguments politiques. Quel est l'intérêt ou la logique de l'adhésion de Chypre ou de Malte à l'Union ? Constatant que les institutions européennes ne fonctionnaient plus parce que devenues trop complexes, il a demandé qui constituerait l'avant-garde et jugé que l'Europe avait besoin d'un nouveau texte fondateur. Par ailleurs, il a été frappé par la judiciarisation de la vie politique tant en France que dans l'Union européenne, estimant que les problèmes politiques ne devaient pas être renvoyés aux juges pour être tranchés. Il a déclaré mal cerner l'expression ambiguë de Fédération d'Etats-nations car l'Union européenne a besoin de majorité politique claire pour ne pas fonctionner sur la base d'un consensus mou.

M. Jacques Delors a souligné qu'on ne finissait pas d'exprimer des regrets sur les conditions de l'élargissement. La Commission avait, dès 1989, ouvert la voie à la création de l'Espace Economique Européen, ouvert aux pays de l'AELE (Suisse, Norvège, Finlande, Suède, Autriche ...). Il a rappelé qu'au Conseil européen de Lisbonne en 1992, la Commission, lorsqu'elle avait proposé que l'on mette la maison en ordre avant tout nouvel élargissement, n'avait pas été suivie par les chefs d'Etat et de Gouvernement qui avaient opté pour l'adhésion de ces pays avant même qu'on ait pu mettre de l'ordre dans les institutions européennes. Depuis, il y a une fuite en avant. Mais on ne peut pas mener une bataille à retardement. Selon lui on peut « ouvrir les bras » dans les grandes circonstances historiques.

On doit faire fonctionner le triangle institutionnel. Il convient de limiter le nombre de questions présentées au Conseil européen. Un traité, basé sur un texte « inventeur de simplicité », permettrait notamment de simplifier et de limiter et de clarifier le nombre de questions traitées par le Conseil européen, qui n'en sera que plus performant et plus lisible pour les citoyens.

En accord avec M. Dhaille, il a jugé inopportun que la Cour de justice européenne devienne subrepticement une cour constitutionnelle. Il a noté qu'il était impossible pour le moment de croiser les nationalités et les orientations politiques pour constituer des majorités politiques claires. Aussi doit-on se contenter de majorités consensuelles fondées sur la recherche de compromis ou de majorités d'idées.

M. Jean-Bernard Raimond s'est félicité de la possibilité d'ouvrir les bras à certains pays et s'est demandé que faire dans l'immédiat face au tableau sombre que constituent les difficultés de l'élargissement.

M. Jacques Delors a répondu qu'il peut avancer trois propositions, dont deux choquantes et une acceptable. La première est de constater avec les pays candidats qu'ils ne peuvent en dix ans absorber tout l'acquis communautaire. Il faut alors définir les objectifs de la grande Europe en matière économique, environnementale et sociale. Le deuxième souci des pays candidats, à côté de la modernisation de leur économie, est la sécurité. Une conférence européenne réunit, lors de chaque Conseil européen, les Chefs d'Etat et de Gouvernement des Quinze plus ceux des pays candidats : cette conférence pourrait devenir une institution permanente pour y discuter ensemble les questions de sécurité interne et externe. Ceci pourrait être mis en place tout de suite, et ne nécessite pas de bureaucratie. La troisième solution possible est de faire faire par la Commission dans les trois mois un examen de toutes les principales conditions posées des deux côtés en ce qui concerne les négociations d'élargissement, afin de voir si « un deal » est possible, en ce qui concerne chaque pays pris individuellement.

M. Michel Vauzelle a estimé qu'un congrès des Parlements nationaux aurait été très utile par le passé et pourrait l'être à l'avenir. Les parlementaires nationaux sont confrontés à l'incompréhension de nos concitoyens : les éléments les plus importants de la construction européenne, ainsi l'UEM sont bien acceptés par les citoyens. En revanche des questions très concrètes pour la vie de ces mêmes citoyens sont très mal vécues car les Français se heurtent à une totale incompréhension : ainsi l'exemple de la chasse, dans lequel ils ne comprennent pas que leur député soit impuissant pour intervenir face à des directives européennes dont les mécanismes d'adoption leur paraissent trop complexes pour eux. Il en est ainsi de la sécurité alimentaire ou des traditions alimentaires qui sont le quotidien des citoyens, et dont la remise en question peut les amener à un rejet de l'Europe voire même à des votes extrémistes.

Nous sentons que l'Europe est une réponse au phénomène de la mondialisation. Mais plus l'Europe s'élargit, plus nous avons à faire avec des partenaires qui n'ont pas la même vision de la mondialisation, ou sont fascinés par le modèle américain. Comment nous ferons nous comprendre et comment peut-on espérer qu'une assemblée européenne aura le souci de notre identité et de notre exception culturelle, linguistique, éthique , sociale, notre modèle familial ou social. Si plus d'Europe veut dire moins d'identité culturelle, pourquoi vouloir plus d'Europe ?

M. Jacques Delors a répondu qu'il partageait cette inquiétude et que la réflexion sur la subsidiarité était plus que jamais nécessaire et le cas de la chasse en est un exemple. Il existe par ailleurs un problème philosophique et social, à savoir que nos sociétés veulent le « zéro risque » en ce qui concerne notamment l'alimentation, et cela ne peut exister, les responsables doivent avoir le courage de le dire. L'influence de la France a été très grande en cinquante ans d'histoire de l'Europe, et le rayonnement de la France passe aussi par l'Europe. Il ne sent pas chez nos partenaires un abandon vers la banalisation culturelle, chacun reste attaché à ses traditions. Nous garderons nos diversités à condition de garder dans le domaine de compétence national l'éducation, la protection sociale, la culture et la santé, domaines dans lesquels on peut coopérer mais pas partager, car c'est eux qui font la cohésion nationale et sociale.

M. Yves Dauge a souhaité savoir s'il était possible de conduire une politique européenne plus forte à l'égard de l'Afrique. Il a souligné que c'est davantage sur ce continent qu'en Europe de l'Est, que se joue la rivalité culturelle entre l'Union et les Etats-Unis.

M. Jacques Delors a tout d'abord souligné que les guerres civiles qui déchirent actuellement l'Afrique ont souvent éclaté dans des territoires n'ayant pas appartenu à l'influence française. Avec l'Afrique, l'Union a essayé successivement deux types de politique : l'aide budgétaire générale, qui s'est révélée peu efficace ; puis l'aide par projet qui n'a pas empêché la dérive vers l'endettement. Aujourd'hui, alors même que l'Afrique évolue démocratiquement dans le bon sens, la priorité devrait consister à encourager les coopérations régionales entre pays africains. La même démarche vaut entre pays méditerranéens. Il faut trouver de nouveaux outils pour faire travailler ensemble ces pays, qui échangent de façon trop exclusive avec l'Union européenne.

M. Hervé de Charette a rendu hommage au discours de M. Jacques Delors sur l'élargissement, car il a estimé qu'il en parlait de façon vraie alors que l'habitude est au faux-semblant. L'Europe des Quinze ne se conduit pas correctement à l'égard de l'autre Europe. Elle a pourtant une grande responsabilité à l'égard de ces pays mais elle ne fait rien pour répondre à leurs besoins. L'Europe de demain devra être une Europe équilibrée où chacun se retrouve. La France a un grand rôle à jouer en ce sens.

M. de Charette s'est interrogé pour savoir si la France donnait réellement le ton en Europe, comme l'a dit M. Delors. Son sentiment est que c'est de moins en moins le cas, car la France ne sait pas quelle Europe promouvoir. Il a donc souhaité connaître quelles devraient être selon M. Delors les priorités de la future présidence française.

M. Jacques Delors a rappelé qu'il existait un retard de la France à l'égard des pays d'Europe de l'Est car notre diplomatie n'avait pas été très active, notamment en comparaison avec la diplomatie anglaise ou allemande, lors de la période soviétique. Aujourd'hui, la France devrait plaider pour tous sans faire croire qu'elle privilégie certains pays. Quant aux priorités de la Présidence française, elles devraient tenir selon M. Delors en deux points : réussir la conférence intergouvernementale ; réformer le conseil des Affaires générales pour qu'il puisse à nouveau piloter la construction européenne. Aujourd'hui en effet, le Conseil européen est devenu la seule instance où s'accumulent tous les dossiers, ce qui n'est pas sain. Pourquoi par exemple les Ministres des Affaires européennes ne se réuniraient-ils pas tous les quinze jours à Bruxelles pour préparer les dossiers, en liaison étroite avec la Commission européenne ? La France doit là encore inventer de la simplicité.

Evoquant la CIG et les trois reliquats du traité d'Amsterdam, M. François Loncle, a constaté que la question du nombre de commissaires était de celles qui posaient le plus de problèmes et a demandé quelle serait la formule de compromis permettant de rendre la Commission plus efficace. Remerciant M. Jacques Delors pour l'excellence de sa prestation, il a fait savoir que lors de la réunion des Présidents de Commissions des Affaires étrangères à Lisbonne les 5 et 6 juin dernier un hommage particulier lui avait été rendu.

M. Jacques Delors a expliqué que, à partir de son expérience, il ne considérerait pas une Commission de 22 à 25 membres comme gênante en soi pour son Président, si toute question importante était traitée au sein du collège et non par les chefs de cabinet des commissaires. Actuellement deux solutions sont envisageables, en dehors de celle de un commissaire par pays qui défie le bon sens. Celle, avancée par le Portugal, d'une Commission de 15 à 20 membres, où le Président choisit les commissaires en faisant en sorte que sur dix ans tous les pays membres aient été représentés. L'autre solution est celle des constituencies, où des pays regroupés par affinité régionale (pays Baltes par exemple) seraient représentés par un seul commissaire. Selon lui, la collégialité est primordiale, la commission devant aider les Etats membres à trouver des compromis dynamiques, car quand elle ne le fait plus, elle perd de son influence.

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Informations relatives à la Commission

Ont été nommés, le mercredi 7 juin 2000,

· M. Charles Ehrmann, rapporteur pour les projets de loi suivants :

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation des amendements à la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution (n° 2419) ;

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation des amendements au protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique (n° 2420) ;

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du Protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée (ensemble trois annexes adoptées à Monaco le 24 novembre 1996) (n° 2421) ;

- projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation des amendements au protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d'immersion effectuées par les navires et aéronefs (n° 2422).

· M. Pierre Brana, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion de la République française à la convention internationale d'assistance mutuelle administrative en vue de prévenir, de rechercher et de réprimer les infractions douanières (ensemble 11 annexes), faite à Nairobi le 9 juin 1977 (n° 2175).

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· Timor oriental

· Union européenne


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