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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 13 septembre 2000
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les risques de pathologies spécifiques auxquels auraient été exposés des militaires français au cours de la guerre du Golfe


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La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les risques de pathologies spécifiques auxquels auraient été exposés des militaires français au cours de la guerre du Golfe.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord évoqué les raisons qui l'avaient conduit à souhaiter l'audition du Ministre sur cette question.

Il a rappelé qu'aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en particulier, les militaires ayant participé à la guerre du Golfe avaient présenté dans les années qui avaient suivi leur engagement diverses manifestations pathologiques, depuis des troubles psychiques jusqu'à des affections respiratoires graves ou des cancers. Il a également souligné que le ministère de la Défense britannique faisait état d'une fréquence d'états pathologiques plus élevée chez ces militaires que dans d'autres populations comparables.

Il a constaté ensuite que, depuis quelque temps, des interrogations s'étaient exprimées, en France également, dans l'opinion publique et la presse, sur les pathologies dont avaient souffert d'anciens combattants de la guerre du Golfe. Il a remarqué que, si la réalité de ces troubles de santé était avérée, il restait à en déterminer les causes et à savoir en particulier si elles avaient un lien avec la participation aux opérations du Golfe.

Le Président Paul Quilès a estimé qu'il serait utile dans ces conditions que le Ministre de la Défense précise à la Commission les modalités du suivi médical des anciens combattants de la guerre du Golfe et qu'il en indique les résultats de manière détaillée. Il a demandé à M. Alain Richard s'il considérait que les affections subies par les militaires français présentaient des points communs avec celles des anciens combattants américains ou britanniques et s'il pouvait, à ce propos, préciser si des militaires français avaient eu l'occasion de stationner dans les zones d'engagement des troupes américaines ou britanniques. Il a par ailleurs interrogé le Ministre sur son évaluation des facteurs de risque les plus couramment cités : stress du combat, vaccinations, administration d'antidotes contre les gaz de combat et plus spécifiquement de pyridostigmine, exposition à des agents chimiques, insecticides en particulier, ou encore manipulation de munitions contenant de l'uranium appauvri. Il a également mentionné les thèses selon lesquelles des militaires français auraient été exposés à des milieux toxiques dans un contexte de combat, à la suite, par exemple, d'explosions de munitions incorporant de l'uranium appauvri ou de bombardements d'installations militaires abritant des stocks d'armes chimiques.

Le Président Paul Quilès a jugé que l'audition apporterait à la Commission une première information sur ces questions difficiles d'ordre à la fois médical et opérationnel, soulignant que les états pathologiques des anciens combattants de la guerre du Golfe appelaient à l'évidence une enquête épidémiologique approfondie et une recherche précise de leurs causes médicales mais qu'il était tout aussi indispensable de s'interroger sur les risques sanitaires spécifiques auxquels auraient pu être exposées les forces françaises. Il a estimé nécessaire, étant donné la complexité de la question, que la Commission envisage de s'en saisir, pour examiner ses aspects plus spécifiquement militaires, parallèlement aux études strictement médicales qui devront être menées par ailleurs, de manière à progresser dans la recherche de la vérité en évitant les conclusions hâtives. Il a alors proposé que la Commission crée en son sein une mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français qui auraient pu les exposer au cours de la guerre du Golfe à des risques sanitaires spécifiques. Il a souhaité que, pour que le travail de cette mission se déroule dans les meilleures conditions, le Ministre de la Défense lui accorde les moyens de mener ses investigations de la manière la plus complète possible.

Soulignant qu'en raison de sa complexité et de son caractère sensible, le sujet demandait à être abordé avec clarté et rationalité, le Ministre de la Défense a présenté les informations et les réflexions du Gouvernement à propos des suites du conflit du Golfe en matière de santé des combattants.

Toutes les données de santé recueillies auprès des militaires ayant servi dans le Golfe ont conduit à la conclusion que, outre les blessures subies pendant l'opération, l'ensemble des affections constatées au cours des neuf années écoulées se rattachaient à des maladies déjà connues et identifiées. Le ministère de la Défense et particulièrement le service de santé ont, en même temps, toujours poursuivi des études pour détecter les faits nouveaux qui pourraient montrer l'apparition de pathologies antérieurement inconnues. M. Alain Richard a souhaité faire le point des activités de son ministère en ce domaine pour en assurer la transparence, soulignant qu'à ses yeux la commission de la Défense de l'Assemblée nationale était le cadre légitime d'une telle intervention et remerciant le Président Paul Quilès de l'avoir permise.

Les médecins du service de santé des armées qui ont participé à la guerre du Golfe ont continué à suivre les dossiers, comme c'est toujours le cas, et l'ensemble des 25 000 militaires engagés dans ce conflit ont continué à faire l'objet d'un contrôle médical annuel régulier jusqu'à la fin de leur engagement. Le ministère de la Défense disposait donc d'une base de données très large pour déceler d'éventuels phénomènes anormaux. Or ce n'a pas été le cas.

Le Ministre de la Défense a alors fait le point sur les divers types de séquelles qui avaient été constatées chez les militaires français.

Il a, au préalable, rappelé que le régime des pensions d'invalidité permettait d'indemniser tout militaire souffrant d'une infirmité due à la guerre ou au service. Ce système existe depuis des décennies et il apparaît toujours à la fois équitable socialement et valide médicalement, grâce en particulier aux mécanismes d'expertise extérieure et au contrôle approfondi par des tribunaux indépendants.

Trois cents demandes de pensions ont été adressées au ministère de la Défense depuis la fin du conflit, toutes instruites selon des règles transparentes, connues de tous, régies par le code des pensions. Sur ces trois cents demandes, cent vingt ont été considérées comme fondées, c'est-à-dire que le lien entre le diagnostic médical et le conflit du Golfe a été établi objectivement.

A cet égard, M. Alain Richard a précisé que les militaires participant à des opérations extérieures, qualifiées opérations de guerre, comme ce fut le cas de la guerre du Golfe, bénéficiaient de la présomption d'imputabilité au service de leur infirmité. Pour cela, il faut et il suffit que la blessure ait été constatée avant la fin de l'opération par un document officiel au moment où l'événement s'est produit. Quant à la maladie, elle doit être constatée après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le trentième jour suivant la fin de l'opération. Ce fut le cas pour 120 militaires français. Le Ministre de la Défense a remarqué que ce nombre était relativement réduit par comparaison avec d'autres opérations militaires au cours de ces dernières décennies.

Tout militaire peut naturellement contester devant les juridictions de pensions une décision de rejet de sa demande. Les tribunaux qui examinent ces recours sont indépendants et aidés par des experts extérieurs au ministère de la Défense. En moyenne, le quart des refus de pension est annulé par ces tribunaux, ce qui démontre qu'ils exercent un réel contrôle, et ce, en toute transparence. Ce fut naturellement le cas pour les dossiers déposés dans le cadre du conflit du Golfe.

Ces 120 concessions de pension portent essentiellement sur l'indemnisation de blessures. Une douzaine de cas présentaient des situations médicales plus complexes : il s'agit d'asthénie, d'amibiase, de syndrome anxio-dépressif, de diabète, de névrose, de maladie épigastrique et de tuberculose.

M. Alain Richard a indiqué que les services du ministère de la Défense procédaient actuellement à une analyse détaillée des 180 dossiers rejetés. Il en ressort d'ores et déjà que ces dossiers se rapportent le plus souvent à des blessures de la vie courante militaire dont les séquelles d'incapacité physique n'atteignaient pas le minimum indemnisable de 10 %. D'autres rejets concernent des troubles psychiques dont la relation avec l'engagement dans le Golfe n'a pas été confirmée.

Le Ministre de la Défense a souligné que, comme il avait eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises, il entendait que la transparence soit totale sur ce sujet. Il a observé qu'il avait, pour cette raison, indiqué dès la mi-juillet que les anciens militaires du Golfe qui éprouvaient des troubles, quels qu'ils soient, devaient venir consulter au service de santé des armées pour permettre de nouveaux examens médicaux, qu'il s'agisse de militaires encore en service ou ayant achevé leur engagement. A la date du 14 juillet 2000, en plus des 300 dossiers ayant déjà fait l'objet de décisions, il restait 103 demandes de pension encore à l'instruction auprès du service des pensions, 91 de ces demandes étant fondées sur des blessures subies pendant l'opération et 12 sur des maladies. Entre le 14 juillet et le 29 août 2000, 10 dossiers nouveaux ont été déposés demandant l'indemnisation d'une affection rattachée au conflit du Golfe. M. Alain Richard a expliqué qu'il était très attentif à ce que pourrait révéler l'étude de ces demandes quant à des pathologies nouvelles ou inconnues. Il a cependant noté que ces cas encore à l'étude étaient pour l'instant peu nombreux et que l'intensification des débats dans les médias n'avait pas entraîné de déclarations en grand nombre de troubles non identifiés. Il a précisé qu'il fallait toutefois rester totalement disponible devant les facteurs nouveaux qui pourraient se révéler, même longtemps après.

Soulignant ensuite que les risques encourus par les militaires engagés dans le conflit du Golfe étaient connus et avaient fait l'objet d'une prévention et d'un traitement en amont correspondant aux règles en usage, le Ministre de la Défense a souhaité revenir sur deux points qui avaient fait l'objet de beaucoup de commentaires dont certains étaient incomplets.

En ce qui concerne les vaccinations, il a souligné que celles-ci étaient naturellement toutes des vaccinations réglementaires et légales, dont les effets sont connus depuis longtemps. Elles faisaient partie d'un programme mis en _uvre dès l'incorporation et d'un suivi pendant toute la carrière des intéressés. Aucune expérimentation de produit non éprouvé, contrairement à ce qui a parfois été dit, n'a été réalisée lors de l'opération. Les vaccinations furent donc limitées aux maladies courantes en pays chauds, et très différentes, notamment, de la pratique des Américains.

Il fallait prévoir une protection des militaires français contre les effets d'une éventuelle offensive chimique qui faisait partie des éventualités dans une confrontation avec l'Irak, pays qui a accumulé des armes chimiques en masse et qui les a utilisées en opérations. A cette fin, un certain nombre de produits ont été remis individuellement aux militaires français en complément des mesures générales de protection classique. Il s'agissait de seringues auto-injectables contenant de l'atropine, un anticonvulsivant (Valium), un antidote (Contrathion) et des comprimés de pyridostigmine. Ce dernier produit n'a été pris qu'à l'occasion d'alertes clairement identifiées, ou, pour certaines unités, sur une très courte durée, au moment de l'offensive terrestre. Son efficacité dans la protection contre les agressifs chimiques de combat justifiait largement son utilisation.

Les alliés américains et britanniques ont, au contraire, fait prendre à leurs troupes de la pyridostigmine pendant toute la durée de leur séjour, ce qui correspond à des doses importantes pour l'organisme humain.

Le service de santé des armées et les médecins qui étaient dans le Golfe n'ont constaté pendant les combats aucune intoxication aux neurotoxiques. Si les troupes françaises ont été, comme d'autres, soumises à des alertes entraînant les procédures réglementaires de protection, l'analyse des papiers réactifs que l'on utilise pour identifier les produits toxiques a montré qu'aucune de ces alertes ne fut en réalité suivie de la propagation de gaz toxique. Seul le principe de précaution a joué : ces alertes ne représentent donc pas, par elles-mêmes, une indication sur l'exposition réelle des militaires français à des attaques chimiques. Rappelant par ailleurs que les intoxications aux neurotoxiques entraînent des symptômes immédiats, le Ministre de la Défense a précisé qu'on ne connaissait pas de cas où elles auraient eu des effets neurologiques à long terme, non décelés dans un premier temps, que la France était un des pays actifs dans la recherche à cet égard et qu'aucun cas clinique n'avait été recensé à ce jour pour étayer une telle hypothèse.

Les spécialistes militaires et civils estiment aujourd'hui que les différences constatées entre militaires français, américains et britanniques s'expliquent notamment par une attitude très différente quant aux pratiques en matière de vaccins, aux doses injectées et aux mélanges de vaccins et d'antidotes. Certes, certains militaires français sont revenus du Golfe avec des affections. Mais une procédure médicale objective les a identifiées et aucun fait médical connu à ce jour ne vient concrétiser l'idée d'un « syndrome spécifique à la guerre du Golfe », ce qui incite le ministère de la Défense à maintenir une veille scientifique sur le sujet et à souhaiter que tous les cas concrets pouvant révéler un fait nouveau lui soient communiqués.

Le Ministre a par ailleurs souligné que, comme il l'avait déclaré à l'Assemblée nationale en réponse à des questions au Gouvernement, la France n'avait jamais utilisé en opération de munition incorporant de l'uranium appauvri, à la différence des Etats-Unis. Il a en revanche estimé très probable que des militaires français se soient trouvés à proximité de carcasses de chars détruits par les forces américaines avec ces munitions. Cependant, l'uranium appauvri ne présente pas plus de risque radiologique que le minerai d'uranium et sa toxicologie est comparable à celle de métaux lourds comme le plomb. Sous réserve de vérifications supplémentaires sur la base de faits réels, le Ministre a précisé qu'aucune séquelle d'exposition aux suites d'un impact d'obus à l'uranium appauvri n'a été identifiée chez les militaires français, alors que de telles séquelles sont connues dans le cas de soldats américains victimes de tirs fratricides avec ces munitions et suivis médicalement depuis lors.

Soulignant que le souci de la transparence restait l'une de ses préoccupations essentielles depuis qu'il exerçait les responsabilités de Ministre de la Défense, pour ce dossier comme pour tous ceux qu'il avait eu à traiter, M. Alain Richard a expliqué qu'il restait ouvert à toutes propositions, à toutes démarches permettant d'obtenir une meilleure connaissance des éléments qui demeuraient incertains ou inexpliqués. Il a rappelé qu'il avait fait des propositions concrètes dans ce sens et qu'il avait indiqué à la mi-juillet que tous ceux qui souhaitaient que leur dossier soit réexaminé pouvaient et devaient se manifester auprès des services du ministère ou des structures départementales des pensions. Il a précisé qu'en accord avec le ministère de la Santé, il avait proposé qu'un groupe d'experts, placé sous l'autorité d'une personnalité indépendante, se constitue afin d'analyser les données sanitaires relatives aux anciens combattants de la guerre du Golfe. Ce groupe devrait examiner également l'ensemble des nouveaux dossiers déposés par des personnes estimant être atteintes d'une affection consécutive à leur passage dans le Golfe.

Enfin, le Ministre a jugé que la constitution d'une mission d'information parlementaire examinant, comme l'avait proposé le Président Paul Quilès, le déroulement des opérations militaires, pour apprécier les situations de combat dans lesquelles des militaires français auraient pu être exposés à des risques sanitaires, viendrait très utilement compléter sa démarche de transparence. Le Ministre de la Défense s'est alors engagé à faire en sorte que l'ensemble des documents opérationnels utiles à cette mission soit placé à sa disposition.

Reconnaissant qu'il appartenait évidemment à la Commission de la Défense d'apprécier l'utilité d'une telle investigation et, si elle l'approuvait, d'en fixer la méthode, il a néanmoins jugé que s'agissant des conséquences possibles d'une opération militaire majeure, autorisée et soutenue en son temps par le Parlement, une instance parlementaire était le mieux à même de vérifier la transparence de l'action menée par l'exécutif à l'époque et depuis lors. Il a également observé que, pour apprécier le déroulement d'une action de combat et ses répercussions sur les soldats engagés, la Commission de la Défense avait une pleine légitimité pour choisir les formes de l'investigation. Il a, pour sa part, fait état de la disponibilité complète du Gouvernement à cet égard.

S'exprimant au nom des membres du groupe RPR, M. René Galy-Dejean s'est réjoui que le Ministre de la Défense ait accepté d'être entendu par la Commission, même si c'était après quelques hésitations. Considérant que cette audition était devenue inéluctable, notamment au regard des faits constatés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il a estimé impossible de s'en tenir à une attitude négative et jugé qu'une investigation était urgente, qu'il s'agisse d'apporter la preuve que les interrogations relatives aux maladies des anciens combattants du Golfe étaient dépourvues de fondement ou au contraire de confirmer leur validité.

M. René Galy-Dejean s'est ensuite demandé s'il ne serait pas possible d'inverser la charge de la preuve de manière à ce que ce soit désormais le ministère de la Défense qui soit tenu de prouver l'absence de lien entre une affection et une opération militaire.

Il a enfin indiqué que les propositions du Président Paul Quilès et du Ministre rencontraient l'accord des membres du groupe RPR.

Après avoir regretté le temps perdu avant de reconnaître la nécessité d'une investigation et souligné le besoin de transparence dans un domaine tel que celui des pathologies subies par les anciens combattants de la guerre du Golfe, M. Pierre Lellouche a rappelé qu'un débat semblable avait eu lieu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et qu'il avait permis de mettre en _uvre des mécanismes d'information et d'indemnisation. Il a alors considéré que le « syndrome de la grande muette » qui affectait l'armée française était à l'origine de retards qui avaient accru le poids des rumeurs et placé les autorités sur la défensive. Constatant l'existence de pathologies avérées, il a fait valoir qu'il importait à présent de vérifier la réalité de leur lien avec les opérations du Golfe.

Notant qu'à l'avenir la France allait probablement être appelée à engager fréquemment ses forces sur des théâtres extérieurs où elles pourraient être exposées à la menace de pays dotés d'armes chimiques ou bactériologiques, il a souligné la nécessité d'assurer la protection de nos soldats dans de telles hypothèses.

S'interrogeant sur la conduite parallèle d'une enquête épidémiologique menée par le Gouvernement et d'une mission d'information menée par le Parlement, il a exprimé le souhait que ces travaux ne s'ignorent pas mais soient menés en coordination.

Après avoir exprimé le v_u que la mission d'information procède à une analyse comparative des conditions d'engagement des soldats français, américains et britanniques, il a ajouté que l'opposition était prête à y apporter sa contribution.

Il s'est enfin interrogé sur les moyens que le ministère de la Défense entendait mettre à la disposition de la mission d'information que la Commission envisageait de créer. Evoquant à ce propos le refus qui avait été tout récemment opposé par le Ministre de la Défense à la mission d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, dont il est membre, en réponse à sa demande d'audition du Directeur général de la Sécurité extérieure, il a protesté contre cette décision qu'il a jugée dénuée de tout fondement.

Après s'être félicitée que l'initiative du Président Paul Quilès donne l'occasion au Ministre de la Défense de faire acte de transparence, Mme Michèle Rivasi, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a estimé que les gouvernements soutenus par la majorité parlementaire précédente n'avaient pas témoigné du même intérêt pour la santé des militaires français ayant participé à l'opération Daguet. Après avoir observé que la fréquence des déclarations de pathologies graves consécutives à la participation aux opérations de la guerre du Golfe était nettement plus grande aux Etats-Unis qu'en France, elle a fait état des difficultés que pouvaient rencontrer les militaires français souffrant de troubles majeurs pour saisir les commissions de réforme et s'est prononcée en faveur d'une refonte de leur fonctionnement.

Mme Michèle Rivasi a également renouvelé sa demande d'une étude globale sur l'état sanitaire des 25 000 militaires français engagés dans les opérations du Golfe, faisant valoir que 22 000 d'entre eux n'étaient plus suivis du fait de leur départ des armées.

Elle a par ailleurs demandé au Ministre de la Défense s'il était exact que le bromure de pyridostigmine avait été utilisé pour la première fois comme antidote lors de la guerre du Golfe. Elle a également souhaité des précisions sur les conditions dans lesquelles ce produit avait été prescrit ou sa consommation ordonnée aux militaires présents sur le terrain. Faisant état de contradictions dans les déclarations françaises et américaines concernant la nature des gaz de combat détenus par les Irakiens, elle a demandé quels agents toxiques avaient été employés au cours du conflit, tout en se prononçant en faveur du lancement d'une étude destinée à déterminer l'effet sanitaire de faibles doses de ces produits.

S'agissant des risques encourus au contact de l'uranium appauvri, elle a souligné que le seuil d'inhalation admis pour cet élément est bas puisqu'il est fixé à 3 000 becquerels par an. Elle s'est alors demandé dans quelle mesure les autorités avaient attiré l'attention des militaires de la division Daguet sur les dangers liés à la présence d'uranium appauvri dans les zones bombardées par les forces américaines et britanniques. Elle a également souhaité connaître la teneur en uranium appauvri des munitions françaises incorporant cet élément ainsi que son origine exacte puis s'est inquiétée des risques que pouvait présenter l'utilisation d'uranium appauvri obtenu à partir d'uranium retraité.

Evoquant la procédure en cours devant le tribunal des pensions militaires de Toulon relative au décès d'un premier maître mécanicien, Mme Michèle Rivasi s'est déclarée surprise de l'information donnée par un article de presse récent, selon laquelle le ministère de la Défense aurait confirmé la présence de ce militaire dans le Golfe persique lors de l'offensive contre l'Irak, contrairement aux affirmations du Commissaire du gouvernement.

Après s'être félicitée que les demandes de nombreuses personnes ayant participé aux opérations de la guerre du Golfe ainsi que de l'association Avigolfe qui défend leurs intérêts aient été entendues, Mme Michèle Rivasi a réaffirmé la nécessité d'un suivi clinique précis des anciens combattants faisant état de pathologies consécutives à leur participation à ces opérations.

M. Bernard Cazeneuve s'est réjoui de l'annonce par le Ministre de la Défense de la constitution d'un groupe d'experts médicaux, soulignant qu'il s'agissait d'une décision qui relevait de la compétence du Gouvernement, alors que la création d'une mission d'information parlementaire était du ressort de la Commission. Constatant que l'expression de « syndrome de la guerre du Golfe » recouvrait des pathologies multiples, sans lien entre elles et résultant de facteurs divers, il a demandé au Médecin général des armées, M. Daniel Gautier, Directeur central du service de santé des armées, s'il était possible de réaliser, dans de telles conditions, une étude épidémiologique pertinente et quelles étaient les méthodes d'analyse les mieux adaptées à ce type de situation.

M. François Lamy a rappelé qu'au cours d'une précédente audition, au mois de juillet dernier, il avait interrogé le Ministre de la Défense sur la réalité d'un « syndrome de la guerre du Golfe », sans alors constater beaucoup d'intérêt de la part des membres de l'opposition. Il a également relevé que des questions portant sur la toxicité de l'uranium appauvri avaient été posées au cours des derniers mois par des membres du groupe socialiste. Il a alors interrogé le Ministre sur l'opportunité d'une étude générale relative aux conséquences de l'utilisation des armes à uranium appauvri, en faisant notamment référence au conflit du Kosovo puis il a souhaité savoir si l'association Avigolfe avait transmis au ministère de la Défense tous les dossiers médicaux en sa possession.

M. Alain Calmat, usant de la faculté prévue par l'article 38 du Règlement, a jugé que les suites médicales de la guerre du Golfe constituaient un problème de santé publique relevant du dispositif de sécurité sanitaire récemment créé, dans la mesure où elles concernaient, au niveau national, près de 22 000 anciens militaires. Il a souhaité, à cet égard, que l'Institut de veille sanitaire procède, en relation avec les autorités militaires, à un recensement des pathologies constatées chez les anciens combattants de la guerre du Golfe afin de déterminer si elles présentent une spécificité ou si, au contraire, elles se rencontrent avec des fréquences identiques ou comparables à celles qui sont observées dans d'autres populations. Il a également insisté sur la nécessité de veiller à l'articulation des travaux de l'Institut de veille sanitaire avec ceux du groupe d'experts indépendants dont le Ministre a annoncé la création.

M. Robert Gaïa a approuvé la méthode d'investigation exposée par le Ministre, en exprimant sa gêne à l'égard de l'expression « syndrome de la guerre du Golfe » trop réductrice à son sens. Il a estimé nécessaire d'élargir le débat en engageant une étude plus générale sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des armes et de l'exposition aux risques dans les conflits contemporains, jugeant que des solutions nouvelles devaient être élaborées pour assurer dans les meilleures conditions la protection des forces. Il a par ailleurs estimé qu'il n'était pas anormal que des pathologies nouvelles échappent à la classification du code des pensions civiles et militaires, rappelant qu'il avait fallu de nombreuses années avant que certains combattants de la guerre d'Algérie ayant subi des traumatismes psychiques graves obtiennent la reconnaissance de leurs affections.

Tout en se félicitant de la décision du Ministre de la Défense de créer un groupe d'experts indépendants et de la proposition du Président Paul Quilès de constituer une mission d'information au sein de la Commission, M. Alain Moyne-Bressand a relevé le réel retard de la France par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il a souhaité, en conséquence, que le groupe des experts indépendants s'adjoigne la collaboration d'experts étrangers, notamment américains et britanniques, et bénéficie de leur expérience pour approfondir sa connaissance des données caractéristiques du « syndrome de la guerre du Golfe ».

M. Bernard Grasset a jugé nécessaire de procéder à une investigation parlementaire, dans le cadre d'une mission d'information, compte tenu de la médiatisation de la question des suites médicales de la guerre du Golfe. Il a observé que toute guerre entraînait des pathologies spécifiques comme l'ont notamment démontré les conflits de 1914-1918 ou, plus récemment, d'Algérie. Evoquant les difficultés à appréhender les pathologies imputées à des troubles mentaux, à la multiplication des vaccins, à l'absorption de médications préventives, à l'exposition aux armes à uranium appauvri et aux diverses maladies tropicales particulières à certaines régions d'intervention, il a considéré qu'il conviendrait désormais d'anticiper les conséquences sanitaires des opérations pour assurer un meilleur suivi médical des militaires qui y participent. M. Bernard Grasset a, par ailleurs, souligné que le travail du service des pensions des armées était de grande qualité, par comparaison notamment avec les structures administratives équivalentes d'autres pays. Il a enfin jugé difficile d'ériger en principe le renversement de la charge de la preuve, même à titre exceptionnel, dans la procédure d'indemnisation des troubles ou affections susceptibles d'être liés à des conflits armés.

M. Yves Fromion a proposé que la compétence de la mission d'information de la Commission soit notamment élargie aux opérations des Balkans afin d'établir d'éventuelles analogies entre les conséquences médicales de la guerre du Golfe et celles d'autres conflits, dans le domaine psychique par exemple en raison du stress du combat.

Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :

- le reproche selon lequel le ministère de la Défense aurait tardé à prendre des mesures concrètes de transparence concernant les conséquences sanitaires de la guerre du Golfe n'apparaît pas fondé. En effet, à la mi-2000, après l'analyse de milliers de situations individuelles, il n'existait pas, à la connaissance du service de santé des armées, de cas nominatifs d'une pathologie qui ne serait pas rattachable à une pathologie déjà connue et identifiée. Dès que cette conclusion a été mise en cause, il y a quelques mois, le ministère a non seulement mis en place une structure commune aux administrations de la Santé publique et de la Défense pour étudier la question, mais il a aussi, dans un souci de transparence, immédiatement fait connaître publiquement son souhait d'être saisi de cas nouveaux pouvant relever d'une pathologie inconnue ;

- la charge de la preuve n'incombe pas systématiquement au demandeur. La question de l'indemnisation des maladies ou blessures dues à la participation à des opérations de guerre est traitée par les dispositions de la législation sur les pensions militaires d'invalidité, qui trouve ses origines en 1919. Il est vrai que ni le grand public ni les militaires à titre individuel n'ont une connaissance intime et précise de ces dispositions, mais la société militaire dans son ensemble est en mesure d'en informer ses membres lorsqu'ils sont susceptibles de s'en prévaloir. Cette législation comporte, pour un certain nombre de maladies qu'elle définit, un régime de présomption de rattachement au conflit. Dès lors, en cas de contestation, c'est au ministère de la Défense qu'il revient d'indiquer au juge d'autres causes susceptibles d'exonérer la responsabilité de l'Etat ;

- la mission d'information parlementaire, si elle est créée, sera tenue informée des travaux du groupe d'experts commun au ministère chargé de la Santé publique et à celui de la Défense. Il sera demandé à ce groupe de faire parvenir le résultat de ses travaux à la mission d'information, y compris sous forme de rapport d'étape, de façon à aider celle-ci dans l'analyse et l'évaluation des conséquences sanitaires des opérations militaires ;

- la remarque selon laquelle les militaires victimes d'affections difficiles à caractériser, telle que l'asthénie, hésiteraient à se présenter devant la commission des pensions, est juste. C'est pourquoi il est proposé que les personnels qui le souhaiteront puissent présenter leur dossier directement au groupe d'experts, le ministère souhaitant vivement que les associations leur conseillent cette démarche ;

- le groupe d'experts devra mener des investigations sur la population générale, de façon à développer des termes de comparaison ; il devra comprendre des représentants de l'Institut de veille sanitaire ;

- l'association Avigolfe, qui soutient qu'un syndrome spécifique existe, n'a pas jusqu'ici fourni au ministère les données médicales apportant la preuve de cette affirmation ;

- il n'y a pas eu de prescription systématique de pyrostigmine au cours du conflit du Golfe. La pyridostigmine ne devait être prise qu'en cas d'alerte, sur ordre du commandement de la force française. Cet ordre n'a pas été donné. En revanche, des commandants d'unité ont, dans des conditions de stress créées par des alertes, autorisé leurs subordonnés à prendre ce produit. Sa consommation n'a cependant jamais excédé dix jours. Un peu plus d'un million de comprimés de pyrostigmine ont été délivrés par la pharmacie centrale du service de santé et il n'y a pas eu d'ordre de recomplètement.

M. Pierre Lellouche a observé que le développement avéré de maladies connues suffisait à rendre légitimes les inquiétudes exprimées à propos des conséquences sanitaires de la guerre du Golfe.

Le Médecin général des armées Daniel Gautier, Directeur central du service de santé des armées, a apporté les précisions suivantes :

- il n'y a pas eu de retard objectif dans le suivi médical des anciens combattants de la guerre du Golfe qui ont tous été soumis à une visite médicale de retour du théâtre d'opérations et qui, pour ceux qui ont continué de servir dans les armées, ont fait l'objet d'une visite médicale annuelle, à l'instar de tous les militaires ;

- aucun fait pathologique spécifique lié à la guerre du Golfe n'a été décelé, alors que le ministère de la Défense français avait connaissance du phénomène dit du « syndrome de la guerre du Golfe » au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ;

- depuis 1996, des contacts réguliers ont lieu entre le ministère de la Défense français et les ministères de la Défense britannique et américain ; neuf réunions communes sur le sujet ont été tenues ;

- toutes les enquêtes scientifiques réalisées à ce jour au Royaume-Uni et aux Etats-Unis par des organismes indépendants établissent qu'il n'est pas possible de décrire de syndrome spécifique lié à la guerre du Golfe, même s'il est vrai que les anciens combattants de la guerre du Golfe présentent une morbidité et une mortalité plus élevées que d'autres populations comparables ;

- les études américaines classent les affections du « syndrome de la guerre du Golfe » en trois catégories : le syndrome cognitif (troubles de la mémoire, dépression, insomnie, fatigue psychique) ; le syndrome confuso-ataxique (troubles du processus de la pensée et du raisonnement) ; le syndrome arthro-myo-neuropathique (douleurs musculaires et articulaires) ;

M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a ensuite apporté les éléments de réponse suivants :

- les services de santé, qui ont travaillé sur les effets des armes chimiques n'ont jamais identifié de contamination qui, même à très faible dose, n'ait pas produit d'effets à très court terme ;

- ne souhaitant pas s'exprimer sur le cas particulier cité par Mme Michèle Rivasi, il a néanmoins précisé que les dernières informations apportées par voie de presse sur les états de service de l'ancien militaire en question dans le Golfe au moment du conflit n'étaient que pure spéculation et ne provenaient pas de ses services ;

- il a enfin estimé que le nombre de personnes atteintes d'affections liées à des opérations extérieures et ne le sachant pas ou ne souhaitant pas en faire état était certainement très réduit. Reconnaissant toutefois que certaines affections, notamment psychologiques, peuvent survenir longtemps après les faits, il s'est prononcé en faveur d'examens médicaux effectués par sondage parmi les personnels ayant participé à des opérations extérieures, selon une périodicité restant à définir ;

- l'association Avigolfe n'a transmis au ministère de la Défense aucun des dossiers dont la presse a fait état.

Le Président Paul Quilès a constaté l'accord unanime des participants à la réunion en faveur de la création d'une mission d'information destinée à vérifier si des militaires ont pu être placés au cours de la guerre du Golfe dans des situations comportant des risques sanitaires spécifiques. Il a retenu des propos du Ministre que le groupe d'experts, chargés d'analyser les données sanitaires relatives aux anciens combattants de la guerre du Golfe et d'examiner les dossiers de toutes les personnes déclarant être atteintes d'une affection consécutive à ces événements, pourrait être entendu par la mission d'information et qu'il lui fournirait toutes les informations qu'elle jugerait utiles. Il a estimé enfin que la mission d'information pourra, sans s'éloigner de son objet qui concerne spécifiquement le conflit du Golfe, comporter des conclusions et préconisations intéressant d'autres conflits récents ou à venir.


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