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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 3 octobre 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition du Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées, sur le projet de budget pour 2001

- Information relative à la Commission

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La Commission a entendu le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées, sur le projet de budget pour 2001.

Après avoir souhaité connaître l'appréciation du Général Jean-Pierre Kelche sur l'état de la professionnalisation, le Président Paul Quilès lui a demandé s'il considérait que le projet de budget permettait de la poursuivre dans de bonnes conditions.

Soulignant que l'une des inconnues principales de la professionnalisation concernait son impact budgétaire, il l'a également interrogé sur le réalisme de son cadrage financier initial et sur les risques de dérapage des coûts de rémunérations et charges sociales au détriment du fonctionnement.

Il s'est ensuite enquis des conséquences de l'augmentation du coût des carburants sur l'activité des forces et des moyens d'y faire face, rappelant que le Ministre de la Défense avait, au cours de sa dernière audition, assuré la Commission que les déficits prévisibles de ressources pour 2000 et 2001 seraient comblés.

Enfin, relevant que le niveau des crédits d'équipement apparaissait légèrement en retrait par rapport aux annuités de la revue de programmes, même s'il se situait à un niveau qui permettait de faire face aux besoins de modernisation identifiés par la loi de programmation et confirmés par les enseignements des opérations récentes, il a souhaité que le Chef d'état-major des Armées puisse éclairer la Commission sur les priorités du projet de budget, sur les choix et les décisions qu'il autorisait et sur les perspectives qu'il ouvrait au-delà même de l'horizon de la programmation.

Le Général Jean-Pierre Kelche a tout d'abord souligné qu'il portait une appréciation contrastée sur le projet de budget pour 2001, faisant part d'un jugement plutôt positif sur le titre III, mais d'inquiétudes sur le titre V. Il a remarqué à ce propos que les conditions de construction des budgets pour 2001 et 2002 revêtaient un caractère décisif pour les annuités de la prochaine loi de programmation.

S'agissant du titre III, il a estimé qu'il permettait de poursuivre dans de bonnes conditions la professionnalisation, déjà très avancée pour l'armée de l'Air et la Marine. Il a jugé que les conditions de recrutement des militaires du rang engagés étaient bonnes, voire très bonnes, indiquant que des limites avaient été imposées aux engagements d'appelés, de manière à inciter les armées à se tourner plus largement vers la société civile. Il a néanmoins souligné la nécessité pour une armée professionnelle de conserver dans le temps la qualité de son recrutement.

Le Général Jean-Pierre Kelche s'est également réjoui que la ressource en appelés reste globalement conforme aux prévisions. Il a souligné qu'il n'y avait pas de changement significatif d'attitude vis-à-vis du service national, le comportement des appelés apparaissant dans l'ensemble excellent.

Il a cependant exprimé des préoccupations concernant le recrutement des volontaires pour lequel il a noté un léger déficit. Il a souligné à ce propos que le profil des volontaires, très proche de celui des engagés, rendait leur recrutement difficile à gérer alors même qu'au sein des armées la Gendarmerie avait beaucoup misé sur cette ressource. Il a également fait état d'un déficit persistant en personnels civils, indiquant toutefois que le pic de 9 000 postes non pourvus avait été progressivement atténué à la fois par des embauches et par la réduction des besoins formulés, les emplois vacants devant se situer aux environs de 4 000 en 2001. Sur ce point, le Général Kelche a souligné que le manque de personnels civils imposait aux personnels militaires un surcroît de charges.

Evoquant ensuite le coût de l'armée professionnalisée en rémunérations et charges sociales, le Général Kelche a fait valoir qu'il avait été correctement évalué, les dépassements constatés étant dus à l'élargissement du périmètre des effectifs par rapport aux règles posées. Il a regretté à ce propos que le gonflement des dépenses de rémunérations et charges sociales sous enveloppe constante ait entraîné une compression des crédits de vie courante et d'activité, au point de justifier l'expression de « paupérisation des armées ». Il a souligné que le projet de budget pour 2001 montrait la capacité des armées à gérer le poste des rémunérations et charges sociales puisque le rajeunissement opéré à l'occasion de la professionnalisation entraînait un glissement vieillesse-technicité négatif, tandis que le rebasage en loi de finances initiale des crédits d'indemnités permettait d'abandonner les pratiques anciennes de comblement des déficits de ressources en collectif budgétaire.

Le Chef d'état-major des Armées a ensuite relevé dans le projet de budget un accroissement du recours à la sous-traitance, les armées souhaitant confier certaines tâches à la société civile pour se recentrer sur leur métier. Il a précisé que, sur le plan budgétaire, ce résultat était obtenu par des transferts de crédits de rémunérations vers des lignes spécifiques.

Le Général Jean-Pierre Kelche a ensuite signalé que, dans la Marine et l'armée de l'Air, certains emplois, jusqu'à présent tenus par des sous-officiers surqualifiés par rapport à leurs tâches avaient été transformés en emplois de militaires du rang.

Après s'être félicité qu'en matière de fonctionnement, le déficit de ressources qui avait atteint 1 milliard de francs au moment le plus difficile soit revenu à 350 millions de francs, le Général Jean-Pierre Kelche s'est réjoui de la restauration du taux d'activité des forces qui en résulterait. Il a indiqué à ce propos que le nombre de jours de sortie des unités de l'armée de Terre dont la norme souhaitée était de 100, serait fixé à 80 pour 2001 contre 73 pour 2000 et que l'activité des unités de la Marine passerait de 89 jours de mer à 94, celle de l'armée de l'Air située à 180 heures de vol par an étant restée satisfaisante. Il a ajouté que cet effort serait poursuivi en 2002, les taux d'activité actuels étant inférieurs par exemple aux normes britanniques.

S'agissant des dépenses de carburant, il a précisé que le projet de budget pour 2001 avait été construit sur l'hypothèse, aujourd'hui éloignée de la réalité, d'un baril à 20 dollars et d'un dollar à 6,50 francs. Le budget de 2000 avait été, quant à lui, élaboré avec une hypothèse d'un baril à 14,6 dollars et d'un dollar à 6 francs.

Compte tenu du renchérissement du baril et du niveau élevé du dollar, le prochain décret d'avance doit abonder pour 2000 les produits pétroliers de 1,2 milliard de francs, ce qui devrait préserver le niveau d'activité opérationnelle et garantir la sécurité des vols.

Abordant les dotations d'équipement, le Général Kelche a fait part de ses inquiétudes à l'égard des montants inscrits au projet de budget, qu'il a estimés insuffisants pour compenser les retards accumulés précédemment par rapport à l'évolution prévue vers le modèle d'armée 2015.

S'il s'est réjoui que le total des autorisations de programme soit supérieur de 1,2 milliard de francs à celui des crédits de paiement, il a néanmoins jugé cette dotation trop faible pour mener convenablement la politique de commandes globales dans les conditions initialement envisagées. Il a, à ce propos, indiqué que les commandes globales avaient déjà donné lieu à l'engagement de 51 milliards de francs d'autorisations de programme, auxquels devraient s'ajouter en 2001 7 milliards de francs pour 20 appareils Rafale. Il a ajouté qu'aucune ouverture d'autorisations de programme n'avait été prévue pour le financement du nouvel avion de transport militaire mais que le Premier ministre avait annoncé l'imminence d'une mesure à cet effet lors de sa récente allocution devant l'IHEDN. Précisant que les armées avaient d'ores et déjà mobilisé leurs stocks d'autorisations de programme disponibles, il a insisté sur le fait qu'elles avaient besoin en permanence d'un fonds de roulement d'environ 6 mois d'engagements représentant un montant de l'ordre de 40 milliards de francs.

Abordant ensuite les crédits de paiement, il a fait observer qu'ils s'établissaient en réalité à 82,2 milliards de francs, compte tenu de la dotation de 1,25 milliard de francs destinée au budget civil de recherche et de développement (BCRD), qui ne contribuait en rien à l'effort de défense. Il a ajouté que, face à l'insuffisance des ressources en crédits de paiement, les gouverneurs de crédits avaient dû prendre, pour éviter des ruptures de trésorerie, des mesures d'étalement et de lissage des dépenses, qui avaient entraîné, outre le renchérissement final des matériels, des retards dans l'équipement des armées, évalués par exemple à 8 mois pour l'armée de Terre depuis 1997. Il s'est déclaré préoccupé de ce que le projet de budget ne permette pas de rattraper ces retards, voire contribue à les amplifier.

Faisant état de difficultés dans le maintien de la capacité opérationnelle de certains matériels, le Chef d'état-major des Armées a également fait part de ses préoccupations quant aux conséquences de l'insuffisance globale des crédits de paiement sur le niveau de disponibilité des équipements. Il a ainsi donné l'exemple du parc d'hélicoptères Puma de l'armée de Terre dont le taux de disponibilité, en raison notamment du manque de rechanges ou de reports de visites d'entretien s'établit à 55 %, alors qu'il devrait être de 75 %. Il a indiqué que, de même, le parc des hélicoptères Cougar présentait un taux de disponibilité de 65 %, et s'est déclaré préoccupé de celui des avions de combat de l'armée de l'Air. Evoquant la future loi de programmation, il a souligné la nécessité de préserver le socle de ressources permettant aux armées d'assurer le bon entretien du matériel dont elles disposent. Il a jugé qu'en dépit de gains de productivité importants attendus, par exemple, du rapprochement des services de maintenance des matériels aéronautiques de la Marine et de l'armée de l'Air, les perspectives de court terme en matière de disponibilité des équipements restaient préoccupantes.

S'agissant de la coopération européenne, le Chef d'état-major des Armées a rappelé qu'elle portait sur 21 programmes mobilisant un peu plus de 10 % des crédits d'équipement hors BCRD, dont les plus importants étaient les programmes Tigre, NH 90, Horizon et FSAF. Evoquant plus spécifiquement l'espace, le Chef d'état-major des Armées a estimé que la coopération européenne y apparaissait délicate. Le programme de télécommunications spatiales Syracuse III, totalement réorganisé suite au retrait du Royaume-Uni, est actuellement scindé en deux phases : la première doit permettre le développement, dans un cadre national, d'un satellite dont le lancement est prévu pour 2003 ; la seconde porte sur la construction d'un autre satellite pour 2006, dans un cadre franco-allemand. Quant au programme d'observation spatiale Hélios II, d'intérêt majeur pour la défense, il est réalisé au niveau national après le retrait de l'Allemagne, avec pour objectif le lancement d'un premier satellite en 2004. La France envisage par ailleurs une coopération avec l'Allemagne et l'Italie, qui pourrait aboutir à un système de fournitures croisées d'images spatiales optiques et radar.

Abordant enfin les activités des armées hors de métropole, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué qu'elles mobilisaient plus de 35 000 hommes, parmi lesquels 14 900 appartenaient aux forces de souveraineté (DOM/TOM), 6 200 étaient prépositionnés en Afrique et 10 000 déployés en opérations extérieures, dont 8 800 dans les Balkans. Le Général Jean-Pierre Kelche a considéré que la proportion d'unités tournantes au sein de ces forces, qui atteignait en Afrique environ 70 %, apparaissait trop forte et ne pouvait durablement être maintenue, notamment dans les fonctions administratives et techniques. Il a jugé que l'armée de Terre devrait, pour corriger ce déséquilibre, affecter de l'ordre de 500 cadres permanents en Afrique et dans les DOM-TOM.

Il a par ailleurs indiqué que les surcoûts des opérations extérieures pour 2000 pouvaient être évalués à 3,4 milliards de francs, dont 2,2 milliards de francs pour les rémunérations et charges sociales et 0,8 milliard de francs pour le fonctionnement. Il a également souligné que, depuis 1992, ces surcoûts s'étaient élevés, en moyenne annuelle, à 4,4 milliards de francs, soit 3,3 milliards de francs pour le titre III et 1,1 milliard de francs pour le titre V.

Soulignant que le cadre d'évolution des armées serait de plus en plus marqué par la dimension européenne, le Président Paul Quilès a relevé que l'objectif fixé à Helsinki d'une capacité de déploiement de 60 000 hommes correspondait à un réservoir de 80 000 hommes, et, compte tenu des relèves, à un effectif projetable de 240 000 hommes. Il a alors demandé comment cet objectif ambitieux pourrait être atteint et quelles seraient les contributions respectives de la France et de ses partenaires. Il a également interrogé le Général Jean-Pierre Kelche sur la configuration qu'il estimait souhaitable de la chaîne de commandement de cette future force européenne. Evoquant enfin la situation actuelle des Balkans, que ce soit en Serbie, en Macédoine, au Kosovo ou au Monténégro, il a demandé au Chef d'Etat-major des Armées quelle était son évaluation des risques ainsi que de la nature et du niveau souhaitables de la présence militaire internationale dans cette région.

Evoquant les déficits en personnel civil des armées, dus à l'impossibilité d'absorber l'ensemble des sureffectifs de Giat-Industries et de DCN, M. Charles Cova s'est demandé s'il ne serait pas possible de recruter, pour compenser ce manque, des militaires parvenus au terme d'un engagement de huit à dix ans.

Faisant état d'une diminution de 15 % des crédits d'entretien de la flotte, il a ensuite demandé au Général Jean-Pierre Kelche si elle résultait d'une décision de l'état-major des Armées ou de l'état-major de la Marine, alors même qu'un certain nombre de bâtiments de la flotte sont « à bout de bords ». Estimant par ailleurs que l'alourdissement des missions assignées aux armées contrastait avec une pénurie grandissante de moyens et citant en exemple le spectacle qu'il a qualifié de désolant d'hélicoptères militaires vétustes utilisés en Guyane, il s'est demandé s'il ne fallait pas se décider à déclarer publiquement que l'institution militaire ne pouvait plus fonctionner normalement. Enfin, il a souligné qu'à 83,7 milliards de francs, le niveau des crédits de paiement prévu dans le projet de budget pour 2001, était bien inférieur à l'annuité prévue par la loi de programmation militaire.

M. Pierre Lellouche a demandé au Chef d'état-major des Armées des précisions sur le niveau d'entraînement comparé, armée par armée, des forces françaises et de celles des autres pays de l'Alliance atlantique.

Il a souligné ensuite qu'en dépit de rentrées fiscales exceptionnelles, aucun crédit supplémentaire n'avait été accordé au ministère de la Défense pour résorber ses retards d'équipements. Au contraire, les dotations affectées au BCRD, jointes à l'incidence de la hausse du coût des carburants, représentaient pour les armées une perte de ressource de l'ordre de 3 à 4 % de leurs dépenses d'équipement. Il a fait valoir à ce propos qu'un écart croissant se creusait entre les capacités des forces américaines et européennes, les experts des questions de défense estimant, notamment outre-atlantique, qu'il était de plus en plus difficile aux Etats-Unis et aux pays européens de participer à des actions militaires communes.

M. Pierre Lellouche a alors interrogé le Chef d'état-major des Armées sur les enseignements qu'il tirait de la guerre du Kosovo en ce qui concerne l'équipement des forces françaises, lui demandant également de faire le point sur leurs capacités de défense active contre la prolifération balistique, chimique et biologique. Il a par ailleurs souhaité savoir si le Chef d'état-major des Armées jugeait souhaitable d'inscrire, dès la loi de finances initiale, une dotation destinée à financer les opérations extérieures, étant donné leur fréquence et leur caractère souvent prévisible. Enfin, il s'est enquis du volume de forces que la France pourrait effectivement déployer en cas de crise grave survenant soudainement sur d'autres théâtres que ceux où elle est déjà engagée militairement.

M. Guy-Michel Chauveau a demandé quels enseignements avaient été tirés du conflit du Kosovo en matière de systèmes d'observation et de commandement. Il s'est interrogé sur le niveau des dépenses de recherche engagées, notamment en ces domaines. Il a également souhaité obtenir des précisions sur la teneur des réflexions actuellement menées par l'état-major des Armées en matière d'actions civilo-militaires.

M. Jean Briane s'est inquiété de la situation des réserves, soulignant qu'elles sont indispensables au bon fonctionnement d'une armée professionnelle.

M. André Vauchez s'est réjoui que les dotations du titre III du projet de budget permettent d'assurer l'achèvement de la professionnalisation dans de bonnes conditions. S'interrogeant sur l'écart très important, constaté notamment au cours des exercices précédant celui de 1997, entre le niveau des crédits de paiement ouverts et celui des dépenses réalisées, il a souhaité obtenir des précisions sur l'exécution des crédits militaires depuis 1995. Rappelant que le recours aux commandes pluriannuelles avait initialement pour finalité de diminuer fortement le coût des équipements de défense, il a demandé dans quelle mesure cet objectif avait été atteint.

M. Georges Lemoine a souligné que le niveau de préparation des forces françaises n'avait rien à envier à celui des troupes étrangères également engagées sur des théâtres extérieurs, comme il avait récemment pu le constater à l'occasion d'un déplacement en Grande-Bretagne. Evoquant la mise en place de la présence militaire internationale au Kosovo, il s'est interrogé sur les difficultés de fonctionnement de chaînes de commandement internationales dont la cohésion militaire se heurte parfois à la dépendance des différentes composantes nationales à l'égard de leurs gouvernements respectifs. Il a également demandé si la Gendarmerie était à même de remplir ses missions dans de bonnes conditions, compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles elle se trouve confrontée.

M. Loïc Bouvard s'est inquiété de la coordination des structures politiques et militaires de l'Europe de la défense avec celles de l'OTAN. Il a par ailleurs souhaité connaître le sentiment du Chef d'état-major des Armées sur le fossé technologique qui, selon la hiérarchie militaire de l'Alliance atlantique, sépare les forces européennes et américaines.

Le Général Jean-Pierre Kelche a apporté les éléments de réponse suivants :

- le sommet européen d'Helsinki de décembre 1999 a formalisé l'ambition des Etats membres de l'Union européenne d'être en mesure, dans le cadre d'une gestion de crise, de projeter jusqu'à 60 000 hommes dans un délai de soixante jours et de les maintenir, de manière autonome, sur le théâtre d'opérations pour une durée d'un an avec les soutiens aériens et navals correspondants. Des réflexions d'experts ont été menées pour préciser cet objectif global. Elles ont donné lieu à des échanges de vues avec l'OTAN qui ont montré la qualité des capacités de planification européennes et en particulier françaises. Elles ont conclu à la nécessité pour l'Union européenne de disposer de 300 à 350 avions de combat, de 80 bâtiments navals et d'un réservoir de forces de 90 000 hommes de manière à satisfaire tous les besoins opérationnels dans les différents scénarios retenus. Outre ces forces d'exécution, l'Europe doit également s'assurer des moyens de son autonomie d'action en se dotant de « capacités clés » dans les domaines du renseignement, de l'évaluation des situations et de la planification des réponses possibles aux crises. Cette planification doit englober toute la gamme des actions militaires et non militaires. Elle doit s'appuyer sur une capacité d'expertise qui la rende crédible et garantisse une grande réactivité. La conférence d'engagement de capacités qui aura lieu le 21 novembre prochain fixera la contribution de chacun des Etats membres à la capacité d'intervention militaire de l'Union européenne. Ses conclusions devront être crédibles, structurées et validées ;

- l'Union européenne doit disposer d'une capacité de décision autonome par rapport à l'OTAN. Il serait souhaitable que la chaîne politico-militaire qui sera mise en place ne se décline pas en de trop nombreux niveaux de responsabilité et n'impose pas de procédures excessivement compliquées. L'Union européenne devra pouvoir mener des opérations importantes, sans recours à l'OTAN. Il ne saurait en effet y avoir de partage des responsabilités qui laisse à l'Union européenne les interventions mineures en réservant à l'OTAN les actions lourdes ;

- la constitution des capacités d'intervention militaire de l'Union européenne nécessitera, pour la France, un investissement prioritaire dans le domaine des moyens logistiques, de commandement et de renseignement de manière à permettre, le cas échéant, à notre pays de se proposer pour diriger une coalition. Si une répartition de l'effort de défense qui spécialiserait les pays membres dans un type d'armement ou de forces n'est actuellement pas envisageable, des synergies importantes peuvent être trouvées dans un partage de la charge des « fonctions douces », qui exposent le moins les hommes, comme c'est actuellement le cas entre les armées allemandes et françaises dans le domaine des prestations de transport ;

- il convient d'accueillir avec prudence les ritournelles sur le fossé technologique qui se creuserait entre les Etats-Unis et l'Europe. Il n'est pas acceptable que les Etats-Unis imposent des standards sans cesse évolutifs, autres que ceux définis d'un commun accord dans le cadre de l'Alliance atlantique ;

- les pays européens doivent se doter d'outils de renseignement, d'analyse de situation et de simulation permettant, à l'opposé de ce qui s'était passé lors de la guerre du Golfe, d'évaluer de manière autonome les risques, les coûts et la durée d'une intervention militaire ainsi que les moyens qu'elle nécessite. L'acquisition de ces capacités clés donnera aux Européens les moyens de discuter d'égal à égal avec les Américains. De ce point de vue, la crise du Kosovo a montré à certains de nos partenaires européens la nécessité de capacités autonomes permettant, par exemple, de définir des objectifs potentiels et de connaître les résultats des frappes aériennes ;

- l'écart de capacités entre Européens et Américains est surtout sensible dans le domaine du renseignement, notamment spatial et des communications. Dans les autres domaines, il est généralement vain de se laisser entraîner dans une course à la technologie qui n'aboutirait qu'au renchérissement des équipements ;

- le conflit du Kosovo a validé les choix antérieurs effectués par la France et notamment la décision de posséder un outil militaire complet couvrant toute la gamme des grandes fonctions. Ainsi, nos capacités de renseignement par satellite, par drone ou par moyens électromagnétiques se sont avérées encourageantes. La tenue au combat de nos équipages, dont certains étaient très jeunes, est digne d'éloges tant sur le plan militaire qu'éthique puisque plusieurs se sont exposés pour essayer d'éviter des pertes civiles. La France a manifesté une capacité notable de présence maritime en déployant notamment un sous-marin nucléaire d'attaque pour interdire toute sortie des bouches de Kotor pendant la durée de la crise.

En revanche, des insuffisances ont été constatées en matière de neutralisation des défenses antiaériennes ennemies, de brouillage offensif, de double identification des aéronefs en vol ou de frappe de précision tout temps à distance de sécurité.

Par ailleurs, le conflit du Kosovo qui était le premier où l'Alliance atlantique s'est trouvée engagée a révélé le caractère peu satisfaisant de certains de ses modes de fonctionnement. En particulier des frappes nationales américaines ont pu avoir lieu en dehors du cadre allié. Un déficit manifeste de communication a pu également être constaté ;

- les conditions d'entraînement des forces sont plus favorables au Royaume-Uni qu'en France, comme le montre la comparaison des taux d'activité qui peuvent être considérés comme significatifs malgré certaines différences de mode de calcul. Dans les forces britanniques, les unités de l'armée de Terre accomplissent ainsi entre 110 et 150 jours de sortie par an, les bâtiments sortent en mer 150 jours en moyenne annuelle et les pilotes effectuent 200 heures de vol par an ;

- un déficit de volontaires créerait des difficultés particulières pour la Gendarmerie, compte tenu des tâches essentielles qu'ils y assurent ;

- s'agissant des Balkans, un changement politique à Belgrade peut permettre de réintégrer la Serbie dans le concert international, sans que la question de la sécurité interne du Kosovo soit pour autant réglée. Parmi les pays de la région, la Macédoine est exposée à des risques particuliers de déstabilisation. Plus généralement, l'amélioration de la situation des Balkans nécessiterait d'accroître le soutien politique et économique aux pays de la région, qui apparaît encore insuffisant aujourd'hui ;

- les armées peuvent actuellement tenir le rythme d'activités imposé par leurs missions. Il est toutefois essentiel de veiller à l'amélioration de la disponibilité des matériels qu'elles utilisent ;

- les crédits consacrés à l'entretien de la flotte ont été réduits de 12 % dans le projet de budget pour 2001 par une mesure volontariste, en recherchant en parallèle des gains de productivité ;

- l'idée de reconvertir d'anciens engagés vers des postes civils paraît judicieuse, compte tenu notamment de la proportion élevée, de l'ordre de 50 %, des militaires placés sous un statut précaire ;

- l'inscription en loi de finances initiale des crédits finançant les surcoûts des opérations extérieures, n'a d'intérêt qu'à condition de prendre en compte cette dépense dès le stade de la construction du budget initial de la défense ;

- les crédits destinés à la recherche bénéficient d'un redressement dans le projet de budget malgré des contraintes globales qui incitent à privilégier les programmes en cours ;

- le changement de format des forces en cas de réapparition d'une menace majeure ne serait pas assuré par un recours aux réserves mais par le rétablissement de la conscription. Les réserves ont vocation à compléter les forces d'active, en renforçant les états-majors en cas de crise ou en apportant une expertise dans les armées pour faire face à des besoins ponctuels. Les réserves représentent toutefois des effectifs plus nombreux dans la Gendarmerie en raison de la mission de sécurité du territoire qui incombe à cette arme ;

- pour maintenir l'ordre dans la zone de Mitrovica, seul s'est avéré efficace un escadron de gendarmerie mobile disposant, en cas de besoin, de l'appui d'une unité de l'armée de Terre instruite par la Gendarmerie. Cet exemple illustre la nécessité d'une force de police professionnelle rapidement projetable lors d'une intervention internationale visant à reconstruire une société civile. Une unité de 5 000 hommes dont 1 000 projetables à brefs délais devrait être créée à cette fin par l'Union européenne. Il est par ailleurs, nécessaire d'envisager à l'avenir l'adossement des forces spécialisées dans la sécurité publique et le contrôle des foules à une force proprement militaire, lorsque les conditions d'engagement sont susceptibles de passer soudainement d'une situation de trouble à l'ordre public à une situation de guerre ;

- l'écart entre le niveau du projet de budget pour 2001 et l'annuité fixée par la revue de programme est à l'origine de retards, mais n'entraîne pas de rupture de cohérence du modèle d'armées.

Remerciant le Chef d'état-major des Armées pour la clarté et la franchise de ses propos, le Président Paul Quilès a constaté, pour s'en réjouir, que l'Europe de la Défense progressait rapidement. Il s'est félicité du chemin parcouru dans ce domaine, qu'il avait pu mesurer à la relecture du rapport qu'il avait consacré aux perspectives d'évolution de l'Alliance atlantique il y a 18 mois. Remarquant que les propositions de ce rapport relatives à la création d'une chaîne de commandement européenne autonome étaient alors considérées comme très ambitieuses, il s'est réjoui de même de la pertinence des conclusions de la Commission de la Défense sur les enseignements du conflit du Kosovo, en ce qui concerne notamment la conduite, par les Etats-Unis, d'opérations sous commandement national ou les lacunes capacitaires françaises. Il a souligné néanmoins que la France n'avait pas à rougir, tant s'en faut, des performances de ses forces, par comparaison avec ses alliés européens.

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Information relative à la Commission

La Commission a décidé de présenter la candidature de M. Jean Michel au Haut-conseil du secteur public.

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