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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 décembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen du rapport d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (MM. Guy-Michel Chauveau, Pierre Lellouche, et Aloyse Warhouver, rapporteurs)

- Information relative à la Commission

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La Commission a procédé à l'examen du rapport de la mission d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (MM. Guy-Michel Chauveau, Pierre Lellouche et Aloyse Warhouver, rapporteurs).

Le Président Paul Quilès a rappelé que la mission d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, composée de MM. Guy-Michel Chauveau, Pierre Lellouche et Aloyse Warhouver, avait été créée en janvier 2000. Il a indiqué qu'elle avait procédé à une étude approfondie de l'ensemble des questions liées à la prolifération et rappelé que MM. Guy-Michel Chauveau et Pierre Lellouche avaient déjà fait, le 14 juin dernier, une communication à la Commission sur les projets américains de défense antibalistique du territoire.

M. Pierre Lellouche, rapporteur, a tout d'abord exprimé ses plus vifs remerciements au Président Paul Quilès pour avoir accepté le principe de la mission d'information et lui avoir donné la liberté intellectuelle et politique, ainsi que les moyens de mener à bien son travail. Il a insisté sur le fait que c'était la première fois qu'un Parlement, à l'exception du Congrès américain, se donnait les moyens d'effectuer une telle étude. Il a salué enfin le caractère bipartisan d'un rapport sur des questions qui touchent aux intérêts suprêmes de la Nation.

C'est à un travail ambitieux que la mission d'information s'est attelée, puisqu'elle a choisi de faire porter son analyse sur l'intégralité du spectre des armes de destruction massive : nucléaires, chimiques, biologiques ou bactériologiques ainsi que sur les missiles balistiques. Elle a examiné cette question à l'échelle internationale, faisant plus nettement apparaître les problèmes que posent, au regard de la prolifération, l'Extrême-Orient, l'Asie du Sud et le Proche-Orient. La mission a également procédé à de nombreuses auditions auprès des responsables institutionnels et des experts français et internationaux. A cet égard, M. Pierre Lellouche a une nouvelle fois exprimé ses regrets devant le refus du directeur de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) de recevoir la mission pour l'entretenir d'un sujet qui relève pourtant du c_ur de ses compétences, dans la mesure où la prolifération est un phénomène de plus en plus clandestin à l'égard duquel les services de renseignement doivent remplir une fonction de « tour de contrôle ». Le rapport de la mission d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ne prétend pas s'ériger en « Bible du monde multipolaire » mais vise à poser les bonnes questions sur les conséquences de la prolifération pour la politique de défense de la France à l'horizon 2020-2030. Il considère également ce sujet comme un problème-clé pour l'avenir de la sécurité de l'Europe. L'espoir des membres de la mission est donc, qu'à tout le moins, avec ce rapport, s'ouvre un débat sur ce sujet en France et en Europe.

M. Pierre Lellouche a exposé que le rapport de la mission se présentait en trois parties : la première livre une photographie détaillée des quatre types de prolifération et de leurs enjeux géopolitiques ; la deuxième procède à l'analyse politique et juridique des régimes de non-prolifération et montre que les éléments de lutte contre la prolifération nucléaire sont en place, qu'on assiste, dans le domaine chimique, au début de la mise en _uvre du contrôle, que la vérification est inexistante en matière biologique et qu'elle n'existe encore qu'en pointillé pour ce qui concerne les missiles. La dernière partie du rapport examine l'avenir des politiques de non-prolifération, soulignant notamment le lien central entre instruments diplomatiques et militaires.

S'agissant de l'état actuel de la prolifération, M. Pierre Lellouche a indiqué qu'il contrastait singulièrement avec les grands espoirs suscités, au début de la décennie, par la fin de la guerre froide et la disparition de l'Union soviétique. De fait, cet optimisme n'était pas sans fondement. Ce sont d'abord trois traités majeurs de désarmement qui ont été conclus dans un laps de temps très restreint à la fin des années 1980 et au début de la décennie suivante : traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) en Europe de 1987, qui a permis l'élimination d'une catégorie entière d'armes nucléaires en soustrayant aux arsenaux soviétique et américain l'ensemble des missiles de croisière et balistiques de courte et moyenne portée (500 à 5 000 kilomètres) et traités START I et II entre les Etats-Unis et la Russie en 1991 et 1993. Parallèlement à ces progrès inégalés jusqu'alors en matière de maîtrise des armements, la lutte contre la prolifération a enregistré un certain nombre de succès au début des années 1990. Dans le domaine nucléaire tout d'abord, la liste des pays candidats au nucléaire s'est raccourcie avec la décision de l'Afrique du Sud en 1991, de l'Argentine et du Brésil en 1994 et 1995, d'abandonner et de démanteler leur programme. A ces « repentis » du nucléaire sont venus s'ajouter la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan qui ont décidé de renoncer à l'héritage nucléaire soviétique. De même, les outils juridiques de la non-prolifération nucléaire se sont renforcés et étoffés au cours de cette période. Le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) a vu son universalité et sa légitimité renforcées par l'adhésion de deux puissances nucléaires, la France et la Chine, en 1992, ainsi que par sa prorogation illimitée en 1995. Par ailleurs, la mise au jour du programme irakien a eu au moins pour vertu de conduire à un renforcement des pouvoirs de l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (AIEA). Il faut ajouter à cette liste la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996 et le lancement de la négociation du traité d'interdiction des matières fissiles à la suite de la conférence de renouvellement du TNP de 1995. Les autres champs de la lutte contre la prolifération ont également connu des avancées remarquables, avec la conclusion, en 1993, de la convention d'interdiction des armes chimiques et le lancement de la négociation d'un protocole de vérification de la convention sur les armes biologiques de 1972.

Ainsi, au milieu de la décennie 1990, il n'était pas illégitime de penser que la multipolarité stratégique était sous contrôle et que la convergence stratégique entre les Etats-Unis, la Russie et l'Europe conduirait à l'instauration d'un nouvel ordre international permettant de limiter les risques de cette multipolarité.

M. Pierre Lellouche a estimé qu'en cette année 2000, le panorama global de la situation internationale en matière de prolifération était tout autre et ne pouvait que susciter l'inquiétude. Il a mentionné à cet égard l'évolution de la situation dans le sous-continent indien, qui a littéralement fait exploser les régimes de non-prolifération. Il a notamment jugé extrêmement inquiétant l'affrontement de l'Inde et du Pakistan à Kargil, dans l'Himalaya, en 1999, c'est-à-dire après leur nucléarisation officielle. De même, l'évolution de la Corée du Nord et de la Chine, qui s'installent comme des proliférateurs stratégiques, contribue également à assombrir le paysage en matière de désarmement et de non-prolifération. L'éventuelle installation à Taïwan d'un système antimissile pourrait en outre enclencher un processus conduisant à la nucléarisation du Japon. Enfin, le Moyen-Orient, pour lequel le processus d'Oslo laissait espérer une stabilisation durable, est aujourd'hui soumis aux risques d'un enlisement du processus de paix et d'une guerre d'attrition dans laquelle le terrorisme, y compris à l'aide d'armes de destruction massive, pourrait jouer un rôle majeur. Le deuxième risque qui pèse aujourd'hui sur la sécurité du Moyen-Orient réside dans la réapparition de menaces de la part de pays qui pourraient être à l'origine de crises : l'Irak n'est plus soumis au contrôle de l'ONU, tandis que l'Iran poursuit des programmes d'armes de destruction massive avec l'aide de la Russie. Enfin, le fait nucléaire israélien représente le troisième risque dans cette région.

Abordant ensuite le bilan des régimes de non-prolifération, M. Pierre Lellouche a fait observer qu'on assistait à un dérèglement, un affaiblissement voire une érosion des instruments mis en place par la communauté internationale. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette évolution, le premier d'entre eux étant l'attitude des Etats-Unis. Le rejet du traité d'interdiction complète des essais (TICE) par le Sénat américain, qui en fait un nouveau traité de Versailles, représente un coup d'arrêt violent pour le processus de maîtrise des armements. En outre, le projet des Etats-Unis de doter leur territoire national d'un système de défense contre les missiles balistiques (NMD), soutenu par les deux candidats à l'élection présidentielle, pose le problème de l'équilibre entre dissuasion et défense et fait peser une hypothèque sérieuse sur l'avenir du traité ABM. L'effet domino d'un éventuel déploiement du système NMD aux Etats-Unis est un risque qui doit être pris très au sérieux. Les conséquences en seraient en effet très lourdes sur la Russie, la Chine et les pays qui en sont proches, l'Inde et le Pakistan.

En regard, l'Europe, parfaitement inexistante dans ce domaine, s'est bornée jusqu'à présent à des prises de position déclaratoires. Loin de se poser en garante du système des traités de non-prolifération, elle souffre même d'une absence complète de réflexion autonome sur ce sujet. M. Pierre Lellouche a estimé qu'il y avait là un paradoxe regrettable, les Etats-Unis ouvrant le débat sur un danger auquel l'Europe, du fait de sa géopolitique, est le plus exposée puisqu'elle se trouve à proximité des zones à risques. A cet égard, M. Pierre Lellouche a souligné l'inquiétante adéquation de la carte des proliférations et de la carte des conflits. C'est donc une spirale extrêmement dangereuse qui se développe sous nos yeux, avec d'un côté, le développement d'arsenaux dans des régions instables, et de l'autre, une volonté de désengagement de l'Etat qui s'est toujours posé en garant des divers régimes de non-prolifération, tant en raison de son influence que de sa taille, sans que l'Europe joue un rôle de substitut ou commence même à s'intéresser au sujet. M. Pierre Lellouche a d'ailleurs fait observer que cette volonté de désengagement des Etats-Unis était nourrie par plusieurs facteurs internes à ce pays. Notamment, la révolution dans les affaires militaires en cours dans les forces américaines (Revolution in Military Affairs ou RMA) favorise la marginalisation croissante de l'arme nucléaire dans la pensée stratégique des Etats-Unis, d'autant que la fascination pour la technologie conventionnelle qu'elle reflète a été nourrie par les faits eux-mêmes, avec la guerre du Kosovo. Ce conflit a en effet conforté les Etats-Unis dans l'idée que leur puissance reposait aujourd'hui, non sur des armes de destruction massive, mais sur leurs capacités technologiques, c'est-à-dire sur leur indéniable supériorité conventionnelle. Dans une certaine mesure par conséquent, aux yeux des Etats-Unis, la réalité stratégique mondiale est déjà celle d'un monde post-nucléaire.

M. Pierre Lellouche s'est ensuite interrogé sur la position de la France dans un tel contexte : quelles sont les conséquences, pour notre pays, de cette évolution marquée à la fois par le développement de la prolifération des armes de destruction massive dans des régions du monde particulièrement instables et par la tentation des Etats-Unis de se désengager des moyens traditionnels de lutte contre ce phénomène ? Le rapport souligne qu'il faut cesser de concevoir la politique de lutte contre la prolifération comme un binôme dont les deux termes, défense et diplomatie, seraient incompatibles. Une véritable politique de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs doit articuler, de manière équilibrée, les volets militaire et diplomatique.

Dans le domaine diplomatique, la priorité doit aller aujourd'hui à un renforcement, et non à la mise au rebut, du système international en place. Pour ce faire, trois conditions doivent être remplies. En premier lieu, il faut amener les Etats-Unis à renoncer à leur démarche unilatérale au profit d'une approche contractuelle et multilatérale. En deuxième lieu, l'Europe doit intégrer dans ses raisonnements stratégiques la probable existence, dans les années à venir, de programmes de défense anti-balistique nationale (NMD) et de théâtre (TMD) et l'inévitable irruption de la défense dans le paysage stratégique mondial. Enfin, l'intégration de la Russie dans ce processus multilatéral représente la dernière condition d'une politique efficace de non-prolifération.

Le rapport présente sept axes qui pourraient former le c_ur de l'action diplomatique de la France dans ce domaine :

- il faut éviter de créer un précédent irakien. La politique de lutte contre la prolifération menée par la communauté internationale serait décrédibilisée en cas de démantèlement du contrôle sur ce pays. Renoncer à un droit de regard sur les programmes et les arsenaux militaires irakiens reviendrait à envoyer un signal positif aux candidats à la prolifération. L'Irak ne doit pas être pour l'ONU ce que l'Éthiopie fut pour la Société des Nations ;

- la Russie doit interrompre ses activités clandestines dans le domaine de la guerre biologique. Elle doit, pour ce faire, procéder à un véritable démantèlement de Biopreparat, institut civil qui a couvert pendant vingt ans le programme pharaonique mené par l'URSS dans le biologique militaire et poursuit aujourd'hui son activité, avec à sa tête les mêmes responsables que durant la période soviétique. M. Pierre Lellouche a ainsi rappelé qu'en 1972, c'est-à-dire l'année même de la signature par l'URSS de la convention d'interdiction des armes biologiques, ce pays lançait dans le plus grand secret un programme d'armes biologiques visant au développement de souches très variées et à leur adaptation à des têtes de missiles. En 1992, la Russie a reconnu l'existence de ce programme auquel elle a officiellement mis fin. Le rapporteur a toutefois indiqué que la mission avait les plus grands doutes sur la reconversion effective des installations de guerre biologique et qu'elle s'était vu refuser l'accès à un des centres de recherche russes soupçonné de poursuivre ces activités, lors de son déplacement en Russie. Il a jugé que l'Europe ne pouvait pas faire comme si cette réalité n'existait pas, notamment au regard des risques considérables de terrorisme qui sont liés à l'existence d'armes biologiques. Il a exprimé sa conviction que les armes biologiques seraient, pour les terroristes, les armes nucléaires du XXIème siècle. Une position très ferme de la France est donc nécessaire en ce domaine ;

- il ne faut pas laisser la Chine s'installer dans un rôle de proliférateur stratégique, que ce soit dans les domaines balistique ou nucléaire, comme ce fut le cas avec le Pakistan. Ce rôle est incompatible avec la politique de la Chine à notre égard. A cette fin, l'aide militaire à Taïwan pourrait être modulée en fonction de l'évolution de la politique chinoise en matière d'exportations nucléaires ou balistiques à destination de pays affichant une politique ostensiblement hostile au monde occidental ;

- l'Inde et le Pakistan posent un problème extrêmement grave à la communauté internationale. L'existence d'arsenaux nucléaires dans les deux pays et les conditions de déclenchement de la guerre à Kargil en 1999 montrent l'extrême fragilité de la relation de « dissuasion » qu'ils entretiennent. M. Pierre Lellouche a jugé que l'Inde et le Pakistan représentaient le théâtre de guerre le plus probable dans les années à venir, notamment du fait de l'antagonisme religieux, ethnique et frontalier qui les oppose ainsi que du contrôle politique très lâche, notamment au Pakistan, sur l'arsenal nucléaire. Ces pays doivent donc être intégrés dans les régimes de non-prolifération par un réseau très dense d'accords avec les puissances nucléaires. Techniquement, il s'agirait de leur proposer la conclusion d'accords stratégiques conditionnés à un triple engagement de leur part d'adopter des mesures de confiance mutuelle, de cesser leur production de matières fissiles et d'adhérer au TNP, avec un statut spécial adapté à leur situation ;

- il faut continuer d'exercer une pression ferme sur la Corée du Nord. On ne peut que regretter, à cet égard, l'empressement excessif de certains pays européens à reconnaître ce pays, alors qu'il n'a entrepris aucune action concrète en faveur de la non-prolifération et s'est contenté de déclarations floues à ce sujet ;

- la France doit promouvoir la négociation et la conclusion d'un traité sur la notification des essais de missiles et la transparence balistique. Il s'agirait d'une mesure de confiance extrêmement utile au niveau international ;

- enfin, elle doit proposer l'universalisation du traité sur les forces nucléaires intermédiaires de 1987.

M. Pierre Lellouche a jugé qu'aucune politique sérieuse de lutte contre la prolifération ne saurait cependant se limiter à une action exclusivement diplomatique. Dans la mesure où la dissémination des armes de destruction massive et de leurs vecteurs fait peser un risque pour notre sécurité, nous devons développer les moyens militaires destinés à nous en protéger. Les risques émanant des trois régions précédemment citées concernent l'Europe au premier chef. Il faut également prendre en considération, au-delà de ces risques régionaux, la menace transversale et diffuse que représente le terrorisme, biologique et chimique notamment : l'attaque du métro de Tokyo au gaz sarin par la secte Aum en 1995 ne doit pas être considérée comme un acte isolé, d'autant qu'à neuf reprises auparavant, cette secte avait tenté d'utiliser des armes biologiques à des fins terroristes.

La question de l'impact militaire de ces menaces a été jusqu'à présent très peu abordée en Europe, si ce n'est par l'OTAN et de manière encore très partielle. De même, en France, la réflexion sur la dimension militaire des conséquences de la prolifération reste confinée à des cercles étroits, voire est purement et simplement écartée. Mais à l'heure où l'Europe de la défense trouve un nouvel élan, alors que la prochaine loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 est en préparation, le dogmatisme n'est plus de mise, et poser la question des conséquences militaires de la prolifération pour la France et l'Europe est une nécessité. Car les interrogations soulevées sont multiples : quel est l'impact de l'accélération de la dissémination des armes de destruction massive sur la doctrine de défense française ? Sur ses moyens ? La dissuasion offre-t-elle les meilleures garanties pour y répondre ? Quelles en sont les conséquences sur les outils de notre défense à l'horizon 2020-2030 ? Le traitement institutionnel du phénomène est-il satisfaisant en termes de recueil, de traitement et de diffusion de l'information ?

La mission d'information dénonce avec force le curieux paradoxe que présente cette Europe qui se désintéresse de la prolifération, alors même que sa situation géographique la rend beaucoup plus vulnérable aux armes de destruction massive et aux missiles balistiques que les Etats-Unis, qui en font pourtant l'une des données-clés de leur politique de défense. Elle recommande, pour lever ce paradoxe, la mise en _uvre de sept axes d'action, qui pourraient utilement être développés dans un Livre blanc européen de la défense :

- l'Union Européenne doit dresser un tableau des menaces directes pesant sur le territoire des Etats européens. A ce jour, cette analyse manque, alors qu'elle représente la condition préalable à la définition d'un format de forces ;

- le même bilan doit être établi s'agissant des menaces susceptibles de peser sur des forces militaires européennes déployées sur des théâtres extérieurs. Rappelons que, dès 2003, le scénario de déploiement de forces européennes deviendra réalité ;

- l'Europe doit voir au-delà des risques directs qui pèsent sur elle. L'évolution stratégique de l'Asie ou du Moyen-Orient la concerne. Il lui faut par conséquent s'interroger sur les conséquences pour sa sécurité d'une accélération de la course aux armements dans les régions les plus instables du globe ;

- l'Union européenne doit s'interroger sur les conséquences pour sa situation stratégique d'une éventuelle remise en cause du traité ABM de 1972 qui réglemente le développement des systèmes de défense antimissile aux Etats-Unis et en Russie ;

- aux portes de l'Union Européenne, la Russie stocke des centaines d'armes nucléaires, des milliers de tonnes d'armes chimiques et des souches bactériologiques en tout genre, dans des conditions de sécurité telles que ce pays demande lui même l'aide de la communauté internationale. Or, il n'existe à ce jour aucune évaluation proprement européenne des risques d'accident ou d'emploi non autorisé de ces armes ;

- en outre, la menace spécifique d'actes terroristes commis à l'aide d'armes de destruction massive doit être précisément mesurée. Les pays européens sont de longue date familiers des problèmes de terrorisme. Ils doivent donc s'interroger sur les conséquences pour leur sécurité de l'utilisation éventuelle d'armes de destruction massive à des fins terroristes ;

- enfin, il est plus que temps de lever le tabou nucléaire qui pèse sur le débat européen, au moment où un autre tabou vient d'être levé avec la constitution d'une force d'intervention européenne. Les Européens ne peuvent plus, aujourd'hui, se contenter d'afficher une position commune sur la non-prolifération nucléaire, sans poser sur la place publique la question du rôle de l'arme nucléaire dans la sécurité européenne au XXIème siècle.

Le rapport s'interroge enfin sur les conséquences de la prolifération des armes de destruction massive et des missiles pour l'appareil de défense français. Jusqu'alors, ce débat a été soigneusement occulté. Notre pays n'est pourtant pas resté inactif, au cours de la décennie qui vient de s'écouler, dans le domaine du désarmement et de la non-prolifération, bien au contraire. Par une ironie dont l'histoire a le secret, la période récente a même vu notre pays passer du statut de proliférateur militant - qui, en particulier jusqu'en 1976, lui a fait refuser d'intégrer les régimes internationaux et l'a conduit à exporter dans un certain nombre de pays ses technologies et son savoir-faire nucléaires - à celui de champion hors catégorie du désarmement unilatéral. A cet égard, M. Pierre Lellouche a jugé que, contrairement à son collègue Guy-Michel Chauveau, également rapporteur, la France était allée trop loin dans ce désarmement unilatéral et qu'elle aurait pu, à tout le moins, le lier à des contreparties diplomatiques. Il s'est demandé dans quelle mesure ces décisions ne seraient pas source de difficultés si la prolifération devait s'aggraver.

La mission d'information est en revanche unanime pour considérer que les conséquences militaires de la prolifération des armes de destruction massive et des missiles doivent être prises en compte dans notre outil de défense, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut cesser d'examiner ces questions au travers du prisme de la dissuasion pure. L'attachement dogmatique de la France à cette conception de la dissuasion n'est plus de mise : sur quelles bases peut-on décréter que la dissuasion à la française est valide dans le monde multipolaire d'aujourd'hui et suffit à traiter le spectre des risques et des menaces pesant sur notre pays ? Le théorème selon lequel toute velléité de défense signifie ipso facto la mise en échec de la dissuasion, y compris dans une configuration du « fort au fou », est une absurdité, un dogme qui interdit toute réflexion. Il faut a minima ouvrir le débat sur la complémentarité entre l'assurance-vie que doit rester la dissuasion nucléaire et les moyens de défense active et passive destinés à traiter les risques et menaces qu'elle ne saurait suffire à elle seule à écarter.

La mission estime que, pour répondre de manière adaptée aux menaces résultant de la prolifération, la France doit développer ses capacités militaires dans quatre domaines :

- en matière de renseignement, l'acquisition de données brutes sur l'ensemble des proliférations doit être renforcée, notamment grâce au renseignement humain. S'agissant plus spécifiquement de la prolifération balistique, la mission estime nécessaire l'acquisition d'une capacité européenne de détection de tirs de missiles dont le coût peut être estimé à 10 milliards de francs environ. Sans compter que cette capacité pourrait jeter les bases d'une coopération avec les Etats-Unis et la Russie ;

- dans le domaine de la dissuasion, les membres de la mission ont des avis divergents. Aux yeux de M. Guy-Michel Chauveau, l'effort actuel de notre pays en faveur de la dissuasion doit être maintenu car il suffit à préserver sa crédibilité. En revanche, M. Pierre Lellouche a estimé nécessaire d'élargir la gamme des options arrêtées ;

- en matière de défense passive, la mission ne peut que constater l'insuffisante sensibilisation de l'opinion et des responsables politiques. C'est donc à un travail pédagogique qu'elle appelle d'abord. Au-delà, la mise en _uvre d'un système efficace de défense en profondeur contre la prolifération et ses conséquences doit être sérieusement envisagée. Elle passe par un accroissement de l'effort budgétaire en ce domaine qui amplifie les progrès modestes faits en 2000 et 2001, après une réduction des dotations au niveau de 4 millions de francs en 1999. Cet effort doit notamment permettre de développer les compétences de base dans la détection des virus bactériologiques ;

- s'agissant enfin de la défense contre les missiles, la France doit poursuivre le développement d'une défense antimissile de théâtre, dont le programme Aster représente une base. Il est nécessaire d'acquérir un système de défense contre les missiles tactiques de 600 km de portée dans un premier temps et de 1 500 km à terme. La réalisation de cette capacité représenterait un effort budgétaire de l'ordre de 18 milliards de francs. En outre, afin de préserver les conditions de son autonomie de décision stratégique et industrielle, la France se doit de maintenir une veille technologique poussée sur l'interception précoce de missiles balistiques à longue portée. Quant à la défense totale du territoire européen, elle ne constitue qu'une vue de l'esprit.

Remerciant à son tour le Président Quilès d'avoir donné à la mission d'information les moyens d'accomplir un travail nouveau dans une instance parlementaire, M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur, a souhaité centrer sa présentation du rapport sur les enjeux européens de la prolifération.

Il a souligné que la mission s'était efforcée d'échapper à deux écueils. Le premier aurait été de sombrer dans le catastrophisme, tentation qui a toujours existé chez les spécialistes de la prolifération. Il a rappelé à cet égard qu'en 1974, les experts américains prédisaient d'ici à 25 ans, c'est-à-dire aujourd'hui, l'existence de 20 à 30 puissances nucléaires. Le deuxième écueil aurait été de céder à l'angélisme, qui est parfois un réflexe chez des experts, généralement européens, désireux de se détacher des analyses américaines. Il a néanmoins admis que le débat était largement monopolisé par ce qu'il a appelé la prolifération des informations d'origine américaine. Or, ce que les Américains appellent, en matière balistique, l'évaluation de la menace, est avant tout une analyse politique qui correspond à leurs intérêts propres, légitimes sans doute et aux attentes de leur opinion publique. Ainsi, aux yeux des Etats-Unis, le fait que la Corée du Nord, l'Irak ou l'Iran possèdent des missiles balistiques représente une menace : la possession ou la maîtrise d'une technologie serait en soi signe d'intentions politiques hostiles. Ce à quoi les experts français ou européens font remarquer qu'il faut distinguer menace et risque : le fait que l'Europe soit à portée de missiles de certains pays du Moyen-Orient, voire d'Extrême-Orient ne signifie pas que pèse automatiquement sur elle une menace. Cette divergence d'appréciation est au c_ur du débat sur la NMD et représente un point fort de la position de la France. M. Guy-Michel Chauveau a néanmoins remarqué qu'il serait dangereux de céder à l'angélisme : il est indéniable que la prolifération balistique s'est accélérée depuis 1998 et que les services de renseignement occidentaux n'ont pas toujours bien pris la mesure de cette évolution qui a permis à la Corée du Nord, au Pakistan, à l'Iran de procéder à des essais de missiles d'une portée supérieure à 1 000 km.

S'interrogeant sur les conséquences de la prolifération pour notre outil de défense et sur les solutions qui pouvaient être mises en _uvre au niveau européen pour y remédier, M. Guy-Michel Chauveau a fait observer que les réponses à ces questions en 2000 différaient de celles qui auraient pu être apportées en 1998, du fait de l'évolution du contexte international.

Il a jugé que si le débat sur l'instauration d'une défense du territoire national contre les missiles balistiques aux Etats-Unis suscitait autant de controverses, c'est parce qu'il posait, dans un domaine particulier, la question fondamentale de la nature de la réponse qui doit être apportée à la prolifération. Jusqu'alors, la communauté internationale, longtemps sous l'impulsion des Etats-Unis, a choisi la réponse diplomatique : elle a mis en place depuis 25 ans des traités, des systèmes de contrôles coordonnés à l'exportation, des procédures de vérification pour prévenir la dissémination des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. M. Guy-Michel Chauveau a noté que, dans le domaine nucléaire, ce système avait bien fonctionné. Aujourd'hui cependant, l'un des pays moteurs de cette construction diplomatique semble revenir sur le traitement négocié des problèmes de prolifération et plus largement sur les processus multilatéraux, au profit d'une approche centrée sur les réponses militaires. Il passe ainsi d'une politique de réglementation internationale de la non-prolifération à une politique de contre-prolifération.

Dans cette perspective, M. Guy-Michel Chauveau a estimé que la France et plus largement l'Union européenne avaient plus que jamais un rôle propre à jouer face aux risques de la prolifération. Elles doivent rappeler la nécessité de préserver et de développer l'acquis de trente ans de non-prolifération. La non-prolifération n'est pas morte, comme le montre l'adoption récente d'un code de conduite internationale établissant des mesures de confiance et de transparence dans le domaine des lancements balistiques, au sein du MTCR, groupe de fournisseurs de technologies de missiles. Le rapport d'information présente par ailleurs un certain nombre d'initiatives politiques et diplomatiques que la France pourrait proposer en vue notamment de les intégrer dans une stratégie commune de l'Union européenne. M. Guy-Michel Chauveau a également insisté sur la nécessité d'établir un dialogue stratégique avec la Russie, qui le souhaite, comme l'ont montré les initiatives du Président Poutine en matière d'échange de données sur les tirs de missiles ou sur la défense tactique contre les missiles. Certes, la volonté de contrer les offensives américaines est évidente. Mais l'Union européenne participe d'ores et déjà à un grand nombre de programmes de sécurisation et de démantèlement des sites nucléaires ou chimiques en Russie, ainsi qu'à la reconversion des scientifiques russes. M. Guy-Michel Chauveau a indiqué à ce propos qu'en Russie 2 000 spécialistes du nucléaire et 10 000 experts dans les domaines chimique et biologique présentaient des risques en termes de prolifération. Il a également signalé que le programme AIDA MOX de reconversion du plutonium russe constituait un élément important de la coopération russo-européenne. M. Guy-Michel Chauveau a ajouté que ce dialogue entre la Russie et l'Union européenne pourrait conduire à insérer dans un processus global une Chine qui apparaît préoccupée par une éventuelle coopération russo-européenne dans le domaine de la réduction des risques liés aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs.

Le rapporteur a fait observer que l'Union européenne n'apparaissait pas pour autant comme un acteur important de la non-prolifération et n'avait jusqu'alors développé qu'une politique essentiellement déclaratoire. La manière dont elle a traité les essais indien et pakistanais est révélatrice de cet état de fait : elle a exprimé sa préoccupation six mois après les faits, certains des 15 s'interrogeant même sur l'opportunité pour l'Union de faire entendre sa voix sur ce sujet. S'interrogeant sur les raisons de cette frilosité, M. Guy-Michel Chauveau a jugé qu'elle tenait à l'absence d'une réflexion globale de l'Union européenne sur la prolifération et sur les stratégies pour la prévenir et la contrer. Quelques actions communes ne font pas une stratégie globale : si les prises de position de l'Union européenne sur la non-prolifération sont peu audibles, c'est qu'elle n'a pas répondu à la question de savoir quelle doit être en ce domaine la part respective de la diplomatie et de la défense.

M. Guy-Michel Chauveau a estimé qu'il manquait d'abord une évaluation européenne de l'état de la prolifération, soulignant qu'il était tout à fait paradoxal de constituer des forces européennes sans avoir envisagé au préalable l'ensemble des scénarios de risques et de menaces auxquels elles pourraient être confrontées : quelle est la conséquence pour l'Union européenne du développement de capacités balistiques au Moyen-Orient ? Quelles seraient les implications d'une éventuelle remise en cause du traité ABM ? Que faire quand la prévention a échoué ? L'Union européenne doit-elle réfléchir au développement de moyens militaires de lutte contre la prolifération ? Autant de questions que le Parlement français doit se poser, à l'instar des Parlements britannique ou allemand qui ont récemment travaillé sur certains aspects de ces questions. En outre, à l'OTAN, des systèmes d'armes sont en cours d'étude de faisabilité sans qu'aucun débat de nature politique n'ait eu lieu à ce jour sur leurs hypothèses d'emploi : police d'assurance, dit-on à l'OTAN, quand la question est avant tout politique. Si ces débats manquent aujourd'hui au sein de l'Union, c'est que pèsent sur elle un certain nombre de tabous, de non-dits, au premier chef le tabou nucléaire. Que veulent faire les Européens des armes nucléaires présentes sur leur sol ? Quel rôle veulent-ils voir jouer à l'arme nucléaire au siècle prochain ? Comment les forces européennes qui seront envoyées à l'extérieur seront-elles protégées ? Autant de questions qui n'ont à ce jour pas reçu de réponses : elles sont difficiles certes, et, pour beaucoup d'entre elles, ne sont même pas posées en France.

Au-delà d'une démarche volontariste et coordonnée dans les enceintes diplomatiques, l'action de l'Europe sur ces questions pourrait se développer dans trois directions:

- la première étape d'une stratégie européenne de lutte contre la prolifération doit passer par l'élaboration d'un Livre blanc européen sur la défense qui présenterait notamment une analyse de la menace et des risques liés aux armes de destruction massive ;

- un deuxième axe d'action résiderait dans le lancement d'une étude de faisabilité d'une capacité européenne de détection de tirs de missiles, qui pourrait être acquise par le lancement d'un satellite géostationnaire à détection infrarouge. Outre son intérêt en termes de renseignement, cette capacité permettrait de jeter les bases d'une coopération avec les Etats-Unis et avec la Russie, qui l'a d'ores et déjà proposée alors même qu'aucun programme n'existe à ce jour en Europe. Cette coopération serait en outre politiquement relativement aisée à mettre en _uvre du fait de ses implications duales, civiles (environnement) et militaires ;

- le troisième axe d'action passe par la coordination des programmes de défense antibalistique de théâtre (TMD), alors que se constitue une force européenne unique. A l'heure actuelle, la France, avec l'Italie, développe un système à partir d'Aster ; l'Allemagne et l'Italie travaillent avec les Etats-Unis sur le programme MEADS et l'OTAN étudie les divers projets de TMD d'origine américaine. Cette cacophonie est liée au fait que les Européens se refusent à poser le problème du rôle des moyens de défense militaire dans la lutte contre la prolifération, qu'il s'agisse de défense active ou passive, alors même qu'ils construisent une force destinée à intervenir sur des théâtres d'opérations extérieurs.

En conclusion, M. Guy-Michel Chauveau a rappelé qu'il y a de cela quelques années, en référence aux propositions françaises sur la dissuasion concertée, Javier Solana, alors Secrétaire général de l'OTAN, avait observé qu'« on ne construit pas une maison en commençant par le toit ». Cette réflexion n'a pas perdu de sa pertinence : l'Europe qui se construit a besoin d'un socle solide. Quels risques, quelles menaces cette Europe devra-t-elle affronter dans les 20 ans à venir ? Quelle stratégie devra-t-elle mettre en _uvre ? La géographie et l'histoire interdisent à l'Europe de faire l'impasse sur la prolifération, risque que l'OTAN ou la France ont identifié dès 1994 comme « multiforme, tous azimuts et aussi difficile à prévoir qu'à estimer ». La France doit, en ce domaine, donner l'impulsion, mais c'est une réponse européenne qui doit être apportée.

Le Président Paul Quilès a félicité les auteurs du rapport d'information, le premier de ce genre au Parlement. Après avoir souligné le caractère dense et argumenté de l'analyse, il a insisté sur la nécessité d'affiner certaines propositions et de ne pas s'en tenir à des v_ux pieux pour ce qui concerne, par exemple, les activités clandestines de certains pays comme la Russie.

Pour ce qui est de la France, il a estimé qu'un débat devait s'instaurer sur la question de la prolifération, même si le sujet, complexe, ne passionne pas l'opinion ni le monde politique. Il a alors jugé que la Commission pourrait être le creuset de ce débat que les rapporteurs ont eu le mérite de clarifier avec sérieux et rigueur en l'alimentant avec des propositions intéressantes.

M. Pierre Lellouche a fait remarquer que les propositions de la mission concernant notamment la Russie avaient été inspirées par un souci de réalisme : alors que la communauté internationale a, jusqu'à présent, préféré se taire sur les programmes d'armement biologique de la Russie, l'expérience montre que le simple fait de discuter avec les autorités russes et d'exercer sur elles une pression politique peut faire évoluer la situation, un certain nombre d'expérimentations et de travaux ayant finalement été reconnus, même si la transparence n'a pas été parfaite et si l'accès aux installations les plus intéressantes a été refusé aux rapporteurs.

M. Bernard Grasset a remercié le Président Paul Quilès pour avoir à nouveau permis la réalisation d'un rapport où la majorité et l'opposition s'entendent sur des questions essentielles pour la défense nationale. Il a par ailleurs regretté que le directeur de la DGSE n'ait pas voulu recevoir les rapporteurs jugeant cette attitude dépourvue d'élégance. Il a alors suggéré que la Commission demande à l'exécutif de veiller à ce que les parlementaires soient, à l'avenir, traités avec davantage de considération par cette administration.

Après s'être félicité qu'un membre du groupe RPR reconnaisse que le dogme de la dissuasion pure n'avait plus de raison d'être, il a jugé que la guerre contre la prolifération avait été perdue lors de la chute du mur de Berlin. Estimant néanmoins qu'une action efficace restait possible en matière de lutte contre les processus de prolifération et leurs effets, si elle était menée dans un cadre européen, il a souligné l'urgence d'initiatives en ce sens sous peine de voir les Etats-Unis conserver ou acquérir seuls toutes les compétences technologiques et militaires ainsi que la maîtrise des évolutions diplomatiques face aux risques liés à la dissémination des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

M. Bernard Grasset a ensuite insisté sur les risques d'actes terroristes commis avec des armes biologiques, rappelant qu'une dispersion d'anthrax dans l'atmosphère à Sverdlovsk, dans l'Oural, avait fait plusieurs centaines de morts en 1979. Considérant qu'une attaque terroriste ayant recours à des armes chimiques ou biologiques était désormais plus probable qu'une guerre nucléaire, il a regretté la disproportion entre les efforts de défense civile consentis aux Etats-Unis et en France.

M. Pierre Lellouche a alors évoqué un entretien des membres de la mission d'information avec le Docteur Khan « père de la bombe atomique pakistanaise ». Il a précisé que ce scientifique leur avait fait part des conditions dans lesquelles le Pakistan avait pu acquérir hors de ses frontières certaines technologies essentielles pour la construction d'armes nucléaires et mené avec succès ses recherches dans le domaine nucléaire militaire, pour un coût de 20 à 30 millions de dollars par an. Par ailleurs, il a insisté sur l'existence de ce qu'il a appelé un « potentiel proliférant », constitué par des milliers de scientifiques russes de haut niveau ne recevant actuellement que de très faibles rémunérations dans leur pays.

Le Président Paul Quilès a confirmé ce risque en rappelant l'impression que lui avait laissée une visite dans une installation industrielle russe.

M. Arthur Paecht a souligné que les dangers de l'armement biologique pourraient être accrus par les progrès de la recherche, notamment médicale. Il a à ce propos mis l'accent sur la nécessité de sensibiliser la communauté scientifique, en particulier médicale, aux risques de dissémination des armements biologiques et bactériologiques de manière à l'inciter à garantir la confidentialité de certains travaux.

M. Aloyse Warhouver a souhaité mettre en exergue le caractère parfois artificiel de la distinction entre les risques liés à la diffusion des technologies nucléaires, selon qu'elles sont civiles ou militaires.

La Commission a alors autorisé à l'unanimité la publication du rapport d'information sur la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs conformément à l'article 145 du règlement.

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Information relative à la Commission

La Commission a décidé de procéder aux auditions de l'Amiral Jean-Luc Delaunay, Chef d'état-major de la Marine et de M. Jean-Yves Helmer, délégué général pour l'Armement, sur les avaries subies par le porte-avions Charles de Gaulle.

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