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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 janvier 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Orientation des travaux de la mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques sanitaires spécifiques

- Information relative à la Commission

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La Commission a tenu un débat sur l'orientation des travaux de sa mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques sanitaires spécifiques.

Le Président Paul Quilès a rappelé que, le 2 octobre 2000, la Commission avait créé en son sein une mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques sanitaires spécifiques. Cette mission présidée par M. Bernard Cazeneuve et dont Mme Michèle Rivasi et M. Claude Lanfranca sont les co-rapporteurs ayant immédiatement engagé ses travaux, il a observé que ses auditions publiques, et notamment celles d'anciens hauts responsables militaires, avaient suscité de nombreux commentaires de presse, ne serait-ce que parce qu'elles avaient permis de préciser des informations jusqu'alors non clairement mises à jour.

Le Président Paul Quilès a ensuite rappelé qu'au cours des dernières semaines différents pays ayant participé, par l'envoi de contingents, à des opérations conduites en coalition dans les Balkans, avaient manifesté leur émotion concernant la santé de certains de leurs soldats. Il a évoqué les cas de l'Italie, du Portugal, de l'Allemagne et de la Belgique, pays dans lesquels les pouvoirs publics, la presse et l'opinion s'étaient inquiétés des affections et notamment de leucémies constatées chez des anciens combattants ayant servi en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo.

Il a ajouté qu'en France, le 4 janvier 2001, le ministère de la Défense avait révélé quatre cas de leucémie chez des soldats qui appartenaient aux forces françaises stationnées en ex-Yougoslavie, tout en précisant que l'état actuel des connaissances ne permettait pas d'établir une relation entre le déclenchement de cette maladie et l'éventuelle existence d'un « syndrome des Balkans ». Convenant que ce nombre de cas devait être rapporté à celui des quelque 40 000 militaires français qui avaient séjourné, depuis 1995, dans les Balkans, il a fait valoir qu'il n'était pas possible d'ignorer l'émotion suscitée par les interrogations relatives aux conséquences de l'utilisation faite par les Américains d'armes à uranium appauvri, l'ONU ayant d'ailleurs confirmé la contamination de certains sites au Kosovo.

Le Président Paul Quilès a également considéré que ces interrogations illustraient un des problèmes essentiels du fonctionnement de l'OTAN concernant les rapports entre Américains et leurs partenaires. Soulignant que la Commission avait déjà été amenée à relever la persistance de ces problèmes, il a estimé que, dans le cadre de l'Alliance, les Américains restaient enclins à prendre des décisions, notamment d'ordre opérationnel, sans transparence et de façon unilatérale, sans en informer leurs partenaires, même a posteriori.

Observant que l'Union européenne semblait elle aussi déterminée à se saisir de ce problème et que le Ministre de la Défense souhaitait désormais que les Américains fassent part des informations en leur possession, il a constaté que la pression sur l'Alliance atlantique se faisait à présent plus forte, les ambassadeurs auprès de l'OTAN ayant évoqué, dès cette semaine, la question des bombardements à l'uranium appauvri d'abord de façon informelle puis au cours de leur réunion hebdomadaire.

Après avoir rappelé que la mission d'information créée pour examiner les conditions de déroulement des opérations du Golfe poursuivait ses investigations, le Président Paul Quilès a proposé que la Commission considère l'orientation à donner aux travaux en cours, notamment au regard des derniers développements concernant la santé des soldats de différents pays européens. Il a alors suggéré d'étendre l'objet de la mission d'information aux problèmes de pathologies éventuellement liées à des utilisations d'armes incorporant de l'uranium appauvri. Un rapport d'étape spécifiquement consacré au conflit du Golfe pourrait être publié, dans un premier temps, au mois d'avril prochain, avant qu'un rapport final aborde le problème des opérations dans l'ex-Yougoslavie et l'usage des munitions ou blindages incorporant de l'uranium appauvri dans ce contexte.

Faisant référence aux interrogations présentées par la presse, il a cité le cas d'une note de l'OTAN du 1er juillet 1999, c'est-à-dire postérieure aux frappes aériennes en Yougoslavie (RFY), indiquant que certaines précautions devaient être prises sur les sites ayant fait l'objet de tirs d'obus ou de roquettes air-sol à l'uranium appauvri. Il a également précisé que le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) estimait à 112 le nombre des sites considérés « à risques » au Kosovo et que, selon des sources de presse, les Américains auraient effectué plus de 40 000 tirs avec des armes à uranium appauvri lors des opérations en Bosnie-Herzégovine puis en RFY.

En complément de l'extension du champ d'investigation de la mission d'information, le Président Paul Quilès a souhaité que les ministères de la Santé et de la Défense élargissent aux risques sanitaires éventuellement encourus par les militaires français dans les Balkans les compétences du groupe des experts présidé par le Professeur Roger Salamon, dont la mission est de présenter au Gouvernement des propositions permettant d'améliorer les connaissances d'un point de vue médical et scientifique sur les conséquences de l'engagement des troupes françaises dans le conflit du Golfe.

Rendant hommage à la qualité du travail et au sérieux des informations mises à jour par la mission d'information présidée par M. Bernard Cazeneuve, il s'est félicité de la volonté de transparence et de la détermination dont elle avait su faire preuve, comme en témoignait notamment l'audition, le 16 janvier prochain, des dirigeants de l'association Avigolfe auxquels il avait d'ailleurs rappelé, au nom de la Commission, leurs obligations légales à déférer à la convocation qui leur avait été adressée.

Concluant son propos, le Président Paul Quilès s'est prononcé à titre personnel en faveur d'un moratoire sur l'utilisation d'armes à uranium appauvri, la France se réservant de la sorte, tant que les doutes sur les effets de leur emploi ne seront pas levés, la possibilité de ne pas autoriser la participation de ses forces armées à des interventions où ce type d'armements pourrait être mis en _uvre.

M. Christian Martin, observant que différentes sources scientifiques révélaient des pathologies inquiétantes au sein de la population irakienne, s'est interrogé sur l'opportunité d'élargir le champ des investigations de la mission d'information aux populations civiles concernées.

M. Bernard Cazeneuve a d'abord rappelé les règles arrêtées par la mission d'information pour la conduite de ses travaux en faisant état d'une méthodologie qui pourrait être suivie après l'extension de son champ d'investigation. Il a indiqué qu'en vertu du mandat qui lui avait été assigné à sa création par la Commission, la mission avait pour tâche d'examiner, sur la base de comptes rendus d'opérations, des télégrammes officiels et des auditions qu'elle tenait, les possibilités comme la réalité des risques encourus par les soldats français du fait de la mise en _uvre des dispositifs opérationnels lors de la guerre du Golfe. Il a précisé, à cet égard, que la mission n'avait pas pour objectif de statuer sur l'existence d'un syndrome, ce qui nécessiterait une démarche scientifique fondée sur des études épidémiologiques qu'elle n'a pas les moyens d'entreprendre et qu'il lui fallait en conséquence veiller à ne pas empiéter sur le rôle dévolu au groupe des experts. Il a estimé qu'en dehors de ce cadre précis, le travail de la mission serait insuffisamment rigoureux. S'agissant de l'extension du champ de ses investigations aux effets de l'uranium appauvri sur les populations civiles, il a jugé qu'en raison de la nature du régime irakien et de la difficulté de disposer en la matière de certitudes scientifiques quant au lien entre une pathologie et l'usage de ce matériau, la mission s'exposait au risque d'un travail insatisfaisant, sans rigueur scientifique. Il s'est alors déclaré défavorable à cette extension.

Abordant ensuite l'articulation des travaux de la mission entre le mandat initial limité à la guerre du Golfe et un champ d'examen supplémentaire relatif aux Balkans, il a indiqué qu'elle pourrait effectivement publier, au mois d'avril, un rapport d'étape sur les risques auxquels ont été exposés les militaires français dans le Golfe puis tenir, ensuite, des auditions sur les questions spécifiques aux Balkans, sans exclure, dès à présent, la tenue d'auditions portant sur les problématiques communes. Il a alors rappelé, à ce propos, que ces conflits présentaient certains points communs, en évoquant, par exemple, la protection individuelle des soldats au regard des menaces nucléaires, bactériologiques et chimiques (NBC), leur suivi médical et de façon plus générale les relations entre les Américains et leurs Alliés, thèmes sur lesquels des conclusions communes pourraient être tirées.

Le Président Paul Quilès a jugé que la question du fonctionnement de l'Alliance atlantique, déjà abordée dans d'autres rapports de la Commission, allait bien au-delà du cadre des travaux de la mission mais que celle-ci devait évidemment examiner ce point en tant que tel.

Après avoir approuvé le principe de l'élargissement du mandat de la mission d'information, M. Pierre Lellouche s'est déclaré en accord avec la méthodologie exposée par M. Bernard Cazeneuve. Il a cependant exprimé une préoccupation quant à la confusion qui règne aujourd'hui sur le sujet, qu'il a attribuée notamment à la peur que suscite systématiquement le nucléaire. En conséquence, il a jugé nécessaire une clarification de certains points. En premier lieu, il s'est interrogé sur la validité du concept d'arme ou de guerre « propre », rappelant que, quelle que soit la nature de l'explosif utilisé, une bombe tuait et qu'il fallait impérativement ne pas donner corps à des mythes ou à des fantasmes. En deuxième lieu, il a posé la question de la pertinence d'un moratoire, voire de l'interdiction par un traité de désarmement, des armes à uranium appauvri, à l'instar de ce qui existe dans les domaines nucléaires, chimiques et biologiques, en se demandant si ces armes présentaient un danger tel qu'elles devaient être considérées et traitées comme non conventionnelles. Il a estimé qu'en l'absence de données scientifiques, un moratoire paraissait prématuré, approuvant sur ce point la position du Ministre de la Défense. Il a, par ailleurs, jugé que le thème de la conduite d'opérations de guerre par une coalition sous commandement unifié méritait également d'être abordé. Il a enfin souligné que l'évolution des positions du ministère de la Défense sur le sujet du syndrome du Golfe depuis le mois d'octobre avait été marquée à la fois par une certaine clarté sur quelques points mais également par une confusion accrue dans d'autres domaines. Evoquant l'audition du Ministre de la Défense par la Commission sur ce thème, le 13 septembre 2000, il a rappelé qu'il avait alors été dit qu'il n'existait pas de véritable problème et noté que les questions des parlementaires s'étaient heurtées à une absence de réponses convaincantes. Regrettant la persistance d'une confusion mêlant la question de l'uranium appauvri et celle du bombardement des dépôts d'armes chimiques irakiens pendant la guerre du Golfe, il a estimé que le Parlement devait mener un travail pédagogique, en toute objectivité et hors de tout esprit partisan, sans contribuer à l'agitation médiatique. Dans cette optique, il a jugé qu'un éventuel refus de la France de participer à une opération dans laquelle des armes à uranium appauvri seraient utilisées n'avait pas lieu d'être avant une clarification des données en débat.

Le Président Paul Quilès a considéré qu'un moratoire, qui n'était pas une interdiction, pourrait apaiser un débat effectivement devenu aujourd'hui particulièrement confus. Il a estimé que le travail de la mission d'information devait être d'une double nature, à la fois d'investigation et de pédagogie. Il a rappelé, en outre, que l'un des éléments de cette confusion résultait de la notion de « zéro mort » mise en avant notamment par les Américains à destination de leur opinion publique. Cette notion avait fait oublier que les armes de guerre étaient faites pour détruire et tuer et que la vraie problématique devait être celle de leur dangerosité après un conflit, notamment pour les populations qu'on voulait protéger, comme dans le cas des mines antipersonnel, des armes chimiques ou des armes biologiques, mais également pour l'intégrité des forces qui les employaient dans un cadre légitime. Il a noté que le fait que 30 000 à 40 000 obus utilisant l'uranium appauvri aient été tirés sur un territoire relativement restreint posait effectivement la question des répercussions de leur usage sur les populations, soulignant néanmoins que cette question ne faisait pas partie du champ d'investigation de la mission d'information.

M. Bernard Cazeneuve a fait observer que, pour ne pas donner prise à la critique, la mission d'information devait travailler avec une rigueur qu'il a qualifiée de notariale, impliquant le recueil de documents officiels, leur analyse, et des recoupements entre ces documents et les propos tenus pendant les auditions. Il a également souligné à cet égard que la mission devait maîtriser les différentes problématiques en cause en ayant conscience des points où s'arrêtait son mandat. Il a estimé qu'elle devait pouvoir valablement enquêter et conclure sur les faits survenus pendant les opérations, particulièrement sur les lieux où les forces se sont trouvées engagées, voire encore sur les sites qui auraient abrité des stocks de nature chimique et auraient été bombardés. De même la mission pourrait conclure sur le caractère satisfaisant ou non des mesures prises pour protéger les militaires, les substances qui leur auraient été administrées à titre préventif, les caractéristiques du suivi médical après les opérations, et les relations entre le Service de santé des Armées et les états-majors. Il a considéré, en revanche, que les autres questions liées aux incidences sanitaires des opérations sur les militaires qui y avaient été engagés et notamment l'ampleur et la nature du développement d'éventuelles pathologies spécifiques relevaient du groupe des experts indépendants nommés par les Ministres de la Santé et de la Défense.

En réponse à une interrogation de M. Pierre Lellouche, le Président Paul Quilès a précisé que le ministre de la Défense s'était engagé à communiquer les conclusions du groupe d'experts à la Commission.

Se réjouissant de l'élargissement du mandat de la mission d'information, Mme Michèle Rivasi a estimé que celle-ci devrait non seulement répondre aux questions évoquées par son Président, M. Bernard Cazeneuve, mais aussi s'interroger sur l'information qui avait été fournie aux militaires. S'agissant du suivi médical de ces derniers, elle a regretté que le nombre d'anciens combattants du Golfe ayant consulté dans les hôpitaux militaires n'était toujours pas connu. Elle a ajouté que la mission devait également s'interroger sur le type d'indemnisation pouvant être attribué à des soldats aujourd'hui malades et qui pourtant ne voyaient pas leurs affections reconnues par les commissions de réforme, cette question soulevant le problème de l'adaptation de règles anciennes à de nouveaux conflits où les militaires peuvent se trouver exposés à des pathologies différentes des blessures traditionnelles.

Elle s'est ensuite déclarée favorable à ce que la mission d'information se rende en Irak, ce déplacement lui paraissant indispensable pour la compréhension des conditions auxquelles ont été réellement confrontés les soldats et l'étude de l'état pathologique des populations civiles, d'ailleurs susceptible de révéler la dégradation de l'environnement.

Mme Michèle Rivasi a également considéré que la Commission pourrait proposer qu'une vaste étude soit faite sur la situation environnementale des pays où ont été utilisées des armes à uranium appauvri étant donné l'insuffisance des informations disponibles dans ce domaine malgré les missions déjà effectuées par diverses organisations dont l'ONU.

Elle a conclu que de telles initiatives pourraient contribuer à clarifier les termes du débat sur la nature des armements utilisés. Elle s'est également déclarée favorable à un moratoire immédiat sur les armes incorporant de l'uranium appauvri en raison de leurs effets possibles non seulement sur les soldats, mais aussi sur l'environnement, la nature exacte du matériau utilisé dans ces armes n'étant d'ailleurs pas connue.

Le Président Paul Quilès s'est déclaré défavorable à l'idée d'un déplacement en Irak en raison des risques de récupération politique d'une telle démarche. Il a également souligné que, bien qu'il s'agisse d'un sujet de préoccupations sérieux, les conséquences de la guerre du Golfe sur les populations civiles n'entraient pas dans le cadre des questions dont la Commission avait entendu se saisir lors de la création de sa mission d'information. A un déplacement en Irak et à une collecte hasardeuse d'éléments d'information dans ce pays, il a préféré la consultation des rapports publiés par l'ONU et l'audition éventuelle de ses experts qui ont déjà eu l'occasion, à de nombreuses reprises, de se rendre sur place.

Mme Michèle Rivasi, après avoir rappelé que les troupes françaises avaient été engagées en territoire irakien pendant la guerre du Golfe, a fait valoir l'intérêt pour les membres de la mission d'information de procéder par eux-mêmes à des vérifications en Irak.

M. François Lamy s'est déclaré en plein accord avec M. Bernard Cazeneuve au sujet des objectifs poursuivis par la mission d'information. Constatant que l'emploi de munitions incorporant de l'uranium appauvri lors du conflit du Kosovo n'était pas inconnu au moment des faits, le rapport de la mission d'information de la Commission de la Défense sur ce conflit l'ayant évoqué en détail, il a estimé que la pression médiatique imposait un travail de pédagogie en cohérence avec les choix effectués lors des opérations. Il a à ce propos rappelé que nombreux étaient ceux qui préféraient alors l'engagement d'avions A 10 utilisant des munitions à uranium appauvri à une offensive terrestre potentiellement plus meurtrière pour les troupes alliées.

Après avoir évoqué les arguments avancés par le Ministre de la Défense au sujet d'un moratoire sur les armes incorporant de l'uranium appauvri, il lui a paru primordial que l'exigence de transparence porte davantage sur la localisation des sites sur lesquels des munitions incorporant ce matériau, mais également des bombes à fragmentation ont été tirées. A cet égard, il a rappelé que, selon les cartes rendues publiques par l'OTAN, les zones de déploiement du contingent français de la KFOR avaient été moins soumises à des bombardements avec des munitions à uranium appauvri que d'autres secteurs.

Il a enfin estimé qu'il serait difficile à la mission d'information d'établir les pathologies pouvant éventuellement résulter de l'emploi de munitions à uranium appauvri, étant donné que, dans le seul cas du Kosovo, certaines pollutions, soit atmosphériques, soit par des métaux lourds tels que le mercure et le plomb, semblaient avoir des incidences au moins aussi graves pour la santé des soldats et pourraient expliquer elles aussi, dans une certaine mesure, la survenance de leucémies ou d'affections de nature voisine.

M. Robert Poujade a rappelé que l'uranium appauvri ne se trouvait pas seulement dans les munitions mais également dans les blindages y compris de chars français. Il a jugé que la Commission ne pouvait s'engager dans un exercice difficile dont les résultats risquaient d'être équivoques, d'abord parce que l'information émane d'informateurs qu'elle n'a pas les moyens de contraindre à s'exprimer devant elle, tel que l'état-major de l'OTAN par exemple, ensuite parce que l'examen des éléments scientifiques du dossier ne fait pas précisément partie du travail parlementaire. Il a jugé ensuite, s'agissant de l'extension du mandat de la mission aux populations civiles locales, que le problème des conséquences de l'utilisation de l'uranium appauvri sur la santé des populations irakiennes ne relevait pas des compétences de la Commission. Il s'est enfin déclaré opposé au principe d'un moratoire sur les munitions à uranium appauvri, qui poserait notamment la question de son étendue qui peut aller du simple usage à la fabrication et que la France serait la seule à décréter. Il a estimé qu'il s'agirait alors d'aller au-delà du principe de précaution dans la mesure où il n'est pas prouvé que les risques évoqués soient réels ou même probables.

M. Bernard Cazeneuve a préconisé une démarche pragmatique, à savoir que la mission conduise les investigations qu'elle a les moyens de conduire. Il lui revient, conformément à cette démarche, de décrire les conditions d'engagement des troupes françaises, de retracer le déroulement des opérations et d'examiner les conditions de suivi sanitaire. La mission ne dispose pas en revanche des moyens de vérifier la contamination éventuelle de sites situés dans des pays étrangers. En outre, un éventuel déplacement dans un pays tel que l'Irak ne pourrait se faire qu'avec l'appui de la représentation diplomatique sur place, dont les pouvoirs n'ont rien à voir avec ceux qui permettraient l'exercice d'une sorte de commission rogatoire à exécuter à l'étranger. M. Bernard Cazeneuve s'est par ailleurs déclaré inquiet des raccourcis établissant, sans preuve à l'appui, un lien de cause à effet entre l'utilisation de munitions à uranium appauvri et l'existence de cas de leucémie : la coexistence des deux phénomènes en un même lieu ne signifie en rien que l'un soit la cause de l'autre. Il a insisté sur le fait que seule une enquête épidémiologique pouvait contribuer à établir ce lien, s'il existe.

M. Pierre Lellouche a considéré que seules les conditions dans lesquelles les soldats français auraient pu être exposés à des risques spécifiques à l'occasion de conflits auxquels ils avaient participé relevaient du mandat de la mission d'information, tandis que l'exposition des populations civiles s'inscrivait, au contraire, dans une autre problématique qui pouvait, par exemple, faire l'objet de rapports de l'ONU. Il a précisé néanmoins que la constatation éventuelle par le groupe d'experts médicaux de la réalité de l'exposition des soldats français constituerait un indice sérieux quant aux risques ayant pesé sur les populations civiles.

Il a ajouté que l'application du principe de précaution à la conduite même d'un conflit était discutable car l'étendue des précautions à prendre pouvait amener à s'interdire la possession d'une arme essentielle à l'équilibre des forces, comme l'arme nucléaire elle-même.

Le Président Paul Quilès a précisé que le moratoire qu'il prônait avait pour objet le seul usage des armes à uranium appauvri dans le but d'apaiser une émotion, qui, à son sens n'était pas seulement médiatique, puisqu'elle concernait aussi les autorités politiques de plusieurs pays européens et qu'elle avait donné lieu, par exemple, à des débats entre les ambassadeurs auprès de l'OTAN.

Il a fait valoir qu'il s'agissait bien d'apaiser un climat où se nouaient d'importantes contradictions entre plusieurs logiques, notamment médiatiques, militaires et philosophiques, afin de poursuivre dans la sérénité le délicat travail d'investigation engagé.

Mme Michèle Rivasi a insisté sur la différence à établir entre les armes chimiques traditionnelles destinées à tuer à court terme et les munitions incorporant de l'uranium appauvri qui, elles, posent le problème de la contamination des sols pour des millions d'années.

M. Robert Poujade s'est interrogé sur la compétence de la mission d'information pour aborder des questions purement scientifiques, l'uranium constituant, à titre d'exemple, un élément explicatif susceptible de faire l'objet d'interprétations variables selon sa nature et ses modes de retraitement.

Précisant que les isotopes d'uranium 236 et 238 sont aussi radiotoxiques l'un que l'autre et se référant à des études effectuées sur l'homme et sur l'animal ainsi qu'aux normes de protection des travailleurs manipulant de l'uranium appauvri qui mettaient en exergue les risques sanitaires que fait peser ce matériau sur les reins et les poumons, Mme Michèle Rivasi a jugé qu'un moratoire sur les armes à uranium appauvri s'imposait pour des raisons scientifiques. Elle a cependant indiqué que s'il restait difficile de préciser l'origine exacte d'une leucémie, l'uranium, quel que soit son isotope, constituait un élément générateur de graves affections.

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Information relative à la Commission

Sur la proposition du Président Paul Quilès, la Commission a décidé à l'unanimité d'élargir le champ d'investigation de la mission d'information créée le 2 octobre 2000, en modifiant comme suit son intitulé : mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques.

La composition de la mission reste inchangée.

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