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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 17 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères

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La Commission a entendu M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères.

Le Président Paul Quilès a exprimé le v_u que l'audition du Ministre permette à la Commission de mieux connaître les orientations de la nouvelle administration américaine. Il s'est à ce propos interrogé sur les perspectives mais aussi sur les contraintes nouvelles du dialogue de sécurité franco-américain et plus largement euro-américain.

Il a ensuite évoqué la situation dans les Balkans, rappelant l'instabilité qui régnait encore dans cette région en mentionnant les violences commises en Macédoine, le retour de l'armée yougoslave dans la zone de sécurité terrestre bordant le Kosovo, les actions sécessionistes en Bosnie-Herzégovine ainsi que les incertitudes régnant sur le statut du Monténégro.

Enfin, il a demandé au Ministre son sentiment sur l'évolution de l'Europe de la Défense, la mise en place de ses institutions définitives et les modalités prévisibles de son entrée en phase opérationnelle.

M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, a jugé que l'administration du Président George Bush apparaissait à ce stade plus marquée par l'idéologie que ne l'était celle du Président Reagan qui, dans le domaine des relations internationales, avait fait preuve de pragmatisme.

Désireux de se démarquer de l'action du Président Clinton, les principaux responsables américains paraissent convaincus du caractère exceptionnel de la puissance et du rôle de leur pays dans le monde. Ils sont enclins à l'unilatéralisme mais ils ne sont pas isolationnistes. Les craintes suscitées par certaines déclarations des futurs responsables de l'administration Bush avant leur prise de fonction, critiquant la présence américaine dans les Balkans, apparaissent aujourd'hui sans fondement.

Si les choix des Etats-Unis font l'objet de longues discussions internes, l'idée de négocier avec l'extérieur ne vient pas naturellement aux responsables américains : ils semblent attendre des alliés qu'ils se rallient aux choix américains lorsqu'ils ont été définis. Quant à la Russie, qui a perdu son statut de superpuissance, l'administration américaine ne semble plus vouloir lui accorder les apparences du partenariat.

Le Secrétaire d'Etat Colin Powell a cependant montré qu'il était ouvert à la négociation : il s'est rendu en Europe pour participer notamment à la récente réunion du Groupe de contact puis au Proche-Orient où il a écouté les points de vue des parties.

Le sentiment de n'avoir plus de partenaire à la mesure de la puissance américaine peut conduire la nouvelle administration à négliger le débat international au profit des discussions internes : son rejet du projet de la convention de Kyoto n'a pas été exprimé au cours d'une réunion internationale, mais à l'occasion d'une réponse du Président Bush à des membres du Congrès.

L'affaire du maintien en Chine de l'équipage de l'avion d'écoute américain a constitué un test. Il semble que la ligne modérée l'ait emporté à cette occasion à Washington, comme du reste à Pekin. Mais il faudra probablement attendre quelques mois pour que les orientations de l'administration apparaissent plus nettement, après que le Président Bush aura participé aux prochains sommets de l'OTAN et du G8. L'intérêt personnel dont le Président des Etats-Unis témoigne pour l'Amérique latine mérite par ailleurs d'être souligné.

A l'égard de l'Europe de la Défense, la nouvelle administration Bush a manifesté d'abord une réserve que la visite du Premier ministre britannique a contribué à désarmer largement. C'est aujourd'hui un acquiescement conditionnel qui parait prévaloir.

S'agissant des projets de défense antimissile, M. Hubert Védrine a souligné que leur nature définitive restait inconnue et qu'aucune appréciation ne pouvait en conséquence être portée sur leur faisabilité technique. Il a observé que les Etats-Unis n'envisageaient pas de renoncer à la dissuasion mais qu'ils souhaitaient parvenir à un nouvel équilibre entre systèmes défensifs et offensifs. Ce n'est que lorsque les choix techniques auront été arrêtés qu'il sera possible de se prononcer sur leur crédibilité et sur l'analyse des menaces qui les sous-tendra.

S'agissant des Balkans, l'entreprise « d'européanisation » qui a été engagée est une _uvre de longue haleine qui est loin d'être achevée. Depuis cinq ans, des progrès sensibles ont été accomplis. Toutefois la question albanaise n'a pas été réglée de manière stable et durable.

Il n'est pas sans intérêt de remarquer que l'UCK macédonienne a lancé son action en Macédoine au moment où un accord venait d'être trouvé entre ce pays et la Yougoslavie au sujet de la délimitation de leur frontière commune. L'officialisation et la reconnaissance de cette frontière contrecarrent, en effet, les plans de Grande Albanie échafaudés par certains extrémistes.

La réaction européenne et américaine a été à la fois rapide, homogène et cohérente. L'Union européenne et les Etats-Unis ont réaffirmé leur soutien à l'intégrité territoriale de la Macédoine. Ils ont également exprimé leur refus de toute modification des frontières par la force. Ils ont, par ailleurs, demandé aux autorités de Skopje d'engager un processus de réforme pour améliorer la situation de la communauté albanaise en Macédoine. Ils ont enfin fait pression sur les dirigeants albanophones en dehors de Macédoine pour qu'ils se désolidarisent des actions menées par les extrémistes albanais.

En raison des dangers que la situation recèle, la France a souhaité et obtenu la réactivation du Groupe de contact. Les pays membres (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Etats-Unis et Russie) sont parvenus à une grande convergence de vues, sur la base d'une analyse lucide des risques.

Le Ministre a souligné l'importance de l'accord intervenu au sein du Groupe de contact à Paris. Par sa présence, le Secrétaire d'Etat américain, Colin Powell a montré que la nouvelle administration américaine n'était pas opposée à toute idée de concertation multilatérale. Le Ministre russe des Affaires étrangères, Igor Ivanov, avait, pour sa part, donné son accord à la réactivation du Groupe de contact en acceptant l'invitation française. M. Hubert Védrine a indiqué que tous les participants s'étaient accordés à reconnaître que l'indépendance du Monténégro était susceptible de déclencher à l'échelle régionale une réaction en chaîne qui mettrait en cause les progrès des dernières années, tant en Bosnie-Herzégovine, qu'en Macédoine, au Kosovo ou en Albanie. Quant aux élections générales au Kosovo, qu'il importe de préparer rigoureusement, elles offrent une perspective d'expression politique pour les populations albanophones dans le cadre de l'autonomie très substantielle qui doit leur être accordée au sein de la République Fédérale de Yougoslavie. L'accord intervenu sur ces différents points au sein du Groupe de contact ne permet plus à aucun groupe de spéculer sur des divergences de vues entre Européens et Américains.

Après avoir remarqué que les facteurs d'instabilité dans les Balkans sont tels que la recherche d'une solution y est extrêmement difficile et exprimé la crainte que le déchaînement des passions ethniques ou nationales dans une région n'aient immédiatement des répercussions dans les régions voisines, M. Robert Poujade s'est demandé si la tutelle exercée par le concert des Nations était suffisante pour tenter de ramener la paix dans cette partie de l'Europe et s'il ne fallait pas envisager un maintien interminable de dispositifs de soutien particulièrement coûteux.

M. Hubert Védrine a fait valoir que, face aux conflits qui déchiraient les Balkans, l'Europe ne pouvait rester indifférente mais qu'elle devait s'efforcer de ramener à elle les pays de cette région. Pour mener à bien cette « politique d'européanisation des Balkans », l'Europe doit maintenir sa présence aussi longtemps que nécessaire de la manière la plus efficace et la moins coûteuse possible. Son intervention ne pourra prendre fin que lorsque la région connaîtra un développement économique autonome.

Le Ministre des Affaires étrangères a déploré la faiblesse de l'activité économique dans les Balkans alors que le dépassement des clivages ethniques passait par l'établissement d'une forme de prospérité. Exprimant sa préoccupation à l'égard du développement de certaines activités criminelles, il a jugé qu'il était urgent de redéfinir les modalités de l'aide publique attribuée par l'Union européenne, afin notamment de la réorienter vers le soutien à l'investissement et à la création d'entreprises.

Evoquant les constatations qu'il avait lui-même pu faire, lors d'une précédente mission au Kosovo, à l'été 1999, sur l'absence quasi totale d'activité productive dans la province, le Président Paul Quilès a exprimé ses doutes sur la réussite de toute solution politique dans les Balkans tant que les conditions d'une croissance durable n'y seraient pas réunies.

M. Hubert Védrine a fait valoir qu'il n'existait pas beaucoup d'exemples de politique d'aide publique qui ait suscité un développement économique en dehors d'un environnement et d'un contexte favorables. L'ouverture des marchés des pays développés est un facteur puissant de croissance économique. Encore faut-il que les pays qui en bénéficient puissent produire des biens correspondant à ces débouchés.

Estimant que des actions visant à redresser l'économie des Balkans pouvaient être efficacement menées, notamment dans le secteur du bâtiment, en raison des besoins de reconstruction, et dans celui de l'agriculture, M. Guy-Michel Chauveau a fait état d'échecs en ce domaine, peut-être dus à de mauvais choix. Puis, il a demandé au Ministre son appréciation sur la façon dont la nouvelle administration américaine envisageait ses relations avec la Chine et abordait en particulier les questions de Taïwan et de l'adhésion chinoise à l'OMC.

M. François Lamy s'est demandé si l'Union européenne ne devait pas réfléchir à une solution politique à long terme pour fournir un cadre au développement économique des Balkans, suggérant l'idée d'une CEE des Balkans. Puis il a interrogé le Ministre sur son analyse du projet et des objectifs du président Kostunica, estimant qu'il était difficile d'en discerner le contenu concret, au-delà du discours nationaliste.

Après avoir mis en exergue la nature consensuelle du choix de Paris comme lieu de rencontre des Ministres des Affaires étrangères des pays du Groupe de contact, M. Hubert Védrine a estimé que l'organisation de cette rencontre avait permis de vérifier la large convergence de vues des pays de l'Union européenne sur une question essentielle pour leur sécurité.

Le Ministre a observé que les pays des Balkans étaient généralement hostiles à toute structure de coopération qui pourrait apparaître à leurs yeux comme une récréation de la Yougoslavie. De fait, des accords aussi indispensables à leur relèvement économique que ceux portant sur la construction d'infrastructures de transport communes ne peuvent pas être finalisés. Dans ce contexte, le Pacte de stabilité pour l'Europe du sud-est, animé par l'Union européenne, commence à produire certains résultats notamment en favorisant le dialogue entre les pays participants. Les accords de stabilisation et d'association que l'Union européenne souhaite conclure avec tous les pays des Balkans dans la perspective plus lointaine d'une intégration ont en particulier pour objectifs d'encourager leur coopération régionale et de favoriser les éléments micro-économiques de la croissance. Un minimum de sécurité économique reste toutefois indispensable pour permettre le développement des investissements tant extérieurs qu'internes.

Le Président de la République Fédérale de Yougoslavie, Vojislav Kostunica, qui a joué un rôle déterminant dans le renversement de Slobodan Milosevic, apparaît comme un nationaliste modéré et populaire. Ses concitoyens serbes semblent se retrouver dans les propos qu'il tient. Il a une conception méthodique et légaliste des transformations engagées par son pays. Mais cette approche est sans doute nécessaire pour enraciner la démocratie et l'Etat de droit en Serbie. Il bénéficie de la confiance des pays du Groupe de contact, tout comme le Premier ministre de la République de Serbie, Zoran Djindjic. L'ensemble des gouvernements des pays du Groupe de contact considèrent qu'il convient d'assurer la consolidation de la démocratie pour permettre aux mentalités serbes d'évoluer durablement.

M. Roland Garrigues a souhaité connaître le sentiment du Ministre sur la situation du processus de paix au Proche-Orient.

M. Loïc Bouvard a tout d'abord mis l'accent sur la recherche d'invulnérabilité qui domine la pensée stratégique américaine. Puis, estimant que les projets américains de défense antimissile avaient une signification plus politique que militaire et jugeant qu'ils visaient de fait la Chine, à présent définie comme un concurrent stratégique des Etats-Unis, il s'est interrogé sur l'éventualité d'un rapprochement russo-chinois. A propos des Balkans, il a souligné que le Monténégro détenait juridiquement un droit à la sécession en tant qu'ancienne république yougoslave. Après avoir remarqué que le Monténégro souhaitait surtout obtenir un drapeau aux Nations Unies tout en gardant des liens solides avec la Serbie, il s'est demandé s'il était possible d'empêcher son indépendance dès lors qu'elle serait approuvée par référendum. Puis il a souhaité savoir si le Ministre considérait qu'un éventuel élargissement de l'OTAN vers les Balkans pouvait apporter un élément de solution aux problèmes de sécurité de cette région.

M. Robert Gaïa a interrogé le Ministre sur l'opportunité d'un rattachement du poste diplomatique de Pristina à Belgrade et non plus à Skopje, compte tenu de l'évolution récente de la situation en Serbie.

M. Hubert Védrine a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- il n'y a plus aujourd'hui de processus de paix au Proche-Orient, la région étant entrée dans un engrenage de l'affrontement. Après les erreurs commises dans les deux camps, le travail de reconstruction et de retour au minimum indispensable de confiance et de capacité à parler sera long, l'urgence étant de parvenir à des arrangements partiels pour enrayer l'enchaînement de la confrontation ;

- le système de défense antimissile est une arme politique avant même d'exister techniquement. Sa popularité aux Etats-Unis vient du curieux sentiment de vulnérabilité d'une majorité de la population américaine ;

- le Monténégro a certes des droits aux termes de la Constitution de l'Etat fédéral, mais il est de la responsabilité des Etats membres du groupe de contact de peser les conséquences politiques de son éventuelle sécession. Il est souhaitable que la satisfaction des revendications monténégrines passe par des discussions ;

- il est préférable de ne pas modifier la situation administrative du poste diplomatique de Pristina tout à la fois pour des raisons pratiques et pour marquer l'attachement de la France à la notion d'« autonomie substantielle » prévue par la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies.


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