Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission de la défense nationale et des forces armées (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 mai 2001
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Robert Gaïa, Secrétaire
puis de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les actions civilo-militaires

- Décision de publier, sous forme de rapport d'information, les actes du colloque « pour défendre la paix, réformer l'ONU » tenu à Paris les 31 janvier et 1er février 2001...

2

10

La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les actions civilo-militaires.

M. Robert Gaïa, Président, a rappelé que ce qu'il est convenu d'appeler les « actions civilo-militaires » consiste en actions, de nature civile, accomplies par les forces sur des théâtres extérieurs dans le but de contribuer au rétablissement des fonctions vitales sur le territoire où elles interviennent. Il a souligné l'intérêt de ces actions à la fois pour renforcer le soutien des populations à la présence des militaires français et pour créer les conditions de normalité et de paix qui permettront leur départ. Il a rappelé qu'il avait proposé à la Commission de procéder à un examen approfondi de cette notion d'actions civilo-militaires en raison notamment de l'importance nouvelle qu'elle revêt dans la doctrine d'emploi des forces et des questions complexes qu'elle soulève en matière d'organisation, de financement et de relations entre les autorités civiles et militaires, françaises ou internationales. Il a ajouté que cette forme d'action des forces supposait également leur bonne entente et leur coopération avec les ONG présentes sur leur zone d'intervention. Après avoir rappelé que la Commission l'avait chargé d'établir un rapport d'information sur les différents aspects de l'action civilo-militaire des armées, il a remercié le Ministre de la Défense de son soutien et de celui de son ministère dans l'accomplissement de sa mission.

M. Alain Richard a tout d'abord remarqué que les opérations menées par la France avec ses alliés, en Albanie, en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo constituaient des engagements de nature assez inédite. Dans toutes ces circonstances, l'engagement des forces de mêlée a en effet été de courte durée, laissant la place à des situations de paix armée qui nécessitaient de maintenir sur les théâtres d'opérations des dizaines de milliers de soldats. Dès lors que l'on n'assigne pas aux forces françaises la seule mission de dissuader les parties de recourir à la lutte armée pour résoudre leurs différends, il est logique que ces forces soient conduites, là où elles sont déployées, à contribuer à la reconstruction d'un espace politique, légal et démocratique et à apporter leur soutien aux projets de reconstruction économique et sociale, au côté des agences spécialisées des Nations Unies, de l'Union européenne ou des ONG. La puissance militaire déployée fournit sur place des moyens économiques et logistiques souvent sans comparaison avec ce qui préexistait mais elle permet également de conduire des actions civiles de grande portée politique. Le Ministre a souligné à ce propos que les forces armées n'étaient pas d'abord envoyées sur des théâtres extérieurs pour des tâches humanitaires ou d'aide au développement, leur mission militaire devant rester prioritaire. Il a toutefois fait observer que la combinaison des actions civiles et militaires était destinée à perdurer voire à se développer au cours des interventions auxquelles la France pourrait être amenée à participer dans des cadres de coalition, selon toute vraisemblance transatlantiques ou européens.

Le Ministre de la Défense a alors exposé que les actions civilo-militaires (ACM) dénommées « civil affairs » en anglais, regroupaient toutes les opérations entreprises par les forces engagées sur un théâtre afin de resserrer leurs liens avec leur environnement civil et de faciliter ainsi la réalisation des objectifs politiques assignés. Ces opérations ont pour objet d'offrir une alternative ou des solutions complémentaires, là où les modes d'action militaires sont insuffisants. Soulignant que les ACM remplissaient une fonction opérationnelle à part entière d'appui à l'action des forces armées dans les opérations de rétablissement ou de maintien de la paix, le Ministre a indiqué qu'elles prenaient des formes très diverses, que l'on regroupait habituellement en trois catégories.

La première de ces catégories comprend les opérations menées au profit des forces armées engagées et en particulier de la composante nationale en cas d'intervention d'une coalition. Ces opérations sont conçues pour faciliter l'exécution des missions des forces et leur déploiement avant, pendant et après l'engagement. Elles visent explicitement à modifier en faveur des forces dépêchées sur le terrain un environnement hostile ou incertain, à faciliter l'acceptation de leur présence et à leur gagner un début de soutien des populations. Elles doivent permettre d'établir des relations suivies et raisonnablement confiantes avec les autorités locales, y compris les autorités de fait. Il s'agit alors d'éviter que la seule présence des forces aggrave les tensions et de faciliter par la suite, si nécessaire, la conduite des opérations militaires et leur soutien logistique. L'attitude de bienveillante neutralité adoptée au cours de cette phase est souvent indispensable au succès des missions de rétablissement de la paix dans des espaces politiques « polytraumatisés ». Il s'agit d'une phase délicate qui conditionne les relations à venir des forces avec les populations. Dans ce cas, les ACM concourent directement à la sécurité des forces mais offrent aussi des instruments utiles pour mieux comprendre l'organisation politico-militaire de leur environnement. Les informations recueillies et la confiance accumulée grâce aux ACM permettent de mieux peser les actions de la force et des institutions politiques dépêchées par la communauté internationale. Les ACM offrent également la possibilité d'écarter et de marginaliser plus facilement les fauteurs de trouble. La compréhension de l'environnement qui en découle permet par ailleurs aux autorités françaises de faire valoir la spécificité des diverses zones d'intervention de la présence internationale auprès du commandant central de la force ou du représentant du Secrétaire général des Nations-unies.

Le Ministre a souligné que l'action menée dans cette phase n'était pas de nature « évergétique », à l'instar de la bienveillance des rois hellénistiques mais politique et que, dès lors, il était logique que la France s'expose à des critiques.

Une deuxième catégorie d'ACM regroupe les opérations menées au profit de l'environnement civil. Par l'appui qu'elles apportent à la reconstruction, ces ACM favorisent et accélèrent la renaissance d'un espace social pacifié et concourent à l'objectif final de la communauté internationale et du pays de déploiement de la force. Elles s'inscrivent dans une logique de sortie progressive de crise en favorisant notamment un désengagement par étapes de la composante militaire de l'intervention de la communauté internationale. Elles contribuent à un processus dynamique de transfert de responsabilité en faveur des autorités civiles, locales ou internationales intérimaires. Convenant que les transferts de responsabilité n'étaient jamais aussi rapides qu'on l'avait souhaité et programmé, M. Alain Richard a souligné que le succès de cette phase de réhabilitation, délicate et essentielle, était seul de nature à démontrer que les efforts consentis dans le passé, parfois au prix du sang comme en Bosnie, n'avaient pas été vains.

Dans cette période de transition, les ACM contribuent largement au rétablissement de l'Etat de droit et des services publics dans des régions qui souffrent d'une désorganisation administrative profonde. C'est pourquoi elles sont souvent associées à l'action des autres acteurs de la reconstruction comme les organisations internationales, notamment financières, les ONG d'urgence et d'aide au développement, les structures étatiques naissantes ou encore les opérateurs publics et privés. Bien que les forces armées disposent de moyens matériels, logistiques notamment, plus importants que les pays bénéficiaires ou les ONG, elles ne peuvent pas prétendre à un rôle de coordonnateur de l'aide, les ACM, aussi importantes soient-elles, restant modestes. Le Ministre a précisé à cet égard qu'en 2001, 150 militaires, officiers pour 85 % d'entre eux étaient engagés dans des actions civilo-militaires sur les théâtres extérieurs dont 120 au Kosovo. Avec une cinquantaine de millions de francs, ils disposent d'une enveloppe financière bien modeste au regard des besoins.

Le Ministre a alors souligné que les ACM venaient en appui de l'action de coopération civile de la France et de l'Union européenne. Il a cité à ce propos l'exemple des experts en BTP mis à la disposition de l'organisme multinational de reconstruction IMG en 1999 par le ministère de la Défense, à la demande du ministère des Affaires étrangères pour fournir une aide technique au Kosovo. Il a également indiqué que des spécialistes des hydrocarbures ayant pour mission de gérer la consommation énergétique, des techniciens chargés d'aider à la reconstruction des écoles ou encore des surveillants pénitentiaires avaient été détachés dans la province sous statut militaire.

Il a ajouté que, pour assurer un développement durable à des régions sinistrées, il était essentiel de développer l'emploi et la création de richesses sur place. Disposant d'informations sur les besoins du terrain, les personnels de la Défense sont appelés à jouer un rôle d'intermédiation avec les entreprises françaises qui prospectent de « nouveaux marchés ». Le Ministre a cependant considéré que la recherche d'un « retour sur investissement » correspondant à nos engagements militaires serait non seulement déplacée mais dépourvue de fondement économique. L'ambition de la France, à la fois plus mesurée et plus ouverte, est de préparer, dès le moment des premiers secours, la phase ultime du développement d'une économie de marché.

Enfin, le ministre a distingué une troisième catégorie d'ACM, qui englobe les interventions au profit direct des populations en difficulté et les mesures de soutien aux organisations humanitaires. Il a précisé que, dans la conception française, les interventions au profit direct des populations sont conduites à l'initiative du commandement des forces. Quant aux mesures de soutien aux organisations humanitaires, de nature ponctuelle, elles peuvent être prises en application d'un protocole d'accord spécifique ou sur autorisation des autorités gouvernementales. Le ministre a souligné à ce propos que le principe de l'autorisation ou de l'accord préalable avant toute intervention des forces en soutien humanitaire n'excluait jamais l'assistance aux personnes menacées qui constituait la mission fondamentale de la présence militaire internationale à laquelle la France participait.

Rappelant que les opérations d'assistance humanitaire faisaient partie des missions de Petersberg, il a ajouté qu'il pourrait être nécessaire d'en conduire de nouvelles à l'avenir. Il convient donc de développer des capacités d'analyse et de réaction rapide, dans un cadre à la fois national et européen, pour pouvoir répondre aux engagements souscrits par la France et aux contraintes liées à la défense de ses intérêts stratégiques.

Le Ministre de la défense a alors présenté les différentes actions civilo-militaires menées par les forces françaises dans les Balkans et en Afrique.

Au Kosovo, comme en Bosnie-Herzégovine, devant la carence des structures administratives et sociales constatée à l'arrivée de ses forces, la France a développé une action dite de reconstruction institutionnelle, en concertation avec les ONG et les organisations internationales, afin de permettre le désengagement militaire le plus tôt possible. L'aide fournie par les forces françaises a été multiforme. Une assistance aux réfugiés a été apportée, notamment par la construction de camps en Albanie et en Macédoine. Les forces françaises sont également intervenues dans des domaines aussi essentiels que la santé, l'éducation ou la fourniture d'eau potable. La France participe aujourd'hui à l'aide au développement du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine en améliorant l'information au profit des petites et moyennes entreprises, en formant des personnels qualifiés parmi les populations et en offrant une assistance à la recherche de financements. Enfin, elle contribue à la consolidation des organisations démocratiques en détachant des experts au sein des administrations bosniaques et kosovares.

Le Ministre a alors souligné qu'en Afrique, la situation était différente. Les forces françaises sont stationnées sur le territoire d'Etats souverains, en application d'accords de coopération militaire dans le cadre d'un engagement de longue durée. L'essentiel de leurs activités relève de l'instruction et de l'entraînement. L'objectif visé par les ACM en Afrique est d'aider des populations défavorisées et d'entretenir, grâce en particulier à cette aide, une bonne perception de la présence des forces françaises. Les ACM conduites en Afrique concernent Djibouti, le Sénégal, le Gabon, la Côte d'Ivoire et le Tchad. Elles sont menées en bonne intelligence avec la représentation diplomatique française. Elles permettent de nouer des relations plus étroites avec les autorités civiles locales et d'influer sur l'image de la France dans les populations au contact de ses forces.

Le Ministre a ajouté qu'un budget spécifique avait été établi pour financer les ACM et que l'Afrique y était placée au même niveau que les autres théâtres. Ce budget propre permet aux commandants des forces de conduire les ACM avec le maximum d'efficacité et de réactivité.

Remarquant que l'analyse des conflits récents, notamment sur les théâtres européens, faisait ressortir que la place des militaires dans les opérations de soutien de la paix les amenait à dépasser très nettement leur rôle institutionnel de « pourvoyeur de sécurité », le Ministre a conclu que cette situation n'était pas sans influer sur la doctrine et l'organisation des forces voire sur l'organisation du ministère de la Défense lui-même. Le recours systématique de la communauté internationale aux moyens dont disposent les forces déployées pour des actions de nature civile leur donne en ce domaine un statut d'acteurs à part entière. Les forces armées sont devenues indispensables au bon déroulement des actions civiles de résolution des crises et de reconstruction, même si leurs missions militaires restent prioritaires.

Le Ministre a alors observé que, ces dernières années, militaires et acteurs non étatiques avaient appris à travailler ensemble, à se connaître et sans doute souvent, à s'apprécier, chacun connaissant mieux dorénavant les forces et faiblesses de l'autre. Plusieurs ONG, comprenant que leur indépendance n'était pas en cause, avaient ainsi accepté de participer à des échanges de vues relatifs à la sécurité organisés en Afrique par le ministère de la Défense. Se félicitant de cette situation, le Ministre a jugé nécessaire d'accroître la coopération de son département avec les institutions internationales et les ONG.

Il a alors souligné que les situations de crise qui requièrent des ACM sont longues et évolutives. Au cours du processus d'évolution de la crise, les aspects civils, que les forces n'ont pas pour mission de traiter durablement, tendent généralement à devenir prédominants.

En conclusion, le Ministre de la Défense a exposé qu'il convenait de veiller à une meilleure coopération interministérielle, notamment entre son ministère, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Economie et des Finances. Il a souligné que le ministère de la Défense avait toujours affirmé que la gestion civilo-militaire des crises nécessitait un dispositif interministériel permanent, comme le montraient les expériences allemandes, américaines et britanniques. Puis il a précisé que, sur la base des propositions du rapport de M. Roger Fauroux et de son expérience à la tête de la mission interministérielle pour l'Europe du Sud-Est, il avait été décidé de créer un dispositif interministériel de gestion des crises internationales dont le secrétariat serait assuré par le SGDN. Le Ministre a ajouté que les fonctions de ce dispositif permanent, qui compléterait les structures existantes mises en _uvre par le ministère des Affaires étrangères et qui serait chargé d'intervenir en soutien des instances décisionnelles existantes, consisteraient à :

- développer une capacité d'alerte ;

- veiller à la coordination horizontale des actions à chaque niveau, de terrain, de théâtre, national ou extérieur ainsi qu'entre les forces et les intervenants civils, publics et privés ;

- favoriser les échanges d'informations entre tous les acteurs, (ministères, mais aussi collectivités territoriales, entreprises, ONG...) ;

- assurer l'information, en temps réel, des responsables militaires sur les priorités interministérielles ;

- promouvoir la présence française dans la phase de reconstruction économique et de rétablissement de l'Etat de droit.

Le Ministre a alors souligné que la nécessité de la coordination apparaissait également dans d'autres enceintes, comme l'OTAN, qui cherchait, par exemple, à développer une capacité civilo-militaire propre afin d'améliorer son aptitude à peser sur la gestion civile des conflits. Au sein de l'Union européenne, l'articulation entre les instruments politico-militaires et les outils de l'aide au développement représente une question d'importance majeure qui n'a pas encore reçu de réponse précise.

M. Robert Gaïa a souligné qu'il n'avait entendu que des propos élogieux sur le rôle des forces françaises dans le domaine des actions civilo-militaires au cours des entretiens qu'il avait conduits pour la préparation de son rapport d'information.

Après avoir observé que les actions civilo-militaires ne se limitaient pas aux situations d'urgence mais s'inscrivaient dans la durée, il s'est demandé si le rôle des armées était encore de reconstruire des ouvrages d'art en Bosnie-Herzégovine six ans après la fin des hostilités. Constatant que l'intervention d'urgence avait laissé la place à l'aide au développement, il a regretté l'absence d'un relais entre les armées et les ONG ou les organisations internationales.

Puis il a fait ressortir la nature politique de certaines actions civilo-militaires, citant l'exemple de l'aide au retour des réfugiés qui peut aboutir à des modifications de la composition du corps électoral dans des zones sensibles. Il a alors posé les questions suivantes :

- l'absence de relais efficace pour passer de la situation d'urgence à la phase de développement ne conduit-elle pas les militaires à assumer des tâches qui ne devraient pas leur incomber, comme la recherche de financements internationaux en vue de permettre la réalisation d'actions de nature civile ?

- peut-on se satisfaire de l'absence de coordination politique entre les forces qui conduisent les actions civilo-militaires et le ministère des Affaires étrangères ? Cette situation ne favorise-t-elle pas des interventions sans stratégie, décidées au hasard des opportunités ?

- enfin, ne serait-il pas envisageable de demander aux attachés de défense d'établir des relations efficaces entre les postes diplomatiques et les forces ?

Considérant que les actions civilo-militaires s'inscrivaient dans la durée, notamment en raison des carences du secteur productif local, M. Guy-Michel Chauveau a observé qu'il restait difficile d'articuler le soutien macro-économique et l'aide aux projets, de niveau micro-économique, malgré les apports du pacte de stabilité.

Estimant que, lors des événements du Kosovo, les processus décisionnels de l'OTAN n'avaient pas permis à la présidence allemande de l'Union européenne de tirer profit du délai ayant précédé les frappes pour éviter le conflit, il a insisté sur la nécessité de gérer les crises le plus en amont possible. Il a à ce propos mis en exergue les possibilités d'action des ONG dont le rôle préventif constitue une dimension nouvelle de la gestion civile des crises.

M. Guy-Michel Chauveau a également évoqué la question du maintien de l'ordre dans les zones de déploiement des forces de gestion des crises. Il a regretté l'absence d'une force internationale de police rapidement projetable, soulignant que cette lacune conduisait à utiliser les forces terrestres pour des opérations de contrôle de foules souvent proches du simple maintien de l'ordre.

Convenant de l'évident intérêt des actions civilo-militaires dans le processus de stabilisation et de reconstruction d'après crise, M. Jean Briane s'est demandé si l'on ne devait pas envisager l'institution pour ce type d'action d'un cadre commun européen. Il a à ce propos évoqué la possibilité de faire appel à des volontaires européens pour participer aux actions civilo-militaires.

Le Ministre de la Défense a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- l'organisation interministérielle est en train de se mettre en place sur la base du rapport Fauroux. Elle devra se doter des moyens de son fonctionnement dans la durée. L'outil interministériel est encore numériquement faible. Il serait en outre nécessaire de nommer sur place des représentants du Gouvernement à vocation interministérielle, chargés de la coordination des actions civiles de reconstruction et de sortie de crise ;

- dans la mesure où la mission des représentants diplomatiques n'est pas de conduire des actions de reconstruction, la coordination de théâtre devra être pilotée par ces représentants civils interministériels qui devront représenter notamment les ministères des Affaires étrangères, de l'Economie et des Finances et de la Défense ;

- le rôle des attachés de défense est notamment de faire parvenir au Chef d'état-major des armées des informations recueillies sur le terrain. Dans la mesure où les actions civilo-militaires sont temporaires, il est logique qu'elles restent sous la responsabilité du commandant d'opération placé sous le contrôle politique étroit des autorités nationales et intégré dans une chaîne de commandement multinationale ;

- il existe, au niveau européen, une volonté politique solide en faveur des actions civilo-militaires. Le fait que l'Union européenne ait les moyens et la vocation d'accomplir des tâches d'aide au développement et de reconstruction a d'ailleurs contribué à habituer certains pays partenaires de la France à considérer qu'elle pouvait également intervenir dans la gestion militaire des crises. Trois questions restent néanmoins en suspens concernant le rôle de l'Union européenne en matière de gestion des affaires civilo-militaires. Certains pays ont, en premier lieu, tendance à faire de l'aide à la reconstruction et de la gestion civile des crises les domaines privilégiés de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union en minimisant sa dimension militaire. En deuxième lieu, il est difficile de coordonner des interventions qui sont de nature différente selon qu'elles relèvent du premier pilier, communautaire, comme les actions de reconstruction civile et de coopération économique ou du deuxième pilier, à caractère intergouvernemental. Il est à cet égard prioritaire de mettre en place un processus de décision efficace, qui permette de répondre en temps voulu à des situations de crise telles qu'on a pu les observer dans l'ex-Yougoslavie à la fin de l'année 1998 et au début de l'année suivante. Enfin, l'approche exclusivement européenne et le choix de la dépendance mutuelle acceptée ne sont pas forcément pertinents en toutes circonstances. Un certain nombre de pays européens souhaitent préserver la lisibilité de leur action nationale, ce qui est favorable au maintien d'une certaine compétition, et par là même d'une certaine efficacité. Il peut donc être préférable, dans certains cas, de s'en remettre à des initiatives nationales, pilotées par le pays dont elles émanent mais coordonnées au niveau européen ;

- s'agissant de cette tâche particulière que représente, au sein des actions civilo-militaires, le maintien de l'ordre, deux phases doivent être distinguées : celle de la prise de contrôle du terrain et celle de la reconstruction. En phase de reconstruction et de réorganisation politique, les missions de maintien de l'ordre sont de type classique mais nécessitent la garantie d'une présence de forces terrestres à proximité, comme des événements récents en Bosnie-Herzégovine l'ont montré. Dans ce cas de figure, il convient de déterminer le type de forces auquel il est fait appel : si, en pratique, les tâches de maintien de l'ordre reviennent alors de manière prédominante aux trois principales forces européennes de sécurité publique à statut militaire - les carabinieri italiens, la guardia civil espagnole et la gendarmerie française -, des forces civiles de police ont également vocation à les assurer, le problème étant alors de disposer d'éléments déployables. Afin que les quinze membres de l'Union européenne contribuent de manière équilibrée au déploiement de forces de maintien de l'ordre, il a été décidé à Feira, au printemps 2000, de créer une force européenne de police de 5 000 hommes, dont 1 000 immédiatement déployables. La réalisation de cet objectif apparaît indispensable, notamment au regard des difficultés à assurer les tâches de police judiciaire en opérations extérieures, comme le montre l'exemple du Kosovo. Dans la phase de prise de contrôle d'un territoire en crise, en amont du processus de reconstruction, c'est en revanche aux forces terrestres que revient la tâche du maintien de l'ordre. Cette tâche prend alors la forme de ce qu'on appelle le contrôle de foules, dans une situation où des incidents et des désordres peuvent rapidement dégénérer en affrontements graves, en raison de la présence d'ex-combattants et d'éléments armés au sein de la population. Les forces ont dû s'accoutumer à cette nouvelle mission qui n'a pas remis en cause la spécificité des tâches respectives de l'armée de Terre et de la Gendarmerie. De relève en relève ont pu être rodées la répartition des rôles entre ces deux armées ainsi que la préparation de l'armée de Terre, simplifiée et durcie par rapport à celle des gendarmes mobiles. La mission de contrôle de foules restera néanmoins marginale pour les forces terrestres, la norme étant le recours à la Gendarmerie pour assurer le maintien de l'ordre et fournir l'assistance technique nécessaire à la mise en place d'une force de sécurité locale ;

- dans les premiers temps de la reconstruction, lorsqu'elles ont à conduire des actions civilo-militaires, les forces font souvent face, au niveau local, à une absence d'autorité légale. Il importe alors d'éviter de consolider certaines autorités de fait même si, dans certains cas, les forces se trouvent dans la nécessité d'accepter comme interlocuteurs des hiérarchies pré-démocratiques.

M. Robert Poujade a fait ressortir certains des avantages qui résultaient de l'élargissement des missions des armées aux actions civilo-militaires, dans des situations où il ne s'agissait plus d'obligations résultant de données circonstancielles mais d'interventions durables. A cet égard, il a mentionné l'acquisition par les armées d'une plus grande polyvalence, l'élargissement de la gamme de leurs capacités techniques ainsi qu'une amélioration de la perception des militaires, dont l'intervention revêt une dimension morale, en raison notamment de leurs nouvelles aptitudes à la médiation. Cette évolution lui a paru conduire, dans une certaine mesure, à la naissance d'un nouveau type d'armée. Il a ajouté que la forme nouvelle d'engagement que représentaient les actions civilo-militaires était profitable à l'image internationale des forces françaises et qu'elle tranchait avec certaines impressions laissées par des débats douloureux au plan national. M. Robert Poujade a toutefois évoqué les risques d'une moindre disponibilité des forces pour l'entraînement à vocation opérationnelle ainsi que les coûts entraînés par cette forme d'emploi. Evoquant les sujétions qui pouvaient être imposées aux forces par les organisations internationales, il a exprimé la crainte qu'elles débouchent sur une dilution de la fonction militaire. Il a ensuite interrogé le Ministre, d'une part sur la difficulté d'assumer des tâches de police judiciaire en pays étranger, au risque de passer aux yeux des populations pour une troupe d'occupation et d'autre part, sur les réactions des unités de l'armée de Terre appelées à se former, notamment au centre de Saint-Astier, à des tâches de maintien de l'ordre, dont il a observé qu'elles incombaient depuis longtemps déjà à certaines forces parachutistes britanniques.

M. Alain Richard, tout en reconnaissant l'existence de certains risques de démotivation, notamment lorsque les missions de nature civile revêtent un caractère durable, a mis en exergue l'impact positif de la dimension morale des actions civilo-militaires sur l'état d'esprit des militaires qui y participent.

Le Ministre a ensuite souligné que le partage des tâches entre les autorités civiles et militaires avait pu être organisé dans le cadre de dispositifs bien établis, comme au Kosovo où le commandant de la KFOR remplissait des missions déterminées au profit de la mission des Nations Unies (MINUK). Puis, s'agissant des activités de police judiciaire dont il a rappelé qu'elles incombaient aux forces de police sous l'autorité de la présence internationale civile, il a fait état de la nécessité de leur coordination à l'échelle du territoire concerné. Il a également mentionné la question de la coopération entre autorités civiles et militaires en ce domaine. Enfin, il a évoqué la difficulté des tâches de contrôle de foules qui risquaient, dans certaines circonstances, de déboucher sur des combats en milieu urbain.

*

* *

Conformément à l'article 145 du Règlement, la Commission a ensuite autorisé à l'unanimité la publication, sous forme de rapport d'information, des actes du colloque « pour défendre la paix, réformer l'ONU » tenu à Paris les 31 janvier et 1er février 2001.


© Assemblée nationale