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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 39

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 13 juin 2001
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'Armement, sur la politique d'équipement militaire dans le cadre de la construction de l'Europe de la Défense.


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La Commission a entendu M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'Armement, sur la politique d'équipement militaire dans le cadre de la construction de l'Europe de la Défense.

Le Président Paul Quilès a souhaité la bienvenue à M. Yves Gleizes pour sa première audition par la Commission. Puis, après avoir rappelé l'attention que la Commission portait aux transformations considérables de l'industrie européenne de défense au cours des dernières années, il a souligné le rôle clef joué par les entreprises françaises dans ces transformations. Il a alors observé que des regroupements s'avéraient encore nécessaires, en particulier dans les secteurs de l'armement naval et terrestre, de la propulsion aéronautique ou des avions de combat.

Il a également relevé que, du côté de la demande, une structure européenne de conduite des programmes, l'OCCAR, était à présent en place avec pour objectif de procurer les gains d'efficacité indispensables pour optimiser les ressources budgétaires de chacun des pays participants. Il a ajouté que l'accord-cadre de la LoI devrait parallèlement permettre aux entreprises européennes de mieux exploiter leurs complémentarités tout en préservant les intérêts des Etats.

Se référant à l'objectif global de capacités que s'est fixé l'Union européenne, le Président Paul Quilès a souligné que sa réalisation représentait un défi important pour les industriels qui devront combler les lacunes observées dans plusieurs domaines essentiels pour la gestion des crises comme la mobilité stratégique, le renseignement, les communications, la surveillance du champ de bataille, l'acquisition d'objectifs, la neutralisation des défenses aériennes adverses ou encore la frappe tout temps à distance de sécurité.

Il en a déduit que l'Europe de la défense n'était pas seulement une ambition politique, mais aussi un grand projet industriel qui devait garantir le niveau d'excellence et la capacité concurrentielle des entreprises européennes du secteur de l'armement.

M. Yves Gleizes, Délégué général pour l'Armement, a tout d'abord tenu à se présenter à la Commission. Il a indiqué qu'il avait effectué l'ensemble de sa carrière au sein de la DGA, dans les domaines aéronautique et électronique. Il a précisé qu'il avait notamment été directeur du programme d'hélicoptère de combat Tigre, soulignant que cette fonction lui avait permis de faire l'expérience concrète des difficultés mais aussi de l'intérêt de la coopération européenne. Il a ajouté qu'il avait été chef du service des programmes aéronautiques, puis directeur des systèmes d'armes, adjoint de son prédécesseur dans les fonctions de Délégué général pour l'Armement, M. Jean-Yves Helmer. A ce dernier poste, il dirigeait les activités relatives aux programmes et opérations d'armement.

M. Yves Gleizes a alors observé qu'après l'accélération du processus de consolidation des dernières années, le paysage industriel du secteur de l'armement s'était considérablement modifié.

Il a rappelé à ce propos qu'après une phase de consolidation nationale, les principaux maîtres d'_uvre nationaux du secteur aérospatial et de l'électronique s'étaient fondus au sein de deux ensembles multinationaux de taille mondiale, à l'activité largement duale, EADS et Thalès. Il a relevé que Thalès avait, en outre, créé une société commune avec l'industriel américain Raytheon dans le domaine de la défense aérienne.

Le Délégué général pour l'Armement a également souligné que des regroupements significatifs étaient intervenus dans des domaines spécifiques, sur la base de filiales créées au début des années 1990 autour de programmes en coopération. Il a cité à cet égard les exemples d'Astrium pour les systèmes spatiaux, d'Agusta Westland pour les hélicoptères, d'Alenia Marconi Systems pour l'électronique de défense et de MBDA, en cours de création, pour les missiles et systèmes de missiles.

Il a alors relevé que le mouvement de restructuration européen était moins avancé dans certains secteurs. Il a à ce propos observé que SNECMA avait désormais vocation à nouer des partenariats européens après avoir fédéré l'essentiel de l'industrie nationale dans le domaine des équipements mécaniques avec la reprise des activités aéronautiques de Labinal et d'Hurel-Dubois et entrepris de créer avec SNPE un pôle industriel pour les poudres et explosifs et la grosse propulsion.

Dans le secteur des avions de combat, où EADS détient par rapport à BAe Systems une position majoritaire dans le programme Eurofighter, M. Yves Gleizes a fait valoir que la création d'EMAC permettra d'étendre l'alliance franco-germano-espagnole à l'italien Finmeccanica. Il a souligné qu'au-delà de cette première étape, il était nécessaire de favoriser l'insertion de Dassault Aviation dans un ensemble européen disposant d'une capacité de maîtrise d'_uvre autonome en matière de systèmes aériens de combat.

Après avoir rappelé que, dans le secteur des constructions navales, la Direction des Constructions navales avait acquis le statut de service à compétence nationale, M. Yves Gleizes a estimé qu'il fallait à présent lui donner les moyens de se comporter comme un véritable industriel et de nouer des alliances européennes. Il a considéré que la constitution, qui devrait être effective d'ici la fin de l'année, d'une société commune SSDN associant DCN et Thalès, pour la maîtrise d'_uvre et la commercialisation des programmes à l'exportation et en coopération, s'inscrivait dans cette perspective. Il a jugé qu'il en allait de même des réflexions engagées à la suite des propositions de son directeur, M. Jean-Marie Poimboeuf, tendant à faire de DCN une société de plein exercice.

Evoquant enfin le secteur des armements terrestres, il s'est félicité de son début de consolidation avec la création de la société commune Satory Military Vehicles par Giat-Industries et Renault Véhicules Industriels (RVI). Il a précisé à ce propos que cette société, chargée de réaliser le Véhicule de Combat d'Infanterie et de regrouper les activités de Giat-Industries et de RVI dans le domaine des véhicules blindés légers, avait également vocation à s'élargir, notamment à d'autres partenaires européens. Il a souligné que c'était un premier pas pour permettre à Giat-Industries de participer aux restructurations du secteur européen des armements terrestres.

Le Délégué général pour l'Armement a également fait valoir que les Etats devaient, tout en préservant leurs intérêts fondamentaux, accompagner le processus de consolidation industrielle et créer les conditions d'un bon fonctionnement des sociétés transnationales. Il a souligné que l'accord cadre d'application de la Letter of Intent (LoI) de juillet 1998, signé le 27 juillet 2000 par les principaux pays européens producteurs d'armement (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède), représentait l'instrument juridique de cette politique. Après avoir précisé que quatre pays l'avaient d'ores et déjà ratifié et que l'Espagne et l'Italie étaient sur le point de le faire, il a souligné que la priorité était maintenant de mettre en application ses dispositions et d'harmoniser les réglementations applicables dans les pays signataires.

M. Yves Gleizes a ensuite abordé les programmes menés en coopération.

Il a indiqué que la France envisageait de consacrer au cours des prochaines années environ 10 % des titres V et VI à des programmes en coopération.

Il a ajouté que le premier partenaire de la France demeurait l'Allemagne, suivie de l'Italie, grâce notamment au programme Horizon, et, pour un volume de crédits inférieur de moitié, du Royaume-Uni. Il a souligné les efforts de persuasion faits par la France pour obtenir de ses partenaires européens le lancement ou la confirmation de programmes importants.

Il a indiqué que la France proposait par ailleurs des approches de coopération originales, visant à la mise en place de fonctions partagées, sans nécessairement développer en commun des matériels identiques. Il a mentionné, à titre d'exemple, l'accord passé par la France et l'Italie, à l'occasion du sommet de Turin du 29 janvier dernier, en vue de réaliser un système européen, à vocation civile et militaire, de satellites multi-capteurs, radars et optiques, d'observation de la terre. Il a précisé qu'aux termes de cet accord, l'Italie et la France s'autorisaient à s'échanger des droits d'accès aux satellites Cosmo-Skymed, Pléiades et Hélios II, tout en maintenant leur coopération ouverte à d'autres pays européens, notamment l'Espagne.

Après avoir indiqué que, dans le même temps, la France et l'Allemagne travaillaient activement à la définition des modalités d'une coopération similaire autour des satellites optiques Hélios II et radars SAR-Lupe, il a fait état des progrès accomplis lors du récent sommet franco-allemand de Fribourg, notamment dans le domaine de l'interopérabilité des systèmes de contrôle et d'exploitation au sol.

A propos de l'A 400 M, M. Yves Gleizes a indiqué qu'après la signature d'un engagement à l'occasion du salon du Bourget, le contrat de réalisation du programme devrait être notifié à l'industrie d'ici la fin de l'année.

Le Délégué général pour l'Armement a également fait état d'autres programmes en coopération qui s'apprêtent à recueillir la participation de nouvelles nations partenaires.

Soulignant que les programmes en coopération concrétisaient les efforts communs pour donner toutes ses chances à l'industrie européenne, il a mis en exergue les programmes de missile air-air Météor, de système de défense anti-aérien PAAMS et de frégates anti-aériennes Horizon.

M. Yves Gleizes a ensuite abordé la situation de l'OCCAR, dont il a rappelé qu'elle avait été créée pour améliorer l'efficacité économique des programmes en coopération, jusqu'alors cogérés au jour le jour par les Etats participants. Après avoir précisé que cette organisation était dotée de la personnalité juridique depuis le 28 janvier dernier et qu'elle recevait pour la conduite des programmes une large délégation des Etats, assortie d'engagements fermes et pluriannuels assurant leur financement sans risque de remises en cause, il a souligné qu'elle avait adopté des modes de fonctionnement inspirés des meilleures pratiques en matière de conduite de programmes, de gestion financière et de politique d'achat.

Il a également mis l'accent sur le principe d'équilibre global pluriannuel des retours industriels pour l'ensemble des programmes gérés par l'organisation.

Le Délégué général pour l'Armement a indiqué que les pays membres attendaient de l'OCCAR une meilleure rationalité industrielle dans la conduite des programmes. En effet, le système préexistant de juste retour avait pu être utilisé par des Etats pour confier à leur industrie des travaux dans des domaines qu'elle ne maîtrisait pas forcément, dans l'espoir d'y acquérir des compétences. Dans le cadre de l'OCCAR, les tâches seront distribuées entre industriels selon des critères d'efficacité économique.

M. Yves Gleizes a précisé que cette approche vaudrait pour les programmes à venir, les programmes actuellement confiés à l'OCCAR, comme celui d'hélicoptère Tigre, ayant été lancés selon l'ancien principe du juste retour. En revanche, le programme A 400 M, pourtant déjà largement défini, est, quant à lui, fondé sur une approche commerciale qui permet, dans une certaine mesure, de s'affranchir des contraintes de ce principe de juste retour.

Le Délégué général pour l'Armement a alors fait valoir que la priorité était à présent de faire fonctionner l'OCCAR et de réussir sa montée en puissance. Il a, à cet égard, apporté les précisions suivantes :

- la DGA est chargée de la supervision de l'OCCAR pour le compte du ministère de la Défense. Elle doit contrôler son fonctionnement, suivre la conduite des programmes qui lui sont confiés et veiller à la cohérence des actions nationales avec celles qui lui ont été déléguées ;

- l'OCCAR doit accueillir de nouveaux programmes comme ceux d'avion de transport futur A 400 M et sans doute aussi de système de défense anti-aérien PAAMS ;

- l'OCCAR doit également élargir son portefeuille d'activités en prenant en charge la conduite de la réalisation de démonstrateurs technologiques ;

- l'OCCAR va accueillir de nouveaux partenaires, notamment les Pays-Bas, l'Espagne et la Belgique, qui ont fait acte de candidature et qui répondent aux conditions d'admission. D'autres pays, comme la Suède, ont manifesté un réel intérêt pour l'organisation. Pour prévenir les risques de dilution, il faudra veiller au respect par tous les membres de l'organisation des principes qui ont présidé à sa création, en particulier en matière de retour industriel.

Abordant alors la préparation du futur, M. Yves Gleizes a ajouté qu'entre les pays européens, une vision prospective commune des capacités et des moyens nécessaires pour leur acquisition devait être bâtie, en vue d'harmoniser les besoins opérationnels. Il a indiqué que l'Europe de la défense constituait sur ce chemin une chance, dans la mesure où elle déduisait de la formulation des missions de Petersberg une définition des besoins capacitaires. Il a toutefois souligné que les missions de Petersberg ne concernaient qu'une partie des missions de défense françaises.

Rappelant que le plan prospectif à 30 ans (PP30) de la DGA offrait un cadre de référence pour l'équipement de défense français sur les trente années à venir à partir du travail commun d'ingénieurs architectes de systèmes de force et d'officiers de cohérence opérationnelle, il a souligné que ce plan orientait toutes les actions de recherche et technologie lancées par la DGA.

Souhaitant alors que puisse être un jour établie une forme de PP30 européen, élaboré lui aussi par un collège européen d'ingénieurs et d'officiers d'etat-major, pour définir à son horizon les améliorations à apporter aux systèmes européens de défense, il a exposé que, dans l'immédiat, la France se devait de poursuivre son dialogue bilatéral avec l'Allemagne sur l'établissement d'un catalogue de capacités communes et la Grande-Bretagne sur les coopérations en amont du cycle d'acquisition.

Le Délégué général pour l'Armement a alors indiqué qu'en tout état de cause, les pays européens devaient se concerter sur leurs politiques d'équipement, de façon à déterminer ensemble les matériels à acheter tels quels « sur étagère » et ceux dont le développement devait être financé par les Etats. Il a à ce propos souligné la nécessité d'une concertation sur le financement des développements, les bureaux d'étude des entreprises de défense, désormais internationales, devant bénéficier de ressources équitablement réparties entre les pays acquéreurs des matériels concernés.

M. Yves Gleizes a par ailleurs précisé que la DGA avait désormais établi de nouveaux types de relations avec l'industrie, tenant compte du fait que l'Etat n'était plus toujours actionnaire, ou actionnaire majoritaire, des sociétés du secteur de la défense. Précisant que ces relations reposaient notamment sur une confrontation à étapes régulières des réflexions prospectives et des projets de l'Etat et des industriels, il a ajouté qu'elles devaient s'élargir aux grandes sociétés européennes, même si leurs actionnaires de référence n'étaient pas français.

Le Délégué général pour l'Armement a alors abordé la question du financement en commun de la recherche. Il a précisé sur ce point que la France venait de signer le Memorandum of understanding (MoU) Europa, élaboré sous l'égide du GAEO, pour permettre des coopérations nouvelles avec l'ensemble des pays membres de cet organisme, mais qu'elle continuait néanmoins à développer des coopérations plus poussées avec ceux de ses partenaires qui disposaient des capacités les plus étendues. Ajoutant que la DGA consacrait actuellement 20 % des ressources qu'elle allouait à la recherche et technologie à des coopérations internationales, essentiellement avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne, il a précisé qu'elle souhaitait augmenter cette part de 30 % d'ici 2008.

Il a indiqué que la DGA travaillait également à confier la conduite de projets de démonstrateurs technologiques à l'OCCAR, de façon à donner aux activités de cette organisation une dimension technique et non pas seulement gestionnaire.

En conclusion, M. Yves Gleizes a souligné que la DGA travaillait solidement, sans angélisme mais avec détermination, à la construction de l'Europe de l'armement. Il a également attiré l'attention de la Commission sur l'écart existant entre les budgets d'équipement du Royaume-Uni et des autres pays européens, dont la France dans une moindre mesure. Il a relevé que l'effort consenti par le Royaume-Uni lui permettait désormais de revendiquer un rôle de chef de file sur des programmes essentiels, notamment dans le domaine aéronautique, alors même que son industrie était tentée par des partenariats transatlantiques qui ne garantissaient pas toujours le maintien de l'ensemble des compétences nécessaires à la conduite des programmes en Europe.

Remerciant le Délégué général pour l'Armement de l'intérêt de son exposé qui avait rappelé combien la construction de l'Europe de la défense était un processus complexe, le Président Paul Quilès a souhaité savoir quels gains d'efficacité étaient actuellement attendus de l'OCCAR, alors que cette organisation ne gérait pour l'instant que des programmes existants, dont les conditions de réalisation étaient déjà définies avant qu'ils lui soient confiés. Il a également interrogé le Délégué général sur la nature des nouveaux programmes susceptibles d'être transférés à l'OCCAR, en lui demandant plus particulièrement comment le principe de juste retour globalisé pourrait être appliqué dans cette perspective.

S'agissant des programmes existants, M. Yves Gleizes a précisé qu'avant leur rattachement à l'OCCAR, ils étaient gérés par des agences exécutives ad hoc, dans lesquelles les responsabilités étaient dupliquées afin que chaque Etat soit représenté. Leur transfert à l'OCCAR permet de fédérer ces multiples organismes. Il autorise une réduction notable d'effectifs et une rationalisation des dépenses, du fait notamment de la mutualisation de certaines fonctions, telles que les achats ou les finances.

S'agissant des programmes qui devraient être rattachés à l'OCCAR dans un futur proche, à savoir le missile sol-air PAAMS, le programme d'avion de patrouille maritime germano-italien Maritime Patrol Aircraft, un SIC franco-allemand et le missile à fibre optique Trifom, l'objectif est de les transférer à l'organisation européenne au plus tôt. Le programme A 400 M se trouvera, à cet égard, dans une situation intermédiaire, étant donné que le contrat relatif à sa réalisation aura été négocié par les pays avant d'être confié à l'OCCAR.

Revenant sur la notion de juste retour global, le Délégué général pour l'Armement a souligné combien il était difficile de s'affranchir des réalités nationales. Il a relevé que la sensibilité des différents Etats à la notion de juste retour était variable selon les pays. Quant à la France, elle souhaitait sans angélisme ni naïveté, une application globale, pour l'ensemble des programmes, et pluriannuelle, du juste retour.

M. Jean-Yves Le Drian a demandé au Délégué général si le programme de frégates multimissions de nouvelle génération avait vocation à être transféré à l'OCCAR. Il a également souhaité connaître les conséquences, pour la DGA, de la transformation de la DCN en service à compétence nationale et demandé à M. Yves Gleizes sa vision à moyen terme du scénario du statu quo, c'est-à-dire d'une DCN dont le statut n'évoluerait plus. Il s'est enfin interrogé sur les raisons des retards mis dans la constitution de SSDN.

M. Loïc Bouvard, s'associant aux questions posées par M. Jean-Yves Le Drian, a rappelé qu'il avait évoqué, dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2001 consacré aux Comptes spéciaux du Trésor, la nécessité pour DCN d'aller au-delà de son statut actuel, de façon à entrer dans un EADS naval, pour reprendre une expression déjà employée.

S'interrogeant sur les modalités de préparation de l'avenir dans une perspective européenne, M. Guy-Michel Chauveau a soulevé la question des relations entre les agences d'armement et les Etats-majors. Il s'est demandé comment pourraient être surmontées les divergences d'approche des missions de Petersberg par les Etats-majors nationaux, certains en ayant une conception minimale, d'autres étant disposés à envisager des actions de haute intensité. Il a alors souligné la nécessité d'une entente sur les scénarios et les doctrines d'emploi de manière à rendre possible l'acquisition d'une large gamme de matériels communs, par exemple dans les domaines des drones ou des armements terrestres, et à bénéficier des effets de série.

M. Jean-Claude Sandrier s'est dit sceptique sur les comparaisons entre les efforts de défense français et britannique, jugeant qu'il n'existait pas de méthode de calcul fiable, permettant de rapprocher les données financières disponibles notamment dans le domaine de la recherche-développement. Il a estimé que, tout bien considéré, les dépenses de défense rapportées au PIB étaient sensiblement identiques dans les deux pays. Il a enfin souligné que ces deux pays avaient pu faire des choix politiques différents en matière de défense.

Il a ensuite interrogé M. Yves Gleizes sur l'avenir de la DGA dans un cadre européen, remarquant que, même dans une fédération d'Etats-nations, l'Etat restait une réalité et, qu'avec lui, perdurait la nécessité de préserver des capacités de maîtrise d'_uvre et des compétences technologiques nationales. Il a cité à ce propos les exemples des missiles et plus particulièrement des missiles antichars, faisant allusion à l'avenir du Trigan. Evoquant ensuite le credo en vogue selon lequel toute activité de défense devait être concurrentielle par rapport aux productions américaines, il s'est demandé si c'était possible, dans tous les domaines ou seulement dans certains. Il s'est alors interrogé sur les conséquences que les programmes de recherche américains consacrés à la défense antimissile pouvaient entraîner pour la capacité des Européens à rester à un niveau technologiquement comparable. Enfin, faisant écho aux réflexions du Délégué général pour l'Armement sur les surcapacités et les duplications européennes, il a demandé quelles seraient les conséquences pour l'emploi d'une rationalisation des capacités existantes, par exemple en matière de centres d'essai.

M. Yves Fromion a souhaité savoir comment le Délégué général pour l'Armement envisageait l'avenir de Giat-Industries, dont le plan stratégique semblait dépassé. Il a demandé si l'Etat recapitalisait l'entreprise faute de mieux, dans une situation globalement peu rassurante malgré l'accord récemment trouvé avec les Emirats Arabes Unis, ou si des perspectives pouvaient être tracées pour son évolution future.

Il a ensuite demandé comment la représentation nationale pouvait être informée des orientations contenues dans le PP30, étant donné que cet outil permettait une présélection très précoce des programmes. Dans cette optique de long terme, il a interrogé M. Yves Gleizes sur l'évolution des crédits de recherche-développement, pour lesquels il a jugé qu'un effort supplémentaire était nécessaire.

Il a ensuite demandé au Délégué général pour l'Armement comment il expliquait que certains responsables, nationaux et européens, du secteur spatial estimaient qu'il n'existait pas aujourd'hui de politique française de l'espace.

M. Aloyse Warhouver s'est interrogé sur l'analyse des risques et des menaces sous-jacente aux améliorations des systèmes de défense envisagées dans le cadre du PP30.

M. Yves Gleizes a apporté les éléments de réponse suivants :

- les perspectives du PP30 correspondent à une réflexion sur les risques et les formes d'agression qui pourraient menacer la France d'ici une trentaine d'années, tels que le piratage informatique ;

- le programme de frégates multimissions répond à une nécessité pour la Marine. Conformément aux orientations politiques retenues, la DGA recherche systématiquement la coopération pour l'ensemble des programmes d'armement et en particulier pour ce programme. Il n'existe toutefois pas encore de perspective concrète de coopération en ce domaine mais certains pays se montrent de plus en plus intéressés. L'idée de créer un Airbus naval a notamment été évoquée dans le contexte de projets visant à concevoir les futures frégates multimissions sous une forme modulaire adaptable aux besoins de différents pays. La concurrence qui oppose aujourd'hui les entreprises européennes de construction navale militaire rend toutefois difficile les rapprochements industriels ;

- la DGA, consciente de ses responsabilités historiques à l'égard de DCN a eu pour souci de faire en sorte que sa transformation en service à compétence nationale se passe dans les meilleures conditions possibles. Cette nécessaire restructuration, qui s'est traduite par une importante réduction d'effectif, a eu pour principal objectif de moderniser et de rendre plus efficace la gestion de DCN. Elle permet de contractualiser les activités de DCN et d'en établir les résultats financiers. Par ailleurs, les grands choix de gestion de DCN relèvent désormais directement du ministre ;

- dans l'hypothèse où le statut de DCN n'évoluerait pas, ses activités ne seraient pas menacées mais elles continueraient à se heurter à des contraintes peu compatibles avec les nécessités industrielles comme celles imposées par le Code des Marchés publics, malgré les améliorations apportées par la création de SSDN. DCN dispose par ailleurs de bonnes perspectives de marché qui faciliteraient son évolution ;

- l'acquisition de certaines capacités liées aux missions de Petersberg avait déjà été recherchée par la France avant la fixation de l'objectif global européen. La France avait par exemple développé à cette date des moyens d'observation par satellite avec Hélios. Elle avait également décidé d'acquérir une nouvelle capacité de projection et de ravitaillement en vol. La France est bien placée dans le domaine des drones. Le ministère de la Défense prévoit le lancement vers 2007/2008 d'une nouvelle génération plus performante sur le plan de la charge utile et du transfert des informations ;

- les comparaisons entre la France et le Royaume-Uni peuvent effectivement prêter à interprétation selon les périmètres considérés (budget de défense ou budget d'équipement). Il n'en reste pas moins vrai qu'au sein des budgets de la défense, la part des coûts de fonctionnement diffère en France et au Royaume-Uni ;

- même si sa taille peut évoluer, la DGA conservera une raison d'être tant qu'existeront les Etats-nations tels que nous les connaissons aujourd'hui, dans la mesure où la politique de l'armement relève d'une fonction régalienne. Un certain nombre de programmes liés notamment à la défense des intérêts vitaux (dissuasion nucléaire, cryptologie) ou conduits sur des bases nationales (Charles de Gaulle, Rafale, Leclerc) restent du domaine exclusif de la DGA. Ainsi, à l'horizon de 2010, les programmes confiés par la France à l'OCCAR ne devraient pas représenter plus de 10 % des titres V et VI. Par ailleurs, la DGA garde une mission de contrôle de l'OCCAR ;

- la coopération en matière d'armement relève du deuxième pilier de l'Union européenne à caractère intergouvernemental. Quatre à six pays sont actuellement impliqués dans les cadres multilatéraux de cette coopération mais un effort doit être entrepris pour accorder aux autres membres de l'Union la place qui leur revient ;

- la France demeure à la pointe de l'industrie des missiles mais les projets de missiles antichars ne bénéficient plus du même degré de priorité aujourd'hui. L'armée de Terre n'est pas prête à financer une part élevée du développement et de l'industrialisation d'un nouvel engin, quelles que soient les qualités du Trigan qui bénéficie de l'acquis des travaux réalisés dans le cadre du programme d'antichar de troisième génération à moyenne portée. Il paraît par ailleurs justifié de demander à l'industriel une part des frais fixes correspondant à ses perspectives d'exportation ;

- l'effort de recherche-développement des Etats-Unis est équivalent à celui de l'ensemble des pays de l'Union européenne dans le domaine civil. Il est en revanche, trois fois supérieur à celui de ces pays dans le domaine militaire, les dépenses d'acquisition d'équipements de défense des Etats-Unis représentant par ailleurs le double de celles de l'Union européenne. Tant que l'écart en matière de recherche de défense restera aussi significatif, les Etats-Unis conserveront une avance dans le domaine de la technologie militaire malgré une certaine dispersion de leurs efforts. Il est à noter par ailleurs que, si le Royaume-Uni et la France consentent un effort réel en matière de recherche-développement militaire, il n'en va pas de même des autres pays de l'Union européenne ;

- à la différence de DCN, les débouchés nationaux de Giat-Industries se sont réduits. En conséquence, les perspectives d'exportation déterminent pour une large part le niveau de charge de la société nationale. Pour résoudre ses difficultés actuelles de plan de charge, des alliances industrielles apparaissent nécessaires.

M. René Galy-Dejean s'est alors interrogé sur le montant des pertes de la société nationale Giat-Industries.

M. Yves Gleizes a indiqué que l'actionnaire étatique envisageait une recapitalisation de l'ordre de 4 milliards de francs. Il a ajouté que la direction de l'entreprise continuait de rechercher des solutions par diversification des activités.

Il a enfin apporté les précisions supplémentaires suivantes :

- le PP30 ne planifie pas un futur à 30 ans. Il analyse les possibles et permet d'en déduire ce que devrait être notre futur système de défense. Il est réactualisé tous les ans, de façon à offrir en permanence un cadre de référence sur 30 ans ;

- on ne saurait considérer que la France n'a pas de politique spatiale. La France, qui a joué un rôle déterminant dans la construction des fusées Ariane, est le seul pays européen à s'être doté, en coopération avec l'Espagne et l'Italie, d'un satellite d'observation optique. Elle en conduit seule le programme de nouvelle génération, Hélios II. Elle a engagé dans le domaine de l'observation spatiale une coopération active avec l'Allemagne et l'Italie. Elle renouvelle également son système de télécommunications par satellites à travers le programme Syracuse III ;

- les budgets de défense ne permettent plus le financement large de la recherche amont sans finalité militaire directe. Le PP30 permet de concentrer les dotations sur les actions de recherche amont correspondant à des priorités militaires identifiées.

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