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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 juin 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen du rapport d'information sur les actions civilo-militaires (M. Robert Gaïa, Rapporteur)

2

- Informations relatives à la Commission

7

La Commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Robert Gaïa sur les actions civilo-militaires.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord souligné le caractère approfondi, détaillé et vivant du travail accompli par le rapporteur.

M. Robert Gaïa a observé qu'avec la multiplication des conflits régionaux dans lesquels intervient la communauté internationale, les mandats de l'ONU ne se limitent plus à assurer le déploiement de forces d'interposition mais conjuguent désormais activités civiles et militaires : au-delà de la paix civile qu'il convient de faire respecter, il s'agit aussi de rétablir l'Etat de droit, de soutenir voire de former des administrations civiles, ou encore d'organiser des élections. Les opérations de paix, devenues pluridisciplinaires, nécessitent l'intervention de multiples acteurs, civils et militaires.

C'est dans ce contexte que le ministère de la Défense mène des actions civiles destinées à faciliter l'intégration des forces dans leur environnement. Ces actions, dites « civilo-militaires », complètent l'action militaire et diplomatique des Etats sur le théâtre d'opération et permettent d'éviter qu'une armée accueillie avec des fleurs par les populations qu'elle est venue protéger ne se transforme, au fil des mois et des années, en une armée d'occupation.

Mais les actions civilo-militaires ne constituent qu'un des outils de la gestion civile des crises, qui englobe également d'autres formes de l'action extérieure de la France, de sa diplomatie et de sa politique de coopération.

M. Robert Gaïa a ensuite présenté la directive du 11 juillet 1997 de l'État-major des Armées qui classe les actions civilo-militaires (ACM) en trois catégories : celles au profit des forces, celles au profit de l'environnement et celles à caractère humanitaire.

La première catégorie recouvre le champ des relations avec les autorités civiles : il s'agit notamment de déterminer et de négocier les implantations, de gérer les contentieux éventuels, de contrôler les sources d'approvisionnement. Ces actions participent au renforcement de la sécurité des unités en usant de solutions alternatives à l'emploi de la force et évitent ainsi de donner l'image d'une armée d'occupation.

La deuxième catégorie d'action civilo-militaire porte sur les domaines les plus variés de la reconstruction et concerne, par exemple, la restauration d'établissements scolaires ou hospitaliers. Ces actions ont principalement pour but de contribuer au rétablissement des fonctions vitales d'un pays sinistré en vue du désengagement progressif de la composante militaire et du transfert des responsabilités vers les autorités civiles.

Enfin, la troisième catégorie d'ACM revêt un caractère humanitaire. L'objectif de ces actions est essentiellement de contribuer à sécuriser l'environnement tout en laissant les Organisations non gouvernementales et les agences de l'ONU accomplir les tâches humanitaires dont elles sont les principales responsables.

M. Robert Gaïa a noté que toutes les armées occidentales menaient des actions similaires, dès lors qu'elles participaient à des actions de maintien ou de rétablissement de la paix à l'étranger.

Sur le plan concret, c'est évidemment en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo que ces actions prennent les formes les plus achevées. Mais les armées mènent également des ACM dans les pays d'Afrique où la France entretient des forces prépositionnées. Il s'agit alors de faire en sorte que les forces françaises, installées pour une longue durée en vertu d'accords bilatéraux, continuent d'être acceptées par les populations locales.

Les montants des crédits militaires consacrés aux ACM proprement dites en Afrique sont très faibles : 1,2 million de francs en 2000, 1,5 million en 2001, soit une moyenne de 200 000 à 300 000 francs par pays. Mais ces petites sommes peuvent être abondées, au cas par cas, par des crédits de l'Union européenne ou d'autres organismes internationaux ou par du mécénat. On reste néanmoins dans l'ordre du microprojet : réfection d'une école, restauration d'un dispensaire de brousse ou d'un château d'eau, par exemple.

Après avoir jugé plutôt satisfaisantes les actions civilo-militaires menées par les armées, M. Robert Gaïa a estimé que l'articulation entre ces actions et la politique extérieure globale de la France apparaissait déficiente.

Il a souligné qu'il manquait à la France des instruments opérationnels pour la gestion civile des crises et en particulier une agence comme la GTZ allemande, le DFID britannique ou l'USAID américaine. Cette situation crée des difficultés pour le financement des actions, chaque intervenant devant rechercher lui-même les ressources disponibles au lieu de s'adresser à un guichet unique. Le rapporteur a en particulier considéré que ce n'était pas le rôle des officiers projetés au Kosovo de s'investir dans de telles démarches.

Il a également fait valoir que l'absence d'agence opérationnelle d'intervention privait nos compatriotes expatriés d'un cadre d'emploi souple et protecteur et les laissait trop souvent dans des situations administratives extravagantes.

Il a également critiqué les lourdeurs de l'administration du ministère des Affaires étrangères, dont il a jugé qu'elle n'était pas suffisamment opérationnelle. Il a évoqué des exemples d'agents confrontés, au cours de leurs périlleuses missions au Kosovo, à des difficultés administratives qu'il a jugées inadmissibles.

Evoquant la réforme des services de la Coopération, intégrés en 1998 au sein du ministère des Affaires étrangères, il a considéré que la rencontre entre les cultures administratives des deux ensembles avait la capacité potentielle de faire du puissant appareil ainsi créé un formidable outil d'action, à condition que l'aspect opérationnel introduit au Quai d'Orsay resurgisse de manière à permettre un usage complet de la vaste panoplie d'outils, désormais disponible pour l'action extérieure de la France.

Le rapporteur a également mis l'accent sur le manque de coordination politique dont souffre à ses yeux l'action extérieure de la France, soulignant en particulier l'absence de toute stratégie d'insertion des agents français dans les organismes internationaux et faisant remarquer que les généraux français en poste dans les Balkans ne disposaient pas, à l'inverse de leurs homologues étrangers, de conseillers politiques, en dépit de la nature, elle-même éminemment politique, de leurs fonctions.

Il a par ailleurs regretté l'absence de continuité dans l'action française. Si les armées interviennent généralement en premier, dans l'urgence, le relais n'est pas pris suffisamment vite par les professionnels de l'humanitaire, de la reconstruction et de la coopération. Il a cité à ce propos l'exemple du contrôle de l'espace aérien de la Bosnie-Herzégovine confié depuis neuf ans à l'armée de l'Air française.

Dans le domaine des ressources humaines, il a considéré que la gestion civile des crises pâtissait d'une absence de stratégie globale de l'influence, évoquant les modalités du choix des fonctionnaires affectés à des postes internationaux, ainsi que la pénalisation subie par ces agents dans le déroulement de leur carrière.

Il a ensuite regretté l'absence d'une véritable animation du réseau des Français de l'étranger, qu'il a jugée préjudiciable au développement d'un sentiment de double fidélité. Il a également évoqué les déficiences du réseau d'alerte sur les crises, l'absence d'un lieu de croisement et d'analyse contradictoire des informations en provenance du terrain ainsi que le manque de lisibilité de l'action de la France, dû notamment à l'absence de comptabilisation spécifique et rigoureuse des moyens.

Abordant la question de l'influence économique, il a souligné que si la France intervenait sur des théâtres extérieurs, c'était évidemment avant tout au nom de valeurs démocratiques et humanistes, pour contribuer à faire cesser des combats et à ramener la paix civile. Toutefois, il a considéré qu'il n'y avait rien de choquant à vouloir, une fois la paix revenue, participer à la compétition économique dans des pays où sont intervenus et sont parfois morts nos soldats. L'intervention économique étant aussi un élément fondamental de la sortie de crise, inciter des entreprises à s'installer sur un marché contribue à la création des conditions permettant aux populations locales de se procurer les biens et les services nécessaires à une vie normale.

M. Robert Gaïa s'est alors interrogé sur le rôle dissuasif joué par la DREE et par certains diplomates à l'égard des investissements dans les pays en sortie de crise. La DREE semble considérer, par exemple, que le marché de la Bosnie-Herzégovine, trop petit, n'est pas susceptible d'intéresser les investisseurs, ce qui est démenti par les faits et par la présence de nombreuses entreprises étrangères.

M. Robert Gaïa a alors souligné à quel point les ACM subissaient le contrecoup des faiblesses de la gestion civile des crises.

Il a estimé que l'absence de coordination contraignait les officiers à prendre des initiatives risquées qui devraient être du ressort de la diplomatie. Les armées se trouvent seules à décider s'il faut mener des ACM sur l'ensemble du Kosovo pour y manifester la présence française ou concentrer les efforts là où la France déploie des troupes. De même les armées sont confrontées à Djibouti au choix entre une action civilo-militaire réservée au secteur Issa, comme semble le souhaiter le gouvernement local, ou étendue à des zones habitées par les Afars.

Le rapporteur a alors fait remarquer que l'absence de gestion des expatriés français au sein des organismes internationaux conduisait les armées à y insérer leurs officiers afin que certains postes considérés comme essentiels n'échappent pas à notre pays. Mais ces personnels font ensuite défaut aux armées dont le rôle n'est pas de pallier les insuffisances des administrations civiles.

L'absence d'un cadre d'emploi pour les personnels civils a pour conséquence de faire de la réserve le seul statut opérationnel pour les expatriés. Ce qui conduit les administrations civiles à se reposer sur les armées pour l'envoi du personnel nécessaire.

L'absence d'intelligence économique et d'implication des postes diplomatiques contraint par ailleurs les armées à aller aux limites de leur rôle. C'est ainsi qu'en 1996, la Chambre de commerce et d'industrie franco-bosnienne a dû être créée et financée par le ministère de la Défense, la DREE ne manifestant pas d'intérêt pour ce projet.

M. Robert Gaïa a alors présenté à la Commission dix mesures destinées à rendre les procédures de gestion civile des crises plus démocratiques et plus efficaces.

Il a proposé que les crédits affectés aux ACM soient inscrits sur une ligne budgétaire clairement définie et identifiée en loi de finances initiale et ne fassent plus, comme pour les opérations extérieures, l'objet d'une simple régularisation en loi de finances rectificative.

Il a demandé qu'une mission de pilotage interministérielle soit mise en place de manière à coordonner l'action des principaux ministères concernés par la gestion civile des crises, suggérant que le SGDN assure le secrétariat de cette structure.

Il a jugé nécessaire de situer au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau du directeur du cabinet du Premier ministre, la responsabilité de la gestion civile des crises.

Il a demandé que les interventions de gestion civile des crises soient confiées à une agence opérationnelle dotée d'un budget conséquent, sur le modèle du DFID britannique ou de la GTZ allemande, suggérant que l'Agence française pour le développement (AFD) assume ce rôle. Il a toutefois relevé que l'exercice de cette nouvelle mission nécessiterait une évolution des habitudes de travail de l'Agence et éventuellement de son statut.

Il a jugé indispensable de donner aux instruments de la coopération autant de flexibilité dans les pays en sortie de crise que dans les pays de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP), proposant d'abonder, le cas échéant, le fonds de solidarité prioritaire afin de ne pas pénaliser les pays qui bénéficient actuellement de ses interventions.

Il a préconisé la création d'un cadre d'emploi souple pour les expatriés, de manière à constituer une « réserve civile » de quelques dizaines de postes (magistrats, greffiers, policiers, médecins, directeurs d'hôpitaux, administrateurs territoriaux...) qui seraient affectés en surnombre auprès des ministères concernés en temps normal mais rapidement mobilisables en période de crise.

Il a demandé que l'expérience internationale améliore la carrière des agents concernés, se demandant s'il ne fallait pas envisager qu'une affectation dans un organisme international devienne un passage obligé pour l'accès à des postes de haute responsabilité.

Il a proposé d'animer le réseau des Français employés dans les organismes internationaux en les recensant, en publiant un annuaire, un bulletin de liaison ou en les réunissant une fois par an.

Afin de valoriser l'action de la France, il a recommandé la création d'une charte graphique ou d'un logo systématiquement exposé sur toutes les réalisations civiles ou militaires concourant à la gestion civile des crises.

Il a enfin suggéré la création d'une fondation d'entreprises capable de prendre le relais des acteurs publics de la gestion civile des crises. Faisant valoir que seules les plus grandes entreprises ont accès aux marchés des zones en sortie de crise, il a souligné que cette structure permettrait également aux PME d'y trouver leur place.

Reconnaissant les difficultés que ses propositions ne manqueront pas de soulever, M. Robert Gaïa a fait valoir que l'image et l'influence de la France dans le monde étaient en jeu dans l'amélioration de la gestion civile des crises.

Le Président Paul Quilès a tenu à rendre hommage au travail du rapporteur sur un sujet difficile, abordé pour la première fois par le Parlement. Après avoir estimé que le Parlement était l'institution la plus appropriée pour examiner cette question, il a souligné son actualité, rappelant que les actions que les forces auront à conduire dans l'avenir se dérouleront principalement dans des situations de projection et de sortie de crise.

Il a fait observer que le rapport avait le mérite de rappeler qu'il ne fallait être, en tout état de cause, ni naïf devant les réalités internationales, ni inefficace en raison de pratiques bureaucratiques conçues pour des périodes de normalité.

M. Robert Gaïa a souligné que le rôle civil dévolu aux armées devait à l'évidence être limité dans le temps et restreint à l'accomplissement de certaines actions d'urgence, les entreprises devant impérativement relayer leur intervention et assurer le passage à une vie économique normale.

M. René Galy-Dejean a salué la qualité des observations présentées suggérant que le rapport soit personnellement adressé au général Valentin qui prendra le commandement de la KFOR au mois de septembre prochain, il a estimé que ce dernier pourrait sans doute faire un usage utile de ses observations et recommandations.

Le Président Paul Quilès a considéré qu'il fallait, pour répondre aux questions soulevées par le rapport, mettre en _uvre des solutions aisément praticables et rompant avec des modes de fonctionnement largement inadaptés.

M. Michel Voisin, après s'être associé aux conclusions du rapporteur, a fait état de la difficulté à trouver des réservistes disposant des qualifications nécessaires pour les envoyer immédiatement dans une zone en crise.

M. Robert Gaïa a souligné que la difficulté la plus sérieuse concernait les missions d'une durée supérieure à quatre mois. Il a par ailleurs insisté sur les leçons tirées par l'État-major des Armées de l'expérience des forces en Bosnie-Herzégovine en indiquant que le concept d'ACM était désormais développé dans la totalité des enseignements militaires et que, de plus, une école spéciale allait être créée sur ce thème à Lyon.

M. Michel Voisin a également mis en doute l'adéquation des rémunérations offertes à des réservistes, le plus souvent très compétents, pour le temps de leur mise à disposition des armées.

La Commission a alors décidé à l'unanimité d'autoriser, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information de M. Robert Gaïa sur l'action civile des armées sur les théâtres extérieurs (action civilo-militaire).

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Informations relatives à la Commission

La Commission a ensuite procédé à la nomination des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2002 :

Ont été nommés :

- pour les crédits de la Défense :

· M. René Galy-Dejean (Dissuasion nucléaire)

· M. Bernard Grasset (Espace, communications et renseignement)

· M. Jean-Yves Le Drian (Marine)

· M. Yann Galut (Air)

· M. Georges Lemoine (Gendarmerie)

· M. Michel Meylan (Services communs)

· M. Jean Michel (Crédits d'équipement)

· M. Jean-Claude Sandrier (Forces terrestres)

· M. Aloyse Warhouver (Titre III et personnels de la défense)

- pour les crédits des Affaires étrangères :

· M. Bernard Cazeneuve

- pour les comptes spéciaux du Trésor :

· M. Loïc Bouvard

La Commission a également décidé que M. Yves Fromion serait associé aux travaux relatifs au fonctionnement et aux activités des unités de l'armée de Terre des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2002 pour les crédits des Forces terrestres et du Titre III.


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