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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 novembre 1999
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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Projet de loi de finances pour 2000 (n° 1805) :

- Comptes spéciaux du Trésor (M. Loïc Bouvard, rapporteur pour avis)

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La Commission de la Défense a examiné les articles 45, 46, 48 et 50 du projet de loi de finances pour 2000 relatifs aux comptes spéciaux du Trésor, sur le rapport de M. Loïc Bouvard, rapporteur pour avis.

M. Loïc Bouvard a considéré qu'un an seulement après le premier avis budgétaire de la Commission de la Défense sur les comptes spéciaux du Trésor relatifs à la Défense nationale, le contrôle parlementaire en la matière s'avérait plus que jamais pertinent puisque d'importantes réformes avaient concerné en 1999 les entreprises publiques et les services industriels de l'Etat du secteur de l'armement.

S'attachant à définir le champ de son rapport, le rapporteur pour avis a précisé que la notion de compte spécial du Trésor recouvrait aussi bien les quatre comptes de commerce du ministère de la Défense retraçant les opérations industrielles et commerciales des services de l'Etat que le compte d'affectation spéciale 902-24 qui concerne plus précisément les entreprises publiques de l'armement.

Il en a alors décrit les caractéristiques en rappelant tout d'abord leurs règles dérogatoires par rapport aux principes classiques du droit budgétaire.

Il a ensuite fait observer que ces différents comptes recouvraient des réalités diverses, ce qu'illustraient les équilibres prévus par le projet de loi de finances pour 2000.

Rappelant que les quatre comptes de commerce gérés par le ministère de la Défense ont pour objet de retracer « les opérations de caractère industriel ou commercial effectuées à titre accessoire par les services publics de l'Etat », aux termes de l'article 26 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, il a remarqué que les activités de la DCN ne correspondent pas à cette définition, ainsi que l'avait souligné la Cour des Comptes.

Il a alors présenté les grandes lignes de l'évolution des comptes de commerce gérés par le ministère de la Défense dans le projet de loi de finances pour 2000 par rapport à la loi de finances pour 1999 :

- la baisse, du fait de la professionnalisation des armées, de 22,4 % à 520 millions de francs pour 2000 des dotations du compte 904-01 « subsistances militaires », géré par le Commissariat de l'armée de Terre afin d'assurer entre autres les opérations d'achats de vivres et de matériaux nécessaires au chauffage et à l'éclairage ;

- la réduction, de 6,4 % des crédits (1,63 milliard de francs pour 2000) du compte 904-03 « exploitations industrielles des ateliers aéronautiques de l'Etat », géré au sein de la DGA par le service de la maintenance aéronautique, dont le volume des prestations à l'armée de l'Air et à l'Aéronavale est en recul ;

- la diminution de 2,4 % du montant des crédits du compte 904-05 « constructions navales de la marine militaire » qui retrace les opérations industrielles de la DCN et qui, avec un volume d'affaires prévu de 11,35 milliards de francs pour l'année 2000, demeure de loin le compte de commerce de la Défense aux enjeux industriels, sociaux et financiers les plus importants ;

- enfin, en raison des opérations extérieures, l'accroissement de 8,2 % des dotations (2,38 milliards de francs pour 2000) du compte 904-20 « approvisionnement des armées en produits pétroliers », qui est géré par le service des essences des armées.

M. Loïc Bouvard a ensuite abordé les opérations retracées par le compte 902-24 du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, qui gère les participations de l'Etat dans le secteur public. Il a souligné que ce compte retraçait notamment les dotations en capital des entreprises publiques de l'armement, telles que GIAT Industries, même si cette société nationale n'avait encore fait l'objet d'aucun versement au titre de 1999, ainsi que le produit des cessions de titres, parts ou droits de l'Etat actionnaire. Développant ce dernier aspect, il a précisé que la privatisation d'Aérospatiale en juin 1999, après sa fusion avec Matra-Hautes Technologies, s'était traduite par une recette nette pour l'Etat de 4,6 milliards de francs environ.

Le rapporteur pour avis a alors considéré qu'une question essentielle se posait : dans quelle mesure et sous quelles conditions la modernisation du secteur public de l'armement est-elle compatible avec sa gestion soit en compte de commerce, soit en société à capitaux d'Etat ?

Il a fait valoir que cette question lui paraissait d'autant plus importante que le Gouvernement y avait apporté des réponses contradictoires en optant pour la privatisation d'Aérospatiale dans le but de favoriser son rapprochement avec Matra-Hautes Technologies puis DASA alors que, dans le même temps, la DCN, confrontée à des enjeux stratégiques similaires, conservait un statut handicapant que son organisation en « service à compétence nationale » n'améliorait pas.

Estimant que, dans le premier cas, la réforme engagée avait répondu à un enjeu stratégique clé puisque la privatisation d'Aérospatiale avait permis de lui adjoindre les actifs de Matra-Hautes Technologies, il s'est félicité que le nouveau groupe ainsi créé se soit rapidement imposé comme un acteur majeur de l'aéronautique et de l'espace, ce qui lui avait permis d'engager des négociations avec DASA en vue d'une seconde étape, européenne cette fois. Estimant que l'annonce, le 14 octobre dernier, de la création de l'entité EADS, numéro trois mondial du secteur, était l'heureux aboutissement de ce processus, il s'est montré satisfait des conditions de la fusion d'Aérospatiale avec Matra-Hautes Technologies considérant qu'elles avaient créé des opportunités de fusion avec DASA et poussé Daimler Chrysler à concéder à l'Etat français une part substantielle du capital de EADS ainsi qu'un droit de veto sur les alliances structurelles, l'évolution du capital et les restructurations du nouveau groupe. Il en a déduit que les interrogations relatives à l'aspect patrimonial de ces opérations s'en trouvaient relativisées, tout en considérant que l'Etat avait dû accepter une solution financièrement avantageuse pour Lagardère SCA.

Il a ensuite regretté le contraste entre ce volontarisme méritoire du Gouvernement dans le domaine des restructurations de l'industrie aéronautique et le manque d'ambitions d'une réforme de la DCN ne desserrant que faiblement son carcan statutaire. Il a estimé qu'à l'heure où l'avenir de la construction navale militaire se décidait en Europe et dans la mesure où l'organisation de la DCN en « service à compétence nationale » ne lui permettrait vraisemblablement pas de participer pleinement au processus de restructuration européenne du secteur, il était nécessaire de réfléchir dès à présent aux statuts alternatifs à celui de service d'Etat géré en compte de commerce. Il a précisé que sa démarche s'appuyait sur deux interrogations :

- en quoi la réforme annoncée par le ministre de la Défense le 12 mai 1999 est-elle insuffisante ?

- comment faire évoluer le statut de la DCN ?

Abordant le choix gouvernemental d'organisation de la DCN en service à compétence nationale, il a indiqué que sa conséquence la plus évidente était de dissocier la DCN de la DGA. Constatant que le statut de service d'Etat géré en compte de commerce demeurerait sans qu'aucune des mesures de simplification administrative demandées dans le plan d'entreprise soumis au ministre de la Défense fin 1998 ne soit acquise, il a estimé que cette situation aurait des conséquences fâcheuses. Il a relevé en premier lieu que la DCN restait obligée d'appliquer à la lettre le code des marchés publics qui imposait un formalisme contraire à la bonne exécution des contrats à l'exportation, quand il n'en empêchait pas tout simplement la conclusion en rendant impossible toute compensation industrielle. Il a fait observer en deuxième lieu que la DCN ne disposait pas de la personnalité juridique lui permettant de nouer des alliances structurelles, ce qui la désavantageait considérablement comme l'illustrait la récente fusion de Kockums Naval Systems, avec qui elle avait pourtant créé un groupement d'intérêt économique en mai 1999, avec les chantiers HDW, dans le secteur de la construction de sous-marins. Il a estimé que ce constat de marginalisation était d'autant plus préoccupant que, si le statu quo actuel était maintenu, la privatisation de Bazan en 2001 s'effectuerait probablement, elle aussi, au détriment de la DCN.

Le rapporteur pour avis en a déduit que la question n'est pas de savoir s'il fallait changer le statut de la DCN, mais jusqu'où le réformer. Il a alors présenté les deux options possibles : d'une part, le statut d'établissement public industriel et commercial qui autoriserait notamment la filialisation des activités, l'affranchissement des règles du code des marchés publics et le recours à l'emprunt, et, d'autre part, la société nationale qui, en plus des avantages de l'établissement public industriel et commercial, doterait la DCN d'un capital social. Devant l'urgence de la situation, la seconde hypothèse lui a semblé préférable sur les plans industriel et commercial.

Il a ajouté qu'elle n'était pas irréaliste car, à la charnière des années 2000-2001, moment auquel une réforme législative de ce type pourrait être mise en _uvre, la modernisation du fonctionnement interne de la DCN par le plan « gestion DCN 2000 » et par la charte de gestion tout juste signée aura porté ses fruits. Conjuguée à une reprise d'activité (NTCD, carénages de sous-marins nucléaires, frégates Horizon) et à une résorption des sureffectifs, cette modernisation devrait créer les conditions favorables au succès d'une réforme statutaire. Il a également souligné que les personnels de la DCN s'attendaient à des réformes et craignaient davantage les demi-mesures que les remises en question. Il a alors estimé que, dans l'hypothèse où la DCN deviendrait une société nationale, le législateur pourrait préserver une partie des statuts en vigueur tout en veillant à maintenir une certaine cohérence dans la gestion des ressources humaines. L'Etat devrait sans doute garantir un minimum de plan de charge pour assurer la transition et faire ainsi en sorte que la DCN n'éprouve pas les mêmes difficultés que GIAT Industries lors de sa transformation en société nationale.

Concluant son intervention, il a indiqué qu'il était conduit à porter un jugement nuancé aussi bien sur la pertinence que sur le mode de fonctionnement des comptes spéciaux du Trésor. S'agissant du compte d'affectation spéciale 902-24, il a exprimé son adhésion à la dimension stratégique de la privatisation d'Aérospatiale. Par contre, il a tenu à renouveler son souhait de voir la société nationale GIAT Industries plus autonome et, pourquoi pas, liée à un partenaire européen susceptible d'en préserver la compétence tels que Mowag ou Vickers Defense Systems. S'agissant des services gérés en quatre comptes de commerce, il a constaté que ce régime juridique restait adapté pour trois d'entre eux mais non pour la DCN dont l'actuelle réforme était insuffisante pour en assurer l'essor et l'avenir. Se prononçant en faveur de sa transformation en société nationale, il a souhaité que le Gouvernement envisage sérieusement cette option.

Il a alors invité la Commission de la Défense à donner un avis défavorable à l'adoption des articles du projet de loi de finances relatifs aux comptes spéciaux du Trésor.

Le Président Paul Quilès a fait observer que le débat sur le statut de la DCN avait été entamé à l'occasion de l'examen, sur le rapport de M. Jean-Yves Le Drian, des crédits de la Marine pour 2000 mais que ce dernier avait proposé à la Commission d'émettre un avis favorable à leur adoption, tout en souhaitant une réforme profonde des constructions navales militaires.

Saluant la clarté de l'exposé du rapporteur pour avis, M. Jean-Louis Bernard a estimé que les arguments très pertinents avancés par M. Loïc Bouvard montraient les insuffisances du statut actuel de la DCN. Il a jugé que la modification statutaire qu'il proposait était raisonnable et rationnelle, et qu'elle devait pouvoir être opérée en accord avec les personnels, dans la mesure où elle permettrait, par l'instauration d'un système plus souple, de rendre la DCN plus performante, chaque année qui passe donnant le sentiment croissant que son devenir débouchait sur une impasse.

M. Jean Briane s'est déclaré surpris de la diminution importante des ressources affectées au compte des subsistances militaires.

M. Guy-Michel Chauveau s'est interrogé sur l'évolution des effectifs de personnels civils de la DCN, rappelant que la loi de programmation militaire prévoyait le transfert d'une partie d'entre eux vers les armées mais qu'à l'heure actuelle celles-ci, qui ne bénéficiaient pas de la totalité des affectations prévues, souffraient d'un déficit de postes civils. Il a jugé que les difficultés liées aux problèmes de mobilité ne suffisaient pas à expliquer l'importance de ce déficit.

S'agissant de la réforme de la DCN, il a considéré que l'action du Gouvernement s'inscrivait dans une dynamique qu'il a qualifiée de souple, tout en admettant que les arguments développés par les uns et par les autres sur la réforme de ce service étaient solides. Il a rappelé qu'au-delà des divergences d'appréciation, chacun souhaitait la réorganisation de la DCN et une implication croissante d'autres partenaires industriels dans son développement. Faut-il attendre que ce secteur retrouve son équilibre pour mener à bien des unions et des alliances avec d'autres entreprises ? Telle n'est sans doute pas la voie à suivre, comme le montre l'exemple de l'industrie aéronautique et spatiale dont les restructurations ont été menées à bien sans qu'aient été au préalable redéfinis les points d'équilibre du secteur concernant notamment la présence de l'Etat. Pour l'heure, M. Guy-Michel Chauveau a insisté sur la nécessité de mener effectivement à bien les réformes engagées.

Le rapporteur pour avis a apporté les précisions suivantes :

- la raison principale de la diminution des ressources affectées au compte des subsistances militaires réside dans la professionnalisation des armées, la réduction des effectifs entraînant une baisse de la consommation en produits courants ;

- son plaidoyer en faveur d'une transformation plus rapide et plus profonde du statut de la DCN n'est nullement lié à un attachement dogmatique aux privatisations, qui sont d'ailleurs faites dès lors que l'intérêt national est en jeu. Seul le risque de voir la DCN, qui est un outil technique remarquable, marginalisée en Europe, conduit le rapporteur à faire ces propositions. Il s'agit là d'un risque grave, comme l'indiquent les pertes très sensibles réalisées sur les marchés passés avec des pays étrangers, qui s'élèvent à 2,5 milliards de francs au total pour les contrats conclus avec le Pakistan, sur le sous-marin Agusta, avec le Chili, sur le sous-marin Scorpène, et avec l'Arabie saoudite pour la modernisation de ses frégates. Alors que la France a réussi à jouer un rôle majeur dans le domaine de l'aéronautique et de l'espace, il ne faudrait pas que la DCN, enserrée dans son statut, soit la spectatrice d'une recomposition dans laquelle elle n'aurait pas de place significative. La réforme très prudente menée par le Gouvernement ne va pas assez loin au regard de cet enjeu. Or, il importe d'agir rapidement, en raison notamment des délais de mise en _uvre d'un changement de statut ;

- il n'est pas question d'envisager une réforme de la DCN sans prise en compte de la situation des personnels. Cette question fait d'ailleurs partie des cinq conditions préalables à toute réforme de la DCN énumérées par le rapport Conze ;

- la DCN est passée d'un effectif de 22 609 personnes en 1994 à 16 303 en 1999 et devrait compter en 2002 13 000 à 14 000 personnes. Cette résorption prend en compte la baisse du plan de charges ;

- les réformes engagées, à savoir le plan de gestion DCN 2000 et le plan d'entreprise, devront être effectivement menées à bien. Certains effets bénéfiques de ces réformes, telle que l'action conduite sur les recommandations du cabinet Arthur Andersen Consulting, se font déjà sentir. Toutefois, ce n'est pas parce que les réformes engagées ne sont pas achevées qu'il n'est pas possible de les infléchir. Il ne s'agit pas d'attaquer la DCN, ni de revenir sur des erreurs de gestion qui appartiennent au passé. Actuellement, la direction de la DCN mène d'ailleurs un travail considérable pour redresser la situation du service. Cependant, si l'on veut que la DCN augmente ses parts de marché à l'exportation et noue de véritables alliances industrielles, les regroupements et les débuts des réformes qui s'opèrent seront insuffisants pour lui permettre de constituer l'un des pôles autour desquels l'activité européenne en matière de construction navale militaire pourra s'organiser.

La Commission de la Défense a alors donné un avis favorable à l'adoption des articles 45, 46, 48 et 50 du projet de loi de finances pour 2000 relatifs aux comptes spéciaux du Trésor, les membres du groupe UDF votant contre.

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Erratum : Dans le compte rendu n° 15, à la fin du deuxième paragraphe relatif au vote de l'avis de la Commission sur les crédits militaires, au lieu de (les membres) « du groupe communiste s'abstenant », lire (les membres) « du groupe communiste réservant leur vote pour la séance publique ».


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