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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 novembre 1999
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur le projet de loi de finances rectificative pour 1999 (n° 1952)

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La Commission de la Défense a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur le projet de loi de finances rectificative pour 1999 (n° 1952)

Accueillant le Ministre de la Défense, le Président Paul Quilès a rappelé que les ouvertures de crédits demandées au titre du budget de la Défense, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, s'élèveraient, compte tenu du décret d'avance du 2 septembre dernier, à 4,8 milliards de francs et qu'elles étaient, pour une large part, destinées au financement des surcoûts induits par les opérations extérieures. Il a par ailleurs souligné que les annulations de crédits de paiement sur les dépenses en capital s'établissaient au total à 9,35 milliards de francs pour le budget de la Défense, soit 11 % des dotations ouvertes en loi de finances initiale mais s'est félicité que les autorisations de programme ne supportent, pour leur part, aucune annulation. Après avoir observé que les annulations de crédits de paiement portaient sur des disponibilités élevées dues à un taux de consommation relativement faible, il a souhaité que le Ministre de la Défense précise les modifications profondes qui étaient ainsi apportées à la structure de la loi de finances initiale.

Abordant les aspects strictement budgétaires du projet de loi de finances rectificative, le Ministre de la Défense a indiqué que 798 millions de francs seraient ouverts sur différents chapitres de fonctionnement, précisant qu'il convenait de leur ajouter 132 millions de francs faisant l'objet du décret de virement du 29 novembre, le total de 930 millions de francs permettant de réduire significativement les reports de charges. Compte tenu de l'ouverture, au titre du décret d'avance du 2 septembre 1999, de 4,05 milliards de francs dont 600 millions de francs pour le fonctionnement courant et l'alimentation des forces, les dotations initiales des armées et de la gendarmerie du titre III auront donc été abondées de 5,755 milliards de francs au cours de la présente année, dont 2,96 milliards de francs pour le financement des opérations extérieures.

A cet égard, M. Alain Richard a souligné l'efficacité des mesures prises pour réduire l'impact financier des opérations extérieures, qui s'élève, hors Kosovo, à 1,7 milliard de francs pour 1999, contre 5,1 milliards de francs en 1996, 3,45 milliards de francs en 1997 et 2,1 milliards de francs en 1998. De même, l'effort d'assainissement sur le titre III se poursuit puisque les reports de charges, déjà notablement réduits en 1998 s'agissant des rémunérations et charges sociales, devraient s'établir, sur le fonctionnement, à environ 200 millions de francs, contre plus d'un milliard de francs à la fin de l'année 1997. Le Ministre de la Défense a toutefois précisé que ce chiffre de 200 millions de francs ne prenait pas en compte la dette du ministère de la Défense vis-à-vis de la SNCF. Il a indiqué que cette question faisait l'objet d'une enquête conjointe des services des ministères de la Défense, de l'Economie et des Finances et des Transports, visant à évaluer précisément l'impact de la professionnalisation et des évolutions propres à la SNCF sur les crédits militaires.

M. Alain Richard a observé que le montant des annulations de crédits militaires prévues par le projet de loi de finances rectificative, qui s'élèvent à 5,3 milliards de francs en crédits de paiement, correspondaient approximativement à la part des dotations de la défense dans le budget de l'Etat. Il a fait observer que les annulations de crédits de paiement sur le budget de la Défense, d'un montant global de 9,3 milliards de francs pour l'ensemble de l'exercice 1999, représentaient 10 % du total des crédits disponibles (92,8 milliards de francs soit 86 milliards de francs ouverts en loi de finances initiale, 5,3 milliards de francs de reports de crédits et environ 1,3 milliard de francs de fonds de concours) et ne remettaient pas en cause le retour à une meilleure consommation des dotations du ministère.

Il a insisté sur le fait qu'aucune des décisions intervenues pendant l'année n'avait eu de conséquences négatives sur la gestion en cours. En premier lieu, comme en 1998, aucune régulation ni mesure de gel de crédits n'est intervenue, au contraire de ce qui se passait les années précédentes. En deuxième lieu, les autorisations de consommation des reports de crédits issus de la gestion de 1998 sont intervenues vers la fin du premier semestre. A cet égard, le Ministre de la Défense a indiqué qu'il avait reçu l'assurance que les reports de la gestion de 1999 seraient disponibles au cours du premier trimestre de l'année 2000. En troisième lieu, pour la deuxième fois seulement depuis 1990, aucune autorisation de programme n'a été annulée, ce qui permet notamment un bon déroulement de la passation des commandes pluriannuelles.

S'agissant du taux de consommation des crédits, le Ministre de la Défense a tout d'abord souligné que la réforme du processus d'acquisition des matériels, qui, par nature, est déjà extrêmement complexe a conduit à un allongement de la durée de négociation des contrats. Sa mise en place en 1996 s'est en particulier traduite par un très faible niveau d'engagement des crédits. Or, il convient de tenir compte du fait que les échéanciers des autorisations de programme étant particulièrement longs au ministère de la Défense du fait de la complexité technique et de la diversité des matériels acquis, tout ralentissement des engagements se ressent trois ou quatre ans après sur les paiements. Le niveau des paiements réalisés par le ministère de la Défense en 1999 traduit donc la chute des engagements de 1995 et 1996. En outre, la transparence et la modernisation des outils comptables et budgétaires du ministère de la Défense, souhaitées depuis longtemps par le Parlement et la Cour des Comptes, ont un prix puisqu'elles se traduisent par la mise en place de nouveaux outils de gestion qui peut entraîner un ralentissement temporaire du fonctionnement des services de paiement. Enfin, il faut prendre en compte l'impact des restructurations géographiques liées à la professionnalisation, les mutations des agents conduisant à une diminution de l'efficacité collective de l'effort fourni, en dépit d'un travail individuel toujours élevé.

M. Alain Richard s'est félicité que les réformes mises en _uvre au sein de son ministère depuis deux ans conduisent actuellement à une forte augmentation des engagements, qui, après avoir atteint 70 milliards de francs en 1996 et près de 90 milliards de francs en 1997 et en 1998, devraient s'élever en 1999 à plus de 90 milliards de francs. Il a estimé que l'amélioration du rythme des paiements du ministère de la Défense permettrait de construire la prochaine loi de programmation militaire dans de bonnes conditions.

Le Ministre de la Défense a ensuite présenté un panorama des opérations extérieures conduites par la France en 1999, en exprimant le v_u que ce sujet important puisse faire l'objet d'un débat spécifique au cours de l'examen en séance publique du projet de loi de finances rectificative.

Trois opérations extérieures majeures ont été menées par la France en 1999.

Il s'agit d'abord des deux opérations conduites sur le territoire de l'ex-Yougoslavie sous commandement OTAN. D'une part, 3 979 soldats français participent aujourd'hui à la SFOR, qui fait intervenir au total 30 000 hommes mais qui devrait voir son effectif baisser au cours du premier trimestre de l'année 2000, le contingent français connaissant la même évolution pour atteindre environ 2 600 hommes à cette échéance. D'autre part, 4 850 soldats français sont engagés dans la KFOR, soit environ 4 000 au Kosovo et 850 en Macédoine. Le coût de cette dernière opération devrait s'élever en 1999 à 2,9 milliards de francs, répartis de manière équivalente entre les titres III et V. Sur ce point, le Ministre de la Défense a indiqué que ce chiffre était inférieur aux estimations de 3 ou 3,5 milliards de francs qui avaient été faites au mois de juin dernier, du fait notamment d'une diminution du contingent français.

Par ailleurs, l'opération Santal menée au Timor a nécessité l'envoi d'un groupe de transport aérien composé de trois aéronefs, d'une antenne chirurgicale avancée, d'une frégate et d'un transport de chaland de débarquement (TCD), soit un contingent de 560 hommes. Le coût de cette opération est estimé pour 1999 à 71 millions de francs. M. Alain Richard a précisé que ce dispositif serait, après décision du Président de la République et du Premier Ministre, partiellement démonté : il est ainsi prévu que le TCD quitte le théâtre d'opérations ainsi qu'un des aéronefs du groupe de transport. Un dispensaire devrait en outre remplacer l'antenne chirurgicale. Enfin, un bâtiment de transport léger devrait intervenir pour assurer les rapatriements des réfugiés timorais. M. Alain Richard a également mentionné le maintien en activité des personnels chargés du contrôle de la zone frontalière entre l'Arabie saoudite et l'Irak dans le cadre de l'opération Alysse.

Faisant le point sur l'engagement français dans les opérations extérieures sous commandement des Nations Unies, le Ministre de la Défense a précisé que 256 hommes étaient toujours mobilisés au Liban dans le cadre de la FINUL et que 108 gendarmes apportaient un soutien technique à la reconstitution de la police de Bosnie-Herzégovine. Il a enfin indiqué l'engagement sous commandement national d'un détachement de la base prépositionnée à Djibouti afin de surveiller les approches de ce pays.

Il a précisé que plusieurs opérations extérieures, relativement mineures, mobilisaient toujours plus de 100 hommes, telles l'opération Corymbe, pour laquelle 200 hommes patrouillent en mer dans le golfe de Guinée, ou l'emploi d'un escadron complet de 130 gendarmes pour la garde de l'ambassade de France à Alger. Quelques unités sont également utilisées afin de protéger les ambassades et installations françaises à l'étranger, notamment à Brazzaville.

M. Alain Richard a conclu, qu'à l'exception des interventions françaises dans les Balkans et au Timor oriental, les opérations extérieures menées par la France n'avaient pas beaucoup évolué. Néanmoins la recrudescence des tensions dans l'espace est-africain, du fait du conflit entre l'Ethiopie et l'Erythrée, impliquait une vigilance plus particulière des éléments français déployés à Djibouti.

Il a ajouté que la diminution des surcoûts liés aux rémunérations et charges sociales des personnels engagés en opérations extérieures résultait d'économies significatives, un capitaine marié avec deux enfants ayant vu sa rémunération diminuer de 27 % au Liban, de 13 % en Centrafrique et de 14 % dans les Balkans. Reconnaissant la pertinence des remarques du rapporteur spécial de la Commission des Finances à propos des disparités de rémunération entre les personnels des différentes armées engagés sur un théâtre extérieur, il a indiqué qu'une réflexion était engagée afin de remédier à ce problème.

Jugeant que les annulations de crédits d'équipement n'avaient pas de répercussions négatives sur les capacités des armées et la conduite des principaux programmes d'armement, M. François Lamy s'est demandé si les prévisions de la loi de programmation concernant les dépenses en capital n'avaient pas été initialement surestimées. Il a également souhaité savoir s'il était possible pour les armées françaises de mener actuellement une seconde opération de l'envergure de celle du Kosovo sans remettre en cause le bon accomplissement de leurs missions. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'utilité politique et militaire du maintien de la participation française à la FINUL. Il a enfin demandé des précisions sur la nature de l'engagement français dans la zone frontalière de Djibouti.

Prenant l'exemple de la pratique britannique de relèves incluant les équipements des forces, M. Guy-Michel Chauveau s'est demandé si l'usage français de maintenir sur place les matériels des unités en opérations extérieures était au total plus efficace et plus économique. Il s'est également interrogé sur le niveau des forces françaises présentes à Djibouti.

M. Alain Richard a précisé que l'effectif de 466 hommes en opération extérieure dans ce pays n'incluait pas celui des bases prépositionnés.

M. Jean-Claude Sandrier a souhaité obtenir des précisions sur les lignes budgétaires du titre V affectées par les annulations de crédits associées au décret d'avance de septembre et au projet de loi de finances rectificative.

Le Président Paul Quilès a demandé plus de précisions sur le surcoût induit au titre III par la participation française à l'ensemble des opérations en ex-Yougoslavie. Il s'est également interrogé sur les motifs du maintien inhabituel des autorisations de programme au niveau fixé en loi de finances initiale.

M. Alain Richard a apporté les éléments de réponse suivants :

- la réserve d'autorisations de programme dont dispose le ministère de la Défense a diminué en trois ans de 50 %, ce qui la porte à un niveau de 70 milliards de francs environ. Cette avance de crédits est désormais incompressible si l'on veut conserver suffisamment de souplesse dans la gestion financière des dotations du ministère et faire face en même temps aux besoins nés de l'accélération des commandes pluriannuelles, dont les montants sur les deux dernières années se sont élevés à 45 milliards de francs ;

- les programmes majeurs sont moins affectés par les annulations de crédits, car les dépenses sont optimisées pour chacun d'entre eux. Ainsi, sur les 25 programmes qui disposent de lignes propres dans la loi de finances, les taux de réalisation budgétaire sont les plus élevés. Mais il n'en va pas de même pour les programmes de cohérence opérationnelle portant notamment sur les rechanges ou équipements mineurs. La consommation des crédits est dans ce cas plus faible ;

- les annulations de crédits affectent plus particulièrement les lignes où les retards de consommation sont les plus sensibles. Ces opérations restant nécessaires, des reports de crédits en leur faveur sont indispensables ;

- les opérations en Bosnie-Herzégovine et en Croatie ont peu d'incidences financières sur le titre V de la défense. En revanche, les conséquences financières de la KFOR peuvent être estimées à 1,4 milliard de francs sur le titre III et 1,46 milliard de francs sur le titre V ;

- une seconde opération extérieure faisant intervenir autant de personnels militaires qu'au Kosovo ne serait possible qu'à plusieurs conditions. Il faudrait tout d'abord qu'elle ait lieu dans un cadre interarmées pour éviter que l'armée de Terre en supporte seule le poids. Sa durée devrait être limitée à un an avec des relèves de personnels opérationnels tous les quatre mois. Elle nécessiterait également d'alléger les dispositifs dans les DOM-TOM et dans les forces prépositionnées. La montée en puissance de la professionnalisation permettra de disposer dès 2001-2002 d'un volume de forces suffisant pour mener simultanément deux opérations de l'ampleur de celle du Kosovo sans incidence sur les dispositifs déjà en place ;

- la France reste fidèle à ses engagements à l'égard de l'ONU même si certaines opérations comme la FINUL peuvent faire l'objet d'interrogations quant à leur utilité actuelle. La bonne question porte en fait sur le mandat de l'ONU au Liban et sur l'évolution de la situation politique dans la région. C'est pourquoi, il n'est pas impossible qu'une autre mission sur la base d'un nouvel accord soit mise en place prochainement si les négociations qui s'annoncent aboutissent ;

- l'accord de défense entre la France et la République de Djibouti présente la particularité d'interdire aux forces françaises d'utiliser leur base pour se projeter sur un autre théâtre. Leur principale mission consiste donc à protéger les installations portuaires et la ville de Djibouti d'une éventuelle agression d'un Etat étranger. Les forces françaises ne prennent aucune part aux actions menées contre certains mouvements de dissidence dans le pays. Le niveau des forces qui y sont stationnées sera réduit à environ 3 000 personnes à la fin de l'année, y compris l'effectif de 466 hommes dont le surcoût a été évoqué ;

- en dehors de Djibouti, les effectifs prépositionnés s'élèvent à 1 150 au Sénégal, 580 au Gabon et 570 en Côte d'Ivoire. 975 militaires sont stationnés au Tchad. L'objectif est de ramener le niveau total des forces prépositionnées d'environ 6 300 actuellement à environ 5 600 dans quelques mois.

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