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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 30

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 mars 2000

(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense sur la situation au Kosovo et la construction de l'Europe de la défense

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Information relative à la Commission

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La Commission a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la situation au Kosovo et la construction de l'Europe de la défense.

Evoquant d'abord ce qu'il a appelé la naissance de l'Europe de la défense, le Président Paul Quilès a rappelé que se mettaient en place sous une forme intérimaire les nouvelles structures politico-militaires de l'Union européenne : le Comité politique et de sécurité, le Comité militaire, composé des représentants des chefs d'état-major nationaux, et le noyau du futur état-major militaire placé auprès du Haut représentant pour la PESC.

Il a exprimé le v_u que la phase intérimaire qui s'ouvrait ainsi conduise, à une échéance aussi rapprochée que possible, à la mise sur pied d'une capacité militaire autonome de l'Union.

Abordant ensuite la question, qu'il a jugée plus préoccupante, de la situation politique et militaire au Kosovo, le Président Paul Quilès a souligné l'intérêt que la Commission portait aux informations que le Ministre de la Défense pourrait lui donner sur les conditions exigeantes dans lesquelles les forces françaises exercent, avec courage, leur mission au sein de la KFOR, sur leurs relations avec les autres forces nationales, tout particulièrement celles des grands pays contributeurs, et sur leur coopération avec la MINUK pour l'application de la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Présentant l'état d'avancement du projet européen de construction d'une capacité de défense au sein de l'Union européenne, M. Alain Richard s'est félicité de la mise en _uvre rapide des décisions prises lors du sommet européen d'Helsinki, relatives à la mise en place d'instances intérimaires spécifiques et, à l'horizon 2003, de capacités militaires autonomes de l'Union.

S'agissant des instances intérimaires, il a indiqué que le Comité politique et de sécurité intérimaire, au sein duquel les Etats membres de l'Union européenne sont représentés par des diplomates de haut niveau ayant rang d'ambassadeurs, s'était déjà réuni. Il a précisé ensuite que l'ensemble des représentants permanents au sein du Comité militaire avaient été nommés, neuf des quinze Etats membres ayant attribué ce poste à leur représentant au Comité militaire de l'OTAN, la Belgique et la France ayant, pour leur part, fait le choix de dissocier les deux fonctions. Des officiers ont enfin été désignés par les Etats membres, en qualité d'experts militaires, pour préparer la constitution du futur état-major européen, qui devrait compter de 60 à 90 officiers, soit quatre à cinq fois moins que la structure équivalente de l'Alliance atlantique.

Le Ministre de la Défense a précisé que les modalités de fonctionnement et le rôle respectif de ces instances seraient examinés au sein du Conseil affaires générales qui réunira à Bruxelles le 20 mars prochain les Ministres des Affaires étrangères et de la Défense, après la rencontre informelle des Ministres de la Défense des pays membres de l'Union européenne, qui s'est tenue à Sintra il y a deux semaines.

S'agissant des capacités militaires autonomes dont l'Union européenne avait décidé de se doter, le Ministre de la Défense a rappelé que l'objectif était de disposer, à l'horizon 2003, d'un corps d'armée terrestre de 50 à 60 000 hommes déployable en soixante jours et capable d'être maintenu sur le théâtre d'opérations pendant un an, ce qui impliquait de constituer un réservoir de forces projetables de 150 à 180 000 hommes. Il a ajouté que cette force terrestre serait complétée par un soutien aérien et naval correspondant et par des capacités spécifiques en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique.

Il a souligné qu'il était d'abord nécessaire de préciser les conditions de création des capacités ainsi définies, notamment leur profil type ainsi que les contributions nationales qui permettront de les constituer, ajoutant qu'une conférence de génération de forces pourrait préciser ces éléments au mois de novembre. Il a noté qu'au fur et à mesure de l'avancement du processus, un débat sur la disparité des forces disponibles dans les Etats membres et sur le niveau des efforts budgétaires nationaux en matière de défense devra nécessairement s'engager.

Il a ensuite fait état des questions qui restaient en suspens, notamment le délai de constitution des instances politico-militaires permanentes, l'avenir de l'UEO et l'éventualité d'une révision du traité d'Amsterdam.

Il a souligné que, si une révision des traités supposait un allongement très sensible des délais de création des outils d'action militaire autonome de l'Union européenne, une décision politique sur la base du traité d'Amsterdam pouvait permettre d'atteindre cet objectif dès le Conseil européen de Nice de décembre prochain.

S'agissant de l'UEO, il serait logique qu'elle transfère à l'Union européenne le centre satellitaire de Torrejòn et l'Institut d'études de sécurité. Il ne serait en revanche pas opportun de supprimer le Conseil de l'UEO, qui, dans sa configuration à 28, répond à un véritable besoin de concertation avec les pays membres de l'Alliance atlantique ne faisant pas partie de l'Union européenne et les pays associés partenaires d'Europe centrale et orientale. De même, l'acquis que représente l'Assemblée parlementaire de l'UEO comme forum de discussion entre les représentants des parlements de ces 28 Etats doit être conservé.

Les questions d'ordre juridique devraient être tranchées lors du Conseil européen de Feira, au terme de la présidence portugaise.

L'appartenance de certains pays européens à l'OTAN mais pas à l'Union européenne pose également la question de l'institution de procédures de concertation entre ces deux organisations. Certains alliés souhaitent établir une passerelle quasi permanente entre les instances européennes et leurs homologues de l'OTAN. Il conviendra, le moment venu, d'établir un système de concertation préalable avec les pays européens de l'OTAN non-membres de l'Union européenne en cas de crise sans confusion des compétences des deux organisations.

Le Président Paul Quilès a demandé au Ministre quelles raisons avaient conduit l'Union européenne à choisir un format de 50 à 60 000 hommes pour le corps européen de réaction rapide. Il l'a également interrogé sur la répartition prévue des tâches entre le Conseil Affaires générales, le Comité de politique et de sécurité (COPS), le Comité militaire et l'Etat-major et a demandé des précisions sur les relations envisagées entre l'OTAN et les instances politico-militaires de l'Union européenne. Il s'est en particulier inquiété de l'éventualité d'une participation du secrétaire général de l'OTAN au Conseil Affaires générales lorsque celui-ci traitera de questions relevant de la politique commune de sécurité et de défense ou d'une présence du SACEUR ou de son adjoint au comité militaire de l'Union. Il a enfin demandé au Ministre si l'OTAN interviendrait dans le processus de constitution des capacités militaires de l'Union.

M. Loïc Bouvard a interrogé le Ministre sur la méfiance que les Etats-Unis, appuyés par certains alliés européens, pouvaient éprouver à l'égard de la constitution d'une capacité militaire proprement européenne. Il a demandé dans quelle mesure le principe de « forces séparables mais non séparées » était toujours pertinent et a remarqué que la baisse généralisée des budgets de défense dans les pays de l'Union européenne risquait de retirer beaucoup de sa substance au projet de création d'outils militaires européens autonomes. Il a souligné à ce propos le très faible niveau de l'effort militaire de certains pays de l'Union en pourcentage de leur PIB.

Tout en se félicitant du projet de mise en place de forces projetables autonomes dans le cadre de l'Union européenne, M. Robert Gaïa a demandé si l'Union envisageait de se doter de moyens de transmission et de renseignement également autonomes.

M. Georges Lemoine, faisant référence à la clause du traité de Bruxelles modifié prévoyant qu'il resterait en vigueur 50 ans après le dépôt du dernier instrument de ratification, a demandé si la validité de ce traité devait être positivement confirmée et à quelle échéance. Il a également interrogé le Ministre sur les réactions des pays membres associés et associés partenaires de l'UEO devant la perspective de transfert des compétences de cette organisation à l'Union européenne.

M. Bernard Grasset a demandé quelle pourrait être la place de la composante nucléaire française au sein de la défense européenne commune.

M. Jean Briane a souhaité savoir quel pourrait être l'avenir de l'Assemblée parlementaire de l'UEO.

Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :

- le choix d'une force d'intervention rapide du volume d'un corps d'armée correspond aux situations de crise que les pays européens ont décidé d'être en mesure de gérer de manière autonome dans le cadre de la déclaration de Petersberg : ces crises peuvent aller d'une intervention humanitaire, éventuellement sécurisée, jusqu'à une opération de rétablissement de la paix comparable au conflit du Kosovo.

Cet objectif de forces a été défini sur la base de missions illustratives de l'UEO, ratifiées par l'OTAN, pour la mise au point du concept de GFIM. Il n'est pas apparu nécessaire de remettre en cause ce travail de planification déjà accompli. La question de sa pertinence pourra cependant être posée après 2003 lorsque l'inventaire des moyens pouvant être affectés à la future force de réaction rapide aura été achevé ;

- certaines capacités de commandement ou d'acquisition et de gestion du renseignement feront certainement l'objet d'un constat d'insuffisance. La question de l'effort quantitatif et surtout qualitatif européen se posera alors. Dans le domaine du transport aérien stratégique, un commandement européen unifié a été proposé par la France et l'Allemagne. La France et les Pays-Bas ont également fait des propositions dans le domaine du transport stratégique maritime ;

- le Comité de politique et de sécurité aura pour mission dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense qui est un des volets de la PESC d'analyser les situations de crise et de définir des projets d'action englobant éventuellement des moyens militaires. Fonctionnant sur le mode du consensus tempéré par une forme d'abstention constructive, il aura un rôle équivalent à celui du Conseil atlantique de l'OTAN siégeant au niveau des ambassadeurs. Mais les décisions majeures seront prises par le Conseil Affaires générales, voire par le Conseil européen, ce qui n'empêchera pas le COPS de gérer au jour le jour les crises, selon une formule à définir. Le Comité militaire aura, pour sa part, pour vocation de fournir une expertise militaire sur les questions présentées au COPS, du point de vue notamment de la faisabilité des actions envisagées et de l'urgence. L'OTAN ne devra pas intervenir dans la constitution des capacités européennes autonomes, qui s'opérera par mise à disposition des moyens nationaux. Néanmoins, dans le but de garantir la crédibilité de ces forces, les critères de l'OTAN devraient être utilisés pour valider leur niveau de préparation. C'est dans cet esprit que la France participe à l'initiative sur les capacités de défense (DCI) de l'OTAN et entend veiller à ce que la force européenne ne puisse être considérée comme une force « de deuxième classe » ;

- la coordination entre l'OTAN et les structures politico-militaires de l'Union européenne sera fonction des circonstances. La présence du secrétaire général de l'Alliance atlantique au COPS et du SACEUR ou de son adjoint au Comité militaire ne sera pas de droit. Elle pourrait néanmoins être admise par exemple dans l'attente d'une décision sur le cadre
- OTAN ou Union européenne - de gestion d'une crise ;

- l'attitude des Américains face à la construction de l'Europe de la défense commune est complexe : elle résulte d'un jeu d'influence entre de nombreux acteurs. Les Etats-Unis semblent se faire progressivement à l'idée de sa réalisation en souhaitant qu'elle ne soit pas séparée de l'OTAN par une cloison étanche. Ils la considèrent également comme un test de la capacité des Européens à assumer eux-mêmes des responsabilités dans le domaine militaire ;

- si on prend comme référence la période 1990-1999, la baisse du budget de la défense a été plus forte aux Etats-Unis qu'en France. La reprise de la croissance de ce budget n'est intervenue aux Etats-Unis qu'après huit années de croissance économique ininterrompue ;

- il n'est pas envisagé de mettre fin à l'activité ou aux fonctions actuelles de l'Assemblée parlementaire de l'UEO qui constitue un excellent forum d'échanges et de sensibilisation, et présente l'avantage d'être constituée de délégations des Parlements nationaux. Le traité de Bruxelles ne sera pas caduc en 2004 sauf s'il est dénoncé ;

- la politique commune de sécurité et de défense n'implique aucun transfert de souveraineté. Les contributions des Etats membres resteront sous commandement national. Il en est naturellement ainsi des forces nucléaires pour lesquelles certaines coopérations se sont nouées entre la France et le Royaume-Uni mais dont la contribution à l'Europe de la défense n'est pas un thème de discussion pour les Etats membres non nucléaires.

M. Pierre Lellouche s'est demandé si, dans le cadre de la prochaine présidence française, il ne serait pas souhaitable d'intégrer dans le traité de l'Union européenne l'article 5 du traité de Bruxelles pour en finir avec la situation particulière des pays neutres membres de l'Union. Il a par ailleurs souligné la nécessité de fixer des critères de convergence budgétaire en matière de défense afin de donner un contenu concret au développement de la nouvelle politique commune de sécurité et de défense.

Mme Martine Lignières-Cassou a souhaité savoir si la construction de l'Europe de la défense s'accompagnerait d'une politique de recherche commune dans le domaine des industries d'armement et quels secteurs seraient particulièrement concernés.

Le Ministre de la Défense a souligné que la priorité était de mettre en place les outils d'une politique de sécurité et de défense européenne. Estimant effectivement nécessaire la fixation de critères de convergence budgétaire pour l'effort de défense, il a fait cependant valoir l'intérêt d'une démarche progressive par étapes, du type de celle retenue pour la construction de l'Europe monétaire, et de compléter la convergence des efforts budgétaires par une cohérence des politiques d'acquisition d'équipements militaires. Six Etats de l'Union disposent d'une industrie de défense significative et sont en mesure de participer à des coopérations importantes en matière d'armement. L'accord réalisé dans le cadre de la lettre d'intention (L.O.I.) de juillet 1998, en ce qui concerne notamment la sécurité des approvisionnements, l'habilitation des personnels à la confidentialité des informations et le contrôle des exportations d'armement montre que les compromis sont possibles sur des sujets pourtant difficiles. La mise en _uvre complète de cet accord sera un atout supplémentaire pour le développement des groupes industriels transnationaux du secteur de la défense comme Thomson-CSF ou EADS.

M. Alain Richard a alors rappelé qu'une très large part des crédits publics de recherche et développement de défense étaient concentrés dans trois pays, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, et que cette concentration était un handicap pour mobiliser les fonds communautaires sur des programmes duaux, la majorité des Etats membres de l'Union européenne y étant peu favorables. Il a souligné à cet égard que les pays disposant d'une industrie de défense forte devaient convaincre leurs partenaires de l'Union européenne de la nécessité de compléter la politique de sécurité et de défense commune par une aide financière à la recherche-développement intéressant la défense.

Abordant la situation du Kosovo, le Président Paul Quilès a tout d'abord souhaité que soient précisés les risques spécifiques auxquels les forces françaises sont exposées dans la zone qui leur est attribuée. Il a demandé des précisions sur les affrontements en cours dans la région albanophone de Serbie, notamment dans la vallée de Pre_evo et s'est inquiété des risques de reprise d'un conflit de haute intensité dans cette zone. Puis il s'est interrogé sur le fonctionnement de la chaîne de commandement de la KFOR qui permettait le maintien de règles d'engagement différentes selon les contingents nationaux et sur les conditions de la relève de Landcent par l'Eurocorps pour constituer l'état-major de la KFOR. Il a également demandé comment s'organisait la coopération avec le contingent russe.

Après avoir évoqué les instructions données par le Général Shelton au contingent américain pour restreindre sa mobilité, il s'est demandé si les demandes exprimées au Congrès en faveur d'un retrait des Etats-Unis du dispositif de la KFOR reflétaient une volonté de désengagement de l'opinion publique de ce pays. Enfin, il a interrogé le Ministre de la Défense sur les risques de conflit au Monténégro considérés comme préoccupants par le Général Clark et sur les réactions éventuelles de la KFOR dans une telle hypothèse.

Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :

- un certain nombre de difficultés dans la zone sous responsabilité française tient aux conditions mêmes d'application de la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité. Un effort est à faire pour coordonner les modalités d'action de la présence de sécurité qui sont définies par l'Alliance atlantique et celles de la présence civile, assurée par la MINUK, qui relèvent des règles classiques de l'ONU ;

- les risques observés au Kosovo sont liés aujourd'hui aux évolutions respectives des deux communautés. L'effectif des populations albanophones s'est reconstitué. En ce sens, l'objectif qui était d'empêcher le succès de la purification ethnique serbe a bien été atteint. Cependant, la communauté albanophone, qui garde un souvenir douloureux des années 1998 et 1999 et craint les menées de Belgrade, a le sentiment d'être en droit d'exercer l'essentiel des responsabilités au Kosovo, qui aux termes de la résolution n° 1244 est toujours serbe mais doit bénéficier d'une « autonomie substantielle ». Certains d'entre eux ayant pris les armes et considérant avoir largement contribué à la victoire jugent que leur action leur donne droit à une part prédominante du pouvoir. Les anciens responsables, qui ont continué à encadrer la population pendant la crise, forment une autre tendance. La situation actuelle est donc marquée par des radicalisations et des actions d'intimidation entre Albanais comme entre Serbes et Albanais. Le nombre élevé d'assassinats s'explique notamment par ces luttes de pouvoir ;

- s'agissant des Serbes, qui sont 90 000 au Kosovo dont 40 000 dans la zone nord, ils se vivent comme une minorité menacée et ont tendance à se tourner vers Belgrade qui est du reste leur seul point d'appui. La France veut éviter une évolution vers l'autoprotection des Serbes dans la mesure où il y aurait là un risque de favoriser la partition du Kosovo. Elle souhaite également qu'un grand nombre de contingents nationaux de la KFOR contribue à la protection de Mitrovica, pour éviter que cette question ne soit considérée comme l'affaire des seuls Français ;

- il existe également un foyer de tension dans une vallée contiguë au Kosovo mais située en Serbie intérieure, où vivent 80 à 90 000 Albanais. Les affrontements y sont en grande partie dus à l'action d'albanophones, anciens membres de l'UCK, et la France appelle sur ce point l'attention de ses partenaires de la KFOR qui contrôlent la zone limitrophe ;

- les avertissements sur l'éventualité de violences au Monténégro ne sont pas corroborés par les renseignements dont dispose la France. Il existe néanmoins des risques de man_uvres de déstabilisation internes de cette République, à la suite par exemple d'actions de certaines milices. Par ailleurs, les perspectives de changement politique en Serbie intérieure ont nettement reculé ;

- les difficultés au sein de la chaîne de commandement de la KFOR sont limitées. Le bilan de l'état-major sortant, constitué par un état-major de l'OTAN, Landcent, est bon. La solidarité de l'état-major de la KFOR avec la brigade nord sous commandement français a été totale. Une certaine disparité des règles d'engagement crée des difficultés réelles, comme dans toute coalition. La France reconnaît le droit des Etats participants à introduire des règles spécifiques pour l'engagement de leurs forces. Elle intervient néanmoins auprès de ceux de ses partenaires dont elle trouve les règles d'engagement trop restrictives ;

- le contingent russe est bien inséré dans le dispositif où il est très apprécié, alors que sa situation n'est pas la plus facile. Le premier mort en opération de la KFOR a du reste été un soldat russe ;

- les interrogations de certains parlementaires américains, notamment à la Chambre des Représentants, sur le maintien du contingent américain au sein de la KFOR sont liées à une certaine méconnaissance des enjeux du conflit par l'opinion américaine. La décision du Général Shelton de soumettre les déploiements de soldats américains hors de la zone qui leur est impartie à l'accord de leur hiérarchie nationale est destinée à répondre à ces inquiétudes ;

- la relève de Landcent par l'Eurocorps à la tête de la KFOR, pour une période qui sera difficile, avec le retour du printemps et l'organisation des élections, est bien préparée. L'Eurocorps fournira 35 % de l'effectif de l'état-major de la KFOR, comme Landcent, soit 350 militaires. Les pays non-membres de l'Eurocorps entendent contribuer au succès de l'expérience en affectant à l'état-major de la KFOR des officiers de qualité.

Après avoir rappelé les déclarations de M. Bernard Kouchner, administrateur de l'ONU au Kosovo, sur le peu de moyens dont il dispose pour remplir sa mission, M. Pierre Lellouche a exprimé son pessimisme sur la situation actuelle dans la province dont il a estimé qu'elle se trouvait dans une impasse politique. Il a alors demandé quelle stratégie le gouvernement français avait définie pour la sortie de cette crise.

M. Loïc Bouvard a souhaité connaître l'avis du ministre de la défense sur le rôle joué par les gendarmes français en poste au Kosovo et le bilan qu'il pouvait tirer de leur activité. Evoquant des rumeurs sur l'installation d'une base militaire de grande taille par les Américains dans le secteur dont ils ont la charge, il a interrogé le ministre sur leur fondement, se demandant, dans le cas où cette information serait avérée, si elle ne témoignait pas d'une volonté des Etats-Unis de s'installer durablement dans cette partie de l'Europe.

Faisant un parallèle avec la situation de la Bosnie-Herzégovine, quand, au début de l'application des accords de Dayton, en 1995, peu d'observateurs croyaient alors à une évolution positive de la situation, le Ministre de la Défense a souligné que beaucoup de temps serait nécessaire pour que des résultats probants apparaissent au Kosovo. Cinq ans après le déploiement de la force internationale de garantie des accords de Dayton, force est de constater que les tendances à la dissociation ont été contenues en Bosnie-Herzégovine.

M. Alain Richard a par ailleurs souligné que l'Europe devait montrer, maintenant que la guerre froide était finie, sa capacité à gérer les crises qui pouvaient survenir sur le continent, en faisant preuve de ténacité et de persévérance. Une attitude de renoncement serait le signe d'une grande faiblesse politique de sa part. En vue de l'application de la résolution n° 1244 du Conseil de sécurité, qui prévoit d'accorder au Kosovo un statut d'autonomie substantielle, il a estimé indispensable de donner au mandat de la KFOR et la MINUK un contenu aussi clair que possible. Après avoir rappelé le soutien du gouvernement français aux propositions d'organisation rapide d'élections locales, de mise en place d'un système judiciaire capable de combattre avec succès la criminalité organisée et de rétablissement d'un fonctionnement normal des services publics, il a estimé que, les forces de police étant moins projetables, un plus long délai sera nécessaire pour reconstruire un système de police efficace.

Le Ministre de la Défense a estimé qu'à instar de l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine, l'extirpation des formes de violence armée et le recul des phénomènes de crime organisé permettraient à terme d'aborder dans de meilleures conditions le règlement définitif de la question du statut d'autonomie du Kosovo.

Il a ensuite confirmé les informations relatives à la construction, par les Etats-Unis, dans leur zone de responsabilité, d'une infrastructure militaire lourde, qui témoigne de leur engagement durable au Kosovo, sans pour autant constituer la manifestation d'un projet stratégique dans l'Europe du Sud-Est.

Evoquant enfin l'action des gendarmes français au Kosovo, il en a souligné les bons résultats et s'est félicité de l'existence de cette force de police à statut militaire, donc projetable, notamment au regard de ses compétences en matière de police judiciaire. Il a indiqué que le nombre de crimes commis par rapport à la population était très sensiblement inférieur à la moyenne dans le secteur tenu par la brigade nord sous commandement français, résultat qui pouvait être imputé à la fois aux méthodes mises en _uvre par l'armée de Terre pour tenir le terrain et au choix de la Gendarmerie de recourir à des formes d'action faisant appel au minimum de moyens armés. Il a par ailleurs souligné la résistance psychologique des personnels de Gendarmerie présents au Kosovo. Après avoir précisé que les effectifs de Gendarmerie déployés dans la province resteraient de même niveau, soit deux escadrons, il a indiqué que l'efficacité de l'action de cette arme dans les opérations de maintien de la paix conduisait l'ONU à solliciter fréquemment la France pour la mise à disposition de forces de l'ordre, que notre pays n'était pas en mesure d'accorder systématiquement.

La Commission a ensuite décidé de reporter à sa prochaine réunion l'examen de la communication de MM. Bernard Grasset et Charles Cova, rapporteurs d'information, sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée.

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Information relative à la Commission

M. Jean Michel a été nommé rapporteur d'information sur la proposition de résolution n° 2233 de M. Yves Nicolin tendant à la création d'une commission d'enquête sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon », ainsi que les moyens déployés pour préserver la confidentialité des télécommunications.

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