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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 mars 2000

(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Communication de MM. Bernard Grasset et Charles Cova, rapporteurs d'information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée.

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La Commission a entendu une communication de MM. Bernard Grasset et Charles Cova, rapporteurs d'information sur les actions destinées à renforcer le lien entre la Nation et son Armée

M. Bernard Grasset, rapporteur d'information, a indiqué que la mission qu'il conduisait avec M. Charles Cova répondait au souci d'éviter que la disparition des appelés ne creuse un fossé entre l'institution militaire et la société civile. Par ailleurs, la technicité croissante d'un métier militaire qui nécessite un niveau de formation de plus en plus élevé conduit inévitablement à une évolution des modes de commandement et de fonctionnement des services que la Commission se doit de suivre.

M. Bernard Grasset a ensuite apporté quelques précisions sur la méthode adoptée pour l'élaboration du rapport d'information : les rapporteurs se rendent aussi souvent que possible dans les unités des trois armées et de la Gendarmerie, à la rencontre de militaires de tous grades et de toutes spécialités. Des tables rondes sont organisées par catégories hiérarchiques, hors de la présence du chef de corps. La participation de deux parlementaires appartenant respectivement à la majorité et à l'opposition permet aux échanges de se dérouler dans un climat de consensus.

S'agissant des rapports de l'institution militaire avec la société civile, M. Bernard Grasset a noté que l'image des armées s'était améliorée, notamment grâce à leur participation récente à des missions de sécurité (Vigipirate) ou de secours (tempête, marée noire). Certaines missions de formation à contenu civil, comme le service militaire adapté dans les DOM-TOM, consolident cette amélioration. L'image de la Gendarmerie ne semble pas avoir été affectée par les mises en cause récentes du comportement de certains de ses membres.

La perception que les militaires ont de la société civile, par contre, semble moins favorable. Si l'intégration d'un nombre limité de civils dans les régiments de l'armée de Terre s'effectue assez bien, l'arrivée plus massive d'ouvriers et de salariés en provenance de la DGA ou de Giat-Industries dans des unités plus réduites est moins bien ressentie, notamment en raison de différences statutaires, parfois mal acceptées, surtout lorsque des militaires sont placés sous l'autorité de fonctionnaires civils.

Le syndicalisme, bien implanté chez ces civils, y est, en conséquence, perçu assez négativement par les militaires, qui paraissent peu conscients des progrès sociaux que le mouvement syndical a pu obtenir dans le passé, et dont ils ont en fin de compte bénéficié, et n'en retiennent que la vision conflictuelle. Pour leur part, ils rejettent quasi unanimement l'idée de permettre la constitution de syndicats dans l'armée.

Faisant observer que l'ensemble des actifs, civils et militaires, prenaient conscience qu'il leur faudrait, à l'avenir, pour un grand nombre d'entre eux, effectuer plusieurs carrières au cours de leur vie professionnelle, il a insisté sur l'importance des questions de reconversion et de retraite, eu égard notamment à leurs conséquences sur le recrutement des engagés volontaires. M. Bernard Grasset a mis en évidence les différences de situation entre les personnels exerçant des métiers techniques, pour lesquels la recherche d'un second emploi soulève peu de difficultés et ceux titulaires de spécialités dites de « mêlée » pour lesquelles la reconversion est plus délicate. Il a suggéré que les militaires dont le contrat n'est pas renouvelé soient informés plus tôt, si possible un an avant l'échéance, afin qu'ils puissent mieux se préparer à leur retour à la vie civile. Il a également proposé la mise en place systématique d'annuaires qui pourraient, à la sortie des armées, permettre de faciliter les contacts d'embauche.

S'agissant de l'inquiétude ressentie par les militaires quant à l'avenir de leur retraite, il a souligné que le problème démographique qui allait se poser à l'ensemble de la société française n'était pas spécifique aux armées. Il a toutefois fait valoir que les avantages dont les militaires bénéficient en matière de retraite ne sont que la contrepartie des sujétions liées à leur condition et qu'il convenait de mesurer les conséquences d'éventuelles modifications en ce domaine, notamment sur le plan du recrutement.

Abordant la question de la concertation au sein des armées, M. Charles Cova, rapporteur d'information, a regretté une certaine méconnaissance parmi les militaires des structures existantes : commissions participatives, Conseils de la fonction militaire (CFM), Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) et un certain scepticisme à leur égard.

Saluant le rôle primordial joué au plan local par les présidents de catégories, il a proposé plusieurs mesures de nature à revaloriser cette tâche pour laquelle l'armée trouve de moins en moins de volontaires en raison de son caractère ingrat. Il a proposé d'accorder davantage de décharges de service, en particulier aux présidents d'unités importantes, d'accroître les moyens matériels qui sont mis à leur disposition, notamment en matière de locaux, de communications et de déplacements. Il a également suggéré que, à l'instar de l'armée allemande, les présidents soient élus par leurs pairs, selon des procédures excluant toute campagne électorale et laissant la possibilité aux chefs de corps de récuser, par décision motivée, certaines candidatures.

Afin de rapprocher les Conseils de la fonction militaire de la réalité quotidienne de la vie des unités, il a suggéré la mise en place de structures régionales décentralisées. Il a également proposé que, à l'exemple de ce qui est pratiqué dans la Marine, les présidents des sous-officiers puissent joindre au rapport sur le moral une lettre à l'attention du chef d'état-major afin de rendre un peu de crédit à ce rapport, dont il a souligné qu'il était édulcoré à chaque niveau hiérarchique.

Il a en outre déclaré réfléchir à l'instauration d'une instance de médiation hors hiérarchie à laquelle les militaires pourraient exposer directement leurs préoccupations, à l'exception des questions de discipline et d'avancement, selon des règles inspirées des dispositifs existant dans des pays comme l'Allemagne ou la Suède.

M. Charles Cova a également fait part du décalage qu'il a pu constater entre certaines positions prises par des associations d'anciens militaires et la réalité décrite sur le terrain par les personnels d'active. Du fait de la rapidité des évolutions que connaissent les armées, les militaires d'active lui ont déclaré ne pas se reconnaître entièrement dans le discours des anciens. Ils n'ont en particulier pas exprimé le souhait que soit modifié l'article 10 du statut général des militaires pour leur permettre d'adhérer à des associations à caractère professionnel et en particulier aux associations d'anciens militaires.

Evoquant la condition militaire dans son ensemble, M. Charles Cova a constaté une nette césure entre les sous-officiers et les officiers de la Marine et de la Gendarmerie, alors que cette séparation est apparue beaucoup moins forte dans les autres armées. Notant que les conditions de vie propres aux unités opérationnelles de la Marine pouvaient expliquer certaines attitudes hiérarchiques, il a fait part de ses inquiétudes quant à la situation de la Gendarmerie où les relations entre les catégories de personnels paraissaient plus difficiles et où une autre ligne de fracture semblait se dessiner avec les officiers généraux, considérés comme trop peu présents sur le terrain.

Enfin il a noté que le développement des structures interarmées conduisait les personnels à comparer plus fréquemment leurs situations respectives, exprimant le v_u que les autorités en charge des armées _uvrent rapidement dans le sens d'une harmonisation des règlements qui leur sont applicables.

M. Charles Cova a conclu en insistant sur le fait que le malaise, perceptible dans l'ensemble des forces armées, qui connaissent une profonde mutation, semblait exacerbé dans la Gendarmerie, arme qui se trouve à la charnière des mondes civil et militaire et qui se compare souvent à la police. Il a également insisté sur l'intérêt suscité dans les armées par la mission d'information et par le rôle de la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale en général, suggérant de développer les rencontres, au sein d'unités, entre les membres de la Commission et des militaires de tous grades.

Après avoir salué le travail objectif réalisé par les rapporteurs, M. Gilbert Meyer s'est interrogé sur les différences d'organisation au sein des armées pour répondre à des nécessités d'ordre général.

Evoquant les contrats courts proposés par la Marine, M. Jean-Noël Kerdraon a souligné que l'inquiétude de leurs titulaires provenait quelquefois des projets tendant à confier des postes qu'ils occupent à des personnels civils. Il a rappelé que l'objectif de nombreux sous-officiers ou hommes du rang engagés était d'accomplir quinze années de service afin de pouvoir disposer d'une pension à jouissance immédiate après leur départ de la Marine. Or, si deux tiers de ces personnels pouvaient espérer atteindre l'objectif des quinze ans de carrière dans une armée mixte, il semble que seul un quart d'entre eux pourra y parvenir au sein d'une armée professionnalisée. M. Jean-Noël Kerdraon a souligné à ce propos la nécessité d'informer suffisamment tôt les personnels militaires concernés que leur contrat ne sera pas renouvelé.

Il a également fait observer que le nombre des départs de marins dans le bassin d'emploi de Brest allait passer de 250 à 750 par an et souligné, en s'appuyant sur cet exemple, la nécessité d'attribuer des moyens supplémentaires aux structures de reconversion professionnelle de la Marine.

M. Charles Cova a relevé qu'il était difficile de comparer les unités des armées et de la Gendarmerie en raison des différences de nature de leurs métiers et de leur organisation. Après avoir souligné que la Marine avait mis en place la formule des contrats courts pour faciliter l'intégration sociale de jeunes gens en difficulté, il a estimé que l'expérience n'avait pas produit les résultats attendus, seul un très petit nombre de ces jeunes gens étant en mesure de prolonger leur engagement dans la Marine à l'issue de leur contrat court initial.

Faisant ressortir les différences de situation des unités des différentes armées, M. Bernard Grasset a relevé que les bases aériennes regroupaient dans un milieu clos des pilotes et des techniciens qui accomplissaient souvent leur carrière dans une même région, que les problèmes de confinement qui se posaient sur les bâtiments de la Marine contribuaient sans doute à un certain repli de cette armée sur elle-même en raison des contraintes de l'organisation du travail en mer alors que les unités de l'armée de Terre semblaient bien intégrées dans leur environnement, les régiments bénéficiant en général d'une bonne image dans la société civile de leur zone d'implantation.

Il a par ailleurs estimé que le succès de la professionnalisation des armées dépendrait en grande partie des systèmes de reconversion professionnelle des personnels militaires, regrettant leur trop grande complexité et hétérogénéité.

M. Jean-Louis Bernard s'est étonné que des militaires aient regretté de n'avoir rencontré pratiquement jamais de parlementaires, eu égard notamment à la participation des membres du Parlement aux cérémonies militaires et aux contacts très fréquents de beaucoup d'entre eux avec la Gendarmerie. Il s'est demandé si ce type de perception ne venait pas d'un manque de dialogue dans l'autre sens, à l'initiative des armées vers le Parlement. Il a ensuite souhaité des précisions sur l'attitude des militaires à l'égard du principe de la syndicalisation.

M. Guy Teissier, rappelant le rôle traditionnel de promotion sociale des armées, a mis en garde contre une élévation des critères de sélection, correspondant à une forme d'élitisme dans le recrutement des personnels non-officiers. Convenant que la Marine n'avait peut-être pas choisi le meilleur vivier pour le recrutement des titulaires de ses contrats courts, il a considéré que les armées devaient néanmoins continuer à offrir des perspectives d'insertion professionnelle à des jeunes sans qualification initiale.

Il a ensuite insisté sur la question de la réinsertion, déjà bien connue dans les régiments professionnels, et notamment sur celle des militaires du rang, dont le contrat peut être plusieurs fois reconduit sans qu'ils réussissent à accéder à un grade de sous-officier, ce qui les place dans la situation difficile de devoir trouver un nouvel emploi leur offrant des conditions équivalentes dans le secteur civil après plus de dix années passées dans les métiers et l'environnement des armées.

M. Robert Gaïa a également considéré que les difficultés du système des « Contrats courts Marine » était sans doute plus dues aux affectations, le milieu confiné des navires de guerre n'étant pas des plus faciles, qu'aux populations. Il s'est également inquiété des conséquences de la multiplication des carrières courtes, de sept à huit ans, s'achevant sans pension de retraite à jouissance immédiate, sur les équilibres locaux du marché de l'emploi et sur le recrutement. Il a considéré que les armées devraient mener une action volontariste en direction de l'environnement économique extérieur pour le recrutement des personnels en fin de contrat, cette action lui paraissant indispensable pour la réussite d'un système qui vise à permettre aux forces et services de disposer en permanence d'un personnel jeune et aussi qualifié que possible.

Il s'est enfin inquiété des difficultés que pouvait poser la coexistence de personnels civils et militaires, aux statuts extrêmement différents, sur les mêmes lieux de travail.

M. André Vauchez s'est demandé si la professionnalisation ne risquait pas d'aboutir à un repli des armées sur elles-mêmes, et s'est déclaré préoccupé des risques d'un désintérêt de la Nation à l'égard de l'institution militaire.

M. Charles Cova a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'exemple de sous-officiers regrettant de ne pas avoir eu de contacts avec les parlementaires pendant des années s'entend de contacts et de réunions sur le terrain et de visites dans les casernes ;

- même si une adaptation des contrats courts Marine peut être suggérée, il s'avère que l'intégration à bord des personnels ainsi recrutés a fait naître des difficultés relationnelles inédites, qui apparaissent pénalisantes pour les commandants d'unité ;

- il n'y a pas de risque de dépérissement du lien entre la Nation et son Armée, à condition de ne pas placer les militaires dans une situation où ils se sentiraient considérés comme une catégorie à part. Il apparaît cependant que l'élite militaire n'a pas le sentiment que lui soit accordée la reconnaissance qu'elle souhaite. Sur ce point, le « conditionalat », c'est-à-dire la pratique consistant à conditionner les promotions aux grades d'officiers généraux à la remise d'une lettre de démission à échéance anticipée par rapport à la limite d'âge, est mal vécue.

M. Bernard Grasset a, pour sa part, apporté les éléments de réponse suivants :

- l'ensemble des militaires sont hostiles à l'instauration de syndicats dans les armées. En revanche, certains souhaiteraient que, eu égard à l'absence de structures syndicales prenant en charge la défense de leurs intérêts, une considération plus grande leur soit accordée en matière d'expression comme dans leur situation matérielle ;

- s'agissant des « Contrats courts Marine », il y a sans doute eu inadaptation à la fois du choix des personnels à recruter et des affectations proposées.

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