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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 mars 2000

(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Rapport sur la proposition de résolution de M. Yves Nicolin tendant à la création d'une commission d'enquête sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon » ainsi que les moyens déployés pour préserver la confidentialité des télécommunications (n° 2233).

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean Michel, la proposition de résolution de M. Yves Nicolin tendant à la création d'une commission d'enquête sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon » ainsi que les moyens déployés pour préserver la confidentialité des télécommunications (n° 2233).

Le Président Paul Quilès a rappelé que, lors de sa séance du 29 février dernier, la Commission de la Défense avait nommé M. Arthur Paecht rapporteur d'information sur un sujet analogue, mais plus large, à savoir les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale. Il a ajouté que la Commission avait également décidé de constituer un groupe de travail afin d'assister M. Arthur Paecht dans l'élaboration de son rapport. Il a fait remarquer la nature différente de la démarche de M. Yves Nicolin, qui propose la création d'une commission d'enquête chargée d'étudier dans quelle mesure le « système Echelon » pourrait mettre en cause les intérêts français.

M. Jean Michel, rapporteur, a tout d'abord fait remarquer que, si depuis plusieurs semaines, les médias se faisaient l'écho d'un système d'interception des communications au niveau mondial baptisé « Echelon », de nombreux essais ou articles, surtout dans la presse anglo-saxonne, avaient depuis de nombreuses années révélé l'existence de ce réseau et analysé ses conséquences, en particulier pour les pays européens. Il a alors souligné que des interrogations plus nourries s'étaient développées à la suite de travaux d'étude demandés par le Parlement européen et de la publication de documents déclassifiés de l'agence de renseignement américaine NSA (National Security Agency). Il a indiqué à ce propos que l'office d'évaluation des choix technologiques et scientifiques du Parlement européen (STOA) avait transmis à la Commission des libertés et des droits des citoyens de cette assemblée un premier rapport le 19 janvier 1998 et ajouté que de nouveaux rapports de cet office, rendus publics le 22 février dernier, semblaient devoir conduire la Commission européenne et le Conseil des ministres à prendre position le 30 mars prochain devant le Parlement européen sur les questions soulevées par l'existence du système Echelon et son fonctionnement.

Il a alors rappelé les conditions de la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.

Indiquant que l'exposé des motifs de la proposition de résolution faisait notamment référence à une « inertie des pouvoirs publics (...) inacceptable au regard des intérêts vitaux de la France » et à la nécessité d'examiner les moyens qui ont été « le cas échéant mis en _uvre pour assurer la confidentialité des télécommunications », il a estimé que l'enquête proposée avait pour objet de déterminer des faits précis, à savoir la réalité des interceptions et leurs objectifs, ainsi que la capacité des pays ou des structures visés par les écoutes à se protéger contre elles.

Après avoir souligné que la recevabilité de la proposition de résolution ne faisait pas de doute au regard de l'absence de procédure judiciaire en cours, il a émis des réserves sur son opportunité, d'une part, parce que la Commission de la Défense nationale avait déjà entrepris une étude sur le thème de l'interception des communications, d'autre part, en raison du caractère inadapté de la procédure de commission d'enquête sur un tel sujet.

Après avoir rappelé que la Commission de la Défense nationale avait décidé, le 29 février dernier, la création d'une mission d'information et d'un groupe de travail sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques pouvant mettre en cause la sécurité nationale, il a souligné l'intérêt d'une investigation sur ces systèmes et en particulier sur le système « Echelon » qui paraît susceptible de mettre en cause la sécurité de la France et ses intérêts fondamentaux, en raison de son caractère affirmé d'organisation en réseau, de sa reconversion partielle vers le renseignement économique et de la participation du Royaume-Uni, qui n'était pas sans poser de questions à un moment où s'instaure une politique européenne commune de sécurité et de défense.

Le rapporteur a ensuite fait valoir que la reconversion du système Echelon vers le renseignement économique sollicitait l'intérêt de la Commission de la Défense nationale à un double titre. Tout d'abord, pour les principaux acteurs de ce réseau, le renseignement économique est considéré comme une mission relevant de la sécurité nationale, en particulier aux Etats-Unis, au même titre que le renseignement diplomatique ou militaire, les deux notions se confondant quelquefois. D'ailleurs, l'architecture du système Echelon a été conçue puis développée par la National Security Agency (NSA) ; elle a été adoptée par les quatre autres agences de renseignement des pays participant au réseau ; elle reste sous le contrôle des services de renseignement des Etats-Unis. En second lieu, sous réserve de vérifications qui restent à mener, il semble que les industries du secteur de la défense, de l'aéronautique et de l'électronique professionnelle, soient directement concernées par des interceptions de communications dont elles auraient fait l'objet de la part du système Echelon et qui les auraient pénalisées.

M. Jean Michel a alors considéré que la véritable question était de savoir si l'existence du système Echelon participait d'une stratégie globale de contrôle politique et technologique de l'information mise en _uvre par les Etats-Unis, grâce notamment aux systèmes d'exploitation informatique, serveurs ou logiciels proposés par les sociétés américaines.

Estimant que la création d'une commission d'enquête serait peu opportune et inadaptée au sujet considéré, il a rappelé que les systèmes d'interception des communications étaient gérés ou contrôlés par les services de renseignement et que ceux-ci, qu'ils soient français ou étrangers, n'ont pas l'habitude de s'exprimer devant des enceintes larges, dont les auditions peuvent être rendues publiques. Il a fait remarquer que l'ordonnance du 17 novembre 1958 précisait, dans son article 6 II, que les rapporteurs des commissions d'enquête « sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat ». Il a précisé que, si des exemples récents montraient que des documents déclassifiés avaient été communiqués à des rapporteurs d'information, ceux-ci n'ont pas été autorisés à les communiquer ou à en faire part aux autres membres de la Commission. L'intérêt d'une commission d'enquête est d'autant plus faible que le secret pourrait être opposé à ses demandes d'information par les services de l'Etat les plus concernés par le sujet examiné.

Il a estimé par ailleurs qu'un raisonnement analogue pouvait être tenu pour les industriels dont les compétences technologiques permettent de pallier les inconvénients des systèmes d'écoute et de lutter contre les risques qu'ils présentent pour les intérêts français, les programmes développés en ce domaine avec le soutien des services de l'Etat revêtant un caractère de secret, tant du point de vue de la politique de défense que de la stratégie industrielle.

En conclusion, il a demandé le rejet de la proposition de résolution, considérant que la poursuite de la mission d'information sur les systèmes de surveillance et d'interception électroniques, appuyée par un groupe de travail, au sein de la Commission de la Défense nationale était préférable à la création d'une commission d'enquête.

Après avoir indiqué que le groupe RPR suivrait les conclusions du rapporteur tendant au rejet de la proposition de résolution déposée par M. Yves Nicolin, M. René Galy-Dejean a souhaité revenir sur les deux critères de recevabilité et d'opportunité mentionnés par le rapporteur. S'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution, et concernant notamment l'obligation pour celle-ci de viser des faits précis, il s'est interrogé sur la réalité de deux informations de presse, selon lesquelles les entreprises Airbus et Thomson auraient été exclues de marchés à la suite d'écoutes pratiquées par le système Echelon. S'agissant de l'opportunité de la création de la commission d'enquête, il s'est élevé contre l'argument selon lequel l'existence d'une mission d'information sur le même thème s'y opposerait, estimant qu'un tel raisonnement pouvait encourager un détournement de procédure, qui conférerait à de simples missions d'information le rôle de commissions d'enquête. Il a en revanche pleinement approuvé l'argumentation du rapporteur sur l'inadaptation de la procédure de la commission d'enquête à l'examen de questions intéressant la sécurité nationale, précisant que cette considération essentielle déterminait la position du groupe RPR.

M. Jean Michel a précisé que les assertions de la presse concernant l'exclusion d'Airbus et de Thomson de deux marchés à la suite de la diffusion d'informations collectées par le système Echelon devaient être considérées comme de simples rumeurs, qu'il appartiendra au rapporteur d'information et au groupe de travail de confirmer ou d'infirmer. Il a par ailleurs fait observer que, dans son exposé, il s'était borné à évoquer l'existence de la mission d'information créée antérieurement au dépôt de la proposition de résolution de M. Yves Nicolin mais qu'il n'en avait pas conclu que la première était un obstacle à la création de la seconde.

M. Arthur Paecht a précisé que la création de la mission d'information qu'il avait la charge de conduire ne répondait en rien à une volonté de contourner la procédure de commission d'enquête et souligné à ce propos qu'il se battait constamment pour que le Parlement exerce l'ensemble des prérogatives qui lui sont reconnues par les textes et notamment celles qui lui confère la procédure de la commission d'enquête. Il a par ailleurs fait observer que le rapport d'information qu'il était chargé d'élaborer devrait porter sur l'ensemble des systèmes d'écoute électronique, le système Echelon ayant joué un rôle de révélateur en ce domaine. Revenant sur les informations de presse relatives à des échecs commerciaux d'Airbus et de Thomson dus à des interceptions pratiquées à l'aide du système Echelon, il a jugé qu'il convenait d'abord de s'informer sur la réalité des faits et que, le cas échéant, il pourrait, en accord avec le groupe de travail, suggérer sur ce point ou sur d'autres la création d'une commission d'enquête. Il a à cet égard noté que les entreprises en cause n'avaient déposé aucune plainte sur les faits allégués. Il a par ailleurs précisé que l'objet de sa mission d'information était de recueillir le maximum de données sur la réalité des systèmes d'interception et d'écoute électroniques, de faire la part des fantasmes et des faits et d'évaluer les risques. Au vu de ce cahier des charges, il a jugé que l'élaboration de son rapport constituait une tâche de longue haleine qui pourrait excéder le délai de six mois imparti aux commissions d'enquête. Pour ces raisons, il a indiqué que le groupe UDF se prononçait contre la création d'une commission d'enquête.

Le Président Paul Quilès, faisant observer que, selon des informations récemment publiées, la France et les Etats-Unis collaboreraient depuis longtemps dans le domaine de l'écoute électronique, a souligné qu'il importait de ne pas confondre ce qui relève de la coopération normale avec des pays alliés et l'utilisation abusive que ces pays pouvaient faire de leurs propres réseaux de surveillance. Il a convenu avec M. Arthur Paecht que sa mission d'information exigerait du temps et de la persévérance.

M. Guy-Michel Chauveau a indiqué que le groupe socialiste suivrait les conclusions du rapporteur en rejetant la proposition de résolution de M. Yves Nicolin. Il a par ailleurs souligné la nécessité d'une transparence active et positive dans les domaines intéressant la sécurité nationale et rappelé qu'il ne suffisait pas d'être techniquement performant pour faire face dans de bonnes conditions aux nécessités de la communication et de l'information du public. Il a jugé à cet égard nécessaire que le Parlement ait le meilleur éclairage possible sur les questions relatives aux dispositifs d'écoute électronique, estimant qu'il s'agissait d'un domaine prioritaire dans les relations d'information entre les pouvoirs exécutif et législatif sur les questions relatives à la sécurité du pays.

M. Jean Briane a salué la sagesse des conclusions de M. Jean Michel, estimant qu'il convenait de laisser le rapporteur d'information accomplir la mission qui lui avait été confiée par la Commission. Il a insisté sur la prudence que requiert ce travail, notamment au vu des révélations faites par certains journalistes en mal de sensationnel, tout en remarquant qu'il ne fallait pas être naïf sur les actions susceptibles d'être conduites par des pays alliés en matière d'espionnage industriel voire de chantage économique.

M. Arthur Paecht a alors cité un article du Wall Street Journal du 17 mars dernier, dans lequel un ancien responsable des services de renseignement américains reconnaissait que ces services avaient effectivement espionné les Européens mais que, dans le cas du contrat négocié par Airbus dont la presse avait imputé l'échec à des informations recueillies par le système Echelon, cet espionnage visait, non pas à faire du tort à l'entreprise concernée mais à mettre en lumière des pratiques commerciales illicites aux yeux des Etats-Unis. M. Arthur Paecht en a conclu à une offensive médiatique américaine pour justifier le travail de son agence de sécurité nationale (NSA).

M. Jean Michel a souligné la dimension européenne des questions soulevées par le système Echelon à l'heure de la construction d'un embryon de défense européenne et s'est interrogé sur les implications de la participation d'un Etat membre de l'Union européenne à ce système. Remarquant enfin que le système d'écoute en question avait été constitué au sein du monde anglo-saxon, il a jugé paradoxal que l'information sur ce système ait également été rendue publique par des Anglo-saxons et s'est interrogé sur le silence gardé par l'ensemble des responsables politiques européens.

La Commission a alors rejeté à l'unanimité la proposition de résolution n° 2233 de M. Yves Nicolin tendant à la création d'une commission d'enquête sur la mise en cause des intérêts français par le réseau d'interception des communications dit « système Echelon », ainsi que les moyens déployés pour préserver la confidentialité des télécommunications.

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