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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 25 avril 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président,

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen du rapport de la mission d'information sur le contrôle des exportations d'armement

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Information relative à la Commission

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La Commission a procédé à l'examen du rapport de sa mission d'information sur le contrôle des exportations d'armement, constituée de MM. Christian Martin, Jean-Claude Sandrier et Alain Veyret.

Le Président Paul Quilès a souligné la qualité des travaux de la Mission d'information et fait ressortir son souci de traiter l'ensemble des grandes questions liées au contrôle des exportations d'armement. Il s'est en particulier félicité qu'elle se soit attachée à décrire sous tous ses aspects la dimension européenne de ce contrôle dont il a relevé l'importance croissante. Après avoir estimé que le rapport de la Mission d'information ferait date dans les travaux de la Commission, il a mis en exergue l'intérêt des propositions qu'elle formulait pour améliorer l'efficacité, la légitimité et la transparence des dispositifs actuels.

M. Jean-Claude Sandrier a exposé au nom de la Mission d'information que les exportations d'armement constituaient un domaine particulièrement sensible puisque s'y entremêlaient des enjeux économiques, diplomatiques, éthiques et de sécurité collective. En effet, le secteur de l'armement est vital pour certaines régions où il est le moteur de l'activité industrielle. Par ailleurs, vendre des armes a des conséquences directes sur les équilibres stratégiques dans le monde. Pour un pays producteur, le choix de ses clients et la définition des armes qu'il leur vend est au premier chef un acte de politique étrangère d'une très grande portée. Certains pays acheteurs peuvent mettre en péril le niveau de vie de leur population en acquérant des armes et d'autres peuvent vouloir les utiliser pour la répression interne. Là aussi, le pays vendeur est mis devant ses responsabilités, qui s'analysent alors par rapport au respect des droits de l'Homme et du citoyen.

Faisant remarquer que, dans un domaine où le débat est désormais public, l'information n'était pas toujours diffusée ni même toujours accessible, M. Jean-Claude Sandrier a exposé que le souci de la Mission d'information avait été d'abord d'obtenir les données les plus complètes possible. Indiquant que, de mai 1999 à mars 2000, elle avait entendu plus de cinquante personnalités, qu'il s'agisse de responsables de toutes les administrations concernées, de représentants d'associations, d'industriels ou d'universitaires, il a précisé que la Mission d'information avait d'abord voulu, à partir des entretiens effectués et compte tenu de la richesse des informations fournies, exposer de façon détaillée la réglementation en vigueur, décrire soigneusement les critères et les procédures et livrer un document auquel chacun puisse se référer pour connaître les dispositifs existants.

Il a ajouté qu'au cours de ses entretiens, la Mission d'information s'était rendu compte que la construction de l'Europe de l'armement avait des conséquences considérables sur les conditions d'exportation des matériels et sur les procédures de contrôle qui restent nationales, le secteur de l'industrie de défense ayant été laissé en dehors du Traité de Rome. Or la constitution de sociétés transnationales dans le secteur de la défense rend ce contrôle à la fois de moins en moins opérant et de plus en plus pénalisant pour les entreprises.

Il a alors indiqué que le rapport d'information présentait les mécanismes nouveaux de contrôle des exportations d'armement en cours de mise en place dans un cadre européen. Le premier de ces mécanismes est constitué par le Code de conduite de l'Union européenne, adopté en juin 1998. Ce code définit d'une part huit critères communs d'examen des exportations, que tous les pays exportateurs s'engagent à respecter, et institue d'autre part une procédure de consultation, par laquelle ils se notifient entre eux les refus qu'ils ont opposés. Un second mécanisme doit résulter du processus d'unification des procédures d'exportation développé entre les six pays européens principaux producteurs d'armement, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suède, dit processus de la L.O.I. (pour letter of intent, lettre d'intention).

M. Jean-Claude Sandrier a également indiqué que l'analyse des dispositifs de soutien des exportations d'armement avait amené la Mission d'information à faire ressortir le caractère fondamentalement politique de ces ventes.

Il a enfin précisé qu'au fil de ses auditions, la Mission d'information avait été conduite à formuler des propositions en matière de transparence, d'information des citoyens et du Parlement, et d'affirmation d'une éthique nationale et internationale.

En premier lieu, il a exposé que la Mission d'information était arrivée à la conclusion que la transparence et l'information a posteriori étaient en réalité non pas un handicap mais un atout pour l'action internationale de la France, dans la mesure où elles pouvaient permettre une meilleure appréciation de la nature du commerce des armes et de dissiper les malentendus en ce domaine. C'est pourquoi la Mission propose que chaque année, un rapport adressé au Parlement fournisse un état détaillé des ventes d'armes par pays, rende compte de l'application du Code de conduite européen, et indique pour chaque pays de destination les considérations politiques et stratégiques justifiant les types d'armements vendus. Rappelant que, parmi ces considérations figure l'application des accords de coopération militaire et de défense, il a indiqué que la Mission jugeait qu'ils devaient être connus et mentionnés dans le rapport relatif aux exportations d'armement adressé au Parlement. Ce rapport devra également présenter les exportations d'armes de petit calibre, de matériels de police et de biens à double usage, ainsi que leur conformité aux engagements internationaux souscrits par la France.

M. Jean-Claude Sandrier a ajouté que la Mission d'information considérait que, si le rapport adressé au Parlement pour 1998 constituait, dans cette voie, un progrès décisif qu'il fallait saluer, il ne saurait pour autant être considéré comme un aboutissement et pourrait notamment être complété par une analyse sur l'emploi, l'aménagement du territoire et la recherche.

M. Jean-Claude Sandrier a ajouté qu'en second lieu, pour que la transparence soit aussi complète que possible, il convenait d'instituer une commission consultative sur les exportations d'armement, composée du Secrétaire général de la Défense nationale ou de son représentant, de représentants d'associations intervenant dans le domaine des exportations d'armement, de représentants des entreprises et des organisations de salariés du secteur ainsi que de personnalités qualifiées. Cette commission aurait pour tâche principale d'examiner le rapport annuel du Gouvernement sur les exportations d'armement et tout autre élément qui lui serait transmis, cet examen devant donner lieu à un compte rendu public. Il a précisé que la Mission d'information attendait de cette procédure un enrichissement des informations développées par le rapport du Gouvernement et l'expression publique des arguments de chacune des parties et de chacun des membres de la commission consultative.

Il a indiqué ensuite que la Mission d'information estimait nécessaire que le Parlement tienne un débat annuel sur les exportations d'armement. Il a précisé que la nature même des questions soulevées conduisait la Mission à recommander dans ce cadre l'audition conjointe devant les Commissions des Affaires étrangères et de la Défense des Ministres des Affaires étrangères et de la Défense, après celle du Secrétaire général de la Défense nationale, préalablement à un débat organisé en séance publique à la suite d'une déclaration du Gouvernement. A l'Assemblée nationale, ce débat aurait lieu conformément à l'article 132 du Règlement.

Faisant ensuite part de la grande surprise de la Mission d'information devant l'incertitude qui semble prévaloir sur la rentabilité globale des exportations d'armement, il a ajouté qu'elle proposait la création d'un « observatoire économique des exportations d'armement », chargé notamment d'établir une balance économique annuelle des échanges dans le secteur de la défense et de faire apparaître l'intérêt des exportations relevant de ce secteur au sein des comptes de la Nation. Il a ajouté que la Mission souhaitait que le Gouvernement conduise dès à présent une étude approfondie sur la question de la rentabilité des exportations d'armement et la transmette au Parlement.

Exposant par ailleurs que le décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, qui constitue la base de la réglementation française en matière de commerce des armes comportait des dispositions obsolètes, telles que des références explicites à des lois et décrets de 1863, 1934 et 1938 abrogés depuis longtemps, M. Jean-Claude Sandrier a indiqué que la Mission d'information souhaitait instamment qu'il en soit débarrassé, de façon à ce qu'aucun doute ne soit permis quant à son application effective.

Soulignant ensuite que la Mission d'information approuvait la démarche des six pays signataires de la L.O.I., M. Jean-Claude Sandrier a indiqué qu'elle considérait cependant que la simplification des procédures ne devait pas avoir pour conséquence un affaiblissement du contrôle éthique et politique des exportations. Il a fait valoir que l'affirmation et la formalisation de ce contrôle étaient au contraire garants de la légitimité de l'allégement des procédures. En conséquence, le Code de conduite devait entrer progressivement en vigueur dans tous ses développements, y compris ceux concernant les matériels de police. En outre, au fur et à mesure de son entrée en vigueur, ce Code de conduite devait être institutionnalisé et passer progressivement de son statut actuel de simple déclaration intergouvernementale à celui de traité ratifié après autorisation des Parlements des Etats membres. Il a estimé que cette transformation signifierait aux opinions publiques que l'Europe de l'armement n'était pas une Europe purement commerciale, mais une Europe affirmant ses valeurs.

Enfin, soulignant que la démarche des pays de l'Union européenne était sans précédent dans l'Histoire, il a indiqué que la Mission d'information considérait que l'éthique en matière d'exportations d'armement ne devait pas rester l'apanage d'une seule zone géographique. Elle proposait en conséquence que, en parallèle avec la consolidation progressive du Code de conduite, soit créée sous l'égide de l'ONU une conférence internationale chargée de l'élaboration de critères politiques et éthiques internationaux en matière d'exportations d'armement, et ensuite du contrôle de leur application.

M. Charles Cova, s'interrogeant sur l'opportunité d'identifier les pays de destination dans le rapport annuel du Gouvernement sur les exportations d'armement préconisé par la Mission, s'est demandé si les informations publiées dans ce rapport n'auraient pas pour conséquence de décourager d'éventuels acheteurs et de favoriser la concurrence étrangère. Il s'est inquiété des risques de perte de parts de marché et d'emplois qui pourraient en résulter pour la France tant que les pays concurrents ne suivront pas les mêmes règles d'éthique.

M. René Galy-Dejean a tout d'abord souhaité savoir si la Mission d'information avait eu connaissance d'affaires « sulfureuses » de ventes d'armes. Puis il s'est interrogé sur la notion de rentabilité des exportations, soulignant la contradiction qui pouvait apparaître entre cette notion et l'affirmation de principes éthiques.

Après s'être félicité de la proposition de création d'un observatoire économique qui permettrait d'analyser les conséquences économiques et sociales des exportations d'armement, M. Robert Gaïa s'est demandé comment les réflexions de la commission consultative, proposée par la Mission et ouverte par sa composition à la société civile, pourraient s'insérer dans la procédure parlementaire. Il a par ailleurs proposé que l'analyse des exportations d'armement ait lieu au niveau européen et non plus seulement à l'échelon national.

M. Jean-Claude Sandrier a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- le rapport du Gouvernement sur les exportations d'armement en 1998 fait état des commandes et des livraisons effectuées, et fournit des indications sur les types d'armes par pays acquéreur. Un pays comme la France a toujours intérêt à accroître la transparence sur un tel sujet compte tenu de ses implications internationales. Les industriels exportateurs sont tenus de faire des déclarations, non seulement au niveau national en France, mais aussi auprès de l'ONU en raison de l'existence du Registre sur les armes classiques ;

- la Mission d'information n'a pas eu connaissance d'autres affaires « sulfureuses » d'exportations d'armes que celles rapportées par les médias ;

- au fil de ses auditions, la Mission a pris conscience de la nécessité d'analyser les exportations d'armement sur un plan économique, hors de toute considération politique. La balance des coûts et avantages des ventes d'armes n'est actuellement effectuée par aucun service administratif ni par aucune structure de recherche universitaire, ce qui justifie la création d'un observatoire spécifique ;

- la Commission consultative aura comme objectif d'enrichir la réflexion des commissions parlementaires, d'élargir le débat sur les exportations d'armement à toutes les parties concernées et d'y associer différents experts ;

- il est probable que le besoin d'un organisme européen de contrôle des ventes d'armes se fera sentir, mais, en attendant sa création, il est nécessaire de renforcer les procédures nationales.

M. Alain Veyret a alors rappelé que les Parlements de trois pays européens (Italie, Royaume-Uni et Suède) disposaient déjà de rapports de leurs Gouvernements respectifs sur les ventes d'armes. Il a estimé que la logique de transparence dans laquelle ces trois pays étaient entrés ne modifiait pas leurs relations avec les Etats acheteurs, dans la mesure où il s'agissait d'une tendance internationale. Il a regretté qu'existe encore une certaine réticence à imposer aux matériels de police des critères d'exportation similaires à ceux des matériels de guerre. Puis, ayant souligné la nécessité que les démarches du Code de conduite et de la L.O.I. se rejoignent, il s'est montré favorable à la consolidation des procédures nationales afin de faire progresser les normes internationales.

Après avoir fait observer que la transparence était de fait pour les grands équipements militaires qui ne pouvaient pas échapper à l'observation, M. Christian Martin a souligné qu'on ne pouvait disposer que de données globales pour les armements non majeurs. Il a fait part de l'étonnement de la Mission d'information devant l'impossibilité de connaître avec précision les coûts de certains systèmes d'armes exportés, comme les armements navals, et a souligné que des marchés pouvaient être passés à perte, en particulier, lorsque la décision de vente incombait à l'Etat, pour des raisons tenant à l'aménagement du territoire et au maintien de l'emploi dans certains bassins.

Le Président Paul Quilès, après avoir souligné le caractère indispensable d'un bilan économique et social par type d'exportation, s'est demandé si l'Observatoire économique de la défense qui existait déjà ne pourrait pas assurer cette nouvelle fonction. Il a également fait part de la nécessité de faire progresser simultanément les démarches de renforcement du contrôle aux niveaux français et européen tout en développant le rôle de l'ONU en ce domaine afin d'éviter les transferts de commandes d'un Etat à un autre. Puis, il a souhaité que soient précisés la composition et le rôle de la Commission consultative afin que ses travaux s'insèrent mieux dans la procédure parlementaire, qu'ils ne doivent pas concurrencer ni soumettre à la pression des relais d'opinion. Il a proposé que le Parlement, après réception du rapport du Gouvernement, exerce pleinement ses responsabilités et ses prérogatives en conduisant la concertation avec toutes les parties intéressées par les ventes d'armes, avant de tenir en son sein le débat public annuel sur cette question, proposé par la Mission.

Rappelant les vives discussions qu'ont pu susciter la vente de sous-marins au Pakistan, et soulignant que l'obstacle majeur auquel se heurtait alors cette opération n'était pas d'ordre politique mais financier, M. René Galy-Dejean a insisté sur l'exigence de discrétion qui s'impose en matière d'exportations d'armement et qui rend difficile tout accroissement de la transparence du contrôle en ce domaine.

Mme Martine Lignières-Cassou a souhaité savoir si, en plus des contrôles politique et éthique examinés par la Mission d'information, la question du contrôle technologique était abordée.

M. Jean-Claude Sandrier, après avoir rappelé que cette question était traitée dans la première partie du rapport de la Mission d'information ainsi que dans les développements consacrés aux biens à double usage, a réaffirmé l'intérêt de la proposition tendant à instituer une commission consultative au sein de laquelle pourraient dialoguer toutes les parties intervenant dans le domaine des exportations d'armement, industriels, syndicats, administrations et associations et a souligné l'utilité de ce dialogue public pour l'information du Parlement.

M. Alain Veyret a précisé que la Mission d'information avait constaté qu'un contrôle effectif était assuré sur les transferts de technologie. Il a par ailleurs relevé que le recours à certaines technologies suscitait des interrogations, développées notamment dans la partie du rapport consacrée à l'utilisation récente des obus à uranium appauvri.

La Commission de la Défense a alors autorisé, à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport de la Mission d'information sur le contrôle des exportations d'armement.

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Information relative à la Commission

Après un débat sur l'opportunité d'émettre un avis sur le projet de loi portant règlement définitif du budget 1998, la Commission a décidé de nommer M. François Lamy rapporteur d'information sur l'exécution des crédits de la défense au cours des exercices 1998 et 1999.

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