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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 39

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 mai 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Communication de M. François Lamy sur l'engagement militaire de la France au Kosovo.

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La Commission a entendu une communication de M. François Lamy, à la suite d'une mission effectuée au Kosovo, sur l'engagement militaire de la France dans cette province.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord relevé, parmi les problèmes que soulève l'engagement de la France au Kosovo, l'évolution des missions des forces qui comportent à présent une composante essentielle et difficile de maintien de l'ordre. Soulignant l'intérêt de la communication de M. François Lamy, il a estimé que cette situation nouvelle que connaissaient les forces françaises au Kosovo appelait une réflexion approfondie, d'abord sur leurs conditions d'engagement et leurs moyens mais aussi sur le rôle respectif de l'armée de Terre et de la Gendarmerie en opération extérieure. Il a jugé souhaitable que la Commission entende prochainement le Chef d'état-major des Armées sur cette question.

Après avoir remarqué que le Kosovo ne faisait plus que ponctuellement l'actualité, M. François Lamy a souhaité poursuivre la réflexion de fond menée par la Commission, depuis le début du conflit, sur l'engagement des troupes françaises, en tirant les principaux enseignements de la mission qu'il avait effectuée dans la province avec M. Robert Gaïa du 10 au 12 avril derniers. Il a souligné que cette mission leur avait permis de prendre la mesure des conditions d'engagement très difficiles des forces françaises, dans un contexte politique, économique et social très complexe.

M. François Lamy a tout d'abord rappelé que la présence militaire française au Kosovo recouvrait deux réalités distinctes.

D'une part, la France a la responsabilité de l'une des cinq composantes de la KFOR, la Brigade multinationale (BMN) nord, qui représente 7 500 soldats environ, soit, à la mi-avril, 4 155 soldats français et 3 430 étrangers : Belges au nord, Russes au sud, Emirati à l'est, Danois à l'ouest, ainsi qu'un hôpital marocain et un bataillon italien. Il a précisé que le commandant de la BMN était en principe placé exclusivement dans la chaîne de commandement OTAN, c'est-à-dire sous les ordres du commandant de la KFOR et du SACEUR. Il a également indiqué que tous les interlocuteurs que M. Robert Gaïa et lui-même avaient rencontrés, avaient insisté sur le fait que le transfert d'autorité temporaire d'un état-major de l'OTAN vers l'Eurocorps ne changeait rien à la nature de la chaîne de commandement. Il a rappelé qu'il s'agissait là de l'une des conditions posées à ce transfert d'autorité par les Etats-Unis.

D'autre part, la France dispose à Pristina d'un échelon de commandement, le Repfrance. M. François Lamy a souligné que le schéma d'organisation retenu par la France, avec un général commandant le Repfrance, à la fois intégré dans la chaîne OTAN et dans une chaîne strictement nationale où il est le représentant du Chef d'état-major des Armées au Kosovo, n'avait pas son équivalent dans les autres états-majors. Il a précisé que cette particularité institutionnelle française était liée à la nature elle-même tout à fait spécifique des missions confiées au Repfrance, qui consistent à participer au soutien de l'action de la France au Kosovo et à fournir une capacité d'appréciation indépendante au profit du haut commandement national.

S'agissant des conditions d'engagement des forces françaises elles-mêmes, M. François Lamy a rappelé que la France avait la responsabilité de la plus exposée des cinq zones de déploiement de la KFOR, dans la mesure où cette zone jouxte au nord la zone de sécurité avec la Serbie et où sa ville principale, Mitrovica, était, du moins dans sa partie nord, aujourd'hui la seule véritable ville multiethnique du Kosovo, ce qui en faisait un cas tout à fait particulier, tout en lui donnant une valeur de test. M. François Lamy a relevé à cet égard que l'ambiance dans cette partie de la ville n'avait d'ailleurs rien de commun avec celle de Pristina ou de Pec.

M. François Lamy a indiqué que Mitrovica comptait 70 000 habitants inégalement répartis des deux côtés de l'Ibar, soit 62 000 Kosovars d'origine albanaise (2 000 au nord, 60 000 au sud) et 8 000 Serbes très massivement autochtones, au nord, auxquels il fallait ajouter quelque 400 Roms et la présence de minorités d'Albanais Turcs et de Bosniaques. Evoquant l'imbrication des différentes communautés, il a exposé que, alors que le sud de la ville rassemblait presque exclusivement des Kosovars albanais - seule une vingtaine de Serbes y vivant, notamment dans l'enceinte d'une église orthodoxe protégée par un bataillon du régiment italien San Marco -, la partie nord voyait cohabiter l'ensemble des minorités présentes au Kosovo, parfois dans le même immeuble. Il a relevé que la situation ethnique de Mitrovica n'était pas figée, comme les événements de février et de mars en témoignaient : 1 500 des 2 500 Kosovars d'origine albanaise qui vivaient au nord de la ville l'avaient quitté à ce moment, 1 000 d'entre eux étant revenus à la mi-avril. Il a estimé que ces quelques chiffres suffisaient à montrer le caractère extrêmement volatile de la situation à Mitrovica : en quelques minutes, 200 à 300 personnes peuvent venir se masser de part et d'autre du pont ouest, théâtre de nombreux incidents - capacité de mobilisation dont on peut d'ailleurs noter qu'elle révèle l'existence de groupes très structurés dans chacun des deux camps.

M. François Lamy a ensuite présenté les éléments constitutifs du plan de retour à la paix, mis en _uvre depuis le mois de mars et dont le principe repose sur une politique des petits pas, seule à même de stabiliser la situation en mettant fin à un statu quo intenable, car source de tensions extrêmes, tout en évitant la précipitation, sous peine de voir la majorité de la population se tourner vers les extrémistes des deux bords. Il a précisé que cette politique visait plus spécifiquement trois objectifs, à savoir la réinstallation des familles albanaises au nord et des familles serbes au sud à l'endroit où elles vivaient auparavant, la sécurité des minorités et la transformation du Corps de protection du Kosovo (KPC) en un véritable corps de sécurité civile. Il a estimé qu'en gommant l'image caricaturale d'un nord serbe et d'un sud albanais, il s'agissait de faire échec tant à la politique du pire de l'aile dure de l'ex-UCK qu'aux man_uvres subversives d'extrémistes serbes. Il s'est réjoui à cet égard du caractère très constructif des mesures prises par le commandant de la BMN nord qui, en convaincant, non sans difficulté, le SACEUR de renoncer à une action de force au nord de l'Ibar, en faisant construire une passerelle sur cette rivière et en négociant le recul progressif des « gardiens » serbes du pont ouest, afin de neutraliser peu à peu la zone environnante, avait contribué à un apaisement de la situation, dont les incidents récents ont néanmoins montré toute la fragilité. Il a ajouté qu'il ne revenait pas normalement au militaire d'assumer des fonctions de nature politique, même si, en l'occurrence, elles l'avaient été par nécessité avec un grand esprit de responsabilité. Il a salué, à ce propos, l'arrivée à Mitrovica de l'administrateur de la MINUK, le général américain en retraite Bill Nash, qui devrait permettre le retour à un partage des rôles plus sain, dans une zone où les tâches des militaires dans le seul domaine du contrôle de foules sont très lourdes.

M. François Lamy a néanmoins relevé que la situation de Mitrovica mettait en lumière le caractère souvent artificiel de toute tentative de séparation stricte entre les domaines civil et militaire. Il a souligné à ce propos que les conditions d'engagement des forces étaient tributaires des évolutions politiques dans la mesure où toute modification du contexte civil (situation des réfugiés, reconstruction économique, etc.) affectait systématiquement les données militaires, ne serait-ce que parce que la population identifie facilement les soldats de la KFOR, qu'elle n'hésite pas à prendre à partie en cas de difficultés. Il en a conclu que la MINUK et la KFOR apparaissaient comme les deux parties d'un tout, même s'il n'existait aucun lien de subordination politique entre elles.

Il a jugé que trois éléments majeurs conditionnaient l'évolution du contexte d'engagement des troupes françaises au Kosovo.

Le premier d'entre eux concerne la situation des minorités. Il a fait observer que certains faits témoignaient d'une évolution positive de la situation, citant la participation d'une représentante serbe au comité d'administration intérimaire, ainsi que le retour des Serbes à leur domicile dans certaines zones. Il a ajouté que, même à Mitrovica, le représentant des Kosovars albanais, M. Rexhepi, entretenait un contact continu avec le leader serbe, M. Ivanovic. Il a toutefois reconnu que, bien que nécessaire, le travail d'exhumation des charniers raviverait localement des tensions sous-jacentes, et que, par ailleurs, il existait une forte réticence des Serbes - habitants du Kosovo ou réfugiés dans d'autres parties de la fédération yougoslave - à se faire enregistrer en vue des élections locales de l'automne.

A cet égard, M. François Lamy a indiqué que l'organisation des élections constituait le deuxième facteur susceptible de peser sur l'évolution de la situation. Il a rappelé que les Kosovars réfugiés au Monténégro (30 000 Serbes et Roms) et en Serbie (175 000 Serbes), seraient enregistrés in situ, 30 postes d'enregistrement devant être mis en place en Serbie, sous réserve de l'accord du gouvernement de Belgrade. Quant au lieu de vote, il aurait été idéalement préférable qu'il corresponde à la résidence d'avant la guerre, mais le réalisme et le souhait d'éviter que les élections ne consacrent la composition ethnique actuelle du Kosovo imposaient d'autoriser également le vote sur le lieu actuel de résidence, la seule condition étant, dans l'un et l'autre cas, d'en apporter la preuve. Il a jugé que la participation de tous les Kosovars à l'émergence d'un pouvoir administratif local était essentielle, dans la mesure où elle représentait une étape obligatoire de ce que l'on pourrait appeler l'échéancier de la démocratie au Kosovo. Il a fait observer à cet égard que c'était, en filigrane, la question de la durée de la période intérimaire qui était posée, et peut-être à terme celle du statut final du Kosovo, dont la communauté internationale n'avait jusqu'alors, en ayant recours à la notion d'autonomie substantielle, donné qu'une définition en creux.

Il a estimé que le troisième facteur d'évolution, susceptible de favoriser le retour à une situation pacifiée, était d'ordre économique.

M. François Lamy s'est ensuite interrogé sur les enseignements qui pouvaient être tirés de l'engagement actuel de la France au Kosovo, s'agissant de la nature des missions des forces en opération extérieure. Il a estimé que, si la guerre du Kosovo avait été « une guerre d'exceptions », l'instauration d'une paix durable dans la province obéissait au contraire à un schéma qui devrait se reproduire dans les années à venir : dans la mesure où les forces françaises risquent de se trouver de plus en plus fréquemment confrontées à des conflits intra-étatiques, dits de basse intensité, marqués par une problématique ethnique, dans des pays souvent déshérités, le Kosovo peut être considéré comme un cas d'école. M. François Lamy a souligné à ce propos qu'au Kosovo, les forces françaises assuraient aussi bien des missions classiques de sécurisation de populations menacées que des missions plus nouvelles de participation à la construction d'une économie viable. Il a mis l'accent sur deux missions qu'il jugeait particulièrement révélatrices de la nature des tâches qu'il reviendrait aux militaires d'assumer dans l'avenir.

La première d'entre elles concerne la problématique du contrôle de foule. M. François Lamy a exposé que la crise récente avait conduit les forces françaises à mener une réflexion approfondie sur ce concept, à l'instar d'ailleurs d'autres composantes de la KFOR, comme le contingent danois. Il a indiqué à cet égard que les forces danoises, comme M. Robert Gaïa et lui-même avaient pu le constater lors d'une démonstration, avaient structurellement intégré dans leur équipement le bouclier, le casque et des méthodes d'intervention spécifiques. Il a estimé que le terme de « contrôle de foule » soulignait la novation et la difficulté que représentait, pour l'armée de Terre, la nécessité de canaliser un grand nombre de civils -hommes, femmes, enfants- dont certains pouvaient être extrêmement violents, parfois fortement armés, sans recourir à des moyens militaires classiques. Il a précisé que, selon les personnels de l'armée de Terre, il ne s'agissait en aucun cas de maintien de l'ordre tel que le pratiquent les gendarmes mobiles, notion qui présupposait généralement le respect mutuel de règles acceptées de part et d'autre. Il a évoqué à ce propos l'unanime insistance de ses interlocuteurs sur la violence extrême et l'imprévisibilité totale des populations avec lesquelles ils étaient en contact.

M. François Lamy a indiqué qu'à Mitrovica, une seule unité de l'armée de Terre, la Compagnie de Réserve opérationnelle, était apte à exercer des tâches de contrôle de foule, en complément de l'escadron de gendarmerie mobile français et du bataillon danois. Les membres de cette compagnie, issus d'une brigade d'infanterie mécanisée, bénéficient d'une formation de 3 semaines au centre d'entraînement de la gendarmerie mobile de Saint-Astier, où ils reçoivent deux enseignements, de 20 heures chacun, l'un théorique (acquisition des bases légales du cadre juridique d'emploi et de connaissances sur la psychologie des foules) et l'autre technique ainsi qu'un entraînement de terrain de 100 heures. Ils disposent également d'un équipement spécifique, largement inspiré de celui des gendarmes mobiles, qui inclut toutefois le FAMAS. M. François Lamy a expliqué que cette compagnie intervenait, soit lorsque la situation dégénérait et que le recours aux techniques habituelles de maintien de l'ordre par la Gendarmerie devenait impossible, soit à titre préventif, en attendant l'arrivée des gendarmes mobiles, le dispositif de terrain étant configuré de façon à permettre l'intervention de l'une ou l'autre unité selon l'évolution de la situation.

M. François Lamy a évoqué un deuxième champ d'intervention des armées en opération extérieure, qu'illustre le concept d'affaires civilo-militaires. Tout en précisant qu'il ne s'agissait pas là d'une innovation puisque cette notion était déjà appliquée en Bosnie-Herzégovine, il a estimé néanmoins important que la Commission étudie de manière approfondie ce mode d'intervention aussi large que flou et promis à un certain avenir dans la mesure où les terrains de conflits étaient généralement des zones déstructurées d'un point de vue politique, économique et social. Il a illustré sa remarque par l'exemple du Kosovo, où fonctionne actuellement un système parallèle dont l'opacité est peu compatible avec l'émergence d'institutions démocratiques.

Prenant par ailleurs l'exemple de la zone de déploiement de la Brigade multinationale nord dont la France a la responsabilité, il a insisté sur l'importance du levier économique dans ce qui représente la seule région industrielle du Kosovo. Il a jugé que l'armée devait y travailler en étroite concertation avec l'Union européenne, chargée de la reconstruction économique, mais également avec les entreprises françaises. Par ailleurs, il a estimé que, pour être « compétitive » sur le marché de la reconstruction économique, l'armée devait également réussir à recruter des spécialistes en ce domaine, notamment dans le vivier des réservistes.

En conclusion, M. François Lamy a insisté sur la contribution que l'état-major de l'Eurocorps pouvait apporter à l'émergence de l'Europe de la défense en assurant le commandement de la KFOR, même s'il ne représente que 35 % de son quartier général. Il a également estimé que les enseignements dégagés au niveau national sur les missions des forces envoyées en opération extérieure devaient être étendus au plan européen, dans la mesure où le projet de défense européenne se définissait désormais autour de la notion même de projection.

M. Robert Gaïa a fait part de son étonnement devant le décalage entre le climat de tension extrême dans la zone nord, en particulier à Mitrovica, et la situation dans le reste du Kosovo où les services publics recommencent à fonctionner et l'activité à reprendre normalement. Il a rendu hommage à l'action des forces françaises sur qui reposait l'essentiel de l'effort en faveur du rétablissement d'une société multi-ethnique au Kosovo en raison de l'imbrication des populations dans la zone dont elles avaient la charge. Il a alors salué l'engagement des militaires français sur le terrain et le sentiment qu'ils avaient de l'importance de leur mission. Il a cependant regretté que la capacité d'intervention des forces françaises dépende fortement de la personnalité de leurs commandants et de la perception qu'ont ces derniers de la situation.

S'interrogeant sur la différence entre la réalité du terrain et une certaine vision manichéenne qui pouvait avoir cours à l'OTAN, il a proposé à la Commission trois thèmes de réflexion sur la difficulté à assurer la continuité dans l'action par-delà les relèves du commandement, sur la capacité des unités à remplir des missions de maintien de l'ordre qui peuvent dégénérer en véritables actions de guerre, et enfin sur le concept d'affaires civilo-militaires. A cet égard, il a regretté que les actions civilo-militaires, qui constituent un levier essentiel pour reconstruire le Kosovo, soient dispersées entre plusieurs intervenants (ministère de la Défense, ministère de la Coopération, mission interministérielle Fauroux) sans faire l'objet d'une véritable coordination nationale.

M. Robert Poujade a fait observer que se multipliaient les situations dans lesquelles la frontière entre les opérations de guerre et les actions de maintien de l'ordre devenait de plus en plus indécise. Sans exprimer de jugement a priori catégorique, voire catégoriel sur la coexistence qui en résultait entre forces de Gendarmerie et forces terrestres, il a souligné que leurs actions pouvaient alors se compléter mais aussi se confondre. Il en a déduit qu'il était difficile de concevoir des forces capables de mener à la fois des missions militaires classiques et d'autres relevant de la sécurité publique. Rappelant la longue expérience du maintien de l'ordre que possède la gendarmerie mobile, il s'est interrogé sur la situation délicate de l'armée de Terre dont il a souligné la brièveté de la formation en ce domaine spécifique. Il en a conclu à la nécessité, pour la Commission, de suivre de manière vigilante l'évolution des missions des armées.

M. Robert Gaïa a alors souligné la différence de nature entre les conditions d'intervention de la gendarmerie mobile en France, généralement prévisibles et familières, et la situation prévalant au Kosovo, qui en l'espace de quelques minutes pouvait revêtir un caractère d'affrontement extrêmement violent, voire de guerre.

M. Robert Poujade a, pour sa part, estimé que, si les missions de la Gendarmerie pouvaient aller jusqu'à la défense opérationnelle du territoire, la gendarmerie mobile étant du reste équipée à cet effet de véhicules blindés, en revanche, le maintien de l'ordre ne faisait pas partie des métiers de l'armée de Terre.

M. François Lamy a remarqué qu'au Kosovo, l'action des forces dépendait fortement des orientations que lui imprimait sur place leur commandement. Il a indiqué qu'au fil des trois missions qu'il y avait conduites, il avait vu cette action évoluer, la partition de Mitrovica étant d'abord peu combattue, puis le dispositif ayant été modifié pour redéployer les forces, initialement concentrées en zone albanophone, vers la zone nord où elles travaillaient désormais à garantir une zone de confiance.

S'agissant du maintien de l'ordre, il a exposé qu'il ne pouvait être réduit au simple contrôle de manifestations, mais que la clé en résidait dans le maintien d'un bon climat général, reposant sur une présence régulière des forces dans l'ensemble des secteurs et sur une action de renseignement soutenue. Il a fait valoir qu'actuellement cette tâche incombait à l'ensemble des forces, et non pas seulement aux détachements de Gendarmerie spécialement affectés au maintien de l'ordre.

Il a estimé qu'en conséquence une réflexion devait être engagée sur la contribution de la Gendarmerie aux opérations extérieures et considéré que la dévolution à l'armée de Terre de tâches de maintien de l'ordre ne pouvait être la simple conséquence de l'inadaptation de la gendarmerie mobile aux missions de projection hors du territoire national.

Il a également souligné les inconvénients d'une telle situation dans la mesure où les qualités dont les militaires doivent faire preuve en situation de guerre et de maintien de l'ordre sont foncièrement différentes, voire contradictoires. Rappelant que la volatilité de la situation du Kosovo rendait leur tâche exceptionnellement délicate, il a observé que l'essentiel de la Compagnie de Réserve opérationnelle au Kosovo était composé de jeunes soldats, effectuant souvent leur premier séjour en opérations extérieures, et ne disposant pas de l'expérience qui caractérise les escadrons de gendarmerie mobile.

M. André Vauchez s'est interrogé sur l'état d'esprit des jeunes soldats engagés au Kosovo. Observant que les militaires y étaient souvent pris à partie, il a demandé si cette agressivité était le fait d'une partie de la population ou de son ensemble.

M. Pierre Lellouche a regretté que les forces françaises aient été engagées sans conception claire de la gestion de la crise ou des objectifs permettant d'en sortir. Comme pour la Bosnie-Herzégovine, aucun statut futur n'a encore été défini pour le Kosovo. Il a craint que la même situation ne se reproduise en cas d'engagement des forces françaises dans une opération au Liban sud et demandé que, dans une telle hypothèse, des règles du jeu précises soient définies au préalable.

Il a également souligné la confusion qui pouvait régner entre, d'une part une mission de restauration de la paix et d'autre part des tâches de reconstruction d'un Etat, estimant que les personnels civils formés à ce type de tâche n'étaient pas assez nombreux.

Enfin, indiquant qu'il recevait fréquemment des candidatures de personnes volontaires pour servir à des titres divers au Kosovo, il a regretté que la lourdeur et la complexité des procédures découragent les bonnes volontés.

Le Président Paul Quilès a rappelé qu'au printemps 1999, à quelques nuances près, l'ensemble de la Représentation nationale considérait qu'il était indispensable d'être présent au Kosovo pour rétablir la paix.

En ce qui concerne la sortie de crise, M. Georges Lemoine a fait remarquer que les circonstances avaient évolué et que, alors que l'an dernier l'indépendance du Kosovo était rejetée de manière absolue, une solution fédérale étant préférée à titre définitif, il fallait désormais prendre en compte des paramètres nouveaux.

Il s'est toutefois déclaré inquiet de la volonté des Kosovars albanophones de parvenir à l'indépendance du Kosovo estimant que cette indépendance risquait de nourrir des aspirations à une grande Albanie. Il a en définitive exprimé la crainte que la présence internationale ne prépare une situation non souhaitée par les Etats qui l'avaient initialement mise en place.

Il a par ailleurs fait remarquer que la gendarmerie mobile n'avait jamais été dans une situation de dépaysement total au Kosovo, les événements survenus en Nouvelle-Calédonie en 1985-1986 ayant peut-être été plus difficiles encore en raison de l'absence, à ses côtés, de l'armée de Terre. Il a reconnu que le grand sang-froid dont avaient fait preuve les forces françaises dans les moments les plus difficiles était d'autant plus méritoire que les militaires présents au Kosovo paraissent considérés comme des troupes d'occupation par les deux camps.

M. François Lamy a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- l'état d'esprit des militaires français est excellent au Kosovo car ils sont attirés par le caractère novateur de leurs missions ;

- s'ils sont pris à partie par l'ensemble des communautés, c'est qu'ils constituent la seule composante visible de la présence étrangère à Mitrovica. En effet, la longue absence de représentants de la présence civile dans la zone nord n'a pas permis d'instaurer un dialogue continu avec la population. En outre, les forces de police de cette présence civile ne sont pas encore opérationnelles, le caractère hétérogène de leur recrutement ne permettant pas d'assurer dans les meilleures conditions leurs missions d'investigation et d'intervention ;

- il est difficile de déterminer a priori l'objectif de sortie de la crise au Kosovo en raison de nombreux facteurs politiques et diplomatiques ainsi que de l'évolution permanente de la situation sur le terrain. L'absence de lien institutionnel entre la KFOR et la MINUK représente une difficulté non résolue et les relations entre ces deux structures dépendent essentiellement des relations personnelles des autorités qui les dirigent. Les généraux français commandant la Brigade multinationale nord doivent à la fois répondre aux sollicitations du représentant de l'ONU et aux ordres du SACEUR tout en maintenant des liens directs avec la chaîne de commandement nationale ;

- afin d'éviter les difficultés en cas de détérioration de la situation politique locale, il serait souhaitable qu'existe, au sein des forces militaires françaises, un représentant politique du Ministre des Affaires étrangères ou du Premier ministre en lien avec le Chef du bureau de liaison de Pristina.

Après qu'à sa demande, M. François Lamy eut précisé que le bataillon italien de carabiniers présent au Kosovo, constitué pour l'occasion, disposait d'un double équipement, militaire et de sécurité publique, et qu'il avait bien effectué des interventions sur le terrain, M. Robert Poujade a souligné que le maintien de l'ordre était mieux assuré par des professionnels chevronnés que par des soldats de l'armée de Terre dont le métier implique de rendre les coups reçus. Il a alors proposé que soient constitués des états-majors combinés de l'armée de Terre et de la Gendarmerie qui pourraient mieux organiser le recours à des moyens adaptés soit aux opérations de guerre soit au maintien de l'ordre selon les cas.

M. Robert Gaïa a alors fait valoir que le parallèle avec la Nouvelle-Calédonie ne pouvait être soutenu, celle-ci faisant partie du territoire national ; il a exprimé son désaccord avec une conception qui exigerait la définition d'objectifs excessivement contraignants en préalable aux interventions militaires, l'évolution des situations risquant alors de paralyser l'action. S'agissant de la sortie de crise, il a souligné l'importance de la contribution que pouvaient y apporter les actions civilo-militaires et l'aide économique.

M. Michel Dasseux a indiqué que la formation dispensée aux gendarmes mobiles, à Saint-Astier, intégrait désormais un large spectre d'interventions en prévision de toutes les situations possibles, depuis le maintien de l'ordre jusqu'à l'intervention armée.

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