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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 14 février 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hans Eichel, ministre allemand des finances, en présence de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

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La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé l'audition de M. Hans Eichel, ministre allemand des finances.

Le Président Henri Emmanuelli a souhaité la bienvenue à M. Hans Eichel, en relevant que cette audition était une première dans l'histoire de la commission des finances et qu'elle faisait suite à une précédente audition de M. Laurent Fabius devant la commission des finances du Bundestag.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a confirmé les propos du Président Henri Emmanuelli. Le dialogue franco-allemand constitue l'ordinaire du travail des ministres alors qu'il n'est pas aussi développé entre les parlements nationaux, ce qui est regrettable.

M. Hans Eichel a tout d'abord indiqué que l'opinion publique allemande et les parlements nationaux n'avaient pas encore pris pleinement conscience du cadre européen dans lequel s'inscrit désormais la politique économique et financière. La question qui se pose est celle de l'influence des parlements, notamment sous forme de négociations conjointes, préalables aux décisions de Bruxelles.

Au-delà de la solidité des intérêts économiques unissant la France et l'Allemagne, la réconciliation des deux pays depuis cinquante ans revêt une portée affective très forte, comme le montre encore aujourd'hui l'immense succès du film français « Huit femmes » au festival de Berlin.

La coordination des politiques nationales en matière économique et financière est une réalité incontestable. Au sein de l'eurogroupe, les débats sont permanents : la concurrence fiscale déloyale et la fiscalité de l'épargne en sont autant d'exemples. L'harmonisation de la taxation des plus-values et des bénéfices en Europe est une nécessité, mais elle doit se faire dans une transparence accrue. L'avènement de l'union monétaire semble incompatible avec une trop grande disparité des systèmes d'imposition. On pourrait ainsi envisager d'adopter des assiettes d'imposition comparables au sein de l'union monétaire en admettant une modulation des taux selon les pays, puis en les rapprochant.

L'introduction de l'euro a constitué une réussite tangible de la coopération franco-allemande et de l'intégration européenne au sein de laquelle chacun défend ses intérêts sans les imposer aux autres, notamment aux petits pays. L'euro est un pilier qui soutient la maison commune.

La consolidation des finances publiques est un objectif important pour l'Allemagne qui prévoit un budget public global proche de l'équilibre en 2004. Il faut toutefois souligner qu'en raison de l'autonomie budgétaire des Lander, la responsabilité de l'État fédéral dans l'équilibre des finances publiques n'est pas totale. L'équilibre budgétaire est un objectif essentiel et son inscription dans le pacte de stabilité européen met chaque État en face de ses responsabilités, même si la croissance du budget communautaire ne semble pas refléter une discipline aussi stricte que celle qui est imposée aux États membres de l'Union.

Le principe de subsidiarité doit présider à la répartition des compétences en Europe laquelle passe aussi par une réforme, en Allemagne, de l'équilibre entre les Lander et l'État fédéral.

La Commission européenne doit se concentrer sur des secteurs essentiels : cependant, l'intégration de l'Union peut encore se développer dans des domaines comme la défense, la politique étrangère, le droit d'asile ou la réglementation applicable aux étrangers.

Le principe de subsidiarité doit aussi s'appliquer entre le secteur public et le secteur privé. L'attachement au secteur public fait partie intégrante du modèle social européen qu'il faut préserver dans le contexte actuel de la mondialisation. Ceci n'exclut pas la libéralisation de certains secteurs comme celui des télécommunications en Allemagne, qui s'est soldée par une amélioration du rapport coût/efficacité des prestations fournies. La croissance et le développement du marché unique ne peuvent faire fi des spécificités nationales.

La situation de l'emploi est relativement difficile dans de nombreux pays, mais l'amélioration de la situation économique prévue en 2002 devrait permettre une baisse du chômage, laquelle ne pourra être très importante et durable que si des réformes structurelles concertées entre les différents pays européens sont menées à bien.

La concertation doit, d'une manière générale, s'étendre aux pays d'Europe de l'Est, et notamment à la Pologne, avec laquelle la France entretient des relations amicales très anciennes. L'élargissement de l'Union européenne à l'Est est le seul garant de la paix, de la démocratie et du respect des droits de l'homme dans l'ensemble du continent ; c'est une formidable chance pour les pays de l'Est. C'est aussi une chance pour les membres de l'Union européenne, y compris pour ceux qui sont situés les plus à l'Ouest : à moyen terme, seule une Europe vaste et parlant d'une seule voix pourra avoir un poids politique au niveau international.

Mais l'élargissement ne pourra se réaliser qu'à la suite d'une adaptation des règles européennes et le rattrapage du niveau de vie de l'Ouest par les pays de l'Europe de l'Est prendra nécessairement du temps et exigera des efforts de leur part, efforts que la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande ont parfaitement réalisés depuis leur entrée dans l'Union. Il est notamment très urgent de réformer la politique agricole commune. Les capacités financières limitées de l'Union européenne ne constituent pas la seule motivation de cette réforme ; elle est aussi indispensable pour ouvrir les marchés européens aux agricultures des pays pauvres, nécessité qui a été clairement mise en avant au cours des récents forums économiques et sociaux mondiaux. Outre la stabilisation interne des marchés nationaux, ces forums ont mis l'accent sur le rôle des institutions financières internationales, sur celui de l'aide au développement, et sur la nécessaire ouverture des marchés agricoles, pour permettre une amélioration du niveau de vie des pays pauvres.

L'Europe doit aussi accomplir sa réforme structurelle avant tout élargissement. Le vote à l'unanimité doit notamment être remplacé par un vote à la majorité qualifiée, point sur lequel la France et l'Allemagne sont parfaitement d'accord. Les parlementaires nationaux ont un rôle évident à jouer dans le cadre des travaux de la Convention pour l'avenir de l'Union, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing. Il est prévu qu'une conférence intergouvernementale se prononce en 2004 sur les propositions que la Convention aura élaborées. Nous sommes entrés dans une phase décisive pour la construction européenne, dans laquelle le couple franco-allemand a un rôle essentiel à jouer.

Après avoir remercié M. Hans Eichel pour la franchise de ses propos relatifs au présent et à l'avenir immédiat de l'Union européenne, le Président Henri Emmanuelli est revenu sur la question de l'aide aux pays en voie de développement. Si la demande de l'ouverture des marchés européens est compréhensible, l'Europe n'en a pas moins des intérêts à sauvegarder, en particulier s'agissant de la politique agricole commune qui demeure un fondement de la construction européenne. L'ouverture des marchés est présentée comme ayant un coût immédiat nul, mais elle peut s'avérer à terme bien plus coûteuse que l'aide au développement.

La maîtrise des finances publiques ne doit pas faire oublier la nécessité de soutenir l'emploi et la croissance, objectifs qu'une baisse des taux d'intérêt pourrait favoriser. L'introduction de l'euro a été un grand succès, mais l'Union européenne manque d'outils budgétaires et fiscaux pour combattre le ralentissement économique : à quelle solution M. Hans Eichel serait-il plutôt favorable : un impôt européen ou un fonds de soutien conjoncturel ?

M. Philippe Auberger a d'abord rappelé que M. Hans Eichel avait, un moment, évoqué l'idée d'assouplir le pacte de stabilité, idée qu'il a par la suite abandonnée, ce qui lui a d'ailleurs permis d'éviter un avertissement par le Conseil eurogroupe. Or, l'une des vertus de ce pacte, est qu'il permet d'éviter que la Banque centrale européenne ne s'immisce dans la gestion budgétaire des États européens et, ne serait-ce qu'à ce titre, il est absolument nécessaire de maintenir ce pacte de stabilité et de croissance. S'il est effectivement nécessaire de poursuivre l'harmonisation fiscale, il faut observer que celle-ci est actuellement bloquée par la règle de l'unanimité. M. Hans Eichel serait-il d'accord pour abandonner cette règle et passer à la majorité, selon quelles modalités et dans quel délai ? Enfin, la croissance en Europe dépendant étroitement de la croissance allemande, comment le ministre explique-t-il l'affaiblissement actuel de la croissance allemande et quelles solutions propose-t-il pour y remédier ?

Commençant par citer Jean Jaurès, pour qui « la vérité est toujours révolutionnaire », M. Jean-Pierre Brard s'est interrogé sur l'affirmation de M. Hans Eichel expliquant que le XXIème siècle serait le siècle de la construction de la paix en Europe. Néanmoins, la paix est avant tout le résultat d'un projet de justice sociale. L'harmonisation fiscale se réalisera-t-elle par le « bas » ou par le « haut » ? Par ailleurs, si chaque ministre des finances est lié par ses rencontres bruxelloises avec ses collègues on peut s'interroger sur l'utilité des parlements et, en particulier, de leur commission des finances. L'Allemagne a récemment échappé à un avertissement, pour risque de déficit budgétaire excessif, proposé par la commission et pourtant M. Hans Eichel se déclare en accord avec la politique d'« austérité » préconisée par celle-ci. Avec plus de quatre millions de chômeurs faut-il poursuivre cette politique d'austérité ou effectuer un « virage à gauche » ?

Mme Nicole Catala a rappelé que l'eurogroupe était un des premiers exemples d'une Union européenne « à géométrie variable ». Or, tout le monde est d'accord pour estimer que son fonctionnement est très insatisfaisant. Quelles solutions sont dès lors envisageables pour améliorer ce mode de fonctionnement et celui-ci est-il applicable dans d'autres domaines, par exemple la Défense ?

M. Louis Mexandeau a souhaité revenir sur la capacité qu'ont les collectivités locales allemandes de s'endetter en s'interrogeant sur l'ampleur de ces endettements, et sur la possibilité de faire évoluer les choses en France, dans le sens d'une plus grande décentralisation, face à la forteresse qu'est Bercy.

M. Laurent Fabius, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a souhaité répondre à M. Louis Mexandeau en rappelant qu'en Allemagne, la situation du budget de l'État fédéral n'était pas mauvaise. Les dépenses publiques de l'État on même baissé de 2 % par an, ces dernières années. Mais les collectivités locales enregistrant des déficits importants, on aboutit à un déficit global très proche de la limite de 3 % posée par le pacte de stabilité et de croissance. Il convient donc de ne pas laisser accumuler des déficits nationaux et locaux simultanés.

M. Hans Eichel a répondu que le problème allemand est simple à décrire : la mise en _uvre d'une politique de consolidation de la croissance est arrivée trop tard. Des plans ont été échafaudés en 1999 mais ils n'ont pu être appliqués qu'en 2000. Les organismes de sécurité sociale n'ont pas le droit de s'endetter et donc la sécurité sociale a une contribution positive à l'équilibre des finances publiques, de l'ordre de 0,75 % du PIB. Quant aux communes, elles peuvent effectivement emprunter mais elles le font sous le contrôle des Länder et leur endettement reste modeste - les Länder, quant à eux, ne connaissent pas de plafond d'emprunt, l'État fédéral ne pouvant pas empiéter sur leurs prérogatives. Malheureusement, le déficit de l'État est grevé par le poids de la dette, poids supérieur à l'investissement réalisé, ce qui s'explique par la réunification, opération qui n'a pas enrichi l'Allemagne, bien au contraire. Encore aujourd'hui, l'Est de l'Allemagne coûte 3,5 % du PIB par an. À terme, l'emploi sera victime d'un accroissement de l'endettement, car le coût de la dette reste très important en raison des taux d'intérêt : 22 % des recettes fiscales sont affectées au service de la dette, autant de recettes qui ne peuvent être consacrées à des dépenses d'éducation ou d'infrastructure. Or, l'ensemble de l'Union européenne, et en particulier l'Allemagne, va être affecté par le vieillissement de la pyramide des âges. Si on lègue aux génération futures, en plus de ce problème, un endettement public important, la justice sociale intergénérationnelle sera atteinte. Aussi faut-il réorienter les budgets vers des politiques de « qualité » et investir dans la matière grise, en particulier vers les budgets de l'éducation nationale.

M. Hans Eichel a ensuite apporté les réponses suivantes :

- quand la conjoncture ralentit trop fortement, il est normal que les stabilisateurs automatiques jouent, qu'un effort de consolidation de l'activité soit mené, tout en essayant de réduire la dette. L'Allemagne s'est heurtée à diverses difficultés concomitantes, et les prévisions des économistes n'ont pas, de très loin, été conformes à la réalité ;

- à propos de la PAC, toute réforme sera nécessairement subordonnée à un accord préalable franco-allemand. Chacun connaît les termes du compromis historique entre la France et l'Allemagne, entre les aspects agricoles et industriels, au début de la construction européenne. Avec le prochain élargissement, la donne change, une réforme est nécessaire, elle l'est aussi vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce ;

- s'agissant des relations économiques Nord-Sud, il faut être conscient que le soutien du Nord à ses produits, qui prive les produits du Sud de débouchés commerciaux, comporte un coût non prévu, celui de l'aide au développement dont nous dotons les pays du Sud, en retour, par bonne conscience. Comme cela a été dit au G7, les pays du Sud doivent avoir accès au marché ;

- seule une politique budgétaire saine permettra la baisse des taux d'intérêt. Même si au sein de l'eurogroupe, la discussion en la matière est très ouverte, il convient de respecter l'indépendance de la BCE ;

- l'idée d'impôt européen est épineuse ; il faut veiller à ne pas la rendre impopulaire auprès des citoyens de l'Union en laissant accroire qu'il s'agirait d'un impôt de plus. Les surplus dégagés par l'impôt européen devraient servir à alléger la pression fiscale à l'échelle nationale ;

- les écarts entre les prévisions de croissance et les chiffres constatés étant parfois très importants, le meilleur rôle de pilote qu'un État puisse jouer est donc de créer un environnement favorable à l'investissement, d'être un stabilisateur crédible, un régulateur de l'épargne. De ce point de vue, le Pacte de stabilité et de croissance est un très bon outil, de l'avis unanime au sein de l'eurogroupe. Le respect du Pacte par les États membres doit être l'occasion de discussions et d'échanges, il l'a été tout récemment. Il importe que la Commission n'agisse pas de manière unilatérale ;

- la croissance allemande a été et demeure tributaire de la réunification. Les succès ont été nombreux, mais quelques ajustements se sont révélés nécessaires, concernant certains allégements fiscaux en particulier, ce qui a pu conduire à une crise sectorielle comme celle du bâtiment, qui a coûté 0,8 point de croissance et même 2 à 3 points en ex-RDA, où l'économie était particulièrement vulnérable. Il en résulte aujourd'hui un niveau de chômage très élevé, que l'on ne pourra vraisemblablement pas faire baisser avant 2010. Cela doit servir de leçon pour l'élargissement de l'Union européenne à venir ;

- l'eurogroupe ne saurait être taxé d'inefficacité, même si la coordination entre ses membres doit être renforcée afin de permettre une mise en _uvre effective de projets en cours de discussion, comme l'éventuelle réforme fiscale. Une instance supplémentaire n'apparaît pas nécessaire.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a tenu à faire une mise au point sur la réactivité comparée des États-Unis et des États européens face au ralentissement de la conjoncture économique : contrairement à une idée répandue, nous avons, tout autant que les États-Unis , fait jouer les stabilisateurs automatiques et injecté des liquidités dans l'économie, notamment grâce à l'augmentation de la quotité des prêts de la BEI, de 50 à 75 %. Mais nous l'avons moins bien fait savoir.

Le Président Henri Emmanuelli a conclu en remerciant les intervenants et en souhaitant que ce type de rencontre puisse se renouveler à l'avenir.

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