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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 25 juin 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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Examen d’un rapport d’information de M. Yves Tavernier sur la situation économique et financière de la Nouvelle-Calédonie.


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La Commission a procédé à l’examen du rapport d’information présenté, en application de l’article 145 du Règlement, par M. Yves Tavernier sur la situation économique et financière de la Nouvelle-Calédonie.

Présentant le rapport d’information, au nom de la délégation de la commission des Finances qu’il conduisait, M. Yves Tavernier a tout d’abord précisé que son déplacement en Nouvelle-Calédonie avait coïncidé avec la phase finale des négociations sur l’avenir du Territoire. Il a rappelé que les accords de Matignon avaient posé le principe d’un rééquilibrage politique, économique et social entre les communautés afin de parvenir à un développement équilibré dans un délai de dix ans et que la mission de la Commission avait précisément pour objet de faire le bilan économique et financier de leur application et de formuler quelques propositions.

Observant que le PIB par habitant de la Nouvelle-Calédonie était comparable à ceux de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, il a fait part des atouts économiques dont disposait le Territoire, citant notamment les importantes ressources en latérites et garniérites qui permettent la production de nickel et dont la Nouvelle-Calédonie possède 10 % des réserves mondiales exploitables. Il a rappelé que la métallurgie du nickel était exclusivement réalisée par l’entreprise Société le Nickel (SLN) et que ce secteur représentait 80 % de la valeur des exportations du Territoire et 10 % de son PIB.

Il a ensuite souligné les autres richesses du Territoire, particulièrement dans le domaine touristique, agricole et halieutique, rappelant que sa zone économique exclusive représentait la moitié de la surface de la mer Méditerranée. Il a relevé que le Territoire, notamment à cause de l’éloignement de la métropole et d’un marché limité à environ 200.000 habitants, restait une économie insulaire marquée par le poids des importations de la métropole et des transferts publics, qui s’élevaient, en 1997, à un peu plus de 4 milliards de francs. Il a noté qu’une grande partie de ces sommes revenait à la métropole sous forme de bénéfices ou de rémunérations épargnées.

Il a expliqué que les Accords de Matignon, qui visaient notamment à aider les populations mélanésiennes à rattraper leur retard, avaient permis la conclusion de « contrats de développement » entre les Provinces et l’État, dont le montant total contractualisé pour la période 1993-1997 se montait à 3,9 milliards de francs, dont 1,65 milliard de francs à la charge de l’État. Il s’est félicité des résultats positifs de cette procédure, particulièrement en matière de voirie, d’équipement scolaire et d’infrastructures hospitalières. Il a souligné le rôle joué par l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF), chargée de procéder à une nouvelle répartition foncière entre Européens et Kanak, en remarquant l’équilibre entre le foncier européen et kanak sur la Grande Terre, le Grand Nouméa restant une terre européenne. Il a néanmoins fait valoir que, compte tenu de la nature de la société mélanésienne, ces terres étaient surtout consacrées à des ressources vivrières et ne constituaient pas encore le support d’une agriculture performante.

Notant que l’ambition des Accords de Matignon s’était heurtée aux pesanteurs des mentalités et de l’histoire économique du Territoire, il a estimé que, dix ans après la conclusion des Accords de Matignon, l’économie de la Nouvelle-Calédonie restait encore marquée par le poids des administrations et des services, particulièrement du commerce, et que la production locale restait insuffisamment diversifiée. Concernant la nécessité d’un rééquilibrage provincial, il a remarqué que la dernière décennie n’avait pas permis d’estomper la force d’attraction de Nouméa, qui regroupait 80 % des cadres et des professions libérales travaillant sur le Territoire. Il a observé que les projets d’usine métallurgique ou de port de pêche dans la province Nord présentaient encore beaucoup d’incertitudes. Il a souligné l’effort réalisé en matière de formation des cadres mélanésiens, rappelant qu’en ce domaine la situation était particulièrement préoccupante en 1998.

Le Rapporteur a ensuite expliqué que ce constat avait amené la délégation à formuler quelques propositions, ainsi l’engagement d’un débat sur le niveau des traitements de la fonction publique travaillant outre-mer, qui, comme l’avait constaté récemment le Commissariat général du Plan, perturbait le mode de formation des prix et des salaires. Il a souhaité une clarification des relations entre les collectivités locales et une redéfinition du rôle des communes. Après avoir évoqué les contentieux existant sur le montant des ressources redistribuées par le Territoire et le niveau des charges respectivement supportées par le Territoire et les communes, particulièrement en matière de voirie, il a estimé opportun un audit général des charges pesant sur chaque collectivité.

Quant au projet d’usine métallurgique de nickel en province Nord, qui, selon le FLNKS, contribuerait au rééquilibrage provincial, il a rappelé que cette entreprise constituait un projet industriel soumis à de nombreuses inconnues, notamment la capacité d’absorption par le marché de cette nouvelle capacité de production. Il s’est déclaré favorable à une diversification de l’économie néo-calédonienne, notamment en matière de pêche et de tourisme. Il a estimé que le succès des Accords de Nouméa restait subordonné à la promotion des populations mélanésiennes, objectif rendu possible, d’une part, par la réforme et le développement de l’activité de l’ADRAF, particulièrement dans les zones urbanisées et, d’autre part, par la poursuite de l’effort en matière de formation.

Il a enfin rappelé que, pendant la décennie 1988-1998, l’État avait respecté ses engagements, notamment budgétaires. Il a conclu en notant que les clés d’un développement économique équilibré et les conditions d’une croissance soutenable dépendaient désormais de la volonté des acteurs locaux.

Parmi les constats effectués par la mission à laquelle il appartenait, M. Philippe Auberger a salué particulièrement l’effort accompli pour le développement des lycées, qui permet désormais aux jeunes des îles de préparer sur place le baccalauréat. Il s’est félicité de la constitution de l’université de Nouméa en université de plein exercice qui va dans le sens de la promotion des élites locales par le développement de l’enseignement supérieur. Il a enfin mentionné l’amélioration des équipements de santé publique, notamment dans la province du Nord.

M. Jean–Pierre Delalande a demandé des précisions sur la situation de l’emploi en Nouvelle–Calédonie.

Après avoir salué la qualité et l’intérêt du rapport de M. Yves Tavernier, M. Gilbert Gantier a souligné que le niveau d’éducation très élevé de la Nouvelle–Calédonie plaçait le Territoire dans une situation comparable à celle de la Nouvelle–Zélande et a considéré que cette observation permettait de relativiser le sentiment de culpabilité entretenu par certains à propos de la « colonisation », en montrant que le niveau de formation était, avec le développement du système de santé, un des acquis de la présence française.

M. Pierre Hériaud, après avoir relevé que le produit intérieur brut du Territoire était constitué à 80 % par le produit des services, marchands ou non marchands, s’est interrogé sur l’essor de l’économie touristique en Nouvelle–Calédonie, et plus particulièrement sur la durée moyenne des séjours qui conditionne largement la rentabilité des équipements dans ce domaine.

En réponse aux intervenants, le Rapporteur a notamment indiqué :

– pour l’appréciation du chômage, il convient de distinguer entre la population d’origine européenne où le taux de chômage, de 10 %, est un peu inférieur à la moyenne nationale et la population d’origine kanak pour laquelle la notion même de chômage n’a guère de sens en raison de la prise en charge par la communauté des personnes qui la composent ;

– en dépit de l’éloignement de la métropole, l’ouverture à la concurrence des lignes aériennes en direction de la Nouvelle–Calédonie, a créé un apport de touristes supplémentaires, notamment en raison de la baisse des prix qu’elle a permise. Par ailleurs, la mission a pu noter l’importance du tourisme japonais, notamment de jeunes couples qui choisissent le Territoire pour s’y marier ; cependant, le développement des infrastructures surtout dans la province du Nord paraît un préalable à l’essor du tourisme même si l’on note de premiers efforts en faveur du tourisme chez l’habitant dans les familles kanak.

Usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Pierre Frogier a exprimé, en son nom propre et en celui de M. Jacques Lafleur, sa reconnaissance pour la marque d’intérêt qu’a manifestée la commission des Finances par l’envoi d’une mission dans le Territoire qu’ils représentent. Il a fait remarquer que le développement de l’équipement hôtelier, évoqué par plusieurs commissaires, était lié, pour une bonne part, à la défiscalisation qui fait l’objet, par ailleurs, des préoccupations de la commission des Finances. Il a souligné que l’autonomie fiscale de la Nouvelle–Calédonie, liée par une convention spécifique avec la métropole depuis 1983, avait empêché le Territoire de profiter pleinement des effets bénéfiques de la loi Pons et que l’absence de dispositif d’encouragement de substitution ne manquerait pas de pénaliser les efforts d’investissement dans le domaine touristique, pouvant mettre en péril la bonne application des accords de Nouméa. Il a enfin souhaité que le Parlement manifeste un intérêt plus soutenu pour l’affaire du nickel sur laquelle la Nation ne lui paraissait pas avoir été correctement informée. Il a mis en garde contre l’erreur qui consisterait à polariser l’attention sur l’exploitation des minerais les plus riches, rappelant qu’à long terme l’exploitation de gisements, considérés actuellement comme plus pauvres en nickel, donnerait à la France un atout industriel qu’elle ne devrait pas négliger.

——fpfp——


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