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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 66

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er juillet 1998
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur l’exécution 1998 et les perspectives pour 1999 des crédits de son ministère


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La Commission a procédé à l’audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur l’exécution 1998 et les perspectives pour 1999 des crédits de son ministère.

Interrogeant le Ministre sur l’exécution de la loi de programmation, M. Didier Migaud, Rapporteur général, a souhaité savoir si le programme d’économies engagé serait suffisant ou s’il faudrait envisager une révision complète de cette loi, dans la mesure où les 85 milliards de francs (en valeur 1998) de crédits dont disposera chaque année le budget de la défense entre 1999 et 2002, même s’ils sont supérieurs aux 81 milliards votés pour 1998, n’en demeurent pas moins inférieurs aux 89 milliards initialement prévus par la loi de programmation. Évoquant les propos de M. Yann Galut, rapportés le matin même dans la presse, il a demandé des précisions sur le niveau envisageable pour la recapitalisation de GIAT Industries.

Répondant au Rapporteur général, M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a estimé que la nécessité d’assurer l’articulation entre les programmes, qui mettent parfois en jeu plusieurs armes, plaidait pour le maintien d’une loi de programmation, d’autant qu’il a pu être reproché au Gouvernement, c’est-à-dire principalement aux Ministères de la Défense et des Finances, les insuffisances de cette articulation, et ce souvent à juste titre. Justifiant la poursuite de la loi de programmation adoptée par la précédente majorité, il a souligné que la revue des programmes avait montré que l’essentiel des choix stratégiques effectués par cette loi était conforme aux intentions du Gouvernement actuel, soulignant que, d’ailleurs, la préparation de ce texte avait été entamée sous la présidence de François Mitterrand. Observant que les crédits d’équipement avaient diminué de 25 % en francs constants depuis 1991-1992, il a indiqué que l’effort de réduction des dépenses arrêté dans le respect des objectifs retenus par le Gouvernement avait pu passer, soit par une baisse du prix des achats, soit par l’achat d’équipements comparables mais moins chers, soit par la réduction du volume des achats. Il a fait remarquer que la diminution de 20 milliards de francs des crédits prévue entre 1999 et 2002 ne résulterait pas d’un simple étalement des programmes, lequel serait d’ailleurs, in fine, plus coûteux, mais de véritables économies, et a fourni l’exemple de l’entrée en service simultanée du prochain sous-marin nucléaire lanceur d’engins et des nouveaux missiles, qui rapporterait plus d’un milliard de francs. Il a estimé que cet exemple démontrait également l’utilité de la programmation à laquelle recourent l’ensemble des pays, même si elle ne prend pas nécessairement la forme d’une loi.

Abordant les conditions de réalisation des programmes, le Ministre a indiqué que l’objectif était de ne retarder aucun programme, car des retards auraient entraîné des coûts pour l’État ainsi que des difficultés pour les partenaires industriels, et que la plupart des programmes seraient donc réalisés dans les délais, à l’exception de quelques programmes envisagés ou mis en route depuis peu, qui ont été interrompus. Il a précisé que le Premier ministre et le Président de la République avaient donné leur accord à cet aménagement de la loi de programmation et que l’ensemble des programmes était concerné, sauf les programmes de coopération dont la valeur pourrait atteindre, dans le courant de la prochaine décennie, 25 % de cet ensemble. Rappelant que la loi de programmation avait prévu une baisse de 30 % du coût des matériels livrés d’ici 2002, engagement qui paraissait pouvoir être tenu, il a jugé qu’un effort supplémentaire dans cette direction ne pouvait être envisagé. Il a considéré que toute économie supplémentaire ne pourrait désormais résulter que d’une réduction des capacités : si celle–ci devait être envisagée, une nouvelle loi de programmation, qui exigerait nécessairement un nouveau « Livre blanc », devrait être mise en chantier. Il a précisé qu’alors on devrait examiner certains des principes fondamentaux de notre politique actuelle de défense, comme, par exemple, la fabrication nationale des armes de dissuasion ou l’existence d’un porte-avions à propulsion nucléaire.

Évoquant enfin la situation de GIAT Industries, M. Alain Richard a déploré les déclarations de M. Galut dans un quotidien de la presse économique. Rappelant que le conseil d’administration et le comité central d’entreprise devaient se réunir respectivement les 7 et 10 juillet prochain, il a précisé que toute révélation prématurée était inopportune et fragiliserait le déroulement du processus d’adaptation souhaité par le Gouvernement.

Relevant qu’avec la professionnalisation de l’armée de conscription et la multiplication des interventions internationales, le ministère de la Défense vivait actuellement des mutations dans tous les domaines, M. Jean-Michel Boucheron, Rapporteur spécial des crédits de la Défense, s’est d’abord interrogé, s’agissant de l’exécution 1997, sur le montant des intérêts moratoires, qui ont enregistré une forte augmentation au cours des exercices précédents, et sur les incidences de la réduction du taux de ces intérêts prévue par la loi de finances rectificative pour 1996. Remarquant que l’exécution budgétaire des derniers exercices avait été affectée par des mouvements de régulation importants, en raison notamment de la volonté de ne pas afficher d’emblée des baisses trop fortes, il a souhaité savoir si l’annulation de 300 millions de francs par l’arrêté du 16 janvier dernier serait suivie d’autres mesures de régulation au cours de l’exercice 1998. Il a également demandé si le montant des opérations extérieures pouvait être estimé en 1998 et comment elles seraient financées.

Abordant la gestion budgétaire et financière des crédits et la réforme de la nomenclature, il a souhaité qu’à chaque programme majeur corresponde un chapitre distinct du titre V. Rappelant que la mise en place d’une comptabilité spécifique des investissements devait permettre de rétablir le lien entre autorisations de programme et crédits de paiement, il s’est interrogé sur le rythme de consommation des crédits en 1998, compte tenu de la faiblesse des taux d’exécution relevée par la Cour des comptes pour l’exercice 1997. S’agissant de la revue des programmes, il a souhaité savoir si le Gouvernement entendait présenter une révision des échéanciers et quand aurait lieu le débat annuel sur l’exécution de la loi de programmation. Interrogeant le Ministre sur la répartition des 20 milliards de francs d’économies annoncées entre les diminutions de coûts, les réductions de cibles et les augmentations de productivité, il a craint que les 85 milliards de francs de crédits prévus à partir de 1999, même s’ils sont supérieurs aux 81 milliards de francs votés en 1998, ne se révèlent trop rigides pour financer les engagements constatés et l’achèvement des programmes. Soulignant l’intérêt mais aussi les effets pervers des commandes pluriannuelles groupées, il a demandé quelle était leur part relative et dans quelle mesure elles avaient déjà permis de maîtriser les coûts.

Évoquant, en conclusion, les questions industrielles, il a reconnu que le Ministre pouvait difficilement s’exprimer, à ce stade, sur les inquiétudes quant à la situation de GIAT Industries. Estimant que le débat créé par le récent conflit de Toulon avait été très instructif, il a demandé quels étaient les grands axes envisageables de la réforme de la DCN et quelles consignes le Gouvernement avait donné à la mission Moynot. Il a enfin interrogé le Ministre sur les conséquences financières et commerciales de l’industrialisation de l’hélicoptère Tigre.

Répondant à M. Jean-Michel Boucheron, le Ministre a précisé que les intérêts moratoires payés en 1997 par le ministère de la Défense atteignaient 361 millions de francs contre 812 millions de francs pour 1996. Il a estimé qu’une telle réduction ne pourrait vraisemblablement pas se reproduire en 1998, la récente réforme de la comptabilité spéciale des investissements ayant induit, en avril et en mai derniers, des retards, certes aujourd’hui rattrapés, dans l’engagement des dépenses qui se traduiraient par quelques dizaines de millions de francs d’intérêts moratoires supplémentaires mais à tout le moins, 1998 verrait une stabilisation du niveau des intérêts moratoires par rapport à 1997. Il a par ailleurs jugé que les observations de la Cour des comptes sur la consommation des crédits de la Défense avaient eu l’effet d’un électrochoc, même si une partie des anomalies relevées par la Cour, portant sur des exercices anciens, était aujourd’hui périmée. Il a aussi fait observer que la situation économique et l’amélioration du niveau et de la rentrée des recettes de l’État ne militaient pas en faveur d’une régulation budgétaire massive. S’agissant des opérations extérieures, il a rappelé que, selon les principes adoptés par le précédent gouvernement, le coût ordinaire de ces opérations avait été approximativement fixé à un milliard de francs, seuil au-dessus duquel elles nécessitaient une ouverture exceptionnelle de crédits. Sur ce point, il a précisé que les opérations extérieures devraient coûter 2,1 milliards de francs en 1998 contre 3,5 milliards de francs en 1997, et qu’environ un milliard devrait être ouvert lors du prochain collectif budgétaire. Il a, en outre, fait part de ses propositions visant à augmenter le détail de la nomenclature du titre V, et notamment à créer un chapitre spécifique aux études, à regrouper les crédits relatifs à l’espace dans un poste unique et à différencier par armée les dotations nécessaires aux dépenses de développement et de fabrication, en précisant que l’arbitrage sur ces propositions n’était pas encore rendu.

Le Ministre a ensuite annoncé que le rapport sur l’exécution de la loi de programmation serait examiné par le Parlement en même temps que le projet de budget de la Défense pour 1999. Il a estimé que la loi de programmation devait s’adapter aux changements d’environnement stratégique, tout en mettant en valeur l’impératif politique, que s’était fixé le Gouvernement, de respecter les programmes financés en coopération avec des pays européens. Sur ce point, il a fait observer que la Grande-Bretagne s’était engagée dans une révision de ses programmes de défense, tout en s’attachant également à préserver les programmes de coopération, et s’est interrogé sur l’ampleur des changements que les élections de l’automne prochain pourraient susciter en Allemagne. Il a estimé que la prochaine loi de programmation devait être précédée, à travers la rédaction en 2000 d’un nouveau livre blanc, d’une réflexion sur les orientations stratégiques de la France. Il a par ailleurs indiqué que le ministère de la Défense n’envisageait pas de nouvelles commandes globales importantes autres que celle relative au programme Rafale qui faisait actuellement l’objet de négociations avec la société Dassault sur la définition des versions intermédiaires de l’avion. Il a estimé que les économies obtenues par la procédure des commandes globales pourraient être de l’ordre de 10 % du prix initial. Il a en outre insisté sur la nécessité de ne pas aborder le dossier de GIAT-Industrie dans une optique politique et de traiter cette entreprise, qui n’est plus un service de l’État, de la même manière que les autres entreprises nationales. Relevant que l’endormissement de la Direction de la construction navale, quelle que fût la majorité en place, pouvait être considérée comme une coproduction du Gouvernement et du Parlement, il a jugé possible la modernisation de cette direction, à condition de procéder à une diversification concertée de ses activités, et notamment à une ouverture à l’exportation. Il a observé qu’une telle modernisation constituait une démarche nouvelle, et déploré la réaction négative, relayée par plusieurs élus, de certains membres du personnel, qu’il a jugée contraire à la réalité économique. Il a, en dernier lieu, annoncé que le premier appareil de la série Tigre serait livrée en 2001 en Allemagne et en 2003 en France dans la version « appui protection ». Il a ajouté que la version anti-char n’avait pas été jugée prioritaire, et que, par conséquent, il avait été décidé d’en limiter le développement et de ne pas la fabriquer, le ministère ayant choisi d’acheter sur le marché un missile adapté pour la version anti–char.

Rappelant la disparition progressive du service militaire, M. Christian Cuvilliez a d’abord interrogé M. Alain Richard sur l’évolution en 1998 et 1999 des effectifs en personnel civil et militaire du ministère de la défense. Il a souhaité savoir quelle part des dotations d’investissement ouvertes sur le titre V de la loi de finances pour 1998 serait dévolue aux entreprises d’État, direction des constructions navales, arsenaux, GIAT, en rappelant que le personnel de ces entreprises n’était pas ignorant des réalités économiques. Il a demandé si le Gouvernement avait évalué les coûts respectifs du projet allemand de véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) et du projet Vextra développé par le GIAT, qui est prêt à être mis en oeuvre. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur l’évolution des crédits de la recherche et s’est interrogé sur les risques d’externalisation des travaux de recherche.

M. Gilbert Gantier a souhaité savoir si le programme d’observation par satellite HORUS était définitivement abandonné.

Répondant aux intervenants, M. Alain Richard a notamment apporté les précisions suivantes :

– compte tenu de l’ampleur de la participation allemande au projet HORUS, la décision prise par l’Allemagne de renoncer à sa réalisation compromettait de manière définitive son avenir ; toutefois, la réduction éventuelle des coûts par l’apparition de nouvelles technologies pourrait conduire à réexaminer la question de l’observation par satellite et à rechercher la constitution d’un nouveau tour de table européen sur un projet de cette nature.

– la suppression totale de la conscription en 2002 conduirait à créer 70.000 emplois militaires et civils destinés à compenser le départ de 190.000 appelés. Le statut d’ouvrier d’État commun aux personnels civils de la défense nationale et aux employés des entreprises publiques permettait le reclassement, sur une base volontaire, de personnels provenant notamment du GIAT et des services industriels dans des services militaires du ministère de la défense, 700 emplois ayant été pourvus en 1997 de cette façon. Toutefois, s’il convient d’appliquer autant que possible le principe du volontariat, il ne faut pas perdre de vue le fait que ce principe ne constitue pas une garantie statutaire, et qu’au contraire la situation statutaire des personnels a pour conséquence la règle de leur affectation en fonction des besoins du service public. Par ailleurs, il est exact que les techniciens du GIAT ou de la DCN n’ont pas vocation à occuper les emplois d’accompagnement actuellement confiés aux appelés, et que cette situation justifie de nouveaux recrutements, qui auraient d’ailleurs un effet favorable sur le profil de la pyramide des âges.

– il existe en France une dizaine de grandes entreprises de défense, comptant environ 190.000 salariés, tous dignes de l’attention des pouvoirs publics. La baisse des volumes des marchés de l’armement, même jugulée, et la récente montée en puissance, comme exportateur d’armements, des États-Unis, qui ont su prendre récemment les mesures propres à augmenter leurs marges de manoeuvre, rendent indispensable une européanisation des industries de défense, sous peine de stagnation. Il faut relever que l’activité du GIAT et de la DCN se situe précisément dans des secteurs particulièrement touchés par la baisse : dans ces conditions, ou bien on suit une logique d’arsenal, et on passe aux entreprises intéressées des commandes de matériel inadéquates qui iront ensuite peupler les hangars, ou bien on adopte, ce qu’a choisi le Gouvernement, une logique d’entreprise passant par l’adaptation de ces industries aux commandes passées par l’État et par la coopération européenne.

– il convient d’éviter, à propos du VBCI, les erreurs commises, dans le passé, sur l’avion de combat et le char lourd, et il est donc nécessaire de promouvoir des accords avec les Anglais et les Allemands sur les spécifications de ce type de véhicule. Il ne serait pas raisonnable d’attendre, pour engager une coopération européenne indispensable, que nos partenaires soient convaincus du bien-fondé des choix faits par le GIAT avec le Vextra, qui ne correspond pas à leurs conceptions, étant bien entendu que la production du Vextra serait lancée dès qu’un acheteur se présenterait.

– pour les crédits de recherche, la France est, après les États-Unis, le pays qui a consenti l’effort le plus important en la matière, très loin devant les autres pays européens ; leur niveau actuel doit être préservé, et il faut promouvoir des synergies avec la recherche civile.

——fpfp——


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