Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 67

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 juillet 1998
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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– Audition de Mme Dominique Voynet, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, sur l’exécution 1998 et les perspectives pour 1999 des crédits de l’Aménagement du territoire



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– Examen d’un rapport d’information de M. Charles de Courson, Rapporteur spécial, sur la Caisse de Mutualité sociale agricole de Corse.


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La Commission a tout d’abord procédé à l’audition de Mme Dominique Voynet, Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, sur l’exécution 1998 et les perspectives pour 1999 des crédits de l’Aménagement du territoire.

Évoquant les conclusions du rapport sur la fiscalité écologique présenté récemment par Mme Nicole Bricq, au nom de la commission des Finances, M. Didier Migaud, Rapporteur général, a d’abord interrogé Mme Dominique Voynet sur ses traductions éventuelles dans le projet de loi de finances pour 1999. Il lui a ensuite demandé si le rapprochement entre les missions d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement au sein de son ministère avait conduit à des modifications significatives des procédures administratives et du mode de gestion des fonds. Enfin, il a souhaité obtenir des éclaircissements sur l’origine de la sous-consommation des crédits consacrés au financement de la prime d’aménagement du territoire (PAT).

Renvoyant pour la définition précise du dispositif aux arbitrages gouvernementaux à intervenir, Mme Dominique Voynet a rappelé les principes de la fiscalité écologique : sans rechercher un alourdissement global de la fiscalité, donner des signaux fiscaux différents en mettant à contribution les comportements qui se traduisent par une dégradation des ressources collectives, et en profitant des ressources ainsi dégagées pour alléger la fiscalité pesant sur le travail et contribuer ainsi à la création d’emplois. Elle a ensuite énuméré les axes de la réflexion menée par son ministère, qui consistent soit à augmenter la taxation de certaines activités, soit à mettre à contribution des champs jusqu’à présent exonérés, notamment par la création de taxes sur la pollution de l’air, sur la mise en décharge et sur la modification du régime des eaux. Abordant le problème de la fiscalité des carburants, elle a constaté le caractère exceptionnellement élevé du différentiel de taxation entre l’essence sans plomb et le gazole par rapport à la moyenne européenne et rappelé que le Gouvernement entendait, au niveau européen, rapprocher la fiscalité de l’essence sans plomb de celle du gazole et, au niveau national, aligner le différentiel sur l’écart européen. Elle a manifesté le souci d’éviter la pénalisation des transporteurs français par la réforme grâce à l’organisation, sous une forme ou une autre, de la restitution totale ou partielle à ce secteur, socialement fragile, de la ressource nouvelle ainsi créée, tout en rappelant que l’idée, un temps envisagée, d’un fonds de modernisation des transporteurs routiers, avait été considérée par les autorités communautaires comme incompatible avec les règles de l’Union européenne.

Abordant la question de la gestion des fonds, elle a d’abord noté que le budget de 1998 avait rompu avec la baisse des crédits constatée entre 1994 et 1997 (– 27 % sur le total dépenses ordinaires + crédits de paiement). Elle a manifesté la volonté de renforcer le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT), en améliorant la qualité de ses méthodes de gestion et en accroissant la sélectivité du mécanisme et son caractère interministériel. Elle a souhaité également promouvoir la coopération entre collectivités locales et des formules privilégiant le développement durable.

Elle a reconnu que la prime d’aménagement du territoire (PAT) était actuellement mal adaptée au financement d’implantations d’entreprises internationales, et qu’elle avait un faible effet attractif sur de grands projets d’investissement, davantage déterminés, comme dans le cas du dossier Toyota, par la qualité des services publics, le marché potentiel, le niveau de formation et le réseau de sous-traitance. Elle a manifesté sa préférence pour une réorientation de la prime vers des investissements de taille plus modeste dans des zones très dégradées, ou vers le développement du secteur des services et des techniques environnementales durables. Elle a enfin annoncé que la nouvelle définition de la PAT était inscrite à l’ordre du jour du prochain comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT). Au sujet de la sous-consommation chronique des crédits de la PAT, elle a précisé que le reliquat pour 1997 s’élevait en définitive à 267 millions de francs et que la consommation des crédits de paiement s’améliorait sensiblement. Quant au FNDAT, elle a indiqué que le taux de consommation au 30 juin se montait déjà à 45 % et qu’il était supérieur à celui de l’année précédente.

Après avoir noté que les instances communautaires réexaminaient actuellement les modalités de fonctionnement du mécanisme des fonds structurels, M. Alain Rodet, Rapporteur spécial, a demandé à Mme Dominique Voynet quelles suites elle entendait donner aux suggestions contenues dans le rapport Trousset, qui préconise particulièrement l’évaluation de l’efficacité de la politique des fonds structurels en France et l’amélioration de la procédure interne de délégation des crédits. Évoquant la multiplication des cadres d’action, des politiques d’aménagement du territoire (bassins d’emploi, pays, agglomérations), il s’est interrogé sur le risque de complexité qu’elle provoquait dans la gestion des procédures d’aide. Il a souhaité que la politique d’aménagement du territoire, à l’opposé de l’orientation suivie par la loi Pasqua de 1995, reconnaisse le dynamisme représenté par les zones urbaines et donne toute sa place au développement des villes. Enfin, il a exprimé la crainte que la fin de la crise de l’immobilier de bureaux dans l’agglomération parisienne, accroissant le volume des locaux disponibles, ne vienne contrarier la politique de délocalisation des services publics.

Répondant au Rapporteur spécial, Mme Dominique Voynet a considéré que la complexité de gestion des fonds structurels soulignait la nécessité d’une réforme, dont les grands traits avaient été présentés le 18 mars dernier par la Commission européenne : concentration accrue des aides, répartition plus claire des rôles entre la Commission et les États, simplification des règles financières. Elle a ensuite indiqué que, malgré l’augmentation du montant global des crédits affectés aux fonds structurels, il fallait s’attendre à une diminution du pourcentage des populations européennes, et donc françaises, éligibles. Elle a rappelé que les propositions de la Commission européenne comportaient, outre la diminution du nombre des programmes d’intérêt communautaire, le passage de 7 à 3 des objectifs des fonds structurels. Elle a illustré son propos en considérant comme très probable, dans la nouvelle configuration, la sortie du Valenciennois et de la Corse de l’objectif 1, auquel seuls les DOM-TOM resteraient éligibles et fait part du désir du Gouvernement d’obtenir que cette sortie se fasse de manière progressive. Elle a noté que la concentration géographique financière accrue exclurait du mécanisme de nombreuses régions en difficulté, et qu’il faudrait veiller à articuler le nouvel objectif 3 et les politiques nationales de l’emploi. Rappelant le fort effet de levier constitué par ces fonds structurels, elle a souhaité que les parlementaires suivent particulièrement ce dossier.

À propos de l’état d’exécution des programmes communautaires, , la Ministre s’est déclarée satisfaite de l’avancement des objectifs 1 (développement et ajustement structurel des zones en retard de développement) et 5 b (développement rural), programmes facilement compréhensibles et bien connus des préfets et des élus locaux. Elle a estimé plus préoccupante l’exécution de l’objectif 2 (reconversion des régions gravement affectées par le déclin industriel), mettant particulièrement l’accent sur la sous-consommation des crédits correspondant à la période 1997-1998, qu’elle a pour partie imputée aux délais plus courts laissés à la réalisation des programmes relevant cet objectif, et qui atteint, par exemple, dans la région Rhône-Alpes, un montant de 200 millions de francs. En ce qui concerne les programmes d’intérêt communautaire (PIC), elle a souligné, là encore, la sous–consommation des crédits, tant en France que dans d’autres pays européens, en raison d’un démarrage tardif des programmes et d’une émergence nécessairement lente des actions à caractère innovant, comme le programme LEADER II. Elle a considéré que les préfets de région avaient bien étudié l’ensemble des projets et que l’État serait ainsi en mesure d’arbitrer entre les projets parfois similaires proposés par les régions. Elle a également constaté que l’information sur les PIC était inégalement accessible, selon les régions, à l’ensemble des acteurs qu’ils concernent et que la même hétérogénéité affectait la qualité des programmes remontant de ces régions. Elle a indiqué que la mission d’évaluation confiée par le comité interministériel d’aménagement du territoire du 15 décembre 1997 aux services d’inspection de différents ministères devait donner lieu à un rapport qui lui serait remis avec un certain retard.

A propos des bassins d’emplois, des pays ou des agglomérations, Mme Dominique Voynet a affirmé qu’il n’était pas question de reconnaître de nouvelles organisations territoriales, mais seulement de recourir à de telles structures dans la mesure où elles seraient les vecteurs de projets concrets, pour lesquels existeraient des garanties sérieuses de réalisation. Elle a fait valoir que les difficultés apparues dans le montage des projets des transports collectifs urbains ne pouvaient être surmontées, à l’expérience, qu’à l’échelle des agglomérations, et qu’il fallait dès lors encourager les efforts consentis pour une organisation dans ce cadre, afin de permettre la mise en oeuvre de projets lourds techniquement et financièrement. Elle a inscrit, en conséquence, la prise en considération des pays ou des agglomérations dans une dynamique de projet.

Se démarquant de l’opposition tranchée entre ville et campagne et de la démarche de réparation qu’elle attribue à la loi Pasqua, elle a précisé qu’elle avait souhaité, sans remettre en cause systématiquement les dispositifs utiles que comportait cette loi en faveur du développement rural, proposer un projet permettant une meilleure adaptation des outils de la politique d’aménagement du territoire aux attentes des 80 % de la population habitant en zone urbaine. Elle a annoncé qu’elle avait prescrit une évaluation des instruments financiers institués par la loi de 1995, comme les zones de revitalisation rurale ou les territoires ruraux de développement prioritaire.

La Ministre a ensuite confirmé la poursuite de la politique de délocalisation d’emplois publics et privés hors du grand bassin parisien, dont l’instrument financier est le Fonds d’aide à la délocalisation ; elle a relevé la difficulté paradoxale d’assurer une consommation correcte des crédits, qu’elle a imputée à des refus de dossiers eux-mêmes explicables par la crainte paradoxale de ne pouvoir faire face à toutes les demandes. Elle a rappelé que, sur un objectif de délocalisation de 30.000 emplois publics d’ici l’an 2000, 26.000 emplois avaient fait l’objet, à ce jour, de décisions, dont 12.600 avaient fait l’objet de délocalisations effectives, 4.000 étaient en cours d’exécution et 9.400 étaient en attente d’exécution. Elle a estimé que le succès des actions de délocalisation dépendait des efforts de concertation et d’accompagnement social, notamment en faveur de l’emploi des conjoints, de ces délocalisations, et a souligné que l’État transférait des emplois et non des personnes, de sorte que les fonctionnaires qui refuseraient la délocalisation seraient invités à rechercher dans d’autres services du ministère les emplois correspondant à leurs compétences. Elle a enfin indiqué que les programmes de délocalisation visaient la constitution de pôles de compétences permettant la valorisation maximale de leur mise en œuvre dans les villes d’accueil

Mme Nicole Bricq, faisant état d’une perspective d’augmentation de plus de 15% des crédits pour 1999 en matière d’environnement, s’est enquise de l’ampleur de l’effort budgétaire consenti en faveur de la recherche. Notant avec satisfaction que l’ADEME recevrait, en 1999, une dotation spécifique supplémentaire de 500 millions de francs qui mettrait un terme à la tendance constante à la débudgétisation des années précédentes, elle a souhaité des précisions sur les orientations de la politique de lutte contre la pollution et ses prolongements fiscaux.

M. Jean–Pierre Balligand, constatant que les décisions budgétaires relatives à la prime d’aménagement du territoire étaient de fait arbitrées par le ministère des finances et non par la DATAR, a déclaré redouter que la réforme annoncée du régime de cette prime ne soit, sous couleur de modernisation, l’occasion d’une diminution de la politique de délocalisation, alors que les pays européens les plus libéraux consacraient quatre à cinq fois plus de crédits à de telles actions. Il a attribué l’amélioration récente de la consommation des crédits, dont s’était prévalue la Ministre, à la reprise économique et à l’augmentation des investissements des entreprises qui l’accompagne. Se refusant, à propos du zonage, à instruire le procès de la Commission des communautés européennes, il a rappelé les difficultés surgissant lorsque, par suite d’une sous-consommation de crédits, les élus étaient confrontés à l’obligation de restituer des aides dont ils avaient vigoureusement demandé l’octroi, et s’est prononcé en conséquence pour une simplification de la réglementation des zones dans le sens d’une amélioration de l’aide à la compétitivité. Rappelant l’opposition qu’il avait exprimée en son temps à la fusion des fonds spécifiques (FIAT, FIAM, GIRZOM...) au sein du Fonds national d’aménagement du territoire (FNADT), il a considéré que les régions les plus marginales avaient toujours souffert de la tendance à la globalisation et s’est interrogé sur l’opportunité de conserver le FNADT dans sa forme actuelle.

M. Christian Cuvilliez a exprimé des doutes sur l’efficacité de la fiscalité écologique, dont le coût est répercuté sur le consommateur final par les entreprises assujetties et porte ainsi atteinte au pouvoir d’achat. Il a estimé que le principe du pollueur–payeur semblait constituer un droit de polluer, dès lors qu’on était en mesure d’acquitter une taxe. Il a suggéré, plutôt que d’augmenter la fiscalité pesant sur le diesel, de diminuer les taxes frappant les carburants ordinaires. Abordant la question du traitement des déchets, il a rappelé que l’association des maires de France s’était interrogée sur l’application de la loi du 13 juillet 1992, et sur la réalité des partenariats et de la programmation qu’elle impliquait, et regretté que les collectivités locales soient désignées comme responsables alors que les pollueurs étaient en amont et les profiteurs, c’est-à-dire les prestataires de services, en aval. Évoquant les propositions faites en faveur de l’assujettissement des opérations de traitement de déchets au taux réduit de TVA, il a appelé à un soutien plus rigoureux de l’État et de l’ADEME aux collectivités locales, rappelant que seulement 75 % des plans départementaux d’élimination des déchets étaient aujourd’hui publiés.

Après avoir estimé, en accord avec M. Jean-Pierre Balligand, que la prime à l’aménagement du territoire était un élément important du montage des dossiers d’investissements étrangers en France, M. Pierre Méhaignerie a fait part des inquiétudes des élus quant à l’émergence de nouvelles structures intercommunales consacrées à la négociation des prochains contrats de plan alors qu’un consensus semblait se dessiner en faveur d’un rassemblement des communautés de communes existantes.

Attentif à ne pas renforcer la traditionnelle opposition ville/campagne, il a souhaité savoir si le ministère disposait d’une base scientifique incontestable permettant de mesurer le volume d’argent public, dotation globale de fonctionnement comprise, consacré aux différentes régions françaises et, au sein des régions, entre les zones rurales et urbaines.

M. Pierre Méhaignerie s’est enfin prononcé en faveur d’une simplification et d’une stabilisation des règles et des procédures régissant les aides à l’aménagement du territoire et il a déclaré ressentir une certaine confusion de la part du gouvernement dans ce domaine puisque ses orientations n’apparaissaient pas clairement non plus que la définition de ce qu’il appelait développement durable.

M. Jean-Jacques Jegou a d’abord interrogé la Ministre sur les mesures incitatives et industrielles permettant d’assurer la promotion des carburants propres pour lesquels la balance commerciale française était déséquilibrée alors que le diesel bénéficiait de mesures fiscales favorables. Il a précisé que le GPL était souvent victime de fausses affirmations comme le montrait l’interdiction de l’accès de certains parkings aux véhicules GPL au prétexte d’un risque accentué d’explosion, ce qui était complètement infondé.

Il a ensuite souhaité savoir si le gouvernement entendait aider les communes qui avaient mis en place une politique de collecte des produits toxiques comme les piles, les peintures ou encore les batteries puisque ce type de tri sélectif n’était pas actuellement soutenu par l’ADEME.

M. Pierre Hériaud a demandé des informations sur les engagements de l’État au titre de la directive territoriale d’aménagement consacrée à l’estuaire de la Loire, actuellement en cours d’élaboration. Il s’est plus précisément interrogé sur la contradiction apparente dans les zones humides entre la volonté de reforestation et celle de privilégier le peuplement de l’espace rural, sur les critères qui régiraient les contrats-type d’exploitation et sur les difficultés de promouvoir le tourisme vert dans les zones de protection spéciale.

Après avoir indiqué que le chiffre de 12 milliards de francs cité par la Ministre pour évaluer l’effort de l’État au titre des fonds structurels lui paraissait considérable, et, en tout état de cause, excéder les crédits budgétaires du seul ministère de l’aménagement du territoire, M. Yves Deniaud a affirmé que les 10 milliards de francs actuellement consacrés par l’Union européenne à cette politique ne seraient pas reconduits après la réforme en cours de discussion et qu’il conviendrait de réfléchir à des dispositifs de remplacement en faveur des régions qui ne figureraient plus dans le nouveau zonage européen, ce qui poserait le problème de l’adéquation entre les zonages nationaux et les zonages européens.

Il a déploré la sous-consommation des crédits qu’il a attribuée à l’attitude de l’administration nationale dans le traitement des dossiers et qui se caractérisait par une volonté de retardement au prétexte de la complexité des procédures.

Après avoir demandé des informations sur le calendrier de la discussion parlementaire du projet de loi d’orientation pour l’aménagement durable du territoire, qui devrait privilégier une approche modeste et efficace à la différence des gouvernements précédents qui avaient pu susciter en cette matière certaines déceptions, M. Jean-Louis Idiart a souhaité la mise en place d’un inventaire des services publics afin d’éviter des fermetures anarchiques et démultipliées. Il a ensuite souhaité savoir quelle forme prendrait la consultation des collectivités territoriales sur la réforme du réseau de la Banque de France et a déploré la sous-consommation des crédits des fonds structurels, qu’il a rapprochée de l’attitude de l’administration qui agissait plus souvent comme un frein que comme un animateur, mais aussi de l’absence de services techniques suffisants dans de nombreuses collectivités territoriales, ce qui n’accélérait pas les dossiers. Il a jugé inadmissibles les détournements de procédure parfois commis par l’administration comme le montrait l’exemple des trésoriers payeurs généraux qui s’étaient érigés récemment en juges de l’opportunité des projets financés par la procédure LEADER II. M. Jean-Louis Idiart s’est ensuite successivement interrogé sur :

– l’importance des crédits budgétaires consacrés à l’entretien des cours d’eau domaniaux qui présentaient des dangers, notamment en zone de montagnes ;

– les modalités de la contractualisation et le volume des crédits prévus en faveur du réseau Natura 2000 ;

– le suivi administratif de la réintroduction de certains fauves qui avait parfois entraîné, dans certaines régions, une crispation des populations concernées ;

– la date de la prochaine réunion du Conseil national de la montagne.

M. Jacques Guyard a souhaité savoir si la prochaine réunion du comité interministériel d’aménagement du territoire fournirait l’occasion d’examiner les questions de l’intercommunalité en Ile-de-France, actuellement absente en raison de la saturation de l’occupation de l’espace et des écarts importants entre les différentes collectivités locales, ainsi que d’une meilleure coordination des crédits consacrés à la politique de la ville.

Le Président Augustin Bonrepaux a insisté sur la nécessité de remédier à la complexité des procédures d’utilisation des moyens destinés à l’aménagement du territoire, qu’il a considérée comme la principale cause de sous–consommation des crédits. Après avoir rappelé que, lors de l’examen de projet de budget pour 1998, la commission des Finances avait adopté une observation visant à maintenir le niveau des crédits affectés aux zones de revitalisation rurale, il a interrogé la Ministre sur les mesures susceptibles de maintenir l’efficacité de ce dispositif pour la réalisation de projets d’ampleur restreinte en milieu rural. Il a, d’autre part, souhaité connaître les suites qui seraient réservées aux propositions faites par M. Jean Auroux en faveur de la reconfiguration de zonage.

Répondant aux intervenants, la Ministre a fourni les précisions suivantes :

– l’augmentation de 16,6 % des crédits de l’environnement prévue pour 1999 permettra de faire face aux obligations de l’État en matière de prévention des risques naturels et industriels, d’« écotoxicologie », de qualité de l’air et de l’eau, ainsi qu’aux engagements du fonds de gestion des milieux naturels ; elle permettra également de créer 140 emplois pour renforcer les effectifs de l’administration centrale, des DIREN et des DRIRE. Les crédits de l’aménagement du territoire seront simplement reconduits ; le plan de réduction progressive des effectifs de la DATAR, incompatible avec l’ampleur de ses tâches de gestion des fonds structurels et de la prime à l’aménagement du territoire, a été abandonné;

– l’environnement nécessite des moyens supplémentaires en matière de recherche fondamentale et de recherche appliquée qui auraient tout avantage à venir compléter le budget civil de recherche–développement du ministère ;

– l’exécution de la directive Natura 2000 se fera selon la voie contractuelle et ne suivra pas une logique d’expropriation ou de privation de jouissance à l’encontre de propriétaires ou d’exploitants. Le ministère de l’environnement renoncera à créer un site Natura 2000 dans les territoires où cette procédure entraînera des contraintes trop lourdes mettant en cause des activités indispensables. Son objectif est de mettre en place des pratiques d’exploitation respectueuses de l’environnement ;

– l’ADEME bénéficiera de 500 millions de francs supplémentaires pour développer la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables, la lutte contre les pollutions constituant désormais un secteur économique porteur et créateur d’emplois au sein duquel les compétences françaises sont reconnues et suscitent de nombreuses demandes de la part des pays étrangers ;

– les critères de sélection de la politique d’aménagement du territoire demandent à être révisés afin de permettre un traitement plus sélectif des dossiers, le montant actuel de la prime d’aménagement du territoire n’étant pas suffisamment attractif pour certains projets et le nombre minimal de vingt créations d’emplois exigé étant trop important pour le développement de petites entreprises dans des zones en difficulté où ces entreprises pourraient jouer un rôle d’entraînement significatif ;

– il existe dans tous les domaines d’importantes distorsions de concurrence entre pays européens ; on ne peut s’empêcher de remarquer que certains pays comme l’Irlande ont été jugés éligibles à l’euro et donc capables de faire face à certains impératifs économiques, tout en bénéficiant du fonds de cohésion et de l’objectif 1 (promouvoir le développement et l’ajustement structurel des zones en retard de développement), ce qui leur permet d’attirer des entreprises en pratiquant un taux de taxe professionnelle particulièrement bas ;

– la simplification des zonages est la meilleure réponse aux risques de marginalisation des territoires touchés par la globalisation des fonds , le Gouvernement étudiant actuellement les suites à donner au rapport de M. Jean Auroux dont elle a déclaré partager le constat et les grandes orientations ;

– l’efficacité de la fiscalité écologique comme instrument de modification des comportements dépend du niveau de la taxe, et des exemples étrangers montrent qu’une telle modification est possible. On ne peut nier l’existence du risque d’intégration de la taxe dans les prix, notamment dans le secteur agricole, compte tenu du coût de la dépollution, mais il ne faut pas sous-estimer le coût de certaines pratiques pour la santé, et le coût de la dégradation des milieux commence seulement à apparaître. L’introduction d’une TVA réduite dans certains secteurs, comme les déchets ménagers, la filière bois et l’énergie serait une bonne mesure ;

– s’il n’a pas les moyens d’ordonner la fermeture des exploitations déficientes, l’État doit mettre les élus locaux devant leurs responsabilités en matière de traitement des déchets, en faisant valoir qu’ils ont d’ores et déjà disposé de sept années pour procéder à la mise aux normes prévue par la réglementation, et en rappelant que l’ADEME apporte un soutien important à cette action ;

– les procédures contractuelles liées à l’aménagement du territoire doivent s’accompagner d’un développement de l’intercommunalité, les contrats devant être passés avec des syndicats de communes de préférence à des structures de type associatif ;

– la multiplicité des financements en cause et l’absence de distinction claire entre zones rurales et urbaines rendent difficile une évaluation précise des moyens réservés, dans chaque région, à chacune de ces zones ;

– les projets du Gouvernement en matière de fiscalité des carburants sont motivés par un souci de rééquilibrage, le gazole ne présentant aucune particularité scientifique justifiant un traitement de faveur. Une compensation au profit des transporteurs routiers est envisagée de manière à accélérer la modernisation de ce secteur.

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La Commission a ensuite procédé à l’examen du rapport d’information, présenté, en application de l’article 146 du Règlement, par M. Charles de Courson, rapporteur spécial du budget annexe des prestations sociales agricoles, sur la Caisse de Mutualité sociale agricole de Corse.

M. Charles de Courson a indiqué qu’il s’était rendu en Corse du 17 au 19 juin dernier, afin de procéder à un contrôle sur pièces et sur place de la Caisse de Mutualité sociale agricole (MSA) dans le cadre de ses prérogatives de rapporteur spécial. Il a déclaré qu’après avoir envisagé de rendre publiques ses constatations dans le cadre d’un rapport annexé à son rapport spécial sur le BAPSA, il avait proposé au Président de la Commission de publier un rapport d’information distinct, comme l’y autorise l’article 146 du Règlement. Il a ensuite évoqué successivement les éléments anormaux découverts lors de son contrôle : les conditions d’immatriculation des exploitants agricoles à la MSA ; la faiblesse de l’assiette de leurs cotisations ; le recouvrement désastreux de ces cotisations ; la dérive statistique de certaines prestations ; les défaillances de la gestion de la Caisse de Corse.

En ce qui concerne les conditions d’immatriculation à la MSA, il a tout d’abord souligné que sur environ 3.500 exploitants agricoles affiliés en Corse, 1.500 étaient, il y a quelques années, des éleveurs sans titres fonciers immatriculés sur le seul fondement de la possession de 13 unités de gros bétail au moins, possession attestée par de simples certificats de vaccination ; il a précisé que cette pratique contraire à la législation en vigueur n’avait cessé qu’en 1993, la vérification des dossiers alors engagée ayant conduit à plus de 300 radiations. Il a cependant considéré que l’immatriculation n’était toujours pas assurée dans des conditions satisfaisantes en Corse, compte tenu d’une part des difficultés résultant de l’absence de déclaration des successions et donc de la médiocrité du cadastre, d’autre part de la nature des « preuves » d’exploitation fournies dans les dossiers, lesquelles ne sont pas, sauf exception, des baux ruraux ou des conventions de pâturages en bonne et due forme, mais de vagues attestations rédigées sur papier libre...

S’agissant de l’assiette des cotisations sociales dues par les exploitants, il a fait part des considérations qui l’amenaient à penser qu’elle était sous–évaluée de moitié : d’une part, il lui paraissait improbable que les 93 % d’exploitants agricoles corses soumis au régime du forfait collectif vivent réellement avec 14.200 francs par an, ce qui était le forfait moyen en 1997 ; d’autre part, le recoupement avec les comptes économiques de l’agriculture faisait bien apparaître un rapport de l’ordre de 1 à 2 entre l’assiette sociale déclarée et l’estimation du revenu net d’exploitation de la région. Il a indiqué que cet écart provenait sans doute moins de la sous–estimation du forfait à l’hectare que de la sous–déclaration des surfaces exploitées, en l’absence de recoupements entre administrations.

Abordant la question du recouvrement des cotisations, il a déclaré que le taux de recouvrement final des cotisations agricoles était difficile à évaluer du fait de l’insuffisance des instruments comptables de la Caisse de mutualité sociale de Corse, indiquant cependant que sur les années 1994 à 1997, le taux de recouvrement moyen des cotisations durant leur exercice d’émission avait été seulement de 38 %. Il a comparé ce taux avec ceux observés par la MSA sur l’ensemble du territoire, supérieurs à 90 %, mais aussi le taux de recouvrement des cotisations salariales par l’URSSAF en Corse, qui a atteint 91 % en 1997. Il a souligné qu’il était inacceptable que des établissements publics et des organismes agricoles, comme la SAFER, l’Office national des forêts, le Crédit agricole, les Centres départementaux des jeunes agriculteurs et les Fédérations départementales des syndicats d’exploitants agricoles ne paient pas leurs cotisations ; il s’est étonné du non retrait par l’administration fiscale de l’agrément du Centre rural de gestion, alors même que celui–ci devait un montant considérable de cotisations. Il a ensuite dénoncé l’insignifiance de la politique de recouvrement forcé, notant que la transmission à un huissier coordonnateur de plus de 3.500 dossiers de 1993 à 1998 n’avait conduit, par exemple, qu’à deux liquidations judiciaires et huit saisies–arrêt sur salaires...

Il a souligné que le non recouvrement avait conduit à l’accumulation d’une dette de plus de 900 millions de francs vis–à–vis de la caisse de MSA, dette dont les trois quarts seraient concentrés sur environ 500 exploitations. Il a précisé que la dette vis–à–vis de la MSA des personnes citées dans le récent rapport de l’Inspection générale des finances sur la Caisse de Crédit agricole atteignait 26 millions de francs. Il a enfin indiqué que le non paiement des cotisations entraînait en permanence la déchéance vis–à–vis de l’assurance maladie de plus d’un millier d’exploitants corses et évoqué l’échec des mesures gouvernementales successives de règlement de la dette, à peine 10 % des plans conclus dans le cadre des mesures de 1988-1990 ayant, par exemple, été respectés ; à ce propos, il a dénoncé la perversion d’un système conduisant certains à cumuler les impayés pour bénéficier de ces mesures.

S’agissant des dépenses de prestations sociales, il a observé que le secret médical avait limité ses investigations. Il a mentionné les écarts statistiques considérables que l’on relevait dans l’attribution de certaines prestations entre la Corse et la moyenne nationale : cet écart est de 1 à 3, voire 1 à 4 pour les pensions d’invalidité et les allocations d’adultes handicapés, de 1 à 2 pour les accidents du travail agricoles ; le nombre de jours d’arrêt maladie par salarié agricole est supérieur à 20. Il a également souligné l’augmentation récente mais très rapide du nombre d’allocataires du RMI dans le monde agricole. Rapportant les entretiens qu’il a eus avec le médecin conseil de la Caisse, il a fait part de son étonnement devant les explications avancées par celui–ci à propos de la surconsommation médicale, soit qu’elles ne puissent justifier un écart à la moyenne nationale (par exemple, l’explication par le vieillissement de la population, qui n’est pas spécifique à la Corse), soit qu’elles paraissent peu convaincantes (par exemple, l’invocation d’un « stress » lié à l’insularité). Il a enfin observé que les conséquences du non recouvrement comme celles de la distribution généreuse de certaines prestations étaient financées par la solidarité nationale, que ce soit celle du contribuable ou des autres exploitants et employeurs agricoles.

En ce qui concerne la gestion de la Caisse de Corse, il a en premier lieu observé qu’elle était la moins productive de France, avec un sureffectif qui pouvait être de l’ordre de 40 %, ce qui n’était pas étonnant quand l’on constatait que sur un effectif budgétaire de 141 agents, 14 étaient en longue maladie et 5 en invalidité, tandis que le taux d’absentéisme maladie des autres agents avoisinait les 10 %. Il a ensuite critiqué le régime comptable dérogatoire établi en 1988, qui avait délivré la Caisse de toute responsabilité financière en matière de recouvrement et a souligné l’extrême difficulté d’un retour à l’équilibre de gestion de la Caisse, qui nécessiterait une diminution de 20 à 25 % de ses dépenses de gestion.

Il a conclu en évoquant les moyens d’un retour à une situation normale :

– une grande rigueur dans la constitution des dossiers d’immatriculation des exploitants, qui devraient comporter des titres de propriété et d’exploitation en bonne et due forme ;

– des recoupements systématiques entre administrations pour contrôler les surfaces agricoles déclarées ainsi que l’ouverture des droits à prestations (conditions de ressources, condition de vie) ;

– un plan social pour accompagner la nécessaire cessation des exploitations non viables, dont le nombre serait compris dans une fourchette de 250 à 800, ainsi que des mesures de relance des filières agricoles prometteuses ;

– l’application systématique, à l’avenir, de toutes les procédures de recouvrement forcé ;

– la saisie, le cas échéant, des aides publiques ;

– une rotation régulière des médecins assurant le contrôle médical ;

– de très importantes économies sur la gestion de la Caisse , ce qui posait la question de sa fusion avec une caisse continentale.

M. Dominique Baert a félicité le Rapporteur pour le caractère exhaustif de son enquête.

M. Raymond Douyère s’est demandé s’il ne convenait pas que le Rapporteur étende ses travaux à des caisses de mutualité sociale du continent afin de mieux renforcer la pertinence de ses conclusions.

M. Gilbert Mitterrand s’est interrogé sur l’articulation des travaux du Rapporteur spécial avec ceux de la commission d’enquête sur la Corse constituée, depuis mars dernier, à l’Assemblée nationale.

Répondant aux intervenants, M. Charles de Courson a souligné que la Caisse de la Mutualité sociale agricole de Corse était la seule à connaître un recouvrement aussi faible des recettes. En matière de prestations, il a indiqué que la COTOREP attribuait l’allocation aux adultes handicapés sans même procéder à un examen du bénéficiaire. Il a précisé que, d’après ses estimations, le taux de recouvrement final des cotisations agricoles (à distinguer du taux de recouvrement sur l’exercice d’émission, qui est de 38 %) était de l’ordre de 70 %, soit 80 % pour les cotisations sur salaire (régime des salariés agricoles) et 50 % pour les cotisations sur le revenu des exploitants (régime des non salariés). Il a enfin souligné qu’à la demande de son Président, il avait récemment fait part, oralement, des conclusions de son enquête à la commission d’enquête sur la Corse rappelant que le Rapporteur de cette commission l’avait en partie accompagné durant son déplacement.

Le Président Augustin Bonrepaux a félicité M. Charles de Courson pour le travail qu’il avait accompli, souhaitant que d’autres rapporteurs spéciaux suivent son exemple. Afin d’éviter que les travaux menés par M. Charles de Courson n’interfèrent avec ceux de la commission d’enquête, il a suggéré que la publication du rapport n’ait lieu qu’à compter du 1er septembre prochain.

Sous cette réserve, la Commission a autorisé la publication du rapport d’information.

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