ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION DES FINANCES,
DE LÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN
COMPTE RENDU N° 69
(Application de l'article 46 du Règlement)
Jeudi 16 juillet 1998
(Séance de 10 heures 30)
Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président
SOMMAIRE
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Examen dun rapport dinformation sur la fiscalité locale (M. Edmond HERVÉ, Rapporteur)
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Examen dun rapport dinformation sur la fiscalité du patrimoine (M. Didier MIGAUD, Rapporteur général)
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La Commission des finances, de léconomie générale et du Plan a dabord procédé à lexamen du rapport dinformation présenté, en application de larticle 145 du Règlement, par M. Edmond Hervé, sur la fiscalité locale.
M. Edmond Hervé, Rapporteur, a tout dabord déclaré quil y avait deux approches possibles de la mission qui lui a été confiée : lune globale, visant à appréhender la totalité du système fiscal local, lautre plus ciblée et pragmatique, se contentant dexaminer certaines composantes de ce système fiscal local. Il a indiqué quil avait choisi cette dernière approche, dautant que des rapports exhaustifs rédigés dans le passé conservent toute leur actualité.
Il a rappelé le rôle prépondérant des collectivités locales, qui financent les trois-quarts des investissements publics et dont les investissements, contrairement à ceux financés par lEtat, ont une forte incidence sur la croissance nationale. Il a affirmé quil était indispensable de maintenir un système fiscal local, correspondant à notre tradition, et de ne pas sorienter vers un dispositif similaire à celui du Royaume-Uni, où 80% des dépenses nettes des collectivités locales sont financées par des transferts de lEtat. Il a ajouté que le système fiscal local devait reposer sur des bases objectives, faciles à appréhender par le contribuable et tenant compte des capacités contributives de chacun.
Après avoir rappelé quil avait tenu à décrire les modalités de calcul de la taxe dhabitation, qui échappent à toute rationalité, puisque, par exemple, un logement de 70 m2 peut représenter, à ce titre, une surface pondérée de 141 m2, et après avoir indiqué que la taxe dhabitation était dégressive et fondée sur des valeurs locatives datant de 1970, il a proposé que cet impôt soit calculé en tenant compte des revenus des contribuables. Il a suggéré la mise en place dun groupe de travail composé délus et de fonctionnaires pour étudier les conséquences dune telle réforme dans le cas où lon retiendrait les revenus pris en compte pour le calcul de la contribution sociale généralisée. Ayant conscience que la mise en application de cette réforme pourrait prendre du temps, il a proposé la mise en uvre, à titre transitoire, dune formule mixte inspirée de la taxe départementale sur le revenu votée en 1990 et dont lapplication a été suspendue. Il a indiqué que, dans cette hypothèse, il serait envisageable soit de calculer la part départementale de la taxe dhabitation en se fondant sur les revenus et la part communale en retenant les valeurs locatives révisées, soit dopter pour un autre système, suggéré par M. René Dosière, député, et fondé sur la spécialisation des ressources, visant à attribuer la taxe dhabitation, calculée pour partie en tenant compte des revenus, aux seules communes et à affecter la taxe sur lélectricité aux régions et la taxe foncière sur les propriétés bâties aux départements. Il a ajouté que des simulations prouvaient la pertinence financière de cette dernière solution.
Sagissant de la taxe professionnelle, il a proposé la généralisation de la taxe professionnelle intercommunale à taux unique dans les établissements publics de coopération intercommunale ayant compétence en matière daménagement du territoire et de développement économique. Il a estimé que la taxe professionnelle ne méritait pas toute les critiques dont elle fait lobjet et quil était illusoire de vouloir substituer une autre assiette à celle retenue actuellement, puisque ladoption de la valeur ajoutée ou de lexcédent brut dexploitation soulèverait des difficultés liées à la localisation des bases et à la variabilité du produit. Il a en outre noté quune assiette fondée sur la valeur ajoutée augmenterait fortement la part des salaires dans les bases de la taxe professionnelle. Il a estimé quune substitution dassiette serait, en fait, la porte ouverte à labandon de la fiscalité locale au profit de dotations de lEtat.
Il a observé que la péréquation assurée par les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et le Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France ne portent que sur 5,6 milliards de francs, soit 6,5% des recettes de taxe professionnelle perçues par les communes et leurs groupements. Il a, en outre, noté que ces 5,6 milliards de francs ne proviennent pas tous de la taxe professionnelle, mais également de dotations de lEtat en faveur du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle. Il a constaté que cette enveloppe modeste ne garantit que 40% du produit communal moyen de taxe professionnelle par habitant et quil serait nécessaire de mobiliser 15 à 19 milliards de francs pour aboutir à une proportion de 70 à 80%. Il a donc considéré que le principal instrument péréquateur était la dotation globale de fonctionnement et que le seul moyen pour développer léquité fiscale était linstauration dune péréquation locale grâce à lextension de la taxe professionnelle intercommunale à taux unique.
Il a jugé que la meilleure solution serait de rendre obligatoire la taxe professionnelle à taux unique dans les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 100.000 habitants, même si cela soulevait des difficultés en Ile-de-France où il conviendrait de déterminer la meilleure circonscription dapplication de la taxe et déviter que les communes riches ne soient tentées de se regrouper exclusivement entre elles. Il a ajouté que, si ce dispositif obligatoire nétait pas retenu, il serait toujours possible détablir un système incitatif permettant notamment de décider le passage à la taxe professionnelle à taux unique à la majorité des deux-tiers du conseil communautaire ou de district au lieu des trois-quarts actuellement, de supprimer la règle de liaison à la baisse entre la taxe professionnelle et les impôts sur les ménages afin déviter une majoration de ces derniers pour maintenir le taux de la première, de porter la dotation globale de fonctionnement des groupements ayant opté pour la taxe professionnelle à taux unique de 120 à 240 francs par habitant. Il a indiqué que ces dispositions nentraîneraient pas de coût supplémentaire pour lEtat, dune part, dans la mesure où la mutualisation des risques permettrait de limiter le recours au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle pour la compensation des pertes de base et de réduire lintervention étatique pour corriger les écarts de richesse fiscale et, dautre part, dans la mesure où labaissement du taux de taxe professionnelle, résultant obligatoirement de ladoption de la taxe professionnelle à taux unique, conduirait à limiter le montant des compensations dues au titre du plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée.
Il a enfin observé que la généralisation de la taxe professionnelle à taux unique permettrait de constituer des structures locales fortes susceptibles de répondre au défi européen.
M. Gilbert Gantier a exprimé un désaccord de principe sur la proposition tendant à asseoir la taxe dhabitation sur les revenus des contribuables. Il a estimé que lhabitation est un choix de consommation et quà revenu égal certains peuvent privilégier leur habitation ou, par exemple, les loisirs. Il a donc jugé quil nétait pas souhaitable dinstaurer une troisième imposition sur le revenu, venant se surajouter à limpôt sur le revenu progressif et à la contribution sociale généralisée proportionnelle.
M. Edmond Hervé a observé que cette remarque mettait en exergue la différence philosophique existant entre la majorité et lopposition. Il a constaté que, dans le passé, la taxe dhabitation était la contrepartie de services liés à la propriété immobilière, alors quaujourdhui les services offerts par les collectivités locales sont beaucoup plus liés au niveau de revenu de leurs habitants.
M. Jean-Jacques Jegou a estimé que la population demandant le plus de services aux collectivités locales était celle disposant des plus faibles moyens et que la proposition tendant à asseoir la taxe dhabitation sur le revenu inciterait les catégories aisées ou moyennes à quitter les communes les plus démunies.
M. Gilles Carrez a félicité le Rapporteur pour la clarté de son rapport et de ses propositions. Il sest ensuite interrogé sur la possibilité de mettre en uvre prochainement la révision des valeurs locatives cadastrales effectuée en 1990-1991, préalable absolu, à ses yeux, de toute réforme de la fiscalité locale, mais que les gouvernements successifs ont préféré différer. Il a jugé que cette mise en uvre était réalisable si lon sen tenait aux dispositifs adoptés à lunanimité, en juillet 1996, par le Comité des finances locales et prévoyant, dune part, de ne pas créer une catégorie spécifique pour les logements sociaux et, dautre part, certes au prix dun coût de lordre de 1 milliard à 1,5 milliard de francs, détaler sur quatre ans la réforme et décrêter les trop fortes progressions de limposition. Il a néanmoins constaté quune mise en uvre rapide de la révision effectuée en 1990 produirait ses premiers effets à lautomne 2000, cest-à-dire juste avant les prochaines élections municipales. Il a donc jugé souhaitable de mettre à profit les mois à venir pour effectuer un travail dactualisation des résultats de la révision et de nappliquer cette dernière quà lautomne 2001.
Il a exprimé ses doutes quant à la possibilité dasseoir la taxe dhabitation sur les revenus, en rappelant léchec de la taxe départementale sur le revenu. Il a également critiqué la proposition concernant la spécialisation des ressources par échelon local, en affirmant que des simulations détaillées montreraient dimportants transferts.
Il a jugé que les propositions du Rapporteur relatives à la taxe professionnelle étaient séduisantes, dans la mesure où les trois-quarts des inégalités de richesse fiscale entre les communes proviennent de la seule taxe professionnelle et dans la mesure où le développement des activités de service accroît les possibilités de délocalisation des entreprises. Il sest ainsi déclaré surpris du vote récent par le Parlement dune disposition visant les recettes procurées par la vignette, à la faveur de la fixation dun taux bas, au département de la Marne, alors que ces recettes ne portent que sur un montant de 100 millions de francs et que les véhicules concernés sont localisés en Ile-de-France et représentent, pour cette région, une recette de taxe professionnelle de lordre de 300 à 400 millions de francs par an. Il a également noté que la moitié des communes du département des Hauts-de-Seine ont des bases de taxe professionnelle dix fois supérieures à celles de la moitié des communes du département de Seine-Saint-Denis. Observant que la péréquation ne concerne que 5,6 milliards de francs sur un produit total de taxe professionnelle de 160 milliards de francs, alors que dans le même temps lEtat consacre 35 milliards de francs à la compensation du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, il a estimé indispensable de réformer au plus vite lassiette territoriale de la taxe professionnelle, soit en généralisant la taxe à taux unique, soit en augmentant jusquà 10 ou 15 milliards de francs les moyens affectés à la péréquation, grâce, par exemple, à une majoration de la cotisation minimale.
M. Gilles Carrez a rappelé quune réforme visant à asseoir la taxe professionnelle sur la valeur ajoutée conduirait à ce que la part des salaires dans les bases de cet impôt atteigne 55%, au lieu de 38% actuellement. Il a également jugé quil nétait pas souhaitable de retenir les bénéfices comme base de la taxe professionnelle, en raison de leur forte variabilité. Il a conclu quil convenait de distinguer une réflexion à long terme et des actions ponctuelles permettant de vaincre certaines réticences du ministère de léconomie et des finances.
M. Edmond Hervé a souligné quil avait retenu cette dernière approche et quau lieu de proposer de trop nombreuses réformes, il sétait contenté de deux propositions, dont la généralisation de la taxe professionnelle à taux unique, qui est lexemple même dune réforme pragmatique. Il a donc invité les élus de la région parisienne à soutenir cette proposition. Il a observé quen matière de logements sociaux, il importait de distinguer le calcul des valeurs locatives et le produit effectif de la taxe dhabitation, puisque la majorité des locataires des HLM ont des revenus inférieurs à 60% des plafonds de ressources. Il a ainsi observé que, dans sa ville de Rennes, 20% seulement des locataires du secteur locatif public paient la totalité de leur taxe dhabitation et que ce ratio est de 40% pour le secteur locatif privé. Il a enfin indiqué quil avait conservé un fort ressentiment à lencontre de ceux qui avaient saboté la taxe départementale sur le revenu votée en 1990 en la comparant à la « poll tax » britannique.
M. Christian Cuvilliez a déclaré soutenir toute réforme permettant une meilleure justice dans la collecte fiscale et un meilleur rendement social dans la distribution. Estimant que la prise en compte des revenus dans létablissement de la taxe dhabitation devait faire lobjet de longues et nombreuses simulations, il sest prononcé en faveur de mesures immédiates telles que labaissement à 2% du revenu du plafonnement de la taxe dhabitation prévu par larticle 1414 C du code général des impôts, le rétablissement des exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties accordées aux logements HLM ou linstitution, au profit de ceux-ci, dun plafonnement de cette taxe. Il a exprimé de fortes réticences sur laffectation de la taxe dhabitation aux seules communes, car cela conduirait notamment à faire assumer les ressources des régions par EDF, par lintermédiaire de la taxe sur lélectricité.
Sagissant de la taxe professionnelle, il a dénoncé une situation permettant aux collectivités locales disposant de bases importantes de voter des taux faibles. Il a suggéré la suppression progressive de labattement de 16% sur les bases, la prise en compte des actifs financiers, ainsi que lalignement sur le droit commun de la fiscalité locale de La Poste et de France Télécom.
M. Edmond Hervé a approuvé cette dernière suggestion, tout en notant quil en coûterait de 6 à 7 milliards de francs à lEtat. Il a également estimé nécessaire de réformer la taxe foncière sur les propriétés bâties en vue dune plus forte équité fiscale.
Le Président Augustin Bonrepaux a jugé quune spécialisation des ressources par niveau de collectivités comporterait des risques puisque, par exemple, la taxe sur lélectricité est déjà affectée par de nombreux départements aux syndicats délectrification. Il sest associé aux remarques suggérant un accroissement de la péréquation de la taxe professionnelle, tout en demandant à M. Gilles Carrez de convaincre ses collègues de lopposition du bien fondé de cette orientation. Il a estimé quen matière de taxe dhabitation, on pouvait soit poursuivre dans la voie consistant à accroître les allégements pris en charge par lEtat, comme cela a été le cas dans la loi de finances pour 1998, soit effectuer la vraie réforme, qui est la révision des valeurs locatives. Il sest prononcé pour cette seconde voie et pour sa mise en uvre le plus rapidement possible. En ce qui concerne la taxe professionnelle, il a estimé que la prise en compte des salaires dans les bases pourrait être réduite, tout en laissant les entreprises prendre en charge les conséquences dune telle réforme.
M. Edmond Hervé a rappelé quil nétait pas un partisan acharné de la spécialisation de la fiscalité locale et il a dailleurs noté quil avait suggéré dautoriser les établissements publics de coopération intercommunale ayant opté pour la taxe professionnelle à taux unique à percevoir également une taxe additionnelle sur les impôts pesant sur les ménages. Il a considéré quil ne fallait pas continuer la poursuite des dégrèvements et des exonérations, car lEtat finance déjà 23% du produit fiscal local. Sagissant de la réduction de la part des salaires dans les bases de la taxe professionnelle, il a jugé nécessaire détudier les conséquences dune telle réforme sur les différents secteurs dactivité et son impact à moyen terme. Il a également estimé quun tel mécanisme ne devrait pas être compensé par une intervention de lEtat, mais dans le cadre dune refonte du calcul des bases. Il a enfin souligné que son rapport ne constituait quun rapport détape, susceptible de faire lobjet de compléments concernant, par exemple, linstauration dune fiscalité propre en faveur des centres départementaux dincendie et de secours ou la taxe foncière sur les propriétés bâties. Il a néanmoins sollicité la publication de ce rapport détape à titre de contribution au débat en cours.
La Commission a autorisé la publication du rapport dinformation.
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La Commission a ensuite procédé à lexamen du rapport dinformation présenté, en application de larticle 145 du Règlement, par M. Didier Migaud, Rapporteur général, sur la fiscalité du patrimoine.
M. Didier Migaud, Rapporteur général, a indiqué que le premier rapport quil présentait aujourdhui sur la fiscalité du patrimoine serait complété ultérieurement par un rapport sur la fiscalité de lépargne.
Présentant la première partie de son rapport sur lévolution des patrimoines et de la fiscalité, le Rapporteur général a indiqué que la structure du patrimoine des ménages avait évolué dans un sens favorable aux actifs financiers, la part des actifs non financiers, qui représentait les deux-tiers de lensemble des patrimoines en 1970, ayant été ramenée à moins de la moitié en 1997.
Il a ensuite fait ressortir que la forte concentration des patrimoines constituait la deuxième caractéristique du patrimoine des ménages en France : plus du tiers du patrimoine est détenu par les 10% de ménages aux plus hauts revenus ; plus le patrimoine détenu est important, plus la part des actifs financiers en son sein est importante ; le taux moyen de détention des valeurs mobilières, qui est, en moyenne, de 22%, atteint 57% pour les patrimoines supérieurs à 1,5 million de francs. Il a déclaré que les inégalités de fortunes paraissent, en outre, largement liées aux héritages et aux donations, les ménages les plus riches se distinguant par le souci dorganiser la transmission de leur fortune.
Le Rapporteur général a ensuite rappelé que le projet de loi relatif à limpôt de solidarité sur la fortune (ISF) avait été déposé, en juillet 1988, en même temps que celui instituant le revenu minimum dinsertion (RMI).
Après avoir évoqué quelques indicateurs de la situation des plus démunis en France, il a indiqué que le produit de lISF, qui représentait, en 1989, 78% des dépenses du budget de lEtat au titre du RMI, nen représente plus que 43% en 1998.
Poursuivant la présentation de son rapport, il a indiqué que la fiscalité du patrimoine était caractérisée en France par une utilisation exhaustive des divers modes possibles dimposition, puisque notre système impose le patrimoine à tous les stades, depuis lentrée dans lactif jusquà sa cession ou sa transmission. Il a rappelé quen 1996, les impôts sur le patrimoine représentaient un produit de près de 196 milliards de francs, dont 130 milliards de francs (66%) au profit des collectivités locales, et 54 milliards de francs (28%) au profit de lEtat.
Le Rapporteur général a noté quen comparaison avec la situation prévalant dans les pays voisins ou partenaires de la France, celle-ci figure parmi les pays dont la part des impôts sur le patrimoine dans lensemble des prélèvements obligatoires est relativement importante, les statistiques en termes de pression fiscale par rapport au PIB confirmant cette position haute par rapport à la moyenne de lUnion européenne ou de lOCDE.
Il a, en outre, observé que les modifications législatives intervenues en la matière dans plusieurs pays voisins, qui nont pas encore pu être prises en compte dans les statistiques de lOCDE, devraient accentuer ce résultat.
Le Rapporteur général a ensuite examiné quelles pourraient être les voies dun aménagement de la fiscalité du patrimoine.
Après avoir rappelé les principales caractéristiques de lISF, qui nen font pas, contrairement aux idées reçues, un impôt essentiellement immobilier, mais dont le caractère progressif est fortement accentué, 5% des redevables, au patrimoine supérieur à 23,10 millions de francs, assurant 52,5% du produit de limpôt, le Rapporteur général a examiné les critiques traditionnellement adressées, en France, à limpôt sur lactif net, qualifié parfois dimpôt « imbécile ». Il a relevé quil pouvait ne pas être toujours très juste par certains de ses aspects et susciter des comportements anti-économiques, avec, par exemple les effets pervers du seuil de possession de 25% du capital pour bénéficier de lexonération au titre des biens professionnels. Il a également rappelé le reproche fréquemment fait à lISF de favoriser le népotisme et de fixer des personnes très âgées dans des fonctions de dirigeants dentreprises.
Il a considéré que les adaptations de limpôt devraient tendre à permettre une augmentation de son rendement, au-delà de ce qui résulterait de laugmentation naturelle des bases dimposition, ainsi quà le rendre plus juste et plus favorable au développement économique.
Il a dabord fait valoir quune première solution envisageable consisterait dans ladoption dune assiette universelle, qui emporterait lassujettissement des biens professionnels, permettrait de supprimer les discussions autour de la définition de ceux-ci, et autoriserait une baisse des taux.
Rappelant que certains responsables politiques, de lactuelle majorité comme de lactuelle opposition, ont pu préconiser une telle solution, il a cité le cas de son prédécesseur, notant cependant que celui-ci avait conclu, en son temps, à linopportunité politique de sa mise en uvre. Il a ensuite rappelé que cette solution était préconisée par le Conseil des impôts dans son seizième rapport.
Le Rapporteur général a indiqué quil ne se ralliait pas à une telle proposition, en raison de possibles effets pervers et de linopportunité douvrir un débat difficile avec des chefs dentreprises et des milieux économiques qui ne sont manifestement pas prêts à envisager sereinement cette question. Il a fait ressortir que cette solution aurait, en outre, linconvénient de donner un fondement légal à certaines pratiques doptimisation fiscale.
Il a ensuite présenté une deuxième solution, qui consisterait en une extension de lassiette de lISF aux biens professionnels selon des modalités spécifiques à ces biens, ce qui reviendrait à instituer un système de double taux. Il a considéré que, par rapport à lhypothèse précédente, cette solution aurait lavantage de maintenir la pression fiscale actuelle sur les biens patrimoniaux nayant pas le caractère de biens professionnels, mais quen revanche, elle aurait linconvénient de maintenir et même daccentuer la difficulté des travaux dassiette et de contrôle relatifs à la qualification des biens professionnels.
Le Rapporteur général a exposé quafin de surmonter les blocages psychologiques suscités par une telle extension, des mécanismes liant des baisses dimpôt à des comportements spécifiques en termes demploi ou dinvestissements, sont habituellement proposés, comme cest le cas dans la proposition de loi récemment déposée par les membres du groupe communiste et apparentés de lAssemblée nationale.
Le Rapporteur général a douté que lISF soit bien loutil le mieux adapté pour favoriser lemploi et linvestissement. Il a, en conséquence, estimé préférable de sen tenir aux adaptations que la pratique de lISF rend aujourdhui indispensables. Il a considéré que, parmi ces exigences, figurait la nécessité dune meilleure prise en compte de la capacité contributive des redevables et celle de mettre fin à certaines pratiques abusives. Il sest déclaré persuadé que la première exigence appelait à rendre plus strictes les évaluations des immeubles occupés par leurs propriétaires, en limitant, à 20% au maximum, labattement pratiqué pour loccupation de la résidence principale et en excluant tout abattement pour les résidences secondaires. Il a indiqué que le produit pouvant être attendu dune telle disposition serait de lordre de 800 millions de francs à 1,5 milliard de francs.
Abordant la question du traitement des bois et forêts, le Rapporteur général a appelé au maintien de labattement actuel des trois-quarts, compte tenu de la situation de la forêt française et des conditions strictes selon lesquelles labattement est mis en oeuvre.
Sur la question des oeuvres dart, il a suggéré de retenir la solution proposée par le Conseil des impôts, incluant les oeuvres dart dans le forfait mobilier. Observant quactuellement, ce forfait est très peu utilisé (environ 5% des redevables à lISF), il a estimé que sa plus grande utilisation, outre quelle permettrait daugmenter le rendement de limpôt, dispenserait de devoir mettre en oeuvre des procédures dinventaire forcé au caractère inquisitoire.
Il a en outre estimé utile de modifier un certain nombre de dispositions en vue de mettre fin à des pratiques excessives doptimisation fiscale, par exemple, en encadrant les modalités de déduction des dettes afférentes à des biens exonérés dISF, en taxant chez le nu-propriétaire, sur leur valeur en pleine propriété, des biens ayant fait lobjet dune donation temporaire dusufruit, ou en limitant lexonération dISF pour les biens professionnels relatifs à lactivité de loueur en meublé. Sagissant du plafonnement de lISF, le Rapporteur général a appelé à moraliser ses règles de fonctionnement sans perdre de vue le fait que, selon le niveau effectif du plafonnement, les décisions de délocalisation de certains hauts patrimoines pourraient ou non se multiplier.
Dans le souci de rétablir une plus grande équité fiscale, le Rapporteur général a considéré quil conviendrait daménager lassiette des droits de succession, afin que les contrats dassurance-vie ne soient plus un moyen privilégié dévasion légale. Il a suggéré la possibilité de permettre uniquement la transmission en franchise de droits de succession des sommes et actifs équivalent à 500.000 francs par part dhéritage, sans que la totalité des droits ainsi transférés puisse dépasser 30% de lactif successoral. Il a estimé quune telle mesure ne devrait avoir aucun caractère rétroactif.
Abordant la question du renforcement de la taxation des mouvements spéculatifs, il a estimé légitime la volonté de distinguer les comportements purement spéculatifs des choix dinvestissement véritables. Il a toutefois jugé indispensable de replacer toute mesure aggravant cette taxation dans le contexte concurrentiel qui marque lactivité du secteur de la banque et des services dinvestissements. Il a estimé que, parmi les pistes envisageables, figurait la possibilité de distinguer, pour les particuliers, selon la durée de détention des titres : une cession dans lannée de lacquisition serait lindice dun comportement spéculatif et justifierait un taux dimposition de lordre de 30%. Il a fait part dune autre piste qui pourrait consister, sagissant des entreprises, à moduler limputation des avoirs fiscaux sur limpôt sur les sociétés dans le cas des entreprises qui privilégient des placements spéculatifs par rapport à des placements productifs.
Abordant le problème de la transmission des entreprises, dont la Commission européenne a souligné limportance, le Rapporteur général a estimé possible de porter de 35% à 50% le taux de la réduction des droits applicables aux donations-partages et aux donations à enfant unique, la condition dâge minimum pouvant même être supprimée pendant une période de dix-huit mois.
Sagissant des droits de mutation à titre onéreux, le Rapporteur général a rappelé que la France appliquait les taux les plus élevés dEurope pour la taxation des mutations dimmeubles à usage professionnel, industriel et commercial. Il a suggéré de taxer au taux de 4,8% les cessions dactions de sociétés non cotées à prépondérance immobilière et dabaisser de 18,2% à 4,8% le taux applicable aux cessions dimmeubles industriels et commerciaux. Sur la question de la compensation des éventuelles pertes de recettes pouvant en résulter pour les collectivités locales, le Rapporteur général a souhaité lengagement dune réflexion densemble sur lorganisation des compensations dallégements dimpôt aux collectivités locales et insisté sur la nécessité de ne pas apprécier le droit à compensation sur une trop courte période, la baisse de limposition pouvant avoir pour effet de relancer le marché, ce qui se traduit par une augmentation du nombre des transactions servant dassiette à limpôt perçu par les collectivités locales.
Le Rapporteur général a conclu son intervention en insistant sur la nécessité de relever à 500.000 francs les abattements dont bénéficient les petites et moyennes successions. Il a observé que labsence de réévaluation des seuils et des abattements à la base avait aggravé la pression fiscale, de façon importante, pour les petites successions et quune solution pourrait consister à relever, dans un premier temps, à 500.000 francs labattement bénéficiant au conjoint survivant. Il a fait valoir quultérieurement, un même relèvement pourrait bénéficier aux héritiers en ligne directe nayant reçu aucun don manuel ni aucune donation depuis plus de dix ans.
M. Gilbert Gantier a estimé que les propositions du Rapporteur général comportaient de nombreux points positifs. Il sest félicité, tout dabord, que limpossibilité pour la France dagir de façon isolée, sans tenir compte des contraintes inhérentes à une économie ouverte, soit prise en compte. Il a relevé que le Rapporteur général avait fait état du mouvement dabaissement de limposition du patrimoine que lon observe dans de nombreux pays, citant lexemple de lAllemagne qui a suspendu la perception de son impôt sur le capital, et avait reconnu que la France fait partie des pays où cette imposition est la plus importante. Il a vivement approuvé lidée de relever de 35 à 50% la réduction des droits pour les transmissions dentreprises effectuées par voie de donation, lorsque le donataire est âgé de moins de 65 ans, ou, sans condition dâge, à titre temporaire, rappelant quil avait défendu la même proposition sous la précédente législature. Il a jugé quen labsence dune telle mesure, de nombreuses entreprises petites et moyennes risqueraient de passer sous contrôle étranger et que la tentation des délocalisations ne cesserait de progresser. Il a enfin fait part également de son accord avec la proposition du Rapporteur général relative à la taxation des cessions dactions de sociétés non cotées à prépondérance immobilière.
Le Rapporteur général a souhaité tempérer ces propos et a observé que les propositions quil formulait auraient pour effet daugmenter très sensiblement le rendement de lISF, dont le produit pourrait passer de 11 à 15 milliards de francs environ. Sagissant des taxes foncières, il sest déclaré favorable à une révision des bases locatives, et il a rappelé les orientations quil a définies pour renforcer la taxation des profits spéculatifs.
M. Gilbert Gantier a observé quil navait pas abordé la question de lISF, mais uniquement celle de la transmission des entreprises et des biens mobiliers. Sagissant de lISF, il a simplement indiqué que, par rapport aux autres pays, la France se distinguait par une imposition plus forte et une assiette plus étroite.
M. Yves Deniaud a également jugé intéressantes les propositions du Rapporteur général pour favoriser la mobilité et la rentabilité du capital productif et faciliter la transmission des patrimoines des ménages modestes. A propos de lISF, il a jugé peu probable que son produit augmente de près de 50% grâce à de simples mesures dadaptation. En ce qui concerne les uvres dart, il a considéré quil fallait veiller à ne pas surtaxer un secteur important et menacé par un réel risque dévasion, mais à titre personnel, il a jugé acceptable la proposition du Rapporteur général de les inclure dans le forfait mobilier. Il a critiqué, en revanche, la proposition de taxer, chez les nus-propriétaires, les biens ayant fait lobjet dune donation temporaire dusufruit. Il a par ailleurs souligné les inconvénients quil y aurait à limiter le montant des sommes et actifs déposés sur des contrats dassurance-vie ouvrant droit à une transmission en franchise de droits de succession, rappelant que les compagnies dassurances étaient dimportants souscripteurs dobligations dEtat.
Après sêtre inquiété de voir certains membres de lopposition accueillir avec satisfaction les conclusions du rapport dinformation sur la fiscalité du patrimoine, M. Christian Cuvilliez a indiqué que la proposition de loi déposée par les membres du groupe communiste visait à une meilleure justice fiscale, dans le cadre dun rééquilibrage du poids relatif des prélèvements sur le capital et de ceux pesant sur les revenus du travail, objectif nécessaire compte tenu de limportance de certaines fortunes professionnelles que révèle la presse spécialisée. Il a également appelé à tenir compte de différences significatives constatées dans la composition des patrimoines, certains dentre eux constituant des unités dormantes, économiquement inactives, voire parasitaires, tandis que dautres jouent un rôle économique important. Il a fait valoir que la proposition de loi communiste faisait clairement le choix dune économie de développement, en distinguant les investissements productifs conduisant à des créations demplois et ce qui relève dune « économie de casino » ou dune économie de rente. Il a enfin relevé le caractère insuffisant, à cet égard, des propositions présentées en conclusion du rapport dinformation.
M. Thierry Carcenac a jugé intéressante la proposition du Rapporteur général tendant à une taxation au taux unique de 4,8% des transactions sur les immeubles à usage professionnel. Il sest cependant inquiété dune éventuelle absence de compensation des pertes de recettes pour les collectivités locales, rappelant que le transfert du produit des droits de mutation à titre onéreux constituait à lorigine, dans le cadre des lois de décentralisation, une compensation des charges résultant du transfert aux départements des dépenses daction sociale. Il a ensuite jugé que léquilibre financier global entre la réduction des prélèvements obligatoires proposée dans le cadre du rapport dinformation et laugmentation de recettes fiscales résultant de ladaptation des règles relatives à lISF ne devaient pas faire obstacle à cette compensation, puis a insisté sur le fait que lexpérience de la réduction temporaire des droits de mutation à titre onéreux à laquelle il avait été procédé en 1995 rendait indispensable une compensation effective, afin de ne pas perturber léquilibre économique des collectivités.
Concluant son intervention, il a jugé également intéressante la proposition dun rehaussement à 500.000 francs de labattement bénéficiant au conjoint survivant en matière de droits de succession, rappelant que serait ainsi facilité laccès de certaines personnes à la prestation spécifique dépendance (PSD). Il a fait valoir que cette harmonisation des seuils dexonération des droits de succession et des règles afférentes à la PSD devait être saluée.
Après avoir rappelé que ses convictions profondes allaient en faveur dune imposition du capital plutôt que dun aménagement des règles de lISF, même si celui-ci paraissait avoir de plus grandes chances daboutir, M. Raymond Douyère a jugé préférable de prévoir une taxation spécifique des contrats dassurance-vie plutôt quune limitation à 500.000 francs du montant du capital transmis en franchise de droits de succession. Il a jugé que cette solution présenterait lavantage doffrir un rendement immédiat et déviter les difficultés précédemment soulignées par M. Yves Deniaud, appelant, en outre, à ne pas négliger les risques de délocalisation des contrats.
En réponse à ces interventions, le Rapporteur général a dabord rappelé que lharmonisation des taux devait constituer de manière générale un objectif à long terme dans un souci de cohérence, et que, sagissant des droits de mutation à titre onéreux affectant les immeubles professionnels, une telle harmonisation constituait une nécessité économique. Il a fait valoir que la question de la compensation des pertes de recettes des collectivités locales devait être examinée avec le Gouvernement dans le respect de deux principes : dune part, la compensation doit tenir compte de la richesse et des capacités contributives des différentes collectivités ; dautre part, son montant doit être établi dans une perspective à moyen terme, les pertes de ressources constatées lors de la mise en application dune mesure de réduction des droits étant susceptibles dêtre ultérieurement compensées par les recettes nouvelles procurées par le développement des échanges que favorise lallégement du prélèvement.
Abordant ensuite les questions relatives à lISF, le Rapporteur général a rappelé quil était également, sur un plan théorique, favorable à limposition de lensemble du capital, jugeant quun bon impôt devait reposer sur un taux faible et sur une base large, mais que les difficultés pratiques de mise en uvre de ces principes devaient être prises en compte. Il a fait valoir que les adaptations préconisées, dont la portée est réelle, représentaient une contribution au dialogue entre le Gouvernement et la majorité parlementaire et tendaient à un meilleur rendement de lISF et à une plus grande justice. Il a, en outre, rappelé laugmentation spontanée du rendement de cet impôt, qui prend en compte les plus-values latentes en capital, dont peuvent bénéficier les détenteurs de portefeuilles boursiers. Il a fait valoir que les mesures de moralisation votées par la majorité plurielle dans le cadre de la loi de finances pour 1998 produisaient déjà des résultats significatifs.
M. Didier Migaud a ensuite observé que la mise en place dune fiscalité tendant à décourager les activités spéculatives relève dun autre dispositif, qui pourrait concerner tant les entreprises que les particuliers, et a indiqué que les contrats dassurance-vie devaient également faire lobjet dune mesure appropriée afin de limiter les possibilités dévasion fiscale.
Il a ensuite précisé que le rapport sur la fiscalité du patrimoine constituait une première réponse à la mission que la Commission lui a confiée en début dannée sur la fiscalité du patrimoine et de lépargne, le second volet devant être abordé ultérieurement, sous la forme dun nouveau rapport dinformation à la préparation duquel il travaille en liaison avec M. Jérôme Cahuzac.
Le Président Augustin Bonrepaux a remercié le Rapporteur général de la qualité de son rapport, dont il a souligné le caractère équilibré. Il a jugé favorablement le fait que la fiscalité pesant sur le patrimoine allait augmenter dans certains cas, mais diminuer pour les catégories sociales modestes ou moyennes, qui seraient ainsi bénéficiaires des mesures proposées.
La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport dinformation.
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