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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 71

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 septembre 1998
(Séance de 14 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

pages

Audition de MM. Dominique Strauss-Kahn, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et Christian Sautter, Secrétaire d’État au budget, sur le projet de loi de finances pour 1999



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La Commission a procédé à l’audition de MM. Dominique Strauss-Kahn, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et Christian Sautter, Secrétaire d’État au budget, sur le projet de loi de finances pour 1999.

M. Dominique  Strauss-Kahn a tout d’abord rappelé que, dans la préparation du projet de loi de finances pour 1999, le Gouvernement avait cherché à donner plus de temps à la discussion au sein du Parlement, et que cette volonté s’était manifestée, à la fois, par la présentation générale de ce projet dès la fin du mois de juillet dernier et par une importante concertation avec la commission des Finances, notamment par le biais des rapports publiés par Mme Nicole Bricq, M. Didier Migaud, Rapporteur général, et M. Edmond Hervé sur les questions mises à l’étude par le Gouvernement, respectivement la fiscalité écologique, la fiscalité du patrimoine et la fiscalité locale. Il a exprimé l’espoir que le conseil des ministres puisse adopter désormais le prochain projet de budget au mois de juillet, selon un calendrier proche de la pratique de nombreux pays voisins de la France. Il a souligné le souci particulier de transparence qui avait conduit le Gouvernement, non seulement à rebudgétiser des dépenses qui avaient fait l’objet de débudgétisations au cours des années récentes, mais également à inscrire en loi de finances des dotations comme les « crédits d’articles » qui n’y avaient jamais figuré, ceci pour répondre aux critiques du Conseil constitutionnel.

Abordant la question du contexte international, il a constaté que la crise en Asie, si elle ne s’aggravait pas, ne trouvait pas de solution, et que l’émoi suscité par la crise russe était sans doute disproportionné à ses conséquences économiques, certes réelles, pour l’Europe. Il a estimé qu’une analyse rigoureuse des facteurs de crise impliquait de prendre en compte la situation spécifique de chaque pays. Il a ajouté que les nouveaux désordres internationaux reposaient la question de la mise en place de nouveaux instruments de régulation internationaux, et justifiaient les deux orientations prises par le Gouvernement français : le soutien de la croissance par la demande intérieure et l’engagement résolu du pays dans la construction de l’euro, facteur de stabilité et de protection des économies. Il a précisé que le Gouvernement, compte tenu des incertitudes internationales, avait fondé ses prévisions de croissance sur la même vision prudente que celle adoptée en 1998 et évalué le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) à 2,7 % pour 1999 au lieu de 3,1 % en 1998.

Le Ministre a fait observer que le projet de budget était construit sur la volonté d’utiliser le plus efficacement possible les marges de la croissance qui avaient apporté, à législation fiscale constante, 74 milliards de francs de recettes fiscales spontanées supplémentaires. Il a indiqué que 16 milliards de francs seraient affectés à la baisse des impôts à hauteur de 10 milliards de francs pour les ménages et de 8 milliards de francs pour les entreprises, compte tenu d’une augmentation du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de 2 milliards de francs, tandis que 21 milliards de francs seraient consacrés à la réduction du déficit à 2,3 % du PIB ; il a confirmé que l’équilibre primaire serait atteint en 1999 et que le ratio dette/PIB baisserait à partir de 2000. Il a ensuite annoncé que les dépenses publiques seraient augmentées de 37 milliards de francs, 21 milliards de francs correspondant à la hausse des prix et 16 milliards de francs à une croissance réelle des dépenses, affectée principalement au financement de la réduction du temps de travail et des mesures de lutte contre l’exclusion, ainsi qu’au soutien de la demande intérieure. Il a fait remarquer que les effectifs civils seraient stabilisés mais redéployés en direction de services publics tels que la justice ou l’enseignement supérieur. Il a enfin déclaré que le taux des prélèvements obligatoires baisserait en 1999 de 0,2 %, comme en 1998.

M. Dominique Strauss-Kahn a ensuite affirmé que les mesures fiscales du projet de loi de finances pour 1999 constituaient la réforme la plus importante depuis le début des années quatre-vingts, comme en témoignait le nombre d’articles fiscaux deux fois plus élevé que de coutume, et que le Gouvernement avait d’ailleurs été contraint, pour ce motif, de prévoir l’insertion de certaines mesures comme la réforme de la taxe d’habitation dans le collectif de fin d’année. Parmi les réformes de structures souvent envisagées de plusieurs parts et jamais encore réalisées, que le projet de loi prévoyait, il a cité la taxe professionnelle, la réduction des droits de mutation immobilière, l’ISF, l’assurance-vie, la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’avoir fiscal et la suppression de plusieurs impôts obsolètes. Il a également évoqué les mesures à préoccupation écologique telles que le rattrapage de la fiscalité pesant sur le gazole. Enfin, il a mentionné particulièrement les mesures de simplification, illustrées notamment par la suppression de l’obligation de déclaration de la TVA pour les 500.000 entreprises ayant moins de 500.000 francs de chiffre d’affaires ou par celle de la déclaration de droit au bail et qui auraient pour effet la disparition, en 1999, de 15 millions de formulaires.

M. Christian Sautter, secrétaire d’État au budget, a indiqué que parmi les dépenses prioritaires, les crédits consacrés à l’emploi et à la justice sociale seraient augmenté de 3,9 % pour le volet « emplois-jeunes, réduction du temps de travail, allégement du coût du travail non qualifié », de 4,5 % pour la santé et la solidarité, de 4 % pour le logement social, de 32 % pour la ville, tandis que les crédits relatifs à la lutte contre l’exclusion passeraient de 2,4 milliards de francs en 1998 à 7,7 milliards de francs en 1999. S’agissant de l’éducation, le Ministre a annoncé que les crédits de l’enseignement scolaire croîtraient de 4,1 %, notamment pour financer 60 000 emplois-jeunes, que ceux de l’enseignement supérieur augmenteraient de 5,5 %, permettant le financement de 800 emplois supplémentaires et du futur plan social étudiant, et que ceux de la jeunesse et des sports bénéficieraient d’une hausse de 3,4 %. Il a précisé que l’amélioration des conditions de la vie quotidienne des Français justifiait une augmentation des crédits de la justice de 5,6 % ainsi que la création de 930 emplois, mais aussi un accroissement des crédits de la sécurité publique de 3 %, une augmentation des crédits de la culture permettant à ceux–ci d’atteindre 0,97 % du PIB et un effort de près de 15 % en faveur de l’environnement, à structure constante, donc compte non tenu du produit de la taxe sur les activités polluantes.

Ensuite, le Ministre a évoqué les efforts de redéploiements concernant 30 milliards de francs et près de 2 400 emplois, au profit principalement du ministère de la justice et du budget de l’enseignement supérieur. Il a précisé que si la progression des dépenses de fonctionnement était limitée à 0,3 %, les dépenses d’équipement augmenteraient, à nouveau, de 2,8 %, après l’interruption intervenue en 1996 et 1997, tandis que les crédits consacrés à la défense seraient accrus de 21,2 %, portant de 81 à 86 milliards de francs l’effort d’équipement militaire. Il a également fait remarquer que la hausse de la charge de la dette se limiterait à 2,4 milliards de francs grâce à la modération des taux d’intérêt et à la réduction du déficit budgétaire.

Enfin, M. Christian Sautter a fait observer que les rebudgétisations opérées sur les recommandations réitérées du Conseil constitutionnel en 1994 et en 1997 atteindraient pour 1999 près de 45,6 milliards de francs et affecteraient notamment le budget des services financiers et les charges de pensions des fonctionnaires de La Poste.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a exprimé sa satisfaction, comme il l’avait fait lors de la précédente réunion de la Commission, devant ce projet de budget qu’il a jugé en parfaite continuité avec les orientations défendues par le Gouvernement depuis quinze mois. S’interrogeant sur l’effet du contexte macro-économique mondial sur la croissance française, il a approuvé l’attitude prudente du Ministre qui le conduisait à réviser légèrement en baisse sa prévision de croissance pour 1999. Estimant que, plus que la crise russe, la situation au Japon était porteuse de risques, notamment par la diffusion de ses effets à travers les économies asiatiques et latino-américaines, il a demandé au Ministre s’il disposait de simulations capables d’évaluer les répercussions de la crise actuelle sur les finances publiques. Il a fait observer que le désordre de l’économie mondiale montrait l’inadaptation des thèses libérales, et validait la recherche, caractéristique de la politique française, d’un juste milieu dans l’encadrement de l’activité économique. Il a, d’autre part, souhaité savoir si la revalorisation du taux de croissance pour 1998 et l’augmentation des recettes fiscales qui en découlait amèneraient le Gouvernement à revoir à la baisse le niveau de déficit public prévu pour cet exercice. Il a interrogé le Ministre sur la décomposition des 2,3 % de déficit annoncés pour 1999. Il a enfin demandé des précisions sur les possibilités de baisse ciblée du taux de TVA, et s’est enquis des résultats des négociations menées avec la Commission européenne sur l’extension du taux réduit aux services à domicile.

Répondant au Rapporteur général, M. Dominique Strauss-Kahn a considéré que la pérennisation de la crise en Asie constituait en soi un facteur de ralentissement de la croissance dans le reste du monde. Il a fait observer que, si les trois pays dans lesquels la crise était apparue – à savoir, la Corée, la Thaïlande et la Malaisie – s’acheminaient lentement, moyennant d’ailleurs un coût social bien plus important que prévu, vers un retour à l’équilibre, le Japon ne connaissait pour le moment pas d’évolution positive, ni de sa situation macro-économique, ni dans la restructuration de son système bancaire. Il a salué la grande détermination des dirigeants chinois à faire de leur pays un pôle de stabilité dans la région, notamment en maintenant la parité du yuan. Il a jugé que la crise russe, de nature essentiellement politique, aurait des effets très limités sur la balance commerciale et que le risque de propagation résultait bien davantage des investissements bancaires, même si les banques françaises étaient quatre fois moins engagées dans cette région que les banques allemandes, et surtout de la réaction globale des marchés et des épargnants. Il a conclu que l’évolution de l’économie mondiale n’était pas de nature à remettre en cause la croissance française, davantage poussée que par le passé par la demande interne.

S’agissant de l’exécution du budget 1998, le Ministre a fait observer que l’amélioration de 0,1 % du taux de croissance se traduisait directement par un supplément de recettes limité à environ 1,2 milliard de francs, mais que la contribution plus forte de la demande interne à la croissance entraînait des plus-values de TVA d’une ampleur beaucoup plus importante, et avait par conséquent autorisé le Gouvernement à ramener la prévision du taux de déficit public pour 1998 de 3 à 2,9 % du PIB. Il a, par ailleurs, précisé que les 2,3 % de déficit public prévus pour 1999 se décomposaient en 2,7 % de déficit pour l’État, 0,25 % d’excédent pour les collectivités locales et les autres organismes publics et 0,15 % d’excédent pour les organismes de sécurité sociale, le Gouvernement prévoyant un retour à l’équilibre du régime général et le maintien des excédents pour les autres régimes.

M. Christian Sautter a rappelé que le Gouvernement avait pris en 1998 quatre mesures de réduction du taux de TVA, d’un coût total de 5 milliards de francs, d’une part, en étendant le taux réduit à la réhabilitation de logements sociaux et locatifs, à l’achat de terrains à bâtir pour la construction de logements sociaux et à la construction de logements-foyers, et, d’autre part, en modifiant le régime de crédit d’impôt pour l’amélioration des logements. Il a, en outre, précisé que le Gouvernement avait d’ores et déjà décidé d’étendre en 1999 le taux réduit aux abonnements de gaz et d’électricité, au traitement des déchets par tri sélectif, à l’appareillage des diabétiques et des handicapés et aux travaux d’amélioration de l’habitat exécutés par des bailleurs privés de logements sociaux. Il s’est, d’autre part, félicité que la Commission européenne n’ait pas opposé une réponse négative à la requête française visant à étendre le taux réduit aux services à domicile en considérant qu’une telle extension, si elle n’était pas conforme à la lettre du droit communautaire, répondait à son intention d’alléger la fiscalité pesant sur les secteurs de main d’œuvre.

Après avoir fait observer que le pic de croissance de la production industrielle avait été atteint au troisième trimestre 1997, M. Philippe Auberger a émis des doutes sur la fiabilité des prévisions de croissance retenues par le Gouvernement. Il a, par ailleurs, appelé le Gouvernement à davantage de prudence dans son évaluation des conséquences de la crise russe, observant que, pour le moment, aucune grande banque française n’avait publié l’état de ses engagements dans ce pays. Il a, d’autre part, souligné que le taux de croissance des dépenses retenu dans le projet de budget pour 1999 était le plus haut des trois dernières années, et que, le Gouvernement n’ayant annoncé aucune économie significative au sein du régime d’assurance maladie, l’évolution des comptes de ce régime risquait de compromettre les 2,3 % de déficit public annoncés. Il a fait part de son scepticisme devant l’évolution des prélèvements obligatoires, rappelant qu’en 1997 la part de ces prélèvements dans le PIB avait atteint 46,2 % contre 46 % prévus, et que pour 1998 les plus-values de recettes ne permettraient pas de s’en tenir au taux annoncé de 45,9 %. Il a, par ailleurs, regretté qu’un tiers de l’avantage tiré de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle soit annulé par la récente décision d’augmenter la cotisation minimale et de supprimer la réduction pour embauche et investissement. Il a, en outre, relevé la discrétion du Ministre sur la réforme du quotient familial dont il a jugé qu’elle toucherait plus de 200.000 familles ayant un enfant et gagnant 35.000 francs de salaire brut mensuel. Il a qualifié cette mesure de véritable provocation, au regard du projet de pacte civil de solidarité qui, en étendant la possibilité de déclaration commune de revenus, entraînerait un coût fiscal de plusieurs milliards de francs. Il a fait observer que le plafonnement des avantages successoraux de l’assurance vie à 30 % de l’ensemble de la succession aurait pour effet mécanique d’avantager les ménages les plus riches. Il a, en dernier lieu, souhaité disposer, avant la distribution du rapport du Rapporteur général, de la liste de l’ensemble des rebudgétisations annoncées par le Gouvernement, et avoir des précisions sur les opérations de privatisation du Crédit lyonnais et plus généralement sur l’état du compte d’affectation spéciale enregistrant les recettes des privatisations.

Se félicitant de ce que le projet de loi de finances pour 1999 ait été préparé à la fois dans la sérénité et dans la concertation et que les travaux réalisés par Mme Nicole Bricq, M. Didier Migaud, Rapporteur général, et M. Edmond Hervé aient utilement contribué à ce texte, M. Jean-Louis Idiart a salué un budget qui soutiendra une croissance forte et créatrice d’emplois. Remarquant que les résultats observés cette année montraient que l’optimisme du Gouvernement ainsi que les choix opérés par la loi de finances pour 1998 étaient pleinement justifiés, il a relevé que la croissance serait employée, en 1999, à réduire le déficit budgétaire, ce qui permettra d’atteindre l’équilibre « primaire » dès cet exercice, à renforcer de manière significative certains secteurs - tels l’environnement, la solidarité et la santé, la ville, le logement, l’enseignement scolaire et supérieur, la jeunesse et les sports, la justice et la culture - afin de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de justice sociale, et, enfin, à réduire les impôts pesant sur les entreprises et sur les ménages. Il a souhaité que les entreprises bénéficiaires de la réforme de la taxe professionnelle soient incitées à s’engager effectivement dans la création d’emplois, que les allégements de TVA contenus dans le projet de loi de finances, qui vont dans le bon sens, puissent être étendus, et que soit donnée une cohérence aux différentes réformes envisagées de la fiscalité locale, sur le fondement des travaux de M. Edmond Hervé.

Estimant que la croissance permettait de masquer les faiblesses de notre économie, à savoir la persistance d’un taux record de prélèvements obligatoires et le poids excessif des dépenses de fonctionnement de l’État, M. Pierre Méhaignerie a annoncé que les propositions de son groupe sur ce point rejoindraient l’excellente suggestion formulée par MM. Laurent Fabius, Jack Lang et Jacques Delors, visant à limiter le déficit budgétaire à 1,7 % du PIB en 1999. Il s’est demandé pourquoi le Gouvernement avait privilégié un allégement de la taxe professionnelle par rapport à la franchise de charges sociales sur les salaires proposée par M. Jacques Barrot. Il a estimé que cette réforme de la taxe professionnelle aurait moins d’incidences positives sur l’emploi que la franchise, comme le montre le rapport remis, au cours de l’été, par M. Edmond Malinvaud, qu’elle serait socialement injuste, dans la mesure où elle bénéficiera beaucoup plus aux professions libérales et entreprises de service où les salariés perçoivent des rémunérations élevées qu’aux entreprises présentes dans les secteurs industriels exposés à la concurrence internationale où les salaires sont pourtant bien moins élevés, et qu’elle aurait enfin pour effet de déresponsabiliser les collectivités locales, dont la dépendance vis-à-vis de l’État sera accrue. Sur ce dernier point, il a relevé que l’importance qu’aura prise la DGF au terme de la réforme justifierait son indexation sur les salaires de la fonction publique, faute de quoi les collectivités locales seraient à nouveau obligées d’augmenter la pression fiscale.

Souscrivant pleinement aux objectifs d’emploi et de justice sociale retenus par le Gouvernement, M. Christian Cuvilliez a considéré que les questions posées en juillet dernier n’avaient pas encore reçu de réponses complètes. Il a regretté que la répartition des allégements fiscaux entre les entreprises et les ménages ne soit pas proportionnelle à l’effort fiscal exigé des uns et des autres. Il a plaidé, en conséquence, pour des baisses supplémentaires de TVA, notamment pour les services de proximité, d’autant que cette taxe frappe tout particulièrement les familles modestes, dont elle représente 13 % du revenu. Il a jugé que les mesures de simplification fiscale étaient à la fois appréciables et appréciées et s’est déclaré sensible à la progression des dépenses dans le domaine social. Faisant part de ses interrogations sur la réforme proposée de la taxe professionnelle, il a indiqué qu’il aurait préféré, à la suppression pure et simple de la part salariale de l’assiette, une intégration dans cette assiette des actifs financiers, qui aurait maintenu, voire augmenté, le rendement de la taxe. Il a souhaité que la réforme comporte des mesures d’accompagnement assurant son plein effet sur l’emploi et empêchant d’alimenter soit la spéculation financière, soit le seul investissement. Il a enfin regretté que la question de la péréquation entre les taux par le biais de la taxe professionnelle d’agglomération, évoquée par le Ministre de l’Intérieur, n’ait pas encore été réglée.

Qualifiant le projet du Gouvernement de « budget des occasions manquées », M. Marc Laffineur a craint que l’hypothèse de croissance retenue ne soit trop optimiste, compte tenu des risques de contagion des crises asiatique et, surtout, russe. Estimant qu’il n’était plus possible de considérer qu’un bon budget était celui dont les dépenses progressaient, il a déploré que les dépenses ne soient pas réduites en 1999, ce qui aurait autorisé une politique plus ambitieuse d’allégements fiscaux. Relevant que l’hypothèse de 2,3 % de déficits publics par rapport au PIB se fondait sur un excédent aléatoire des comptes des organismes sociaux, il a vivement critiqué la perte de crédibilité de l’État, résultant de la remise en cause de sa parole, que constituent, selon lui, les mesures proposées en matière d’assurance vie, d’autant que celles-ci auront également pour conséquence d’encourager la délocalisation des patrimoines. Convenant que la réforme de la taxe professionnelle diminuerait la pression fiscale sur les entreprises, il a cependant regretté que la compensation prévue pour les collectivités locales ne soit pas totale et redouté qu’un « effet de ciseau » ne se produise, sous l’influence conjointe de la faible progression de la DGF et de la hausse des charges salariales. Abordant enfin l’allégement de la TVA sur les abonnements d’électricité, il a demandé s’il était exact que la Commission des Communautés européennes souhaitait son extension à la consommation.

Se félicitant de l’ambition du Gouvernement qu’illustre l’hypothèse de croissance de 2,7 % retenue pour 1999, M. Michel Suchod s’est interrogé sur l’utilisation des marges offertes par la situation économique. Rappelant que telle qu’elle était proposée par le projet de loi, la réforme de la taxe professionnelle aurait certainement été qualifiée, en d’autres temps, de « cadeau aux entreprises », il a rappelé que le rapport remis par M. Edmond Malinvaud, ainsi que l’expérience des mesures adoptées sous le Gouvernement de M. Édouard Balladur, montraient que l’effet de ce type de dispositif sur l’emploi est très incertain. Il a en conséquence évoqué la possibilité d’un aménagement du dispositif par un transfert de la part salariale sur la valeur ajoutée, qui permettrait de baisser la TVA ainsi que les charges sociales et de relancer la demande interne, seule de nature à conforter la croissance. Il a relevé que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement traduisait une appréciation favorable de l’évolution de la crise en Russie, tout en remarquant que, depuis l’audition du Ministre, le 22 juillet dernier, elle avait déjà été révisée à la baisse et que toute diminution supplémentaire ne pourrait d’ailleurs que contraindre excessivement les différents budgets.

Se demandant pourquoi l’accroissement des rentrées fiscales n’avait pas permis de relever les minima sociaux, M. Yves Cochet a salué les premiers pas accomplis vers une fiscalité écologique, souhaitant toutefois que le principe pollueur-payeur s’applique également à la consommation d’eau par les agriculteurs et se demandant si la taxe générale sur les activités polluantes servirait, le moment venu, de cadre à la future « écotaxe ». Soulignant que les crédits d’équipement militaire bénéficieraient, en 1999, d’une augmentation de 5 milliards de francs, il a estimé que l’abandon du Laser Mégajoule et des générateurs de rayons X, préconisé en son temps par le Premier ministre, serait une source appréciable d’économies. Il s’est enfin prononcé en faveur d’une réforme plus audacieuse de l’impôt sur le revenu, afin de conforter son statut d’impôt universel et républicain par excellence.

M. Dominique Strauss-Kahn a ensuite répondu aux intervenants.

A propos des prévisions de croissance du Gouvernement, il a indiqué que :

– il est toujours possible de contester les prévisions faites par le Gouvernement ; cependant la relecture des propos négatifs tenus l’an dernier par des membres de l’opposition, et notamment par M. Philippe Auberger, sur la prévision de croissance avancée par le Gouvernement pour 1998, qui sera finalement dépassée, doit inciter les auteurs de critiques à la prudence ;

– aucune banque importante de quelque pays que ce soit n’a publié ses engagements en Russie et leur degré de couverture ; il existe tout au plus des statistiques globales sur l’engagement des banques par région ;

– la prévision de croissance présentée le 22 juillet dernier date du mois d’avril ; ce n’est donc pas en quarante jours, mais en quatre mois que le Gouvernement a été amené à réviser de 0,1 % sa prévision pour 1999, la ramenant de 2,8 à 2,7 %.

S’agissant de l’évolution des dépenses et de l’équilibre des finances publiques, le Ministre a observé que :

– les dépenses de l’État ont fortement augmenté en 1995 et 1996, et ce, au demeurant, malgré des débudgétisations qui sont à l’origine de certaines des « rebudgétisations » proposées dans le budget 1999 ;

– il ne suffit pas d’invoquer, de façon générale, la nécessité de diminuer les dépenses publiques ; il faut préciser les coupes que l’on ferait, sauf à tomber dans des propos de « café du commerce » ;

– en tout état de cause, le ratio de la dépense de l’État sur le PIB continuera à diminuer en 1999, ce qui n’était pas le cas en 1995 et 1996 ;

– la prévision d’un retour à l’équilibre des régimes de sécurité sociale en 1999 s’explique, en sus des mesures de redressement prises par le Gouvernement, par l’évolution dynamique de leurs recettes, qui est directement liée à celle de la masse salariale et donc à la croissance ; après l’augmentation de 4 % en 1998, cette masse augmentera de 4,3 % en 1999 ;

– pour évaluer le partage entre ménages et entreprises des baisses d’impôt, il convient de prendre en compte les deux années 1998 et 1999 ; compte tenu de l’alourdissement de 32 milliards de francs des prélèvements sur les entreprises opéré en 1998, l’allégement de 8 milliards de francs proposé pour 1999 et la réduction, conformément à la loi, de 4 milliards de francs de la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés conduiront tout de même à un alourdissement de 20 milliards de francs en deux ans, à comparer aux 10 milliards de francs d’allégements décidés au profit des ménages sur ces deux exercices ;

– le surcroît de recettes fiscales constaté en 1998 grâce à la croissance ne peut être affecté au relèvement des minima sociaux, car il existe d’autres dépenses à financer, comme le maintien à 1.600 francs de l’allocation de rentrée scolaire.

En ce qui concerne la suppression de la part salariale de l’assiette de la taxe professionnelle, il a précisé que :

– la décision du Gouvernement d’augmenter d’autres éléments de cette taxe, en particulier la cotisation minimale, ne peut pas être qualifiée de retour en arrière car le coût brut de la mesure, soit 12 milliards de francs en 1999, avait, dès l’origine, été distingué de son coût net, soit 7,2 milliards de francs cette même année ;

– cette mesure a bien pour vocation de soutenir l’emploi directement (par l’allégement du coût du travail) et indirectement (en favorisant l’investissement), ce que devraient expliquer tous ses défenseurs, y compris ses partisans au sein de l’ancienne majorité ; l’opposer, en tant que « mesure de gauche », à la baisse des charges sociales, en tant que « mesure de droite », n’a pas de sens ; au contraire le retour à l’excédent de la sécurité sociale pourrait permettre de procéder également à l’allégement des cotisations, afin de ne pas avoir à choisir, en matière d’emploi, « entre fromage et dessert » ; ce qu’il faut en revanche éviter, c’est de financer des baisses de charges sociales par des prélèvements sur les ménages qui ont, à l’instar de l’augmentation de la TVA décidée par le Gouvernement de M. Juppé, un effet récessif et donc négatif pour l’emploi ;

– un sondage effectué pour le compte du ministère après l’annonce de cette mesure, en juillet dernier, a montré que 79 % de nos concitoyens considéraient qu’il ne s’agissait pas d’un « cadeau aux entreprises », mais d’une disposition qui servirait l’emploi ;

– ce dispositif ne conduira pas à l’asphyxie des collectivités locales ; en effet, le Gouvernement a adopté vis-à-vis des collectivités locales une position qui rompt avec la rigueur du « pacte de stabilité » du Gouvernement de M. Juppé. Plus précisément, la compensation de la réforme de la taxe professionnelle se fera franc pour franc en 1999 et ensuite la dotation versée à ce titre aux collectivités locales sera indexée sur l’évolution de la dotation générale de fonctionnement. Compte tenu du mode d’indexation de celle–ci, les communes où l’emploi sera très dynamique recevront donc un peu moins de recettes tandis que pour celles, moins favorisées, où l’emploi baisse ou stagne, le mécanisme de compensation induira une garantie de ressources et le dispositif aura ainsi un certain effet péréquateur ;

– de façon générale, le degré d’autonomie des collectivités locales ne se mesure pas à leur pouvoir de décision en matière fiscale, mais à leur indépendance dans la détermination des choix de dépenses, comme aux Pays–Bas où les communes arrêtent librement leurs dépenses mais ne votent aucune décision fiscale ; la récente proposition de M. Fourcade, consistant à affecter aux communes une partie de l’impôt sur les sociétés, conduirait d’ailleurs à une situation de cet ordre ;

– il n’était pas possible d’envisager d’asseoir, même partiellement, la taxe professionnelle, qui est un impôt local sur la valeur ajoutée, puisqu’il est très difficile de déterminer celle-ci par établissement ;

– la réforme de la taxe professionnelle sera coordonnée avec l’institution de la taxe professionnelle d’agglomération étudiée par M. Jean–Pierre Chevènement ; plus largement, l’ensemble des mesures envisagées en matière de fiscalité locale pourrait déboucher sur une réflexion générale sur le financement des collectivités locales.

En ce qui concerne la limitation de l’exonération de droits de succession attachée à l’assurance-vie, le Ministre a considéré que :

– cette exonération n’a pas été instituée afin de permettre aux plus grosses successions d’échapper à l’imposition mais pour favoriser, en son temps, le développement d’un produit nouveau ; il est donc légitime de la plafonner ;

– le débat sur la rétroactivité de la loi fiscale n’est pas nouveau ; il n’y a pas en l’espèce de rétroactivité au sens légal du terme, mais simplement la remise en cause d’une situation considérée par certains comme acquise.

M. Dominique Strauss-Kahn a enfin apporté les précisions suivantes :

– la réduction du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial est une mesure, arrêtée le 12 juin dernier, qui a été proposée par les associations familiales lors de la conférence sur la famille. Cette réduction sera plus que compensée par le rétablissement des allocations familiales pour toutes les familles, puisque celui–ci coûtera 4,7 milliards de francs, contre 3,9 milliards de francs de recettes supplémentaires apportés par la mesure fiscale ;

– le débat sur le pacte civil de solidarité va enfin fournir l’occasion, dont il se réjouit, d’une véritable opposition entre la gauche et la droite.

– les modalités de la privatisation du Crédit lyonnais ne sont pas encore fixées et la Représentation nationale en sera informée quand ce sera le cas ; en tout état de cause, il n’y aura pas d’incidences sur le compte d’affectation spéciale destiné aux produits des privatisations, car le produit de celle du Crédit lyonnais servira au désendettement de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR) ; quant aux recettes du compte d’affectation spéciale, elles sont évaluées à 28 milliards de francs en 1998 et 17 milliards de francs en 1999 ;

– il existe effectivement un débat en cours dans les instances communautaires sur la conformité au droit européen d’une application du taux de TVA aux seuls abonnements à EDF-GDF  ; la France estime ceci clairement conforme, même si l’on peut regretter que ce problème ait été créé par la décision de M. Edouard Balladur de relever, en 1994, au taux normal la TVA sur les abonnements ;

– une application plus rigoureuse du principe pollueur/payeur en matière d’eau n’a pas pu être prise en compte dès 1999, ce qui n’empêcherait pas d’examiner des propositions nouvelles, éventuellement d’origine parlementaire, pour avancer dans le projet de budget 2000 ;

– s’agissant de la réforme de l’impôt sur le revenu, elle peut être, après la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine et la fiscalité écologique, au programme de travail des années suivantes, si c’est le souhait de la représentation nationale.

——fpfp——


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