ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION DES FINANCES,
DE LÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN
COMPTE RENDU N° 2
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mardi 6 octobre 1998
(Séance de 16 heures 15)
Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président
SOMMAIRE
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Examen dun rapport dinformation de M. Jean-Pierre Brard sur la fraude et lévasion fiscales
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Désignation dun candidat suppléant pour siéger au Conseil national de linformation statistique
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La Commission des finances, de léconomie générale et du plan a procédé à lexamen du rapport dinformation présenté, en application de larticle 145 du Règlement, par M. Jean-Pierre Brard, sur la fraude et lévasion fiscales.
Après avoir précisé quil présentait, à ce stade, un rapport détape, M. Jean-Pierre Brard a indiqué que ses nombreux contacts avec des interlocuteurs venant de ladministration, de la justice et du monde économique et comprenant notamment des avocats, le président de lOrdre des experts comptables, le président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, lui avaient permis de constater limportance du phénomène de la fraude et de lévasion fiscales, notamment au niveau international. Il a insisté sur le fait quil avait eu confirmation de son intuition de la nécessité dune action politique, fondée sur léthique républicaine, pour rétablir la citoyenneté de limpôt en France, jugeant que le rétablissement de la légitimité du prélèvement fiscal, comme du prélèvement social, est à ce prix.
Il a exposé que ces travaux lui ont permis de procéder à plusieurs constats. Il a tout dabord noté que la fraude fiscale, et plus encore lévasion fiscale, sont des phénomènes très difficiles à mesurer et à chiffrer, faute de pouvoir opérer des recoupements sur des bases statistiques certaines. Il a observé que la complexité de la législation favorise les comportements doptimisation et quau-delà, linternationalisation des économies, lintégration européenne et, maintenant, la dématérialisation des procédures déchanges et de transaction, avec le commerce électronique, la monnaie électronique, le cryptage, ainsi que le démantèlement du contrôle des changes, la réduction des contrôles douaniers dans le cadre de lintégration communautaire et laugmentation des facilités de transport des personnes facilitent le recours à des procédés tendant à éluder limpôt et accentuent ces risques.
Évoquant ensuite limportance des moyens que lEtat consacre au contrôle fiscal, M. Jean-Pierre Brard a rappelé le rôle de la direction générale des impôts (3,32 milliards de francs de crédits en 1996) et de la direction générale des douanes et droits indirects. Il a estimé encourageants les résultats du contrôle fiscal, représentant 67,2 milliards de francs en 1996 et 73,3 milliards de francs en 1997, soit près de 5 % des recettes fiscales nettes du budget général de lEtat, glanés dans le cadre de plusieurs millions dopérations de contrôle sur pièces et de quelque 50.000 contrôles sur place. Le Rapporteur a précisé que les cas les plus graves entraînent, sur lavis conforme de la commission des infractions fiscales, le dépôt de plus de 800 plaintes pour fraude fiscale par an et quen 1995, compte tenu des délais de traitement des affaires, 1.155 personnes ont été condamnées à ce titre par le juge pénal, le recouvrement des droits rappelés restant cependant un problème préoccupant.
Le Rapporteur a ensuite fait part de plusieurs réformes qui lui apparaissaient nécessaires dans un premier temps :
laccroissement de la fréquence des contrôles fiscaux ;
laugmentation des effectifs affectés aux opérations de contrôle fiscal ;
la modernisation des méthodes du contrôle fiscal, avec laugmentation des moyens informatiques et le développement de la capacité dexpertise au sein de ladministration fiscale, particulièrement en matière bancaire et financière ;
le renforcement des contrôles relatifs aux impôts locaux et la dynamisation de ces contrôles ;
la réduction de 306.030 francs à 200.000 francs du seuil de mise en jeu, le cas échéant, de la procédure de taxation indiciaire à limpôt sur le revenu, prévue à larticle 168 du code général des impôts, lobjectif étant de mieux prendre en compte le train de vie des délinquants ;
la centralisation des déclarations des entreprises relevant dun même groupe, afin que ladministration puisse avoir une vision densemble des stratégies fiscales des groupes dentreprises ;
le renforcement de la lutte contre les sociétés éphémères, avec la constitution dun fichier des associés, dirigeants et gérants de sociétés ;
le renforcement des communications relatives aux résultats des contrôles entre les administrations fiscales et sociales ;
lamélioration du recouvrement des droits rappelés, avec la saisie conservatoire deffets, sommes, valeurs ou titres lorsque les opérations de visite et de saisie mettent au jour des activités occultes ou non déclarées ;
le renforcement de lobligation de paiement par chèque ou carte bancaire pour les particuliers à compter de 10.000 francs, ce même seuil paraissant devoir être retenu pour les ventes aux enchères ;
lobligation pour les contribuables de déclarer à ladministration fiscale les mouvements en espèces, dune part, et les mouvements internationaux, dautre part, affectant leurs comptes bancaires, audelà de 50.000 francs ;
le renforcement de la mise en oeuvre par ladministration fiscale de larticle 40 du code de procédure pénale, qui oblige un fonctionnaire à faire part au parquet des infractions dont il a connaissance à loccasion de ses fonctions ;
- lautorisation donnée à ladministration fiscale dutiliser le « numéro didentification au répertoire des personnes » (NIR) afin, en particulier, de résoudre le problème des bulletins de recoupements qui ne trouvent pas daffectation ;
le renforcement de la lutte contre lévasion fiscale internationale, avec la réintégration, dans les revenus des contribuables, des produits des structures implantées dans les paradis fiscaux.
M. Jean-Pierre Brard sest ensuite félicité des nombreuses mesures proposées dans le projet de loi de finances pour 1999, destinées à éviter lévasion fiscale, que ce soit en matière dimpôt de solidarité sur la fortune (ISF), ou de lutte contre certaines pratiques abusives de délocalisation.
Il a également formulé plusieurs propositions, relatives au renforcement des garanties du contribuable, avec lextension de la compétence du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes et le développement de la procédure des rescrits et de la publicité autour de ces rescrits, afin dassurer une plus grande stabilité de la règle fiscale et de son interprétation.
Sagissant de lamélioration de linformation du Parlement sur les résultats du contrôle fiscal, il a jugé nécessaire la présentation de résultats détaillés par direction des services fiscaux. Il a également appelé de ses vux une amélioration de linformation des citoyens, qui passe par la publicité de limpôt avec une extension du dispositif prévu pour limpôt sur le revenu, selon lui, à lISF.
Enfin, le Rapporteur a évoqué quelques pistes de réflexion pour lavenir : réforme du régime des sanctions fiscales dans un but de simplification, renforcement du rôle des commissaires aux comptes, modification des règles relatives à labus de droit, afin de sanctionner des comportements tendant à éluder limpôt, mais nétant pas à but exclusivement fiscal, comme lexige lactuelle législation.
M. Jean-Pierre Brard a, en conclusion, fait part des thèmes sur lesquels porterait son rapport définitif : la mesure du phénomène de la fraude fiscale, la fraude et lévasion pour chacun des grands impôts : impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, impôt sur les sociétés et taxe sur la valeur ajoutée ; la fraude et lévasion dans le cadre communautaire, lévasion fiscale internationale, la révision du régime de sanction des infractions fiscales.
Après avoir félicité le Rapporteur pour la qualité de son travail, M. Jean-Jacques Jegou a fait valoir quil existait différentes modalités de fraude fiscale, quil sagisse du travail au noir ou des fraudes opérées par le « citoyen lambda » lorsquil prive lEtat de recettes fiscales ou de cotisations sociales. Rappelant que la mission dinformation ayant conduit au rapport présenté par M. Guy Brêche, député, en 1989, avait obtenu des résultats quelque peu décevants sur ces points, il a souhaité savoir si le Rapporteur comptait, dans son rapport final, évoquer ces différents types de fraudes et évaluer globalement lampleur de lévasion fiscale.
Après avoir relevé que le Rapporteur reprenait à son compte des propositions quil avait lui-même présentées quelques années auparavant, M. Charles de Courson la interrogé sur trois points. Sagissant de labus de droit, que le Rapporteur évoque, selon lui, avec une extrême prudence, il a souhaité savoir si celui-ci entendait présenter des propositions à caractère législatif dans le futur. Évoquant le NIR, dont il a souligné lintérêt pour lutter efficacement contre lévasion fiscale, il a interrogé le Rapporteur sur le fait de savoir si celui-ci était favorable à son utilisation par ladministration fiscale. Abordant, enfin, le travail au noir, il sest enquis de la possibilité dapprofondir le dispositif de lutte dores et déjà en vigueur.
Après avoir également félicité le Rapporteur pour la qualité du travail accompli, M. Pierre Hériaud a souligné la complexité de la législation fiscale en cause et fait observer limportance des montants concernés : malgré lincertitude qui entoure toute évaluation relative à la fraude fiscale, celle-ci pourrait être équivalente au montant de notre déficit budgétaire. Relevant que les mécanismes de fraude ne feraient lobjet dune étude approfondie que dans le cadre du rapport final, il a souhaité savoir si le Rapporteur aurait la volonté et les moyens dobtenir les informations nécessaires.
Revenant sur la proposition du Rapporteur tendant à renforcer lobligation de paiement par chèque ou par carte bancaire pour les particuliers pour tout achat supérieur à 10.000 francs, M. Jean-Jacques Jegou a fait observer quune telle mesure serait certainement efficace pour lutter contre la fraude dune certaine importance, mais risquait de se révéler inefficace pour les petites transactions, inférieures au montant précité.
En réponse aux intervenants, le Rapporteur a dabord souligné que lobjet de ses investigations était avant tout daméliorer substantiellement la transparence et les modalités de perception de limpôt, tout en le simplifiant, et ce, pour en accroître la légitimité aux yeux de nos concitoyens, un impôt mieux accepté devant, selon lui, donner lieu à moins de fraude. Il a fait valoir que cet objectif appelait la définition de mesures de lutte contre la fraude fiscale, mais également lévaluation de leur impact, afin de pouvoir ajuster les dispositifs en fonction des résultats et de lévolution de la fraude.
En ce qui concerne la description des mécanismes de lutte contre la fraude fiscale, il a précisé que ses investigations sétaient heurtées à un double obstacle : dune part, la mise à jour publique de tels mécanismes imposait de disposer des parades nécessaires, afin de ne pas favoriser les fraudes et, dautre part, les personnalités entendues avaient souhaité que leurs propos fassent lobjet dune certaine confidentialité, quand ils navaient pas pratiqué une certaine rétention dinformation.
Il a fait observer que ses travaux avaient eu pour objet de définir des mesures consensuelles, rappelant que lappareil dEtat fait en général preuve dune certaine inertie dans lapplication des mesures définies par le législateur, lorsque celles-ci ne recueillent pas son adhésion.
Faisant valoir que lobjet de son rapport portait essentiellement sur la fraude fiscale, il a jugé que la réduction substantielle du travail au noir appelait, non pas de simples mesures à caractère fiscal, mais toute une palette dinstruments, tels que le recours accru aux inspections du travail. Il a souligné que ses propositions participaient largement de la lutte contre le travail au noir, citant notamment celles tendant à renforcer lobligation de paiement par chèque ou par carte pour les transactions supérieures à 10.000 francs ou la taxation indiciaire à limpôt sur le revenu, afin de mieux prendre en compte le train de vie et les signes extérieurs de richesse des délinquants. Compte tenu de la sensibilité de ce sujet, il a précisé quil comptait approfondir ce thème lors de son rapport final.
Évoquant la question de labus de droit, procédure dont il a rappelé la complexité et la difficulté, il a estimé quune éventuelle modification de la législation permettrait, certes, de sanctionner des comportements tendant à éluder limpôt, mais pourrait se traduire par une moindre fiabilité du dispositif de lutte contre lévasion fiscale, si ladministration, parfois accusée darbitraire, nétait pas tenue au respect scrupuleux des droits des personnes concernées.
En ce qui concerne le NIR, il a marqué son accord avec M. Charles de Courson, faisant valoir que le recours à cet instrument par ladministration fiscale lui paraissait indispensable. Il a toutefois fait valoir quune telle évolution nécessiterait ladoption dune mesure législative.
M. Charles de Courson sest interrogé sur la pertinence des propositions tendant à limiter les possibilités de paiement en liquide, observant que cette idée, a priori de bon sens, pourrait finalement se révéler inefficace. Il a estimé que lun des moyens les plus efficaces de lutter contre la fraude fiscale résidait certainement dans lélaboration de « mécanismes automatiques antifraudes ». Il a, en effet, fait valoir que plus la législation fiscale était complexe et unilatérale, plus elle était susceptible de susciter une fraude importante, doù la nécessité, selon lui, de réformer la législation en vigueur, afin de la simplifier et de faire en sorte que le prélèvement fiscal soit facilité par la divergence des intérêts des opérateurs. Il a estimé que cette approche serait dautant plus intéressante quelle sera, non plus répressive, mais incitative. Il a souhaité enfin savoir, dune part, si le Rapporteur entendait, dans son rapport final, présenter des propositions de lutte contre la fraude fiscale au niveau international et, dautre part, si les conventions internationales de coopération fiscale fonctionnaient correctement.
Faisant observer que les risques dévasion fiscale internationale étaient aujourdhui particulièrement aigus, M. Edmond Hervé a jugé que cette situation appelait à une complémentarité accrue des législations fiscales des Etats membres au niveau communautaire.
Le Rapporteur a marqué son accord avec cette dernière remarque, observant que lévasion fiscale réalisée par certains grands groupes nationaux, par le biais dune délocalisation, en dehors de nos frontières constituait aujourdhui un problème crucial, qui nécessiterait, au niveau communautaire, une harmonisation des législations fiscales en cause. Il a souligné, toutefois, la complexité dune telle démarche, qui ne manquerait pas de remettre en cause, notamment aux Pays-Bas, un certain nombre de spécificités purement nationales.
Il a fait part, cependant, de sa volonté daboutir, lors de la présentation du rapport final, à des propositions concrètes en matière de lutte contre lévasion fiscale au plan communautaire, objectif qui lui semble appeler, non seulement une harmonisation plus poussée des législations fiscales de chaque Etat membre, mais également un meilleur suivi des transactions et des livraisons transfrontalières.
En réponse à M. Charles de Courson, M. Jean-Pierre Brard a indiqué que les conventions internationales actuellement en vigueur semblaient fonctionner correctement, notamment celles signées avec lAllemagne, le Royaume-Uni et lItalie.
La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport dinformation, après que le Rapporteur eut fait valoir lintérêt de cette démarche au regard de lamélioration de la coopération avec ladministration fiscale.
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Information relative à la Commission
La commission des Finances, de lÉconomie générale et du Plan a désigné M. Alain Belviso comme candidat suppléant pour siéger au Conseil national de linformation statistique.
fpfp
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