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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 janvier 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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Examen de la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy créant les plans de prévoyance retraite (n° 1301) (M. Jacques Barrot, rapporteur)

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La commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de M. Jacques Barrot, la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy créant les plans de prévoyance retraite (n° 1301).

Constatant que tous nos partenaires de l’Union européenne avaient déjà mis en place des mécanismes supplémentaires d’assurance vieillesse, M. Jacques Barrot, Rapporteur, a tout d’abord observé que des dispositifs comparables – tels le CREF, la Préfon, COREVA ou la loi du 11 février 1994 – existaient déjà en France, laissant à l’écart les 14 millions d’assurés du régime général, qui ne peuvent bénéficier que des régimes d’entreprise visés aux articles 39, 82 ou 83 du code général des impôts. Rappelant qu’il avait déposé une proposition de loi examinée conjointement avec celle de M. Jean-Pierre Thomas par la commission des Finances en 1994, il a présenté l’économie générale de la loi du 25 mars 1997, dite loi Thomas, créant les plans d’épargne retraite, aboutissement de la procédure entamée en 1994.

Il a estimé qu’il existait un large accord sur la finalité d’un tel dispositif complémentaire, en raison, d’une part, de la baisse inéluctable des taux de remplacement, et, d’autre part, de la nécessité, compte tenu de la mondialisation de l’économie, de constituer des fonds d’épargne français permettant de recueillir les fruits de la croissance extérieure, comme M. Jean-Claude Boulard l’avait excellemment démontré dans un article récent. Il a regretté que le Gouvernement entretienne cependant un certain flou quant au calendrier, craignant qu’il ne soit conduit, en intervenant à la fois dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, à proposer un dispositif « cavalier » ou, au contraire, trop fragmentaire, et, par conséquent, peu lisible.

Jugeant que M. Philippe Douste-Blazy avait donc choisi un moment opportun pour déposer sa proposition de loi, le Rapporteur a déclaré que celle-ci atteignait un équilibre qui faisait justice des critiques que Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, avait pu formuler à l’encontre de la loi du 25 mars 1997. Indiquant que cette proposition de loi instaurait des plans de prévoyance retraite obligatoires, au risque d’accroître les prélèvements obligatoires – même si ce prélèvement est, en réalité, restituable – et de limiter le rôle de la négociation collective, il a exprimé sa préférence pour un processus de généralisation, avec trois entrées possibles dans le dispositif : une entrée principale par la voie d’un accord collectif d’entreprise ou de branche, puis, à défaut, la souscription par un employeur et, en dernier ressort, l’adhésion individuelle du salarié. Il a précisé qu’il proposait à la Commission un amendement en ce sens. Il a souligné que la proposition de loi prévoyait des versements obligatoires de l’employeur et du salarié, intégralement déductibles du revenu imposable, et des versements facultatifs, déductibles dans la limite de 20 % du plafond annuel de sécurité sociale.

Abordant la question de la déductibilité des versements de l’assiette sociale, il a indiqué que la proposition de loi reprenait la solution de compromis retenue par le Sénat lors de la discussion de la loi créant les plans d’épargne retraite, à savoir leur intégration dans l’enveloppe en vigueur pour les retraites complémentaires et la prévoyance, soit 85 % du plafond de sécurité sociale. Décrivant la sortie en rente ainsi que ses modalités d’imposition dans la catégorie des pensions et retraites, il a affirmé que la proposition de loi créait un système de solidarité, caractérisé par des versements obligatoires égaux pour tous les salariés

et par un encadrement des avantages à l’entrée. Il a toutefois annoncé qu’il avait déposé des amendements tendant à fixer dans la loi le plafond des versements obligatoires aux plans de prévoyance retraite, à exprimer le plafond des versements facultatifs en fonction d’une référence indexée et à assujettir les versements des employeurs aux cotisations d’assurance vieillesse de base et complémentaire, afin de démontrer qu’il ne s’agissait nullement de concurrencer les régimes par répartition.

Insistant par ailleurs sur l’association des partenaires sociaux, qu’illustre à la fois le rôle central conféré à la négociation collective ainsi que la présence, au sein du comité de surveillance de chaque plan de prévoyance retraite, d’élus appartenant des syndicats représentatifs, le Rapporteur a également considéré que la proposition de loi assurait une protection satisfaisante des adhérents, au travers des fonds de prévoyance retraite, structures dédiées soumises à agrément – seules de nature, en raison de leur professionnalisme, à protéger efficacement les adhérents –, de la faculté offerte aux salariés de transférer les droits acquis au titre d’un plan, de l’information des adhérents et du contrôle des fonds de prévoyance retraite. Se félicitant enfin de ce que la proposition de loi contribue à réorienter l’épargne, il a fait valoir que si elle était sans doute moins ambitieuse que la loi du 25 mars 1997 dans ce domaine, elle n’en permettrait pas moins des placements en actions de l’Union européenne, les structures dédiées qu’elle instaure paraissant tout particulièrement aptes à gérer de tels placements.

Se déclarant convaincu qu’il était possible de trouver une solution consensuelle, il a conclu en plaidant pour l’adoption rapide d’un dispositif, compte tenu du temps nécessaire pour que les salariés et les entreprises en bénéficient pleinement.

M. Jean-Pierre Delalande a rapproché les circonstances de la discussion de la proposition de loi, du scénario du film Un jour sans fin, dans lequel le héros est condamné à revivre plusieurs fois la même journée jusqu’à ce qu’il réussisse à séduire celle qu’il avait rencontrée dès le premier jour. Il a déploré le caractère surréaliste d’un débat dans lequel le Rapporteur lui-même ne paraît pas tellement convaincu de sa capacité à faire adopter la proposition de loi qu’il rapporte, alors même que de nombreuses voix, y compris dans la majorité actuelle, ont reconnu la nécessité d’instituer des fonds de pension. Il a souligné que le Rapporteur avait quelques difficultés, dans sa présentation, à se démarquer de la loi Thomas, dont il a énuméré les trois grands principes : surcomplémentarité, sortie en rente et gestion externalisée. Il a également évoqué le souci des auteurs de la loi de 1997 de promouvoir une gestion partenariale et la fixation à un niveau suffisant de la proportion des fonds investis en actions. Il a, enfin, fait valoir que le développement de l’investissement était, dans l’esprit des partisans de la loi Thomas, un objectif subsidiaire par rapport à l’objectif principal qui était de créer les moyens d’un complément de retraite.

Il a rappelé que lors des auditions préalables à l’élaboration de cette loi, tous les syndicats, y compris FO et la CFDT, avaient marqué leur accord avec le dispositif, et que les seules objections importantes avaient été exprimées par la CGC, qui avait soulevé la question de l’assujettissement des versements aux cotisations sociales.

Estimant que le seul apport significatif de la proposition de loi initiale de M. Philippe Douste-Blazy était de donner un caractère obligatoire au dispositif, il a considéré que la suggestion du Rapporteur, préconisant un développement progressif, si elle était incontestablement ingénieuse, n’en constituait pas moins, très largement, un retour à la situation antérieure. Il s’est demandé comment, si elle décidait aujourd’hui de refuser ce qui lui était proposé, la majorité de la Commission pourrait ensuite revenir à une attitude de bon sens, alors que tout le monde sait que notre pays a pris un retard considérable dans la mise en place des fonds de pension et qu’il faut dix à quinze ans pour que ces fonds trouvent leur régime de croisière.

Estimant, en conclusion, que le texte du Rapporteur avait un certain caractère superfétatoire, M. Jean-Pierre Delalande a déclaré qu’il n’imaginait pas que ce texte puisse être rejeté.

M. François d’Aubert, rappelant l’urgence de la création de fonds de pension en France, a considéré que la véritable question, de nature politique, était de savoir si la majorité la souhaitait réellement alors que la loi Thomas n’avait reçu aucun commencement d’application. Il a déploré que le problème sémantique que pose à la majorité plurielle l’emploi de l’expression « fonds de pension » crée, pour une question de vocabulaire, un blocage politique alors qu’une loi est nécessaire sur ce sujet, que ce soit la loi Thomas ou le texte aujourd’hui proposé à la Commission.

Il a ajouté que la création de fonds de pension se justifiait à la fois par la nécessité de faire face aux difficultés prévisibles des régimes de retraite et de mobiliser les ressources permettant de contribuer au financement des entreprises, en rappelant l’émotion suscitée par la prise de contrôle de grandes entreprises françaises par les fonds de pension anglo-saxons. A cet égard, il a préconisé de donner la préférence aux placements en actions, qui a en particulier l’avantage de donner aux épargnants les meilleures garanties pour l’avenir de leurs retraites, bien plus que la garantie de l’État ou qu’un système de garantie par les activités de l’État. Il a rappelé que sur une longue période le rendement des actions était très supérieur à celui des obligations.

Abordant enfin les dispositions proposées, il a approuvé l’abandon du caractère obligatoire de l’adhésion aux fonds de pension qui figurait dans la proposition de loi initiale ; il s’est interrogé sur l’efficacité réelle des avantages fiscaux associés au dispositif ; il a souhaité que la sortie en capital des fonds de pension soit envisagée avec souplesse.

M. Christian Cuvilliez a constaté que le débat voyait s’affronter deux logiques, la logique d’actionnariat d’inspiration libérale, qui se diffuse grâce à la possession par un grand nombre de personnes d’actions de sociétés, et la logique de la défense des salariés dans laquelle il se situait. Considérant que l’appui donné ouvertement par le Medef à la mobilisation d’une épargne très importante dans les fonds de pension ne pouvait que rendre cette idée suspecte, il s’est étonné que l’on puisse porter sur un effort financier de même ampleur un regard totalement différent selon qu’il est consenti en faveur des fonds de pension ou des régimes de répartition. Rappelant que le groupe communiste avait lié son abstention sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 à l’abrogation de la loi Thomas, il a estimé que, dans cette perspective, la proposition de loi de M. Douste-Blazy ne

pouvait qu’être repoussée. Il a indiqué cependant que la création de fonds à gestion mutualiste ou coopérative pouvait éventuellement donner lieu à discussion, faisant remarquer que le texte proposé par M. Douste-Blazy, qui réalise la version française de fonds conçus à la manière anglo-saxonne aux risques des seuls souscripteurs, se situait très loin d’une telle conception.

M. Jérôme Cahuzac a convenu que le sujet était moins sulfureux que certains pouvaient l’affirmer et que les dispositif d’épargne retraite existant déjà en France n’avaient pas remis en cause le modèle social de notre pays. Il a reconnu que les salariés français avaient le droit de profiter de la croissance mondiale et de la croissance française tout en faisant remarquer qu’ils étaient libres de préférer à un placement en actions des produits moins rentables, mais plus réglementés. Il a estimé que l’initiative de M. Philippe Douste-Blazy intervenait à une date prématurée, les conclusions de la mission confiée à M. Jean-Michel Charpin n’étant pas encore connues. Il a estimé que les modifications proposées par le Rapporteur au texte initial de M. Douste-Blazy en réduisaient à néant les innovations et traduisaient une toute autre philosophie, comme le montrait, en tout premier lieu, l’abandon du caractère obligatoire de la souscription, point essentiel de la proposition de loi initiale. Faisant référence à l’allusion cinématographique de M. Jean-Pierre Delalande, il a préféré la devise de Guillaume d’Orange : « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». S’appuyant sur l’avis de spécialistes financiers qui s’étaient exprimés lors du colloque sur l’épargne organisé, hier, par le Rapporteur général, il a estimé impossible que l’épargne retraite puisse simultanément remplir les trois missions, qui lui sont communément assignées : la recapitalisation de la place de Paris, l’apport de fonds propres aux entreprises et la garantie des retraites.

M. Jérôme Cahuzac a considéré que M. Jacques Barrot minimisait la différence de conception entre un dispositif obligatoire et un dispositif facultatif. Il a par ailleurs estimé que, dans un éventuel projet de loi, l’idée d’une souscription individuelle était une suggestion à retenir ainsi que la possibilité de rachat d’annuités hors de toute déductibilité fiscale.

Pour le reste, il a estimé que le dispositif proposé était inéquitable dans la mesure où l’abondement forfaitaire par l’entreprise qu’il préconisait n’avait pas de caractère dégressif ; dangereux, parce qu’il compliquerait la gestion des entreprises en les obligeant à distinguer entre l’assujettissement de leurs versements aux cotisations vieillesse et le non assujettissement aux cotisations maladie ; incomplet, parce qu’il ne prévoyait pas la sortie anticipée en cas d’accident de la vie et qu’il n’excluait pas la souscription par les salariés à un fonds investissant dans l’entreprise où ils travaillent. Il a déploré d’une façon générale la trop grande rigidité du système.

Considérant qu’en l’état le texte proposé ne pouvait pas recevoir l’approbation du groupe socialiste, il a demandé, se fondant sur l’article 94 du Règlement, que la Commission décide de ne pas déposer de conclusions sur la proposition de loi.

En réponse aux différents intervenants, M. Jacques Barrot, Rapporteur, a contesté que le texte résultant de ses propositions et la loi Thomas ne présentent aucune différence significative.

Il s’est étonné que M. Christian Cuvilliez puisse à la fois ne pas remettre en cause l’existence et le fonctionnement de la Préfon et manifester une opposition aussi radicale à un dispositif de même nature destiné aux salariés du secteur privé.

Il s’est demandé comment M. Jérôme Cahuzac pouvait lui reprocher de prévoir une mise en place progressive des fonds de prévoyance retraite alors que la majorité plurielle hésitait même à en accepter le principe. Il a estimé que, de plus, la substitution d’une généralisation progressive à l’adhésion obligatoire avait l’avantage de mettre la négociation collective au cœur du dispositif proposé. Il a également insisté sur les améliorations que la proposition de loi et les amendements qu’il suggérait apportent à la loi Thomas : l’égalité entre tous les salariés de l’entreprise est mieux assurée, davantage de marges sont ouvertes à la négociation collective (plafond des versements obligatoires, composition et rôle du comité de surveillance) et les versements des employeurs sont assujettis aux cotisations d’assurance vieillesse. Enfin, il a renouvelé son attachement à la sortie en rente, jugeant que seule la rente relevait d’un mécanisme de solidarité et rappelant qu’il avait toujours refusé que les produits d’épargne retraite soient considérés comme de purs instruments financiers.

Estimant que le débat pourra se poursuivre utilement en séance publique, le Président Augustin Bonrepaux a mis aux voix la proposition de M. Jérôme Cahuzac de ne pas formuler de conclusions.

A l’issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l’examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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