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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 mars 1999
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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Réunion de travail avec une délégation de la commission des Finances du Bundestag, conduite par Mme Christine Scheel, Présidente

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La commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan a reçu une délégation de la commission des Finances du Bundestag, conduite par Mme Christine Scheel, Présidente.

Le Président Augustin Bonrepaux, après avoir exprimé ses souhaits de bienvenue à la délégation du Bundestag, a évoqué l’accueil chaleureux réservé l’an dernier à la commission des Finances par le Parlement allemand. Il a estimé que l’approfondissement de la construction européenne appelait le développement du travail en commun permis par de tels échanges, ajoutant que l’expérience récente montrait que la construction européenne ne devait pas être uniquement l’apanage des exécutifs nationaux et communautaire et que les Parlements devaient intervenir davantage pour rapprocher l’Europe des citoyens.

La Présidente Christine Scheel, après avoir évoqué les précédentes rencontres intervenues entre les commissions des Finances du Bundestag et de l’Assemblée nationale, a rappelé que ces réunions, essentielles dans la phase actuelle de la construction européenne, correspondaient à l’accord passé entre les présidents des deux Assemblées. Affirmant à son tour la nécessité d’échanger des réflexions sur des thèmes d’actualité, elle a mis l’accent sur le fait que la plupart des grands problèmes politiques de l’Europe ne trouvaient plus de réponse dans le seul cadre national, et que leur traitement supposait, en conséquence une coordination européenne plus accentuée, et en particulier une coopération franco-allemande plus poussée. Elle a émis le vœu que le débat qui allait suivre permette de dégager sur certains points des positions communes et de parvenir, là où le consensus n’est pas possible, à une claire définition des thèses en présence.

Introduisant le premier thème conjointement retenu pour cette réunion de travail, et consacré à la coordination des politiques économiques, le Président Augustin Bonrepaux a rappelé les principales évolutions économiques de ces dernières années. Il a estimé que le retour de la croissance en 1998 ne devait pas masquer le fait que la décennie qui s’achevait était pour l’Europe la décennie de la croissance perdue. Il a fait remarquer que le taux moyen d’évolution du PIB sur cette période avait à peine dépassé un pour cent, alors que la croissance potentielle était évaluée à 2,5 % environ, et que, par conséquent, la réduction du chômage qu’on connaissait actuellement n’avait pu être obtenue qu’au prix de l’accroissement de différentes formes de précarité comme les contrats à durée déterminée ou l’intérim. Il a en outre constaté que la faiblesse persistante de l’investissement durant cette période, notamment dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, faisant craindre le décrochage technologique de l’Europe et une réduction de sa croissance potentielle.

Il a attribué ces difficultés à une cause bien connue, la politique de restriction de la demande interne, fondée sur un niveau trop élevé de taux d’intérêt et sur une maîtrise des dépenses publiques dont les effets récessifs avaient été largement sous-estimés. Il a ensuite regretté que l’Europe n’ait pu coordonner ses politiques de croissance et d’emploi. Il a noté que l’absence d’accord politique sur le financement de l’unification allemande et sur la gestion des parités européennes avaient conduit les gouvernements à gérer dans le seul cadre national leurs problèmes économiques, ce qui avait créé des chocs asymétriques au sein de la Communauté européenne, et que la stratégie de désinflation compétitive des différents pays européens s’était révélée contre-productive. Il a souligné que le fonctionnement du système monétaire européen lui-même n’avait pas satisfait, du fait des comportements de certaines banques centrales, les obligations de solidarité posées par ses fondateurs.

Le Président Augustin Bonrepaux a relevé que l’avènement réussi de la monnaie unique allégeait la contrainte d’un ajustement budgétaire rendu plus sévère par une croissance trop faible et donnait une importance nouvelle à deux questions : comment faire face aux évolutions parfois divergentes des économies au sein de la zone euro et comment rattraper le retard de croissance de l’Europe et réaliser les objectifs premiers de la Communauté, qui est l’augmentation du bien-être de la population, par un haut niveau d’emploi.

Il a mis en lumière la relative pauvreté des instruments actuellement disponibles pour la gestion des asymétries, dans la mesure où la politique monétaire ne s’inscrivait pas dans une optique conjoncturelle, où le budget de la Communauté n’est pas suffisant pour assurer transferts redistributifs entre États, où le pacte de stabilité et de croissance limite le recours sous peine de sanctions, à la politique budgétaire et où la mobilité des facteurs de production en Europe est insuffisante.

Il a par ailleurs considéré que le rattrapage du retard de croissance enregistré par l’Europe n’était pas seulement une question de technique économique ou de réforme structurelle, mais posait un choix de société. Défavorable au modèle anglo-saxon, certes dynamique, mais s’accompagnant d’injustices et d’inégalités, il a affirmé que la coordination des politiques économiques ne pouvait être le lieu du « moins disant social ». Il a en conséquence souhaité que la portée et les instruments de cette coordination soient définis de manière à en faire un lieu privilégié d’expression de la volonté politique où il est légitime que les élus fassent entendre leur voie.

Après que la Présidente Christine Scheel eut convenu de la nécessité d’une coordination économique, au sein de l’Union européenne, pour lutter en commun contre le chômage et restaurer un niveau d’emploi satisfaisant, M. Jörg-Otto Spiller (SPD), en se fondant sur l’analyse du Président Augustin Bonrepaux qui estime possible d’atteindre, par une action commune, de meilleurs objectifs de croissance et, donc, un niveau plus élevé d’emploi, a fait valoir que l’introduction de l’euro, en permettant l’émergence de taux communs et la fin des disparités des politiques de change avait fait gagner des marges de liberté. Constatant que la France et l’Allemagne avaient largement harmonisé leurs objectifs, il a ajouté que les débats du Bundestag sur la politique européenne souffraient d’une connaissance insuffisante de l’opinion des députés français. Il a proposé de développer les échanges d’information, au-delà des rencontres annuelles, dans le respect, naturellement, de la pluralité des opinions défendues dans chaque assemblée.

Le Président Augustin Bonrepaux a déclaré partager le souci d’un resserrement des liens avec la commission des Finances du Bundestag par un travail plus coordonné.

M. Jean-Pierre Delalande a proposé que l’échange souhaité ait pour cadre, à échéance trimestrielle ou semestrielle une rencontre entre des délégations des deux assemblées comprenant chacune un représentant par groupe.

M. Pierre Méhaignerie a suggéré l’élaboration, à intervalles suffisamment rapprochés, d’une note d’information sur les débats internes à chaque commission des Finances.

Mme Barbara Höll (PDS) a relevé, pour le déplorer, que dans les débats relatifs à la politique européenne de l’emploi au Bundestag, il était fréquemment objecté aux propositions faites que leur réalisation concrète ne pouvait être envisagée sans une initiative européenne commune, sous peine de compromettre l’attractivité économique de l’Allemagne. Évoquant les instruments possibles de lutte contre le chômage de masse, elle a indiqué que le débat portait actuellement sur la mise en place progressive des 35 heures ainsi que sur la réduction des heures supplémentaires, thèmes sur lesquels la France avait fait cavalier seul. Elle a souhaité savoir si, aux yeux des députés français, des instruments nouveaux et de même inspiration pouvaient être développés dans l’ensemble de l’Union.

M. Yves Cochet a rappelé que la mise en place de la réforme sur la réduction du temps de travail se faisait en deux temps avec l’adoption de deux lois, dont l’une a été votée en juin dernier et la deuxième serait soumise au Parlement en octobre prochain. Il a précisé que cette réforme s’inscrivait dans un mouvement historique de réduction du temps de travail, et affirmé que les gains de productivité issus du progrès technique ou d’une meilleure organisation du travail pouvaient permettre de travailler moins tout en produisant autant ou plus. Évoquant le financement de ces mesures, il a réfuté l’idée que la réforme puisse conduire à un renchérissement du coût du travail strictement proportionnel à la diminution de la durée de travail de 39 à 35 heures hebdomadaires. Il a fait valoir, au contraire, que la création, consécutive à la réforme, de plusieurs centaines de milliers d’emplois par les entreprises, permettrait une diminution des charges de prestations pesant sur les organismes sociaux et une augmentation du nombre des cotisants. Il a ajouté que la réduction du temps de travail permettait ainsi une organisation de la solidarité sans augmentation du coût du travail, et fait valoir que la réduction de la durée du travail, en suscitant une diminution du stress au travail, permettrait une amélioration de la productivité humaine. Il a enfin insisté sur le fait que cette mesure, très importante en soi, n’était pas pour autant une panacée et s’inscrivait dans un dispositif plus général de lutte contre le chômage.

M. Pierre Méhaignerie a déclaré que le groupe politique auquel il appartenait n’était pas favorable à cette réforme qui proposait une solution unique et par la voie législative aux attentes très diverses des salariés. Il a ajouté qu’en outre, cette réforme, plutôt que de réduire le stress des salariés, risquait au contraire de conduire à une augmentation des cadences de travail. Tout en reconnaissant que l’institution des 35 heures, si elle était associée au développement de la flexibilité du travail, pourrait répondre à certains besoins des entreprises, il a estimé que la solution au problème de l’emploi passait plutôt par une politique de maîtrise des dépenses publiques, reposant sur une croissance nulle de ces dépenses pendant trois ans compte tenu des marges de productivité existants dans le secteur public et sur l’affectation des ressources qui en découleraient à une diminution des charges sociales sur les bas salaires. Rappelant la nécessité de se référer à un coût salarial global dans une économie ouverte, il a relevé que l’importance des bas salaires, beaucoup plus grande en France qu’en Allemagne dans des secteurs comme l’industrie ou le bâtiment, réduisait la différence entre la rémunération du travail et le montant des prestations sociales à un niveau trop faible pour inciter à la réinsertion dans le travail. Il a enfin soutenu que l’abaissement des charges sociales financé grâce à la maîtrise des dépenses publiques aurait l’avantage, en diminuant les charges des entreprises et en améliorant la vie des gens qui travaillent durement d’empêcher que le fossé s’élargisse entre le secteur privé et le secteur public non concurrentiel.

M. Jean-Pierre Brard a considéré que, si l’on recherchait vraiment une meilleure coordination des politiques économiques, il fallait quitter le cadre convenu de la répétition de sa profession de foi par chaque groupe politique et fonder l’échange sur des informations véritablement objectives. Il a souhaité que sur le fondement de ces informations, soit entrepris un travail commun d’évaluation permettant d’aller vers une harmonisation réelle des politiques salariales et de durée du travail et la présentation ultérieure d’une démarche commune. Il a constaté que tous les pays de l’Union européenne n’avaient pas la même vision politique et qu’il y avait sans doute plus de proximité entre la France et l’Allemagne qu’entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne ou la France et la Grande-Bretagne, notamment en matière fiscale.

M. Joachim Poss (SPD) a déclaré qu’au-delà de l’introduction de l’euro, il importait de concentrer les efforts sur un rapprochement des politiques économiques avec la définition d’objectifs communs comme le pacte pour l’emploi par exemple même si l’harmonisation totale n’est probablement pas possible. Sans écarter l’échange régulier de notes écrites, il a considéré que rien ne remplaçait dans ces objectifs des rencontres fréquentes. Affirmant que la tâche commune – encore inachevée – des Français et des Allemands était, selon la formule du chancelier Kohl, de construire une « maison européenne », il a préconisé, sur des sujets actuellement prioritaires tels que le chômage, en particulier le chômage des jeunes, l’élaboration d’une démarche commune. Il a reconnu que cette tâche était rendue difficile par les différences de culture économique et financière apparaissant entre la France et l’Allemagne, quel que soit d’ailleurs le parti au pouvoir. Évoquant ensuite le rapport du commissaire européen Mario Monti sur les charges pesant sur le travail, il a relevé l’existence dans l’ensemble des pays européens, d’un souci commun de lutter contre une trop lourde imposition du travail, et d’un fort courant favorable à l’harmonisation de la fiscalité sur le capital au sein de l’Union européenne, sujet sur lequel les commissions des finances des deux Assemblées étaient appelés à un travail commun. Il a fait part de la résolution particulière du SPD à aller vers cette harmonisation et à lever les obstacles résultant de l’attitude de certains États-membres dont il ne faut pas méconnaître les conséquences périlleuses. M. Joachim Poss a également indiqué que l’initiative du Chancelier Kohl qui avait lancé, en 1996, un pacte de l’emploi, avait été renouvelée par le Chancelier Schröder, qui souhaite créer une nouvelle dynamique en ce sens, sur le modèle de consensus du capitalisme rhénan. Il a souhaité savoir si un processus identique de concertation entre les différents responsables patronaux et les délégués des salariés était encouragé en France, pour favoriser l’emploi.

Abordant le problème du chômage des jeunes, dont il a relevé l’importance particulière dans certaines banlieues où le taux de chômage peut atteindre 25 %, il a indiqué que, pour répondre en Allemagne à une situation de même nature, le Gouvernement avait prévu l’intégration de 100.000 jeunes dans des dispositifs de formation ou d’emploi. Il a souhaité des informations complémentaires sur les expériences conduites en France dans ce domaine.

M. Klaus Wolfgang Müller (Bundnis 90-die Grünen) a déclaré partager les analyses de M. Yves Cochet sur la réduction du temps de travail. Il a indiqué que la question de cette réduction était posée, en Allemagne, dans le cadre du pacte pour l’emploi discuté avec les partenaires sociaux. Il a ajouté que si, dans les années 1980-1990, les conventions collectives intégraient la réduction du temps de travail, les salariés, aujourd’hui, n’étaient pas prêts à accepter une telle mesure, mais manifestaient plutôt de l’intérêt pour les hausses de salaires. Il a précisé que l’effort portait, en Allemagne, sur la conclusion d’un accord pluri-annuel. Il a enfin demandé des informations sur les expériences conduites en France, leurs résultats et l’attitude du Gouvernement.

M. Heinz-Georg Seiffert (CDU-CSU) a rappelé que la discussion sur la durée du travail devait s’accompagner d’une réflexion sur la nécessaire augmentation de la flexibilité, thème sur lequel la France et l’Allemagne – Gouvernement et partenaires sociaux –  pourraient adopter une démarche commune. Il a souligné que la politique communautaire de l’emploi n’impliquait pas une augmentation du nombre d’emplois créés par l’État et le secteur public, dont l’Union européenne a, au contraire, demandé la réduction.

Mme Nicole Bricq a abordé l’impact des mesures prises en France pour lutter contre le chômage des jeunes. Elle a d’abord décrit les grands traits du dispositif emploi-jeunes, qui offre des activités, non couvertes par le secteur public ou privé, à 150.000 jeunes de moins de 26 ans, pour une durée de cinq ans en attendant la reprise de ces activités par le secteur marchand ou le secteur public. Elle a précisé que le coût de ces emplois était subventionné à 80 % par l’État. Elle a noté que ce programme avait connu un grand succès, mais bénéficiait plutôt à des jeunes ayant un niveau de qualification élevé, et qu’en conséquence, la loi d’orientation pour la lutte contre l’exclusion, s’est accompagnée de la mise an point du programme TRACE, qui aménage un suivi personnalisé de dix-huit mois pour 80.000 jeunes dépourvus de toute qualification.

M. Pierre Forgues a précisé que la loi sur les 35 heures avait conduit à la conclusion de 2.600 accords, concernant 800.000 entreprises, et qu’elle avait permis la création, à la fin de 1998, de 36.000 emplois.

M. Raymond Douyère a précisé que le nombre d’emplois créés serait de 150.000 à la fin de l’année 1999. Il a fait remarquer que la loi avait favorisé l’instauration d’un véritable dialogue social, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises dépourvues de représentation syndicale interne, grâce à l’intervention de représentants syndicaux extérieurs, et que, dans les grandes entreprises, les accords correspondants avaient permis l’embauche massive de jeunes, comme le montre l’accord conclu récemment à EDF sur la base de 32 heures. Il s’est également interrogé sur la possibilité d’une attitude commune de la France et de l’Allemagne vis-à-vis des autorités de Bruxelles sur le thème de la baisse de la TVA dans certains secteurs.

M. François Loos s’est déclaré partisan de la diminution des charges sur les bas salaires, notamment dans l’industrie textile. Il a rappelé que le plan textile français avait été bloqué par l’Union européenne et que le Gouvernement français était donc contraint de demander aux entreprises de renoncer aux aides qu’elles avaient reçues. Il s’est interrogé sur l’attitude à ce propos de la partie allemande dont il a noté l’intérêt pour les baisses des charges sur les bas salaires. Il s’est également interrogé sur la possibilité d’une attitude commune de la France et de l’Allemagne vis-à-vis des autorités de Bruxelles sur le thème de la baisse de la TVA dans certains secteurs.

Le Président Augustin Bonrepaux a rappelé qu’à partir d’une proposition de directive de l’Union européenne visant à réduire la TVA sur les activités à forte intensité de main-d’œuvre, la commission des Finances de l’Assemblée nationale avait demandé au Gouvernement d’accorder une attention particulière aux métiers du bâtiment. Il a souhaité connaître la position de la délégation allemande sur ce sujet. Il a fait état de deux autres mesures visant à réduire le coût du travail : la compensation par l’État de l’instauration des 35 heures, et la suppression de la part des salaires dans l’assiette de la taxe professionnelle.

M. Philippe Auberger a critiqué le discours lénifiant tenu, aussi bien en France et en Europe que dans le monde à propos de la crise financière en Asie qui serait sous contrôle, les pays touchés ayant retrouvé la croissance et le pire étant donc passé. Il a estimé que si cette analyse était vraie pour les problèmes financiers, il n’en n’était pas de même pour les questions économiques. Citant les exemples des secteurs du textile et de l’électronique, il s’est inquiété des délocalisations qui risquent de s’accélérer, en raison des dévaluations intervenues en Asie qui sont à l’origine d’une sur-compétitivité des économies concernées. Il a demandé si ce problème était également ressenti en Allemagne et s’est interrogé sur la possibilité de prendre des mesures au niveau européen pour éviter des pertes d’emplois.

M. Detlev von Larcher (SPD) a constaté que le débat, en France et en Allemagne, ne se déroulait pas en des termes comparables, dans la mesure où, en France, l’on attend de l’État qu’il crée les conditions cadres de l’économie alors que domine, outre Rhin, la conception selon laquelle moins l’État s’ingère dans l’économie, plus l’autorégulation s’opère. Il a reconnu la nécessité de mettre en place un cadre européen qui empêche la concurrence préjudiciable entre États membres en imposant des normes minimales dans le domaine social et sur la question du temps de travail. Soulignant à nouveau les différences qui séparent les deux pays, il a mis l’accent sur le fait qu’en Allemagne la réglementation est essentiellement le résultat de négociations entre les partenaires sociaux qui conduisent à la conclusion de conventions collectives, l’État se contentant de limiter les heures supplémentaires et le travail de nuit.

Revenant sur le thème de l’impôt pesant sur les entreprises, en évoquant la diminution de la part salariale dans l’assiette de la taxe professionnelle, il a fait remarquer que de telles réformes étaient chose faite depuis longtemps en Allemagne, même si les réflexions se poursuivent, et qu’il lui semblait difficile de refondre l’ensemble de la fiscalité des entreprises. Rappelant que le taux d’imposition des sociétés était de 35 %, il a ajouté que l’effort de réduction portait actuellement sur la fiscalité des petites et moyennes entreprises et sur l’imposition des ménages. Quant à un allégement plus poussé de l’impôt sur les société, il ne l’a jugé ni nécessaire ni possible. Il a ensuite abordé la question du niveau des charges sociales, que la politique allemande actuelle lie étroitement à celle de la fiscalité sur l’énergie, puisqu’une diminution des premières doit être compensée par un accroissement de la seconde.

Pour ce qui concerne la définition de tendances économiques, il a reconnu ne guère pouvoir se prononcer sur d’éventuels mouvements de délocalisation. Il a rappelé que, si les entreprises brandissaient volontiers la menace de se délocaliser dans le but d’exercer une pression sur les États, elles l’exécutaient rarement. Il a ainsi cité le cas de Daimler-Chrysler, dont le siège sera finalement installé en Allemagne, et celui de Trigema, une entreprise du secteur textile, qui a affirmé vouloir rester en Allemagne où elle estime qu’il est tout à fait possible à une entreprise bien gérée de faire du profit.

M. Leo Dautzenberg (CDU/CSU) a insisté sur le fait que l’important, dans le cadre de cette rencontre, était les échanges de vue et non la répétition des débats nationaux. Il s’est interrogé sur le sens du passage du terme de « pacte de stabilité » à celui de « pacte pour l’emploi » et s’est demandé s’il s’agissait d’un simple glissement sémantique ou d’une réelle évolution de contenu.

Confirmant le choix fait en Allemagne en faveur d’une baisse des charges sociales et d’un allégement de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, il a noté avec compréhension l’interrogation, exprimée en France, sur la pertinence actuelle des critères de stabilité.

Il s’est demandé si la notion de pacte n’impliquait pas une intervention plus dynamique de l’État que celle de politique active de l’emploi. Il a fait remarquer qu’en l’état, sauf à intervenir pour aider à la solution du problème spécifique du chômage des jeunes en créant des contrats de qualification, l’État, en Allemagne, limitait son action dans l’économie à la définition de simples conditions-cadres dans lesquelles l’initiative privée se développait, pour le surplus, librement. Il a mis en rapport cette conception avec les termes du débat politique français qui avait, au contraire, établi un lien étroit entre le problème politique posé par l’emploi et la conduite des négociations économiques sur l’introduction de l’euro, ce qui conduisait à envisager, au nom d’une politique active de l’emploi, de s’écarter des critères de stabilité de Maastricht. Il a fait valoir que, dans la crise asiatique, l’euro avait précisément résisté en s’appuyant sur ces critères. Il s’est interrogé, en conséquence, sur les marges de manœuvre qui peuvent exister pour la définition d’un cadre plus favorable à la création d’emplois par les entreprises, que les mesures retenues se rattachant à la politique de l’offre ou à celle de la demande.

M. Dieter Grasedieck (SPD) a rappelé que l’emploi constituait la priorité absolue et qu’il était dans ce domaine particulièrement intéressant d’échanger les expériences allemandes et françaises dans la mesure où les deux pays partagent les mêmes objectifs mais ont adopté des solutions très différentes. Il a noté qu’en Allemagne les charges sociales ont été diminuées par le biais d’aides et que des efforts ont été faits pour motiver les jeunes, tandis que la France a choisi les emplois jeunes. Il a demandé s’il ne serait pas possible d’envisager des actions communes, entre pays et entre entreprises et États européens, par exemple, dans le domaine des télécommunications, des nouvelles technologies et de l’aéronautique.

M. Klaus-Peter Willsch (CDU/CSU) est revenu sur les instruments de lutte contre le chômage en critiquant la notion de durée du travail hebdomadaire. Il a rappelé qu’à l’origine il s’agissait d’imposer des limites afin de préserver la santé des travailleurs mais que l’on s’éloignait aujourd’hui de cette justification. Il a estimé que la durée hebdomadaire du travail devait désormais être le fruit des accords entre les partenaires sociaux, procédant à un arbitrage entre les préférences des salariés. Il a jugé inutile l’existence d’un salaire minimum, quelque forme qu’il prenne. Il a contesté que l’État puisse mener une politique active de l’emploi, dès lors qu’il ne peut créer de l’emploi, et il s’est déclaré particulièrement préoccupé par le poids des dépenses publiques rapportées au PIB, qui constitue un frein à l’activité économique. Il a préconisé, dans une conjoncture où le niveau des taux d’intérêt ne fait plus problème, une diminution des dépenses publiques. Il a mis l’accent sur la nécessité d’augmenter la demande de travail, par la baisse des impôts directs, et sur la volonté de freiner les dépenses sociales pour pouvoir diminuer les taux des cotisations.

Il s’est élevé contre la politique du Chancelier Schröder qui, comme l’avait fait en son temps, dans une première période, le Gouvernement de M. Pierre Mauroy, exprimait une volonté dangereuse, car illusoire, de changer la réalité économique

M. Jörg-Otto Spiller (SPD) a tenu à souligner que si les taux de chômage élevés touchaient des personnes de tout niveau de qualification, ils atteignaient leur maximum pour les salariés sans qualification, qui représentent 50% des chômeurs allemands. Il a affirmé que l’emploi non qualifié était trop cher pour les entreprises, et ce dans tous les pays riches, et que cela tenait moins à la rémunération des personnes qu’aux charges afférentes. Après avoir manifesté son hostilité à toute mesure de protection entraînant le refus d’une économie ouverte, il a reconnu que de nombreux salariés, dont l’absence de qualification constitue un handicap en situation de concurrence, sont malheureusement, en raison de leur âge, dans l’incapacité d’acquérir une formation convenable. Il a proposé que ces personnes se voient offrir une solution combinant salaire et prestations sociales, à l’exemple de ce qui existe aux États-Unis et a souhaité une réflexion commune entre Français et Allemands sur ce point en vue d’une décision à l’échelle de l’Union européenne.

M. Norbert Barthle (CDU-CSU) mettant l’accent sur l’objectif de la lutte pour l’emploi, a observé qu’aucun rapprochement n’était possible si chacun se contentait de répéter son discours national sur les chemins qu’il convenait de prendre, et a appelé aux dépassements des clivages partisans. Il a indiqué que pour le CDU-CSU, la répartition différente des emplois existants ne saurait créer des emplois nouveaux. Faisant remarquer que, selon un processus inéluctable, une part toujours plus réduite de l’humanité était appelée à produire une quantité de biens toujours croissante, il a exprimé l’espoir que la définition d’une stratégie économique européenne répondait à un tel défi.

M. Pierre Méhaignerie a relevé dans l’intervention de M. Jörg-Otto Spiller un point de consensus possible, sur le constat que la concurrence internationale jouera en effet de plus en plus au détriment des emplois non qualifiés. Il a estimé que, dès lors, la question essentielle était de savoir dans quelles conditions les charges pesant sur ces emplois pouvaient être réduites. Il a considéré, à titre personnel, que la baisse de l’impôt sur le revenu n’était pas prioritaire et que celle de la TVA ne pouvait être la solution principale, et que seule la baisse des charges sociales conciliait efficacité économique et justice sociale. Il a reconnu qu’une différence d’appréciation pouvait porter sur la nécessité de rechercher une meilleure efficacité du secteur public et de l’État.

Le Président Augustin Bonrepaux a relevé les quelques éléments de consensus apparus dans le débat, et s’est réjoui de voir que M. Pierre Méhaignerie ne jugeait plus prioritaire la baisse de l’impôt sur le revenu.

M. Yves Cochet a estimé que la diminution d’un certain type de travail non qualifié pouvait être considérée comme positive si elle s’accompagnait d’une libération de la personne et d’une meilleure répartition de la charge de travail subsistante. Il fait valoir que les effets des nouvelles technologies sur l’emploi n’en étaient qu’à leurs débuts, et que, par exemple, le développement du commerce électronique allait faire peser une forte pression sur la grande distribution en renforçant les liens directs entre les producteurs et le consommateur final. Il a souligné que cette évolution induirait un développement des besoins de transport et donc une aggravation des effets pervers bien connus de ceux-ci. Enfin, il a insisté sur la notion de revenu minimum d’existence, estimant que le fait d’être citoyen européen devrait ouvrir un droit absolu à un revenu inconditionnel et incompressible.

M. Raymond Douyère a rappelé que la réduction du temps de travail était historiquement la réponse apportée à la diminution des besoins en travail non qualifié. S’il a admis que le problème du niveau des charges sociales se posait effectivement, il a émis la crainte qu’une réduction de celles-ci portant sur les bas salaires, ne risque d’accroître la pression à la baisse sur les salaires plus élevés. Dès lors, il a plaidé pour qu’une éventuelle baisse des charges s’applique au plus grand nombre de salariés possible. Observant que le commerce extra-communautaire ne portait que sur environ 10 % du PIB européen, il a insisté sur la nécessité de réfléchir au meilleur moyen de protéger l’Union européenne d’une concurrence trop destructrice d’emplois. Enfin, se fondant sur la situation de certains RMIstes en France, qui ont tendance à se contenter du revenu de substitution qui leur est procuré, il a estimé que si l’idée d’un revenu minimum d’existence était généreuse, elle n’en posait pas moins de nombreuses difficultés d’application pratiques.

Mme Nicole Bricq s’est félicitée de constater que, contrairement à ce qui est dit ici ou là, le débat permettait de vérifier la validité du clivage droite/gauche aussi bien en Allemagne qu’en France. Elle a fait observer que, si la croissance et l’emploi constituent des problèmes communs à l’ensemble des pays européens, la France devait en outre consentir un effort inéluctable de réduction du déficit budgétaire, tout en mettant en place des mesures fiscales encourageant la croissance et soutenant l’emploi. Elle a ajouté qu’en France, il n’existait pas une tradition de dialogue social comparable à la tradition allemande, comme le montre actuellement l’application concrète de la loi sur la réduction du temps de travail. Elle a enfin insisté sur la nécessité de clarifier, si l’on envisage l’abaissement des charges sociales, la question essentielle du financement de cette mesure.

Le Président Augustin Bonrepaux s’est félicité que le Gouvernement allemand ait placé l’harmonisation des politiques de l’emploi au centre de sa présidence semestrielle de l’Union. Dans ce cadre, il a souhaité approfondir le débat sur la réduction de la TVA applicable aux secteurs à forte intensité de main d’œuvre.

La Présidente Christine Scheel a indiqué que le projet de nouvelle directive proposant une baisse de la TVA sur les activités à forte intensité de main d’œuvre serait bientôt à l’ordre du jour de la commission des Finances du Bundestag.

Souhaitant que le dialogue franco-allemand soit le plus concret possible, M. Joachim Poss (SPD) s’est interrogé sur l’opportunité de soutenir l’emploi par le biais de la fiscalité. Il a rappelé que les partisans de l’économie de marché en Allemagne, parmi lesquels le SPD et la CDU, étaient hostiles à l’idée de subventionner fiscalement l’activité d’un secteur économique. Il ajouté que si l’on décidait de baisser la TVA, il faudrait définir son champ d’application et savoir quelles seraient les conséquences pour les contribuables de la nécessaire compensation de la perte de recettes correspondante. Il a, en conclusion, mis en garde contre une mesure qui, pourrait poser autant de problèmes nouveaux qu’elle paraîtrait en résoudre.

M. Klaus Wolfgang Müller (Bundnis 90–die Grünen) a estimé que la baisse de la TVA ne constituait pas une solution idéale et que son parti privilégiait une autre approche, celle de la fiscalité écologique, dont la mise en place pouvait, seule, permettre une baisse significative des charges sociales. Il a estimé plus généralement que l’Allemagne se trouvait confrontée à deux grandes questions, la réforme de son système d’assurance sociale et le traitement du problème des retraites, qui poseront de douloureux problèmes politiques et nécessiteront un important travail de pédagogie auprès de la population. Il a ajouté que l’Allemagne n’échapperait pas à un débat sur un éventuel transfert d’une partie des impôts directs vers les impôts indirects.

Rappelant l’hostilité de son parti à la mise en place de l’euro, Mme Barbara Höll (PDS) a estimé qu’il conviendrait de rouvrir le débat sur les critères du pacte de stabilité et d’y intégrer, sous une forme ou une autre, le chômage. Après avoir indiqué que son groupe était le seul, au Bundestag, à voir dans la baisse de la TVA un bon instrument pour l’emploi, elle a affirmé que les moyens de compenser son coût incontestable existaient et elle s’est demandée si la recherche d’une plus grande efficacité de l’État prônée par M. Pierre Méhaignerie au nom de la création d’emplois ne conduirait pas à des licenciements dans la Fonction publique.

M. Ludwig Eich (SPD) a estimé que le grand projet politique de la construction européenne auquel la France et l’Allemagne étaient appelées à participer de concert, se trouvait dans une phase critique où se pose, en effet, la question des moyens d’équilibrer la croissance. Rappelant qu’en Allemagne, le Gouvernement menait une politique fiscale visant à renforcer la demande et favorisait l’augmentation des salaires par la négociation collective, il a souhaité connaître les mesures fiscales prises en France en vue d’un tel renforcement.

M. Leo Dautzenberg (CDU/CSU) a indiqué qu’il convenait d’abord de définir quelles étaient les activités à forte intensité de main d’œuvre. Il a estimé que, la TVA n’étant pas neutre, puisqu’elle se répercute sur la consommation et que les ménages pouvant recourir à davantage de services, il convenait, étant donné la situation actuelle de compétition fiscale dans l’espace européen, de tenir compte de l’objectif communautaire de révision des taux à la baisse.

La Présidente Christine Scheel a fait observer que le débat était loin d’être clos en Allemagne et a donc souhaité que soit organisé sur ce sujet, de la manière la plus ouverte possible, le débat entre les commissions des Finances des deux Assemblées.

M. Jean-Pierre Delalande, affirmant la nécessité de discussions concrètes au fond, s’est déclaré d’accord avec cette proposition et a plaidé pour des rencontres régulières entre les deux commissions. Il a estimé que deux points s’étaient plus particulièrement dégagés, au-delà des clivages politiques nationaux : la baisse de la TVA et les conditions de sa répercussion sur les prix d’une part, la baisse des charges sociales, notamment sur les bas salaires d’autre part. Il a jugé qu’une approche concertée présentait le double avantage de peser plus efficacement sur les orientations de la Commission de Bruxelles et de mettre en place un dispositif neutre sur le plan de la concurrence.

Après s’être déclaré lui aussi favorable au développement des échanges entre les deux commissions, M. Pierre Méhaignerie a vivement contesté, d’une part, l’idée malthusienne selon laquelle le travail se raréfiait et devait donc se partager et, d’autre part, la proposition de mise en place d’un revenu minimum d’existence, estimant que les pays européens n’en avaient plus les moyens.

Observant un début de consensus sur les dossiers de la baisse de la TVA et des charges sociales, le Président Augustin Bonrepaux a également approuvé la proposition d’intensifier les échanges réguliers entre les deux commissions, notamment à travers l’élaboration de notes écrites, et de poursuivre la pratique des rencontres annuelles.

Présentant le deuxième thème de la rencontre, consacré à la fiscalité écologique, Mme Nicole Bricq a situé son propos dans la recherche d’une réflexion franco-allemande sur ce sujet. Elle a rappelé que la fiscalité écologique avait été l’un des trois grands chantiers que la commission des Finances avait entrepris à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 1999 et qu’elle avait été chargée par la Commission d’un rapport à ce titre. Elle a précisé que, dans ce rapport, elle plaidait pour le recours à la fiscalité, instrument plus juste et qui permettait une orientation plus nette des arbitrages des agents économiques, comme outil d’intervention dans le domaine de l’environnement. Elle a ajouté que certaines des 40 propositions contenues dans son rapport avaient été appliquées dans la loi de finances pour 1999, de sorte qu’on a pu dire que 1999 était l’an I de la fiscalité écologique en France.

Elle a souligné que, dans l’énoncé de ses propositions, elle avait poursuivi deux buts : réformer les dispositions fiscales dont les effets seraient contraires aux politiques environnementales, inciter les acteurs économiques à l’adoption de comportements vertueux. Elle a ensuite rappelé les trois séries de mesures qui, dans la loi de finances pour 1999, correspondaient à ces objectifs : la réduction de l’écart de taxation entre le gazole et l’essence afin de lutter contre des distorsions de marché et de dissuader l’utilisation de véhicules polluants au profit de véhicules propres ; la baisse de la TVA sur les opérations de collecte et de tri sélectif des ordures ménagères permettant aux collectivités locales de se doter de systèmes propres et performants, et l’institution d’une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui se substitue à des taxes préexistantes, et rompt ainsi avec la pratique de l’affectation des ressources à des actions écologiques particulières. Elle a ajouté que l’assiette de cette taxe serait appelée à évoluer puisqu’il faudrait notamment réfléchir à l’intégration de l’eau qui, pour l’instant, relève d’un système de redevance perçu par les agences de l’eau échappant au contrôle du Parlement. Elle a convenu que l’unification des taxes anciennes dans la TGAP s’accompagnait du versement de son produit dans les recettes du budget général, faisant naître, en théorie, une incertitude sur la destination de la ressource.

Se déclarant très attentive aux discussions européennes, notamment sur la taxation de l’énergie, Mme Nicole Bricq a souhaité une relance de la préparation de la directive sur le sujet. Elle a rappelé que la France était favorable à un relèvement des accises ; qu’elle n’était pas défavorable à l’institution d’une taxe sur l’énergie, sous réserve de sa modulation en fonction de la consommation d’énergie des différents secteurs économiques, et qu’elle désirait que cette taxe ait une fonction effectivement écologique.

Évoquant l’adoption de la réforme fiscale allemande le 3 mars dernier, Mme Nicole Bricq a relevé que l’Allemagne avait fait sienne la théorie du double dividende qui consistait à compenser par une baisse des cotisations patronales au régime d’assurance vieillesse l’augmentation des taxes sur l’énergie. Après s’être interrogée sur le rendement de cette augmentation de la fiscalité qui avait fait l’objet d’évaluations différentes, notamment dans la presse britannique, elle a indiqué que la réflexion n’était pas parvenue au même stade en France, où seules les finalités écologiques sont ouvertes à la discussion. Rappelant que l’Europe avait pris, lors de la conférence de Kyoto, des engagements dans le domaine de la lutte contre les gaz à effet de serre, qu’il importait de respecter, elle a estimé que ces engagements imposaient une coordination des positions, pour que l’Union européenne parle d’une seule voix dans les conférences internationales.

La Présidente Christine Scheel a déclaré que l’Allemagne s’était elle aussi engagée dans la mise en place d’une fiscalité écologique parallèlement aux engagements internationaux qu’elle avait pris, notamment à Kyoto. Elle a déclaré que la théorie du double dividende, qui s’était concrétisée par l’accroissement de la fiscalité sur l’énergie et par une baisse de 0,4 % des cotisations patronales et salariales au régime des retraites, avait permis de mieux faire accepter la fiscalité écologique à l’opinion publique. Elle a aussi relevé que cette mesure était conforme aux recommandations de la Commission de Bruxelles en vue d’une diminution des charges sociales, et qu’elle permettait d’alléger les charges pesant sur le travail. Elle a envisagé avec optimisme les deux étapes ultérieures de la politique de fiscalité énergétique.

Au sujet des estimations figurant dans la presse britannique, Mme Christine Scheel a déclaré ne pas bien comprendre les interprétations des journalistes étrangers même si elle a admis que les allégements de charges étaient variables d’une entreprise à l’autre et que la prise en compte des informations publiées par les filiales des entreprises allemandes à l’étranger pouvait aboutir à des chiffres différents.

M. Klaus Wolfgang Müller (Bündis 90–die Grünen) a évoqué les travaux de la Commission européenne qui avaient mentionné la possibilité de voir certains secteurs économiques privilégiés par la baisse des cotisations sociales et épargnés par la hausse de la fiscalité écologique. Il a ensuite indiqué que les Verts avaient été amenés à réviser leur position sur la hausse du prix des carburants en raison de l’hostilité de l’opinion publique et que la théorie du double dividende avait permis de mieux faire accepter l’accroissement de la fiscalité sur l’énergie grâce au lien qu’elle établissait avec les effets bénéfiques sur le marché de l’emploi.

Reconnaissant que la réforme fiscale avait imposé à l’industrie une charge nouvelle importante, M. Klaus Wolfgang Müller a fait cependant valoir que les pays scandinaves, le Bénélux et la Grande-Bretagne poursuivaient déjà des buts similaires. Il a exprimé l’espoir de voir la France choisir, comme l’Allemagne, la vérité écologique, que le prix actuel de l’essence ne reflète pas. Il a souligné que la réforme fiscale allemande allait au-delà des politiques écologiques ponctuelles en provoquant une modification du cadre de l’activité économique. Il a enfin précisé que l’Allemagne essayait de faire avancer certains projets dans ce domaine à l’occasion de sa présidence de l’Union européenne.

Après avoir retracé ses activités à l’Institut européen pour l’environnement de Paris, à l’occasion desquelles il avait proposé, dès 1989, des mesures de fiscalité écologique et la théorie du double dividende, qui avait été reprise dans le livre blanc sur la compétitivité et l’emploi de la Commission européenne de 1993, M. Ernst Ulrich von Weizsäcker (SPD) a rappelé que, sous la pression des lobbies industriels, le Conseil des ministres européen d’Essen avait mis un terme à ces projets en 1994 à l’initiative du Chancelier Kohl. Il a estimé qu’à deux exceptions près, concernant l’énergie et les émissions de CO2, les 40 propositions figurant dans le rapport de Mme Nicole Bricq relevaient d’une politique écologique classique que l’ensemble des pays de l’OCDE avait commencé à mettre en place, à la suite notamment de l’Allemagne qui avait institué dans les années 70 une taxe sur le retraitement des eaux usées.

Évoquant la théorie du double dividende qui était réapparue en Allemagne dans les Länder, puis au niveau de l’État fédéral en 1998, M. Ernst Ulrich von Weizsäcker a indiqué que l’objectif ambitieux de réduction des charges sociales s’était corrélativement traduit par une ponction fiscale importante et donc impopulaire, ce qui devrait être pris en compte lors des deux étapes ultérieures du processus. Il a souligné que les pays méditerranéens de l’Union s’étaient déclarés très favorables à ce projet, que certains d’entre eux comme l’Italie avaient estimé la fiscalité énergétique plus simple et plus efficace que les impositions indirectes et que si la rationalité dictait les comportements, les pays méditerranéens devraient contribuer à faire avancer ces idées au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne.

M. Heinz-Georg Seiffert (CDU/CSU) a déclaré que la réforme fiscale adoptée en 1999 ne pouvait être considérée comme une entrée dans une fiscalité écologique dans la mesure où des recettes élevées étaient auparavant perçues grâce à des taxes comme la TIPP. Il s’est interrogé sur la possibilité de faire jouer, également, l’harmonisation des fiscalités européennes dans le domaine écologique et d’accorder une plus forte attention au volume de l’impôt écologique. Il a estimé impossible que le « double dividende », ne se traduise pas par une baisse des cotisations sociales.

Après avoir exprimé son accord avec l’exposé de Mme Bricq, M. Yves Cochet s’est déclaré favorable au principe d’un double dividende, parce que la question de l’acceptabilité politique de la fiscalité écologique est bien réelle, mais il a souligné qu’on ne pouvait à la fois taxer la pollution, subventionner la vertu écologique et bénéficier dans le même temps d’un dividende social. Il a souhaité un déplacement progressif de l’assiette de l’impôt, actuellement trop fondée sur le travail et l’activité économique sans prise en compte des coûts liés à l’environnement. Il a rappelé que l’existence de risques importants de pollution, liés notamment à l’émission de gaz à effet de serre, se traduirait par un coût élevé, et susceptible de s’aggraver, non seulement en termes financiers mais également de bien-être. Il a appelé l’attention sur le problème que pose en France, le refus des agriculteurs d’admettre la corrélation entre l’intensification de l’usage, en culture, des procédés chimiques et l’aggravation des pollutions résiduelles. Il a insisté sur la nécessité d’appliquer rapidement à l’agriculture, après discussion avec les professions intéressées, le principe pollueur-payeur, sous peine de devoir plus tard payer cher, comme pour l’amiante, le prix de l’aveuglement.

Il a ensuite rappelé que l’institution d’une écotaxe européenne, qu’il vaudrait mieux appeler « pollu-taxe » pour mettre l’accent sur la nécessité de taxer les pollutions, n’avait guère progressé depuis 1992. Il a souhaité un travail commun entre la France et l’Allemagne sur l’institution d’une telle taxe qui comprendrait toutes les énergies, y compris l’électricité, à l’exception, toutefois, des énergies renouvelables.

Mme Nicole Bricq a rappelé que ses propositions relatives à la fiscalité écologique intégraient une contrainte, commune aux deux pays, de baisse des prélèvements obligatoires. Elle a insisté sur le fait que la fiscalité écologique devait s’intégrer dans cette évolution à la baisse, alors qu’elle est actuellement ressentie comme une taxation supplémentaire. C’est pourquoi, elle a souligné l’importance d’une réflexion sur l’impact des mesures proposées afin de ne pas alimenter l’image d’une « super-fiscalité ». Elle a illustré son propos par l’exemple de la fiscalité des carburants, en rappelant que le principe d’une baisse progressive de la taxation sur le gazole avait récemment été adopté en France sans qu’à l’inverse la fiscalité sur l’essence soit aggravée afin de donner à l’opinion publique une contrepartie acceptable à la mise en place de mesures fiscales écologiques.

Elle a ensuite évoqué les malentendus persistants sur cette question depuis 1992 au niveau européen, relevant la place particulière de la France du fait de l’importance de l’énergie nucléaire. Dans ces conditions, elle s’est interrogée sur la définition de l’assiette de l’impôt, estimant que cette réflexion ne pouvait avoir lieu seulement à Bruxelles en raison des spécificités énergétiques de chaque pays. Elle s’est appuyée sur l’exemple de la transposition de la directive relative à l’ouverture du marché de l’électricité en Europe afin de montrer la nécessité d’une réflexion au niveau de chaque État membre.

Enfin, elle a mis l’accent sur le fait que la réflexion, en France, ne reposait actuellement sur l’idée d’un financement de l’abaissement des cotisations patronales par la fiscalité écologique, comme le suggère le principe du double dividende défendu en Allemagne. Elle a néanmoins admis l’intérêt de ce principe, quand bien même il ne correspondrait pas à l’état des propositions actuellement débattues en France.

Présentant le troisième thème de la matinée, consacré à l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne, Mme Barbara Hendricks, secrétaire d’État parlementaire au ministère allemand des Finances, a rappelé qu’un travail était en cours sur la rédaction d’un projet de directive européenne portant sur la fiscalité des revenus du capital, afin notamment d’harmoniser la collecte des informations sur les bénéfices perçus par les personnes physiques, et de prévoir la perception de l’impôt, soit dans le pays d’origine du contribuable, soit par la voie de la retenue à la source. Elle a précisé que l’objectif était d’éviter que les revenus liés à l’épargne ne soient soustraits à l’impôt et que l’on puisse jouer, dans un but fiscal, de l’appartenance à tel ou tel pays de l’Union européenne. Elle a ajouté que cette réflexion s’inscrivait dans le cadre du principe de coexistence entre les législations, arrêté par le conseil des ministres réuni en décembre 1997 à Luxembourg et réaffirmé depuis, à Vienne en décembre 1998. Elle a indiqué que la présidence allemande de l’Union était chargée d’effectuer les consultations sur ce thème en vue d’aboutir à un consensus d’ici juillet, les décisions politiques devant, en principe, être prises sous la présidence finlandaise.

Elle a énuméré les points sur lesquels l’Allemagne souhaitait parvenir à un consensus :

– éviter la fuite de l’épargne hors de l’Union grâce à des discussions en cours notamment avec Monaco, Andorre, le Liechtenstein et la Suisse, sur lesquelles la Commission a présenté le 15 mars dernier un rapport au Conseil Ecofin ;

– arrêter une position commune sur la question des taux d’intérêt, à partir du constat que l’intégration des prêts internationaux constituait une menace pour la compétitivité du marché des capitaux et que l’absence d’intégration créait une brèche importante dans la mesure où elle privilégiait de manière inacceptable le marché de Londres.

Après avoir constaté la convergence des intérêts français et allemands sur le dossier, elle a ajouté que la crainte d’une fuite des capitaux sur le marché des euro-obligations ne pourrait être levée qu’après les élections de juin prochain au Luxembourg, lorsque le Gouvernement luxembourgeois serait en situation de prendre des engagements fermes.

M. Didier Migaud, rapporteur général, a abordé la question de la fiscalité de l’épargne en estimant que la France et l’Allemagne avaient une position commune. Il a rappelé qu’un rééquilibrage avait été réalisé en France entre la fiscalité sur les revenus du travail et les autres revenus, au détriment des produits de l’épargne. Plus généralement, il a vivement souhaité l’établissement d’un code de bonne conduite en Europe dans ce domaine, et regretté que certains États membres aient oublié la nécessaire solidarité européenne. Il a estimé que certains pays européens avaient une fiscalité de l’épargne beaucoup trop favorable, par rapport aux fiscalités allemande et française. Souscrivant aux propositions formulées par le commissaire européen Mario Monti, approuvées par la France et l’Allemagne, il a considéré que les efforts en ce sens devaient être poursuivis afin de lutter contre la fraude fiscale, à qui l’utilisation des produits de l’épargne donne des possibilités de développement bien connues. Il a exprimé l’espoir que la France et l’Allemagne puissent se retrouver pour une concrétisation de l’harmonisation.

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