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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 59

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 1er juillet 1999
(Séance de 12 heures)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

SOMMAIRE

 

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Examen du rapport d’information de M. Jean-Michel Boucheron sur le coût de la participation de la France aux opérations menées en vue du règlement de la crise au Kosovo


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La Commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial, le rapport d’information sur le coût de la participation de la France aux opérations menées en vue du règlement de la crise au Kosovo.

Après avoir rappelé que M. Jean-Michel Boucheron s’était vu confier par la Commission une mission d’information le 9 juin 1999, c’est-à-dire à la veille de l’arrêt officiel des frappes de l’OTAN, le Président Augustin Bonrepaux a félicité le Rapporteur pour la rapidité de son travail. Il a estimé nécessaire que la commission dispose d’une information précise sur le coût des opérations militaires avant de s’intéresser aux conséquences macro-économiques de cette crise et au coût de la reconstruction.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur, a tout d’abord évoqué la signification historique et politique du conflit qui avait permis de débarrasser l’Europe des dictatures et de leurs méthodes, avant d’insister sur la révolution stratégique qui s’était produite à cette occasion. Il a ainsi estimé que la guerre du Kosovo avait, pour la première fois, abouti à une reddition d’une force militaire sans qu’elle n’ait jamais été au contact direct de son adversaire, ce qui était la conséquence d’une opération de projection de puissance sans projection de forces. Il a cité l’exemple des missions effectuées par les bombardiers stratégiques américains B2 comme caractéristique de cette stratégie.

Le Rapporteur a ensuite délimité le champ de son étude en précisant qu’il ne s’était intéressé qu’aux dépenses du seul ministère de la Défense à l’exclusion des autres départements ministériels qui, d’ailleurs, avaient peu contribué au financement de la guerre, que son but était d’évaluer les surcoûts et non pas les coûts au sens économique du terme, et que la période chronologique traitée commençait avec le prépositionnement des forces terrestres au 1er décembre 1998 pour s’arrêter à la fin des frappes de l’OTAN, le 10 juin 1999.

Il a ensuite abordé le déroulement chronologique des opérations en commençant par l’envoi des forces, c’est-à-dire la projection d’un échelon en Macédoine en décembre 1998, le positionnement sur la zone d’opérations du groupe aéronaval et le commencement du déploiement de l’armée de l’Air avant le 24 mars 1999, date du début des frappes. Le Rapporteur a estimé à 260 millions de francs le surcoût imputable à cette première phase. Il a ensuite évalué à 1.011 millions de francs le surcoût de la deuxième phase, c’est-à-dire la guerre aérienne, en précisant que cela représentait un montant de 92 millions de francs en moyenne pour chacune des onze semaines de guerre. Ce chiffre se répartit à raison de 167 millions de francs pour l’armée de Terre, 348 millions de francs pour la Marine et 496 millions de francs pour l’armée de l’Air. Il a enfin chiffré à 63 millions de francs le surcoût de la participation militaire aux opérations humanitaires, en indiquant que la contribution du ministère des Affaires Étrangères à ce titre était plus importante et que ses crédits avaient été abondés d’un montant de 235 millions de francs à cet effet.

En adoptant un séquençage aussi fin que possible, le rapporteur a indiqué qu’il avait souhaité à la fois décrire l’opération en cours et proposer un modèle d’analyse prospective pour l’évaluation des opérations extérieures futures.

Il a ensuite ventilé les surcoûts par grandes catégories de dépenses en évoquant le poids des rémunérations et charges sociales qui représentaient un tiers du total en raison du régime indemnitaire des militaires en opérations extérieures, lequel avait pour effet de doubler en moyenne leurs soldes, puis les dépenses de munitions qui s’étaient élevées à 384 millions de francs, soit 28 % du total, et les dépenses d’entretien programmé du matériel pour un montant de 180 millions de francs. Il a souligné la quasi absence de pertes et destructions de matériels, en indiquant que le coût de remplacement d’un seul avion de combat pouvait être évalué à un montant de l’ordre de 300 millions de francs, ce qui démontrait l’importance de ce paramètre.

Le Rapporteur a finalement évalué à 1,334 milliard de francs le surcoût de la guerre du Kosovo depuis le 1er décembre 1998 jusqu’au 10 juin 1999 et il a estimé à 2,5 milliards de francs le surcoût total pour 1999 qui s’ajoutait à 1,9 milliard de francs pour des opérations extérieures autres que le Kosovo. Il a estimé que l’ampleur de ce surcoût justifierait un décret d’avances destiné à financer au moins les dépenses de rémunérations et charges sociales déjà constatées, soit un montant d’environ 500 millions de francs, tandis que le solde devrait être financé en loi de finances rectificative.

Le Rapporteur a conclu son intervention en comparant ces chiffres aux 6,6 milliards de francs de surcoûts générés par la guerre du Golfe ainsi qu’aux 5,15 milliards de francs de surcoût des opérations extérieures (OPEX) en 1996, ce qui permettait d’en évaluer la portée relative. Il a enfin indiqué qu’il s’était efforcé, dans la dernière partie de son rapport, de dégager les conséquences financières des premiers enseignements opérationnels du conflit en envisageant des adaptations à la loi de programmation militaire.

M. Didier Migaud, rapporteur général, a souligné l’utilité de ce type de travail et a interrogé le rapporteur sur l’importance de la participation de la France par rapport à celle des autres membres de la coalition, et notamment des États-Unis.

Après avoir déclaré partager les objectifs politiques de la guerre, Mme Nicole Bricq s’est interrogée sur le rapport coût/efficacité des moyens déployés ainsi que sur la réalité des pertes subies par les forces serbes. Elle a souhaité savoir si l’acquisition de nouveaux équipements imposés par l’analyse de cette crise se ferait par redéploiement des moyens existants ou par abondement des crédits d’équipement militaire.

Après avoir observé que les forces militaires serbes avaient subi leurs plus lourdes pertes dans les derniers jours du conflit, au moment où les forces de l’UCK les avaient contraintes à se découvrir, M. Gérard Bapt s’est demandé si une politique renforcée d’armement de l’UCK n’aurait pas permis de régler plus tôt la crise. Il s’est aussi demandé si l’émergence d’une défense européenne autonome ne constituait pas une vue de l’esprit compte tenu de l’ampleur des moyens déployés par les Américains dans cette guerre.

M. Jean-Jacques Jegou a souhaité savoir si l’objectif d’épargner les vies humaines avait été appliqué aux militaires serbes eux-mêmes. Il s’est interrogé sur l’identité des autorités politiques qui prenaient la décision de participer à une opération extérieure et sur leur degré d’information des surcoûts générés par ce type d’opération. S’agissant des rapports entre les États-Unis et l’Europe et des carences constatées en matière de ravitaillement en vol, de projections ou de munitions, il a remarqué que, réunis à 15 pays, les Européens devraient pouvoir disposer des mêmes moyens que les États-Unis.

M. Alain Barrau a interrogé le Rapporteur sur le coût de l’intégration de la France dans la chaîne de commandement de l’OTAN ainsi que sur le coût de l’interopérabilité de nos matériels avec ceux de l’Alliance atlantique. Il a aussi souhaité savoir si la réorientation du budget de la Défense de la France pouvait avoir pour objectif l’émergence d’une défense européenne.

M. Gérard Fuchs a remarqué que si la somme des budgets européens de défense était inférieure au montant de celui des Etats-Unis, ce fait, en soi, n’était pas surprenant puisque l’Europe n’avait pas pour ambition d’assumer les mêmes responsabilités de puissance planétaire que les Etats-Unis. Il a jugé que la coordination des objectifs de défense était une étape fondamentale pour la construction d’une Europe de la Défense. Il a ensuite demandé des précisions au rapporteur sur ses appréciations relatives à nos équipements de renseignement, et notamment de satellites d’observation.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Michel Boucheron a indiqué que la France avait assumé en moyenne 10 % du total des missions de l’Alliance et les États-Unis environ 80 %, ce qui pouvait donner une idée des parts respectives des financements. Il a cependant remarqué que jusqu’à ce jour, la présence terrestre de la France avait été supérieure à celle de ses partenaires européens et que notre participation devait venir en deuxième position, loin derrière celle des Etats-Unis, mais devant celle des autres pays européens.

S’agissant des pertes militaires serbes, il a remarqué que ce qui comptait, c’était les frappes sur les objectifs d’infrastructures industrielles, dont le taux de réussite avait été élevé, et qui avaient fait céder le régime de Belgrade, alors que des estimations divergentes étaient avancées sur le taux de destruction du potentiel militaire serbe. Il a ajouté qu’il était toujours difficile de porter des coups décisifs, avec des moyens aériens, à une armée qui se dissimulait et qui refusait le combat.

M. Jean-Michel Boucheron a estimé que la politique de redéploiement des équipements militaires opérée à la suite de la guerre du Golfe avait été bien menée par les différents gouvernements, notamment s’agissant des choix technologiques, et que si les adaptations aux changements de contexte avaient été intelligentes, le volume des matériels n’avait pas été porté à un niveau suffisant comme en témoignait l’exemple des stocks de munitions à guidage laser.

Il a confirmé que la volonté de limiter les pertes humaines s’était aussi appliquée aux adversaires et que le fort taux d’opérations annulées en vol montrait la volonté de ne courir aucun risque en la matière.

S’agissant des prévisions de surcoûts générés par les opérations extérieures, le Rapporteur a indiqué qu’il s’était efforcé de proposer quelques outils d’analyse fondés sur l’observation du passé et qu’au moment où la décision de participer à une opération de ce type était prise, les autorités compétentes disposaient de paramètres sur le volume et l’équipement des forces projetables. Il a ajouté que ce type de décision n’était pas fondé prioritairement sur des considérations budgétaires, mais plutôt sur des paramètres politiques et diplomatiques.

Il a confirmé que les Européens éprouvaient encore des carences, notamment en matière d’avions ravitailleurs, d’avions de transport tactique ou encore de gros porteurs stratégiques et que l’émergence d’une défense européenne se heurtait à un triple obstacle, financier, opérationnel puisque les nations européennes avaient encore des intérêts parfois divergents, et technologique, car le retard pris sur les États-Unis variait entre 5 et 15 ans selon les matériels. Il a ajouté qu’une telle éventualité imposerait la mutualisation des budgets de Défense, des objectifs opérationnels et des structures d’acquisition d’armement, ce qui semblait peu plausible à court terme.

A propos des satellites d’observation, le rapporteur a confirmé le besoin en satellites optiques comme les satellites Hélios 1 et 2 qui permettaient de disposer d’informations stratégiques sur de nombreux pays étrangers, mais que l’utilisation tactique de satellites d’observation radar semblait difficile alors que la conjugaison de l’utilisation de certains avions, comme le Mirage F 1 CR, d’hélicoptères avec le système Horizon et de drones pouvait rendre des services supérieurs.

——fpfp——


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